Chapitre 20 - Ce qui t'est le plus cher


Dans l'allée descendant vers Pré-au-Lard, Draco marchait derrière Crabbe et Goyle, emmitouflé dans son écharpe. Les deux discutaient d'il ne savait quelle BD, lui réfléchissait quand la douleur le foudroya. Il tituba dans la neige et se raccrocha au muret.

Crabbe et Goyle s'étaient tournés vers lui. Il leur jeta son regard le plus menaçant et ils poursuivirent leur chemin. Le souffle court, Draco parvint à faire un pas de plus, puis un autre. La douleur s'intensifiait. Le chemin commença à tourner. Il n'arrivait pas à inspirer. Du feu brûlait ses poumons. S'il poursuivait, s'il s'évanouissait… Sa vie ne pouvait pas dépendre de Crabbe et Goyle.

— J'ai oublié de terminer un devoir, articula-t-il, tentant de masquer sa souffrance derrière un ton indifférent.

Au château, il trouverait de l'aide.

— Vous pouvez me rejoindre à la bibliothèque après votre tour à Pré-au-Lard, ajouta-t-il.

Les silhouettes de Crabbe et Goyle devenaient de plus en plus floues, leurs capes sombres bavant sur le paysage blanc. Heureusement, les tâches s'éloignèrent à l'instant où il prononça le mot « bibliothèque ». Des fourmis se mêlèrent à la douleur, au tournis, à sa peur. Il arracha presque sa bague tout en remontant vers le château.

« Granger. »

« Malfoy qu'est-ce qui se passe ? »

Si elle savait, il n'était plus en danger. Draco lutta contre ses membres engourdis pour remonter encore quelques mètres et les lancements perdirent en intensité. Il pressa une main sur sa poitrine, sentant les battements effrénés. Sa vision s'éclaircissait.

« Que s'est-il passé ? » demanda enfin la voix d'Hermione.

« J'étais à Pré-au-Lard et c'était comme si… c'est dur à décrire, comme si j'avais reçu un Crucio. Je retourne au château. Granger, je crois que je ne peux plus m'éloigner de toi au-delà d'une certaine distance. »

Aucun des interminables ouvrages qu'il consulta les jours suivants ne lui apporta une once de compréhension sur ce nouveau phénomène. Et comme la seconde tâche de Potter approchait, Granger n'avait pas autant de temps à consacrer à leur problème pourtant clairement plus urgent.

« Et il affirmait avoir bien avancé ! La seconde tâche est demain. Demain ! »

Installé dans un canapé de la salle commune de Serpentard, Draco écoutait les complaintes de Granger sur Potty avec un sourire en coin en feuilletant un énième livre de potions.

« C'est ça de placer sa confiance dans la mauvaise personne. »

« Si j'étais amie avec Crabbe et Goyle, je m'abstiendrais de commenter. »

Draco balaya tranquillement une nouvelle page.

« Parfois, j'ai du mal à saisir ta façon de penser, Granger. Qui te parle d'être ami avec eux ? Ce sont des relations, pas des amis. »

« Ah oui, bien entendu. Qui ne préfèrerait pas gâcher du temps avec des relations qu'il n'apprécie pas plutôt qu'avec des personnes qui deviendraient peut-être de précieux amis au fil du temps. »

Comme s'il s'adressait à une enfant particulièrement lente, il répondit :

« Parce que les relations qu'entretiennent nos parents m'offrent un ascendant sur eux. Ce qui signifie que leur influence me revient indirectement. En étant simplement là, tout ce qu'ils font m'est en partie dû. »

« Est-ce que ça vaut aussi pour leur bêtise ? Ça expliquerait bien des choses. »

« Ha. Ha. »

« Je vais te laisser. Harry a besoin de toute notre attention et comme si ça ne suffisait pas, le professeur McGonagall vient de nous convoquer. »

Sa chevalière restée dans la poche de son pantalon, Draco poursuivit donc sa lecture en silence dans la lumière verdâtre qui émanait des lampes rondes. D'autres Serpentards discutaient dans les fauteuils ouvragés, mais aucun ne vint le déranger, pas plus que les quelques pensées qui flottaient entre son esprit et celui de Granger ne le déconcentraient.

