Ohayo mina !

Vous avez beaucoup aimé Shanks, je crois, alors vous serez sûrement contents de le revoir en fin de chapitre !
Kid est toujours à demeure et va exposer sa façon de penser à Law... pour le moment. Profitez-en, parce qu'il ne va pas revenir de si tôt.

Merci beaucoup pour le temps que vous prenez pour laisser des reviews, c'est toujours autant un plaisir de vous lire :)

Les guests sont en bas de page, et...

Enjoy it !


Chapitre 14 :

Jour 23. Tête-à-tête.

Louisiane, près d'Ostrica.
02 heures 30 du matin.

Law se détourna de la fenêtre quand le lit grinça, dans son dos, attirant son attention rivée depuis de très longues minutes sur l'éclat anémique de la lune, au-dehors ; il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, dévisageant la silhouette étendue sur le matelas, les extrémités soigneusement sanglées aux montants latéraux en acier.

Mains dans les poches dans une éternelle attitude décontractée, il prit son mal en patience, de la même manière qu'il l'avait fait ces dernières douze heures, et fixa son patient sans dire un mot, attendant que le sédatif cesse enfin de faire son effet ; le jeune homme cligna des paupières, tête tournée vers le mur, déglutit lentement, remua les doigts et les orteils – rien qu'à voir ce réflexe, le psychiatre était prêt à parier qu'il ne s'agissait pas de Luffy, et l'expression qu'il arborait ne fit que confirmer son pressentiment.

- … bien dormi… ? murmura-t-il en tirant une chaise à lui pour y prendre place le plus silencieusement possible.

- Où on est ? marmonna l'intéressé.

- Dans une des anciennes chambres. Celle-ci sert à contenir les énergumènes dans ton genre. Vois ça comme… une version moderne des salles capitonnées.

- T'en as une, ici… ?

- Deux, même. Mais ça doit faire au moins cinq ans que je n'y ai mis personne.

- J'suis sûr que ça te fait bander d'y foutre des mecs et d'les regarder se frapper la tronche contre les murs. T'es un putain de taré, souffla Kid en refermant les yeux, cessant un instant de tirer sur ses entraves.

Law croisa les bras sur le dossier de la chaise et y posa son menton, silencieux, gardant ses yeux clairs plongés dans les siens.
Cette expérience n'avait pas été vaine, puisque Magellan avait assez d'informations pour travailler à une sédation bien plus rapide, si prochaine fois il y avait – et il y aurait, c'était une certitude ; il n'avait pas besoin d'une expertise psychiatrique pour se douter que le patient qu'il avait face à lui, à cet instant, n'était pas un tranquille de nature et que toute occasion serait bonne à prendre pour s'éloigner de cet endroit.

- Et si on parlait un peu, toi et moi… ?

- Va te faire foutre.

- Pourquoi être resté jusqu'au verdict ? chuchota Law sans sourciller. Pourquoi ne pas avoir laissé Luffy affronter la sentence ?

Kid haussa un sourcil, son œil se rouvrit et scruta Law avec attention ; de toute évidence, cette question avait piqué son intérêt, à défaut de sa pleine curiosité.
Toutes ces différences entre Luffy et lui restaient à définir, et Law allait avoir toute une vie pour ça. Il voulait percer cette carapace, en explorer tous les recoins, jusqu'à en maîtriser le moindre relief, en comprendre le fonctionnement complexe, jusqu'à ne plus rien pouvoir en tirer, et se mettre en quête d'un autre coquillage à dévorer.
L'huître était loin d'être ouverte, mais son couteau avait déjà commencé à trouver les failles.

- … s'ils nous avaient condamnés à mort, je me serais échappé, annonça-t-il froidement en soutenant son regard.

C'était exactement la réponse qu'il souhaitait entendre, parce qu'elle sous-entendait tellement plus qu'une simple idée de fuite. Mais il n'allait pas se pencher maintenant sur cette particularité : il avait d'autres choses en tête.

- Tu es très présomptueux.

- Et toi, tu fais partie de ceux assez cons pour me sous-estimer.

- Tu parles des gardes de la salle d'audience… ?

Un rictus étira sa lèvre et Law conserva cette image dans un coin de son cerveau, celle de l'expression brute qu'offrait le visage de Luffy, en diamétrale opposition à celle qu'il arborait en temps normal, quand bien même ce n'était que de la maussaderie.
Il était facile de se laisser prendre au jeu – car le visage qu'il avait en face de lui n'était plus celui du jeune homme paumé ; il avait définitivement occulté celui de son porteur, et de manière magistrale.

- Ton instinct de survie égale pas un demi-pourcent du mien, Doc. Crois-moi.

- … depuis quand tu es ici ?

- Depuis que tu as dû nous péter mémorablement les couilles dans ton bureau.

- Tu as parfaitement compris ce que je voulais dire, soupira Law en rajustant sa blouse.

Kid contempla le plafond, silencieux, et Law se demanda à quoi il pouvait bien réfléchir ; se questionna sur sa manière de penser, d'appréhender ce qui se présentait à lui, tous les possibles qui en découlaient : comme Monet l'avait si bien souligné, des patients de sa nature étaient difficiles à dénicher, encore plus à côtoyer. Ils en avaient vu, lui comme elle, des dizaines et des dizaines de cas prétendument similaires, où ils s'étaient trouvés déboutés à chaque tentative de diagnostic, leur sujet de test ne répondant au final à aucun des critères qu'ils recherchaient.

Et maintenant qu'il pouvait en tenir un dans le creux de sa main, il était hors de question qu'il lui échappe, d'une quelconque manière.

- Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

- Tu ne veux pas répondre ?

- Ça t'apportera quoi de le savoir ?

- Ce serait un bon début de conversation.

