Ohayo mina !

Vous la vouliez, vous l'attendiez... vous l'avez !
La rencontre entre Doc La Mort et Luffy, en ce lendemain de Saint-Valentin... avec quelques vagues sur la mer jusque-là calme et lisse. Rien de bien méchant, ni d'extraordinaire, mais Law va pouvoir constater la rentabilité de son investissement !

Bien entendu, j'ai légèrement romancé la chose, n'est-ce pas... sinon, ça ne serait pas drôle, et ça ne corserait pas le jeu, mais je garde tout de même le réalisme nécessaire à l'histoire.

Je ne vous inonde pas plus d'infos pas forcément utiles, et...

Enjoy it !


Chapitre 13 :

Jour 22. Confrontation.

Louisiane, près d'Ostrica.
Bureau de Trafalgar Law.

- Alors… ? Comment ça se passe, avec Luffy… ? soupira Law en portant sa tasse de café à ses lèvres.

Ace haussa un sourcil, lorgnant le psychiatre par-dessus son livre, dans le silence du bureau désert, à cette heure-ci ; cette demande sortait littéralement de nulle part, à en juger le mutisme dans lequel ils s'étaient tous deux plongés depuis le matin, chacun absorbé dans son propre travail.
Parfois, l'infirmier avait vraiment du mal à sonder les tréfonds des pensées de son meilleur ami, au point qu'il n'en devienne un étranger, comme dans ces moments-là.

- Je me tape trois pages de rapports tous les soirs pour ton bon plaisir, et tu me demandes de te faire un retour verbal… ? Tu veux pas non plus une présentation Powerpoint, tant que tu y es… ?

- Ton rapport est purement clinique.

- Parce que c'est toi qui l'as conçu comme ça, rétorqua Ace du tac-au-tac. Les sentiments c'est un truc que tu saisis pas, alors comment tu veux que je t'amène ça correctement, au juste ?

- Fais comme tu le sens.

Oh, il avait envie de le frapper.
Rien que pour le fun, histoire de voir si les heures qu'ils passaient à s'entraîner en valaient la peine ou non. Pour sûr qu'à première vue, avec son mètre quatre-vingt dix bien tassé, Law semblait pouvoir prendre le dessus, mais Ace en avait à revendre, et ce n'était pas pour rien qu'il avait été affecté à la surveillance de leur dernier patient arrivé entre ces murs.

Poussant un soupir mêlant consternation et dépit, il reposa son livre et se passa une main sur le visage, tentant de grappiller quelques secondes de répit avant d'avoir à livrer ses impressions sans filtre, et sans la distance que toute écriture papier permettait d'observer.

- Par où tu veux que je commence ?

- Sens-toi libre.

- Il sanglote toutes les nuits parce qu'il flippe d'être tout seul.

Law se figea dans son geste, à savoir amener une énième fois son mug à sa bouche pour ingérer une dose de caféine en plus, et riva ses yeux gris dans ceux d'Ace parfaitement immobile et loin de se laisser démonter, un début d'insolence visible sur ses traits qu'il tentait de conserver les plus figés possible, pour éviter que Law ne lise plus qu'il ne le devait.

- … je vais arranger ça. Autre chose ?

- Il se fait chier. C'est pas Enrico Fermi mais il cogite bien, et tu le sais mieux que personne, l'oisiveté est mère de tous les vices. Si tu lui donnes pas matière à se faire les dents, j'ai l'impression que quelqu'un va se charger de foutre la merde avec un soin tout particulier.

- Je gère ça aussi. Interactions ?

- Comme tu l'as exigé, aucune avec les autres patients ; il a fait à peu près le tour de toute l'équipe, même s'il a un mal de chien à retenir les noms de tout le monde, mais je crois que c'a toujours été un trait de personnalité, chez lui. Il est à la limite de la politesse avec tout ce qui est du genre féminin, la plupart du temps il les ignore ou ne leur adresse pas la parole, mais c'est par trouille de faire un écart.

- Je compte sur toi pour l'avoir à l'œil, un débordement de situation comme au Texas est inenvisageable, ici.

- Il va falloir que tu bosses sur ça avec lui, alors.

- … est-ce que tu serais en train de me dire comment faire mon travail… ? sourit Law en croisant les jambes.

- Est-ce que tu serais pas en train de me dire comment faire le mien ? répliqua le jeune homme en coinçant une allumette au coin de sa bouche.

Un partout, balle au centre.
Ace s'étira et croisa ses mains derrière sa tête, dardant sur Law un regard narquois, tous deux pris dans un de leurs matchs silencieux – un jeu de regards, qu'ils avaient coutume de suivre quand les mots ne pouvaient exprimer ce qu'ils ressentaient réellement ; tous deux étaient d'un naturel susceptible, et leurs divergences d'opinion les menaient souvent à ce genre d'interférences.
Ils restèrent un long moment à se fixer sans dire un mot, jusqu'à ce que le bruit de phalanges contre le bois de la porte de Law ne les sorte de leur joute visuelle, brisant leur échange muet.

- … entrez, murmura Law en lançant un dernier regard appuyé à son vis-à-vis signifiant qu'ils n'en avaient pas terminé.

Le battant s'ouvrit sur Bonney et sa main levée où se balançait une montre à gousset, ce simple geste se passant du moindre commentaire – l'heure du rendez-vous approchait, et ils n'avaient plus le temps pour leurs enfantillages.

Ace récupéra ses livres et le carnet où il prenait ses notes et se leva, prenant soin de bien racler sa chaise sur le parquet pour montrer que lui non plus n'avait l'intention d'en rester là, tournant le dos au psychiatre pour quitter la pièce, contournant Bonney pour remonter le couloir en direction des chambres, où il savait qu'il allait immanquablement retrouver Luffy, puisqu'il n'était pas autorisé à se mêler aux autres internés tant que Law ne l'aurait pas examiné lui-même. Ce qui ne devrait plus tarder, vu que le rendez-vous qui suivait était le sien.
Il dévala les marches qui menaient au rez-de-chaussée, traversa la salle commune qui commençait tout juste à se remplir après le déjeuner, rejoignant le dernier accès badgé donnant sur les portes alignées, qu'il remonta en s'efforçant de ne pas presser le pas – le calme étant la règle ultime, à cet endroit, quand bien même il s'agissait du jour et non pas de la nuit.
Il sortit son trousseau de clés, fouilla un instant et en glissa une dans la serrure de la porte identifiée au matricule de Luffy, s'arrêtant un court instant pour frapper et s'annoncer, avant d'entrouvrir le battant et de jeter un coup d'œil à l'intérieur.

