Ohayo mina !
Bon, maintenant que je suis bien installée dans mon bunker, je peux ouvrir ce chapitre sur une note peut-être un peu... directe :D
On va s'aligner tout de suite sur le même plan en ce qui concerne certaines notions abordées dans ce chapitre... il est question de quelques symptômes/prédispositions qui laissent présager, chez certaines personnes, d'un trouble dissociatif de l'identité. Ces notions ne sont absolument pas à sortir de leur contexte, qui doit être jugé et analysé par un professionnel. Ce n'est pas parce que vous répondez à certains critères que vous souffrez de cette pathologie... de souvenir, il faut répondre à plus d'une centaine de questions et subir un graaaand nombre de séances avec un très bon psy pour réussir à poser un tel diagnostic.
Parce que, à ce compte-là, je réponds aussi aux critères et même si vous doutez parfois de ma santé mentale - ne niez pas -, je n'ai pas le malheur d'être dans le cas de notre héros de l'histoire !
Pas mal de personnes m'ont annoncé être bipolaires pendant la rédaction de RVEE parce qu'elles avaient envie de tuer quelqu'un qu'elles ne supportaient pas ou qu'elles se mettaient en colère facilement... je n'ai pas envie d'avoir affaire au même cas de figure dans cette fiction x)
Si vous avez besoin de parler, néanmoins, vous savez que vous pouvez vous lâcher sur les PM...
Bieeeen, maintenant que c'est fait... le chapitre, messieurs-dames ! On revoit un perso que vous n'avez pas beaucoup aimé, mais ça ne fait rien, lancez-moi des objets tant que vous le voudrez HAHA. C'est open-bar ! Et on en découvre d'autres, dans la longue liste des résidents de l'asile...
Merci beaucoup pour vos commentaires, ils sont un super carburant pour avancer sur cette histoire :) Vous prenez toujours le temps de commenter et même si je tarde parfois à répondre... vous restez là !
Les guests sont en bas, je vous souhaite une très bonne lecture, et...
Enjoy it !
Chapitre 17 :
Jour 39. Pari.
Louisiane, près d'Ostrica.
14 heures.
Installé au bureau de sa chambre, la lumière du soleil encore haut dans le ciel filtrant à travers la fenêtre, Luffy contempla les liasses de feuilles qui s'étalaient sur la table, toutes bardées de questions qui ressemblaient, de loin, à celles d'un QCM. En y regardant de plus près, il constata qu'il n'en était rien, et qu'elles étaient plutôt constituées d'échelles de valeurs.
Réglant la playlist de son baladeur, il enfila ses écouteurs et s'installa plus confortablement, penché sur son devoir du jour, ses yeux parcourant l'annotation de Law en haut de la première page lui expliquant le déroulé de ce qu'il savait être un test – de quoi tuer le temps en attendant l'activité du soir promise par Ace.
La première partie aborderait des questions relativement personnelles, bien que générales, et la deuxième sur des expériences particulières. Il lui demandait d'être au calme, pour répondre, de prendre son temps et de laisser les polycopiés de côté s'il sentait que ce n'était pas le moment – aka, si Kid menaçait de pointer le bout de son nez.
Les réponses à fournir étaient un pourcentage, représentatif du nombre de fois où il avait expérimenté la sensation décrite, et à cet instant il avait déjà parfaitement compris de quoi il retournait.
La première question – « Parfois, certaines personnes qui sont en train d'écouter quelqu'un parler réalisent soudain qu'elles n'ont pas entendu tout ou partie de ce qui vient d'être dit » – lui rappela les longues heures de cours qui ne l'intéressaient pas, avant le secondaire, où Kid se faisait un malin plaisir de semer la zizanie en classe pendant ses absences, avant que Luffy ne revienne à lui, dans le bureau du Directeur lui remettant le planning de ses futurs travaux d'intérêt généraux à réaliser les samedi matin, punition pour avoir coupé à ras les cheveux de la fille devant lui et jeté les cartables de ses voisins par la fenêtre du fond de la salle.
Ce niveau-là de challenge avait été difficile à gérer, quand il avait quinze ans.
C'était une période de sa vie où il se cherchait, où – comme n'importe quel adolescent – il tentait de se construire une identité, tiraillé entre l'envie d'être différent, de ne pas se retrouver copie conforme des autres garçons qui gravitaient autour de lui et qui suivaient tous le même mouvement, la même mode, adoptant le même comportement pour coller à l'image de perfection qu'ils se faisaient tous… et l'envie de rentrer dans le moule, ne pas trop sortir de la masse, de passer à travers la foule sans avoir un spot lumineux braqué sur la nuque.
Période où il était à des années-lumière d'être aussi sûr de lui que l'image qu'il renvoyait, éternel optimiste rieur dans la lumière, ombre quand les premières sensations d'une adrénaline mal contrôlée se faisaient sentir.
Pour n'importe quel gosse de n'importe quelle condition, fût-ce la sienne ou celle d'un autre, l'adolescence était une fenêtre de tir qu'il ne fallait manquer à aucun prix, représentant un minuscule interstice, une infime possibilité de se faufiler par une porte entrouverte pour saisir le bon moment, sous peine de se voir claquer le battant au nez par quelqu'un de beaucoup plus rapide : Luffy avait passé des années à courir après ces instants de tranquillité, ces pans de vie passés à savourer les rares moments de répit que Kid lui laissait, trop prompt à lui voler ce que tous deux convoitaient : une existence propre, débarrassée de tout ce qui les étouffait mutuellement.
Il passa à la deuxième question, mordillant mécaniquement le bout de son crayon, son pied battant la mesure de la musique qui jouait toujours au creux de ses oreilles.
« Il arrive à certaines personnes de ne pas se rappeler avoir fait quelque chose alors qu'elles trouvent la preuve qu'elles ont fait cette chose. »
Là aussi, interrogation pertinente, qui le projetait une poignée de semaines en arrière, face à l'enregistrement de la ruelle, où Vivi n'avait eu aucune chance contre Kid. Et c'était la meilleure des preuves, la plus glaciale et la plus saisissante qu'il ait jamais eue à affronter, et qui n'avait souffert d'aucun contre-argument. Il devinait que Law et Ace étaient parfaitement au courant de ce qu'il s'était passé, entre lui et Vivi, et qu'ils avaient visionné en long, en large et en travers chaque seconde de cette vidéo pour tenter d'apprendre les réactions de ce qu'il y avait de pire en lui – ils n'avaient pas abordé ce sujet avec lui, mais Luffy était certain que Law ne tarderait pas à mettre les deux pieds dans le plat. De la même manière, il n'avait pas besoin de beaucoup forcer pour être persuadé que d'autres preuves, qui ne concernaient ni lui, ni Kid, s'étaient accumulées, et que le psychiatre attendait simplement la bonne occasion pour saisir la perche qui se baladait au-dessus de sa tête.
