Ohayo mina !

Non, pas de commentaire sur mon retard :D

Merci beaucoup pour vos reviews et encouragements, c'est toujours un régal de vous lire et de vous voir cogiter sur vos hypothèses ; je suis désolée, la plupart du temps je ne peux y répondre franchement au risque de vous spoiler, mais sachez que quand le moment viendra, vous pourrez vous lâcher.
Autre remarque : pour la plupart d'entre vous, je n'ai pas reçu les alertes de vos PM sur ma boîte mail ,et j'ai parfois mis beaucoup de temps à vous répondre ; j'espère que vous avez tous pu recevoir les retours sur vos reviews... dites-le-moi si ce n'est pas le cas !

Juste pour vous casser les pieds, je vais disséminer encore d'autres éléments dans la fiction, histoire de tester votre tolérance aux non-dits, aux fausses pistes et aux sous-entendus... *reprend du café et retourne dans le bunker* À travers les 10cm d'acier de la porte blindée, je suis toujours ouverte à la discussion, pour ceux qui voudraient me faire part de leurs griefs.

Je vous souhaite une très bonne lecture, continuez à prendre soin de vous, et...

Enjoy it !


Chapitre 24 :

Jour 50. Dissociation.

Louisiane, près d'Ostrica. Salle des chefs de service.
10h15.

Ace tira la chaise la plus proche et s'y laissa tomber dans un grincement sonore qui arracha à Shachi un sourire goguenard ; il ignora son expression moqueuse et s'étira longuement, se massant la nuque pour se débarrasser de la tension qui s'accumulait sur ses épaules depuis sa conversation avec Law et qui ne semblait pas s'arranger avec les heures qui défilaient à la pendule avec une lenteur d'escargot.

- Des nouvelles du Doc' ?

- Cette nuit. Il s'inquiète pour Bonney et Pen.

- … tu lui as dit, alors, marmonna-t-il en lorgnant dans sa direction par-dessus son épaule, attendant que le percolateur lui délivre sa dose de caféine horaire.

- Comme si on pouvait cacher quelque chose à Law, rétorqua l'infirmier en croisant les chevilles sur la table, fermant les yeux. Il sait toujours tout, ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne mette le doigt sur ce qui cloche.

Ses mots le renvoyèrent à leur échange nocturne, au doute qu'il avait perçu dans la voix de son meilleur ami, malgré les kilomètres les séparant ; il avait une confiance aveugle en lui, en ses décisions et ses idées, quand bien même elles étaient souvent largement critiquables. Law ne se plantait jamais et parvenait à ses fins, et l'entendre tout remettre en question l'avait bien plus perturbé qu'il ne l'avait admis, sur le coup.

Il lui avait demandé de garder Luffy à l'œil, pendant ses prochains jours d'absence, et de s'efforcer de noter tout ce qu'il jugeait sortir de l'ordinaire, même pour quelqu'un d'aussi dispersé que leur nouvel arrivant ; consigne qu'Ace avait mise en application, quitte à se répéter au fil de ses notes.

La porte s'ouvrit sur Kaya, les bras chargés de piles de papiers qui arrachèrent un long soupir commun aux deux infirmiers présents dans la pièce ; elle leva les yeux au ciel et verrouilla la porte du pied, déposant sa paperasse sur la table avant de la scinder en piles distinctes, chacune étiquetée au nom du personnel soignant qui lui était attribué. Ace récupéra la sienne et contempla les plannings de Lucci et Sugar, ainsi que celui des visites de la journée – la première était celle du père de Rebecca, de 14 à 16 ; s'enchaînait celle de Lucci, limitée à 30 minutes pour cette fois-ci. Et entre tout ça, il lui faudrait caser les activités des autres pensionnaires dont il avait la charge, tout en répondant aux questions que Law ne manquerait pas de lui envoyer à longueur de journées sur les internés et les notes à prendre concernant l'avancée de sa recherche à la villa.

Les heures qui l'attendaient l'épuisaient d'avance, mais il avait signé pour ça et se plaindre n'arrangerait rien ; il allait devoir s'accommoder de cette situation même si, comme il l'avait avoué à Law, elle ne saurait s'éterniser.

- Kaya, tu pourras gérer Sugar pendant le dîner… ?

- Ça dépend, rétorqua-t-elle en haussant le sourcil – Ace la connaissait assez pour savoir que c'était gagné, mais il ne releva pas le brin de taquinerie dans la voix.

