Ohayo mina !
Merci pour votre patience, et l'humour et la bonne humeur dont vous avez fait preuve.
Mon ordinateur ne peut exprimer à quel point il est désolé, alors je le fais pour lui, excusez-le, il a vécu dans une brouette.
J'espère, avec le retard accumulé, que j'ai pu répondre à toutes les reviews. Si certaines sont passées à travers, j'en suis navrée.
Ce chapitre voit l'arrivée de Luffy à l'asile, et la fin du voyage dans le fourgon...
Certains théories sur les 2% vont devoir être mises de côté, puisque j'introduis de nouveaux personnages (encore) ; j'attends donc de voir quelles seront vos idées après cela...
Autre chose sur laquelle je rebondis : l'orthographe du prénom de Lami. J'en ai trouvé un nombre pas possible, et j'ai choisi arbitrairement la version anglaise des scans que j'ai pu lire. Libre à vous de l'écrire comme il vous plaira dans les reviews :)
Les guests sont en fin de chapitre, comme toujours, et...
Enjoy it !
Chapitre 11 :
Jour 18. Contretemps.
Près de Pasadena, Texas.
Midi trente.
Luffy avala une longue rasade d'eau de la gourde que lui tendait Blueno et se laissa aller contre la paroi brûlante de l'habitable, le cœur palpitant à tout rompre ; San Francisco état une ville plutôt sèche, malgré le brouillard, et il n'était pas habitué au climat du sud-est des USA, plus humide, plus lourd.
Ils venaient de rejoindre le même fuseau horaire que celui de la Nouvelle-Orléans, qu'ils étaient supposés atteindre sous peu et il se demandait si, là-bas, quelqu'un l'attendait impatiemment, et quelle réception lui était réservée. De toute façon, la seule chose à laquelle il songeait, à présent, c'était sortir de cet enfer de métal, loin, très loin de tout ce qui suffisait à ramener son double insupportable. Il ferma les yeux et s'efforça d'inspirer le plus faiblement possible, histoire de limiter la casse – le parfum de Conis les enveloppait, féminin et délicat, presque entêtant, surpassant largement ceux de Shiki et des autres.
- « On annonce une très forte chaleur pour cette première quinzaine de mai, notamment sur le sud du pays, du Nouveau-Mexique à la Caroline du Sud ! » s'exclama la voix du speaker, dans la radio. « Pensez à bien vous hydrater, parce que les températures vont grimper et même dépasser les trente degrés à l'ombre, ce qui est plutôt exceptionnel pour une fin de printemps… »
- Reste combien de temps… ? grogna Blueno en repoussant ses cheveux mouillés de son visage.
- À peu près cinq heures, j'crois, lança Kaku à travers la grille. Besoin d'une pause ?
- On s'arrête pas, rétorqua Shiki en tirant sur le col de sa chemise d'uniforme. Pour c'qu'il reste, on va tracer. Passe la vitesse au-dessus, j'veux pouvoir me poser peinard à l'hôtel avant 20 heures.
Kaku ne fit pas le moindre commentaire et accéléra, dépassant voiture après voiture ; le paysage défilait bon train, à travers les fenêtres barrées, l'horizon lointain inondé d'une lumière aveuglante.
Luffy somnolait ; il sentait ses paupières s'alourdir, malgré la tension dans ses veines et les courbatures lancinantes qui lui vrillaient le dos. Tenu par les nerfs depuis trop longtemps, il le savait, mais il était incapable de trouver un vrai sommeil, transbahuté comme ils l'étaient tous depuis des heures.
Il crevait la dalle, et s'endormir le ventre vide était impensable, malgré la fatigue qui lui embrumait le cerveau ; il avait la bouche sèche, encore, et sa gorge parcheminée rendait sa déglutition infernale.
Avec la fin de la route s'échappaient ses maigres espoirs de sortir de cet endroit avant d'être définitivement enfermé entre quatre murs.
Conis releva ses cheveux en queue-de-cheval, dégageant son cou moite ; il s'efforça de regarder ailleurs, mais c'était plus fort que lui – la crampe dans son ventre lui indiquait que c'était déjà trop tard, de toute manière. La jeune femme se débarrassa de sa veste d'officier, s'attaqua aux premiers boutons de son chemisier qu'elle entrouvrit légèrement, une perle de sueur glissant au creux de sa poitrine.
Blueno jeta un coup d'œil à leur prisonnier, son regard blanc fixé sur la silhouette de sa collègue, le visage dénué de toute expression – il claqua des doigts devant son nez, intrigué, lorgna vers Shiki occupé à allumer un autre cigare, indifférent à sa subordonnée toujours autant agacée par sa désinvolture.
- … hé, boss, lança Blueno en topant Luffy sur l'épaule. J'crois qu'il–
Le coude de Luffy s'écrasa sur son nez, lui projetant la tête en arrière dans un fracas sourd – l'adolescent l'attrapa par la nuque et lui éclata le crâne contre la paroi, à plusieurs reprises, esquivant Shiki avant de lui flanquer un coup de talon dans le genou, une fois, deux fois, trois fois : la dernière fut la bonne et l'articulation céda dans un craquement sordide, laissant le capitaine s'écrouler au sol de la fourgonnette dans une exclamation de rage et de douleur mêlées. Kaku donna un coup de volant dans un crissement assourdissant des freins, projetant Luffy et Conis sur le sol, avant que la fourgonnette ne bascule sur le côté et les envoie heurter les parois grillagées, pour s'immobiliser au bord de l'I-10 dans un nuage de poussière.
. . . . . . . . . .
Jour 18.
Louisiane, près d'Ostrica, 70 miles au sud-est de la Nouvelle-Orléans.
Quatorze heures cinquante-deux.
Les pupilles de Law ne déviaient pas un seul instant de la trotteuse de l'horloge suspendue au-dessus de la porte de son bureau, ses doigts marquant le rythme sur le bois verni où était posé le dossier de Monkey D. Luffy.
Il se mordilla la lèvre, songeur, jeta un coup d'œil à sa montre – elles étaient réglées à la même heure, aucune des deux n'accusant d'avance ou de retard. Son téléphone, calqué sur le réseau, indiquait un horaire similaire, sans compter son ordinateur portable.