Et si Law était aussi intelligent qu'il le paraissait, alors Luffy était convaincu qu'il avait déjà sa petite idée sur leur fonctionnement, leur raison d'être et les clauses qui conditionnaient leurs apparitions respectives.
Il entoura le pourcentage qui lui semblait le plus approprié, et enchaîna sur le troisième item. « Certaines personnes font l'expérience d'être accusées de mentir alors qu'elles pensent ne pas avoir menti. »
Il se rappelait avec une netteté accrue la sensation pesante de la main de Shanks, immense, posée sur son épaule, de ses yeux noirs plongés dans les siens avec un sérieux qui n'était pas sans rappeler sa position, à l'époque, à savoir maire de San Francisco. Son père, accroupi devant lui, le tenait fermement et lui disait qu'il en avait assez de répéter, et qu'il voulait une réponse, maintenant. Luffy, confus, avait balayé du regard ce qui l'entourait et avait avisé la bibliothèque renversée de Nami, ses maquettes de bateaux éventrées au milieu des centaines de pages déchirées, pour finir par l'air dévasté de sa grande sœur et ses yeux noisette encore humides de larmes rivés au sol.
Il se rappelait le battement sourd de son cœur dans sa poitrine, de plus en plus rapide, le bruit assourdissant du sang dans ses oreilles, de sa respiration courte et précipitée, du contraste saisissant entre son visage brûlant de honte et ses doigts et ses pieds qui lui paraissaient glacés, presque engourdis par le brusque reflux du sang dans ses membres, loin de ses extrémités tremblantes.
Il avait bêtement croassé que ce n'était pas lui et Sabo, adossé à l'encadrement de la porte, avait contré sa vérité balbutiante en argumentant qu'il l'avait vu saccager les constructions lui-même. Sabo était déjà grand, à cette époque, venant de fêter ses seize ans et il était inconcevable que Shanks le croit, lui, plutôt que son aîné déjà raisonnable et bien plus mature que son âge.
Les doigts de Shanks avaient raffermi leur prise – loin d'être douloureuse, mais suffisamment impressionnante pour faire passer à Luffy toute envie de vouloir plaider sa cause désespérée – et il lui avait demandé, une dernière fois, de ne plus mentir. Que faute avouée était à moitié pardonnée. Et Luffy, de son anglais encore imparfait, avait capitulé et baissé la tête, fixant ses pieds en avouant malgré lui, le cœur au bord des lèvres et le ventre noué, que c'était lui qui avait cassé les frégates et qu'il demandait pardon.
Le souvenir, amer, réveilla une sensation désagréable à l'arrière de son crâne, une série de picotements qui hérissèrent ses cheveux sur sa nuque et lui retournèrent le ventre sans merci.
« Certaines personnes font l'expérience de trouver des objets nouveaux dans leurs affaires sans se rappeler les avoir achetés », lut-il un peu plus loin. Il avait non seulement eu cette désagréable surprise, mais aussi et surtout l'horreur de découvrir que Kid cachait beaucoup d'autres choses dans les tiroirs de la commode de sa chambre. Des lames, et même une arme à feu, ce qui était totalement proscrit chez lui. Une fois la crise de panique passée, il était allé trouver Sabo dans sa chambre pour lui demander de l'aide, pour se débarrasser de tout ça sans que Shanks ne s'en aperçoive, dernière échappatoire à sa portée. Son aîné l'avait convaincu d'en parler à leur père, que cacher ce que Kid avait fait ne ferait qu'aggraver la situation – et, encore une fois, force avait été de constater qu'il était de bon conseil.
Cette ère-là avait marqué la montée en puissance de Kid, sûrement aggravée par cette adolescence que Luffy avait détesté expérimenter et qui, à son sens, était tout juste terminée maintenant que ses vingt ans avaient sonné. Là encore, le score qu'il entoura de son crayon n'était guère moins élevé que les autres.
Tournant la page, il répondit aux autres questions qui se succédaient, certaines lui demandant plus d'efforts que d'autres – il était surpris d'obtenir des scores nuls à certaines réponses et se nota mentalement d'en parler à son psychiatre quand viendrait le moment d'interpréter ces résultats.
« Il arrive à certaines personnes d'être abordées par des gens qu'elles-mêmes ne reconnaissent pas. Ces inconnus les appellent par un nom qu'elles ne pensent pas être le leur ou affirment les connaître » réveillait une foule d'autres évènements, désagréables pour certains, presque comiques pour d'autres. Au lycée, Kid avait pour habitude de se distinguer dans les soirées, forçant Luffy à fuir les rassemblements étudiants et les lieux exigus quand la fatigue se faisait sentir, moment où il était le plus vulnérable. Et il n'avait pas assez de doigts, ni même d'orteils, pour compter le nombre de fois où un type était venu lui chercher des noises en plein milieu de l'après-midi dans la cour, histoire de régler ses comptes avec lui – les prétextes étaient divers et variés, fluctuant au gré des envies que Kid avait voulu assouvir la nuit précédente : ça allait de la bagarre à coups de bouteilles de bière à une coucherie quelconque avec une fille qui avait plu à son alter-égo, peu importe qu'elle sorte déjà avec quelqu'un ; Kid était le spécialiste de ce genre d'emmerdes. Et, forcément, au matin, c'était Luffy qui récoltait ce que son Autre avait semé, en se retrouvant nez-à-nez avec un mec furax prêt à lui envoyer la tête dans le mur le plus proche, que Kid avait nargué la veille en lui faisant parvenir les photos qu'il s'était permis de prendre en plein ébat avec la nana en question.