Kid réprima un rire dans un grognement étouffé et leva les yeux au ciel, remuant dans le lit en tirant sur les sangles, brièvement – certainement histoire d'éprouver leur résistance, au fur et à mesure que revenaient ses sens et sa force, le sédatif se dissipant lentement mais sûrement dans son organisme. Law se tenait prêt, une seringue dans sa blouse, au cas où son patient se déciderait à mettre une fois de plus leur système de sécurité à l'épreuve – même si, au fond, il espérait ne pas avoir à s'en servir : ce serait totalement stérile, puisqu'il ne pourrait jamais éternellement le tenir endormi, cette situation d'urgence ne pouvant décemment se prolonger ad vitam aeternam.

- Est-ce que j'ai une gueule à tenir des conversations ?

- Je reste persuadé que oui. Intellect oblige.

- Arrête de me lécher le cul, c'est horripilant.

- Tu n'es pas le dernier des idiots, on était trois à te voir travailler sur le portail du SAS. Alors… ? Depuis quand tu es ici ? poursuivit Law en se redressant, étirant son dos courbaturé.

Kid ne cilla pas, rivant ses prunelles noires dans les siennes – Law crut y voir, l'espace d'un instant, un sous-ton mordoré, et songea aux centaines de travaux qu'il avait pu étudier, pendant ses longues années d'apprentissage, qui traitaient des altérations physiques que subissaient les sujets au trouble dissociatif de l'identité avéré.

Il était pressé d'aborder plus en profondeur le sujet de l'auto-perception, chez cette personnalité, mais il devait d'abord instaurer un lien, même infiniment ténu, entre eux deux, avant d'escompter quoi que ce soit.

- Hn-hnn… j'ai toujours été là. Et c'est pas toi qui vas me faire partir, Trafalgar Law.

- … tu connais mon nom ?

- Pourquoi je le connaitrais pas ? rétorqua l'adolescent en s'étirant la nuque.

- Hé bien, tu n'es pas censé partager une mémoire commune avec Luffy. Vous êtes supposés avoir tous les deux votre propre disque dur… Tu n'étais pas là quand je me suis présenté à lui.

- On est déjà parfaitement au courant, on s'est renseignés là-dessus bien avant toi, souffla Kid en vrillant ses yeux dans les siens. Mais ça n'a rien à voir avec ce dont tu parles… j'ai juste déjà vu ta tête quelque part, dans les journaux. T'es le fils de Donquixote Doflamingo, le gouverneur de la Louisiane. T'es précoce comme pas permis et t'as eu les meilleures notes de ton lycée à ton Baccalauréat ès sciences à 12 ans. Le King's College a accepté ta candidature et t'es parti à l'institut de psychiatrie, psychologie et neurosciences de Londres pendant près de 12 ans, où t'en es sorti avec un grade de spécialiste et les honneurs, avant de revenir en Louisiane.

Elle était pas mal, celle-là.
Est-ce qu'il était autant calé sur tous les rejetons des Gouverneurs ?
Lui-même n'avait jamais côtoyé Luffy, lors des rencontres entre dirigeants, différence d'âge oblige ; et ce genre d'informations débitées avec une assurance presque insolente n'était pas à prendre à la légère.

- Tu as bien retenu ta leçon, on dirait, murmura Law. Quand est-ce que tu as eu le temps d'apprendre tout ça ?

- Le temps, c'est tout ce que j'ai, mec. C'est pas quelque chose que tu peux saisir, à ton niveau d'existence…, toussota Kid en esquissant un sourire.

Il avait poussé le bouton rouge, chez Luffy, quelques heures auparavant. C'était visiblement une autre très bonne raison pour pousser Kid à rappliquer et rester, tant que l'agacement ne serait pas redescendu chez l'adolescent. Ce fonctionnement resterait à étudier plus en profondeur, seules des hypothèses fusaient sans trouver de vraies branches auxquelles se rattraper. Pour le moment, même s'il mourait d'envie de pousser l'investigation plus loin encore, il devait garder à l'esprit que stabiliser l'état de Luffy était sa priorité. Une discussion trop prolongée avec Kid entravé de la sorte n'aurait rien de constructif. Trouver le meilleur moyen de cartographier les méandres de son esprit était son principal leitmotiv du moment et demanderait un temps incroyable, mais le défi était à sa juste hauteur.

- Continue ton petit jeu, si ça t'amuse. Tu te lasseras avant moi, Eustass Kid.

- Et alors quoi ? Je vais me réveiller estampillé d'un SCP-231 dans une salle de torture ? Tu vas appuyer sur le gros bouton rouge pour me foutre la procédure-110 Montauk au cul, docteur La Mort ? ricana le jeune homme.

- Tu connais la procédure Montauk ?

- Légende urbaine. Mais reconnais que ça en jette.

- Puisque tu as du temps, je vais te laisser réfléchir à ce que tu as fait, soupira le psychiatre en se levant, replaçant la chaise un peu plus loin, le long du mur, avant de rajuster sa blouse et de s'éloigner vers la porte. Parce que c'était incroyablement stupide, tu en as conscience… ? Tu ne vas faire qu'attirer un peu plus l'attention et restreindre le champ de liberté de Luffy.

Il déverrouilla patiemment chaque serrure, trousseau à la main, sans lâcher son patient du regard.
Kid ne cilla pas, mais son sourire se flétrit lentement, laissant place à une expression presque indéchiffrable – Law ne broncha pas, attendant le commentaire qui viendrait immanquablement, il le pressentait.

- … tu sais c'est quoi, le secret des magiciens, Doc… ?

- Dis toujours.