Résultat : ces abrutis de gouvernementaux étaient à la bourre de vingt minutes bien tassées. Et si, au tout début, cette absence de communication l'avait passablement agacé, elle réveillait à présent une pointe d'angoisse et d'incertitude, alimentée par la voix féminine qu'il avait entendue à l'autre bout du fil, par-dessus les palabres de Shiki.
Bordel, s'il s'était donné un mal pareil pour pondre des instructions précises, ce n'était pas pour les voir bafouées à peine les pieds de son patient hors de San Quentin.
Conclusion : il était de plus en plus intimement persuadé qu'une bévue était la source de cet énième manquement aux règles.
Décroisant ses pieds posés sur son sous-main, il se leva et traversa la pièce, décidant de passer lui-même un appel au centre pénitencier pour en savoir plus, et se figea la main au-dessus de la poignée quand son portable vibra dans la poche de sa blouse – il y jeta un regard et décrocha en voyant l'indicatif de la Californie affiché à l'écran, tentant d'ignorer le tressautement dans sa poitrine.
- Trafalgar Law, annonça-t-il de sa voix la plus mesurée possible.
- L'arrivée de Monkey D. Luffy va être retardée de plusieurs heures, soupira la voix de Kizaru à l'autre bout du téléphone.
- Puis-je savoir pourquoi… ?
Politesse hypocrite, puisqu'il pressentait déjà la teneur de la réponse.
Et ô combien il savait aussi bien que son interlocuteur que ni l'un, ni l'autre n'allait apprécier ce qui suivrait.
- Tentative d'évasion… ? risqua-t-il.
- … en un sens, oui. On a un agent dans le coma, un autre en moyen état et le capitaine de section a les jambes hors-service pour de très, très, très longues semaines…
- Ils étaient quatre avec lui. Dont une femme, ce que j'avais strictement interdit, répliqua Law en faisant les cent pas sur le parquet lustré. Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?
- … elle est... vivante.
Law leva les yeux au ciel et se pinça l'arête du nez, tentant de réprimer d'autres répliques acerbes qu'il ne regretterait pas, mais qui seraient susceptibles de lui bloquer un flot d'informations supplémentaires.
Pourquoi est-ce que ça ne l'étonnait pas ? La confession à demi-mots de Kizaru valait tous les détails du monde : la fille avait sévèrement trinqué, dans l'histoire – après tout, elle devait être la cible de Kid depuis le moment où Luffy avait posé ses yeux sur elle et en avait enregistré l'image au fond de son inconscient, générant automatiquement fantasmes et desiderata dans une zone dont il ne possédait pas l'accès, encore moins le contrôle.
Les sédatifs de Magellan allaient être davantage qu'un joker, à l'arrivée du patient : ils seraient la carte maîtresse, si Kid n'était pas de retour dans ses pénates.
- Quand est-ce qu'ils arriveront ?
- Les renforts ont déjà fait le nécessaire, et ton patient sera livré de manière ultra-sécurisée à l'asile à vingt-et-une heures.
La poisse.
L'horaire à éviter – celui où les patients étaient supposés dormir, avec ou sans aide médicamenteuse pour certains, et où le silence complet était de rigueur. Voir débarquer une troupe d'abrutis surarmés et aboyeurs n'arrangerait ni ses affaires, ni celles de tous ceux qui demeuraient ici.
Il visualisait déjà d'ici le foutoir qu'ils allaient semer sur leur chemin, l'agitation des patients, les cris dans les couloirs, le branle-bas de combat totalement inutile et stressant, et le lendemain chaotique qui s'ensuivrait immanquablement.
Un vieux reste d'adolescence émergea quelque part au fond de son cerveau, lui suggérant d'envoyer tout promener et de partir s'exiler dans la montagne en attendant la fin du monde, mais il chassa cette idée pour la remplacer par quelque chose de beaucoup plus construit.
- Ultra-sécurisée, oui, bien sûr… Autant sécurisée que les heures qu'il vient de passer entouré d'incompétents ?
- Vingt-et-une heures. Passez une bonne soirée, les gars, railla Kizaru avant de raccrocher.
« Quel enfoiré », songea Law en rangeant son portable dans sa poche, sortant finalement de son bureau pour arpenter les couloirs à la recherche de Shachi, Penguin et le reste de son équipe, histoire de mettre tout le monde au parfum.
Ce n'était pas si catastrophique, s'il regardait ça d'un œil objectif ; Kid aurait très bien pu mettre les voiles, partir loin et se perdre dans la pampa, et se faire oublier. La frontière avec le Mexique était mince, là où il se trouvait ; en vérité, ils bénéficiaient d'une chance insolente – à en juger tous les rapports qui lui étaient parvenus, il y avait peu de choses pour arrêter Eustass Kid, et toute cette catastrophe aurait pu les conduire à un nombre incalculable de morts disséminés ci et là sur sa route.
D'un coup de badge, il franchit les portes de l'aile la plus proche qui menaient à l'extérieur et marcha sous le soleil de la Louisiane, dans la légère humidité de l'atmosphère où certains patients autorisés à sortir à cette heure-ci prenaient l'air, sous le regard attentif des infirmiers. Penguin était là, à inspecter le grillage jalonnant l'allée reliant l'immense portail blindé et les portes du SAS, traquant la moindre imperfection, n'importe quoi susceptible de laisser un patient s'échapper ou blesser quiconque.
Il rajusta son béret et sourit à Law en le voyant arriver, mais son expression changea du tout au tout au fur et à mesure que son supérieur se rapprochait de lui, mains dans les poches de sa blouse pour dissimuler ses poings serrés.
- … nan, me dis pas qu'on a eu une merde, maugréa-t-il en croisant les bras.
- La loi de Murphy, tu connais… ? Le gamin a essayé de se barrer, soupira-t-il en tournant le dos aux patients, histoire que personne ne s'amuse à tenter de lire sur ses lèvres.
- … t'es sérieux ?
- On ne peut plus sérieux. Cette entrée-là, tu l'oublies, ils voudront jamais se conformer aux procédures. Ils vont vouloir passer par la grande porte.
- … ils ont envoyé l'armée ?