- Tu as des conditions ? devina-t-il en récupérant la tasse de café que lui tendait son collègue.

- Tu prends mon tour de garde cette nuit.

- … t'es dure en affaires.

- Elle est passée où, la Kaya qui disait oui quand on lui demandait de faire des photocopies… ? soupira Shachi en se hissant sur le plan de travail près du réfrigérateur.

- Law a fait son travail de sape, sourit Ace en prenant une gorgée de sa boisson. Tu gagnes cette man–

Le grésillement de son talkie, à sa hanche, lui coupa la parole un bref instant avant qu'il n'entende la voix de Teach lui annoncer que Luffy était sorti de sa chambre et qu'il l'avait trouvé dans la salle des travaux de groupe.

- … qu'est-ce qu'il fiche là-bas… ? marmonna Shachi en consultant sa montre. Il était pas supposé être dans sa piaule… ?

- Si… il m'a dit qu'il voulait faire une sieste avant le déjeuner. Pas étonnant, après la visite de Kid cette nuit, commenta Kaya en regardant Ace décrocher et porter le talkie à ses lèvres.

La salle des travaux de groupe était, sans surprise, un endroit un peu particulier, à l'instar des autres pièces de la clinique – le sol couvert de parquet, le mur du fond orné d'un grand miroir façon salle de danse. Law utilisait régulièrement cette pièce, pour certaines réunions ou séances avec les patients selon l'utilité qu'il voulait lui donner, mais jamais encore il n'y avait emmené Luffy, qui était supposé en ignorer l'existence. L'idée qu'il ait pu la trouver sans difficulté, malgré le fait qu'il ne pouvait nier son accessibilité, le perturbait autant que sa dernière entrevue avec Zoro – encore une fois, quelque chose lui échappait, à portée de main, si proche et insaisissable à la fois.

- Qu'est-ce qu'il fait ?

- Pas grand-chose, commenta Teach après un court silence. Le mieux, c'est que tu viennes et que tu voies par toi-même.

- Besoin de Magellan ? poursuivit-il en sortant de la salle de pause, dont il attendit la confirmation du verrouillage avant de s'éloigner vers la zone où se trouvait la salle que Luffy avait adoptée, là où il aurait parié tout ce qu'il possédait que son patient était parti revoir Morphée, comme le lui avait annoncé Kaya un peu plus tôt dans la journée.

- Pas l'impression, non. Il est calme.

Ace évita la salle commune, trop pleine à cette heure-ci, et prit un chemin détourné – inaccessible aux patients, comme beaucoup d'autres couloirs que Law avait conçus pour le personnel soignant – pour rejoindre la pièce où Teach, Lami et Gladius se trouvaient, dans l'encadrement de la porte ; il remit son talkie à sa hanche et se fraya un passage parmi les infirmiers, pour arrêter son regard sur Luffy assit en tailleur face au miroir, écouteurs dans les oreilles, le regard rivé sur son reflet.

- Oh, Luffy ! lança-t-il en s'avançant jusqu'à être dans le champ de vision de leur patient, scrutant son expression avec attention.

- … quoi ? marmonna-t-il sans détourner le regard.

- On peut savoir ce que tu fais ici ? soupira Lami en sirotant le contenu de son mug.

- Fichez-moi la paix.

- … en fait, y'a peut-être moyen qu'il s'entende bien avec Dellinger, suggéra Teach, malgré le coup d'œil exaspéré qu'Ace lui lançait par le miroir. Hé, je déconnais, OK… ?

L'infirmier ne releva pas, conscient que sa mauvaise humeur pouvait lui valoir quelques répliques trop salées, s'adossa à la glace et fit signe au trio resté à la porte de partir, ce qu'ils firent sans discuter, Lami y compris. La porte se referma sur eux et Ace reporta son attention sur l'adolescent qui n'avait pas bougé d'un iota, son visage fermé lui rappelant celui à qui il avait affaire parfois quand Kid était encore retenu dans la salle d'isolement et que personne, pas même Law, n'était en mesure de déterminer qui était allongé sur ce lit.

Encore une fois, il détesta le doute qui s'infiltra à l'arrière de son crâne, l'idée qu'il se trouvait face à quelque chose qu'il était incapable de maîtriser ; en quelques semaines, il avait déjà son propre avis sur les personnalités avec lesquelles il n'avait pas de problème à échanger, à savoir Luffy et Zoro. Kid ne lui adressait pas la parole, ses discussions se résumant à celles qu'il avait avec le psychiatre, et c'était peut-être ce qui pouvait arriver de mieux, dans la dynamique que Law avait décidé de mettre en place.