- … ils agitent leur baguette dans la main droite pour que personne ne regarde travailler la main gauche, chuchota-t-il. Bonne nuit…

Law sortit de la pièce et referma le battant derrière lui, sans un mot, s'assurant de mettre en route chacune des sécurités extérieures, sous le regard d'Ace et Bonney adossés aux fenêtres du couloir, à quelques mètres de là, silencieux et immobiles. Il vérifia le verrouillage une dernière fois et se tourna dans leur direction, leur faisant signe de le suivre à travers les couloirs qu'ils traversèrent sans un bruit ; « éprouvante » serait un maigre qualificatif pour cette journée sens dessus-dessous, où il avait fallu calmer certains patients surexcités par les événements de l'après-midi, aller jusqu'à en sédater certains pour faire revenir un minimum de discipline, et faire venir le personnel extérieur nécessaire à la réparation du portail du SAS, administré par Penguin à qui il avait abandonné l'affaire, ayant beaucoup trop à gérer en un laps de temps aussi court. L'accès était condamné jusqu'à nouvel ordre – entendre par là qu'il était sous surveillance constante tant que Luffy n'aurait pas repris pleinement le contrôle.

Se fit dans le silence le chemin jusqu'à son bureau, où il retrouva une bonne partie de l'équipe elle aussi éveillée, dispatchée dans les fauteuils et les divans disposés ci et là dans la pièce. Il referma la porte derrière lui et s'y adossa, s'assurant d'avoir tout un chacun dans son champ de vision avant d'entamer le moindre discours.
Le silence s'étira encore un long moment, avant que Teach, un des chefs de service, ne le brise en retenant un rire nerveux.

- … sérieusement, je m'étais toujours demandé si l'alarme était opérationnelle, vu qu'elle avait jamais fonctionné…

- Elle a déjà servi, le corrigea Shachi en relevant ses lunettes pour se frotter les yeux, las de fatigue. Mais t'étais pas encore là…

- Pour qui c'était ?

- Dellinger, marmonna Kaya en réprimant un bâillement.

- Ce n'est pas le sujet, les interrompit Law en donnant un léger coup de talon dans la porte, recentrant leur attention. Comment vont les patients… ?

- Mieux en ce qui concerne mon périmètre, admit Thatch en arpentant les étagères des bibliothèques du regard. Ils sont beaucoup plus sereins depuis que vous êtes passé les voir. Il y en a que ça amuse, vous pensez bien…

- Pareil, concédèrent Shachi et Bonney.

Teach signifia son assentiment d'un signe de la main, Ace acquiesça à la suite de Kaya, Magellan demeura stoïque ; c'était tout ce dont il avait besoin pour pouvoir tourner cette page et se recentrer sur Luffy, en sachant que le reste de la clinique était sous contrôle.
C'était la condition sine qua none pour que personne ne vire la carte, dans cet endroit : ordre et discipline. Aucune exception permise.

- Bonne nouvelle. On refait le point dans deux jours, vous pouvez reprendre vos tours de garde, je prends celui de six heures ce matin jusqu'au déjeuner. Ace, tu restes, ajouta-t-il après un silence.

Les infirmiers quittèrent leurs places sans piper mot, habitués à la sobriété des paroles de leur directeur ; peu à peu, le bureau se vida, retrouvant une quiétude pesante, les deux hommes se fixant en silence, attendant que la porte ne se referme pour poursuivre leur conversation loin des oreilles des autres soignants.

- Il t'a renvoyé dans tes pénates ? devina Ace en s'asseyant à demi au bord du bureau que Law avait rejoint.

- C'est l'idée. Il ne coopérera pas. Pas comme ça, pas dans cet état.

- C'est trop tôt pour avancer des conclusions, mais est-ce que t'as un seul instant envisagé que tu pouvais échouer ?

- Ce mot-là ne fait pas partie de mon vocabulaire, rétorqua sèchement son supérieur en se frottant les tempes, les yeux clos.

- Je t'ai toujours entendu dire qu'on avait tous, quelque part, quelqu'un de bien meilleur que nous à notre propre jeu. Tes méthodes ont peut-être juste besoin d'être revues, à la hausse ou à la baisse.

- Là c'est… stérile. Ça ne mène à rien, il n'est pas en état d'assimiler quoi que ce soit.

Possible, mais Law n'était pas d'humeur pour une remise en question au milieu de la nuit.

- Qu'est-ce que tu en tires, pour l'instant… ? murmura l'infirmier en allumant la lampe du bureau pour mieux voir le visage de Law, jusqu'ici plongé dans la pénombre.

- … Kid est la personnalité dominante. C'est lui qui gère et qui conditionne le comportement de Luffy. Il est ce qui se rapproche le plus du Ça, chez le vieux Freud que tu as dû détester pendant tes études. Il n'a de limites que celles qu'il se donne pour mieux arriver à ses fins. C'est une bombe à retardement. Mais il a forcément des faiblesses, et il faut que je me bouge le cul pour les trouver et les exploiter, grogna-t-il en s'adossant à son siège qui s'inclina dans l'obscurité qui régnait derrière lui, accentuant les ombres sur son visage, faisant ressortir ses cernes qu'Ace contempla longuement, pensif. Et dans tout ça, je vais devoir m'arranger pour trouver le troisième participant sans faire plus de dégâts.

- Tu penses que Monet a raison ?

- … ça m'écorche de le reconnaître, mais disons que je vais concéder à Monet un bon flair sur cette piste. Elle est intelligente, et si elle est sûre qu'ils sont trois, c'est qu'ils le sont.

Il tendit le bras pour atteindre le cadenas du tiroir le plus à gauche de son pupitre et tourna les molettes, jusqu'à trouver le code qui déverrouilla l'accès à son ordinateur portable, qu'il sortit de son rangement pour le déposer devant lui et l'ouvrir, sous le regard intrigué de son collègue qui se pencha pour regarder son écran.

- … tu fais quoi, là ? toussota-t-il en le voyant ouvrir une batterie de dossiers tous estampillé du matricule d'entrée de Monkey D. Luffy.

- Je vais regarder les vidéos du procès et de la clinique de SF. Il faut que je trouve plus d'infos sur leur fonctionnement, murmura Law en chaussant ses lunettes.

- … mec, il est plus de trois heures du matin. T'as une relève à l'aurore, il faut que tu dormes.