- C'est le fils de Shanks, pas le péquenot du coin. Ça ferait tâche, un scandale de plus dans les tabloïds. Je parie mes diplômes que ça ne filtrera même pas dans les infos, souffla-t-il en accrochant du regard, à nouveau, le cadran de sa montre. C'est prévu pour vingt-et-une heures.
- … je fais pas de miracle, tu sais.
- Et pourtant, c'est ce que tu vas faire.
Penguin soutint son regard perçant, un long moment, avant de lever les yeux au ciel en secouant la tête, vaincu, sous le regard narquois de Law qui le regarda tourner les talons et s'éloigner dans l'herbe pour dévaler la pente légère qui menait à l'entrée principale, carnet à la main et crayon derrière l'oreille, prêt à prendre de nouvelles notes pour aménager le transfert de leur futur interné.
Même s'il préférait faire les choses lui-même, Law avait besoin de déléguer, et surtout, son équipe allait devoir faire face au pire scénario possible, à savoir se préparer à l'arrivée d'un garçon plus imprévisible encore que celui qu'ils étaient supposés recevoir plus tôt. Une partie de lui imaginait déjà les contre-arguments des uns et des autres, certains prétendraient sûrement qu'ils devaient s'estimer chanceux d'avoir gagné 3 heures sur le timing, mais ça faisait des jours que Law bossait sur cette procédure et il avait envie de s'arracher les cheveux à l'idée de devoir en changer pour des raisons aussi stupides que l'incompétence et l'imbécilité du genre humain.
À croire que ces types n'avaient pas assez vu d'horreur, dans leur vie, pour se permettre de prendre ses recommandations à la légère.
Ils ne devaient même pas avoir lu le rapport de Monet, à en juger les propos de Shiki.
Sortant son biper, il pressa le bouton supposé mettre son équipe au diapason et se dirigea vers la salle de réunion, son cerveau tournant déjà à plein régime pour compenser l'avarie qu'ils venaient de subir et qui, à son humble avis, n'était que la première d'une très longue série.
. . . . . . . . . .
Jour 18.
Louisiane, près d'Ostrica, 70 miles au sud-est de la Nouvelle-Orléans.
Vingt-deux heures quinze.
Luffy cligna des yeux quand les doubles-portes du fourgon s'ouvrirent dans un grincement sonore, momentanément aveuglé par l'intensité lumineuse du spot braqué sur son visage, et suivit du regard les quatre hommes qui encerclèrent la planche de contention sur laquelle ils l'avaient sanglé quelques heures plus tôt, sûrement après que Kid ait reçu une raclée en règle.
Ses souvenirs demeuraient flous, plongeant dans le noir complet depuis le moment où il avait porté son attention sur Conis.
À son réveil, il s'était retrouvé presque littéralement ficelé de la tête aux pieds, les bras douloureusement étirés par une camisole de force et les jambes nouées des chevilles aux hanches, sans compter le masque qui maintenait sa bouche fermée et lui éraflait la gorge à chacune de ses inspirations – sûrement pour dissuader Kid de mordre à nouveau, à en juger le goût de sang sur sa langue.
Et tout ce qu'il avait eu à faire, pendant la dernière heure où il était demeuré conscient, c'était fixer les fusils mitrailleurs braqués sur lui, entouré d'une poignée d'hommes cagoulés et vêtus de noir qui ne le lâchaient pas des yeux.
Il supposait qu'à un moment ou à un autre, quelqu'un allait lui dresser le bilan du quart d'heure de folie spécial « Eustass Kid », mais que ce moment ne viendrait pas tout de suite ; il avait plutôt droit à une animosité quasi palpable et des regards de type ère glaciaire, ce qui ne présageait rien de bon pour ceux qui l'avaient accompagnés pendant la première partie du chemin.
L'air qui s'engouffrait par les portes ouvertes était humide, très différent de celui de la Californie ; une odeur terreuse, particulière, qui lui comprimait la poitrine – à moins que la camisole ne soit responsable de cet état de fait – et faisait battre son cœur plus vite, son cerveau lui rappelant que sa destination finale, peu importe le pourquoi du comment, était la Louisiane.
À 4.000 kilomètres de la villa de Marina District, de Shanks, Sabo et Nami.
La gorge nouée, il s'efforça de réfréner ses larmes et garda le silence quand ses geôliers poussèrent la planche vers la sortie, le spot les suivant à la trace ; les roues mordirent le sol dans un bruit spongieux, confirmant l'humidité de l'endroit, et des éclats de voix résonnèrent autour de lui. La lumière du projecteur embrassait tour à tour tenues ocres et blouses claires, qui s'entremêlaient autour de lui dans un ballet visuel et sonore étourdissant. Il était incapable de bouger la tête, tout juste bon à remuer les orteils et à faire pivoter ses yeux de droite à gauche ; il faisait nuit noire, mais il distinguait les contours d'un bâtiment aux arêtes vives, des murs plus hauts encore que ceux de San Quentin dotés de barbelés, et des arbres à perte de vue, massés autour d'eux comme une jungle impénétrable elle aussi plongée dans le noir le plus complet. Il percevait le clapotis de l'eau, un peu partout autour de lui, et se trouvait incapable de dire d'où elle venait exactement : l'asile ne pouvait pas se trouver au bord de la mer, l'air iodé étant le grand absent de l'instant, mais peut-être au bord d'un lac. Il ignorait tout de cet endroit, après tout.
Secoué par l'avancée de son chariot redressé, il s'efforça de mémoriser chaque détail qui s'offrait à lui, malgré la cohue qui l'accompagnait sur son passage, aboiements d'hommes comme de chiens, cris, ordres lancés tour à tour et qui semblaient se contredire, par-dessus le marché. De toute évidence, tout ne marchait pas comme chacun l'entendait, et la part la plus sarcastique de lui se demandait qui allait l'emporter : le personnel soignant ou le commando envoyé pour ramener son cul en bonne et due forme là où il était supposé se trouver ad vitam aeternam ?
Une longue fente lumineuse se dessina devant lui, de plus en plus grande – l'ouverture de portes démesurées, ressemblant à celles de San Quentin, et qui le sépareraient dorénavant de ce qui avait été ses seules années de liberté. Avec sa poisse, il vivrait centenaire, et serait condamné à devoir regarder le monde évoluer sans lui.
- Vous allez pas plus loin ! scanda un homme sur sa gauche, bras tendu et main relevée en signe d'arrêt à l'intention d'un des membres du groupe.