- Je ne me rappelle pas qu'on t'ait autorisé à sortir de ta chambre seul, avec Law.

- Je voulais juste être tranquille.

Voix basse, position courbée, défensive au possible.

Ace avisa le sac posé près de lui, tendit la jambe et accrocha la sangle du bout du pied, le ramenant à lui trop rapidement pour que Luffy puisse l'intercepter au vol ; il l'ouvrit et en renversa le contenu sur le sol, s'attendant à trouver le kit du parfait évadé – seuls des tissus tombèrent sur le parquet, parmi lesquels il reconnut le genre de vêtements que portaient les étudiants de son université quand ils se tuaient dans les salles de danse à répéter pour un énième spectacle.

L'intéressé les ramassa et les ramena à lui, lui jetant un regard noir qui fut loin de l'impressionner, et tira sur son sac pour le récupérer à son tour, y fourrant à la hâte les affaires roulées en boule entre ses jambes.

- … c'est des fringues de danse, statua l'infirmier.

- Et alors ?

- Pourquoi t'en as pas parlé ?

- Peut-être parce que ça vous regarde pas, suggéra Luffy en levant les yeux au ciel.

- Tu rigoles ou quoi ? s'agaça Ace. Le but, c'est de faire en sorte que ta vie ici soit la plus équilibrée possible… je me fous pas mal que tu veuilles danser, lire ou faire du yoyo, du moment que ça te détend. Je pensais qu'on se faisait confiance, au moins assez pour que tu me confies ça.

Luffy ramena ses genoux contre sa poitrine et les entoura de ses bras, terré dans un silence buté, ses yeux rivés dans le miroir qui les dominait. Renonçant à le pousser un peu plus dans ses retranchements, Ace alla s'asseoir près de lui et fit pivoter son talkie et son trousseau du côté opposé, décidant de faire confiance à son instinct qui, comme celui de Law, lui indiquait que quelque chose différait, sans qu'il ne sache clairement l'identifier.

- … j'ai envie d'être seul.

- Moi aussi. Au moins cent fois par jour, pour ne pas avoir à supporter des entêtés dans ton genre, rétorqua Ace. Et pourtant je suis là.

- Je promets de ne rien casser, marmonna Luffy en triturant la fermeture Eclair de son sac.

- Et je te crois. Seulement, et tu es bien placé pour le savoir, on ne peut pas te laisser sans surveillance ; c'est la même punition pour tout le monde, n'y vois rien de personnel.

- … j'étouffe, ici. J'veux un moment à moi, sans… sans tout ça, sans avoir constamment quelqu'un sur le dos.

- C'est non-négociable.

- Vous entendez pas ce que je vous dis, hein… ? soupira le jeune homme en se frottant le visage, visiblement désemparé. J'en ai… on en a besoin… si vous voulez que j'arrive à contrôler tout ce qu'il se passe là-dedans, ajouta-t-il en plaquant sa paume contre sa tempe, il va falloir que vous me lâchiez du leste. Sans ça, j'y arriverai pas, et si c'est pour finir sédaté jusqu'à la fin de mes jours, j'aime autant que tout s'arrête.

- Il n'est pas question de ça, Luffy. Pour rien au monde Law n'a envie que ça arrive.

- … et qu'est-ce qu'il veut, lui, hein… ? murmura l'intéressé en caressant le plancher du bout des doigts. J'ai rien à lui apporter… rien du tout. Je sais pas ce qu'il espère trouver, là-bas, mais il trouvera rien d'autre que des désillusions, encore plus de questions, pas de réponses et des gens qui… qui ont jamais rien pu pour moi.

Ace releva la tête et contempla le reflet de son patient, son visage renfermé, son expression fuyante, et se trouva de nouveau frappé par cet écart de comportement qu'il n'aurait pas soupçonné chez Luffy en temps normal – rien à voir avec Zoro et son côté taciturne, encore moins de rapport avec Kid et son arrogance dont il portait hautes les couleurs.

Luffy avait toujours des mots tendres à l'égard de sa famille, le seul lien qui lui avait vraisemblablement permis de ne pas devenir complètement fou, dans cette histoire ; l'entendre en parler comme s'il s'agissait de locataires avec lesquels il était contraint et forcé de partager les murs était perturbant.

