Ohayo mina !

Merci beaucoup pour vos reviews et vos messages ! :) Je vois que vous avez tous plus ou moins la même idée en tête en ce qui concerne Luffy, mais je ne dis rien pour l'instant, même si je ne vais pas non plus pouvoir éternellement me cacher derrière ma porte et vous observer via mes caméras en ricanant comme une malade... Surtout que vous n'allez pas me rater à la sortie.

On poursuit l'histoire en s'éloignant un peu du Tribunal pour l'instant, mais ça ne sera que pour mieux y revenir dans quelques temps. De nouveaux personnages ramènent leurs fesses, j'espère qu'ils vous plairont...

Je ne vous retiens pas plus longtemps, les guests se trouvent en bas de page, je vous souhaite une excellente lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 6 :

Jour 4. Aftermath.

Aokiji releva la tête de son dossier quand trois coups discrets résonnèrent à sa porte, le tirant de sa lecture absente des dernières heures saisies par son greffier, Hermepp.

Il était dans l'incompréhension totale. Presque une forme de déni, à bien y réfléchir. Il pratiquait ce métier depuis plus de temps qu'il ne saurait le dire et, au cours de sa carrière, il en avait vu, des situations tendues, des dérapages, des outrages à la Cour prononcés à n'en plus finir ; des retournements de situations, des personnes semblant déjà condamnées par l'opinion publiques et sorties blanchies de sales histoires, ou a contrario des ménagères à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession et qui s'avéraient être des harpies en puissance, mais ça… Un accusé de meurtre en commettant un autre en pleine séance… jamais.

- Entrez, soupira-t-il en ôtant ses lunettes pour se frotter les yeux.

La porte s'ouvrit sur Mihawk et Sadi, le visage fermé. Il leur fit signe de refermer derrière eux et de venir s'installer dans les deux fauteuils qu'il avait poussés jusqu'à son bureau, où les deux avocats s'assirent en silence, s'évitant soigneusement du regard – ce n'était pas une question d'animosité, ce stade avait été mis de côté dès le moment où leur cible commune avait montré une des faces les plus terrifiantes qu'ils aient eu à voir ces dernières années.

Peut-être même de toute leur vie, à bien y réfléchir.

Aokiji enfouit son visage entre ses mains et souffla longuement, sentant s'abattre sur ses épaules le poids de cette journée qui lui semblait sans fin ; aucun de ses deux invités ne moufta, gardant le silence dans l'atmosphère pesante de la pièce. Eux non plus ne semblaient pas avoir la moindre idée de ce qui s'était déroulé devant leurs yeux, un peu plus tôt dans l'après-midi.

- … qu'est-ce qu'il s'est passé, concrètement… ? marmonna Sadi. Je… crois que je ne réalise toujours pas.

- Luffy a été conduit en cellule et j'ai reporté la séance à la semaine prochaine. En attendant… j'ai demandé une expertise psychiatrique.

- … une expertise psychiatrique… ? répéta-t-elle.

- Vous me croyez, si je vous dis que j'avais la sensation de ne pas avoir affaire à la même personne ?

Ils hochèrent tous deux la tête, dépités.

Mihawk le premier savait que l'expression de Luffy – ou quel qu'il soit – alors qu'il étranglait le vigile allait le hanter longtemps ; Shanks l'avait prévenu, pourtant, et il avait préféré l'ignorer, allant même jusqu'à croire qu'il était encore soûl quand il lui avait annoncé que son fils n'était pas tout seul dans sa tête, et que c'était un autre Luffy qui avait fait ça, une autre face de la cassette qu'il valait mieux laisser endormie le plus longtemps possible.

Lentement, Sadi ouvrit son attaché-case et en sortit l'édition tardive d'un des journaux ayant immortalisé le sourire carnassier du client de Mihawk, où il avait le droit à la une et au gros titre.

Un désastre complet, dont certains détracteurs allaient se servir sans scrupules, pour prouver à quel point il était dangereux de laisser un homme comme Shanks à la tête de l'état de Californie. Mihawk voyait poindre d'ici le scandale, et son cortège d'ordures prêtes à tout pour fouiner dans la vie du Gouverneur et de sa famille, cherchant la moindre irrégularité avec plus d'acharnement que jamais. Cette bataille sentait le combat perdu d'avance, et jamais Mihawk n'aurait le pouvoir d'enrayer la machine telle qu'elle était lancée. Ni lui, ni personne.

- Je vais aller parler à Shanks. Il faut qu'il se prépare, ça va être… sale, cette histoire, murmura-t-il en se passant une main sur la nuque.

- Les Néfertari se sont calmés, informa Sadi. Cobra, en particulier… il dit que lui aussi, il ne comprend pas ce qui s'est passé. Il est… confus. Et très sérieusement, il ne sait même pas s'il se sent de poursuivre la procédure contre Luffy.

- Qu'est-ce que pense Titi… ? s'enquit Aokiji en reprenant son verre de saké, dans lequel il noyait ses incertitudes, ce soir.

- … que Luffy est complètement fou, et que… peut-être, peut-être… il n'est pas réellement responsable de ce qu'il a fait. Elle pense qu'à l'instar de cet après-midi, il s'est pris un coup de vertigo le soir où il a tué Vivi, et… que ce n'était pas vraiment lui.

Le rationnel se tenait.

Ne restait qu'à connaître l'étendue de ses problèmes et de ce qu'ils étaient susceptibles de lui faire faire contre sa volonté, ou si tout n'était que simulation, pour mieux échapper à la chambre à gaz.

Aokiji avait déjà retourné le problème en long, en large et en travers ; il avait vu assez de criminels passer à la Barre pour se targuer de savoir les juger au premier regard, et Luffy n'entrait pas dans les cases qu'il avait soigneusement répertoriées ces dernières années. C'était bien plus que ça, ce comportement les dépassait tous, qu'ils soient avocats, magistrats, simples civils… Rien ne s'était déroulé comme prévu, dans cette histoire. Jusqu'à cette histoire de droitier et de gaucher, complètement aberrante et criante de vérité à la fois… La vidéo en total contraste avec un Luffy timoré et terrifié d'être dans cette salle… Aokiji sentait poindre une migraine incroyable, derrière son œil droit, pulsatile et dérangeante.