- En vertu de quoi ?
- En vertu que c'est pas ta juridiction, tête de nœud, soupira une voix basse et mesurée quelque part en face de lui, la lumière dans son dos empêchant Luffy de voir son visage. T'as été payé pour le ramener jusque-là, j'crois pas que le border et lui conter une histoire fasse partie de tes attributions ? Alors tu décarres ton cul de là, toi et toute ta bande de Texas Ranger et vous vous taillez en vitesse, avant qu'on ouvre la digue et qu'on laisse les crocodiles vous bouloter le service trois-pièces.
Si c'était lui, « Doc La Mort », alors Luffy n'avait pas fini d'en baver, avec un caractère comme celui de Kid, prompt à la provocation et au sarcasme.
Il y eu un autre remue-ménage, quelques mètres en arrière, et une blouse blanche se faufila derrière lui pour le pousser définitivement de l'autre côté de la paroi, les portes se refermant derrière eux dans un chuintement bien plus discret que leur taille le laissait supposer. Il percevait le bruit des gravillons remués sur leur passage, les murmures qu'ils échangeaient et qui lui échappaient totalement, et le ronflement des moteurs de l'autre côté des murs mêlé des voix de l'unité chargée de l'escorter jusqu'à l'asile. Ils approchaient de la clinique et de sa double-porte, une bonne centaine de mètres de là, gardée par deux hommes vêtus de blancs, eux aussi, et ses yeux perçurent l'éclat d'un spot sur le canon d'un fusil long, quelques mètres au-dessus d'eux.
Wow.
De toute évidence, ils ne déconnaient pas avec la sécurité, ici.
Ce qui amenait Luffy à se questionner sur la nature des monstres que renfermaient les murailles de cet endroit – était-il un petit chaperon rouge, dans cet océan, ou faisait-il partie des loups de la forêt… ?
Ils franchirent les portes et le couinement du linoléum prit le relais, dans les couloirs éclairés de néons blancs, laissant la nuit derrière eux pour passer de sas en sas, un type arborant un béret noir et blanc les ouvrant au fur et à mesure de leur passage en alternant badge, codes et reconnaissance digitale – de toute évidence, les phénomènes enfermés ici demandaient une surveillance de tous les instants.
La camisole devenait de plus en plus inconfortable, et sa vessie le rappelait douloureusement à l'ordre, sans compter la tension dans ses muscles et sa nuque ; il remua dans son carcan, soupira lourdement et ferma les yeux, s'efforçant de ne pas prêter attention à ce qui l'entourait pour le moment – il aurait bien le temps de découvrir les méandres de cet établissement quand il n'aurait que ça à faire, dans les années à venir.
Amer, il déglutit pour faire partir la boule de sa gorge et fixa le long couloir au bout duquel ils venaient de s'arrêter, et suivit du regard la silhouette qui contourna la planche qui le soutenait.
C'était un homme, ce qui confirmait sa première impression, le genre de type sportif qui vous mettait des complexes à l'école ; grand, les épaules larges et éminemment musclé sous sa tenue d'infirmier, il n'avait pas à première vue le look clinique qu'on attendait pour quelqu'un de sa profession. Ses cheveux bruns étaient relevés en queue-de-cheval, dégageant son visage constellé de taches de rousseur, et il arborait une allumette au coin de sa bouche, là où beaucoup y calaient cure-dents ou bâton de sucette.
- … booooon, nous y voilà… soupira-t-il en feuilletant le cahier qu'il avait entre les mains, toisant le jeune homme d'un regard incertain. C'est ça, la terreur… ? T'as plutôt une bille de clown…
Il parcourut les feuilles du regard, haussa le sourcil et le fixa de nouveau, arborant cette fois un air plus circonspect.
- … hn-hnn. Ah ouais, quand même. J't'ai à l'œil, toi.
Il tendit la main et dégrafa la sangle qui maintenait le masque sur son visage, libérant sa mâchoire et l'arrière de son crâne par la même occasion. Luffy s'étira longuement la nuque et bâilla, s'attirant enfin le sourire de celui qui le dévisageait.
Il avait l'air beaucoup plus sympa, vu comme ça.
- Je suis Portgas D. Ace, ton infirmier attitré. T'apprendras vite le fonctionnement de cet endroit, mais pour cette nuit, tu vas avoir droit à quelque chose d'un peu plus condensé. Lui, c'est Shachi, et lui, c'est Penguin, poursuivit-il en désignant les deux hommes qui l'encadraient. Ils vont m'aider à t'emmener dans ta chambre, je te parlerai d'eux plus tard. On va t'amener à la salle de bain, ici c'est hygiène corporelle irréprochable, et après t'iras faire dodo. Les règles du moment : tu te tais, tu discutes pas, et tu te tiens bien. J'ai pas envie de t'avoir dans le collimateur. C'est clair… ? conclut-il en lui jetant un regard entendu.
- … très clair, oui, murmura Luffy. Je vais faire de mon mieux.
- Et moi je vais faire en sorte de pas répéter les mêmes conneries que les autres débiles. Deal… ?
- … deal, concéda l'adolescent.
- Alors en route.
Ace fourra le dossier dans les bras de Shachi et poussa le plateau dans le couloir aux murs immaculés, laissant à Luffy le loisir d'examiner ce que recelait chaque porte – sanitaires, douches, nécessaires à la toilette. Ils s'arrêtèrent une fois arrivés au bout, tournèrent dans une grande pièce ressemblant aux douches communes d'un gymnase, à ceci près que la porte comportait un nombre de verrous non négligeable. Ace referma derrière eux et verrouilla d'un tour de clés, clés accrochées à sa hanche – note mentale pour Kid, si c'était possible : il allait falloir les lui arracher si besoin, et Luffy pariait que ça ne serait pas si évident que ça le paraissait, même pour son alter-égo dérangé.
Lentement, l'infirmier entreprit de dégrafer chaque sangle, chaque tenseur, chaque ceinture qui le maintenaient prisonnier, relâchant peu à peu la tension qui l'empêchait depuis des heures de prendre une quelconque inspiration un peu trop profonde ; la veste se détendit et Ace tira dessus, dégageant ses bras noués autour de lui, libérant sa cage thoracique et la courbure trop prononcée de son dos. Tremblant, Luffy déplia ses bras et les allongea devant lui, savourant littéralement la sensation de liberté qui désengourdissait chacune de ses articulations. Il s'étira longuement, pendant qu'Ace lui déliait les jambes, et se raccrocha à lui quand ses genoux flageolants manquèrent se dérober sous lui.
