Ohayo mina !

Comme je le disais à une lectrice, vous me mettez une pression incroyable bien malgré vous en me soutenant que je ne cèderai pas à une explication aussi simple qu'un trouble mental, que ça va forcément être tordu et bien borderline comme il faut... et... et c'est horrible parce que même si ça me fait plaisir, j'ai toujours la crainte de vous décevoir avec mes choix d'écriture. Et vos revieeeews... argh... ça m'a torturée de ne rien pouvoir vous dire sur le début de la fiction, mais maintenant que ce chapitre est sorti, je vais être bien plus libre de papoter avec vous sur le sujet.

Je pense que votre patience, telle celle de Tybalt, va être récompensée (... je... il est possible que les plus jeunes ne saisissent pas cette réplique)...

D'ailleurs, je remercie infiniment MayAsuna pour son dessin, qui sera la parfaite illustration de cette fiction. Merci encore, mademoiselle !

Je vous souhaite une excellente lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 7 :

Jour 10. Confession.

Sous-sol de l'hôpital Zuckerberg, San Francisco, Californie.

Caesar jeta un coup d'œil à sa montre, attendit une poignée de secondes supplémentaires avant de tendre le bras et d'agripper la manivelle la plus proche, sifflotant dans le vacarme du cliquetis des chaînes dans la série d'engrenages bien huilés ; ce bruit étant, pour le moment, l'unique son audible dans la pièce carrelée silencieuse, sous le regard de Monet debout devant la petite cuve qui s'ouvrait à ses pieds. Droite comme un i, bloc-notes entre les mains, elle patientait sagement, ses yeux d'or grands ouverts derrière ses larges lunettes.

Dans un grincement irrésistible, le dernier engrenage se mit en route, entraînant le plateau forgé qui débuta sa lente émergence de la surface de l'eau ; la silhouette de Luffy, trempée et solidement entravée, émergea de son bain forcé dans un éclat de rire, crachant une longue rasade d'eau à la figure de Monet qui se contenta d'esquiver paresseusement, impassible.

- "I look inside myself and see my heart is black", chantonna-t-il en haussant le sourcil, les cheveux dégoulinants d'eau glacée. "I see my red door, I must have it painted black"…

- Arrête ça, grogna Caesar en alignant le plateau au rebord du bassin. Putain, mec, ça fait cinq jours qu'on y est, change de disque… !

- Les Rolling Stones, c'est la vie, rétorqua Luffy en secouant la tête pour égoutter ses cheveux. Cultive-toi, pauvre tache. Et toi, lança-t-il à l'attention de Monet, t'en as pas marre d'essayer d'me transformer en barrique… ?!

- Il ne tient qu'à vous de mettre fin à tout ça, murmura-t-elle en prenant une note supplémentaire. Parlez, et nous vous promettons de vous laisser en paix.

- Parler de quoi, bécasse ?

- Vous êtes bien Monkey D. Luffy ?

Il leva les yeux au ciel et laissa sa tête retomber en arrière, visiblement dépité.

Monet nota, encore une fois, que la mention de son identité semblait être quelque chose de particulièrement sensible chez lui, notion qu'elle tentait d'appuyer par tous les moyens ; il n'avait pas décroché un seul mot intéressant, depuis que leurs séances privées avaient débutées, et la psychanalyste commençait à douter sérieusement de l'obtention du moindre résultat probant.

- Et c'est moi qui ai des problèmes de disque ? railla-t-il.

- Vous ne tiendrez pas indéfiniment.

- T'as qu'une semaine pour me faire cracher le morceau. Oh, pardon… plus que 2 jours, ricana-t-il en étirant sa nuque.

Caesar jeta un regard en biais à Monet, perplexe – il était bien incapable de dire comment ce morveux était au courant de la deadline qui leur avait été imposée, le personnel directement lié à Luffy prenant soin de ne pas laisser filtrer la moindre information en sa présence. Et puisqu'il semblait bien mieux renseigné que ce qu'ils pensaient, il était le mieux placé pour savoir qu'il n'avait plus à attendre très longtemps avant la fin du temps alloué.

Ce qui le rendait d'autant plus dangereux et imprévisible, monstre tapi dans le placard attendant la nuit à venir pour s'aventurer dans la chambre d'un enfant endormi ; à cet instant précis, Caesar se demanda comment il serait un jour capable de dormir à nouveau sereinement, tout en sachant que ce type les détestait au plus haut point et qu'il serait peut-être, un jour, susceptible de leur mettre la main dessus.

- J'ai gaffé, c'est ça… ? Vraiment navré de venir foutre en l'air vos plans merdiques…

- Caesar, fais-le redescendre, j'en ai assez de l'entendre, soupira-t-elle en remontant ses lunettes sur son nez.

L'infirmier obéit, activant le mécanisme qui se remit en marche dans un chuintement perçant ; Luffy jeta un coup d'œil au bassin inondé d'eau glacée, derrière lui, et offrit un sourire goguenard à ses tortionnaires.

- Z'avez pas un autre truc, pour changer ? Nan parce que là, j'trouve que l'eau s'est un peu réchauffée depuis tout à l'heure, nargua-t-il en remuant les pieds.

- La ferme, marmonna Caesar en le regardant couler lentement sous la surface.

- "Maybe then I'll fade away and not have to face the facts", chantonna-t-il, ses yeux noirs rivés dans les leurs avec défiance. "It's not easy facing up when your whole world is black"

Les remous de l'eau se refermèrent sur lui, et Monet resta un long instant à le contempler, immobile, happée par la profondeur de son regard et le sourire infect qui étirait ses lèvres, à travers la réflexion du liquide troublé par le mouvement de sa bouche toujours occupée à fredonner, son reflet bientôt invisible à son regard parmi le panaché de bulles s'échappant de ses poumons.

Ils pouvaient aussi bien le laisser mourir ici que ce type n'en aurait cure, et elle était prête à parier qu'il ne remuerait pas le petit doigt pour tenter de s'échapper.

Tant qu'elle n'avait pas trouvé le point, inutile d'espérer quoi que ce soit, hormis le bon vouloir d'un homme incontrôlable à l'instant donné ; il était toujours aisé de faire parler quelqu'un, pour peu qu'il ait quelque chose à perdre. Mais ce raisonnement ne s'appliquait pas à ce garçon qui ne semblait pas effrayé d'en finir, peu importe la méthode employée. Etait-ce le reflet d'une trop grande confiance en lui, ou d'une fatalité si omniprésente qu'elle en occultait tout le reste… ?