- Mihawk… C'est contraire à notre déontologie, ce que je vais te demander, mais réponds-moi franchement : est-ce que tu avais l'intention de plaider la folie, pour Luffy… ?

- Non. Ma plaidoirie ne portait pas sur ce point, promit-il en se massant les tempes, les yeux clos. À dire vrai, je n'avais rien pour le disculper, seulement assez pour donner le doute aux juges. J'étais parti pour lui éviter la peine de mort, pas l'enfermement. Ça, c'était impossible, et ça l'est plus encore maintenant…

- Alors… sa crise existentielle de tout à l'heure… qu'est-ce que c'était, pour toi ?

- Aucune idée.

La voix de Shanks résonna au creux de son oreille, il la chassa d'un geste de l'épaule.

Il devait mettre ça au clair avec son ami.

- Regarde un peu les témoignages… Rien que celui de Smoker, rappela Sadi en repoussant sa frange de ses yeux. L'arrestation de Luffy a été la plus relax' de toute sa vie. Il s'est même pas débattu. Il savait que quelque chose s'était passé…

- … mais le fait qu'il ne veuille rien me dire se tiendrait avec la possibilité qu'il n'était pas lui-même au moment du meurtre, qu'il était… « inconscient » de ce qui se passait. Et donc incapable de s'en souvenir, compléta Mihawk.

- On tire des théories par les cheveux, là.

Ni Mihawk, ni Sadi n'avaient mieux en réserve, Aokiji l'avait parfaitement compris. Mais pour le moment, aucun des trois n'avait quelque chose de plus brillant ou cartésien à proposer, tant que l'expertise psychiatrique ne serait pas tombée.

- … je passe chez Shanks. J'ai besoin de mettre certaines choses au clair avec lui.

- Tu nous tiens au courant… ?

- Secret professionnel.

- … me parle pas de secret professionnel, Hawk-Eye, cingla Sadi. On a un être humain sur les bras capable de tenir le casting du Petit Chaperon Rouge et du Grand Méchant Loup en même temps, c'est une question de sécurité, et pour nous tous.

- … je ferai de mon mieux, trancha-t-il en se levant, lisant sa chemise froissée et encore tâchée, reprenant sa mallette au passage. On se voit demain. En attendant… que tout le monde essaye de dormir, on en a tous besoin.

Aokiji le salua d'un signe de tête, Sadi leva la main en guise de salut, et Mihawk prit congé, avec la sensation de s'engager sur une pente glissante menant droit dans un trou noir.

Que le juge d'instruction conserve une part de neutralité, ça, c'était tout à fait correct ; mais que Sadi, le requin issu de la même promotion que lui, soit en accord avec lui et leurs conclusions, ça, ça relevait du miracle. Ou de la malédiction, au choix, rien qu'à voir la direction que prenait cette affaire, mais Mihawk se contenterait volontiers de ça, si ça pouvait lui éviter d'avoir à se débattre avec des demandes adverses exorbitantes.

Quand il sonna à la porte de Shanks, une heure plus tard, enfin changé, frais et disposé, ce n'est pas son meilleur ami qui vint lui ouvrir, mais Nami, blême et minuscule dans le plaid qu'elle tenait serrée autour d'elle, malgré la douceur de l'été approchant. Elle grelottait de froid, mais il ne doutait pas un seul instant qu'il était question d'un effet secondaire d'un état de choc.

- … bonsoir, Nami, murmura-t-il en scrutant l'intérieur. Je peux entrer… ?

- … Papa est dans le salon, souffla-t-elle en s'écartant. Ivre mort… mais je suppose que ça va pas te surprendre.

« Plus tard, les sermons » songea-t-il en passant le porche, Nami verrouillant à double tour derrière lui, tirant le rideau pour occulter le verre dépoli. Toutes les tentures étaient tirées, d'ailleurs, et Mihawk ne devinait parfaitement que ce n'était là que pour empêcher les paparazzis et autres indiscrets de voler leurs rares moments d'intimité familiale.

Il se déchaussa, posa sa mallette et rejoignit la pièce attenante à la salle à manger, où Shanks était étendu dans le canapé, une bouteille de rhum à la main, marmonnant pour lui-même un dialogue monocorde audible de lui seul. Nami retourna à l'étage d'un pas lent, l'air absent, le laissant avec son meilleur ami passablement éméché semblant hermétique à tout ce qui pouvait se passer autour de lui.

Il prit place à côté de lui, et le regard vitreux de Shanks croisa le sien après un long instant de flottement – vide, inexpressif à en mourir.

- … tu as assez bu pour ce soir, murmura-t-il en lui reprenant la bouteille avec précaution.

- M'fais pas la morale, grogna le rouquin en se redressant comme il le pouvait. Quoi… ?

- T'arranges pas le problème en te mettant dans cet état-là, Shanks.

- Ta gueule, soupira-t-il en levant les yeux au ciel, passant une main dans ses cheveux emmêlés pour les repousser de ses yeux.

Ils avaient déjà passé le stade des politesses, maintenant les insultes ?

Mihawk resta silencieux, préférant retenir ses mots plutôt que d'arriver au point de lui coller son poing dans la figure, histoire de lui ramener les pieds sur terre et de le raccrocher à la réalité ; son fils avait besoin de lui, et il n'allait certainement pas l'aider en se noyant dans l'alcool.

Néanmoins, il attendit que Shanks se soit redressé, suffisamment pour tenir assis sans risquer de basculer à nouveau et de s'éclater le nez dans la table basse.

- … je crois pas que tu sois en état de converser, mais tant pis. Explique-moi clairement le problème avec Luffy.

- C'trop tard. T'as pas voulu écouter, soupira-t-il.