Jusqu'à ce que leur connexion se coupe.

D'un coup. Sans aucun avertissement.

Il sortit sa chevalière et la posa sur l'accoudoir de cuir, mais rien ne changea. Même si elle avait remis son bracelet, le lien n'aurait pas dû se rompre ainsi. Cela ressemblait à ce qui se passait quand elle tombait endormie avant lui, sauf que ce n'était jamais aussi brutal.

« Granger. »

Pendant plusieurs minutes, il obligea ses yeux à continuer de suivre les lignes, les paragraphes, les schémas qu'il ne voyait qu'à moitié.

« Granger ! »

Il tourna une page qu'il ne voyait plus du tout.

Si elle avait un problème, que lui arriverait-il ? Le lien leur permettait à peine de s'éloigner d'un bout à l'autre du château. L'angoisse qui rampait dans son estomac l'empêcha de reprendre sa lecture. Elle l'empêcha aussi d'aller dormir, de gouter les Scones qu'il avait rapportés du dîner et même de penser à quoi que ce soit d'autre. La salle commune des Serpentards était presque déserte lorsqu'il en sortit. Granger ne répondait toujours pas.

Quel était le dernier endroit où elle se trouvait ? Dans la bibliothèque avec Potty et la belette, à chercher un moyen de respirer sous l'eau.

Draco remonta des cachots à la lueur vacillante des torches. Vu depuis combien de temps il cherchait en vain avec ses petits potes, Potter devait encore y être. Le couvre-feu était passé depuis un moment, le hall et les couloirs étaient vides, pas même une miss Teigne pour trainer sur les tapis.

En revanche, le Potty se trouvait bien dans la bibliothèque, à s'arracher les cheveux sur un livre énorme à la lumière d'une lanterne. Les piles qui l'entouraient étaient beaucoup trop hautes pour une seule personne, pourtant ni Granger ni Weasley en vue. Draco vérifia les rayons obscurs.

Vides, évidemment.

Il revint dans le dos de Potter et toussota. Celui-ci fit volte-face.

— S'il vous plaît, j'ai encore besoin de… Oh, c'est toi. Fiche-moi la paix, je n'ai pas le temps.

Potter retourna à ses livres. Draco ne bougea pas.

— Où est Granger ?

— C'est vrai que ça te regarde, répliqua-t-il d'un ton acide.

La règle numéro une avait toujours été de cacher le lien entre eux. Mais la règle numéro une venait après la règle numéro zéro stipulant que rien ne devait le mettre en danger.

— Figure-toi que oui, Potty.

Potter consulta sa montre puis revint vers lui, soupçonneux.

— Et pourquoi est-ce que tu cherches Hermione ?

— Elle a disparu.

— Non, elle…

— A été convoqué par la vieille McGonagall, je sais. Et ensuite, elle a disparu.

Un silence passa.

— Comment est-ce que tu sais ça ?

— Je viens de te le dire : ça me concerne. Tout ce qui la concerne me concerne. Et cela risque d'être vrai encore un moment.

Cette fois, Potter referma son livre. Bien. Il avait enfin l'attention qu'il méritait.

— Comment ?

— Tu n'es donc vraiment pas au courant. Je n'aurais pas parié que la belette allait tenir sa langue.

— Ron ?

Draco verrouilla la bibliothèque d'un coup de baguette, les privant de la lumière du couloir. La seule flamme qui brulait pour eux se trouvait dans la cage de verre de la lanterne. Draco prit un instant pour peser une dernière fois sa décision puis reporta son attention sur Potter qui patientait, les sourcils froncés.

— Granger partage un lien avec moi.

— Toi et… Hermione ? Quel genre de lien ? Je te préviens, si c'est un de tes petits stratagèmes pour me faire perdre le peu de temps qu'il me reste avant l'épreuve…

— Mon problème est hautement plus important que ta petite épreuve. Je te dis que Granger a disparu. Je peux entendre tout ce qu'il se passe dans sa tête.