Ils avaient essayé une grande panoplie de ce qu'elle savait être la routine pour les agents habilités à employer des méthodes d'interrogations poussées contre des hommes et des femmes considérés comme des dangers pour la nation et, à son grand dam, toutes s'étaient révélées infructueuses ; la privation de nourriture et de sommeil n'avaient pas encore montré d'effet satisfaisant, pas plus que les intimidations physiques, les menaces et les plongées dans l'eau froide.

Quand ils l'avaient entièrement déshabillé et que Monet lui avait demandé si cet état représentait une forme d'humiliation pour lui, Luffy s'était contenté de ricaner en contemplant son corps dénudé avant de lui lancer qu'il était une telle magnificence qu'être nu ne le dérangeait pas outre mesure, et qu'il était au contraire très fier d'être exposé aux regards d'inconnus qui devaient certainement l'envier.

- « Et mégalo, avec ça », songea-t-elle en se détournant du bassin pour rejoindre l'entrée. Caesar, préviens-moi s'il daigne déblatérer autre chose que ses provocations, veux-tu… ?

- Je gère, murmura-t-il en reportant son attention sur la silhouette immobile de Luffy, son sourire toujours figé sur ses lèvres.

Il songea au Gouverneur de leur état, qui avait vécu 13 ans sous le même toit que ce monstre, et ne put réprimer un lourd frisson quand Luffy tourna la tête dans sa direction, sous l'eau, son rictus s'agrandissant lentement, l'obligeant à détourner le regard, ne serait-ce qu'un instant, pour se composer un air flegmatique qui n'en était rien, son esprit pourtant à des années-lumière de la sérénité qu'il s'efforçait d'afficher.

Ils marchaient sur la tête, tous, forcés qu'ils étaient de devoir composer avec un patient de cette nature ; de mémoire, il n'avait jamais vu un tel dispositif de sécurité mobilisé pour un seul homme, d'autant plus un grand adolescent qu'un adulte prêt à mener sa propre vie.

Sa montre indiqua 1 minute 35, signe qu'il était temps de faire remonter le mécanisme.

Et ô combien il aurait voulu que ce ne soit pas le cas, rien que pour laisser une chance au destin, au hasard, d'en finir ici même, une bonne fois pour toutes, avec Monkey D. Luffy.

Sa main resta en suspension au-dessus de la poignée, l'hésitation le figeant dans son geste, le laissant songeur quant à une potentielle évolution de cette situation.

Concrètement… que risquait-il ?

Les foudres d'Aokiji ?

Une mise à pied temporaire ?

Ou bien pire, un homicide involontaire ?

Encore ce matin, il avait pu remettre le nez dans le rapport de Silvers Rayleigh et les annotations d'Aokiji et Akainu sur le débordement du Tribunal, et ses yeux avaient parcouru chaque détail, chaque particularité, qui faisait de Luffy une représentation parfaite du monstre que tout le monde avait un jour craint de croiser en regardant sous son lit.
L'aisance avec laquelle il avait brisé la mâchoire du premier agent d'un coup de talon, comme on écrase un insecte qui nous dérange, et l'absence totale d'hésitation quand il avait froidement assassiné un homme qui s'était interposé entre lui et la sortie – s'il était capable de montrer si peu de remords en ces circonstances, quel châtiment pouvait-il réserver à ceux qui s'étaient délibérément joués de lui… ?

2 minutes 15 passées.

Peut-être saisissait-il son unique chance de mettre fin à ce blasphème qu'était son existence toute entière, à cet instant précis ?

Une occasion en or d'éviter à tout le monde de plausibles représailles capables de leur faire appeler la mort de tous leurs vœux ? Nul doute que Néfertari Vivi avait certainement prié pour que tout s'arrête, et Caesar savait qu'il serait aussi prompt qu'elle à le faire.

La porte derrière lui s'ouvrit dans un claquement sec, le tirant de ses pensées macabres dans un sursaut terrible ; rien de plus qu'un collègue quelconque, mais cette intervention suffit à le ramener à la raison et actionner la manivelle, encore une fois, ramenant Luffy dans le monde des vivants en moins d'une quinzaine de secondes, le regardant émerger de la surface dans un rire bruyant, toussant et crachant de l'eau, visiblement loin d'être impressionné par le risque de noyade qu'il venait de frôler.

- Wooooh, mec, cette fois j'ai vraiment cru que t'allais me buter… ! s'écria-t-il, tout sourire. Putain c'que c'était bon… !

- … t'es bon à enfermer, tu le sais, ça… ? haleta-t-il, encore sous le choc de la puissance de sa montée émotionnelle dont il avait été le spectateur impuissant, coincé à l'intérieur de lui-même.

- Viens pas m'la jouer, tu tortures des gens, tu vaux pas mieux que moi. T'es juste du bon côté de la barrière… Pour l'instant, ajouta-t-il après un léger silence.

- Qu'est-ce que t'entends par là… ?!

Caesar avait parfaitement conscience de rentrer dans son petit jeu, en faisant ça, mais c'était plus fort que lui – son attitude anticonformiste l'agaçait au plus haut degré.

Luffy se mordit la lèvre, mutin, sourcil haussé, certain d'avoir fait mouche ; oh, visiblement, monseigneur Caesar Clown ne supportait pas bien l'intimidation. Une carte de plus à abattre, il était le mieux placé pour savoir comment amener quelqu'un au point de rupture.

- J'entends par là que tu devrais… profiter du temps qu'il te reste à t'octroyer le droit de placer tes pions comme tu le désires. Le vent tourne toujours…

Il se pencha vers lui et sourit, narquois.

- … et je serai là pour le voir frapper à ta porte, Caesar…

- La ferme !

La gifle résonna dans le silence de la pièce, rythmé par le bruit du clapotis de l'eau, et le rire lent, caverneux, qui s'échappa du patient, sous le regard effaré du collègue de Caesar figé dans son geste.

- … ça va s'voir, ça, commenta-t-il en désignant le filet de sang sur le menton d'un Luffy allègre.

- Raconte pas de connerie, s'énerva-t-il.

- Crois c'que tu veux, j'te dis juste que ça va s'voir, c'tout. Vous l'présentez dans pas longtemps.

- Dégage de là, rétorqua Caesar en lui désignant la porte. Et toi, tu perds rien pour attendre, persifla-t-il à Luffy qui ne s'était pas départi de son expression railleuse.

Il ne supportait plus l'éclat de défiance dans son regard, cette attitude je-m'en-foutiste qui l'usait à petits feux, quand c'était lui qui était supposé dominer la situation et noyer l'autre dans un désespoir sans fond.

. . . . . . . . . .

Jour 10.

Marina District, San Francisco, Californie.

Shanks rêvait.