Luffy était étendu sur son lit, les yeux fermés, écouteurs dans les oreilles, ses mains levées mimant un quelconque accord de guitare qu'Ace aurait bien été en peine d'identifier – il s'appuya au chambranle de la porte et resta un moment à l'observer, l'écoutant fredonner parfois, de son timbre si particulier.

Il se rappelait parfaitement de ce qu'il avait vu dans l'enregistrement diffusé pendant l'audience, celui où Kid se distinguait par son vocabulaire coloré et ses menaces franches et directes, et il se demandait chaque jour qui allait-il bien pouvoir trouver derrière la porte de la chambre quand venait l'heure de sortir le lion de sa cage. C'était diamétralement opposé à ce qu'il avait pu voir de Luffy et, curiosité malsaine mise à part, il n'était pas pressé de voir ce que pouvait donner une crise de nerfs de la part d'Eustass Kid, notamment après avoir lu en long, en large et en travers ce qu'il s'était passé dans cette camionnette échouée au bord de la route.
La langue entre les dents, Luffy battit la mesure de son pied sur le montant de son lit, arrachant un sourire à Ace qui n'esquissa pas le moindre geste pour l'interrompre, plongé dans ses propres souvenirs, ceux où il jouait avec la distorsion de son ampli jusqu'à ce que son père ne lui lance une chaussure à travers l'entrebâillement de sa porte – cette pensée lui fit mal, quelque part au creux de sa poitrine, endroit qu'il croyait pourtant devenu insensible au fil des années, et il ne put s'empêcher de se gratter, là où le picotement semblait s'étendre jusque sous sa peau, dans une tentative dérisoire de chasser cette sensation désagréable.

- Reach out and touch faith, your own personal Jesus, someone to hear your prayers…, scanda-t-il en dodelinant de la tête.

- Version Depeche Mode ? lança Ace en espérant passer par-dessus la musique.

Luffy ouvrit les yeux et se redressa dans le même élan, arrachant ses écouteurs de ses oreilles qu'il fourra hâtivement sous son coussin, sous le regard intrigué d'Ace qui ne put s'empêcher de sourire devant son embarras.

- Hé, relax. T'as le droit d'écouter ta musique.

- … version Marylin Manson, marmonna-t-il en s'asseyant en tailleur sur son matelas, mains ramenées entre ses jambes.

Position de défense classique, qu'il ne quittait pas depuis son arrivée, passant son temps à contempler la fenêtre, bras croisés, souvent silencieux, jusqu'à l'immobilité parfaite – personnalité qui contrastait avec tout ce qu'ils avaient pu apprendre de sa vie passée, et qu'Ace n'avait pas encore pu déchiffrer. C'était principalement le boulot de Law, de faire ça, mais il demeurait tout de même le spectateur du premier rang, de par sa proximité avec Luffy, et un acteur direct s'il le fallait.
Voilà pourquoi c'était à lui de lui annoncer le programme pour le reste de la journée, qui ne serait peut-être pas conforme à ce que l'adolescent avait imaginé.

- Comment était le déjeuner… ?

- … correct. Pourquoi ?

- J'ai mis de l'arsenic dans ton riz, j'voulais voir c'que ça donnait niveau digestion, répliqua Ace en levant les yeux au ciel. C'était juste pour savoir, y'a pas de bonne ou de mauvaise réponse, tu sais… ?

Il tira la porte derrière lui, pas assez pour la fermer, mais suffisamment pour leur laisser un semblant d'intimité. Luffy le regarda faire sans broncher, mais Ace ne manqua pas son coup d'œil furtif dans l'embrasure, qu'il ne fit pas l'erreur de commenter – il devait avoir atteint un point de paranoïa relativement élevé, après ces journées emplies de vide et de temps gaspillé à être laissé seul avec ses pensées et ses dérives, et s'il devait garder ses remarques pour lui pour laisser à son patient son illusion de liberté, il n'allait pas se gêner pour le faire.

- Tu as rendez-vous dans dix minutes avec le psy.

Luffy ne sourcilla même pas, et Ace ne sut pas interpréter cette absence de réaction notable ; il avait, l'espace de quelques heures, cru que cette annonce éveillerait quelque chose chez lui, mais il s'était visiblement lamentablement gaufré sur cette donnée. Le jeune homme ne semblait pas plus ému que ça par cette nouvelle, et il ignorait si cela relevait d'un j'en-foutisme de haut niveau ou bien d'une réaction parfaitement anticipée et, de toute évidence, maîtrisée. En règle générale, selon les patients et leurs pathologies, tous affichaient des comportements marqués et fermement campés, allant de la crise de nerfs incroyable au bonheur le plus complet – quand il était question d'entretien avec Law, les choses pouvaient se passer autant bien que mal, mais chacun semblait attendre ce moment avec une impatience commune à n'importe quel patient : un rendez-vous avec lui signifiait que les choses bougeaient, que le temps perdait son immobilité, figé entre ces murs, et que la réalité avait un visage, une ancre palpable avec un monde qui échappait souvent à ceux qui se trouvaient ici.

- … ça te ne fait pas plaisir ?

- Honnêtement ? J'en sais rien, admit Luffy en triturant son drap entre ses doigts.

- Tu as une raison à me donner ?

- J'pense qu'il pourra rien pour moi. Alors j'ai pas envie de perdre mon temps, ni de lui faire perdre le sien.

- Sois pas si négatif.

- La belle affaire. Vous êtes pas à ma place.

Ace ouvrit la bouche mais se ravisa, se contentant de croiser les bras et de garder ses yeux rivés au sol, laissant à Luffy le temps de redescendre en pression une longue, très longue minute, avant de relever la tête pour affronter son regard noir, presque implacable, terriblement amer et plein de ressentiment et de découragement à la fois.
Il avait eu son âge, lui aussi, à une époque où il était l'exemple même de ce que l'on qualifiait de « mauvaise fréquentation » ; il était même l'homme à abattre, selon l'endroit, mais cette période de sa vie était révolue, et il l'avait laissée derrière lui depuis bien longtemps déjà. À Luffy d'en faire autant, à son rythme.