Oh, ça, c'était la vérité, et Mihawk s'en voulait assez comme ça pour ne pas avoir à en rajouter avec les accusations d'un Shanks en complète ébriété.

- Fais pas ton gamin. Et parle-moi. Si tu me dis rien, à moi, à qui tu le diras… ?

- T'crois qu'c'est aussi facile… ?

- Je pourrais pas te le dire, si tu ne me racontes pas.

Shanks détourna la tête, agacé, ses yeux accrochant un des cadres exposés dans le salon – un portrait de famille, où tous les quatre se tenaient dans le jardin, près de 13 ans plus tôt ; Luffy venait d'arriver à la villa et se trouvait assis sur la balançoire accrochée à la branche noueuse du plus grand cerisier de la propriété, son chapeau de paille sur la tête, timide au milieu de Nami et Sabo tout sourire, les mains de Shanks posées sur ses épaules, debout derrière lui.

Et dire qu'à cette époque, déjà, Luffy cachait bien son jeu.

En même temps… comment lui en vouloir de désirer étouffer ce qu'il y avait de pire en lui… ?

- … tu n'as pas besoin d'entrer dans les détails. Je veux juste… les grandes lignes, pour comprendre ce qui s'est passé ce matin.

Le Gouverneur se frotta les yeux et inspira profondément, tentant de ravaler la boule qui lui serrait la gorge et l'empêchait de formuler toute remarque cohérente et discernable.

- J'suis sûr qu't'as d'jà compris.

- Peut-être, mais c'est de ta bouche que je veux l'entendre.

- … Luffy est… particulier. D'aussi loin que r'monte ma mémoire, il… partage son existence avec… quelqu'un d'autre.

- Il perd le contrôle… ?

- Non, non… C'est… C'pas Luffy. C'tait pas lui, t'à l'heure. Il s'en rappellera même pas, d'toute manière.

Il récupéra la bouteille et en avala une longue rasade supplémentaire, sous le regard désappointé de Mihawk qui tenta de la lui reprendre, sans succès cette fois-ci.

La boisson le tuerait un jour, c'était une certitude.

Restait à savoir quand.

Tout avait une fin : le cache-cache de Luffy et ses mensonges en avaient eux-mêmes trouvé une…

- … qui c'est, alors ?

- C'pas à moi d'te l'dire, bredouilla-t-il. C'est l'secret d'Lu', et j'le trahirai pas…

- Shanks, t'es ni son meilleur ami, ni son prêtre, alors ne joue pas au con et–

- C'est sa volonté ! s'écria-t-il, soudain furieux. Et si moi j'brise ça, alors qui j'suis, hein… ? Si j'suis pas foutu d'garder la confiance d'mon fils ?!

- Si tu parles, si tu expliques ce qui se passe, ça ne sera… que pour le protéger… ! tenta Mihawk.

- Personne peut l'protéger d'lui-même. J'veux juste que tu saches… que Luffy, Luffy est innocent. L'a rien fait, il… subit. Comme moi. Comme nous tous.

Mihawk se frotta le visage, incapable de contre-argumenter – il n'était même plus bon à la moindre plaidoirie, qu'elle soit au Tribunal ou ici même, avec celui qu'il connaissait pourtant depuis longtemps.

Il était vidé, las ; peut-être que lui aussi aurait besoin d'un bon verre, juste pour dormir, pour oublier le sourire sanguinaire de Luffy, ou peu importe de qui il s'agissait, pour faire disparaître le visage tuméfié du gardien à la mâchoire brisée, pour faire taire le craquement répugnant de la nuque de l'inconnu brisée sous le talon de son client, pour gommer l'expression de terreur des agents incapables de maîtriser un jeune garçon déchaîné, que rien ne semblait pouvoir arrêter.

- Tu t'sens mal, hein… ? Impuissant… ? marmotta Shanks en lorgnant la bouteille.

- …

- C'est comme ça que j'me suis senti la première fois qu'j'ai découvert ça, chez Luffy… Comme Alice tombée dans le terrier du lapin… une chute sans fin.

Il prit une gorgée de rhum supplémentaire et s'essuya la bouche d'un revers de poignet, un sourire amer tordant le coin de ses lèvres.

- Bienvenue dans ma vie, Mihawk…

. . . . . . . . . .

Jour 5.

Sous-sol de l'hôpital Zuckerberg, 1001 Potrero Ave., San Francisco, Californie.

- Vous êtes donc… Monkey D. Luffy, 20 ans, résidant au Marina District, San Francisco… ? résonna la voix de Monet, à travers les haut-parleurs, dans la pièce plongée dans la pénombre.

- Perduuuuu… ! s'esclaffa-t-il en tirant sur la chaise boulonnée au sol. Try again, baby… !

- Je t'avais prévenue, déplora Caesar en croisant les bras, adossé au mur derrière la vitre sans tain. C'est un vrai malade.

Monet pinça les lèvres et feuilleta le dossier qu'on lui avait remis au petit matin, dès son arrivée dans le service de l'hôpital référent du Tribunal ; avec une note de Kuzan Aokiji, lui intimant de traiter ce patient en priorité, pour une expertise médicale de toute urgence pour mercredi prochain dernier délai, date à laquelle le procès momentanément suspendu reprendrait. De très nombreuses annotations et clichés venaient agrémenter les rapports du greffier du juge, à propos notamment du meurtre commis en pleine séance et des dommages physiques infligés aux agents de police ayant tenté de l'intercepter.

Ce garçon n'était pas à sous-estimer, rien qu'à en juger par son absence de réaction lors de l'injection d'un décontractant destiné à amoindrir sa capacité à se débattre, qui n'avait pas eu le moindre effet sur lui jusqu'à présent. Monet nota aussi qu'il avait fallu le taser deux fois pour qu'il lâche prise, démontrant également une résistance exceptionnelle aux coups de crosse supposés l'assommer assénés par un autre agent.

À présent, il se trouvait dans une aile désaffectée de l'hôpital, isolé des autres patients, pieds et poings liés, littéralement enchaîné aux mousquetons de sécurité fixés au sol bétonné, seule mesure s'étant avérée efficace pour le maintenir en place.