L'instant était paisible, mais son cœur battait une chamade incroyable, réminiscence de ce qu'il avait ressenti en franchissant les portes de l'orphelinat, treize ans auparavant ; il était nerveux, lui, l'adulte, le Tout-Puissant dans ce parterre d'enfants qui lui arrivaient tout juste au genou. Il avait écarté, tant bien que mal, l'idée qu'il venait choisir un enfant comme on sélectionne la meilleure tomate sur l'étal du supermarché, et s'était laissé guider à travers la grande cour par le directeur – les images n'avaient pas perdu en netteté, et même après tout ce temps, son cerveau était parfaitement capable de recréer la misère évidente dans laquelle ces enfants vivaient, l'organisme n'étant pas financé par une quelconque instance.

Le directeur lui avait parlé de ce petit garçon, encore jamais adopté malgré les demandes faites le concernant, tous les parents s'étant désistés après avoir passé quelques heures avec lui, et accroupi dans un coin, en train de jouer à la craie à même le sol, dos tourné à l'ombre de Shanks.

Shanks se retourna dans son lit, fronça les sourcils, tendit le bras.

« Monkey D. Luffy ».

La seule indication gravée sur le pendentif de son collier quand il avait été trouvé par un des membres du personnel de la protection de l'enfance, dans les rues de Rio.

Il s'était retourné, un instant aveuglé par le soleil déjà haut dans le ciel, et ses yeux bruns avaient peu à peu situé son visage parmi le contre-jour ; il lui avait souri, timidement, et s'était relevé pour venir le rejoindre et lui serrer la main, sa paume si minuscule dans celle de Shanks, qui avait retiré son chapeau de paille pour le lui poser sur la tête et le soulever dans son bras.

Il avait l'air heureux. Angoissé, aussi, au moins autant nerveux que lui.

Silencieux pendant le trajet en avion, recroquevillé contre Shanks, ses yeux se posant sans arrêt sur tout ce qui l'entourait ; tout le temps niché avec Nami à peine rencontrée dans l'aéroport, sa main dans la sienne. Lové dans son lit avec Sabo, incapable de dormir tout seul, terrorisé par le noir de la villa.

Shanks se réveilla en sursaut quand la douleur incisive d'une lame lui traversa le thorax, avec le sourire retors de Luffy pour dernière image ; il se redressa dans ses draps, haletant, porta une main à sa poitrine intacte.

Un rêve.

Rien qu'un rêve.

Il constata qu'il était sous la couverture de son lit, malgré ses vêtements civils, ses chaussures posées sur le sol près de lui ; Nami et Sabo avaient dû le porter jusqu'ici, le déchausser et s'assurer qu'il respirait encore, entre deux beuveries sans fin – l'embarras lui enflamma le visage ; ce n'était vraiment pas l'attitude d'un père responsable, inutile de le lui répéter, mais il se sentait incapable de surmonter quoi que ce soit, en ce moment. Penser à Luffy le plongeait dans un désespoir absolu d'où il ne se sentait pas de se relever.

Peut-être même n'en avait-il pas l'envie, en plus du reste.

Repoussant la couette, il s'assit au bord du lit, assurant sa prise avant de se lever, légèrement chancelant ; atteindre la porte ne fut pas compliqué, mais rejoindre la salle de bain à travers le couloir bordé de meubles s'avéra plus proche du parcours du combattant que de l'aisance supposée être là depuis des années. À tâtons, il poussa le battant et erra jusqu'au lavabo, ouvrant le robinet d'eau fraîche pour s'en asperger le visage.

Gueule de bois immonde, pulsations insupportables et douleur abdominale dévorante, mais ce n'était certainement rien comparé à ce que Luffy devait ressentir quand il émergeait enfin, dans cette moiteur cotonneuse nauséeuse qu'il lui était si difficile d'exprimer.

Il releva la tête et se contempla dans le miroir, tentant de dissimuler le mépris qu'il ressentait pour lui-même, et s'essuya le visage avec la première serviette venue ; un parfum sucré s'insinua dans son nez, lui rappelant les éclats de rire de son benjamin qui courait se jeter sur son lit, au petit matin, les cris de Nami et de Sabo venant le rejoindre une poignée de secondes plus tard, et un sanglot lui échappa.

La serviette de Luffy.

Il se laissa glisser sur le sol, au pied de la vasque, et resta prostré la tête dans le tissu, inspirant désespérément le parfum qui s'en dégageait.

Des pas résonnèrent dans l'escalier, le parquet du palier grinça et la porte s'entrouvrit derrière lui sur Sabo, sourcils froncés.

- … Papa… ?

- Ça va, hoqueta-t-il en agitant la main. J'arrive, chéri.

- Mihawk est en bas. Il voudrait faire un point avant que la séance reprenne, après-demain.

- Ouais, ouais.

Sabo hésita, un instant, leva la main et la posa sur l'épaule de son père, l'étreignant brièvement avant de tourner les talons – la distance physique que le Gouverneur observait avec ses enfants, en public, avait peu à peu déteint sur leur sphère privée ces dernières années, et semblait plus palpable encore depuis que Luffy avait été traîné de force hors de cette maison.

Au rez-de-chaussée, il retrouva Nami occupée à dresser la table avec Mihawk, aujourd'hui en civil malgré la présence de sa mallette bourrée de paperasse en tout genre – il avait toujours connu le meilleur ami de son père tiré à quatre épingles, sévère dans ses costumes sur-mesure et ses cheveux impeccables.

Preuve subtile mais supplémentaire que la vie qu'il avait connue avant ne serait plus jamais la même.

Dans un soupir, Sabo leva les yeux vers l'étage, où les pas de Shanks se faisaient entendre, loin d'être assurés ; son ombre se profila dans les marches et son corps se traîna littéralement dans l'escalier, sa main tremblante cherchant la rambarde pour trouver une prise supplémentaire – les effets pernicieux de l'alcool, contre lesquels Mihawk l'avait de nombreuses fois mis en garde, mais que leur Gouverneur de père ne semblait pas prendre au sérieux.

L'avocat leva les yeux dans sa direction et haussa un sourcil, dubitatif, couverts encore en main.

- … T'as vraiment une gueule de cul, Shanks.

- J't'emmerde, Hawkey, rétorqua-t-il en balayant la pièce du regard. … y'avait d'bouteilles de rhum, sur l'comptoir. Sont où ?

- Vidées dans l'évier, annonça Nami en amenant un pichet d'eau sur la table. À table, tu as besoin de manger.

- Pas faim.

Levant les yeux au ciel, Sabo l'attrapa par le bras et l'entraîna, bon gré mal gré, jusqu'à sa chaise, où il l'obligea à s'asseoir d'une pression ferme sur les épaules, comme il le ferait d'un enfant récalcitrant ; il avait atteint le point de non-retour, la veille, en portant son père grisé au-delà du raisonnable dans sa chambre, et avait décidé avec sa sœur qu'ils ne le laisseraient pas s'autodétruire un peu plus. Ce n'était pas en noyant son chagrin qu'il aiderait Luffy, ni même aucun de ses enfants.