- Je dormirai quand je serai mort. Toi, va dormir, tu as des visites à gérer, demain, argua le psychiatre.

- Je suis sérieux. Tu chercheras ça plus tard.

- Rappelle-moi où il est stipulé sur ton contrat que tu peux contester les ordres que je te donne, Ace… ?

Le ton était sec et sans appel, et Law lut une lueur de profonde vexation dans les yeux noirs de celui qu'il se targuait d'appeler son meilleur ami, quand il n'était pas odieux avec lui – ce qu'Ace lui pardonnait immanquablement, à chaque fois, puisque lui seul avait compris ce que beaucoup d'autres cherchaient encore à comprendre. Ses prunelles sombres s'adoucirent une poignée de secondes plus tard, après qu'un lourd silence se soit étiré entre eux, et sa main se posa brièvement sur son épaule.

- … je te laisse, chuchota-t-il. Appelle-moi, si tu as besoin. Et essaye de te reposer.

Law acquiesça, détournant le regard pour se plonger dans les images de vidéosurveillance quand la porte se referma sur Ace, le laissant seul avec ses pensées et ses interrogations qui menaçaient de virer à l'obsession, une fois n'était pas coutume.

Il avait pour habitude de regarder les vidéos en deux fois, une de manière classique, l'autre en muet – il ne voulait pas être aiguillé par des paroles, seules les expressions compteraient dans sa seconde analyse. C'était quelque chose qu'il avait remarqué chez son patient, cette dissociation qui s'opérait jusque dans les mimiques de son visage, la différence entre ses sourires et les rictus de Kid, le rire de l'un et le ricanement guttural de l'autre. La gestuelle, si parlante, les deux si diamétralement opposés l'un à l'autre.

Il passa une des dernières vidéos, celles qui égrenaient déjà le compte à rebours pour Monet, juste avant que le verdict ne soit rendu. Moins de 50 heures avant que Kid ne daigne enfin donner son nom, évitant à Luffy la peine capitale pour ses crimes. Il n'avait pas encore pris le temps de s'y attarder pleinement, et il était déterminé à trouver ce qui pourrait l'aiguiller sur la piste qu'il avait décidé d'emprunter sans se retourner.

Le jeune homme était entravé sur sa chaise, amaigri en comparaison des clichés de son débarquement au commissariat, et le teint cireux sous ses cheveux noirs ; son expression à elle seule était bien plus parlante que la moindre des paroles : le sommeil gagnait la partie.
La notion de temps devait être en train de perdre toute tangibilité, pour lui, et même s'il avait fait preuve d'une résistance hors-normes, elle avait une fin, comme n'importe quoi en ce monde.
Caesar s'agitait aux quatre coins de la salle, occupé à vérifier chacun des dispositifs de sécurité de la pièce – sûrement une consigne de Monet, qui ne voulait pas prendre le risque de voir s'échapper un oiseau aussi rare et dangereux. Il vérifia l'inclinaison des caméras, les 4 devant couvrir 100% de la surface au sol, mur et plafond, et consulta sa montre avant de fouiller ses poches.

- Qu'est-ce que tu fais… ? souffla la voix d'un autre sbire qui se tenait près de la porte, fusil entre les mains, nerveux comme pas possible.

- Pas plus de quinze minutes de sommeil par tranches de quatre heures. Il a assez pioncé, répliqua-t-il en sortant une pochette noire contenant des seringues pré-dosées. Monet a été très claire là-dessus.

- C'est quoi ?

- Psychotropes.

- … je sais pas si c'est… réglo… de faire ça.

- Depuis quand on te paye pour penser, crétin… ? marmonna Caesar en plantant l'aiguille dans le biceps de l'adolescent, qui se réveilla à peine l'injection terminée, ses paupières papillonnant pour trouver un point sur lequel se poser.

Sa tête se redressa et ses prunelles vitreuses laissèrent la place à un regard acéré, pupilles rétractées et alertes, un sourire torve étirant le coin de ses lèvres quand il reconnut son geôlier, avant de bifurquer sur la sortie ouverte à sa gauche, ne dissimulant rien de ses intentions – la moindre faille serait exploitée sans vergogne.

- Woah, t'as vraiment une tête de fion, même au réveil… T'as une gueule dégueulasse tout le temps ou tu fais des pauses, parfois… ?

- La ferme, Monkey.

- J'suis sérieux. T'as l'air d'un cadavre. J'en ai connu qu'avaient l'air plus frais que toi.

- … il blague ? lança le deuxième gardien depuis la porte.

- Ignore-le. Bientôt il se fera toaster la gueule, et il aura droit à une surcuisson en enfer, rétorqua Caesar.

- Hn-hnn. Désolé d'te décevoir, mais Satan a toujours un ordre de restriction à mon encontre. C'est pas demain la veille que j'vais me pointer chez lui avec mes bagages. Avant ça, t'iras le saluer pour moi, chuchota Kid dans un sourire.

- On verra bien si ta cervelle va se décider à exploser à force de pas pouvoir fermer l'œil. Et peut-être qu'on sera définitivement débarrassé de toi.

- J't'ai fait une promesse, Caesar. Et j'ai pas l'intention de mourir avant toi…, souffla-t-il en se tendant vers lui.

- De quoi il parle… ? insista le gardien.

- Laisse tomber, j't'ai dit. Aide-moi à dévisser le fauteuil, j'dois l'emmener à l'étage. On a une autre séance pour lui.

- … aw, mec, dis-moi que j'ai droit à mes trente minutes de piscine gratos, s'esclaffa Kid en les regardant s'affairer autour de lui.

- Bingo, connard. On va aller faire trempette. Ça va peut-être te délier la langue.

La vidéo se coupa – fin de l'enregistrement. Monet avait parfaitement choisi ses moments, et Law mettait son bras à couper que les autres captures ne devaient pas être les plus jolies qui soient à voir.