- C'est pourtant ce qui est inscrit sur votre dossier, poursuivit-elle dans le micro.

- Ton dossier, tu le roules bien serré et tu te le fourres où ça te chante, ricana-t-il en s'étirant autant que les chaînes le lui permettaient. Hé, j'ai la dalle, y'a moyen d'bouffer ?!

- Ce n'est pas possible pour l'instant.

- No shit, Sherlock ! Bon, vous comptez m'laisser moisir là ou bien… ?

Caesar leva les yeux au ciel et se plaqua une main sur le visage, exaspéré. Monet, elle, savait que le meilleur moyen de conserver une paix même superficielle était de garder son calme, et se forger une carapace d'impassibilité, face à ce genre de provocations gratuites.

Et c'était peut-être la raison pour laquelle Aokiji lui avait confié ce dossier, à dire vrai… Parce qu'elle était une des meilleures dans ce domaine. Pas la meilleure, certes, mais suffisamment solide pour résister aux crâneries de l'énergumène qu'on lui avait confié pour les jours à venir.

Le but étant de savoir s'il simulait toutes ses réactions, ou si quelque chose d'autre partageait le corps de Monkey D. Luffy, assez virulent et présent psychiquement pour prendre le dessus quand son organisme l'estimait nécessaire.

- Plus vite vous répondrez aux questions, plus vite nous en aurons fini. Votre identité, s'il vous plaît.

- Et s'il me plaît plutôt de te dire d'aller te faire bien mettre ? rétorqua-t-il.

Il plaqua son pied contre la chaîne et tendit la jambe, laissant résonner un irrésistible grincement dans la salle confinée ; Caesar écarquilla les yeux en voyant une minuscule fêlure s'étendre sous la plaque d'acier fixée au ciment et donna un coup de coude à Monet, sidéré, lui murmurant qu'il allait falloir songer rapidement à un autre système de contention. Celui-ci ne tiendrait jamais une semaine, ni même une journée entière, s'il le travaillait autant avec une telle force. D'ailleurs, comment en expliquer la nature, ça, c'était une excellente question : Monet savait qu'elle devrait se pencher sur le problème aussi vite que pour le reste. Elle avait étudié ce genre de phénomènes, à l'université, mais toujours sous le coup d'éternelles suppositions et d'études scientifiques abstraites. Luffy fixa le faux miroir qui lui faisait face, droit vers Monet, comme s'il savait exactement où elle était, et laissa un long sourire étirer ses lèvres, découvrant ses dents dans un rictus pernicieux qui fit couiner Caesar d'inconfort.

Clairement, c'était un coriace, mais pour le moment, Monet le considérait sous contrôle ; elle n'était pas impressionnée, quand bien même elle se trouvait curieuse de comprendre son fonctionnement profond, pour pouvoir rendre un rapport le plus objectif et professionnel possible à Aokiji et aider les jurés à statuer sur l'acceptabilité ou non de l'état mental de ce jeune homme.

- Pourquoi refusez-vous de coopérer ? soupira-t-elle.

- Si tu viens t'asseoir sur mes genoux, tu verras à quel point j'peux être coopératif, la nargua-t-il en donnant un léger coup de reins équivoque.

- Ooooookay, je crois qu'on va arrêter là, s'agaça Caesar en coupant l'interphone. On peut rien en faire, de ce type, il est comme ça depuis hier après-midi, il a pas fermé l'œil de la nuit, et de ce qui est noté ça fait maintenant plus de quatre jours qu'il est réveillé. Y'a un truc qui disjoncte là-haut, et je veux pas attendre de voir jusqu'où il est susceptible de couper le courant dans la zone « Raison ». Alors déclare-le sain d'esprit, parce que clairement, il sait parfaitement ce qu'il fait, et envoie-le se faire gazer.

- … C'est drôle que tu ne t'entendes pas avec Akainu, parce que vous avez exactement les mêmes points de vue stupides sur l'humanité, murmura-t-elle en rajustant ses lunettes sur son nez, tournant une autre page du dossier. Si tu n'arrives pas à supporter les enfantillages d'un garçon qui cherche à nous embrouiller, alors autant quitter cette pièce. Maintenant.

D'un « tch » agacé, Caesar se détourna du plateau de commande et sortit dans un claquement de porte rageur, laissant Monet seule dans le silence revenu dans la salle d'observation.

Elle reporta son attention sur Luffy, qui observait tout ce qui l'entourait d'un regard perçant, et à aucun moment elle ne doutait de sa capacité à se servir du plus petit détail insignifiant comme opportunité pour s'évader d'ici. De toute évidence, il était difficile de le tenir enfermé quelque part, et elle avait totalement conscience du danger qu'il représentait pour tout être humain se mettant en travers de son chemin.

- Luffy, vous ne devriez pas–

- Et toi, tu devrais pas me casser les couilles, chérie, répliqua-t-il en la fixant à travers la glace. On va passer un marché, et réfléchis-y bien, parce que ça s'ra ma seule proposition : tu m'amènes de quoi becqueter, et on pourra commencer à causer. D'ici là, envisage la possibilité de fermer ta gueule, parce que la mienne va rester bien close pendant un bon moment.

Monet resta un long instant à soutenir son regard, quand bien même une partie d'elle savait, et de manière parfaitement rationnelle, qu'il ne pouvait pas la voir ; elle devait le faire parler et elle n'avait pas le droit à l'erreur, mais elle n'avait aucune idée de la façon d'aborder le problème. Sous quel angle, avec quelle accroche, au bout de combien de temps ? Il n'avait rien ingéré depuis plus de 72 heures et il gardait une force démesurée – que se passerait-il exactement si elle lui donnait assez de carburant susceptible d'alimenter encore plus sa violence ?