Cette approche bourrine de ses potentiels assaillants n'était pas un problème en soi, Luffy l'avait saisi depuis longtemps : pas besoin d'intervention de la part de Kid, dans ces moments-là, cette tâche ne lui incombant pas. Et quand Luffy revenait enfin à lui, ceinturé par un groupe de surveillants et le pied enfoncé dans la gorge de celui qui avait tenté de le charger, il savait déjà quelle tête ferait Shanks quand Coby lui annoncerait que le Directeur de l'établissement souhaitait lui parler sur-le-champ.
Le soir-même, Luffy avait demandé à Nami de supprimer les photos compromettantes, n'osant pas regarder directement les angles de vue que Kid avait jugé les meilleurs, et cette fois-là, même Sabo avait eu du mal à garder son sérieux en survolant ce que Nami effaçait au gré des pages qui se présentaient à elle – ils avaient fini par en rire, même si, au fond, Luffy détestait quand Kid usait de son corps à l'envi, surtout pour ce genre de choses intimes qu'il aurait préféré gérer lui-même, sans laisser un autre le contrôler à sa place.
Luffy releva la tête du bureau quand des coups résonnèrent à la porte de sa chambre – « cellule », corrigea une voix intérieure qu'il balaya d'un geste imaginaire – qui ne tarda pas à s'ouvrir après quelques grincements de verrous, dont il s'efforça de ne pas égrener les secondes de manipulation : autant éviter ce genre de détails, au risque de se mettre à tout cataloguer et devenir fou, dans cet endroit où la routine faisait tout de même 70% de son temps.
Le battant s'écarta et Ace passa la tête par l'ouverture, avisant les feuilles devant lui.
- Occupé ?
- Ça peut attendre, j'ai bien avancé, marmonna-t-il en réunissant le paquet éparpillé, laissant le crayon bien en évidence sur la liasse avant de se lever et de s'étirer longuement. C'est quoi, le programme ?
- L'activité dont je t'ai parlée hier. Tu es toujours d'attaque ?
- Je sais même pas ce que c'est, je vois pas comment je pourrais être chaud pour ça, répliqua-t-il en rangeant sa chaise, enfonçant ses mains dans ses poches.
- De bonne humeur, hein ? s'esclaffa Ace en lui faisant signe de venir. Ça promet…
Luffy ne releva pas et le suivit hors de la chambre, attendant qu'il ait verrouillé la porte avant de longer les couloirs qui l'emmenaient en direction de la salle commune, à la différence près qu'ils bifurquèrent sur une autre partie où il n'avait encore jamais mis les pieds – accessible par badge uniquement, visiblement tant pour y entrer que pour en sortir. Un coin à part, doté d'une sécurité supplémentaire, qui laissait présager que ceux qui allaient se retrouver ici n'étaient pas dans la clinique pour une grosse déprime passagère.
Il se rappelait nettement des termes employés par son infirmier, la veille : cette activité nécessitait un minimum de neurones. Et le cerveau de ce corps, c'était clairement Kid, Luffy étant relativement moyen sur la partie scolaire qui lui revenait, dans leur jeu de chaises musicales.
Ils atteignirent une porte fermée, et Luffy ne put réprimer un sourire en trouvant une familiarité entre ce modèle et celui qui figurait au fond de leur salon, battant qui ouvrait sur une petite salle de jeux privée où Shanks s'adonnait à de longues parties de poker quand il recevait des amis, ou des membres de la famille comme Benn Beckman. Luffy et Nami s'étaient déjà joints à eux, l'un pour regarder, l'autre pour jouer – sa sœur était redoutable quand il s'agissait de gagner. Sabo se débrouillait mais préférait les observer, avec Luffy, tous deux premiers volontaires pour aider leur cadette à tricher sans vergogne.
Ace frappa à la porte, patienta un instant et poussa la poignée, le battant s'ouvrant sur une pièce encombrée par de nombreuses maquettes, qui lui rappelèrent instantanément celles que faisait Nami et qu'il avait ruinées d'un claquement de doigts. Ravalant la boule dans sa gorge, il entra à l'invitation d'Ace et dévisagea le petit groupe qui s'affairait déjà autour des tables débordant de matériel en tout genre. Il reconnut toutes les personnes qui l'entouraient, pour les avoir déjà vues dans la clinique, mais la seule sur qui il put mettre un nom était Sugar, perchée sur un tabouret, son panier de raisins entre les jambes – elle releva la tête de sa maquette et lui sourit, agitant la main à son intention.
Il répondit, par mimétisme, évitant d'attarder son regard sur ceux qui le fixaient, à présent.
L'infirmier referma derrière eux et s'avança au milieu de la pièce, ramenant le silence par sa seule présence ; Luffy resta à l'écart, tête baissée, scrutant le monde autour de lui, analysant déjà tout ce qui l'entourait.
Il reconnut Thatch, un peu plus loin, qui lui adressa un signe cordial à son tour, toujours aussi souriant.
- Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, je vous présente Luffy. Il va intégrer votre groupe jusqu'à durée indéterminée. Les règles ne changent pas, et il n'y aura pas de réorganisation des binômes. Luffy fera équipe avec Sugar… si ça leur convient, ajouta-t-il après un silence en les dévisageant.
L'intéressé acquiesça, rien qu'à voir le sourire de la fillette, et traversa la salle pour la rejoindre, regardant de plus près la maquette sur laquelle elle était en train de travailler – une taille appréciable, d'environ deux mètres sur trois, loin d'être achevée ; les œuvres des autres semblaient bien plus abouties, mais à deux, il était bien plus facile d'avancer sur des projets de cette envergure.
- Luffy, histoire que tu soies familier avec tout le monde, poursuivit Ace en levant le bras en direction du garçon le plus proche. Bartolomeo, il est de San Francisco, comme toi, vous devriez bien vous entendre, il fait équipe avec Rebecca. Pudding est en binôme avec Lucci, et pour finir, Hawkins et Hina.
- … un garçon, une fille ? remarqua-t-il en faisant le compte.
- Exactement. C'est comme ça que ce groupe-là fonctionne, en tout cas. Sugar n'avait personne depuis quelques mois–
- Et elle est foutrement à la bourre, murmura Lucci en faisant tourner sa chaise.
- Ton langage, rétorqua Hawkins. Être en compétition avec une fillette, ça va, ça te gêne pas… ?
- Je peux me défendre toute seule ! s'exclama Sugar en lançant un raisin à la tête de Lucci, qui se figea pour la toiser d'un regard glacial. Quoi ? Tu veux qu'on en parle à la sortie ?!
