Ohayo mina !
En ce lendemain d'Halloween, voici la suite fin du procès de Luffy...
Maintenant que vous savez enfin que Eustass est dans la place (merci Yuh ^^), il va falloir que je bosse sur ce qui va suivre. Et dans 15 jours, vous aurez droit à la venue d'un type ronchon et cynique à souhaits, qui est supposé être le deuxième perso principal de cette fiction et qui n'a toujours pas pointé son bouc.
Oh, et puis OK, j'avoue, vous m'avez complètement grillée avec le vieux Portgas. Bien sûr qu'il sera dans cette fiction, je suis incapable d'écrire sans le faire rappliquer...
Pas mal d'entre vous avaient deviné de quoi il retournait, pour Luffy, et si certains d'entre vous sont intéressés sur le sujet (quoi que bien différent sur pas mal de points), je vous conseille de faire un tour chez flllora et son "Othello" qui vaut le détour pour la lecture, si vous avez le courage d'engloutir vos larmes malgré votre gorge serrée...
Merci beaucoup pour vos reviews, elles m'ont beaucoup rassurée quant à votre réaction sur l'arrivée de Kid ! Maintenant, je n'ai plus qu'à ne pas rater la suite, fufufu.
Sur ce...
Enjoy it !
Chapitre 8 :
Jour 12. Conclusions.
Cour Suprême de l'Etat de Californie, quartier Tenderloin, San Francisco.
- … et qu'est-ce qui vous permet d'affirmer qu'il ne s'agit pas d'un cas particulier de schizophrénie…? tenta Sadi en contemplant ses notes, jetant un coup d'œil à Mihawk qui acquiesça pour donner son approbation.
Deux heures.
Deux heures depuis la conclusion de Monet, ferme et sans appel, et toutes les personnes ici présentes s'arrachaient les cheveux, à osciller entre deux aspects de ce procès présentant peu de précédents dans la carrière de chacun se trouvant dans cette salle.
De un, l'idée que Monet était une psychiatre reconnue, depuis longtemps accréditée par le Tribunal pour la qualité de ses expertises, et sous serment en plus du reste ; n'ayant de toute évidence rien à gagner ou à perdre à mentir.
Et de deux, l'idée que le public réuni dans cette pièce se trouvait être en face d'une personne atteinte d'une trouble aussi rare que celui-ci, bien qu'il fût « à la mode » des années durant.
- La limite était encore trouble il y a des décennies de ça, mais ce n'est plus le cas maintenant. Le DSM est formel à ce sujet et donne une excellente idée des symptômes provoqués par ces troubles. Le schizophrène est victime de nombreuses hallucinations auditives, visuelles, sensorielles, même… ses idées sont délirantes… son verbiage est semé d'incohérences, ses discours sont désorganisés. Le comportement peut être agressif, catatonique, tout dépend… sans compter la négativité extrême que dégagent ces personnes. Monkey D. Luffy n'est pas schizophrène, c'est une certitude médicale, aussi vraie que le soleil se lève à l'est. Nous sommes en face d'un cas extrêmement rare… De tels troubles s'observent dans un pourcentage infime de la population.
- Quelle est la différence concrète entre ces deux notions ? lança Mihawk en coulant une œillade aux jurés qui semblaient au moins aussi perdus qu'eux.
Monet poussa un profond soupir et ôta ses lunettes pour les essuyer au coin de son chemisier, dépitée ; cette bande de macaques la fatiguait, à devoir la forcer à se rappeler des notions les plus élémentaires de psychiatrie pour les leur retransmettre de la manière la plus clinique possible, sans jargon et spécificités, et elle aurait aimé être à des heures d'ici, à retourner ressasser ses archives précieusement conservées sur Monkey D. Luffy et le challenge qu'il avait représenté, dans sa vie.
Clairement, elle n'était pas de taille, et elle ne manquerait de suivre ce qu'il adviendrait de lui une fois le verdict des jurés enfin tombé.
- Je vais vous faire un portrait très grossier, vous voulez bien… ? Le schizophrène entend des voix. Nous avons tous une petite voix intérieure, c'est la conséquence directe de notre passage de l'enfance à l'âge adulte : petits, nous verbalisons chacune de nos pensées, et apprenons à l'intérioriser en grandissant. Il est tout à fait normal qu'elle représente une sorte de conscience, de Jiminy Cricket, et qu'elle soit le fil conducteur de notre interrogation. C'est quand cette voix devient omniprésente, pressante, directive, ou qu'elle s'avère être bien plus que seule et unique, qu'il faut se poser des questions. Les personnes… saines d'esprit ont un dialogue intérieur avec elles-mêmes, comme vous le feriez lors d'un squash, seul face au mur, à vous renvoyer la balle seul. C'est quand le mur tombe et que quelqu'un d'autre se trouve avec vous dans votre cerveau, de l'autre côté du filet, que ça devient dangereux. Ou que vous vous retrouvez face à trois adversaires ou plus, qui conversent entre eux et vous font perdre le contrôle et la partie, vous reléguant sur le banc de touche de votre propre terrain. Voilà ce qu'est la schizophrénie, une petite peste intérieure que l'on ne souhaite à personne d'avoir, croyez-moi, ajouta-t-elle après un silence pesant.
Elle jeta un regard à Luffy qui observait les moulures au plafond avec une indifférence insolente, avisa les gardes qui ne le lâchaient pas des yeux, ainsi qu'il le leur avait été ordonné – pour elle, c'était encore la meilleure chose à faire.
- Celui qui possède un trouble de la personnalité, comme votre accusé… Hum, c'est beaucoup plus délicat. Si autre personnalité il y a, elle prendra le contrôle total et fera appel à des zones du cerveau inaccessibles à la mémoire du sujet principal. Les critères du DSM sont limpides à ce sujet. Pour qu'un trouble dissociatif de l'identité soit diagnostiqué, il faut répondre à certaines exigences, comme la présence de deux ou plusieurs identités hétérogènes, chacune des personnalités ayant sa propre perception du monde et d'elle-même, ses idées et son fonctionnement intime. Il faut également qu'au moins deux de ces identités identifiées prennent le contrôle du corps qu'elles habitent, marquant ainsi une différence flagrante dans le comportement de l'individu observé. Comme je l'ai évoqué un peu plus tôt, l'identité en contrôle à l'instant t doit être incapable d'évoquer des souvenirs liés à l'autre identité. En clair, imaginez deux cartes mémoires différentes et deux sauvegardes de jeu bien distinctes. On ne peut pas non plus associer ces troubles à un personnage imaginaire chez l'enfant… les personnalités n'interagissent pas entre elles directement, là où le schizophrène est capable d'entretenir une conversation avec d'autres personnes que lui-même en son for intérieur, l'amenant en général à parler tout haut. Une personne atteinte de TDI–
- TDI ? l'interrompit Sadi.