Que ce soit le jeune garçon réservé et muet que les gardiens du commissariat avaient surveillé pendant des nuits, ou ce forcené prêt à égorger la première personne entrant dans son espace vital, ils avaient montré une résistance hors du commun à la pression et à la contrainte physique. Cette voie lui était-elle fermée, ou devait-elle pousser un peu plus les bons leviers, jusqu'à enfin briser cette forteresse imprenable ?

Tellement de possibilités s'offraient à elle, c'en était presque grisant.

Elle sourit, coupa le micro et tourna les talons, s'éloignant de la vitre, derrière laquelle Luffy ne s'était pas départi de son sourire insidieux.

Elle arpenta le couloir en direction de l'escalier de service, qu'elle emprunta vers le haut, passant les niveaux un par un jusqu'à atteindre le deuxième étage, où elle glissa son pass dans la badgeuse lumineuse verrouillant la porte.

Le battant s'ouvrit dans un cliquetis discret, la laissant passer dans un autre corridor, qu'elle remonta à pas rapides, ses talons claquants sur le linoléum à un rythme régulier ; d'un coup de clé, elle déverrouilla la première porte sur sa droite, donnant sur son office encombrée de dossiers juridiques en tout genre, entre patients réguliers et examens psychiatriques réalisés dans le cadre d'instructions judiciaires. Elle s'installa à son bureau et tira son téléphone à elle, composant un numéro avant de s'asseoir tout au fond de son siège, se balançant doucement au gré de la tonalité.

Elle avait des questions, et quelqu'un pourrait certainement y répondre.

- Quoi ? marmonna Akainu à l'autre bout du fil.

- Je te dérange… ? sourit-elle.

- Faut voir. T'as pas un drôle d'oiseau à interroger ?

- Combien de temps as-tu travaillé pour la CIA ?

Un silence fut le seul retour auquel elle eut droit, lui arrachant un sourire plus grand encore ; touché juste où il fallait. Elle était bien placée pour savoir qu'il ne se plaisait pas à aborder cette période de sa vie, non pas qu'elle lui eut été désagréable… mais la contrariété tenait au fait qu'elle risquait de faire surface à n'importe quel moment, pour peu que naisse une ère de chasse aux sorcières, à son plus grand déplaisir.

- Quinze ans.

- Tu te souviens du programme SERE ?

- Et tu oses me parler de ça au téléphone… ?

- C'est une affaire rendue publique depuis 2004, personne ne craint rien. Je veux juste… agrandir ma culture générale, tu me suis… ? susurra-t-elle.

- Qu'est-ce que tu veux savoir ? maugréa-t-il.

- Trois fois rien. Juste… quelques précisions sur l'E.I.T. Existe-t-il un antécédent juridique ayant justifié leur mise en œuvre… ? Par exemple… si l'on estimait que la sécurité du pays était remise en question… Est-ce qu'on sortirait trop des sentiers rigoristes de la convention de Genève… ?

- … oui. Mais il y aurait circonstances atténuantes.

Monet sourit, laissa le siège tourner en contemplant le plafond, pensive.

Elle n'avait ni l'envie, ni le temps de perdre des heures à tenter de prendre Monkey D. Luffy dans le sens du poil. Si elle voulait le faire cracher, littéralement ou non, elle allait devoir songer à d'autres méthodes, dont celles qui présentaient le meilleur rapport qualité/prix, si elle pouvait parler ainsi.

- Quel est le pourcentage de succès d'une telle prise de risque, à ton avis ?

- En théorie, 100%. N'importe qui peut avouer n'importe quoi, pour peu que l'on y mette les formes. Dans ton cas… 60%, peut-être ? Pas plus.

- C'est bien assez. Merci pour l'information…, chuchota-t-elle.

- Monet… Fais attention. Tu sais de qui il s'agit.

- Oh, et c'est toi qui me dis ça… ? Quel hypocrite tu fais, répliqua-t-elle. Bonne journée, Sakazuki.

Elle n'attendit pas de réponse et raccrocha dans la foulée, fixant la porte pendant de longs instants, sans même la voir vraiment, plongée dans ses pensées et ses calculs.

La partie promettait d'être serrée.

Monkey D. Luffy était le fils de Shanks, le Gouverneur de Californie.

Les images du jeune homme tentant de s'évader et résistant aux attaques physiques de deux hommes faisant le double de son poids et de sa taille avaient fait le tour de la nation, passant même par-delà les mers jusqu'aux plus proches voisins européens. Tout le monde avait conscience qu'il était incroyablement dangereux, et que la popularité de Shanks en avait pris un sérieux coup ; elle pourrait très bien justifier ses interrogatoires par une nécessité de connaître l'étendue du péril que représentait le fils incontrôlable d'un homme politiquement influent.

Elle se mordilla la lèvre, pensive, tournant inlassablement son crayon entre ses doigts, pesant le pour et le contre.

« Ce qu'Aokiji ignore ne peut lui faire de tort, pas vrai… ? »

Tentant. Affreusement tentant. Après tout, ce n'était pas Caesar qui allait la contredire à ce propos ou tenter de la tempérer, dans le genre tortionnaire, il n'avait absolument aucune remarque à lui faire et rien à lui envier. Akainu ne parlerait pas, sachant parfaitement ce qu'elle était susceptible de dévoiler à son sujet, et personne ne se poserait de question, le jeune homme ayant déjà prouvé au monde entier qu'il était impossible de lui faire confiance, tout le monde étant persuadé qu'il était prêt à n'importe quel coup bas pour échapper au jugement qui ne manquerait pas de tomber, un jour ou l'autre.

Jetant un regard à sa pendule, elle constata que 10:00 avait déjà sonné, et qu'elle allait devoir prendre rapidement une décision avant d'avoir perdu la journée en tergiversations.

Elle composa un autre numéro, interne cette fois-ci, et patienta, frappant des ongles sur son sous-main en cuir émeraude, seuls témoins de son impatience.

- Si tu m'appelles pour me dire que tu veux le dorloter, Monet, autant mettre tout de suite fin à cette–

- Quelle intensité électrique le corps humain peut supporter avant de passer ad patres, Caesar ? s'enquit-elle en se balançant sur son siège, le coupant en plein élan.