- Qu'est-ce qu'on a dit sur les raisins, Sugar ? toussa Thatch.
- … c'est pas des projectiles.
- Je t'imaginais pas aussi vindicative…, marmonna Luffy.
Il croisa le regard d'Ace, au moins clairement aussi hilare ; de toute évidence, le groupe était loin d'être en parfaite symbiose, et les discordances qui régnaient entre eux étaient certainement voulues par le psychiatre – sûrement une manière pour eux de travailler leurs comportements respectifs et leur sociabilité.
Tous semblaient avoir un caractère bien trempé, au moins égal à celui de Luffy, et la communication n'allait pas s'avérer être un long fleuve tranquille ; l'exercice serait tout sauf aisé, et il avait parfaitement compris les raisons qui avaient poussé Law à autoriser son insertion dans un tel endroit.
C'était un test, ni plus ni moins.
Et il allait lui prouver qu'il pouvait réussir, à condition d'y mettre assez de volonté.
- Tout le monde se calme, ordonna Ace en sortant son trousseau de clés pour aller ouvrir les cadenas d'une armoire sur le mur de gauche, ouvrant les portes avant de parcourir les étagères.
Bientôt, chaque binôme se retrouva doté d'une petite mallette, où Luffy trouva cutter, scalpels, répondant à une autre question qu'il s'était posée ; à savoir, pourquoi cette activité-là ne se déroulait pas en salle commune, avec tous les autres. Il avisa les autres étagères qui supportaient les accessoires nécessaires à leur bricolage, constata que chacun avait sa place prédéfinie sur les planches – une manière rapide pour les infirmiers de vérifier la présence de tous les instruments.
Encore une autre mise à l'épreuve.
Sugar se redressa sur son tabouret, attrapa une baguette de bois et lui désigna, très professorale, la table qui s'ouvrait devant eux.
- T'as déjà fait ça ?
- De cette taille ? Non, jamais.
- Va falloir t'appliquer, marmonna-t-elle en le fixant lourdement, dirigeant la baguette entre ses deux yeux. Si je gagne, Lucci me laisse ses desserts pendant un mois.
- Et si tu perds… ? sourit-il en se rapprochant un peu plus de la maquette.
- Je perds jamais, susurra-t-elle.
- … OK, ça me plaît, concéda Luffy en se penchant sur la table pour observer les constructions de plus près. Raconte-moi un peu ce que c'est.
- C'est une île, elle s'appelle Dressrosa. C'est le Pays de l'Amour, de la Passion et des Jouets, récita-t-elle. Là, tu as les palmiers, les piscines… le bord de mer, les rochers, la plage… Ça, c'est Acacia, la ville portuaire. Il y a des humains, et des jouets. Des jouets vivants, tu vois ? Et ils vivent tous ensemble. Là-bas, c'est le Colisée Corrida, il y a des gladiateurs qui combattent pour que tout le monde s'amuse. Ici, c'est le Champ de Fleurs, j'ai presque pas avancé dessus, c'est trop long. Y'aura plein de tournesols, là-dedans. C'est ma fleur préférée, tu sais ? Là, c'est le Palais Royal, c'est le Roi qui vit dedans, avec toute sa famille. C'est sur la colline, le point le plus haut de la ville, pour y rentrer il faut passer par-dedans, c'est plein de galeries secrètes. Et le plus dur, c'est le Port de Commerce. Je l'ai pas fait en plein air, comme tous les autres ports, c'est trop facile à attaquer. Il est caché dans un sous-sol…
- … et pourquoi ?
- Ben, pour le trafic d'armes, rétorqua-t-elle en levant les yeux au ciel.
Le silence s'imposa, entre eux, avant que Luffy n'explose de rire, sous le regard amusé des deux infirmiers présents, assis à leur bureau et en apparence plongés dans une pile de papiers.
Un œil toujours sur eux – pour ce genre d'activité, il n'était pas étonné que les deux fassent équipe pour jouer les garde-chiourmes.
Sugar fouilla dans ses boîtes et lui tendit un paquet de pâte Fimo dorée ; il en avait tant joué dans sa vie, avec Nami et Sabo, qu'il n'avait pas besoin de savoir quelle mission lui était confiée, pour la journée : fabriquer les Tournesols. La tache serait répétitive, mais elle aurait l'avantage de lui faire voir autre chose que les têtes des infirmiers, et celle de Law.
Law, avec qui le prochain rendez-vous approchait à grands pas ; Luffy avait bien l'intention de terminer son questionnaire d'ici-là, car une question le taraudait : quel intérêt présentaient des interrogations de ce genre, si Law savait déjà qu'ils étaient plusieurs à se disputer le corps qu'il habitait ? Pourquoi chercher dans cette direction-là ? Pour lui, c'était une incroyable perte de temps, mais puisque toutes les actions du psychiatre avaient une raison, un but, suivaient un cheminement bien étudié, il avait terriblement envie de savoir où cela allait les mener.
- Hé, Thatch, lança Bartolomeo en relevant la tête de la petite verrière dont il était occupé à polir les arêtes. Il est pas là, le Doc' ? On l'a pas vu au déjeuner...
- Il revient jeudi. T'en fais pas, il ratera pas votre rendez-vous, répondit l'intéressé sans cesser de feuilleter son livre.
- Pourquoi il s'est absenté ?
- Congrès de psychiatrie. Il faut bien qu'il apprenne de nouvelles choses pour vous cuisiner, sourit Ace, menton dans la main.
- C'est quoi, un congrès ? s'enquit Rebecca.
- Un endroit où des grosses têtes débattent d'une question, souffla Hawkins. Doc' doit sûrement y aller pour expliquer aux autres médecins pourquoi ils sont des incompétents notoires…
- … il y a peut-être un peu de ça, ouais, s'esclaffa Thatch en se rajustant contre le dossier de sa chaise, croisant les jambes pour reprendre la lecture de son bouquin. Et maintenant, retour à vos maquettes. Law vous racontera ce que c'a donné, si vous le lui demandez.