De ça aussi, il devait parler avec Kid, Luffy, ou peu importe qui avait vécu ces événements ; ils avaient laissé des traces, physiques et mentales, qui traînaient leur cortège de conséquences et qu'il devait rattraper, pour établir ce lien auquel il tenait, et qui serait le seul qui lui permettrait d'en apprendre plus sur le fonctionnement si particulier de cet être unique qu'il tenait entre ses mains.

Il passa à la vidéo suivante, datée de quelques petites heures plus tard ; Caesar ramenait un Luffy trempé de la tête aux pieds, tout sourire, frissonnant dans la fraîcheur apparente de l'air, ses cheveux dégoulinants d'eau gouttant sur sa peau nue. La lèvre fendue, à en jauger la tâche sombre qu'il percevait par la caméra – au vu de la nervosité de Caesar, cet abruti ne devait pas être étranger à cette blessure.

Ce genre de pratiques, Law les avait longuement étudiées, au même titre que Monet ; elles étaient archaïques et avaient fait les beaux jours de la vieille psychiatrie, et n'étaient plus utilisées depuis belle lurette pour des tas de raisons toutes plus valables les unes que les autres. Les seuls qui en avaient encore l'utilité, officieusement, étaient les agents de la C.I.A, dans des circonstances exceptionnelles dont lui-même ne savait pas grand-chose – et à son échelle, il n'en avait pas non plus quelque chose à faire.

Ils remirent les entraves en place, Caesar passant au crible les dispositifs pour la seconde fois, et les deux hommes quittèrent la salle aux néons crus dans un claquement de porte, le laissant enfin seul – le sourire goguenard de Kid s'évanouit et sa tête bascula en arrière, les yeux levés vers le plafond, ses membres tirant sur ses liens pour détendre ses muscles douloureusement étirés. Il grimaça et fit craquer sa nuque, inspirant profondément.

- … putain, j'tuerais pour une pause, là, grogna-t-il pour lui-même. Pas toi… ?

Il resta un long, très long moment à fixer les dalles qui le surplombaient ; des minutes entières, que Law passa en accéléré, observant Kid figé dans sa position, jusqu'à ce que les yeux du jeune homme ne papillonnent. Il reprit la lecture lente de la vidéo et le regarda se redresser, avant que sa tête ne s'incline vers l'avant, courbant le dos, équilibre typique de celui qui s'apprête à dormir assis, peu importe l'inconfort de la position. Sa respiration s'apaisa, à en juger le mouvement de ses épaules, et Law regarda Kid plonger dans une autre phase de micro-sommeil, quasiment semblable à celle dont Caesar l'avait tiré un peu plus tôt.

Les minutes s'étirèrent, encore, le jeune homme tenant la position sans avoir l'air d'en souffrir, cette fois-ci, comme s'il se fichait bien de l'endroit où il se trouvait, comme si cela n'avait pas d'importance et ne pouvait pas l'empêcher de s'évader là où il le voulait. Law le contempla longuement, de sa tête dodelinant au rythme d'une musique qui n'existait que dans un coin de son crâne en passant par ses yeux clos et ses doigts battant lentement la mesure, le visage dénué de toute expression. À des années-lumière du type bravache qu'il avait enfin pu voir, de ses propres yeux, sortir de son terrier quelques heures plus tôt.

Vide.

Absent.

Ce n'était pas vraiment Luffy non plus, à dire vrai ; à en juger son apparence, Monet ne devait pas l'avoir ménagé, ce qui pouvait aussi expliquer l'état dans lequel Ace l'avait trouvé dans la salle de bain, malgré la récente intervention de l'unité chargée de le ramener à Ostrica.
Amener un être humain de son âge et de sa condition à douter de sa propre existence était un jeu d'enfant, pour peu que l'on bénéficie du temps ad hoc. Et Monet avait aimé jouer serré.
Et le fantôme qu'il voyait à l'écran n'était ni Luffy, ni Kid. Ce dernier était destiné à faire son entrée bien plus tard, quand Monet viendrait tenter un ultime interrogatoire quelques heures avant le jugement.
Ce n'était pas sa manière de procéder, mais il devait reconnaître qu'elle avait porté ses fruits, et qu'elle leur avait permis à tous deux d'en apprendre bien plus que ce que Kid pouvait en penser, c'était certain.

Ouvrant un autre dossier, il retrouva l'interrogatoire de Luffy lors de sa première nuit au commissariat, celui auquel Mihawk avait coupé court à son arrivée au petit matin, après une session d'heures ininterrompues.
Il lança le fichier et patienta, jusqu'à trouver cet instant où Luffy était immortalisé sur l'écran dans une position à la fois similaire et différente en tous points – différente, parce qu'en tailleur sur l'enregistrement d'Akainu, mains croisées et droit comme un i, rigide, en contrôle ; similaire, car imperméable à ce qui l'entourait. Parti loin, beaucoup trop pour se laisser atteindre par quelque chose d'aussi futile que les entraves qui le maintenaient au sol. En méditation, retiré dans un monde rien qu'à lui.

C'était lui, le troisième locataire.

Law en était persuadé.

Une barrière entre Luffy, Kid et le monde, entre l'absurde de la situation, la douleur, la faim, l'épuisement.

Kid dominait, Luffy subissait, et il y avait Lui.

L'Autre.

La dernière carte de Kid pour les couper du reste de l'univers.

Law tira le curseur quelques minutes auparavant, ralentit le cours de la vidéo et fixa l'image, traquant le moment où Kid s'effaçait pour laisser la place à cette autre personnalité.

- … qui t'es, toi… ? murmura-t-il pour lui-même, sachant que personne ne pourrait l'entendre.