- … 1000 milliampères. Tu comptes le chatouiller ?

- Quel courant délivre un pistolet à impulsion… ?

- 2 milliampères. Mais c'est la tension qui joue, pour le coup, quasiment 50 kilovolts, contractions musculaires et j'en passe. Pourquoi, tu veux te servir de Monkey comme de résistance géante ? railla-t-il.

- Je veux juste comprendre comment les cycles d'impulsion ont pu échouer sur lui. Et comment il développe une résistance comme celle-là.

- … je te rejoins dans la salle de sûreté… ?

Elle se contenta de couper la communication en guise d'approbation, et se leva de sa chaise d'un geste souple, s'étirant longuement avant de contourner son bureau, son dossier toujours à la main, avant de sortir pour faire le chemin inverse, jusqu'aux étages inférieurs, où l'accusé n'avait pas bougé de place, assis sur sa chaise boulonnée, emprisonné par les chaînes toujours fixées au sol. Cinq minutes de marche lui avaient suffi pour songer à la curiosité que ce jeune homme suscitait chez elle – elle voulait savoir pourquoi, d'où lui venait cette obstination, cette provocation sans limites, ces pulsions qui l'avaient conduit à passer de l'agneau docile au meurtrier de sang-froid en moins de cinq minutes.

Caesar l'attendait près de la porte, clés en main, ganté et vêtu de sa blouse ; elle lui fit signe de déverrouiller et le battant s'ouvrit sur un Luffy intrigué, sourcil haussé, tendu vers l'ouverture pour voir qui osait pénétrer dans la même pièce que lui. En apercevant Monet, un large sourire étira ses lèvres, jusqu'à atteindre ses yeux, qu'il planta dans les siens avec défi, s'appuyant paresseusement contre le dossier de sa chaise.

- … Tu te décides à te montrer… ? sourit-il.

- C'est beaucoup mieux pour parler, non… ?

- Pour sûr. C'est plus agréable que bavarder avec un miroir… Toi, par contre, j'aime pas ta gueule, lança-t-il à Caesar qui grimaça.

- C'est ça, bavasse, rira bien qui rira le dernier, rétorqua le scientifique en allant se poser au coin de la pièce, à une distance raisonnable de la sortie.

Luffy suivit ses mouvements des yeux, avant de reporter son attention sur Monet qui s'installait à la petite table posée face à lui, assise sur la surface d'inox.

Il la détailla des pieds à la tête et se lécha la lèvre, ses menottes cliquetèrent quand il se tendit vers elle.

- … tu veux qu'on fasse un peu plus connaissance, c'est ça… ? murmura-t-il.

- C'est l'idée, répondit-elle calmement en ajustant son bloc-notes sur ses genoux, crayon en main.

- Ça m'dérange pas. C'est encore plus drôle quand y'a des spectateurs…

Monet plongea ses yeux dans les siens, regard qu'il soutint sans la moindre hésitation ; son attitude ne relevait pas du défi, elle transpirait une réelle confiance en lui-même, et son absence totale de doute en sa capacité à sortir d'ici à un moment ou à un autre.

- … est-ce qu'au moins, tu sais pourquoi tu te trouves ici… ?

- Mmn. J'ai été un vilain garçon, chuchota-t-il en se mordant la lèvre.

- Tu as tué deux personnes, dont une en plein procès. C'est de l'inédit… Félicitations.

- Tu flattes son égo, en plus ? s'exclama Caesar depuis son poste d'observation.

- La ferme, biquette, laisse parler les grandes personnes, siffla Luffy à son intention. J'm'occuperai d'ton cas bien après, mais crois-moi, ça t'plaira pas…

- C'est une menace ?! s'écria-t-il, outré.

- Nan, une promesse. Nuance. Qu'est-ce qu'on disait, ma belle… ? sourit-il en revenant à Monet, qui considérait leur échange d'un rictus railleur.

Caesar ne lui serait jamais d'une grande aide pendant les interrogatoires ; beaucoup trop emporté, impulsif… Elle déplorait le fait d'être la seule à conserver son calme, à cet étage, quand bien même voir ce meurtrier et son employé avoir des mots était hilarant. Une excellente manière de désamorcer la tension que ce nouveau pensionnaire faisait régner à sa guise, parfaitement conscient de l'effet qu'il produisait, peu importe l'interlocuteur concerné.

- Nous en étions à la caractérisation de vos crimes, reprit-elle à voix basse.

- Certes. C'est ennuyeux ?

- Ce n'est pas rien. Surtout si on se base sur votre comportement durant ces événements, qui est en totale opposition à celui que vous arboriez pendant les expertises, ces deux derniers jours… Vous avez une explication, pour ça ?

- Devine, susurra-t-il en haussant un sourcil, suggestif.

- Vous êtes bien Monkey D. Luffy… ?

- C'est ta deuxième tentative, ma grande. Ton compteur aura une fin, méfie-toi… Et pour la bouffe, vous y avez réfléchi ?

Caesar pinça les lèvres, agacé, ravalant une réplique supplémentaire.

Ils n'allaient arriver à rien, à ce rythme ; il fallait bousculer ce type au-delà de ses limites, sans quoi il ne parlerait jamais, et les soupçons d'Aokiji ne pourraient être ni infirmés, ni confirmés. Et ça, ce n'était dans l'intérêt de personne.

De toute façon, ce garçon, quel qu'il soit, était hors de contrôle, et c'était même à se demander comment il avait fait pour ne pas se faire remarquer avant – quitte à avoir pu lui mettre la main dessus, autant ne pas faire traîner les choses et en finir avec lui, pour s'épargner de futures préoccupations inutiles.

- Je ne peux pas vous donner ce que vous demandez.

- Alors je vous dis merde, sourit-il en dardant ses yeux noirs dans les siens.

- … nous voudrions simplement comprendre comment vous en êtes arrivé là, ici, avec nous.