— C'est ça oui.

Draco l'ignora et poursuivit :

— Tout à l'heure, elle était avec toi à chercher un moyen de respirer sous l'eau en pestant contre ton habitude de tout faire à la dernière minute, puis McGonagall l'a convoquée et plus rien.

— Ou alors, tu m'espionnes depuis tout à l'heure et tu as décidé de me faire perdre mon temps.

Draco plissa les yeux.

— Tu n'as pas mis ton nom dans la coupe, ce gros balourd de Hagrid t'a montré les dragons, Granger t'a aidé pour apprendre le sortilège d'attraction, tu t'es fait jeté par Chang, Weasley par Delacour, Granger est amoureuse de la belette et n'a pas trop apprécié ses commentaires. Tu en veux plus où je peux arrêter de nous faire perdre du temps ?

Potter cligna des yeux derrière ses lunettes, puis massa ses tempes.

— Attends, attends… Hermione aime… oui bon c'est vrai que… tu lis dans ses pensées ? Elle le sait ?

— Elle le sait, vu qu'elle s'incruste allègrement dans les miennes. Le seul moment où je ne peux pas m'en plaindre, c'est en examen.

— Mais comment… ? Depuis quand ?

— Je croyais que tu n'avais pas le temps ? Potter, je l'entends en continue depuis des mois. La seule exception est quand on dort et crois-moi, la coupure était trop brutale cette fois.

Draco se garda d'évoquer la chevalière et le bracelet. Il ne voulait pas que Potter bloque dessus quand ils n'avaient rien à voir avec la situation actuelle.

— Alors ?

Potter le dévisageait.

— Je ne suis toujours pas sûr de te croire.

— Contente-toi d'obéir dans ce cas. C'est ton amie non ? Sa disparition n'est pas censée t'inquiéter ?

— Pourquoi toi tu t'en inquiéterais ?

Draco se pencha vers lui.

— Parce que j'ignore ce qui va m'arriver si elle disparaît. Ce Krum lui tournait autour, qui sait si Karkaroff ne projette pas d'utiliser Granger contre toi. Ce serait bien le genre Durmstrang.

Après un instant, Potter se mit à faire les cent pas devant lui, murmurant quelque chose à propos d'une carte qu'il n'avait pas avec lui. Il s'arrêta soudain et récita :

— « Ce qui t'est le plus cher, nous te l'avons ravi. Pendant une heure entière il te faudra chercher, si tu veux retrouver ce qu'on t'a arraché. Une fois l'heure écoulée, renonce à tout espoir. Tes efforts seront vains car il sera trop tard. »

— Tu ne peux pas te mettre à déclamer de la poésie quand bon te semble, Potter.

— Tais-toi et réfléchis. C'est l'énigme de la seconde tâche : « Ce qui t'est le plus cher. ». C'est eux !

Draco fit mine de vomir.

— Je dois les retrouver dans le lac avant qu'il ne soit « trop tard ».

Il semblait plus alarmé encore qu'à son arrivée dans la bibliothèque. Draco roula des yeux.

— Tu manques vraiment de présence d'esprit. Qu'est-ce qu'on fait quand on a besoin de quelque chose ?

Potter avait tiré un des ouvrages à lui. La poussière à l'intérieur l'enveloppa d'un nuage qui le fit tousser. Il en parcourait l'index quand Draco reprit :

— Très bonne idée ça, de s'entêter dans une voie qui n'a rien donné en plusieurs jours de recherche alors qu'il te reste une poignée d'heures.

— Tu as mieux ?

— Oui. Quand tu seras dans le lac, tu peux laisser couler Weasley mais tu as intérêt à ramener Granger. Si tu me mets en danger, tu me le paieras.

Potter claqua le livre d'un geste fatigué, partagé entre agacement et espoir.

— Tu as vraiment la solution ?

Dobby !


Bon, qui est surpris par cette solution ?

(Elana merci :D)