Il devait absolument établir une communication avec celui-là, s'il avait la chance de tomber sur un personnage doué de parole – ce qui n'était pas gagné, loin de là. Si cette personnalité n'avait qu'un rôle purement défensif, sans aucune autre fonction, elle pourrait très bien se réduire à un panel d'actions sans autre fondement qu'un instinct basique, dénuée de réflexion et de pensées complexes qui, elles, caractérisaient Kid.

Et ce qui ne manquait pas de l'ennuyer était les circonstances de son apparition : si même Kid s'inclinait pour lui laisser la place, cela signifiait faire perdre à Luffy la stabilité mentale contre laquelle il courait depuis son arrivée ici. Un de ses buts était de pouvoir permettre une interaction entre lui et les personnalités dans un calme relatif, loin des crises incontrôlables dont son patient était la première victime, et qui rendaient toute communication stérile.

Ce qui allait à l'encontre totale des conditions de manifestation de cet Autre qu'il voyait à l'écran.

Law ouvrit son cahier et prit ses notes, sans lâcher les vidéos du regard, superposant les images, analysant chacune de ses expressions, chaque éclat dans ses yeux noirs, traquant sans relâche le moindre indice, ignorant l'heure qui défilait à la pendule.
Il allait devoir prendre des risques, de la même manière que Monet l'avait fait, tout en ayant parfaitement conscience que chacun de ses actes aurait des conséquences ; c'était un prix qu'il pouvait payer, si ça en valait la peine.

Accepter de perdre un peu, pour obtenir tellement plus.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Jour 23.

Marina District, San Francisco, Californie.
10 heures du matin.

Shanks releva la tête du dossier que Coby lui présentait quand son téléphone sonna, à quelques mètres de là ; aussitôt, ses yeux glissèrent sur l'horloge, au-dessus de la porte, calculant le temps qu'il avait estimé entre le moment où il avait ouvert à son assistant et celui où il allait avoir le droit à son premier coup de téléphone à Luffy, à la clinique – il savait qu'il devait compter deux heures de décalage horaire avec Ostrica, et qu'il devait être aux alentours de midi, là-bas : soit bien trop tôt sur l'horaire que l'hôtesse d'accueil lui avait indiqué quelques jours auparavant.

Coby se leva de sa chaise, saisit le combiné et l'emmena au Gouverneur qui le remercia d'un sourire et lui désigna la porte du bureau, dans un signe équivoque lui signifiant qu'il pouvait descendre prendre un café dans la cuisine.

La porte se referma sur lui, et il porta le cellulaire à son oreille avec le cœur battant à tout rompre – son instinct le trompait rarement, et ce jour-là n'allait pas faire exception, de toute évidence.

- Shanks, j'écoute… ?

- Bonjour, Shanks. C'est Law, murmura la voix du psychiatre dans le téléphone.

- Salut, Law. Il y a un soucis… ?

Il entendit son rire, bas et mesuré à l'autre bout du fil, et en devina la légère amertume tant elle lui rappelait celle de Sabo quand il était question de prendre des nouvelles de Luffy, parfois.

- … vous n'allez pas pouvoir parler à Luffy, aujourd'hui. J'en suis désolé.

- Tu peux m'en dire plus ?

- Il est un peu trop instable pour le moment.

- … Kid ?

Le silence qui s'étira à l'autre bout du fil répondit à sa question.

- Personne n'est blessé ?

- Tout le monde va bien, on a connu bien pire, ici. Je le garde un peu à l'écart pour le moment. Dès que j'ai du mieux, je vous rappellerai.

- Tu as reçu à temps ce que je t'ai envoyé ?

Il se rappelait le coup de fil un peu random qu'il avait reçu à son cabinet, par Trafalgar Law en personne qui lui demandait de lui faire parvenir certains éléments précis de ce que Luffy possédait à la villa, et qu'il affectionnait particulièrement – Sabo l'avait aidé à décrocher quelques posters et avait pensé à son vieux baladeur qu'il gardait sous son oreiller, Nami s'était chargée des draps et d'une peluche, et Coby s'était arrangé pour que l'envoi soit le plus discret possible, se débrouillant pour faire passer le colis à un postier en plein milieu de la nuit pour être certain qu'aucun fouineur ne l'ouvre pour y mettre le nez et en balancer le contenu à un journaliste de plus.

Il avait compris qu'il s'agissait de mettre Luffy à l'aise, dans son nouvel environnement, mais la requête l'avait surpris, pour ne pas dire autre chose.

- Tout était dans sa chambre à son arrivée, il a tout ce qu'il faut. Il a émis quelques demandes de plus, mais c'est son infirmier qui s'en occupe personnellement.

- … comment il va ?

- Il mange et il dort. C'est déjà un bon début. … C'est un têtu, ajouta-t-il après quelques secondes de latence, et Shanks devina le sourire dans sa voix, cette fois.

- Sans blague. Je tombe des nues.

- … et il maîtrise bien le sarcasme, mais je ne me demande plus de qui il tient ce talent.

Shanks leva les yeux au ciel, parfaitement conscient que personne ne le verrait, mais imaginer Luffy et ses rares réparties cinglantes à l'œuvre réveillait des souvenirs doux-amers dans un coin de son crâne.

- Tu as pu… parler… avec Kid ?

- C'est trop tôt pour que je puisse vous en dire davantage. Dès que Luffy sera en état de parler, vous aurez de nos nouvelles. D'ici là… essayez de ne pas vous torturer l'esprit inutilement. Il est entre de bonnes mains.

- J'y penserai, railla-t-il.

- Une dernière chose, Shanks : j'aurais besoin d'en savoir un peu plus sur Luffy à propos de son arrivée à San Francisco.

Pour le coup, cette exigence-là lui coupa le sifflet pour un long moment, bien plus que celle qu'il avait formulée quelques jours auparavant.