- Donne-lui une chance d'apprendre à te connaître. Et toi, laisse-toi une chance de t'ouvrir un peu.

- J'ai jamais aimé blablater sur moi.

- … tu sais, dans certains milieux, plus tu parles, et plus t'es un homme mort. Ici, c'est tout l'inverse. C'est si tu te terres dans ton mutisme que rien ne va s'arranger pour toi, et tu supporteras pas longtemps une situation comme celle-là. Trois jours, c'est déjà beaucoup trop, Luffy.

- … j'ai pas envie d'y aller.

- Ce n'est pas une question d'avoir envie ou non. Je me trompe peut-être, mais si on suivait tes envies, t'aurais déjà demandé à ce qu'on te pousse du haut du toit.

Luffy n'ajouta rien et reporta son attention sur la fenêtre, fixant le ciel maussade et les perles de pluie d'été sur les vitres, le drap serré entre ses doigts.

Ace réprima le long soupir qui menaçait de lui échapper et poussa le battant dans une invitation tacite à le suivre, gardant ses yeux rivés sur lui, trousseau de clés à la main – il n'avait pas besoin de mots, l'heure du rendez-vous était venue et Law détestait le retard plus que tout le reste, il était par conséquent inutile de débuter leurs entrevues de cette manière.
Lentement, Luffy se leva, laissant les draps froissés derrière lui avant d'enfiler ses tongs et de lui emboîter le pas, mains dans les poches et air renfrogné, attendant qu'Ace ne verrouille et ne lui fasse signe de le suivre dans les couloirs. Ils empruntèrent un chemin différent de celui que Luffy connaissait presque par cœur, désormais, lui laissant un autre angle de vue à étudier et mémoriser, si c'était possible.

Ils s'arrêtèrent à un demi niveau, le seul qu'il ait jamais remarqué, et remontèrent un long couloir au sol stratifié, sensiblement différent de ceux sur lesquels il marchait habituellement. Les accès étaient réglementés, eux aussi, alternant portes et grilles, et inutile d'être un génie pour comprendre que c'était l'ultime endroit où se réfugier en cas de débordement, au vu de l'épaisseur des cloisons et des sécurités mises en place.

Ils montèrent encore, au bout du corridor, et arrivèrent sur une mezzanine cloisonnée, dotée d'une porte d'ébène qui n'avait rien à voir avec tout ce qui les entourait habituellement. L'accès ne pouvait visiblement se faire que par cet escalier, qui débouchait directement sur l'ouverture – Ace s'arrêta un instant à la porte, frappa et posa la main sur la poignée, attendant probablement un signal, qui ne tarda pas à se manifester : le timbre de voix qui s'éleva derrière le battant était si bas que Luffy douta même de l'avoir entendu, mais son infirmier sembla bien plus sûr qu'il ne l'était de lui-même ; il tourna la poignée et laissa la porte s'ouvrir, le faisant entrer en le poussant légèrement dans le dos, avant de refermer la porte derrière lui.

L'adolescent se détourna pour contempler le tout nouveau décor qui l'entourait, entièrement lambrissé à l'image de la bibliothèque, chargé de rayonnages, de tentures et d'objets aux origines ethniques qui lui étaient totalement inconnues. Les couleurs qui se disputaient ici étaient chaudes tout en étant sobres, et bien loin de ce qu'il avait pour coutume de voir dans les cabinets de médecins – pas de Kandinsky ou de Braque grandiloquent et douloureux pour le cerveau, de diplôme ou d'autres fiertés purement vaniteuses étalées sur les parois.

Ses yeux s'arrêtèrent sur le fauteuil installé près de la grand porte-fenêtre, à la lumière du jour occultée par des voilages blancs compensée par de nombreuses appliques murales toutes allumées en ce jour de pluie, où se trouvait la silhouette d'un homme dont il devinait aisément la taille hors norme rien qu'à la longueur de ses jambes.
Il portait une blouse blanche, comme Luffy se l'était représenté, mais c'était bien la seule chose qui le différenciait d'une tenue civile comme celles que Sabo pouvait porter – il devinait les traits d'un jean et d'un sweat à capuche, détail qui l'intrigua aussitôt, à des années-lumière des petits polos cintrés et hors de prix qu'il avait pu croiser parmi les doctorants de la faculté.
Il termina par le visage de cet inconnu qui le scrutait, bien plus basané que le sien, sous les cernes qui creusaient ses yeux qu'il devinait clairs, de là où il était, mais qu'il aurait été bien incapables d'identifier nettement à cette distance ; l'homme sourit, dans une expression qui lui rappela promptement celle de Lami, et l'éclat de la lumière artificielle révéla brièvement la double paire de boucles d'oreilles qu'il arborait.

Pas conventionnel, en apparence.

Prudent, Luffy esquissa quelques pas, ignorant s'il en avait seulement le droit, en profitant pour jauger les manières de celui qui serait chargé d'entrer dans sa tête selon son bon vouloir, jusqu'à la fin de ses jours.

L'homme s'appuya confortablement contre le dossier de son fauteuil et croisa les jambes dans un geste gracieux, qui lui rappela Shanks quand il voulait bien se donner la peine d'être élégant lors d'une interview avec un journaliste, et son sourire ne quitta pas son visage quand il lui désigna un autre siège identique à quelques pas du sien, sur le tapis moelleux que Luffy aurait adoré avoir au sol de sa chambre, enfant. Il marqua un long temps d'hésitation, se demandant jusqu'à quel point il pouvait pousser l'impolitesse en exigeant de rester debout, mais il estima qu'il était un peu trop tôt pour tester les limites de son hôte – Kid s'en chargerait bien assez vite, de toute manière.