De toute évidence, tout le monde le tenait en haute estime ; Luffy ne saisissait toujours pas pourquoi, mais il savait d'où venait son propre scepticisme : faute de temps et d'entrevues, Law n'avait toujours pas fait de miracles sur lui. Une partie de lui refusait cette éventualité, préférant stagner dans son état misérable, alors qu'une autre crevait d'envie d'avoir droit à cette sérénité qu'il semblait apporter à tous ceux qu'il soignait.
Luffy était loin de lui en vouloir ; il savait que son propre entêtement à se replier sur lui-même n'arrangeait rien, dans cette histoire, et qu'il devait absolument accepter l'idée de lâcher du lest pour avancer.
Quand bien même ce concept ne plaisait pas à Kid.
. . . . . . . . . .
Le même jour.
203 North LaSalle Street, Chicago, Illinois.
19 heures 45.
Law s'étira longuement et rassembla ses notes et ses livres, tous bardés d'inscriptions et de notes qu'il avait consciencieusement prises tout au long de l'interminable marathon de 12 heures passées enfermé dans cet endroit, à parlementer avec d'autres spécialistes – de sa trempe ou non – sur les questions psychiatriques les plus controversées et retorses possibles. Il y avait un peu de tout, dans cette salle de conférence, de l'analyste au psychologue de base, en passant par les psychiatres ou les assignés aux affaires criminelles, comme Monet.
Monet, assise à ses côtés depuis leur entrée le matin même, elle aussi studieuse dans son griffonnage de feuilles blanches ; après tout, ils avaient tous deux fréquenté le même établissement, pendant des années, usé les mêmes bancs pour apprendre les mêmes choses. Lui s'était tourné vers quelque chose de plus discret, de plus sombre aussi, peut-être, là où Monet s'était dirigée vers l'analyse profitable confiée par les Tribunaux. Non moins obscure, mais qui ne demandait pas un suivi sur le long terme, là où Law avait tout le temps nécessaire pour chercher ce qu'il voulait. La contrainte de temps que Monet avait sur la tête ne lui aurait pas déplu, mais ce n'était pas le but qu'il s'était fixé, en débutant son métier.
Le colloque avait duré deux jours entiers, et il n'était pas mécontent d'en voir la fin, quand bien même il en avait encore beaucoup appris, tout en contrecarrant bon nombre d'idées soulevées par ses confrères au cours de leurs interminables dissertations.
Il rangea ses affaires dans son attaché-case et récupéra sa gabardine, qu'il se contenta de passer sur son bras – il faisait trop doux, à cette période de l'année, pour s'encombrer de ça sur les épaules, quand bien même elle apportait un cachet non-négligeable parmi toute cette nuée de psy tous plus guindés les uns que les autres.
Monet et lui se levèrent de concert, quittant la rangée pour rejoindre les marches et les portes ouvertes qui menaient sur le palier principal, où tous se pressaient pour prendre les ascenseurs ; ils bifurquèrent vers les escaliers en colimaçon pour éviter la foule, malgré leur présence au onzième étage, entreprenant la longue descente qui les attendait d'un pas rapide mais sûr.
- Tu prends l'avion ce soir ? s'enquit Monet en rajustant sa bandoulière sur son épaule.
- Non, demain matin. Je m'étais accordé une possibilité de sommeil, ce soir, avant de retourner à mes nuits blanches.
- On va prendre un verre ? sourit-elle en lui coulant un regard en biais.
Il se mordilla la lèvre, réfléchissant brièvement à sa proposition qui, il s'en doutait, était loin d'être anodine.
Il n'avait rien de mieux à faire, ce soir, si ce n'était potasser tout ce qui avait été débattu ces dernières quarante-huit heures, et rester avec ses interrogations ; autant profiter du cerveau de Monet et de ses propres cogitations, qui lui apporteraient beaucoup plus que ses tergiversations solitaires.
- Tu aimes toujours les pubs ? suggéra-t-il. Il y en a un pas mal à moins d'un quart d'heure.
- Tu n'as pas oublié, hein ?
- On est aussi difficiles l'un que l'autre. Comme si je pouvais oublier ça.
Pas quand il avait passé douze années à Londres en compétition avec Monet, qui suivait le même cursus que lui. Un peu plus âgée mais elle aussi précoce, arrivée de France à ses seize ans, ils avaient tous les deux la même ambition et n'avaient eu de cesse de se mesurer l'un à l'autre, chacun y ayant trouvé un adversaire à sa mesure, jusqu'à la toute dernière épreuve, où Law était sorti major à quelques centièmes de points près.
Une rivalité et un acharnement qu'ils avaient mis à l'œuvre jusqu'aux instants partagés hors de la faculté – une manière comme une autre de se décharger de la tension des examens. Les six dernières années, ils les avaient passé à s'invectiver et se tirer dans les jambes pour être la tête de promotion, tout en se défoulant une fois la porte de l'une de leurs chambres claquée.
Relation plus ou moins houleuse, qui était parvenue jusqu'à Doflamingo – et non, malgré tout cela, Monet n'était pas « sa copine » ; sa rivale sur tous les points, sa numéro deux. Il ne pouvait pas douter de son diagnostic, en ce qui concernait Luffy, et il avait besoin d'échanger avec elle à ce propos, quitte à mettre de côté sa fierté et leur petit pari.
- Ça me va. Comment ça se passe, avec ton petit monstre ?
- Luffy est gérable. Kid l'est moins. Il s'est officiellement montré une unique fois… le reste du temps est attrapé par caméra.
- Caméra ?
- Dans sa chambre, la nuit. Ce qui explique pourquoi mon patient est aussi crevé que moi, sourit-il en voyant Monet attarder son regard sur ses cernes.
Chaque matin, il se plongeait dans l'étude des enregistrements vidéos que les veilleurs de nuit lui laissaient ; il en faisait le tour soit en trois minutes quand Luffy n'avait pas bougé de son lit, soit en une heure quand l'un des deux autres se manifestait, notamment quand il était question des 2%. Non pas que Kid ne l'intéressait pas – seulement, pour progresser, il avait besoin de connaître l'étendue des dérives du cerveau de son patient, et en étudier une partie de la population ne l'aiderait pas à avancer.