- Trouble dissociatif de l'identité, précisa Monet dans un hochement de tête. … une personne atteinte de ce syndrome ne parlera jamais en direct avec son autre personnalité, elles ne peuvent pas s'entendre. L'interaction ne peut passer par les voies normales de communication que l'on saisit, à notre niveau.
Aokiji semblait ailleurs, à la manière d'Akainu ; peut-être que cette histoire prenait un tournant trop… incroyable à leurs yeux, trop immatériel, trop subtil.
Les Néfertari semblaient atterrés, dans leur box, Cobra ne parvenant pas à se détacher de Luffy entravé sur sa chaise, à quelques mètres de lui ; la situation lui semblait certainement irréelle, à ses yeux, alors que le doute faisait lentement son œuvre parmi ses convictions, piétinant ses idées à grands coups de talons, mettant un désordre innommable dans les étagères de ses pensées soigneusement ordonnées.
- Alors… pour être claire et définitive sur votre évaluation, vous diriez que Monkey D. Luffy subit un dédoublement de la personnalité ? persista Mihawk.
- Non, pas un dédoublement, corrigea Monet en levant le doigt. Une dissociation.
- Quelle différence ? s'enquit Sadi en agitant son crayon dans sa direction.
- Par dédoublement, vous sous-entendez « double », donc « qui possède deux aspects ». Or… une semaine n'a pas été suffisante pour le prouver, mais je soupçonne la présence d'une troisième personnalité. Les 2% restants que je n'arrive pas à expliquer.
Tous les regards convergèrent vers Luffy, dont le sourire s'agrandit. Objet de toutes les attentions, exactement ce qu'il désirait.
Shanks enfouit son visage dans sa main et inspira profondément, tentant de calmer les battements incroyablement désordonnés de son cœur et le tremblement de ses doigts, l'un dû à son sevrage forcé d'alcool à coup sûr, l'autre à un début de crise d'angoisse qui n'avait pas sa place ici, dans cette salle d'audience.
Ils y étaient enfin. Ce moment où la vérité allait forcément éclater, cet instant que Sabo avait toujours prédit, prétextant – à raison – que jamais, jamais Luffy ne pourrait garder un secret pareil toute sa vie durant.
Luffy qui finirait bien par revenir, et qui découvrirait, horrifié, que l'énigme de sa vie était étalée au grand jour devant tout le monde.
- Eustass Kid est responsable de la mort de Néfertari Vivi. Les personnalités secondaires sont en totale opposition à la personnalité primaire, je nomme donc celle de Luffy… Leurs aptitudes sont fondamentalement différentes, elles aussi ; que Kid soit capable de tuer avec une telle aisance, une telle force brute ne m'étonne pas. Ce concept est encore en délibération dans le monde scientifique, mais personne n'exclut cette idée, en tout cas. Et concernant l'incapacité de Monkey D. Luffy à justifier ses actes, cette nuit-là… il est tout simplement inapte à se souvenir de quoi que ce soit concernant Néfertari Vivi, son viol et son meurtre. Lui n'est pas coupable de ce crime, mais son autre personnalité l'est pour deux.
- Et ces 2% ? Représentent-ils une menace… ?
- … je n'ai pas d'avis scientifique à soumettre, mais ma seule conviction en tant qu'être à part entière… Je dirais que cette troisième personnalité n'est pas… hostile au sens où on l'entend. … Néanmoins, ce garçon ne peut pas être retenu en prison, poursuivit Monet en inspirant profondément. Je vous prie de croire qu'il ferait des ravages considérables, pas un seul codétenu n'y survivrait. Eustass Kid est un individu dangereux incapable de se conformer aux visions de notre société, et présente une personnalité antisociale méprisante, irresponsable, comminatoire et violente.
- Vous qui avez passé une semaine complète avec lui, que pouvez-vous nous dire à son propos ?
- Comme les Anges Pleureurs du Docteur, sourit-elle en croisant les bras sur sa poitrine. Ne jamais le quitter du regard. Ne jamais cligner des yeux. Ce jeune homme ne peut pas non plus être laissé en liberté, parce qu'Eustass Kid n'hésitera pas à recommencer.
Aokiji acquiesça lentement, reporta son attention sur Luffy – Kid – qui fredonnait pour lui-même un air des Stones, loin d'être contrarié ou ne serait-ce que touché par tout ce qui venait d'être dit à son sujet – pas de peur, d'agacement, d'incompréhension, de déception : rien, absolument rien ne semblait avoir effleuré sa conscience, si seulement il en avait une.
- … je pense avoir réuni assez d'éléments pour m'être forgé ma propre idée sur ce qui a pu se dérouler cette nuit-là, murmura-t-il. Maître Sadi… ?
- Je demande l'enfermement de l'accusé dans un centre de soins psychiatriques, avec le suivi d'un expert reconnu dans le domaine et la médication nécessaire à sa réintégration dans notre société, annonça-t-elle après s'être brièvement raclé la gorge.
- Maître Dracule ? Pour la défense ?
- … rien de plus à ajouter, votre Honneur, murmura Mihawk en laissant retomber, sur sa table, l'intégralité de la longue plaidoirie qu'il avait rédigée au cours des nuits passées, et qui ne lui était plus d'aucune utilité, à présent.
- Nous allons dès à présent nous retirer et nous passons à la délibération avec le jury. Le verdict sera rendu avant ce soir dix-huit heures. D'ici là, je prierai tout un chacun de ne pas quitter le Tribunal, je tiens à ce que chaque personne présente dans cette salle puisse entendre notre décision avant la fin de cette journée, ordonna Aokiji entre deux coups de maillet, le visage tiré par la fatigue.
La Cour se leva et, aussitôt, les agents s'affairèrent autour de Luffy pour lui faire quitter le carcan de la chaise où il était confiné, pieds et poings liés, pour le ramener dans la cellule du Tribunal, loin de la foule. Mihawk saisit Shanks par la manche et le tira derrière lui, le visage fermé, sortant de la salle dans le brouhaha des journalistes priés de rester en retrait ; les premiers flashs crépitèrent dans l'entrée, alors que Mihawk franchissait la foule, mallette à la main, suivi de près par la petite famille qui le talonnait en direction de la sortie.