Coby avait pris le relais, au bureau, mais le gamin ne pourrait jamais supporter seul la lourdeur administrative qui incombait en temps normal à son patron, surtout à long terme ; il faisait bonne figure devant les attaques répétées de la presse et des opposants politiques, mais Sabo savait que cet état de fait ne durerait pas indéfiniment.

- On s'en contrefous complètement, Papa, répliqua sa cadette en posant les saladiers sur le porte-plat, s'asseyant près d'un Mihawk prêt à faire le service, sous le regard caverneux de leur père. Tu vas manger, point. C'était quoi, ton dernier repas, mmn… ?

- Sais plus.

- Une pizza ananas-chocolat-anchois que t'as même pas été fichu de cuisiner convenablement, et c'était il y a trois jours.

- C'bon, j'ai passé l'âge d'avoir un carnet alimentaire, s'agaça-t-il en contemplant, maussade, la salade de pommes de terre que Mihawk venait de déposer devant son nez.

Indifférent à son irritabilité, les trois autres attaquèrent le contenu de leur assiette, ignorant le Shanks bouillonnant qui semblait fixer son plat avec l'intention de le voir se désintégrer sous son regard noir.

Cette inertie lui était insupportable.

Serrant le poing et les dents, il les toisa avec sécheresse, rendu furieux par leur détachement affiché. Leur nonchalance le rendait fou.

Assez pour le faire exploser et émerger, brièvement, de son état semi-comateux.

- Comment vous pouvez bouffer alors que Luffy est enfermé avec une bécasse supposée décider de son état mental ?! vociféra-t-il.

- Parce qu'on ne peut rien faire pour le moment, annonça calmement Mihawk.

- Putain, ça t'va bien d'dire ça… ! C'toi son avocat, t'es supposé faire c'que tu peux pour l'sortir d'là… !

- Papa, murmura Sabo avant de déglutir, pointant sa fourchette dans sa direction. Stop. Arrête de faire l'enfant. Si tu te pointes à la séance avec cinq kilos de moins et l'air d'avoir écumé le rayon d'alcool de l'épicier du coin, tu crois que ça va aider les jurés à penser que Luffy ne mérite pas la peine de mort… ? Alors s'te plaît, rappelle-toi que t'es un humain, pas une serpillière, et garde la tête haute pour nous tous.

C'est un long silence qui suivit sa tirade, Nami retournant au contenu de son assiette, Mihawk gardant ses prunelles rivées sur Shanks qui s'obstinait à ne regarder personne dans les yeux.

Il se rappelait parfaitement ce qu'il s'était passé, déjà, 15 ans plus tôt, quand la mère de Nami et Sabo s'était éteinte ; la détresse de Shanks, et la seule ligne de vie à laquelle il s'était raccrochée : l'adoption de Luffy. Les démarches administratives étaient déjà en route depuis longtemps quand elle était partie, et s'acharner à faire venir Luffy malgré la difficulté du contexte avait été le seul leitmotiv de cet homme brisé, qui n'avait eu de cesse de relier le petit garçon qu'il était à la volonté de sa femme.

Au point qu'à présent, lui retirer Luffy revenait à lui retirer sa femme une deuxième fois, à perdre tout ce qu'elle représentait – et c'était beaucoup plus qu'il ne pouvait en supporter.

Soufflant bruyamment, Nami lui saisit la main, l'obligeant à tenir sa fourchette avant de piquer les pommes de terre et de la pousser vers sa bouche obstinément fermée.

- T'as mis un temps fou à m'apprendre à tenir mes couverts correctement. Ça me gêne pas de te rendre la pareille et de te faire manger, s'il le faut. Alors fais un effort, maugréa-t-elle.

Boudeur, Shanks entrouvrit la bouche et se laissa faire, sourcils froncés, image même du rejet ; personne ne releva, se contentant de manger sans prêter attention à son attitude, et Mihawk reprit le cours de sa conversation à propos des avancées du chantier que Sabo supervisait, sur Union Square, indifférent au comportement rebelle de son meilleur ami.

Il avait besoin d'avoir une réelle conversation avec lui, incluant la condition qu'il soit totalement sobre et enclin à parler, ce qui relevait de l'exploit, ces derniers temps ; Mihawk, malgré les derniers évènements, ne pouvait pas exclure l'idée que Luffy risquait la peine de mort, et Shanks devait démontrer sa capacité à encaisser cette vérité et à gérer Sabo et Nami, peu importe le verdict annoncé.

Il avait également un autre genre de deal à lui proposer, et il tenait à ce que son meilleur ami ait l'esprit clair pour saisir tous les enjeux de cette proposition – que lui-même répugnait à mettre en place, mais qui n'était qu'un sauve-conduit comme un autre, dans le foutoir sans nom qu'était ce procès.

Du coin de l'œil, il lorgna vers le Gouverneur, qui triait ses aliments du bout de sa fourchette comme le ferait un adolescent bourré de troubles alimentaires ; puéril, mais cette réaction était mieux que pas de réaction du tout. Il mangeait, lentement mais sûrement, et le voir ingérer autre chose que de l'alcool avait quelque chose d'extrêmement satisfaisant.

Sabo laissa le relais à Nami, question de sujet, et la jeune femme embraya sur ses derniers partiels, encore en cours de préparation au moment où Luffy avait été appréhendé à leur domicile, et à présent terminés ; Mihawk était certain, comme tous ceux autour de cette table, que leurs résultats ne seraient pas ce que Nami aurait fait de mieux en temps normal, mais le sujet présentait une distraction comme une autre et Nami s'efforçait d'être optimiste au possible, à la manière de Sabo.

- … Mihawk ? marmonna Shanks entre deux silences.

- Mmn.

- … de quoi tu voulais parler, à propos de Luffy… ?

L'avocat l'évalua du regard, cherchant la moindre trace de colère ou d'agressivité, mais ne lui trouva qu'un air concerné, si ce n'était renfrogné ; le sujet était délicat, et il ne comptait plus les heures passées à le ressasser sous tous les angles, cherchant les failles, les exceptions, les risques, mais puisque rien n'abondait dans leur sens, en ce moment, autant jouer tous les cartes possibles.

- Avant ça, j'aimerais que tu gardes en tête que ce que je te propose n'est rien de plus qu'une idée comme une autre. C'est une… possibilité, mais j'aimerais qu'on en parle. Et tous ensemble. J'ai besoin de votre avis et… de votre manque de partialité.