Finalement, il s'assit à la place qui lui était attribuée et garda les mains posées sur les genoux, ne sachant pas vraiment quoi en faire à cet instant-là ; il avait si souvent vu Shanks donner des cours de communication à Sabo, lui apprendre les gestes à faire et ne pas faire en réunion ou en entretien, à adopter une posture positive ou volontairement retirée du débat en cours, sous le regard de Luffy et Nami à la fois spectateurs et commentateurs. Aussi, il réprima l'envie grandissante de croiser les bras et se contenta de demeurer le plus immobile possible, tout en soutenant le regard pénétrant du psychiatre.

Pas de carnet, pas de schéma cliché du patient sur le divan – quand bien même il y en avait un tout près des rayonnages – pas d'accueil pompeux et d'arias démodés en fond de musique.
C'était… déconcertant. À un certain niveau.

- Je suis content de voir que tu as bien meilleure tête qu'il y a trois jours, sourit l'inconnu d'une voix aussi basse que celle qu'il avait cru saisir quelques instants plus tôt.

Une tessiture bizarrement agréable, sur une fréquence non moins plaisante ; le genre de voix qui avait le don de l'endormir, enfant, pour peu qu'une histoire lui soit contée pour l'expédier droit chez Morphée.

- On s'est pas vus, pourtant.

- Que tu crois.

- … ?

- Je me suis assuré que tu restais bien sagement dans ton lit, sans personne pour te faire faire une petite visite nocturne impromptue.

Le sourire s'agrandit, et Luffy remua dans son fauteuil, légèrement mal à l'aise.
OK.
Ce type l'avait regardé dormir.
Après tout, il était dans un asile psychiatrique… que le psy lui-même soit un tantinet allumé ne devrait pas l'étonner.

- On apprend beaucoup de choses sur les gens quand ils ne sont plus bridés par les inhibitions sociales de la journée.

- On en apprend aussi beaucoup sur eux quand ils daignent donner leur nom, murmura Luffy en s'efforçant de ne pas ciller.

- N'est-ce pas ? s'esclaffa le métis en croisant les doigts. Trafalgar Law. Ravi de faire ta connaissance, Monkey D. Luffy.

L'adolescent digéra l'information, hocha la tête pour lui signifier qu'il l'avait assimilée et conserva sa posture, quand bien même il était certain qu'elle allait lui ficher un torticolis de tous les diables, le lendemain. Il n'avait pas pour habitude d'être aussi raide, mais il était à des années-lumière d'être en confiance et, par extension, détendu au possible.
Ravi de faire sa connaissance… pouvait-il décemment rétorquer que ce n'était pas son cas, où est-ce que ce genre d'hostilités serait trop prématuré ?

- Première impression… ? s'enquit le psychiatre.

- Peut mieux faire, répliqua Luffy du tac-au-tac.

- C'est-à-dire ?

- … pourquoi trois jours ? C'est votre quota ? Ou c'était juste pour voir si j'allais péter un plomb et attaquer les murs avec les dents ?

Law le contempla longuement, songeur.

L'entrée en matière n'était pas bien différente de celle qu'il s'était imaginée ; avec la montagne de renseignements qu'il avait pu accumuler sur Luffy, il pouvait se targuer d'être en mesure de prédire quelques-unes de ses réactions, et celle à laquelle il avait le privilège d'assister faisait partie d'un de ses nombreux scénarios présagés, pensés, retournés en tous sens et estimés de la manière la plus juste possible. Et, par extension, tout ce qu'il avait pu engranger comme informations à son propos l'avait immanquablement conduit à anticiper ses propres réponses, sa propre attitude.

- Je voulais que tu prennes tes marques. Que tu te familiarises avec l'environnement. Que tu… tisses des liens avec Ace.

- Pourquoi ça ? C'est pas lui, mon psy, c'est vous, j'ai pas à être pote avec lui. Et il me l'a bien fait comprendre dès le début.

- Je ne parle pas d'être amis. Je parle de confiance, et ça n'implique pas forcément une notion d'amitié.

- Et alors ? Qu'est-ce que ça change, que je m'entende avec lui ou non ?

- Toi et moi, on va travailler sur des aspects de ta vie et de ta personnalité qui ne vont pas te plaire, murmura Law sans se départir de son calme olympien. Tu vas me détester, même mieux : me haïr, bien plus que tu n'as exécré quelqu'un dans ta vie. Résultat : il va falloir que tu te défoules, et Ace est le mieux placé pour ça. L'être humain est sociable par nature… on ne peut pas rester indéfiniment seul à ruminer son infortune. En tout cas, quand on est sain d'esprit, ajouta-t-il après un court silence.

Luffy fronça les sourcils, soutint son regard, ignorant la légère crampe dans ses reins et la tension à l'arrière de son crâne que provoquaient inévitablement ce genre d'échanges tendus, et marqua une distance supplémentaire entre eux en s'enfonçant dans son siège, cherchant à s'éloigner de lui le plus possible, histoire de s'assurer une marge imaginaire de sécurité.

- … tu me détestes déjà, pas vrai… ?

- Ouais.

- Normal. Peut-être qu'à ta place aussi, je ne pourrais pas me voir en peinture.

- Pourquoi « Death »… ? marmonna Luffy, à brûle-pourpoint, en désignant ses phalanges tatouées.

Law baissa un instant les yeux vers ses doigts, pesa le pour et le contre.
Il était trop tôt pour le dire, mais peut-être Luffy était-il le genre d'adolescent qui fonctionnait au 50/50 ; « tu donnes, je donne ». Il n'avait pas envie que ce genre d'échanges s'instaure, qu'une relation de chantage soit à la base de leurs rapports, et pourtant cette fenêtre de tir n'était pas à négliger.
Etait-ce la meilleure manière d'aborder les choses ? Est-ce qu'il devait suivre une ligne bien définie, ou se jeter dans le vide en espérant se raccrocher à quelque chose ?

- Et pourquoi pas ? Ça te dérange ?

- C'est vous qui parliez de première impression. Quand on se tatoue les mains, c'est lourd de sens, on sait parfaitement que ça va influer sur l'image qu'on va renvoyer aux autres.

- Tu t'y connais, en tatouages ? murmura Law en esquissant un sourire.

- Pourquoi ?

- Ne me dis pas qu'on est déjà dans une impasse dès la première rencontre… ? soupira le psychiatre en se frottant le visage.

- Me dites pas que ça vous surprend… ? rétorqua Luffy en croisant les bras.