- … Mihawk, objecta faiblement Nami, encore blême. Aokiji a dit qu'il…
- Il y en a pour plusieurs heures de délibéré, croyez-moi, rétorqua-t-il. On sort d'ici, on va s'occuper de vous nourrir, et on va se trouver un coin où vous allez pouvoir me dire une bonne fois pour toutes tout ce que vous me cachez.
- … je te l'ai déjà expliqué, mais t'as pas voulu écouter, répliqua Shanks.
- Mea culpa, on en a déjà parlé, Gouverneur. Maintenant, on va arrêter de ressasser ça et on va avancer. Suivez-moi.
. . . . . . . . . .
Sabo releva la tête de ses genoux ramenés contre sa poitrine, assis près d'une statue d'un des parcs se trouvant à côté du Tribunal, son paquet de frites à peine entamé ; la seule chose qui lui faisait envie était cette cigarette qui se consumait entre ses doigts, nourriture pour son esprit que son corps n'était pas capable d'ingérer.
Nami, assise à ses côtés, gardait la même attitude prostrée, son cheeseburger intact sur les genoux, le regard vide.
Vide était le mot parfait pour décrire l'abysse qui lui anesthésiait peu à peu la poitrine ; elle avait la sensation que les révélations de Monet lui avaient retiré un poids trop lourd à porter, mais qu'elle avait passé tant de temps à s'habituer à ce fardeau qu'il était devenu une part d'elle, et que l'en priver revenait à arracher non pas le mur de ronces derrière lequel elle mettait son cœur bien à l'abri, mais aussi tout ce qui y était rattaché, à savoir l'organe palpitant lui-même.
- … comment… comment vous avez fait pour en arriver là… ? souffla Mihawk en se frottant le visage. Sérieusement… comment… ?
- C'a toujours été comme ça, tu sais, murmura Shanks en passant sa main dans les mèches blondes de son aîné. Pour être honnête, j'ai mis quelques années à piger ce qui allait de travers avec Luffy, et même à ce moment-là j'y croyais pas tellement. C'était… tellement… curieux ? Je croyais qu'il faisait des caprices, des colères épouvantables, et qu'il mentait à foison. J'ai eu un mal fou à le croire, et encore aujourd'hui je m'en veux de l'avoir soupçonné de m'avoir menti effrontément pendant des mois, et des mois…
- Comment tu t'en es rendu compte ? Je veux dire… vraiment ?
- Tu sais déjà… Kid est gaucher, murmura Shanks avec un sourire amer. Son écriture n'est en rien semblable à celle de Luffy. Il n'écoute pas la même musique, n'a pas les mêmes centres d'intérêts, et surtout… il a sa propre vie. C'est difficile à appréhender, je le sais, mais c'est ainsi qu'ils fonctionnent. Luffy est jovial, Kid est renfrogné… Luffy est pudique depuis toujours, Kid est tout à fait à l'aise avec son corps et n'hésite pas à l'exhiber. Ils sont… si différents… Je ne sais même pas comment j'ai pu croire qu'ils étaient une seule et même personne. Jusqu'au dixième anniversaire de Luffy, et c'est ce jour-là qu'il y a eu… un enchainement d'évènements, qui ont fini de me faire comprendre que mon petit dernier était… un peu plus spécial que la moyenne.
Mihawk l'invita à poursuivre mais Shanks secoua la tête, levant la main en signe de reddition ; il en avait assez dit pour le moment et ne souhaitait pas poursuivre davantage dans cette voie. C'est Sabo qui prit le relais en tirant sur la veste de Nami, dévoilant le tatouage safre qu'elle portait à l'épaule.
- Nami l'a faite recouvrir il y a longtemps, c'est invisible pour ceux qui l'ignorent, mais… il y a une sacrée cicatrice, là-dessous, annonça-t-il calmement.
- De quel genre ?
- Genre… d'un coup de couteau, soupira Sabo en remettant le tissu en place. Kid a toujours considéré les femmes comme de la vermine et il s'en est toujours pris physiquement à Nami, du plus loin que remonte ma mémoire. Quand Luffy est arrivé, à sept ans, c'était des gestes plus… anodins, comme… lui tirer les cheveux, noyer ses poupées. Et au fur et à mesure qu'il a grandi, Kid a grandi avec lui, et il est devenu violent comme pas permis avec Nami.
- J'ai beaucoup puni Luffy, chuchota Shanks en essuyant ses yeux humides. C'a duré des années et le pauvre gosse se contentait d'encaisser, parce qu'il avait très bien compris que c'était Kid qui faisait ça. Et Luffy avait tellement… tellement peur d'être renvoyé à l'orphelinat qu'il a préféré ne rien dire, jusqu'à ce que Kid ne commette l'irréparable, à cet anniversaire. Et là… j'ai compris, enfin.
Nami se contenta d'un sourire de circonstance et ferma les yeux, ramenant ses genoux contre elle, serrée contre Sabo qui fixait le bitume sans un mot, absorbé dans ses pensées que Mihawk devinait tumultueuses, rien qu'à en juger par la couleur de son regard.
Quoi qu'il en était, la question de Kid ne réglait pas l'autre interrogation qui demeurait en suspens, et pour chaque personne présente dans ce Tribunal, sauf…
- Et les 2% mentionnés par Monet ? insista-t-il. C'est vrai, cette histoire de troisième personnalité ?
- … est-ce que c'est vraiment nécessaire… ?
- Pour moi, oui.
- … ouais, c'est vrai, marmonna Nami. Mais c'est bon, maintenant, ça changera plus rien.
- Pour toi, peut-être, mais pour Luffy c'est important. Cette troisième personnalité, elle est… docile ?
Sabo laissa échapper un bruit incongru, entre le ronflement et le reniflement dédaigneux, et Mihawk devina seul que sa suggestion était ridicule.
Non hostile, donc, comme l'avait souligné la psychiatre, mais pas non plus à prendre à la légère ou à sous-estimer. Mais ça, ce n'était pas la question du procès, de toute manière : c'était Eustass Kid le coupable, celui qui ne montait sur les planches que lorsque ça l'arrangeait bien, et il serait impossible de le punir sans que Luffy ne paye les pots cassés lui-même, comme il l'avait fait dans son enfance.