Ils atteignirent le rez-de-chaussée, où les ascenseurs avaient déjà évacué une foule de monde, laissant le hall presque désert, à cette heure-là où les autres employés du gratte-ciel terminaient leur travail ; comme Law l'avait prédit, le temps était relativement clément et le soleil loin d'être couché, à l'horizon. S'arrêtant sur le trottoir, il leva le bras à l'intention d'un taxi, songeant à quel point il détestait ce genre de geste, qui lui rappelait l'école et l'horripilant moment où il se faisait reprendre par l'instituteur quand il avait le malheur, sans prendre le temps de lever la main et attendre une permission, de dire tout haut les réponses que, de toute manière, personne ne savait – c'était au mot près ce qu'il rétorquait et qui valait à ses parents de longues discussions avec le chargé de classe, au point que sa propre mère ne finisse par arguer que son fils s'ennuyait ferme en cours, et que c'était peut-être le seul moyen pour qu'il reste réveillé, vu le nivelage de la classe par le bas.
C'était sûrement d'elle qu'il tenait ses propres propos aussi directs, d'ailleurs…
Une voiture ralentit près d'eux, la vitre se baissant pour laisser le chauffeur se pencher vers eux – là non plus, pas de politesse hypocrite, comme Law les détestait : le type était fonctionnel et ne s'intéressait pas aux demandes mielleuses.
- La Fairbanks au nord, ça vous parle ?
- Ah, vous voulez le Timothy' ? Ouais, c'est à 10 minutes. Montez.
Law ouvrit la portière à Monet qui s'engouffra à l'arrière avec un sourire moqueur ; elle non plus n'était pas à cheval sur la galanterie, et cet effort de sa part allait juste lui valoir des railleries – la prochaine fois, il la pousserait sur la route, histoire de voir comme elle se débrouillerait…
Le trajet se fit dans un silence de paroles, les seuls bruits alentours étant ceux de la radio, qui diffusait un air pop à la mode, et la circulation autour d'eux. Ils traversèrent la Chicago Riverwalk, toujours entourés de gratte-ciel, le soleil déclinant lentement se reflétant dans les milliers de vitres les entourant – après avoir passé un temps fou à Londres, Law s'était accoutumé à la vie européenne qu'il avait dans son enfance, passée à Madrid, avec ses parents et sa sœur. À peine habitué à la Louisiane qu'il s'était envolé dans la capitale anglaise brumeuse et monochrome, avant de revenir au pays pour aussitôt chercher à s'exiler dans les marais, ne supportant plus les hauteurs vertigineuses dans lesquelles son père évoluait.
Le taxi les déposa au pied du petit immeuble, Law réglant la course pendant que Monet pianotait sur son téléphone – il la soupçonnait de dire à Caesar de se sortir les doigts du cul, vu le regard exaspéré qu'elle avait pour l'écran, mais rien n'était moins sûr. Autant lui avait une confiance aveugle en son équipe pour gérer les choses pendant ses absences de temps à autre, autant il savait que Monet n'avait pas le droit à cette sérénité, avec cette dinde qui lui servait d'assistant.
- Qu'est-ce qui t'agace autant… ?
- Je suis sûre que tu as déjà deviné, soupira-t-elle en le suivant par l'entrée vieillotte. Deux jours sans moi et il est incapable de s'en sortir. Tu n'as pas ce problème, toi, avec tes sbires, pas vrai ?
- Ce ne sont pas mes sbires, Monet.
- Oh, il est certain que je pourrais leur donner un autre nom, mais tu n'apprécies pas tellement, si ma mémoire est bonne. Comment va ta sœur ?
- Elle se porte à merveille. Elle nous enterrera tous, tu le sais aussi bien que moi.
Evoquer Lami lui rappela la promesse qu'il avait faite à ses parents : prendre soin d'elle, peu importe le reste. C'était ce que son père s'échinait à dire, au même titre que son grand-père, et tous les membres de leur clan : la famille, c'était ce qui restait quand tout le reste s'écroulait, et jamais Law ne pourrait prendre une décision qui aurait des conséquences désastreuses sur sa sœur. L'arrivée de Luffy à la clinique était ce qu'il avait fait de plus dangereux, quand bien même il avait longuement débattu du sujet, avec Lami, malgré la décision qu'il avait prise en partant de chez Doflamingo.
Parce qu'il savait, au fond de lui, qu'il ne ferait rien sans son accord à elle – trop de choses les liaient pour que son avis n'entre pas en ligne de compte.
- Toujours enfermée dans ses livres ?
- C'est pour ça que c'est elle la plus brillante. C'est dommage qu'elle n'ait pas pu approfondir ses études, parce qu'elle nous aurait tous surclassés.
- Elle a son avis sur Monkey ?
- Elle potasse dessus tous les jours.
Ils suspendirent leur conversation en se frayant un chemin parmi les tables serrées, le temps de s'installer – ils ne cherchèrent pas une table trop éloignée, ce qui était de toute manière impossible vu la petite taille de l'endroit, tous deux ayant appris, avec les années, que se fondre dans la foule était ce qu'il y avait de mieux pour passer inaperçu. Les discussions qu'ils pourraient avoir ne concernaient personne d'autres qu'eux, et plus ils auraient l'air d'un couple badinant sur le quotidien de leur vie, moins ils attireraient les oreilles indiscrètes.
La table qu'ils avaient choisie était située près des baies vitrées, qui donnaient vue sur la ville et ses étages de verre et d'acier – Law songea, brièvement, à ce qu'il voyait depuis sa chambre d'enfant à Bâton Rouge et qui était diamétralement opposé à ce qu'il y avait ici : les grandes étendues herbeuses, le University Lake à quelques mètres de sa maison. Les heures passées à admirer le ciel, allongé dans le hamac avec Lami, à lister les constellations, écouter les bruissements des ailes des chauves-souris.
Monet le contemplait fixement, mains croisées sous son menton, assise avec la même élégance que d'ordinaire sur sa chaise ; Law soutint son regard, sachant parfaitement ce qu'elle voulait faire : lire en lui comme un livre ouvert, comme ils s'étaient entraînés à le faire durant des années. Les seuls capables de lui tenir le menton, à ce jeu-là, étaient Ace et Lami, mais l'un était son meilleur ami, et l'autre sa sœur jumelle. Longueur d'avance indéniable.
- Qu'est-ce que tu veux savoir, exactement ?
- Kid s'est montré longtemps ?
- Comme s'il avait pu résister… C'a été… instructif. On a été obligés de le garder en quarantaine pendant quelques jours. Et puis… silence complet. Les seuls moments où je le vois, c'est la nuit, quand il est inspiré.