Coincé là depuis trois jours, jusqu'à la fin de sa vie.

Il sentait venir la confrontation à plein nez, et n'avait presque rien envie de faire pour l'éviter ; si elle devait éclater, c'était pour une bonne raison, et les conséquences ne pouvaient qu'apporter leur flot d'éléments, qu'ils soient bons à prendre ou à jeter.
Songeur, il évalua longuement du regard l'adolescent buté qui se trouvait face à lui, le noir de ses prunelles, son attitude ouvertement hostile, et se demanda comment est-ce qu'il allait gérer ce genre de débordements qui n'auguraient rien de bon dès le départ.

Des clients difficiles, comme il aimait les appeler, il en avait eu des dizaines, des centaines même, au cours de sa vie ; n'importe quel être humain avait une faille, une porte d'entrée, peu importe la nature de la personne à laquelle il s'adressait – qu'il s'agisse d'un adulte, d'un enfant, du plus instable au plus endurci des caractères, il avait toujours trouvé la brèche où s'infiltrer, plus ou moins rapidement. Il avait eu à affronter des esprits brillants, des intellects simples, d'autres beaucoup trop torturés pour qu'il puisse en déterminer le plein potentiel. Luffy promettait une partie d'un niveau appréciable, et l'entêtement dont il faisait preuve n'était qu'une manière de plus d'allécher le psychiatre.

- Tu sais que ça n'arrange pas ton cas, d'être aussi obtus ?

- Vous pouvez rien pour moi. Je suis juste là pour que vous vous amusiez.

Law sourit un peu plus largement, cette fois, et s'accouda à son fauteuil, menton dans la main, comme on le ferait en regardant un enfant faire un caprice ridicule ; Luffy remua dans son siège, ses doigts se crispèrent sur son pantalon quand le spasme de ses reins se diffusa au reste de son dos éminemment raide.

- … et si c'était le cas ?

- Faites ce que vous avez à faire. Je m'en balance complet.

- J'en ai connu, des gens qui n'en avaient rien à faire de ce qui les entourait, de qui pouvait interagir avec eux ou non. Et tu n'en fais pas partie. Tu ne sais même pas ce que tu fais là, tu ne te sens pas à ta place et tout ce que tu trouves à faire, c'est te construire ton petit mur de briques, tout autour de toi – et c'est légitime. Seulement, ce n'est pas comme ça que tu vas t'en sortir, et tu devrais songer sérieusement à ce que tu veux faire de ta vie maintenant que t'en es là. Le monde va continuer sans toi, mais tu n'es pas obligé de le subir. Tu le comprends, ça ?

- …

Luffy acquiesça, les yeux baissés vers le parquet, délibérément loin de ceux de l'homme penché vers lui.

Ces dernières semaines n'avaient été que contraintes, et désillusions ; il lui était difficile d'envisager qu'il puisse en être autrement, et plus difficile encore d'oser raviver la flamme dont il ne subsistait qu'une faible braise, et qu'il gardait bien à l'abri de tout ce qui pouvait l'éteindre définitivement, en bâtissant ce mur que Law citait et qu'il espérait imprenable.
Sauf que Kid lui-même avait prouvé qu'il était faillible, et qui était-il, lui, Luffy, pour s'estimer meilleur, et mériter mieux que la vie qui lui était destinée, à présent ?

- L'exercice est loin d'être facile, et il va pourtant falloir que tu t'y plies. Je conçois parfaitement que ça doit te paraître injuste, et peut-être même horrible, sans compter la frustration que tu dois ressentir. Même si… je n'ai pas le loisir de te connaître autant que je le voudrais, j'ai lu assez sur ton compte pour savoir que tout ce que tu veux, c'est avoir le nez au vent et pouvoir décider de toi-même de la direction que tu veux prendre. Je me trompe… ?

Il secoua la tête, inspira profondément et ferma les yeux, luttant contre les trémors de son ventre, la nausée qui le tiraillait et le renvoyait à tous ces instants où il avait perdu le contrôle, où il avait échoué à contenir ce qui sommeillait de pire en lui.
Il avait envie de tout déballer, de jeter à la tête de cet homme toute la rancœur, le fiel qui bouillonnaient et qui ne demandaient qu'à sortir, tout en désirant s'éloigner de lui à tout prix, pour ne pas avoir à ressentir ce mélange d'exaltation et de méfiance qui le taraudait quand il croisait son regard.

- Je ne suis pas là pour te mettre des bâtons dans les roues. Qu'est-ce que j'y gagnerais, de toute manière ?

- Y'a des gens qui n'ont aucun autre but dans la vie que d'emmerder les autres.

- Tu marques un point. Si c'était mon cas, ça ferait longtemps que j'aurais fermé boutique.

- Et vous, votre première impression ? balança l'adolescent après un instant de silence, conscient que son commentaire était totalement hors de propos.

Law pencha la tête sur le côté, semblant vouloir l'évaluer brièvement sous un autre angle au sens littéral du terme, ses yeux balayant sa silhouette de haut en bas avec minutie.
De toute évidence, tout était prétexte à analyse, de sa posture au plus petit battement de cils ; légèrement mal à l'aise, il tira sur son tee-shirt et se rajusta sur sa chaise, se grattant le nez, détournant les yeux pour ne plus sentir ceux du psychiatre sur lui.

C'était… intimidant, en un sens, ce regard lui rappelant celui de Shanks quand il tenait absolument à savoir ce qu'il pouvait lui cacher.

- En apparence seulement ?

- Il y aurait autre chose ?

- J'ai arpenté en long, en large et en travers tout ce qui a été produit sur toi. Je ne peux pas être objectif, alors je te demande : veux-tu mon avis sur l'image que tu me renvoies, ou sur celle que je me suis forgée en lisant le résumé de ta vie et de tes dernières prouesses ? chuchota Law en croisant les bras.

- …

- Hé bien, en ce cas, ce sera les deux, conclut-il en changeant, cette fois, de position dans son fauteuil.

Luffy se tourna plus franchement vers lui, tentant de trouver le juste milieu entre une attitude intéressée et un détachement feint – feint, car il lui était impossible de nier qu'il était curieux d'avoir un avis franc sur ce qu'il pouvait renvoyer aux autres, en opposition à cette petite voix qui lui murmurait qu'il n'avait pas à porter d'intérêt à ce qu'un inconnu avait à faire de lui.