- Vous avez déjà interagi avec Kid ? Sur… aussi longtemps ?
- Tu penses que 8 jours, c'est long ? ricana Shanks. Mon pauvre… t'as pas idée de ce que Kid peut faire. Souvent, Luffy me dit qu'il n'est même pas sûr que ce corps-là soit le sien, qu'il est peut-être le parasite de Kid et que ce serait à lui de disparaître… alors dis-toi que la tête de mon benjamin est un labyrinthe de ruines et que Kid y règne en maître, jusqu'à lui faire douter de la propre intangibilité de son existence. On n'interagit pas avec Kid, on le subit, comme on compose avec un tyran qui dicte sa loi.
Voilà qui pouvait clore le sujet, mais Mihawk n'avait pas envie de lâcher l'affaire. Pas maintenant, pas si proche du but.
Il voulait comprendre, une bonne fois pour toutes, saisir ce qu'il avait l'impression de laisser filer, tout en ayant parfaitement conscience qu'il ne pourrait jamais en arriver au niveau de la famille de Luffy, qui avait passé treize ans à l'apprivoiser. Et une partie de lui, aussi dérangeante soit-elle, avait envie d'en savoir plus, fascinée par l'attrait que présentait une personne si particulière, si exceptionnelle, pleine de possibles.
Malheureusement, il était convaincu que la plupart des membres du jury ne bénéficiaient pas d'une telle ouverture d'esprit, d'une telle curiosité, et il craignait que la proposition de Sadi ne soit rejetée en boucle, quand bien même il avait suivi – jamais, jamais il n'aurait demandé l'acquittement de Luffy, Shanks le savait parfaitement et ils avaient longuement échangé à ce sujet : de toute manière, maintenant qu'il savait, il était hors de question de laisser Kid en liberté pour commettre des horreurs et laisser Luffy en payer le prix. C'eut été inconscient, monstrueux même, tant pour Luffy que les victimes potentielles de son alter-ego.
Les journalistes allaient faire leurs choux gras de cette histoire, qui prenait un tour romanesque, presque surnaturel, au fil des jours allant. Il allait être impossible d'endiguer ça et Mihawk savait d'expérience que leur vie, à tous les quatre, était fichue ; peu importe l'issue pour Luffy, leur famille ne serait plus jamais liée. Shanks risquait de tout perdre, tant sur le plan politique que personnel, les collaborateurs de Sabo allaient lui mener la vie impossible et Nami risquait d'être stigmatisée plus que jamais dans son université, où son cursus avait toutes les chances d'être plus chaotique que prévu.
Et puis, peu importe le choix de vie qu'il restait au dernier de la fratrie, il ne verrait plus jamais se profiler le moindre avenir serein à l'horizon.
- Soies honnête, Mihawk, murmura Sabo en jetant son mégot au loin. Tu penses que Luffy a ses chances ?
- Sab'…, soupira Nami.
- 50/50. Je n'ai pas… d'impression particulière qui se dégage de cette histoire, même si je n'ai pas envie d'être optimiste, quand je vois dans quel terrier ça nous a menés. Vraiment.
C'était l'affaire où il avait été le plus mauvais, sans conteste ; d'ailleurs, il n'avait pas l'intention d'encaisser le chèque de Shanks, puisqu'il était intimement persuadé qu'il n'avait pas pu tenir sa promesse, celle de sortir Luffy de ce guêpier avec un minimum de dégâts. Shanks s'attendait à une tornade, il avait eu droit au tremblement de terre et à un déferlement de vagues successives, qui les avaient drainés à chaque passage, ne laissant rien intact derrière elles, si ce n'était une immensité désolée et stérile.
- Ils risquent pas de reprendre sans nous… ? s'inquiéta Shanks en jetant un regard à sa montre.
- Sadi me bipe dès qu'elle voit Aokiji passer, détends-toi. Ça fait déjà plus de quatre heures qu'ils sont enfermés là-dedans, ils ne devraient pas tarder à en sortir, mais on a encore le temps.
- Ils vont statuer sur sa culpabilité, c'est ça ?
- Et aussi sur la peine à infliger. Il faudra l'unanimité pour que la sentence soit retenue, et non pas une majorité absolue. Ce qu'a demandé Sadi n'est qu'une recommandation, ça n'a de portée que ce que les jurés veulent bien lui accorder.
La délibération serait à double tranchant, avec d'un côté des personnes irascibles, peu crédules, et des magistrats habitués à en voir de toutes les couleurs et d'être peu enclins à pencher en faveur des psychiatres, trop prompts à la clémence à leur goût.
Il se remémora la lèvre fendue de Luffy et se demanda ce qui lui avait valu ce traitement-là ; à en juger la nervosité de l'assistant de Monet, Caesar, il était prêt à parier qu'il avait quelque chose à voir là-dedans. Il était impossible de le prouver, toutefois, puisque la psy se cachait derrière tout un tas de sourires et d'esquives, mais il restait intimement persuadé qu'il ne s'était pas fait ça tout seul, ou qu'il s'agissait d'un accident.
Etait-ce la conséquence d'un comportement trop limite de la part de Luffy – Kid – ou venant de Caesar ? Difficile de répondre, à cet instant.
Dans la même veine, qu'est-ce qui avait poussé Kid à se révéler ? L'instinct de conservation si cher à tout être humain ? Les interrogatoires répétés ? La lassitude ? L'envie de pousser le jeu à un autre niveau ? Si Monet elle-même ne s'était pas attardée sur ce niveau de détails, il fallait y voir un mauvais présage – elle aurait été trop fière d'avoir fait tomber une tête comme celle d'Eustass Kid pour se priver d'annoncer au monde la moindre de ses faiblesses. Ce qui signifiait qu'à son niveau, elle était incapable de comprendre le fonctionnement profond du personnage, quand bien même elle n'avait eu qu'une semaine à sa disposition.
Si les jurés décidaient de laisser la vie sauve à Luffy, qui gérerait le monstre qu'il hébergeait dans un coin de sa tête ? Suivraient-ils la demande de Sadi, ou choisiraient-ils de couper l'herbe sous le pied des idées morbides de l'alter-ego de son client ? Il y avait tant de possibilités dans cette chasse à l'homme, dans cette palette de destins potentiels qui s'ouvraient pour Luffy… Mihawk défiait quiconque de pouvoir prédire quelles seraient les réactions des jurés chargés de prendre cette lourde décision. Aokiji étant d'un tempérament pacifique, il ne doutait pas un seul instant de ses efforts pour tempérer les passions et répondre de la manière la plus clinique et objective possible, et sa décision relèverait à coup sûr de l'habitude que donne l'expérience, là où les votes des jurés profanes en la matière étaient susceptibles de n'être que catharsis et rejet.