- … ça va aller… ? s'enquit-il en le maintenant sur ses pieds.
- … ouais. Je crois.
Il se détourna, prenant appui sur le mur, et tressaillit en voyant son reflet dans le miroir qui surplombait une des vasques à quelques mètres de là.
Il était méconnaissable ; même si Sabo prenait un malin plaisir à se foutre de lui quand il était question de pilosité, on remarquait très clairement qu'il n'avait pas approché un rasoir depuis plusieurs jours. Il était cerné, et du sang avait séché sur son visage – sûrement le résultat d'un bon coup sur la tête destiné à calmer Kid. Les autres éclaboussures qui le maculaient étaient la preuve que ce sang-là n'était pas le sien.
Il n'avait jamais été très à cheval sur l'aspect physique, mais pour sûr que Nami aurait hurlé en voyant l'état de crasse avancée de ses cheveux.
Il ne sentait pas spécialement la rose non plus, en nage, enfermé dans une cellule aveugle 24/7 et transbahuté dans un espace confiné de désert en désert.
L'envie de se laver était quasiment viscérale, au point où il en était ; il s'appuya au lavabo et passa une main sur son visage, gravant chaque centimètre carré de son apparence dans sa mémoire.
Après tout, quitte à être au fond du trou, autant le faire avec panache.
Ace lui tendit un sac, dont il inspecta le contenu avec une pointe de curiosité : le minimum syndical de l'hygiène s'y trouvait, avec brosse à dents, dentifrice, shampoing, savon, et même un rasoir. Il jeta un coup d'œil perplexe à son gardien, qui se contenta d'un sourire flegmatique.
- … je récupère tout avant que tu n'ailles dans ta chambre. S'il manque quelque chose, crois-moi, t'aimeras pas la fouille qu'on va te faire.
Message reçu.
- Je peux pas te laisser seul, alors je vais me mettre dans un coin et te laisser tranquille. Je compte sur toi pour pas foutre la merde, j'ai pas envie de t'aligner les dents du même côté.
Ce message-là aussi était reçu.
Première chose : se brosser les dents. Le geste mécanique lui rappela les batailles de dentifrice avec Sabo, les hurlements de Nami qui se retrouvait prise entre deux feux, le rire de Shanks qui résonnait dans la maison à les entendre se chamailler comme les gosses qu'ils étaient. Une énorme nostalgie qui le prenait à la gorge, et qui l'obligeait à fuir son reflet – par peur de ne plus y voir la lueur d'amusement qu'il arborait toujours, auparavant, et de s'enfoncer plus encore dans la mélancolie, jusqu'à n'avoir plus qu'une seule idée en tête : en finir en bonne et due forme.
Il se rinça la bouche et laissa la vasque se remplir d'eau tiède, se savonnant les mains pour en enduire ses joues tout en fixant un point neutre par-dessus son épaule, assez pour deviner les contours de son visage sans pour autant en affronter l'image. Il sortit le rasoir et fixa les lames, un bref instant, laissant l'idée lui traverser l'esprit assez longtemps pour en considérer tous les avantages et les inconvénients.
Terriblement tentant.
Mais totalement vain, il en était pleinement conscient.
Déglutissant, il porta le rasoir à sa joue et se rasa mécaniquement, dans le silence le plus complet, sous le regard d'Ace qui se tenait adossé au mur carrelé, bras croisés sur sa poitrine – pensif. Pas de crainte, de dégoût ou de mépris dans ses yeux.
Par infirmier attitré, qu'est-ce qu'il entendait, exactement ?
Est-ce qu'il serait la caricature du type qui le forcerait à ingérer ses cachets tous les jours, qui le laverait à coup de tuyau d'eau et le tiendrait quand viendrait le temps de la lobotomie ?
Il ferma les yeux quand les lames raclèrent sa pomme d'Adam et retint son souffle, tentant de juguler le léger tremblement de ses doigts – la moindre goutte de sang risquait de rendre Kid complètement dingue, après sa tentative d'échappatoire totalement ratée, et ce n'était pas le moment de tester les limites de son gardien, surtout à cette heure-là de la nuit. Il secoua le rasoir dans l'eau et osa un regard dans le reflet, pour voir ce qu'il en était : son visage avait retrouvé un semblant d'humanité, mais des heures de sommeil manquaient encore au compteur. Il s'aspergea d'eau tiède et ne s'embarrassa pas des gouttes qui ruisselaient sur son visage, se détournant du miroir pour rejoindre la douche la plus éloignée. Lentement, il tira son tee-shirt taché de sueur et de sang par-dessus sa tête et le lança sur le côté, ôtant son maillot de corps avec un temps d'hésitation – sans être spécialement pudique, être le seul à se déshabiller dans la pièce immense sous le regard de quelqu'un était intimidant. Il dégrafa son pantalon et le tira sur ses chevilles, inspirant profondément avant de faire de même avec son sous-vêtement, qu'il abandonna à quelques mètres de là.
Il entendit toussoter derrière lui et jeta un regard par-dessus son épaule, juste à temps pour lever les bras et intercepter le pain de savon qu'Ace lui lançait depuis le lavabo.
- … sois généreux, sourit-il en haussant le sourcil.
OK.
Il schlinguait, c'était clair.
Il pressa le bouton poussoir de l'arrivée d'eau et se tendit quand elle ruissela, glacée, sur ses épaules, avant d'atteindre une chaleur bienvenue qui laissa échapper un panache de vapeur quand elle ricocha sur son crâne ; il se frictionna avec la savonnette, regardant la mousse grisâtre s'évacuer dans la bonde, laissant sa peau à nue, enfin débarrassée de la crasse qui le collait depuis ce qui lui semblait être des jours, à présent. Le sang fut bien plus difficile à faire partir, mais Luffy n'avait pas l'intention de passer une minute de plus poisseux d'une hémoglobine qui n'était pas la sienne.