Hésitant un instant, il tendit le bras pour poser sa main sur l'épaule de Luffy, habitude qu'il avait prise avec l'adolescent au fil des semaines passées pour exprimer sa compassion – ce dernier s'écarta, esquivant la manœuvre, et Ace suspendit son geste en voyant sa nervosité qui, encore une fois, contrastait avec tout ce qu'il connaissait du jeune homme.

- Law a ses raisons… c'est son job, rien de plus. Il le fait comme il l'entend… à sa manière. Ce n'est peut-être pas la meilleure qui soit, mais ça fonctionne, si tu acceptes de saisir la perche.

- Vous ne pouvez pas dire que ce n'est qu'un job… c'est pas par dépit qu'on devient psy et qu'on ouvre une clinique au milieu des marais. Et moi, je peux pas faire confiance à quelqu'un qui a l'air bien plus paumé que nous dans la vie.

- … c'est rare que tu fasses allusion aux autres en mentionnant le groupe, chuchota-t-il sans cesser de l'observer, traquant la moindre de ses expressions, n'importe quoi susceptible d'alimenter les notes que Law avait exigées de lui.

Luffy fronça les sourcils et resserra ses bras autour de ses jambes, dans une position plus fermée encore.

Ace perdait du terrain, dans cette discussion, il en avait parfaitement conscience ; il n'oubliait pas ce que lui répétait Law : tout noter, tout prendre en compte, ne rien négliger – ce qui lui semblait anodin avait potentiellement un sens tout autre pour les patients, du plus petit claquement de langue aux préférences alimentaires. Le fait que Luffy, habituellement tactile, fuie son toucher était la preuve que quelque chose ne tournait pas rond ; deux choix s'offraient à lui, à cet instant : lui rentrer dedans, le mettant ainsi au pied du mur, ou laisser couler et jouer la subtilité.

- Son séjour ne sera pas inutile, tu sais… ? Il sait ce qu'il fait. C'est ce qu'il a fait pour les autres, et il n'y a pas de raison que ça échoue avec toi.

- Vous en avez beaucoup, des gens comme nous… ? ironisa-t-il en levant les yeux au ciel.

- À dire vrai, tu es le premier spécimen, sourit Ace en s'étendant sur le parquet, contemplant le plafond dans une attitude qu'il voulait décontractée et plus ouverte que celle qu'il arborait juste avant.

Law le premier utilisait cette technique, un basique de la communication : le mimétisme comportemental, exercice dont Shachi et Penguin étaient les rois, entre ces murs. Le but étant d'amener le patient en confiance et de lui renvoyer sa gestuelle, par effet miroir, exprimant ainsi le fait qu'ils n'étaient pas différents l'un de l'autre. Et a contrario, pour désamorcer la bombe, Ace se devait d'être le plus ouvert possible, en opposition à Luffy et son repli en position fœtale, protégé du monde et de tout ce qui pouvait s'y rapporter.

- On a un patient qui souffre de schizophrénie, ce qui est souvent apparenté à tort à la dissociation de la personnalité, mais tu es le seul dans ton cas. Même Law n'en avait jamais vu, avant toi, encore moins dans le cas d'autant de dissociations.

Il mit l'emphase sur le mot, évaluant sa réaction du coin de l'œil ; Luffy se mordilla la lèvre et tritura son sac de plus belle, laissant glisser ses jambes à plat sur le sol mais gardant sa position courbée, le regard fuyant.

Puisque les confessions et la gestuelle semblaient faire effet, Ace croisa les mains derrière la tête et réfléchit à la suite de leur conversation, l'espace d'un bref instant – ce n'était pas à lui de révéler quoi que ce soit sur les patients de la clinique, mais il ne comptait pas non plus lui mentir au nom du sacro-saint secret médical. Ce qui le différenciait de Law.

- … super sujet d'expérimentation, hein… ? soupira Luffy en se tournant vers lui, quittant enfin son reflet du regard.

- On est pas chez Monet, ici.

- Vous voulez qu'on parle de ce qu'il a fait pour faire sortir Zoro… ? rétorqua-t-il, une note d'agacement dans la voix.

- C'est ce que je te disais, Luffy… Ces décisions sont discutables, mais elles donnent des résultats.