Son biper se manifesta, dans sa poche intérieure – il quitta son banc, reprenant sa mallette, suivi par Shanks qui fit signe à Nami et Sabo de se lever, l'heure du verdict ayant enfin sonné.
Le parvis du Tribunal était bondé de journalistes, de caméras et de micros, dans un chahut démesuré que Mihawk franchit tant bien que mal, gardant le silence malgré les questions incessantes ; Nami et Sabo étaient depuis bien longtemps maintenant habitués à ce traitement, depuis que Shanks était devenu Gouverneur de l'état de Californie, et avaient pris le pli de rester muets, peu importe ce qu'on pouvait leur demander. Ils pénétrèrent enfin dans le Tribunal, où les témoins et l'auditoire se dirigeaient vers la salle dans un silence de plomb, seulement brisé par le claquement des chaussures sur le carrelage poli par les années et les passages interminables.
Ils franchirent le détecteur, traversèrent la grande entrée et pénétrèrent à leur tour dans la salle d'audience, où Luffy – Kid – était déjà installé, l'air de se foutre royalement de la situation pourtant inextricable dans laquelle il se trouvait. Visiblement, ce comportement était habituel chez lui, mais entre le savoir où l'expérimenter, il y avait tout un monde.
Les jurés demeuraient immobiles sur leurs chaises, le visage dénué d'expression pour la plupart, d'autres à l'air sévère ; Sadi murmurait avec les parents de Vivi qui hochaient la tête, Nico Robin penchée vers eux pour mieux entendre. Smoker fixait Luffy avec l'air de découvrir une vie extraterrestre, Rayleigh semblait intrigué, animé par la même curiosité scientifique que Monet.
Aokiji rangeait ses notes, les yeux cernés et un pli amer sur les lèvres, tendant des liasses de papiers à son greffier qui les consignait sans broncher, silencieux depuis l'ouverture de cette affaire.
- Messieurs-dames, lança Aokiji par-dessus le bruit ambiant, assez fort pour interpeller la plupart des intervenants étendus jusqu'à la porte, qui se referma dans un grincement sonore. Merci pour votre diligence, prenez place je vous prie.
Les bancs et chaises grincèrent quand tous s'assirent sans un mot, sous le regard de Kid qui semblait s'amuser comme un gosse à Disneyland ; Mihawk ne parvenait pas à se détacher de sa désinvolture affichée, encore trop sidéré par ce qu'il avait appris ce matin.
Et Dieu qu'il s'en voulait d'avoir rejeté Shanks et ses idées délirantes, quelques jours plus tôt.
- Il est à présent 16 heures 52 et nous allons procéder à l'énumération publique des charges, annonça le juge en enfilant ses lunettes. Monsieur le représentant des jurés, le jury est-il parvenu à un accord sur la nature des débats… ?
- Absolument, votre Honneur, approuva l'homme désigné en se levant, un papier à la main.
- Alors, veuillez lire le verdict à voix haute, murmura Aokiji en se redressant, menton posé sur ses mains liées, coudes sur le bureau.
Nami entrelaça ses doigts à ceux de Sabo et retint son souffle, Shanks passa son bras sur les épaules de son fils et fixa l'homme anonyme debout au bord du box des jurés, observant la neutralité de son visage, cherchant une faille, n'importe quoi dans son regard… mais rien. Même conclusion pour les visages des autres jurés, impassibles comme jamais.
L'homme déplia le résultat des votes et se racla la gorge, balayant la salle du regard.
- Dans l'affaire opposant Monsieur et Madame Néfertari à Monkey D. Luffy, nous, les jurés, jugeons à la majorité l'accusé… coupable pour les chefs d'accusation suivants–
Sabo se crispa et détourna le regard vers Kid, dont le sourire avait lentement quitté le visage, ne laissant qu'une expression terne, si opposée à celle que Luffy arborait en permanence.
- … crime capital, actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort, murmura l'homme en poursuivant sa lecture. Ainsi que viol et meurtre par homicide volontaire. Dans l'affaire opposant cette fois le ministère public à Monkey D. Luffy… nous, les jurés, jugeons à la majorité l'accusé coupable de violences et blessures, de mutilation et d'homicide involontaire.
- Merci pour votre délibéré, mesdames messieurs les jurés. Pouvez-vous à présent déclamer la condamnation requise… ?
- Pour les deux affaires opposant Monsieur et Madame Néfertari et le ministère Public à Monkey D. Luffy, nous, les jurés… demandons le placement de l'accusé à perpétuité en institut psychiatrique, pour des raisons d'ordre public.
- Perpétuité… ? murmura Sabo.
Mihawk lui fit signe de se taire, reporta son attention sur Aokiji qui fixait le sol, sourcils froncés, plongé dans une intense concentration ; il finit par pousser un long soupir, silencieux mais éloquent, et se pinça l'arête du nez, les yeux clos, semblant prendre le temps d'inspirer profondément avant de se redresser, les traits tirés par la fatigue.
- … le verdict est rendu. Par conséquent, la Cour condamne Monkey D. Luffy à la réclusion à vie dans un établissement de soins psychiatriques, où il fera l'objet d'un traitement adéquat à sa pathologie et demeurera sous contrôle judiciaire. La peine sera mise en application après un temps de 48 heures de détention en cellule sécurisée à la prison d'état de San Quentin. L'audience est levée et je déclare clos le numéro de greffe 160071. Merci à tous, annonça Aokiji en ponctuant sa décision d'un coup de maillet.
Shanks se leva et écarta le public le plus proche de lui pour se tourner sur la gauche et avoir pleine vue sur Kid, tête penchée vers ses pieds, visage dissimulé derrière les cheveux noirs de son benjamin ; il pressa les inconnus de dégager le passage, ignora la main de Mihawk qui le saisissait par le bras en lui intimant de rester en arrière et se tendit dans sa direction, le plus qu'il lui était possible.