Il se frotta la peau jusqu'à s'écorcher, réprimant de moins en moins les sanglots qui lui serraient la gorge, et se laissa tomber au sol dans un bruit mouillé, visage enfoui dans ses genoux ramenés contre lui ; il tira sur ses cheveux et laissa ses larmes se mêler à l'eau qui s'épanchait sur lui, oubliant Ace, l'asile, les heures dans la fournaise du fourgon, pour se couper de tout le reste et pleurer, encore une fois, encore un peu plus, jusqu'à ce que, peut-être, ses larmes aient emporté tout ce qu'il lui restait d'amertume pour un long, très long moment.
Il se haïssait jusqu'à avoir atteint un point de non-retour, peut-être même plus encore qu'à son réveil dans sa chambre souillée du sang de Néfertari Vivi – qu'est-ce qu'il se passerait, cette fois-ci, quand le monde entier saurait qu'il avait fauté une fois de plus ? Que diraient Shanks, Nami, Sabo… ? Que penseraient ceux qui avaient été ses amis, qui devaient certainement être en train de faire le douloureux travail de l'oubli, pour le rayer définitivement de leur vie ?
Luffy resta recroquevillé sur lui-même, immobile sous le jet d'eau, pendant ce qui lui sembla être un temps incroyablement long, sans qu'Ace n'esquisse le moindre geste pour l'en sortir. Et, en toute sincérité, Luffy ne doutait pas un seul instant que ce traitement de faveur ne se prolongerait pas au-delà de cette nuit ; il allait bientôt devoir se conformer à une routine qui le rendrait fou, à coup sûr, lui épris de liberté et de libre-arbitre.
Ces murs auraient raison de sa santé mentale bien plus vite que les conneries répétées de Kid, c'était un pari qu'il était prêt à prendre.
Des coups à la porte de la salle d'eau le sortirent de ses pensées lugubres, assez pour qu'il distingue à travers le bruit de la douche une voix autre que celle d'Ace annoncer que le chemin était de nouveau sécurisé, ainsi que l'accès au grand portail extérieur.
L'occasion pour Luffy de se demander jusqu'où s'étendaient les mesures de sécurité prises par le fameux « Doc la Mort », qu'elles le concernent lui ou le reste de la population hébergée dans cette petite forteresse perdue dans le bayou, lui rappelant brièvement le clapotis de l'eau qu'il avait perçu un peu plus tôt, à l'extérieur.
Oh, il ne doutait pas un seul instant que Kid ne perdrait pas une seule occasion d'exploiter la moindre petite brèche, et bien plus tôt qu'ils ne le pensaient, ici.
- … faut y aller, Luffy, lança Ace à l'autre bout de la pièce.
Il acquiesça, inspira lentement et expira longuement, jugulant les battements effrénés de son cœur, avant de se redresser et de couper l'eau, tressaillant en sentant une serviette tomber sur ses épaules.
Ace, qui gardait le regard obstinément levé vers un des velux, sûrement dans une petite tentative de lui laisser un peu de pudeur ; Luffy le remercia à voix basse et se frotta les cheveux, se séchant le dos en se contorsionnant, grimaçant à chaque étirement un peu trop douloureux de ses muscles ou un ecchymose trop sensible – l'unité d'intervention n'y avait pas été de main morte, et Kid avait certainement dû se distinguer, une fois de plus.
Il enfila les vêtements que l'infirmier lui tendait, passant le tee-shirt blanc à col en V et le pantalon en coton qu'il soupçonnait d'être la tenue réglementaire pour tous les patients ; ils étaient ajustés et il ne doutait pas non plus que toutes ses mesures étaient connues sur le bout des doigts par le personnel en présence. Rien n'était laissé au hasard, de toute évidence, et nul doute que Kid prendrait un malin plaisir à semer la pagaille dans la routine sédative de cet endroit.
Il passa ses doigts dans ses cheveux mouillés pour les discipliner et tendit ce qu'il restait de ses affaires à Ace, qui les inspecta soigneusement – la fameuse étape « anté-fouille » qui pouvait laisser présager une suite désagréable – avant de lui faire signe de le suivre, sortant de la pièce embuée de vapeur pour l'emmener à travers les couloirs immaculés ; il sentit une présence derrière eux et se retourna, brièvement, pour voir Shachi et Penguin à quelques mètres d'eux, mains dans le dos, visiblement dédiés à son escorte. Il reprit sa marche, s'arrangeant pour se maintenir à la hauteur d'Ace, observant à loisir ce qui l'entourait : des portes, des portes, et encore des portes, toutes verrouillées à première vue. À son regard curieux, Ace se contenta de lui murmurer qu'il s'agissait des chambres des patients, et qu'il fallait respecter un silence absolu quand on se déplaçait dans ce couloir à vingt-et-une heures passées.
Vingt-et-une heures.
Couchés comme des enfants.
Cette pensée fit grincer Luffy des dents, mais il ne commenta pas – il avait toujours été un couche-tard, comme Shanks, a contrario de Sabo et Nami qui se réveillaient à l'aurore, immanquablement, là où lui et son père pouvaient dormir jusqu'à midi sans broncher ; une petite voix lui chuchota que les grasses matinées n'étaient sûrement pas autorisées, ici, d'où l'horaire de collégiens internes avec l'extinction des feux parfaitement réglée.
Ace s'arrêta devant une des portes demeurée entrouverte et ouvrit en grand le battant, invitant Luffy à entrer d'un geste élégant.
- Monsieur, vos quartiers, sourit-il.
L'adolescent esquissa un sourire à son tour et passa la tête dans l'encadrement, pas certain de ce qu'il allait y trouver, et la surprise qui fit tressaillir son cœur dût se peindre sur son visage, car l'expression enjouée d'Ace passa à un franc amusement.
Lentement, Luffy pénétra dans la pièce et tendit la main pour toucher le lit tendu au carré avec une des parures de drap qui se trouvait dans sa chambre, au Marina District. Quelques-uns de ses vieux posters y étaient également accrochés, sans compter les quelques photographies de famille fixées au-dessus de sa tête de lit. Son baladeur était également là, posé près de son oreiller, à côté d'une vieille peluche que Nami lui avait souvent prêtée, quand il était enfant.
Il jeta un regard interrogateur à Ace, Shachi et Penguin, et c'est son référent qui prit la parole pour trois.