- Ouais… c'est peut-être ce qu'elle s'est dit aussi, l'autre, pendant la semaine où elle a eu carte blanche… juste ce qu'il faut pour se donner bonne conscience…

- Si tu connaissais Law comme nous le connaissons, tu ne penserais pas qu'il agirait selon sa prétendue bonne conscience, souffla Ace en fermant les yeux un instant. Il ne se laisse pas... atteindre par ce qu'il appelle des futilités.

Il était un des mieux placés, ici, pour savoir que Law était prêt à n'importe quoi pour arriver à ses fins.

Il n'avait pas à se raconter des sornettes pour pouvoir dormir la nuit, bien au contraire ; il s'en était rendu compte dès leurs premiers échanges, qui lui avaient permis de savoir à qui il avait affaire en quelques secondes.

- J'ai pas envie de le connaître. S'il vous plaît…

Il se tourna vers lui et, une fraction de seconde, Ace fut incapable de reconnaître Luffy dans l'expression qui se peignait sur son visage tendu – il s'efforça d'imprimer cette image dans un coin de son crâne, pour la décrire la plus fidèlement possible quand le moment viendrait d'établir son rapport journalier, que Law lirait en temps voulu.

- … juste quelques minutes. Seul. Et pas dans cette chambre. J'étouffe, là-dedans, c'est pas… c'est pas sa… notre maison, bafouilla-t-il en entortillant ses doigts tremblants. Pour aujourd'hui. Pas la chambre.

- Salle commune. Je n'ai pas le droit de te laisser là, Luffy. C'est ici avec moi, ou avec les autres au bout du couloir. Choisi, murmura Ace sans lâcher son regard.

Le silence s'étira un long instant, presque trop long, même, avant que Luffy ne capitule et se lève, chargeant son sac sur son dos, l'air plus misérable que jamais. Il zippa son sweat jusqu'au menton, rabattit sa capuche sur sa tête et s'éloigna vers la porte, tête baissée vers le sol, attendant qu'Ace le rejoigne pour verrouiller derrière eux et suivre ses pas dans le mutisme le plus complet.

Si semblable à ce qu'il était, plus jeune, avant que le psychiatre ne lui sorte la tête de l'eau ; la seule chose qu'il pouvait espérer pour lui était ce même semblant de paix, qui lui permettrait d'oublier parfois la raison de sa présence ici, enfermé entre ces murs sans possibilité de sortie.

Et, dans leur marche silencieuse à travers les couloirs, tous deux noyés par le flot de leurs pensées, jamais Ace ne s'était senti si proche et si éloigné à la fois de son patient.

. . . . . . . . . .

Le même jour.

San Francisco, clinique Zuckerberg.
13h15.

Sabo releva la tête de sa tablette quand des coups résonnèrent à la porte de sa chambre, l'arrachant à sa lecture ; le battant s'entrouvrit sur l'infirmière, dont les yeux se posèrent sur ce qu'il avait entre les mains et qui lui était, théoriquement, déconseillé après une si courte période d'éveil.

- Qu'est-ce que nous avions dit à propos de cette chose ? s'agaça-t-elle en traversant la chambre pour lui reprendre l'objet des mains, l'éteignant sans ménagement.

- Que je devais me reposer et dormir, rétorqua-t-il en lisant le drap sur ses jambes. Mais j'ai beaucoup trop de travail et je–

- Tu t'entendras bien avec Law, alors, résonna la voix de Shanks depuis la porte, le coupant dans sa pathétique argumentation pour tenter de reprendre l'appareil. Comment ça va, mon grand ?

- Mieux qu'hier, moins bien que demain, sourit-il en regardant son père et sa sœur le rejoindre, tentant d'ignorer la pointe d'amertume dans leur regard.

Il savait parfaitement quel reflet il leur renvoyait, à cet instant, une image à des années-lumière de ce qu'il était avant que quelqu'un ne s'acharne à leur voler plus qu'ils n'avaient déjà perdu, ces derniers mois. Il avait eu tout le loisir de s'observer dans le miroir, la veille, et de constater les dégâts que son corps avait subi en une fraction de secondes avant que tout ne devienne noir.

Et toute une nuit de plus à ravaler sa colère qui couvait toujours, braises ravivées à n'importe quel prétexte – la présence de Trafalgar Law en étant une bonne, à cet instant. Il dévisagea longuement la silhouette restée à l'entrée de la chambre, en retrait, loin de la petite bulle fragile qui reliait encore les membres de leur famille, vide sans Luffy. Et ô combien Sabo aurait aimé l'avoir à ses côtés, en cet instant.