Lentement, Kid releva la tête, et l'expression de son regard était bien trop caractéristique pour que Shanks se trompe d'identité ; les yeux chocolat de Luffy balayèrent la salle, les traits brouillés par une fatigue incroyable – les conséquences du passage de Kid, qui le laissait toujours exténué et dénué d'énergie.
- Luffy… ! s'exclama Shanks en tendant le bras vers lui, avant qu'un des agents ne se mette en travers de son chemin. Luffy, ici… !
L'adolescent se redressa et tressauta quand les chaînes le rappelèrent à l'ordre ; il baissa les yeux sur sa tenue, un instant surpris de se trouver vêtu de blanc et de coton à la place de son costume sombre, pieds nus qui plus est. Il tourna la tête et chercha l'horloge – pas la même heure que celle où il avait dû écouter les horreurs que Kid avait faites. Pas la même chaise non plus, puisqu'il ne se trouvait plus à la Barre. Ses yeux accrochèrent les lettres quartz de l'affichage numérique de la date, derrière le juge.
Huit jours depuis celui où la vidéo de surveillance avait fait voler en éclats le peu de self-control qu'il lui restait.
Huit jours de vide.
Sa tenue.
Les entraves.
« Putain de– »
- … Papa ! s'écria-t-il en se démenant brutalement contre ses liens.
- Shanks, non… ! s'exclama Mihawk en retenant son meilleur ami au vol. C'est fini… !
Fini ?
Pourquoi « fini » ?
Qu'est-ce que Mihawk entendait pas là ?
Il pensait avoir assez expérimenté cette horrible sensation de dénuement, depuis le temps qu'il partageait son existence avec celle de Kid, ce sentiment d'avoir été volé d'un pan de sa vie, ce retour vaseux dans sa réalité, mais le destin lui prouvait que ça pouvait être bien pire, peu importe ce qu'il pouvait espérer avoir dompté.
Il n'avait aucune idée de ce qu'il se passait, là, juste devant ces yeux, et ne lui restait en bouche que l'amertume de la frousse que tout un chacun devait ressentir en se réveillant en pleine guérilla.
Luffy se débattit contre les gardes, se tortillant dans le carcan de sa camisole, se balançant sur la chaise pour tenter de la renverser, sans effet ; il entendit, vaguement, la voix de Nami le suppliant de rester tranquille, que tout irait bien, mais la panique avait bien trop éveillé son instinct de survie pour qu'il se raisonne, là, maintenant.
Mihawk poussa Shanks, Nami et Sabo hors de la salle, Luffy les suivant des yeux, épouvanté.
- ME LAISSEZ PAS ! hurla-t-il, ignorant tous les regards rivés sur lui et les murmures du public. PAPA !
Un des agents fit évacuer l'auditoire, les autres encadrant Luffy en attendant que plus un seul civil ne subsiste dans la salle, quand bien même Shanks luttait contre la masse, tentant de rejoindre Luffy, vociférant une flopée d'insultes à l'intention de Mihawk qui demeurait stoïque, le tirant derrière lui pour retenir ses élans, aidé par Sabo qui s'efforçait, comme sa sœur, de calmer Luffy en l'exhortant au silence, sans pour autant obtenir de résultat.
- PAPA ! cria Luffy avant que les portes ne claquent, laissant la salle déserte à l'exception d'Aokiji et des agents. REVIENS ! M'ABANDONNE PAS !
- … Luffy, calme-toi, murmura la voix grave du juge à quelques mètres de là. Je vais t'expliquer, alors mets-toi en paix et regarde-moi.
L'adolescent tourna la tête dans sa direction, haletant, la gorge endolorie et les yeux brouillés de larmes de fureur ; l'homme semblait usé par les années, bien plus que lorsque Luffy l'avait vu la première fois, et une pointe de culpabilité lui vrilla la poitrine, l'espace d'un bref instant.
Lentement, le juge se leva et contourna son bureau, descendant de l'estrade pour le rejoindre, sa longue robe de magistrat flottant autour de lui, lui donnant une carrure impressionnante qui rappela à Luffy qu'il n'était qu'un gamin ignorant qui avait perdu depuis longtemps le droit de décider de sa vie.
Ignorant le geste d'alarme du garde le plus proche de lui, Aokiji leva les mains et prit le visage de Luffy entre ses paumes, l'obligeant à river ses yeux dans les siens.
- … respire, chuchota-t-il. Inspire… expire.
Luffy s'exécuta, nauséeux, le cœur battant à tout rompre ; le sang qui pulsait à ses oreilles lui donnait le tournis et le laissait vaseux, des étoiles plein le crâne.
- … nous avons rendu le jugement il y a moins de cinq minutes, murmura Aokiji en passant une main dans les cheveux noirs de Luffy pour les dégager de son visage, sortant un mouchoir de sa poche pour essuyer les larmes sur les joues du jeune homme.
- J'vais mourir, c'est ça… ? hoqueta-t-il.
- Non, Luffy. Tu n'as pas été condamné à mort. Nous avons retenu une mesure particulière à ton encontre…
- J'serai enfermé toute ma vie… ?
- … c'est l'idée. Mais pas en prison. Tu resteras dans un asile psychiatrique, où un spécialiste essayera de traiter ta maladie au mieux. Et avec un peu de chance… dans quelques décennies… tu pourras demander à sortir. Peut-être. Possiblement. … Je ne peux rien te promettre.
Luffy cligna des yeux, tentant d'assimiler ce qu'il venait d'entendre.
Ils savaient, pour Kid. Et cette semaine d'absence ne pouvait signifier qu'une seule chose : l'autre abruti avait décidé de montrer le bout de son nez au pire moment.
- … qu'est-ce qu'il s'est passé… ? haleta-t-il.
- Pendant l'exposition des éléments à charge, la vidéosurveillance du bar, notamment… juste après que tu aies été malade, à dire vrai, ton… comportement à changé. Tu as cumulé les outrages à la Cour et les entraves au déroulement du procès. Tu as tenté de t'enfuir, et…
- … et… ? le pressa Luffy, le pouls à cent vingt à l'heure.
- … un gardien a eu la mâchoire disloquée, un homme présent dans le public a été tué et un autre agent a subi deux factures cervicales. Il est encore hospitalisé à l'heure où je te parle, soupira Aokiji en soutenant tant bien que mal le regard horrifié de l'adolescent.