- Je ne sais pas si ça va te parler, mais je suppose qu'à ton âge ça t'arrange qu'on dise de toi que t'as l'air d'être le garçon le plus normal du monde, même si le corps médical n'est pas fana de ce terme. Tu me fais penser à tous ces gars avec qui j'ai partagé les bancs de l'université et qui avaient la faculté de s'intégrer avec qui ils voulaient, pour peu qu'ils leur sourient. Tu te fonds dans le décor et si on se base sur ce que tu renvoies, alors… on a juste envie d'être ton ami. Aussi simple que ça.

- … ça me suffit, ça, murmura Luffy en ramenant ses genoux contre sa poitrine.

- Pourquoi ?

- … je suis pas pressé de montrer ce qu'i l'intérieur.

- Ça peut être très intéressant, au contraire.

- Je vois pas en quoi ça peut l'être.

- Je ne veux pas brider qui que ce soit.

Le jeune homme haussa un sourcil, perplexe, langage muet qui l'incitait à continuer.

Law devait reconnaître que la méthode n'avait rien d'orthodoxe, mais si c'était ce qui fonctionnait le mieux, il n'allait certainement pas s'en priver.

- Je suppose que c'est là que j'embraye sur le deuxième aspect de ta vie que je devais aborder… Clairement, sache que je ne suis pas ce qu'on pourrait qualifier de meilleur ami avec Monet, mais je la respecte et j'ai une haute estime de son travail. Aussi, je ne peux pas remettre en question tout ce qu'elle a fait, et j'aime penser que tu présentes effectivement une dissociation de l'identité, parce que c'est un trouble d'une rareté inimaginable que très peu de personnes ont pu réellement observer dans leur vie, d'autant plus de si près.

- Peut-être que vous, ça vous fascine, mais moi, pour le moment, ça m'emmerde bien plus qu'autre chose.

- Je n'en doute pas un seul instant, Luffy. Mais à travers ses actes, ton alter-ego renvoie également une image bien distincte de la tienne, et quand bien même il a commis toutes les atrocités qu'on lui incombe et qui te retombent dessus, il n'en demeure pas moins une personnalité à part entière, qui possède son propre mode de fonctionnement, dont je veux comprendre l'origine pour pouvoir correctement m'occuper de toi, soupira Law en s'adossant pleinement à son fauteuil.

Luffy évalua soigneusement ce que venait de lui dire le psychiatre, envisageant toutes les possibilités qui se présentaient à lui, pour finir par en déduire que ce qu'il pensait être un sous-entendu n'en était pas un, et loin de là.

- … vous voulez parler à Kid, c'est ça… ?

- C'a l'air de t'étonner.

- C'est pas une bonne idée.

- Comme je te l'ai dit, ça ne peut qu'être extrêmement intéressant. Tu dois vraiment arrêter de fuir les problèmes, Luffy, et te concentrer sur le meilleur moyen de les régler. Affronter Kid est encore ce qu'il y a de mieux.

- J'ai pas besoin de l'affronter.

Un picotement désagréable remonta le long de son dos, comme une menace silencieuse l'incitant à peser ses mots, sous peine de devoir composer avec une crise de plus ; une de celles dont il ne mesurait pas encore l'étendue, pour la bonne raison que jamais Kid n'avait eu à se justifier de quoi que ce soit devant quiconque – et libéré d'entraves physiques, qui plus est, sans rien pour le brider.
Et Dieu seul savait qu'il redoutait cet instant, celui où plus rien ne pourrait enrayer la machine, et où il cesserait d'exercer la plus petite once de contrôle sur son autre « lui ».

- Que tu crois. Ce n'est malheureusement pas aussi simple que ça… tu n'es pas ici parce que tu as eu droit à une version dorée du monde carcéral. J'ai une obligation de soins qui me lie au juge d'application des peines, et mon but n'est pas de te laisser errer entre ta chambre et la bibliothèque jusqu'à la fin de tes jours. Tôt ou tard, il va falloir que ta thérapie donne des résultats, et on ne pourra pas y arriver si tu te bornes à rester fataliste.

- Je gère, marmonna l'adolescent en triturant le bord de son tee-shirt.

- … Est-ce que je dois te ressortir les photographies qui ont été prises sur la scène de crime pour te rappeler que, de toute évidence, tu ne gères rien du tout ?

- OK, c'est bon, message reçu, souffla Luffy en se levant de son fauteuil. J'me casse. Allez bien vous faire mettre.

Il tourna les talons et traversa le bureau, sentant une perle de sueur glisser sur sa tempe, cheminer le long de sa joue, laissant un sillon glacé sur son passage – sa main tremblante saisit la poignée, qui pivota et laissa le battant s'ouvrir, à son plus grand étonnement ; Ace était là, négligemment appuyé au mur un peu plus loin, tête levée vers le plafond, allumette en coin de bouche. Ses yeux croisèrent les siens, l'espace d'un instant, et l'expression que son gardien lui renvoya le frappa de plein fouet, tant elle lui rappela celle de Sabo – celle que son aîné arborait quand il était déjà bien trop tard pour faire machine arrière.

Il ouvrit la bouche, mais pour demeurer désespérément muet, une fois de plus.
Il n'eut pas le temps d'émettre une quelconque pensée consciente, et ce fut le noir total – horrifiant, avec cet atroce sentiment d'impuissance auquel il ne s'était toujours pas fait, malgré les années passées.

Ace se précipita vers lui, mais les cinq secondes de flottement nécessaires à la compréhension de la scène qui se déroulait devant ses yeux furent celles de trop ; Luffy se précipita vers la main courante, l'empoigna et se hissa dans le vide, se laissant glisser le long des barreaux de la rambarde avant de se laisser tomber un mètre plus bas, et de dévaler les marches du niveau inférieur au pas de course.

- Putain mais quelle plaie ! brama l'infirmier en sautant les marches quatre par quatre, tentant de rattraper les rares – mais précieux – mètres qui le séparaient de sa cible. Law ! J'sais pas c'que t'as foutu mais tu vas m'faire le plaisir de nettoyer ta merde !