- … notre manque de partialité ? répéta Sabo en le scrutant de ses yeux clairs.

- Exactement. Je connais Luffy à travers Shanks et via mes visites depuis longtemps mais c'est vous qui vivez avec lui, qui formez une famille. Et contrairement à ce que peuvent dire d'autres personnes qui sont mal placées pour juger, vous, vous êtes les plus à même de savoir ce qui est mieux pour lui. Vous me suivez ?

Nami acquiesça et reposa ses couverts, s'asseyant au fond de sa chaise, bras croisés, dans une attitude défensive qui n'échappa pas à Mihawk, mais qui ne s'attarda pas dessus pour autant, comme pour le reste. Sabo conserva une posture beaucoup plus ouverte, mais pas pour autant dénuée de méfiance, à en juger son regard.

Chacun d'entre eux était un loup prêt à défendre la meute, peu importe le moyen et la manière, pourvu que la fin soit celle escomptée.

- Shanks… tu n'es pas sans ignorer comment ça fonctionne, là-dessous. Tu es Gouverneur de Californie, nous sommes collés au Mexique et tu sais à quel point le mot « corruption » fait vibrer et flipper à la fois, qu'importe qui ça concerne.

- Bakchich… ? … Pour qui… ?

- Papa… ! s'exclama Nami en le vrillant du regard. Tu t'entends, là ?!

Il leva le doigt, visage fermé, indiquant de manière implicite qu'il était inutile de discuter ses questions, avant de faire signe à Mihawk de poursuivre. Sabo n'avait pas bronché, l'air attentif à ce que cette solution impliquait, tant en avantages qu'en conséquences désastreuses.

- On pourrait faire alléger les chefs d'accusation. J'en ai… déjà parlé avec Sadi. Les parents de Vivi n'ont plus l'air aussi certains qu'avant, ce sont les premiers à douter de la santé mentale de Luffy et ils ne sont pas persuadés qu'il soit entièrement responsable de ses actes. Le plus dur à convaincre, ça reste Aokiji, celui qui prend la décision finale avec les jurés, il est droit dans ses bottes et ça serait pas une partie de rigolade, sérieusement. Mais à côté d'Akainu, Aokiji c'est le club Med… ajouta-t-il après un court silence.

- Pas nécessairement, souffla Shanks en faisant tourner l'eau dans son verre, pensif. J'ai largement de quoi le calmer.

- … solide ?

- Je peux appeler Benn Beckman.

- … oncle Benn ? s'étonna Nami en haussant le sourcil. Qu'est-ce qu'il a à voir là-dedans… ?

Shanks dévia son regard de Mihawk pour contempler sa fille, pesant longuement le pour et le contre.

Est-ce qu'il devait les congédier et poursuivre cette conversation seul avec Mihawk, ou pouvait-il pousser le vice à mêler un peu trop ses enfants à ce qui risquait de se tramer, s'il prenait une énième décision hasardeuse… ?

Ils étaient grands, à présent ; il était incapable de les protéger de tout, comme l'avait démontré l'expérience avec Luffy, qui débouchait sur une catastrophe sans précédent dans sa vie.

- Benn est le directeur de la CIA, Nami, marmonna Sabo.

- Exact. Et Akainu, qui adore mener des croisades contre mon petit arrière-train, est directement issu de la sous-section direction des analyses sur le Moyen-Orient, compléta Shanks. Et… sous une certaine administration, pendant un temps donné, on le soupçonne d'avoir enfreint les législations concernant la torture.

- Je croyais que la CIA était indépendante du Gouvernement américain… ?

- Certes. Mais il n'empêche qu'ils ont des réglementations à respecter. C'est un scandale qui remonte à plus de dix ans, on peut considérer que de l'eau a coulé sous les ponts, mais les soupçons pèsent toujours sur Akainu. Benn le supporte pas et ça le dérangera pas de le balancer, si je le lui demande. De quoi dissuader notre commissaire de venir trop mettre son nez dans mes affaires.

Difficile à envisager, mais pas impossible.

Mihawk en était là de ses réflexions quand Shanks poussa un long soupir, secouant la tête sans lâcher son assiette du regard, physiquement présent mais son esprit à des milliers de miles de là.

- … tentant, je te l'accorde, mais je ne ferai pas ça, murmura-t-il en faisant tourner sa fourchette entre ses doigts.

- Pourquoi ? Tu l'as dit toi-même, c'est du concret, et–

- C'est une affaire publique, et tu trouveras toujours un héros dans les rédacteurs-en-chef de la ville pour vouloir fouiner s'il trouve que cette histoire a été expédiée un peu trop vite. Les jurés… ils sont douze, Mihawk, et je doute fortement que quiconque soit disposé à se laisser acheter.

- La défense peut en récuser au moins 4, et je suis le mieux placé pour savoir qu'on a pu influencer le tirage au sort. Que crois-tu que j'ai fait, quand je n'étais pas au commissariat avec Luffy et que je préparais l'ouverture du procès...?

- Alors ça serait quoi… ? Une arnaque au long court ? Mihawk, tu sais aussi bien que moi que c'est impossible. Et honnêtement, j'ai déjà du mal à me regarder dans un miroir, alors je me vois pas aller encore plus loin dans le marasme de ma connerie. Cette discussion s'arrête là.

. . . . . . . . . .

Jour 11.

Monet releva la tête quand des coups précipités résonnèrent à sa porte, reconnut la silhouette de Caesar derrière le verre dépoli et activa l'ouverture du battant sécurisé, se retrouvant face au visage luisant de sueur de son coéquipier, visiblement hors d'haleine. Intact, aussi, signe que Luffy ne l'avait pas délesté d'un membre en guise d'avant-goût de vendetta.

- Il y a un problème… ? s'enquit-elle en reposant tranquillement son stylo sur son sous-main.

- C'est l'autre putain de dégénéré, haleta-t-il, mains sur les genoux.

- Je me doute que tu n'as pas galopé jusqu'ici pour me dire que la concierge allait se marier, répliqua-t-elle, légèrement acerbe. Alors… ?

- … les chiens veulent pas rentrer.

Elle fit pivoter son fauteuil vers son ordinateur et amena le clavier à elle, ouvrant l'interface des caméras de surveillance, jusqu'à celles pointant directement sur Luffy et son environnement de niveau 1, à savoir la pièce elle-même et le couloir qui la desservait.

L'adolescent était toujours là où elle l'avait vu la dernière fois, assis sur sa chaise, solidement entravé, immobile et visiblement serein, à en juger la ligne détendue de ses épaules et de ses bras – le sac de toile qui dissimulait son visage se gonflait lentement mais sûrement, signe qu'il respirait sans difficulté et preuve irréfutable que la position le laissait indifférent, là où tous les suspects paniquaient quand il était question de ce genre d'interrogatoire.