- Inspiré ?
Il avait piqué sa curiosité ; le plus dur du travail était fait, et il n'avait pas eu besoin de beaucoup forcer, il le savait d'avance. Monet était restée fascinée par le cas qu'elle avait eu entre les mains et, quand bien même une partie d'elle avait eu une pointe de frousse à l'idée de devoir affronter Kid, une autre avait adoré ce défi, comme lui.
- Il a essayé de s'échapper en allant vers la sortie la plus directe, celle du grand SAS, à l'arrière. Pas le plus facile, mais seul endroit qui n'a pas d'accès badgé. Chose à laquelle Penguin a remédié, mais… il a eu ce qu'il voulait. Une attention particulière. Montrer… qui était le patron. Et la nuit, quand Luffy s'endort, Kid se lève et va griffonner dans un cahier. Ils interagissent de cette manière.
- Qu'est-ce qu'il y a, dans ce cahier ? murmura Monet en détaillant la carte inscrite à la craie sur le mur le plus proche d'eux.
- Aucune idée, je n'y ai pas jeté un œil.
- Qu'est-ce que tu attends… ? s'esclaffa-t-elle.
- Tu as eu une semaine pour le brusquer et le faire sortir de ses gonds. Moi, j'ai toute une vie…
- … notre petit pari s'arrête dans quelques jours, pourtant.
Et c'était aussi pour ça que ce colloque était un excellent prétexte pour en discuter. Il ne cherchait pas à avoir de rallonge de temps : ce qu'il cherchait, c'était un moyen de faire sortir ce 2% dont Monet avait soulevé l'existence, et qu'il ne pouvait plus contester après des heures de visionnage, la nuit.
- "Ça" ne sort qu'en cas d'extrême nécessité, précisa-t-il en ouvrant les guillemets de ses doigts. Kid n'a pas ce rôle. Et toi, à un moment donné, tu as mis le doigt sur ce qu'il fallait pour que l'Autre pointe le bout de son nez. J'en ai déduis qu'il avait un rôle a minima protecteur, même s'il n'a pas forcément besoin de ça pour rappliquer.
Monet garda sa réponse de côté quand un serveur s'approcha pour prendre leur commande, installant un silence poli mais éloquent entre eux pendant une courte minute, avant que le garçon ne s'éloigne, les laissant de nouveau seuls, alors que le brouhaha léger des clients montait peu à peu, leur donnant plus encore d'intimité dans leur conversation.
- Tu dois le pousser dans ses retranchements.
- Je ne travaille pas comme toi. Je n'ai pas d'antichambre de la mort dans la clinique, contrairement à ce que tu as l'air de croire… comme beaucoup de monde, d'ailleurs.
- Est-ce qu'il a confiance en toi ? Luffy, je veux dire.
- Je dirais que non. Il me tient à distance, pour l'instant.
- Alors c'est parfait. Atteins ses limites, c'est un jeu d'enfant. Il te croit capable de n'importe quoi, alors son premier réflexe sera de se protéger.
- Si je fais ça, ça aura des conséquences que je vais payer au centuple.
- Mais ça en vaut le prix, non… ?
Ça, Law ne l'avait pas encore estimé.
Si encore, chacune de ses minutes passées à respirer pouvait être accordée à l'étude du cas de Luffy, il aurait eu tout le temps d'y réfléchir, mais ce gamin n'était pas son seul patient et il était inconcevable qu'il néglige les autres pour le seul bénéfice de voir plus clair dans le crâne de son client.
Quand bien même chacune de ses études avait tourné à l'obsession, Law ne pouvait se résoudre à perdre le fil de ses idées et l'objectif qu'il s'était fixé, des années auparavant.
Monet aimait jouer serré, et avait toutes les ressources pour le faire, étant alimentée en travail par les tribunaux de San Francisco sur des périodes données, avec carte blanche – la manière dont elle exploitait cette carte était inconnue de ses mandateurs, mais elle s'arrangeait toujours pour donner le change ; la raison pour laquelle Luffy avait sévèrement trinqué, par l'intermédiaire de Kid, jusqu'à exhorter cet Autre à se manifester à son tour.
Autre argument : si Law poussait le bouchon trop loin, Ace le briderait – et à raison. De même, si Shanks l'apprenait, il était certain de voir le Gouverneur venir sonner à la porte et lui mettre sur la gueule de son bras unique, que Law n'avait pas envie de voir s'écraser sur son visage.
Rien pour le rendre serein sur ce genre de décisions.
Et en même temps, intérieurement, n'avait-il pas déjà imaginé ce genre de scénario, en demandant à Ace d'être le confident de Luffy, la soupape dont il avait besoin ?
Le serveur ramena les deux pintes qu'ils avaient commandées et les posa devant eux, Monet le remerciant d'un sourire poli avant de reporter son attention sur son collègue toujours pensif.
Elle savait que Law n'avait pas d'état d'âme au sens où le monde l'entendait ; il pesait le pour et le contre, évaluait les profits et les pertes, et décidait en conséquence. Sa retenue n'avait pas pour but de ménager le patient – au contraire. Surtout dans le cas de Luffy.
- Tu devrais prendre les devants, Law. Ne pas laisser le temps à Kid de prendre ses aises.
- La pathologie de Luffy ne se guérit pas d'un coup de baguette. Ça prend des années de thérapie pour arriver à quelque chose de satisfaisant, et quand bien même, il est condamné à rester avec moi.
- S'il progresse, il pourra demander sa remise en liberté. Et selon le résultat, il pourrait être dehors en deux à trois décennies. À tout moment, on pourra te retirer ton jouet… penses-y.
Il leva les yeux au ciel et leva sa bière, attendant qu'elle imite son geste pour entrechoquer leurs verres dans un tintement sonore ; ils burent en silence, s'observant par-dessus leurs boissons.
Son portable se manifesta, dans sa poche, trois vibrations successives – SMS. Il le sortit de sa poche et parcourut les quelques phrases d'Ace résumant la journée de Luffy : le maquettisme lui avait plu et il acceptait de revenir pour les séances suivantes. Le binôme avec Sugar, comme il l'avait prédit, avait marché jusqu'à la dernière seconde, la gamine s'étant accrochée à lui, toujours comme prévu. Law avait aussi pris un pari sur leurs interactions, qu'il serait amené à étudier si ce qu'il pressentait sur Kid et cet Autre se vérifiait.