« Non. C'est pas vrai. T'as pas fait ça… »
Comme toujours, il n'obtint aucune réponse, Kid demeurant totalement silencieux, loin, très loin de tout ce qui pouvait se tramer ici-bas, dans cette réalité, celle de Luffy, qui n'était pas la sienne.
- Luffy… tu ne dois pas t'en vouloir de ce qui est arrivé. L'experte psychiatrique a été formelle sur le sujet, tu n'y es pour rien. C'est… ce Kid, le coupable.
- … Parce que vous pensez peut-être que ça va m'aider à me regarder dans un miroir… ? chuchota-t-il, incapable de parler plus fort tant sa gorge s'en trouvait serrée.
- Je veux simplement que tu ne doutes jamais de toi, de Luffy. Tu m'as beaucoup impressionné pendant le procès, tu es resté exemplaire et… digne, jusqu'au bout, même si tu savais parfaitement que tu n'avais rien à voir là-dedans. Je ne t'en veux pas d'avoir voulu cacher ça. Je vais… faire une recommandation, pour ton dossier. Je te promets que tu seras bien traité, et qu'il ne t'arrivera plus rien de mal à partir de maintenant.
Maigre consolation, qui ne faisait presque qu'énerver Luffy davantage, à bien y réfléchir.
Il s'en foutait pas mal, de cette compassion. Ce que lui voulait, c'était partir d'ici et retrouver sa famille, ou bien en finir maintenant, plutôt que d'avoir à supporter leur absence définitive.
- Je veux voir Papa, répliqua-t-il, fébrile.
- Impossible, Luffy.
- S'il vous plaît… !
- Même moi, je n'ai pas la possibilité de faire un tel écart dans la procédure. Tu verras ça directement avec le directeur de l'établissement qui va te recevoir, je suis sûr que tu auras droit à des vi–
- C'est maintenant que j'ai besoin de mon père ! s'écria-t-il. Pas dans huit jours, pas dans un mois… ! Maintenant !
Aokiji se redressa et lui caressa brièvement la tête, poussant un long soupir avant de se détourner et de rejoindre son bureau, où il débuta le rangement de ses papiers sous le regard atterré de Luffy, dont les gardes détachaient les entraves pour l'emmener à la porte de la salle, qui s'ouvrit sur un parterre de journalistes ; affolé, l'adolescent se tendit vers l'arrière dans un vain réflexe de fuite, ridiculement faible contre les agents de police qui le trainèrent sur le carrelage, à travers les flashs aveuglants et les questions, jusqu'à l'entrée où la voiture d'Akainu était garée en contrebas des marches du parvis, portière arrière ouverte.
- Où on va… ? suffoqua-t-il en se démenant. Vous m'emmenez où… ?!
- San Quentin, rétorqua le flic le plus proche.
- Quoi ?! Mais… mais j'croyais que–
- Les 48 heures de détention en attendant ton placement. Maintenant j'te conseille de la boucler.
Ils le soulevèrent de terre comme s'il n'avait rien pesé et l'obligèrent à s'engouffrer à l'arrière de l'auto, alors que résonnait derrière eux le cri de Shanks, en haut des marches de pierre. Luffy se tortilla pour l'apercevoir et accrocha, du regard, les cheveux clairs de son père, le mouvement de son long manteau noir. Nami et Sabo étaient là, aussi, tentant d'ignorer les chroniqueurs qui s'amassaient autour d'eux, s'efforçant de garder le contact avec lui, sans pour autant lâcher leur père d'un pouce.
Akainu hocha la tête à l'attention de Shanks, jeta sa cigarette au sol pour l'écraser d'un coup de talon – l'occasion de prendre une poignée de secondes supplémentaires pour réfléchir au meilleur moyen d'appréhender une balade avec Monkey D. Luffy et cet Eustass Kid dont personne ne pouvait prévoir l'apparition et les réactions – avant de monter à l'arrière de la voiture et de faire signe au chauffeur de démarrer.
Luffy se colla à la vitre, fit volte-face pour regarder le Tribunal par la lunette arrière, regardant les silhouettes de sa famille rétrécir encore et encore, avant que la voiture ne bifurque et qu'ils échappent définitivement à son regard ; la gorgée nouée, il resta un long instant à fixer le vide derrière eux, le défilement des immeubles en arrière-plan, le bruit de la sirène se répercutant jusque dans l'habitacle demeuré silencieux.
Hagard, il se laissa retomber sur la banquette, le regard vide, son esprit filant déjà à des années-lumière d'ici, loin, très loin de ce désastre, cherchant une fuite, une brèche, n'importe quoi à infiltrer, pour peu qu'il puisse oublier les ennuis terribles dans lesquels il se trouvait et qui ne le quitteraient plus jamais, à présent.
Personne ne pipait mot, dans le véhicule, pas même Akainu qui se contentait de fixer Luffy avec attention, sa main sur son arme de service – si l'autre taré se pointait, il n'hésiterait pas à faire feu pour protéger sa vie et celle de ses hommes, quitte à transformer la voiture actuelle en celle de Jules Winnfield en la repeignant avec les déchets cervicaux de Monkey D. Luffy.
Ils avaient un peu plus de trente minutes de trajet entre la Cour Suprême et la prison d'Etat, située au nord de la baie, par le Golden Gate ; toutes alarmes allumées, peut-être un peu moins de vingt-cinq, mais Akainu ignorait si cette situation était susceptible de ramener d'autres désagréments – il n'avait pas envie de voir se jouer à nouveau la scène du Tribunal, où l'accusé avait lâché ce qu'il avait de plus créatif pour tenter de s'évader de ce guêpier. Et rien que pour ça, Akainu savait que ses nuits resteraient encore longtemps peuplées du ricanement de Luffy, Kid, ou peu importe de qui il s'agissait.
- Quand on sera à San Quentin, tu auras de nouvelles fringues, marmonna-t-il en avisant Luffy. Les affaires que t'avais sur toi quand on t'a arrêté seront rendues à ton père dans la semaine, 'sont toujours au commissariat.
- … pourquoi je suis pieds nus… ? murmura le jeune homme, apathique.
- Pendant ton trajet entre la clinique et le Tribunal, tu as… Kid s'est déchaussé avec ses talons et a retiré les lacets avec ses orteils, et a essayé d'étrangler le conducteur avec ses… tes pieds. Ils ont jugé mieux de te faire comparaître comme ça.