- …

Luffy se contenta de soutenir son regard, sans décrocher un mot.

- … Et ce alors que tout semblait aller dans le meilleur des mondes moins d'une semaine auparavant. Est-ce qu'il s'est passé quelque chose… ? hasarda Monet.

- …

Elle était persuadée qu'il savait parfaitement que garder le silence avait ses limites, quand bien même c'était son droit, et qu'il l'avait beaucoup trop outrepassé pour qu'on lui laisse l'opportunité de faire davantage de dégâts ; c'était une tête dure, mais comme tous ceux passés ici avant lui, il ne tiendrait pas indéfiniment, et pour tout un tas de raisons potentielles : quand il serait lassé d'être questionné, menacé, torturé, laissé seul ou simplement pressé de dévoiler le petit manège dissimulé sous son crâne, au moment que lui jugerait le plus opportun…

Peu importe la manière de tourner le problème, le fait était que Luffy serait toujours gagnant sur cette partie, au grand dam de Monet.

- Vous n'allez pas pouvoir rester éternellement silencieux. Quel intérêt avez-vous à vous taire… ? Ça n'arrangera pas votre cas.

- …

- Rester bouche close pour la gloire n'a jamais rien apporté à personne.

- …

- Laisse tomber, soupira Caesar en se pinçant l'arête du nez. Ce type a la tête plus dure que la porte blindée de l'entrée. T'en tireras rien de concret, et le pire, c'est qu'il est capable de te raconter des merdes incroyables pour te dire ce que t'as envie d'entendre. Pas vrai ? lança-t-il à l'intention de Luffy, qui se contenta d'un sourire en biais, figé sur sa chaise. Regarde-le, il se fout de notre gueule. Et tu sais quoi ? J'suis persuadé que même si on le fait passer au détecteur de mensonges, il est capable de t'affirmer qu'il est le Père Noël et qu'il bouffe des licornes au petit-déj, et j'peux t'assurer que pas une seule fois l'appareil ne le contredira.

Oh, ça, elle n'en doutait pas un seul instant.

Ce garçon semblait faire partie de cet infime pourcentage de la population capable de donner des frissons à Catherine Tramell, et le challenge qu'il représentait avait ce côté indéniablement alléchant. Caesar pouvait bien dire ce qu'il voulait, Monet ne lâcherait pas l'affaire si facilement.

Elle leva les yeux de sa fiche pour les poser sur Luffy, imperturbable et imperméable à la tension de la pièce.

Huit petits jours pour prouver ou décrédibiliser la théorie d'une santé mentale défaillante, suffisamment hors de contrôle pour créer des envies innommables chez son patient. Elle ne doutait pas un seul instant de la dangerosité du jeune homme assis sur cette chaise, pas plus qu'elle ne le soupçonnait de simuler sa condition. Il y avait quelque chose de beaucoup plus profond que ça, et elle comptait bien mettre le doigt dessus avant la fin du chronomètre.

- Vous êtes sûr que vous ne voulez rien nous dire… ? tenta-t-elle une ultime fois.

- …

- Caesar, fais-le transférer au deuxième niveau, s'il te plaît, soupira Monet en refermant son calepin.

- Déjà ? s'esclaffa l'intéressé. T'auras pas traîné…

Il croisa le regard de Luffy, dont le sourire s'était agrandi, et sa propre assurance vacilla, l'espace d'un instant – alors que la possibilité que l'E.I.T ne soit d'aucune utilité sur lui, une idée saugrenue lui traversa l'esprit, pendant un très bref moment, et qu'ils n'obtiennent pas le moindre résultat par-dessus le marché.

Il était facile d'emmener un homme au point de rupture, mais un spécimen comme celui-là laissait planer l'incertitude quant à sa limite réelle aussi bien dans la tête de Monet que dans celle de Caesar.

Il se contenterait de faire son boulot, les conséquences seraient pour elle ; lui n'en avait cure, peu importe les monstruosités dont Monkey D. Luffy était capable.

. . . . . . . . . .

Jour 5.

Marina District, San Francisco, Californie.

Mihawk lança le plaid sur le corps endormi de Shanks, toujours étendu dans le canapé du salon, rajusta le tissu sur ses épaules ; il avait passé le reste de la nuit à l'écouter pester, débattre sur sa vie qui lui semblait au moins aussi foutue que celle de son fils et insulter la moitié de la ville, si ce n'était le monde entier, avant que le Gouverneur ne sombre enfin dans un état semi-comateux alcoolisé, d'où il n'était pas près de se réveiller. Sabo ne s'était pas montré de toute la nuit, Mihawk en déduisant qu'il était rentré à son appartement en centre-ville, et il aurait juré entendre Nami sangloter à l'étage, dans sa chambre.

Shanks grogna dans son sommeil, ramena ses genoux contre sa poitrine – l'espace d'une seconde, il revit l'adolescent exubérant qu'il avait été quand ils s'étaient connus, au lycée, et ne put réprimer un sourire nostalgique. Si quelqu'un lui avait dit un jour que cet homme était capable de se briser, il aurait ri avant de tourner les talons et de s'éloigner. Encore une semaine plus tôt, il n'aurait jamais pu imaginer que Shanks puisse être dépassé par quoi que ce soit.

Il tenta, brièvement, de lui retirer le chemisier rouge qu'il gardait serré contre lui, mais son étreinte était bien trop forte et il abandonna cette idée avant même que Nami n'ouvre la bouche, plantée dans l'encadrement qui les séparait de la cuisine.

Chignon défait, les yeux rougis et le teint cireux – une nuit blanche à pleurer et maudire le monde, elle aussi, selon toute probabilité.

- C'est la chemise de Luffy. Il ne la lâche pas depuis qu'ils l'ont emmené, marmonna-t-elle.

- Il le faudra bien, pourtant.

- … il peut pas s'endormir sans.

L'avocat ne releva pas, se contenta de passer une main dans les cheveux roux de son meilleur ami – avait-il jamais eu tant de cheveux blancs ? – et se redressa, songeur.