Le psychiatre leva les yeux au ciel et fouilla dans sa poche arrière pour en sortir son talkie-walkie et presser le bouton sur son flanc, portant l'appareil à ses lèvres pour annoncer, de son calme imperturbable, que l'établissement était bouclé et que chaque patient devait être confiné dans un des lieux prévus pour ce genre de scénario, et ce jusqu'à nouvel ordre. Il relâcha la pression et patienta une poignée de secondes, entendant à tour de rôle chacun de ses infirmiers lui confirmer que l'ordre était compris et en cours d'exécution, alors que les jurons d'Ace résonnaient à travers les couloirs.
Il rangea le talkie à sa place et entreprit de descendre les marches à son tour, mains dans les poches, prenant son temps pour rejoindre le rez-de-chaussée et traverser le long couloir qui menait aux SAS d'entrée, dont il éprouva la fermeture avant de se détourner pour rallier la salle commune, qu'il trouva déserte.
La clinique n'était pas immense, et il entendait toujours Ace au loin, ainsi que le rire caverneux de celui qu'il poursuivait.

Eustass Kid.

« Enfin. »

Il attendait ce moment depuis ce qu'il lui semblait être une éternité ; son petit pari avec Monet tenait toujours, et il avait encore 23 longs jours devant lui pour percer à jour cet énergumène. Il se rapprocha des baies vitrées et scruta l'extérieur, la pelouse déserte, les énormes portes scellées, pensif. Jusqu'où ce gamin était-il capable de pousser le vice ? C'était dans un moment comme celui-ci qu'il se félicitait intérieurement d'avoir choisi Ace comme garde-chiourme, plutôt que d'avoir lancé Shachi ou Penguin sur le sujet. Lui saurait faire preuve d'un sang-froid à toutes épreuves, contrairement aux autres – il en avait assez vu pour savoir comment gérer un débordement de ce genre.

Son biper se manifesta, dans sa blouse, et un coup d'œil à la diode lui indiqua que l'expéditeur était Magellan, pile à l'heure, comme il s'en était douté depuis que l'alarme avait été donnée.
Il poursuivit sa route à travers la salle commune, passant quelques portes avant d'emprunter une autre volée d'escaliers, descendant plus encore sur le long couloir où la porte de Magellan demeurait entrouverte, signe pour lui que son arrivée était attendue ; il toqua, pour la forme, et trouva l'immense silhouette de son savant fou penchée sur une paillasse, lunettes vissées sur le nez, yeux plissés, en train de clipser soigneusement des ampoules aux têtes des fléchettes qui s'alignaient sur les carreaux de faïence. Magellan détourna le regard de son œuvre, un bref instant, pour lui adresser un sourire retors avant de retourner à sa tâche, dans le silence seulement troublé par les chuchotements de ses alambics.

Law jaugea le contenu des fioles mauves sans un mot, évaluant la quantité qu'elles contenaient et qui semblait différer d'une séquence à l'autre.

- … j'ai un premier dosage à 2 millilitres, trois doses. Et trois autres à 5. Même concentration, je travaille d'abord sur la quantité à injecter, pour pouvoir adapter la taille des futurs contenants.

- C'était ton estimation, ça, non… ?

- Exact. Mais j'aime commencer doucement… si ça peut m'éviter de gâcher à l'avenir, j'apprécierais. Vous imaginez pas à quel point c'est délicat à produire, cette bête-là…

Law ne commenta pas, attendant que Magellan ait terminé la préparation des injections et pris son fusil, qu'il cala sur son épaule avant de ranger les seringues dans l'étui qu'il portait à la taille ; au regard des gants métalliques dont il s'était doté, le psychiatre ne doutait pas de l'efficacité de la composition du chimiste. Ils sortirent du laboratoire, que le propriétaire verrouilla soigneusement derrière lui, et empruntèrent de nouveau les escaliers en direction de la salle commune. De cet endroit, un seul accès demeurait pleinement ouvert, unique endroit où Kid avait pu se rendre sans avoir à passer de SAS sécurisés : l'allée qui menait à la zone où Law avait prévu de le faire passer, initialement, avant que l'unité d'intervention ne le contraigne à changer ses plans.

Et rien qu'à en juger les cris, ils étaient forcément sur la bonne voie.
Une longue minute de marche rapide les mena à l'antichambre de l'entrée ouest, où la sécurité des portails de Penguin était douloureusement mise à l'épreuve par les coups de chaise que le coffret électrique subissait avec la régularité d'un métronome.

Ace était adossé au mur et fixait l'individu qui leur tournait le dos et qui s'acharnait bon gré mal gré contre l'armoire de verrouillage, à travers le grillage dont il avait activé la descente forcée à l'aide de la commande manuelle dont il connaissait l'emplacement par cœur, à force de s'en être servi contre tout un tas d'énergumènes.
Il leur jeta un regard et leur désigna Kid d'un signe du menton, bras croisés, affichant son éternel air blasé qui suffit à renseigner Law sur la nature de leur altercation – nulle. 0 partout.

- Ça fait bien trois minutes qu'il s'excite là-dessus, marmonna-t-il. Et franchement… j'suis pas un grand fan de résistance des matériaux, mais j'crois bien qu'il va te l'éclater, ton portail.

- Tu as appelé Penguin ? murmura Law en refermant ses doigts sur le grillage, rapprochant son visage du treillis pour mieux observer son patient.

- Il est déjà au courant. Il passera juste après pour évaluer les dégâts, avec ce que je lui ai dit il estimait 2 heures de boulot, mais je pense qu'il va en avoir pour bien plus longtemps que ça. T'as vu un peu cette force… ? souffla Ace en regardant Kid tirer à mains nues sur le couvercle du coffret, qui céda dans un grincement sonore.

- Tu as étudié ça, on a suivi les mêmes cours, chuchota le psy sans le lâcher des yeux, fasciné. C'est la magie des troubles de l'identité…

- Je rêve où tu t'amuses… ?

- Quoi, ça t'étonne tant que ça ? ricana Magellan en armant patiemment son fusil, à quelques pas de là.