« T'es vraiment un malade » songea Luffy en secouant la tête. « Si tu t'étais tenu tranquille, on en serait pas là. Tout ça c'est d'ta faute. J'te déteste. »
Jamais Kid n'entendrait ce qu'il avait à lui dire, mais c'était un cheminement obligatoire pour lui, une ligne intellectuelle qu'il avait toujours suivie, sans jamais cesser d'espérer qu'un jour, il parvienne à prendre le dessus une bonne fois pour toutes sur ce trublion.
Il croisa le regard anxieux du conducteur actuel dans le rétroviseur, se contenta de le fixer sans piper mot, incapable de la moindre parole à lui adresser, tout comme lui d'ailleurs. Un autre bidasse gardait ses yeux rivés sur lui, attendant sûrement le premier faux pas pour le refroidir, lui aussi.
Luffy s'était déjà senti… décalé, loin d'être à sa place dans la famille qui l'avait adopté et à qui il avait imposé ses défauts, mais jamais il ne s'était senti haï ; dans le Tribunal comme dans cette voiture, il se sentait oppressé par la rancœur et le dégoût qu'il inspirait à ces inconnus, et rien de ce qu'il pourrait faire ne viendrait changer ça. Le plus docile des comportements ne rachèterait jamais ce qu'ils – lui et Kid – avaient fait et ne lui garantirait jamais la liberté. Le jury populaire et les magistrats avaient tranché, en s'assurant qu'il ne serait plus jamais une menace pour qui que ce soit.
Le poids de la culpabilité et du remords lui courba le dos et il ramena ses genoux contre lui, malgré l'étirement douloureux de ses épaules et de sa nuque, pour y enfouir son visage et se fermer au reste du monde, gardant les yeux étroitement clos pour faire disparaître l'image de la voiture, l'expression sévère d'Akainu et le dédain sur leurs visages. Ses bras solidement entravés sur son torse mettaient son dos au supplice, mais peu importe ses demandes, il serait forcément éconduit jusqu'à son arrivée à San Quentin, où il aurait de toute manière droit au même traitement – personne ne voudrait prendre le risque de le voir tenter de s'échapper encore une fois et faire du mal à une personne de plus, consciemment ou non.
Il avait conscience que le paysage changeait, autour de lui ; que c'était certainement une des dernières fois qu'il voyait ces rues, ces habitants, les magasins où il aimait flâner avec Nami, les panoramas qu'il photographiait sous tous les angles. Il ignorait quelle vue il aurait à supporter pour le reste de sa vie, mais devinait sans peine qu'elle ne serait jamais celle qu'il avait depuis le Marina District, qui ouvrait sur le Golden Gate et Sausalito, la pointe nord de la baie et le sud du comté de Marin.
Il réprima un sanglot, sentit les larmes qu'il retenait désespérément le trahir et couler sur ses joues – il aurait tant aimé être plus fort que ça, prendre la décision de justice comme l'opportunité de ne plus jamais avoir à faire souffrir Shanks, Nami et Sabo, mais la partie la plus égoïste de lui se sentait déjà écrasée par la solitude qu'il allait ressentir pour le reste de son existence ; lui qui ne supportait pas d'être seul, laissé derrière ou ignoré, il avait parfaitement conscience qu'il allait salement déguster pour les mois, les années, les décennies à venir.
Et cette perspective le terrifiait, plus que tout le reste.
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Réponses aux guests :
Yuh : Yeeeeeah \m/ allez, t'en fais pas, ta patience sera bientôt récompensée, Law n'est pas très loin, ça va venir, promis. Je peaufine son entrée, que j'espère ne pas foirer lamentablement. Je vais tenter de toujours bien travailler les chapitres, pour qu'ils continuent à vous/te plaire... merci beaucoup, ça me fait super plaisir de lire cela ! A très vite pour un autre chapitre...
Mae : Hello ! Oh, oui, ça fait un gros morceau, c'est certain... Et ça, c'est beaucoup trop de compliments, mais je les prends parce que ça fait toujours un bien fou, faible être humaine que je suis. Je vais tenter de garder ce cap et de ne pas perdre la boussole, même si c'est le risque avec une fiction qui dure un peu dans le temps : on peut s'éloigner de l'intention de base. Comme l'a souligné Mihawk, ce procès, c'est aussi celui de Shanks, en un sens, pour Akainu ; ils se détestent et c'est l'occasion inespérée pour lui de mettre le Gouverneur dans la merde, avoir l'occasion de le faire destituer de ses fonctions et... pourquoi pas... viser sa place...? C'est une guerre politique, Luffy n'est qu'un prétexte facile et tout trouvé, pour Akainu. Celui dont il veut la tête, dans le fond, c'est notre rouquin. J'aime bien Monet aussi, et elle aura l'occasion de revenir un peu plus loin dans la fiction :o Et puis, l'interrogatoire... on va dire qu'elle sait ce qui porte ses fruits, et elle ne s'en est pas privée. Shanks va reprendre du poil de la bête, promis, il n'a pas dit son dernier mot !
Bizutée par ton téléphone ? Technologie ingrate x) Merci, merci, merci beaucoup pour ta review ! A très bientôt, alors !
Crow : Bien le bonsoir, chère Crow~ Ah, la référence était pour l'acte 5 de l'œuvre de Shakespeare ;)
Monet et Caesar savent bien que leur méthode va donner des résultats, alors c'est vrai que c'est un peu open-bar de ce côté-là. Le poste de Beckman (oui, qui est bien le frère de Shanks, fufu) est lié à Akainu... Et pour Luffy, on saura d'où il vient exactement, mais il va falloir être graaaaave patient. Genre... beaucoup, beaucoup, beaucoup patient.
Le procès touche à sa fin, comme tu le constates, et Kid est obligé de tomber le masque... Pour qui, pourquoi, et comment il en vient à se manifester, ça sera évoqué plus tard dans la fiction, quand je vais commencer à gratter un peu niveau psy (tout en espérant ne pas me vautrer en beauté).
Tu me parles de nourriture et ça me donne faim. Et ça me rappelle qu'au moment où j'écris ça, y'a des bonnes pommes de terre qui cuisent, et je dois encore terminer quelques reviews et poster le chapitre... ahem...
J'espère que Halloween s'est bien passé, si tu l'as fêté, et que tu as pu foutre la trouille à des gosses. C'est le meilleur moment, fufu. A très bientôt, alors, couvre-toi bien avec ce froid qui couvre peu à peu la patrie française...
À dans 2 semaines pour la suite ! :)