L'arrivée de Luffy n'avait pas été ce qu'il avait eu le plus de difficulté à bâtir, dans sa vie ; quand bien même il n'était pas encore Gouverneur à cette époque, sa notoriété politique du moment ne lui avait fait bénéficier d'aucun sauve-conduit, au Brésil. Il avait dû passer par tous les méandres des administrations respectives des deux pays, le sien et celui de son futur fils, et le décès de sa femme n'avait en rien pesé dans la décision de l'intendance qui régissait les dossiers d'adoption. Ni en sa faveur, ni en son discrédit.

Il n'avait contourné aucune législation et enfreint aucune loi pour obtenir l'autorisation de faire venir Luffy en Californie, et il se demandait ce qui pouvait bien pousser Law à mettre le nez de ce côté-là ; il n'était pas sur la défensive, loin de là : simplement curieux.

- Tout est réglo. Tu ne trouveras aucun vice de procédure.

- Ce n'est pas ce que je cherche. Vous pourriez me faire parvenir tout ce que vous avez gardé du dossier ?

- … Si ça peut t'aider.

- Beaucoup, oui. Combien de temps il va vous falloir pour tout regrouper… ?

- Quelques jours, histoire d'appeler l'orphelinat et de leur laisser un battement pour m'envoyer ça. Tu es si pressé que ça ?

- Le temps, c'est tout ce que j'ai ici, Shanks, murmura Law avec, le Gouverneur en jurerait, un sourire dans la voix. Passez une bonne journée…

- … Toi aussi.

Il coupa la communication le premier, presque trop sèchement – il n'avait pas besoin d'un sermon intérieur pour savoir qu'il avait été à la limite de la politesse, et il n'avait pas non plus besoin d'un avis extérieur sur son comportement pour en comprendre l'origine : il était méchamment frustré, comme rarement il l'avait été dans sa vie.

Il s'était plongé à corps perdu dans le travail et les communiqués de presse depuis la décision d'Aokiji, pour tenter d'assurer un peu de sérénité à Sabo et Nami, mais il savait pertinemment qu'il ne dupait personne, lui en premier : Luffy lui manquait, au-delà du possible. Les mêmes pensées l'obsédaient, ne manquaient pas de le tenir éveillé, la nuit, s'infiltrant dans la moindre brèche de son cerveau dès qu'il avait le malheur de ne pas en faire un plein usage, peu importe l'heure de la journée.

Quelques coups, discrets, résonnèrent à la porte – il autorisa Coby à entrer et jaugea son air embarrassé derrière ses grandes lunettes.

- … oui… ?

- … j'ai… euh, entendu, confessa son assistant en posant sur le bureau le plateau qu'il tenait dans ses mains, faisant glisser une tasse de café fumant en direction de son responsable. Comment va Luffy ?

- Pas très bien, marmonna Shanks en la portant à ses lèvres, inspirant l'odeur de la caféine avant d'en tester une gorgée. J'aurais aimé lui parler, aujourd'hui, et je vais devoir m'asseoir dessus.

- Il y a… quelque chose… que je peux faire ? hésita le jeune homme en reprenant sa place près de son ordinateur. Passer un coup de fil, faire envoyer quelque chose…

- Nous sommes dimanche, souligna le Gouverneur avec un léger sourire. Tu devrais être chez toi, alors que tu es là, à faire des heures sup', coincé avec moi pour de la paperasse en retard.

- Ça ne fait rien. J'aime autant que vous leviez le pied la semaine, et qu'on règle les choses au fur et à mesure. Vous n'êtes pas en état de refaire des journées de seize heures, marmonna Coby en ramenant son PC à lui.

Sabo et Nami avaient dû faire passer le mot à son assistant, et c'était à la fois horriblement horripilant et terriblement attendrissant de le voir s'évertuer à lui rendre la vie facile, parfois à son propre détriment : ce gamin était génial et Shanks ne se voyait pas lui demander l'impossible, surtout à son âge. Il était à peine plus vieux que Luffy, et il était hors de question qu'il le laisse accumuler autant de pression que son benjamin l'avait fait.

- Depuis quand est-ce que tu me maternes, toi… ?

- Depuis que vous m'avez engagé il y a trois ans pour planifier toutes vos journées, monsieur, rétorqua-t-il en haussant un sourcil.

- C'est Luffy qui t'a appris à répondre comme ça… ? sourit-il par-dessus sa tasse.

Coby s'empourpra jusqu'à la racine des cheveux et Shanks sirota son café sans un mot de plus, amusé, reportant son attention sur les dossiers empilés devant lui, pensif.

La situation, si elle ne s'était pas entièrement calmée, avait cessé de soulever les passions des foules alentours ; personne ne venait plus observer sa villa avec une curiosité morbide, et il n'avait plus le déplaisir de constater la présence d'attroupements devant son portail dès le petit matin. À sa grande surprise, il n'avait pas encore ramassé d'œuf en pleine tête en sortant de chez lui, et il ignorait encore si cette aubaine était due à son service de sécurité ou à un regain d'espoir en une humanité capable de faire la part des choses – un fond d'amertume lui chuchotait encore qu'il s'agissait plus vraisemblablement de la première option, mais il préférait ne pas en tenir compte autant que faire se pouvait.

Une conférence de presse l'attendait incessamment sous peu, le sujet portant sur une de ses dernières ratifications d'un traité de nature juridique ; il pressentait déjà la lente dérive des questions sur le sujet de Luffy, qu'il avait appris à esquiver plus ou moins fermement selon le ton de l'entretien et l'humeur du journaliste, sur les conseils de Mihawk qui avait jugé bon de l'entraîner à coups d'interrogations déplacées – histoire de lui montrer de quel genre de remarque ses détracteurs étaient capables.