Kid était occupé à trifouiller les fils électriques, à présent, mais avec une telle minutie que Law ne pouvait s'empêcher de penser qu'il ne s'agissait pas d'un hasard comme un autre – il savait parfaitement ce qu'il faisait. Et cet instant fut suffisant pour lui rappeler les derniers mots de Monet, dans le téléphone.

« Tu n'as pas vu ce que j'ai vu. Quand il aura passé tous tes niveaux de sécurité, on en reparlera. »

Il débrancha quelques connexions, en raccorda d'autres ; un premier bip sonore résonna dans la salle, et un des voyants passa au vert. Ace haussa un sourcil et détourna son regard vers Magellan, se raclant la gorge en s'abstenant de tout commentaire malgré tout.
Message limpide : ils n'avaient pas l'éternité devant eux.
Et surtout, Law allait sérieusement devoir inciter Penguin à revoir ses process.

- … Kid… ? hasarda le psychiatre en haussant le ton.

- Ta gueule, rétorqua une voix gutturale, semblable en tous points à celle qu'il avait pu entendre dans les vidéos que Monet lui avait fait transférer et qu'il avait visionné en long, en large et en travers des heures durant.

- Ça ne sert à rien. Dans moins d'une minute, tu seras de retour dans ta chambre.

- Et alors quoi, papa ? railla l'intéressé en coinçant un fil entre ses dents, tirant sur un autre avant de farfouiller un peu plus en arrière, un deuxième voyant passant au vert à la suite du premier. J'irai au lit sans dîner ? Va te faire enculer, tête de bite, j'me barre d'ici.

- … Magellan ? soupira Law.

- Yawohl, susurra-t-il en levant le collimateur à sa hauteur, la langue entre les dents.

Il pressa la détente et un bruit sec résonna entre les murs, suivi d'une flopée de jurons dont Law ne saisit pas un traître mot – Kid arracha la seringue plantée dans sa hanche et la lança dans leur direction, leur adressant un doigt d'honneur arrogant, fixant le psychiatre dans les yeux sans ciller.
Et, à cet instant, tout ce qui faisait Luffy – celui que Law avait longuement étudié à travers les images et les dossiers – s'était totalement délité, ne demeurant qu'une expression torve soulignée par un regard calculateur.

- … encore, murmura-t-il sans détourner les yeux.

Magellan obtempéra, et la deuxième seringue se logea dans son épaule dans un claquement sonore ; Kid s'en débarrassa et écrasa la fiole entre ses doigts, s'abstenant de broncher quand les tessons de verre s'enfoncèrent dans sa peau.
Le sang perla sur le sol et Ace marmonna pour lui-même qu'au point où ils en étaient, il n'était plus à ça près, mais ses commentaires ne suffirent pas à détourner les deux hommes de leur joute silencieuse.

- … je tente à 5… ? souffla le chimiste.

- Me rate pas, trou du cul, sourit Kid en faisant un pas dans leur direction.

Magellan aligna la seringue dans le canon, referma le manchon et leva à nouveau le fusil, doigt sur la gâchette. Le bruit se répercuta en écho dans le couloir, et Kid porta la main à la fléchette pour l'extraire de sa cuisse – Law remarqua ses doigts tremblants, mais ne brisa pas pour autant leur connexion.
Il avait largement passé le stade la fascination ; ses associés aussi, à entendre leurs réactions : avec la dose qu'il avait reçue, il aurait déjà dû être mis K.O., et à en juger les pas qu'il esquissait dans leur direction, il était encore parfaitement capable de tenir droit.

Son œil tressauta, et Law devina, malgré la distance, le frisson qui le parcourut, suivi par une sueur qu'il devinait froide et qui dégoulinait des cheveux de son patient – l'anesthésiant faisait son effet, lentement mais sûrement.
Dur à cuire, mais pas invincible.

- … Law, recule, murmura Ace en regard Kid s'approcher, mètre par mètre, seringue à la main, l'aiguille luisant dans la lumière des néons.

Le psychiatre demeura silencieux, toujours accroché au grillage, soutenant l'air meurtrier de son patient qui leva le bras, pressant le pas dans sa direction – sûrement avec l'intention de lui enfoncer la canule dans un œil, histoire de marquer le coup.

- … va crever, sac à merde, cracha le jeune homme en resserrant ses doigts sur le corps de la seringue.

- Bonne nuit, Kid, murmura Law avec un sourire en coin, une poignée de secondes avant qu'il ne vacille enfin et s'écroule endormi au sol, à ses pieds, pantin désarticulé dont on aurait brusquement coupé les fils. On va avoir beaucoup de choses à se raconter, toi et moi…

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Réponses aux guests :

Mirtie29 : Hey ! Oh, merci beaucoup _o/ C'est très gentil, je suis ravie que ça te plaise ! C'est vrai que ça demande un peu de travail, surtout quand on aborde des thèmes que tout le monde traite, il faut essayer de faire la différence... J'écrirai jusqu'à disparition de l'inspiration, promis ;) Au plaisir de te lire bientôt, à la prochaine !

Yuh : Yop ! L'attente pour ce chapitre a été moins longue, n'est-ce pas ? Ma pause hivernale est toujours un peu longuette, navrée ^^ Law se cache de Luffy, surtout, mais c'est stratégique, comme tu as pu le voir dans ce qui vient d'être posté, néanmoins la partie de cache-cache a toujours une fin... Merciiii, j'espère que tu as été servie avec l'interaction Law/Lu ! A bientôt !

Crow : Hello ! Bon, comme tu as pu le voir, Law a fini par accorder son temps à Luffy, tout ça pour la gloire, parce que là c'est retour à la case départ x) J'assume le fait qu'il y aura certaines longueurs, parfois, dans la fiction, parce que comme tu le soulignes si bien, c'est pas la maternelle, et dans un univers comme celui-là, la routine et la monotonie font partie du décor... le tout est de savoir doser Kid, pour dépoussiérer tout ça, fufufu. Intermittence du spectacle ? OMG, c'est peut-être cliché mais j'ose à peine imaginer les inepties que tu as dû entendre pendant ta recherche d'emploi... La Bretagne, c'est bien, mais la Bretagne Sud est mieux encore, surtout vers Lorient, Quiberon, ... :) Merci pour ta review, à bientôt, chère Crow !


À dans 15 jours ! Soyez sages !