- Ça fait un moment qu'on prépare ton arrivée. On a demandé à ton père de nous faire parvenir quelques-uns de tes effets personnels, histoire que tu ne soies pas trop… déboussolé. On verra plus tard pour agrémenter un peu plus cet endroit, mais c'est un bon début… non ?
- … si. C'est… c'est bien, bredouilla-t-il en s'asseyant au bord de son lit, caressant le tissu sous ses paumes.
- On va te laisser dormir, t'en as besoin. Demain, petit-déjeuner de six heures à neuf heures, je viendrai te réveiller si tu ronfles encore, murmura Ace en jetant un coup d'œil à sa montre. T'as un coin toilettes, à gauche, derrière la paroi. L'eau du robinet est potable, si t'as soif, te gênes pas.
- ... vous fermez à clé… ?
- Non-négociable, intervint Penguin en ajustant son bonnet. Mais y'a toujours quelqu'un dans ce couloir, t'es pas tout seul.
Pour être honnête, Luffy s'attendait surtout à avoir le droit de passer une nuit en cellule capitonnée et sanglé de la tête aux pieds, et cette première approche allégeait la chape de plomb coulée sur ses épaules. Ce n'était pas le Ritz, clairement, mais c'était loin d'être l'asile de fou glauque à souhait qu'il s'était imaginé.
- … bonne nuit, Luffy, sourit Ace en reprenant son trousseau.
Il hocha la tête, pas vraiment certain de savoir lui-même pourquoi ; ils refermèrent la porte et il était impossible de manquer le bruit distinct des clés dans les verrous, le mécanisme complexe qui courait le long du chambranle et qui ne manquerait pas de donner du fil à retordre à qui de droit.
Se mordillant la lèvre, il s'allongea sur son lit et se lova sous la couverture, nichant son nez dans sa taie d'oreiller, qui portait encore la fragrance lointaine de la lessive que Shanks avait pour coutume d'utiliser pour laver les draps ; il sentit les larmes revenir, déborder sur ses joues et s'échouer sur l'oreiller, mais il n'essaya pas de les retenir, cette fois-ci.
Celles-ci n'étaient ni amères, ni coupables.
Ace, de son côté, s'assura d'avoir correctement verrouillé le battant avant de se détourner avec lassitude, s'étirant dans un bâillement prononcé qui déclencha automatiquement ceux de Shachi et Penguin, à ses côtés. Ils échangèrent un sourire mais se gardèrent de ricaner ou de s'exprimer à haute voix : ici, la règle du silence était d'or, et ils l'avaient suffisamment brisée en amenant Luffy à sa chambre.
Ils passèrent les SAS sécurisés et remontèrent dans les étages, se séparant en arrivant au premier palier, le binôme bifurquant pour rejoindre une autre aile du bâtiment, Ace continuant sa marche silencieuse jusqu'au bureau de Law, qu'il savait occupé à remplir sa paperasse à cette heure-ci. Et, une fois de plus, son habitude ne le trompa pas : le psychiatre était littéralement dissimulé derrière sa desserte où s'entassaient des piles entières de documents, de classeurs et de dossiers quelconques, et le bruit régulier de son stylo-plume sur le papier indiquait qu'il était en pleine séance de signatures en tous genres. Bilans, expertises psychiatriques, ordonnances, factures…
Ace était satisfait de ne pas avoir à gérer ce genre d'ennuis ; il préférait largement avoir affaire à un patient agressif plutôt qu'à la moindre agrafeuse, et c'était justement pour ça qu'il bossait avec le type le plus maniaque de l'Etat.
Toquant à la porte pour la forme, il traversa la pièce pour rejoindre la méridienne installée entre les bibliothèques et s'y laissa tomber dans un soupir d'aise, croisant les pieds sur l'accoudoir, mains derrière la tête, faisant passer l'allumette d'un coin à l'autre de sa bouche dans un geste mécanique.
Le silence s'étira, uniquement troublé par le grattement de la mine sur les copies et le tic-tac de l'horloge, avant que la voix de Law ne s'élève enfin, si basse qu'elle en serait presque inaudible.
- … alors ?
- Alors quoi ?
- Dans sa chambre sans faire d'histoires… ? soupira le psychiatre.
- T'entends les sirènes ?
- … non.
- Alors il est dans sa chambre. Sans faire d'histoire, paraphrasa Ace sans lâcher le plafond des yeux.
Le grincement de la chaise, à quelques pas, lui signifia qu'il avait toute l'attention de son interlocuteur.
- Ta première impression ?
- Pas facile à dire. Il est pas comme je me l'étais imaginé.
- Tu t'attendais à quoi, sérieusement… ?
- T'as eu le rapport de l'unité de Kizaru ? éluda Ace en tournant la tête dans sa direction.
Law regardait fixement par la fenêtre, immobile et inexpressif, comme à son habitude.
S'ils n'étaient pas meilleurs amis, Ace aurait facilité à penser qu'il n'avait pas écouté un traître mot de ce qu'il venait de dire, mais il le connaissait assez pour savoir que ce n'était rien de tout ça.
Le psychiatre était simplement plongé dans ses pensées, pris par des préoccupations qui échappaient souvent à la plupart des membres de son équipe ; quand la majorité du personnel pensait étape 1, lui était déjà à envisager la numéro 5, son esprit fourmillant d'idées au point qu'il ne s'y perde pendant de longues heures. Et ces absences avaient du bon, quand elles lui permettaient d'avancer dans les thérapies qu'il menait avec ses patients. Nul doute qu'en ce moment, il devait déjà échafauder ses prochains plans pour décortiquer tout ce que Luffy avait à cacher derrière sa carapace inouvrable, le tout avec une minutie qui était totalement étrangère à Ace – et pourtant, Dieu seul savait qu'il lui faisait confiance pour toujours savoir quoi faire, quoi dire, et de quelle manière.
- … il y a cinq minutes, oui, murmura-t-il sans quitter la fenêtre du regard.
- Ça donne quoi ?
Law tendit le bras sur le côté pour saisir une chemise cartonnée et la lancer sur les genoux d'Ace, qui l'ouvrit d'une chiquenaude pour parcourir les pages en diagonale.