Shanks avait depuis longtemps l'habitude de composer avec des attaques de toutes sortes, mais il avait dû admettre qu'il y avait un fossé entre se défendre soi-même et devoir défendre n'importe lequel de ses enfants.
Sabo et Nami avaient également eu droit à leur lot de déconvenues ; l'aîné avait déjà essuyé la décommande d'environ 40% de sa clientèle, et la cadette déjeunait seule à la fac, dans un coin reculé du campus, à l'abri des insultes et des regards en coin. Apprendre que Kid avait fait de nouveau des siennes n'allait pas arranger la situation, mais il se devait de leur dire, pour éviter qu'ils ne l'apprennent dans d'autres circonstances.
Il faisait un énorme travail sur lui, ces derniers temps, notamment sur l'idée d'accepter de lâcher prise, de ne pas pouvoir tout contrôler, quand bien même c'était ce qu'il avait toujours voulu ; cet enseignement-là, il l'avait tiré de ses enfants eux-mêmes, depuis la mort de sa femme. Et, plus que jamais, il se devait de l'appliquer.

- Qu'est-ce qu'il nous reste, pour aujourd'hui… ?

- Des papiers, des papiers…, marmonna Coby en écartant les dossiers qui se présentaient à lui. Et… si je fouille par là… encore des papiers. Il faut qu'on refasse une passe sur votre agenda, de souvenir votre semaine ne va pas vous plaire et ça ne serait peut-être pas plus mal que vous vous prépariez psychologiquement, toussota-t-il après un silence.

- … j'ai un rendez-vous avec Akainu, c'est ça… ?

- Précisément.

Shanks leva les yeux au ciel et replongea le nez dans les liasses que Coby disposait devant lui, tentant de ne pas penser à l'entrevue qui l'attendait avec la personne qu'il détestait le plus en ce bas-monde. L'ambiance promettait d'être électrique – les deux hommes s'évitaient comme la peste depuis que Luffy avait été envoyé en Louisiane, et tout le monde s'abstenait le plus possible de mentionner le nom de l'un en présence de l'autre. Tâche qui s'avérait ardue, puisqu'en tant que chef de la police, Akainu avait des comptes à rendre à un homme qu'il s'efforçait de faire tomber de sa place : ils s'étaient toujours détestés, et les derniers événements n'allaient rien arranger à leur relation déjà ultra-tendue.

De son côté, Shanks avait longtemps combattu l'idée de contacter Benn, à la CIA, pour avoir une belle pile de dossiers sur l'intéressé ; le faire virer et l'humilier comme il avait pris plaisir à le faire avec Luffy était tentant, mais comme il l'avait souligné lui-même, l'affaire allait attirer beaucoup trop de regards. C'était déjà un miracle qu'il n'ait pas été lui-même destitué de sa place, avec cette histoire – s'il désavouait un de ses hommes pour ce qu'il avait fait, il risquait de devenir une cible facile sur siège éjectable. Et sa position actuelle était la seule chose qui pouvait lui permettre de défendre ses enfants, le temps que les choses se tassent avec Luffy, et que les gens… oublient simplement.

Shanks fouilla dans sa poche pour en sortir son portable, pianotant un moment pour faire parvenir un message groupé à Sabo et Nami leur expliquant qu'il ne serait pas possible de parler à Luffy pour l'instant et que, par conséquent, il était inutile qu'ils viennent à la villa cet après-midi. Cette annonce n'allait pas leur plaire et il aurait le droit à une foule de questions, auxquelles il n'aurait qu'une seule réponse à accorder.

« Kid ».

Il ferma les yeux, absorbé par une foule de souvenirs acerbes qui le rendaient amer ; Law savait peut-être tout ce qui concernait la vie publique de Luffy, de ses études à la moindre de ses fréquentations, mais le reste lui était inconnu, au même titre qu'il l'était pour sa propre famille : tous avaient déjà subi le caractère insupportable de Kid, mais au fond de lui, Shanks restait persuadé qu'ils n'avaient pas encore vu le pire. Que ce garçon n'avait pas encore montré de quoi il était pleinement capable, et que Vivi n'était qu'un avant-goût du sort qu'il réservait à ceux qui ne se pliaient pas à ses envies. Nami avait été la première à en faire les frais et, quand bien même Kid n'avait, à sa connaissance, plus jamais levé la main sur elle, ayant Sabo pour le canaliser, le Gouverneur savait qu'ils n'avaient fait qu'éviter les problèmes.

Il avait bien saisi le message : Law savait ce qu'il faisait. Traiter des patients aussi atteints que Luffy était son boulot quotidien, et il ne prenait pas à la légère tout ce qu'il s'était passé avant et pendant les séances au Tribunal.

Mais quelque part, dans un recoin de son crâne, Shanks savait que ce serait loin d'être suffisant.

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Réponses aux guests :

Yuh : Hello ! Oh, Ace aime bien ramasser les pots cassés, il est payé pour ça, le garçon, héhéhéh. On est reparti sur un chapitre plus calme, mais comme dit le proverbe, toujours se méfier de l'eau qui dort... Merci beaucoup ^^ ! A la prochaine !

Crow : Bien le bonjour, chère Crow... Ne t'en fais pas, ça arrive de ne pas avoir beaucoup de choses à dire, je suis la première à sécher quand il est question de rédaction (ce qui est un comble, mais admettons). Toi aussi, tu as été surprise par la tentative d'évasion de Kid aussi bourrine, mais concrètement c'est ce qui le caractérise, cf Tribunal et fourgon ;) : il fonce, mais ce n'est pas sans raison, vous le verrez au fur et à mesure de la fiction. Je vais continuer à travailler sur les répliques des persos, qu'ils soient patients ou personnel soignant, histoire d'alléger un peu l'ambiance tendue entre les différents protagonistes...
Plantée comme un nain de jardin ?! Alors même si une partie de moi compatit pleinement, une autre ne peut s'empêcher de s'amuser de cette expression, qui est particulièrement bien imagée ! Yessss, Pyro reprend ses publications, elles sont rares mais toujours aussi agréables à lire, ça alimente le fandom français ^^ Merci pour ta review, à très vite pour la suite...


On se revoit dans deux semaines :) Bonnes vacances à ceux qui en ont !