- ... on dirait que Zoro a bien fait son job, railla-t-il en guise de salutations, en avisant l'hématome sur la joue du psychiatre.

- Et il semble que les opposants politiques de ton père ont bien fait le leur, répliqua Law en haussant un sourcil.

Un partout, balle au centre. Le même caractère que Shanks, qu'il avait retrouvé chez Luffy dès son arrivée – impertinence mêlée de provocation, volonté ferme de ne pas se laisser emmerder davantage par le reste du monde. Tous en avaient bavé pour en arriver là, à leur manière, et chacun campait sur ses positions, bien décidé à jouer tous les coups possibles.

- Pourquoi vous êtes là ?

- Il était déjà prévu que je vienne vous rendre visite. L'incident au campus n'a fait qu'accélérer les choses... je comptais aussi appeler la clinique pour que tu puisses parler avec ton frère, qui doit tourner comme un lion en cage à l'heure qu'il est. Il a besoin d'être rassuré et–

- Et il n'a pas confiance en vous, le coupa Sabo en se hissant contre la tête de lit, non sans réprimer une grimace. Alors c'est à moi qu'il préfère parler, c'est ça ?

- Bien résumé, en effet.

- Je suis sûr que Nami ne s'est pas gênée pour vous faire la remarque, mais je vais continuer d'appuyer là où ça fait mal, poursuivit-il sans se préoccuper une seule seconde du regard que lui lançait Shanks et qui lui intimait silencieusement de ne pas pousser plus loin. Vous n'arriverez à rien avec Luffy en vous y prenant comme ça... pour vous, c'est l'impasse complète. Le statut quo ad vitam aeternam.

- Et c'est pour ça que je suis ici. Je n'attends pas de vous que vous m'appréciiez, vous pouvez même me détester autant que vous le voudrez, ça m'est totalement égal et j'y suis rôdé depuis longtemps. Tout ce que je veux, c'est comprendre Luffy et ses alters, et toutes les séances de parlotte du monde n'égaleront jamais les années que vous avez passées sous le même toit. Si tu veux que ton frère reste un danger pour lui et pour les autres et que je le maintienne sédaté jusqu'à la fin de sa vie, alors soit ; signe le formulaire que je peux faire faxer dans cinq minutes et je m'en vais, le défia Law.

- Trafalgar..., soupira Shanks en reportant son attention sur lui.

- Avec Luffy dans les murs de la clinique, j'augmente considérablement le risque de voir un de mes patients ou de mes employés mourir dans des circonstances que je ne souhaite à personne. Son cas est rarissime et personne n'a la prétention de savoir comment le guérir à coup sûr... je vais droit dans une impasse, comme tu le soulignes si bien.

Nami ouvrit la bouche mais Law leva le doigt, signifiant que sa tirade n'était pas terminée – il gardait ses yeux rivés sur Sabo qui n'avait pas cillé et soutenait son regard sans broncher, loin de se laisser démonter.
Ils étaient deux à jouer dans cette cour, et Law se faisait fort d'être le meilleur des deux dans ce domaine - ce discours, il l'avait joué des centaines et des centaines de fois dans sa tête, car il se devait, plus que tous les autres, d'être le plus convaincant possible.
Il n'était pas devenu psychiatre par hasard ; ses premiers projets le destinaient à la médecine, mais sa vie avait pris un tournant sur lequel il lui était impossible de revenir et, à présent, il en était là, à placer ses pions comme il l'entendait pour aller où bon lui semblait, plus profondément chaque jour dans l'esprit de ceux qui l'entouraient.

Cette discussion était un coup comme un autre, un pas de plus vers ce que Luffy cachait derrière ses yeux chocolat.

- Est-ce que c'a l'air de m'amuser...? Qu'est-ce que j'y gagne, à le laisser mourir à petit feu...? Absolument rien. Luffy fait de son mieux, et toi, tu prends le risque de foutre tous ses efforts en l'air, tout ça parce que tu te targues de mieux le connaître que moi ? Ce n'est pas l'homme que Luffy m'a dépeint, loin de là. Sois à la hauteur de ses attentes, et des miennes par la même occasion.