À la porte, ouverte sur le corridor, deux dresseurs accompagnés de leurs chiens, qui se contentaient d'aller et venir dans l'encadrement, oreilles en arrière, queue entre les pattes. Elle se pencha sur l'écran et observa leur petit manège une longue minute durant, fascinée – cette méthode faisait partie de celles qu'Akainu utilisait régulièrement, le suspect cagoulé était rendu aveugle à tout ce qui l'entourait et mis en contact forcé avec des chiens particulièrement agressifs et bruyants, un procédé d'intimidation de plus pour faire céder la bravoure des plus taiseux.

- Tu piges un peu ? s'exclama Caesar en essuyant son front perlé de sueur. Les clébards flippent leur race à l'idée d'être dans la même pièce que ce taré !

- C'est captivant, chuchota Monet en se mordillant la lèvre. Tu as vu ça… ? Aucun signe de tension. Ce garçon a des nerfs plus solides que n'importe qui sur ce continent, je peux te l'assurer, Caesar…

- Mais on s'en fout ! C'est un putain de psycho, ouais, c'est ça qui est sûr ! Qu'il ait les nerfs plus durs que les rivets de la statue de la Liberté, ça relève du foutu détail, Monet ! J'te l'répète, déclare-le sain d'esprit et fais-le gazer, il est pas normal, ce fils de–

- Arrête de te comporter comme une grosse dinde et retourne-y, rétorqua-t-elle. Je veux ton rapport dans une heure.

- Mais je–

- Maintenant. Il nous reste moins de douze heures avant la reprise du procès, et je dois impérativement rendre quelque chose, ordonna-t-elle en le congédiant d'un geste, retournant à ses notes sans prêter la moindre attention à la panique sur le visage de Caesar.

. . . . . . . . . .

Jour 12.

Cour Suprême de Californie, quartier Tenderloin, San Francisco

Akainu rajusta sa cravate en fixant son reflet dans la vitre de la guérite de l'entrée, récupérant ses affaires personnelles dans le bac que lui tendait l'officier, près du détecteur à métaux.

C'était aujourd'hui que s'ouvrait l'audience demandée par Aokiji, la semaine précédente, suite aux débordements incontrôlables de l'accusé en plein exposé des charges, et lui le premier ignorait les résultats obtenus par Monet pendant la détention de Monkey D. Luffy à la clinique.

Il avait passé une nuit épouvantable, avec pour seule image dans ses rêves celle du rictus odieux de celui qu'il s'acharnait à faire tomber, comme une promesse que le temps viendrait où il ne pourrait plus lui échapper.

Il rangea ses clés dans sa poche, consulta une dernière fois son portable avant de le couper pour être sûr de ne pas être dérangé, accrochant du regard le passage de Shanks, Nami et Sabo dans l'arche du détecteur, plus loin sur sa gauche. Mihawk était déjà là, cellulaire à l'oreille, mallette en main, faisant les cent pas devant la salle d'audience, où le public commençait à dangereusement s'amasser. Les Néfertari étaient déjà à l'intérieur, de même que Sadi, les jurés installés depuis un moment. Gecko Moria lui-même avait fait le déplacement. Akainu jeta un coup d'œil à sa montre, balaya une dernière fois l'étendue du parterre de journalistes devant le tribunal et se détourna pour rejoindre la pièce bondée, se frayant un chemin à travers la foule jusqu'au carré réservé aux témoins, lui-même en faisant partie ; il y retrouva Monet et Rayleigh, Smoker et Nico Robin, s'assit près de la psychiatre qui lui adressa un sourire retors, le lorgnant par-dessus ses lunettes.

- … où est Monkey ?

- Dans la pièce d'à-côté, il passera par le couloir sécurisé.

- Comment il est ?

- Frais comme un gardon, tu penses bien, s'esclaffa-t-elle.

- T'as l'air de t'être bien amusée, grinça-t-il en s'attardant un instant sur la moue satisfaite au coin de ses lèvres.

Elle resta silencieuse, mais Akainu savait trop bien à qui il avait affaire pour se laisser avoir par son mutisme ; la porte du fond s'ouvrit sur Aokiji et les autres magistrats, le premier ayant l'air plus usé que jamais, suivis par le greffier et cinq agents de police en tenue d'intervention, armes à la ceinture et le regard sévère – le juge semblait avoir privilégié la sécurité de l'audience, pour cette fois.

Bientôt, la porte de la salle se referma dans un claquement sec, derrière le public, bruit invitant tout un chacun à s'asseoir malgré le brouhaha ambiant, Aokiji ramenant le silence d'un coup de maillet mesuré mais ferme.

- S'il vous plaît, lança-t-il à l'assemblée qui se tut en une poignée de secondes, avant de prendre place sur son siège, ajustant sa tenue sur ses épaules. Bien… Bonjour à tous et toutes. Aujourd'hui est donc déclarée ouverte la troisième session, à 10 heures 32, de l'affaire Néfertari Vivi au greffe numéro 160071. Au vu des… récents évènements, j'avais ordonné l'intervention d'un expert agrégé en psychiatrie la semaine précédente, afin que soit réalisée une évaluation psychiatrique de l'accusé de cette affaire, je nomme Monkey D. Luffy. Merci de faire entrer le prévenu, lança-t-il à un des agents resté en retrait sur sa droite, à l'opposé de l'auditoire.

L'homme fit demi-tour et, tirant un trousseau de clés de son mousqueton de ceinture, déverrouilla la porte qui lui était la plus proche, faisant un signe à l'intérieur avant de porter une main à son arme et de reculer, guidant deux autres agents encadrant une silhouette minuscule vêtue d'une tenue de clinique, bien loin du costume qu'elle portait auparavant.

Luffy se tendit entre ses deux gardiens pour apercevoir la foule et sourit, haussant les sourcils d'un air entendu vers Monet qui se contenta de sourire – Akainu décela, l'espace d'une seconde, le tic nerveux au coin de ses lèvres, avant qu'elle ne se compose ce masque d'indifférence qui lui était si cher.

L'adolescent fut traîné jusqu'à la chaise qui lui était réservée, où un quatrième intervenant l'attacha solidement aux emplacements prévus à cet effet, sous le regard vigilant des autres gardes présents dans la salle. Loin, très loin de Mihawk et du public, pour des raisons évidentes qui n'en demeuraient pas moins surprenantes aux yeux de l'assistance.

- Et j'appelle à la barre le docteur Monet, pour exposer son rapport sur l'étude réalisée cette semaine sur le patient à sa charge, compléta Mihawk dans un murmure, sans toutefois lâcher Luffy du regard.