- Je retourne potasser cette histoire, j'ai encore… beaucoup de boulot.

- … les résultats dans une semaine, hein… ? chuchota-t-elle sans lâcher son père des yeux, l'air absent.

- Une semaine, oui. À ce propos, Nami… Tu n'as rien à me dire… ?

C'était bien plus qu'une perche tendue, à ce compte-là, Mihawk se rapprochait plus du pont-levis baissé avec haie d'honneur que de la trop subtile tentative de lui soutirer des informations.

Les réponses de Shanks ne l'avaient pas satisfait ; enfin, si seulement il pouvait accorder du crédit aux élucubrations d'un homme soûl et incapable de la moindre objectivité quand il était question de son petit dernier… Mais au-delà de tout ça, Mihawk détestait l'idée d'être dépendant de la conclusion d'une inconnue couchée sur une feuille de papier, seule décisionnaire du destin de Luffy.

À force d'écouter parler la petite famille, il en avait déduit que les deux plus jeunes de la fratrie étaient profondément liés, et il attendait de Nami un retour, une base, quelque chose de cohérent sur lequel s'appuyer.

- … à propos de ce qui s'est passé dans le Tribunal… ? Rien de plus que ce que tu n'as déjà vu, Mihawk…

- Shanks m'a–

- Il est encore tôt, tu devrais en profiter pour rentrer te reposer un peu, le coupa-t-elle en resserrant son châle sur ses épaules, se détournant pour rejoindre l'entrée.

Mihawk l'attrapa par le coude et la tourna vers lui, avec douceur mais fermeté, affrontant son regard buté mais pour autant toujours désespérément blanc.

Est-ce qu'elle aussi, dans une mesure dont il ignorait l'étendue, partageait ce que Shanks appelait le secret de Luffy ? Ne pas savoir avait ce quelque chose d'insupportable, d'autant plus qu'il savait qu'il n'était pas si loin que ça de la vérité – quelle vérité, à bien y réfléchir ? Il avait l'odieuse sensation de regarder le monde à travers un filtre de mauvaise qualité, d'être sur le point de toucher quelque chose, sans parvenir à discerner le moindre détail, loin, si loin des pièces du puzzle…

- Nami. Vous n'arriverez à rien, de cette manière… Sois franche. Dis-moi ce qui se passe. Pourquoi est-ce qu'il a fait ça… ?

- Luffy est complètement innocent.

- … il me semblait pourtant qu'on était dans la même salle, rétorqua-t-il en raffermissant l'étreinte de ses doigts. Celle où ton frère a brisé la nuque d'un spectateur en plein milieu de l'exposition d'éléments à charge.

- … Luffy n'a rien fait, siffla-t-elle en se dégageant. Si t'étais un peu moins dans tes papiers et un peu plus connecté à la vie réelle, t'aurais déjà compris… !

- Je–

- Sors, maintenant, s'il te plaît, le pria-t-elle en ouvrant la porte. Je voudrais… me reposer, moi aussi.

Il n'insista pas, reprit sa mallette, renfila ses chaussures et sortit sur le perron, le battant claquant sèchement derrière lui, suivi par le bruit des verrous et du rideau intérieur, signe que la conversation était bel et bien close et que cette famille en avait fini avec lui, pour aujourd'hui tout du moins.

Il se passa une main sur le visage, sentit la repousse de sa barbe sous ses doigts, les sillons de ses rides, le pli amer de ses lèvres ; la douche d'hier soir n'avait rien changé à son état de nerfs – il avait besoin de fermer l'œil, ne serait-ce qu'une heure, pour laisser à son cerveau le temps d'assimiler les dernière informations.

Et réfléchir.

Être le plus rationnel possible, là où le monde semblait lui dire que rien n'était destiné à abonder dans son sens, dans cette histoire.


Réponses aux guests :

Niyu : Hey ! Merci beaucoup, c'est plaisant à savoir ;) à bientôt, peut-être !

Yuh : Hello ! Ton correcteur orthographique m'a donné un sacré fou rire, en transformant Akainu en Alain x) Merci, c'est gentil, j'espère que la poursuite des déboires de ce pauvre Luffy t'a plu ! A la prochaine !

Mercure : Bonsoir~! Haha, ton message qui se finit avec une grose dose de sadisme satisfait, ça me plaît ! :) T'en fais pas, la suite est toujours sur le feu ! A toute' !

Pouloulou : Hello ! Contente que les fictions précédentes t'aient plu ! Law ne va pas tarder à se montrer, ne t'en fais pas, encore quelques chapitres et il justifiera son statut x) Et certes, il n'est pas vraiment en accord avec le personnage dépeint dans ces derniers chapitres...
Bon par contre ma pauvre tu t'es torturée l'esprit pour quelque chose qui, potentiellement, n'en valait peut-être par la peine car j'ai checké mes PM et je ne vois nulle part trace d'un message que j'aurai envoyé à la lectrice en disant que ce n'était pas de la schizophrénie... (ce que je viens d'écrire ne veut pas dire que je confirme ou que j'infirme cette théorie, attention). Et tu n'es pas la seule à m'en avoir parlé donc autant pour moi si la review que tu as lue t'a induite en erreur. Du coup, préservons ta santé mentale, je conclus en disant qu'il va juste te falloir de la patience, fufufu... Merci pour ta review, à bientôt !

Crow : Salut m'dame Crow ! *s'installe contre les cordes du ring* comment va ? Ah, tu sais, Shilliew c'est une bonne manière de l'écrire aussi ;) OK, les appellations à la Vargas ça me botte bien, faisons cela. J'espère que l'omega du jour t'a plu, néanmoins, et qu'il reste fidèle à lui-même... j'ai hâte de savoir si tu auras d'autres questions à venir avec le chapitre de ce soir ! Ne me parle pas de chocolat, je vais être frustrée car ma boîte est actuellement vide...
Rien que le titre de la série que tu me cites est alléchant ! x_x Prends soin de toi aussi, à très vite !

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A dans 15 jours... !