Blueno était l'agent que Luffy – Kid – avait envoyé dans un sommeil trop profond pour en être sorti sans dégâts irrémédiables ; ils allaient certainement le débrancher s'il ne montrait aucun signe d'amélioration dans les jours à venir, ce qui était fortement probable rien qu'à en juger les photographies jointes au rapport. S'il n'était pas inscrit en légende qu'il s'agissait du visage de Blueno, Ace l'aurait vraisemblablement confondu avec une purée tomate-aubergine, tant il était difficile de trouver figure humaine dans cet amas de chairs tuméfiées.
Kaku avait une clavicule et une cheville fracturées, mais il était le seul sur lequel Kid n'avait pas mis la main, de toute évidence – ses blessures étant les conséquences directes de leur roulé-boulé sur le bas-côté. Il avait conservé ce qu'il lui restait de sang-froid pour appeler les renforts, mais à en juger la nature de ses échanges avec Kizaru, il ne souhaitait pas demeurer au sein de l'équipe une fois sa convalescence terminée. Il en avait certainement assez vu pour toute une vie, en quelques heures, presque trop pour un fonctionnaire de son rang, suffisamment pour souhaiter voir ailleurs.
Shiki n'allait pas pouvoir marcher de nouveau avant d'interminables mois, à en croire le rapport de l'urgentiste concernant l'état de ses jambes, dont Kid avait fait une affaire personnelle, s'acharnant jusqu'à rendre les membres et leurs articulations hors service, au point de faire envisager l'amputation à l'équipe médicale. Juste derrière Kaku, il arrivait en deuxième position sur l'échelle de l'aubaine, le troisième étant Blueno, qui avait eu l'incroyable chance de s'évanouir dès le premier coup au visage.
Ace haussa un sourcil en parcourant la page dédiée à Conis, qu'il relut une seconde fois pour être certain d'avoir tout assimilé, et jeta un regard un biais à Law toujours figé dans sa contemplation de l'extérieur plongé dans le noir.
- Est-ce qu'on l'élève au rang de Ted Bundy ou on attend un peu avant de se faire une idée… ? hasarda-t-il.
- Il n'est pas encore à 100% de ses capacités, j'en suis sûr, soupira Law en daignant enfin croiser le regard d'Ace. Et même si une partie de moi a vraiment envie de savoir jusqu'où il est capable d'aller, une autre partie me dit que je devrais plutôt le garder loin de tout le monde.
- Si tu comptes lâcher le lion dans l'arène et faire durer le spectacle, assure-toi de pas laisser tes gladiateurs à poil. S'te plaît. Sans vouloir te commander.
Law secoua la tête en souriant et croisa les jambes, faisant tourner son stylo entre ses doigts.
Distrait par ses pensées, encore une fois.
- Ne t'en fais pas. Je n'ai pas l'intention de laisser un tel fiasco se reproduire ici. Pas sous ma responsabilité.
- Ouais, 'fin t'es sympa, mais c'est moi qui me retrouve avec lui 24/7.
- Tu aurais préféré que ça soit Bonney ou Lami, peut-être… ?
- … mec, j'suis sûr que ta sœur lui imposerait bien plus le respect que toi ou moi, sourit Ace sans faire le moindre effort pour dissimuler son rictus railleur.
- À méditer. Va dormir, et profite de Morphée, parce que quelque chose me dit qu'on ne va pas avoir beaucoup l'occasion de fermer l'œil, dans les semaines à venir, conclut Law en ôtant ses lunettes pour se frotter les yeux.
Ace n'émit pas le moindre commentaire en se redressant, ne prenant pas la peine de souhaiter une bonne nuit au directeur d'établissement – il savait pertinemment qu'il avait toutes les chances de ne pas dormir, et de passer les prochaines heures à relire inlassablement tout ce qui avait conduit Monkey D. Luffy entre les murs de l'asile.
Entre ses mains, ni plus, ni moins.
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Réponses aux guests :
Yuh : Hey ! Ah, allez, le prochaine chapitre ne termine pas avec un petit suspens, il est plus relax (enfin... à mon avis...). Yep, j'avais envie de faire intervenir Lami, et comme c'est un personnage dont on sait peu de choses, ça va permettre un peu de libertés sur son caractère. Oh, Zoro, c'est vrai que je l'aime bien... peut-être sera-t-il de la partie, dans cet asile...? Fufufu. Merci beaucoup, c'est un plaisir pour moi de voir que tu apprécies toujours autant !
Crow : Bonjour bonjour ! Je ne parcours que peu de fics VF également, beaucoup me mettent mal à l'aise vis à vis de ma langue natale x) D'autres personnages vont faire leur entrée au fur et à mesure de la fiction, il reste pas mal de monde en coulisses, qu'il s'agisse de personnel ou de patients. Et je ne trolle pas, la privation de nourriture rend les gens très agressifs en général, je pense que le mode survie est inscrit dans nos gènes, y'a qu'à voir comment les gens se comportaient quand je travaillais en fast-food... Pour Shiki, j'ai essayé d'en faire une caricature de vieux con qui a tout vu et tout fait, celui qui prend bien cher la plupart du temps... ahem.
Pôle emploi regorge de pépites... ahem... J'en aurais tellement à raconter aussi, je n'ai de la chance qu'une seule fois en tombant sur quelqu'un de très compétent et, par extension, pas pénible. J'ai un ami, son boulot c'est Administrateur Systèmes et Réseau, et sa conseillère l'avait inscrit à un module obligatoire de 4h sur "Mettre son CV sur Internet". Il a gentiment expliqué que c'était aussi utile pour lui qu'envoyer un Conseiller en Recrutement à un module sur "Comment faire son CV", ça s'est envenimé et il a fini par la traiter de tous les noms, avant de se dépêcher de trouver un job pour pas avoir à aller à cette formation. Merci pour ta review, à très bientôt, profite de cette fin d'année !
Niyu : Hello ! AH, oui, c'est vrai, Law semble avoir accepté un peu trop facilement, mais ce n'est pas par hasard, héhé. C'est bien de l'avoir souligné, toutefois ! Merci, à la prochaine :)
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On se revoit fin janvier pour l'intégration de Luffy au sein de la clinique...
Je vous souhaite de bonnes fêtes, pour ceux qui peuvent en profiter !