La jeune femme se leva gracieusement et quitta son box pour rejoindre le siège qui lui était désigné, dossier entre les mains ; Caesar restait à l'écart, mais ses yeux ne quittaient pas non plus l'endroit où Luffy était retenu.

Deux jours que lui non plus n'avait pas fermé l'œil, à l'exception de quelques instants de micro-sommeil, qui le laissaient fébrile et paranoïaque – il avait une trouille bleue que ce monstre s'échappe, et tout ce qu'il désirait était le voir s'étouffer dans une chambre à gaz et être certain qu'il n'en réchapperait pas, pour pouvoir espérer enfin un jour marcher dans la rue sans avoir à raser les murs.

Akainu lorgna sur la liasse de papiers que Monet avait laissée derrière elle, tendit le bras et s'en empara pour la parcourir du regard.

- … pouvez-vous nous exposer le résultat de vos travaux, Monet, je vous prie… ? l'invita Sadi d'un geste de la main.

- Luffy est… un patient relativement particulier, murmura-t-elle en remontant ses lunettes sur son nez. J'ai pris connaissance de son dossier dès son arrivée et j'ai pris le parti de le placer en cellule sécurisée, en restreignant au maximum ses interactions avec le personnel soignant. Il présentait une vivacité… peu commune, dirons-nous. Il a fracturé les premiers dispositifs de contention sans réelle difficulté, et présentait une volonté sans faille de s'échapper de l'endroit où nous le retenions. Il était – et demeure toujours – très prolixe quand il s'agit de mener en bateau son petit monde, contrairement à ce que j'ai pu lire dans les premiers rapports de police où l'on parle d'un silence buté à la limite du mépris. Régulièrement, il s'est retranché derrière de longues périodes de silence, refusant de coopérer par la même occasion, mais j'ai surtout remarqué sa provocation ouverte et sa franchise radicale.

Akainu jeta un coup d'œil aux dernières entrées d'Hermepp consignées sur les rapports de greffe qu'il avait en main, concernant la séance où Luffy avait tenté de fuir, se débarrassant des gêneurs sans hésitation ; « Putain c'qu'elle s'est débattue, cette conne. Tout ça pour rien, en plus ». Un aveu, ni plus ni moins, qui serait largement utilisé contre lui par la partie adverse, et dont il avait l'air de se ficher totalement.

- Comment avez-vous procédé ? poursuivit Mihawk en surlignant certains passages du rapport.

- Par l'utilisation de certaines techniques de stimulation, dont je ne parlerai pas ici, éluda-t-elle. Le but étant de créer une relation entre le patient et le psychiatre afin qu'il se sente en confiance et se confie simplement…

« Stimulation, hein… Les questions sur l'E.I.T étaient beaucoup de choses, mais certainement pas anodines », songea Akainu en feuilletant un peu plus loin encore la copie du rapport, passant sur les éléments barrés de noir pour en arriver à la conclusion ; ses yeux s'écarquillèrent et il ne put réfréner l'envie de les river sur Luffy, qui le fixait également avec intérêt, un air mutin sur le visage, semblant le contempler avec l'intention d'en faire son déjeuner tardif.

Il s'attarda sur l'entaille nette sur sa lèvre inférieure, de celle que l'on obtient par une gifle un peu trop sentie, et fixa Monet, cette fois-ci, puis Caesar, qui semblait nerveux à en suer par tous les pores de la peau.

« Tu m'étonnes. »

- … –prendre son fonctionnement et sa manière d'appréhender son environnement, et l'amener à en dire plus. Le patient a gardé le silence la majorité du temps, et par silence j'entends bien qu'il ne laissait échapper aucune information concrète que j'aurais pu étudier au même titre que le reste. Il a longtemps campé sur ses provocations, mais nous avons finalement établi un dialogue, quand il a fini par accepter de répondre à mes questions.

- Au bout de combien de temps ?

- Cette nuit, à deux heures et demie du matin. Le rapport que vous avez en main est fraîchement rédigé, votre Honneur, sourit-elle en croisant les jambes.

Mihawk surprit le coup d'œil déplacé de Luffy sur le corps de Monet et coula un regard en biais à Shanks, qui n'avait pas l'air plus surpris que ça, sous son expression dévastée.

- Vous avez une projection à diffuser dans la salle ? s'enquit Aokiji en parcourant la requête formalisée cachetée par la clinique.

- Absolument, si vous l'autorisez. Il s'agit de quelques extraits de mes entretiens avec le patient, qui vont me permettre d'introduire des conclusions.

- Objection, lança Mihawk en levant le bras en même temps que ses yeux au ciel, exaspéré. Ces entretiens relèvent du secret professionnel, leur diffusion au grand public est-elle légale, même dans le cadre de cette affaire… ?

- Il ne s'agit rien de plus qu'une image à poser sur la retranscription intégrale et concise de tous mes échanges avec l'accusé, répliqua Monet. Les étaler à l'écran ou les faire lire aux jurés revient tout à fait au même, Dracule…

- Rejeté, annonça Aokiji avec un regard appuyé pour son greffier. Monet, faites comme bon vous semble.

L'avocat redoutait cet instant ; il ignorait, comme le reste de la salle, ce qui allait s'étaler aux yeux et aux oreilles de tout le monde, et le souvenir du fiasco de la dernière diffusion d'éléments à charge était beaucoup trop vivace dans un coin dominant de son crâne pour qu'il parvienne à voir tout ceci d'un regard serein. Sabo ne semblait pas à l'aise non plus, et l'inquiétude sur le visage de Nami n'était pas plus rassurante.

Il y eu de longs instants de murmures, le temps d'installer le matériel, notamment entre les jurés, que Luffy s'était mis à fixer obstinément, sans même daigner cligner des yeux ; les femmes, en particulier, sans se départir de son sourire cynique, tendu contre les liens qui l'entravaient.

La neige de l'écran se délita pour afficher l'image datée de 02:11 d'une cellule claire, chichement meublée d'une table et de deux chaises, l'une étant occupée par Luffy, l'autre par Monet, sans fenêtre, juste un néon aveuglant presque trop fort pour l'angle de la caméra.

- … vous savez que c'est votre dernière nuit ici… ?

- Yep.

- Vous savez aussi ce qui vous attend, si je n'arrive pas à statuer sur votre état… ?

- Chambre à gaz.

Les jurés prirent des notes, comme presque chaque personne possédant un carnet, dans cette salle, à l'exception de Mihawk, qui gardait ses yeux rivés sur le Luffy de leur réalité, qui regardait paresseusement les images à l'écran, sans cesser de sourire.