Pas d'incident pendant tout l'après-midi, dîner terminé et Luffy douché, de retour dans sa chambre. Caméras coupées, activation prévue à partir de vingt-trois heures. Calme mais bavard, souriant, en confiance avec Ace et Thatch.
Comme escompté.
- C'est quoi, ton sourire satisfait ?
- Hé bien, a contrario de Caesar, mes employés sont capables de gérer Luffy, répliqua-t-il sans se départir de son expression. Alors qu'à l'abri dans tes jolis murs, il n'a pas su se dépatouiller d'un gosse enchaîné et bassiné à l'eau glacée tous les jours que Dieu faisait.
- C'est ça. Fais ton malin pendant que tu le peux… Tu te rappelles, de ce que je t'ai dit, quand tu m'appelais pour me narguer ? rétorqua-t-elle sèchement.
- Rafraichis-moi la mémoire, ça va te faire tellement plaisir…
- Je t'ai présenté mes condoléances pour les futures morts que tu aurais à gérer dans ton asile. Et je renouvelle mes vœux, ajouta-t-elle après un silence. Méfie-toi de lui, parce que la dernière chose que tu veux, c'est voir les têtes de tes employés suspendues à ton lustre.
- Tu t'inquiètes pour moi… ? sourit-il en avalant une nouvelle gorgée de bière.
À elle de lever les yeux au ciel, mais Law était loin d'être dupe.
Le soleil avait disparu derrière les gratte-ciel, baignant la ville d'une lueur orangée ; une autre soirée d'études de ses notes l'attendait, avant son avion du lendemain, à moins qu'il ne décide de mettre son cerveau de côté pour quelques heures, juste ce qu'il fallait pour ne pas penser.
Ace désapprouverait, sans compter Shachi et Penguin qui préfèreraient le sédater plutôt que de le laisser faire ce genre de choix ; Bonney serait capable de le finir à coups de chaise, si elle savait aussi ce qu'il avait en tête, mais c'était plus fort que tout – quelque part, au fond de lui, sa frustration avait besoin de s'exprimer autrement.
Monet porta son verre à ses lèvres, il l'imita et se rappela les soirées étudiantes, où il regardait les autres élèves boire à en vomir – excellentes occasions d'agrémenter ses analyses comportementales, à l'instar de sa rivale. C'était amusant, surtout à voir comment ces fêtes se terminaient : immonde gueule de bois pour les uns, anecdotes croustillantes pour eux deux.
Est-ce que Monet serait d'humeur pour un autre genre d'étude sociologique, ce soir ?
Lentement, ils terminèrent leur verre, se jaugeant du regard sans dire un mot – le léger sourire en coin qu'elle arborait ne le trompait pas.
Laissant chacun un billet sur la table, ils se levèrent d'un même mouvement, prenant leurs affaires avant de quitter le bar ; cette fois, c'est Monet qui interpella un taxi, plus directe que lui tout à l'heure. Il n'avait pas envie de diriger, cette fois-ci – pas encore. De toute manière, sur ce terrain-là, il savait où il mettait les pieds, pas comme à chaque fois qu'un nouveau patient arrivait entre ses murs. Au sens propre comme au sens figuré, il connaissait Monet sur le bout des doigts.
La tentative de sa collègue n'apportait pas de succès, toutes les voitures filant bon train ; il ne réprima pas un sourire moqueur et tendit le bras, saisissant sa main pour l'entraîner en sens inverse, abandonnant l'idée d'un véhicule pour rallier son hôtel à pieds.
Il avait besoin de se défaire de cette tension, d'oublier, d'assumer les défauts qu'il avait et qu'il n'avait pu laisser de côté – il se sentait bêtement humain, à ce moment-là, là où il s'était toujours imaginé être au-dessus de tout ça.
L'asile attendrait, au moins pour ce soir.
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Réponses aux guests :
Yuh : Hey ! Haha, ouais, mignonne mais tout le monde doit rester sur ses gardes, à côté d'elle :p un peu comme Luffy ! (ouah, stoïcisme, je crois que la dernière fois que j'ai lu ce mot, c'était y'a 20 ans...) Allez, courage, tu arrives au bout de ta patience, on va en apprendre plus sur 2%, mais pour Bonney il va falloir que tu attendes, héhé... merci pour ta review ! À très vite !
Mirtie29 : Oh, merci beaucoup ! Non, pas de cursus littéraire, bien au contraire, mais je lis très souvent... je pense qu'on apprend comme ça, à force d'engranger des mots, des phrases, des tournures... Ne t'en fais pas, pour la facette dont tu parles, ça va venir vite, tu auras bien patienté ! Merci encore pour cette review super sympa :3 j'espère que toute la fiction te plaira - peu importe son dénouement ! Je te dis à bientôt !
Guest : Hello ! Oui, la troisième personnalité est calme et posée, c'est bien résumé ! Très mesurée dans ses actes, et réfléchie... Ça laisse peu de persos dans OP, en fait ^^
Heloise : Si tu lis uniquement pour avoir du lemon... tu seras certainement déçue...
Crow : Bien le bonjour, chère Crow ; hé non, hélas, Vivi n'est pas un coup d'essai pour Kid (là où Sugar est plus restreinte dans son palmarès, avec "seulement" ses parents en tableau de chasse). Quant à savoir ce qu'il a été inventer pour se distraire, ça viendra plus tard... pour l'instant, le dialogue va moyennement (voire pas du tout) avancer entre Law et Lu, quand bien même ce fou de psy va finir par arriver à ses fins. Ouais, j'aime bien torturer un peu les personnages, ça se voit tant que ça ? Oups.
J'espère que les autres persos, même brièvement présentés, t'ont plu ; on en saura un peu plus sur certains d'entre eux plus tard.
Tu es bientôt au bout de tes peines pour 2%, accroche-toi encore un peu à tes théories :p Merci pour ta review, au plaisir de te relire pour ce chapitre... Prends soin de toi également !
Ptihuta11 : Yop ! Haaa, le sarcasme va perdurer pendant l'histoire, tu seras bien servie de ce côté-là ! Merci beaucoup, j'espère que la suite te plaira, à bientôt :)
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On se retrouve sous quinzaine pour la suite !