À croire qu'il savait parfaitement ce qu'il faisait, quand il avait eu cette conversation avec Monet, et qu'il savait d'avance qu'elle le mènerait à ce moment. Akainu semblait absorbé par la diffusion sans vraiment être là, le rapport tordu entre ses poings serrés, avec sur le visage une expression indéchiffrable, quelque part entre la réalisation brutale et le déni, avec le visage d'un homme prêt à croire n'importe quoi, pourvu que la réponse soit là.

- C'est très sérieux, cette fois. Je pense que vous avez assez joué, murmura la Monet de l'écran.

- Et votre petit jeu à vous… ? Est-ce qu'il vous a… apporté satisfaction ? souffla Luffy en haussant un sourcil, se penchant vers elle dans un cliquetis de chaînes.

- Tout dépend de ce qu'on appelle une satisfaction, soupira-t-elle. Je reste persuadée que vous êtes un garçon brillant et vous voir vous détruire de la sorte, ça ne me fait pas plaisir, non.

- Oh, arrêtez avec vos faux-semblants. Vous êtes peut-être réglo quand vous venez poser votre cul sur cette chaise, face à la caméra, mais vous et moi on sait qu'au fond vous êtes une sacrée garce, rétorqua-t-il.

- Le patient présentait ces phases à 98% du temps. Non content de n'avoir aucune limite, il est aussi parfaitement conscient de ses capacités et n'hésite pas à s'en servir, commenta Monet. Il est intelligent, bien plus que la moyenne, et il présente un dédain incroyable pour tous les autres êtres humains qui interagissent avec lui. Pour les deux autres pourcents… j'y reviendrai un peu plus tard.

Mihawk échangea un long regard avec Shanks, stoïque malgré ses dents serrées ; il se rappela la virulence de ses propos, son insistance à vouloir se taire, à dissimuler ce qu'il savait sur Luffy, jusqu'au bout. À en juger par son expression, il avait certainement compris que lui-même ne réchapperait pas aux révélations qui allaient être faites, dans cette salle : Monet avait l'air bien trop heureuse pour avoir essuyé une défaite cuisante.

- Votre jugement reprendra son cours à 10 heures 30 demain matin, que ça vous plaise ou non. On peut même être condamné à titre posthume, alors tenter d'avaler votre langue ne vous aidera pas non plus. Maintenant… une dernière fois. Vous êtes bien Monkey D. Luffy ?

La salle retint son souffle en voyant Luffy relever la tête et sourire à Monet, passant lentement sa langue sur ses lèvres comme le ferait Hannibal Lecter devant son prochain dîner.

- … J'm'appelle Kid. Eustass Kid, précisa-t-il après une seconde de latence. Essaye de t'en rappeler, bébé, parce que tu s'ras bien contente de pouvoir le gueuler un jour quand j'te culbuterai contre ton bureau de poufiasse coincée du derche, annonça le Luffy de l'écran dans le lourd silence de la salle d'audience.

- … Monkey D. Luffy est le premier cas réel de dissociation de la personnalité que j'ai pu observer de toute ma carrière, murmura Monet en soutenant le regard de l'adolescent hilare, à quelques mètres de là.

.


Réponse aux guests :

Ayako : Bon, hé bien, on dirait que la fiction t'a donné raison... :) Ah, c'est un problème, ça, la conscience qui revient quand on a pas envie de l'entendre, ces sales bêtes, elles perdent rien pour attendre... ! Oh, vraiment, il est si détestable que ça, cet Autre...? Je vais le peaufiner, je peux sûrement faire pire, mouhahaha ! Oh, c'est très gentil, j'essaye de soigner les chapitres :) À très bientôt ! Merci pour ta review !

Yuh : Hello ! Oh, Law ne va pas tarder, promis, je prends tout mon temps pour mettre les choses en place... fufufu. Merci beaucoup, ça fait plaisir :3 Je vais tenter de garder le cap. A très vite !

Madou : Heeey ! Bon, ça va, le négatif est pas aussi horrible que je l'imaginais en voyant la tournure de phrase du début de ta review, j'ai eu peur ^^ Tout ce que tu me dis est tout à fait clair ne t'en fais pas, et vrai, j'en conviens... en France tout du moins. Aux US, leurs statuts sont encore plus relous, il n'y a même pas de juge d'instruction, concrètement ce sont les avocats et le procureur qui font tout le boulot (c'te feignasse...). Là, Aokiji ne doit être présent que pour rendre un jugement, comme tu le soulignes. Je voulais toutefois lui donner un côté un peu plus... humain, dirons-nous, qu'une simple machine humaine qui engrange des infos et s'en sert pour trancher à la fois. D'où les questions qu'il pose, et l'expertise psy qu'il demande sans avoir même l'avis de Mihawk ou Sadi, alors qu'en théorie il ne le peut pas... Mais merci pour ce petit refresh de la fac de droit, ça me fait toujours du bien :p Merci aussi pour ta review, peut-être à bientôt, j'espère ne pas me gaufrer lamentablement sur de futurs sujets du Barreau...

Crow : Yoooo jeune fille (c'est mieux ?) ! Alors, l'E.I.T est l'acronyme anglais pour des techniques d'interrogatoire poussées. C'est tout à fait réel et c'a grandement fait polémique, fût un temps, passke bon, perso, en tant qu'être humaine, je reconnais que si tu me retourne les ongles à la pince pendant 10 minutes, je t'avoue tout ce que tu veux, même que j'ai tué Kennedy et que j'ai aidé Hitler à s'enfuir au Mexique, pourvu que tu foutes la paix à mon corps, vois-tu x) Donc déglinguer des gens pour les faire avouer... c'a ses limites. Limites auxquelles l'EIT s'est frottée...
Oh, la théorie de l'expérience génétique est sacrément cool et creepy oO Mais c'est trop intelligent pour moi, j'aurais jamais réussi à broder un truc potable autour de cette idée sans me foirer à un moment où à un autre. Si quelqu'un a le niveau, j'irai lire !
Bon, comme tu l'auras constaté, Monet sera parvenue à ses fins, d'une certaine manière... Mais ils se sont bien amusés, ces crétins-là...
Et dans ma propre famille, personne ne pige le fait que je n'aime ni les frites, ni le Coca... Nous sommes des renégats _o/
Je la garde de côté, sait-on jamais, si j'ai du temps à tuer un soir, je m'essayerai à quelques épisodes, et je t'en dirai des nouvelles [Rejoins notre secte et créée-toi un compte x) ] Porte-toi bien également, à très vite ! Patience, patience...

Guest : Euh... je n'ai plus qu'à te souhaiter bon courage pour trouver ça...

.


On se retrouve dans 2 semaines pour la suite ! Portez-vous bien !