- Avec un caractère pareil, je suppose que ça ne doit pas être rose à la clinique tous les jours…, marmonna Sabo, détournant le sujet avec une subtilité qui exaspéra Shanks, à en juger le roulement de ses yeux.

- Tu t'es seulement regardé ? soupira Nami en s'asseyant près de lui, l'empêchant de récupérer la tablette laissée de côté. Hé, stop, tu as des assistants pour ça ! Koala gère ça pour toi, laisse-la faire et repose-toi, on a déjà assez à faire à s'inquiéter pour Lu' alors n'en rajoute pas, tu veux ?

- Je ne suis pas mort, Nami, arrête de te–

- Tu t'es regardé, espèce de crétin ?! s'exclama-t-elle, des trémolos dans la voix. Alors pour une fois dans ta vie, Sab', lève le pied, OK ? J'ai déjà perdu Luffy, il est hors de question que tu soies le prochain...

Aussi directive que Lami, a minima. Son caractère lui plaisait aussi, même s'il avait ses revers, Law en convenait ; les deux avaient du répondant et, par conséquent, des choses à dire une fois que les vannes seraient ouvertes.
Il tira une chaise près du lit et s'y installa, sortant son carnet sous le regard circonspect de Sabo dont l'œil unique traquait le moindre de ses mouvements : il avait encore beaucoup de questions à lui poser, et la présence de sa sœur et son père le mettrait forcément dans de meilleures dispositions ; il avait conscience de lui en demander beaucoup après si peu de repos et de temps pour assimiler les évènements – lui-même étant le mieux placé pour le comprendre – mais c'était justement ce temps qui jouait contre lui, avec une longueur d'avance perpétuelle, qui le poussait à aller toujours plus loin, plus profond, quitte à faire quelques détours.

L'attaque frontale avait fonctionné avec Zoro, pas sûr qu'il en soit de même avec cette famille prête à tout pour protéger leur cercle déjà restreint.

- Allons-y franchement : qu'est-ce que tu peux me dire sur Zoro ? murmura Law en armant son crayon, croisant les jambes dans une position plus confortable.

- Plus facile de communiquer avec lui qu'avec Kid. Il est… plus… raisonnable, je dirais.

- Vous aviez des interactions ?

- Au-delà de la simple cordialité ? Parfois, oui, quand c'était Zoro qui occupait le terrain. On pouvait aussi bien aller courir tous les deux que se prendre une bière dans un bar du coin.

- Concrètement, Luffy n'a pas le droit de boire, sourit le psychiatre en prenant note.

- Mais Zoro oui.

Il haussa un sourcil, souligna sa dernière entrée.
Il en revenait à cet aspect des personnalités qu'il allait devoir étudier avec son patient à son retour en Louisiane, à savoir la perception qu'elles avaient d'elles-mêmes, de la même manière que Luffy se voyait dans le miroir. Il était certain qu'elles différaient largement du corps dans lequel elles étaient forcées de cohabiter, et ce mécanisme-là le fascinait au moins autant que le reste.

- Il est plus vieux ?

- Pas de beaucoup. Il a… quoi… vingt-deux, vingt-trois ans ? Il vous le dira mieux que moi, s'il accepte de vous parler.

Law sentit la pique, brève mais incisive, mais se décida à ne pas relever cette carte-là, préférant se réserver pour la suite ; Shanks affichait une expression neutre, contemplant la vue qu'ils avaient sur l'extérieur, main dans la poche, faussement décontracté – exactement le genre de tenue qu'arborait son propre père, en public : clairement, Law était l'intrus de la pièce, l'élément indésirable dont il fallait se méfier, peu importe sa relation avec Luffy. Et, plus que du reste, Law était conscient qu'il n'aurait jamais leur pleine confiance, leur cellule familiale étant beaucoup trop étroite pour ne serait-ce que laisser quelqu'un s'y immiscer, même le temps d'un instant.

- Et Kid ?

- Aucune idée. Il ne nous a jamais rien dit à ce sujet, murmura Nami en lissant les draps du lit d'un geste absent. Luffy doit le savoir.

- Comment tu t'y es pris pour établir une relation avec Zoro ?

- Pas comme vous, toussota Sabo en prenant soin d'ignorer le regard désapprobateur de son père. C'a pris du temps, et même des années. De la patience, et peut-être un peu de bol. Tout ce que vous n'avez pas, là-bas.

- … Luffy est à la clinique ad vitam aeternam, rétorqua Law en le toisant avec agacement. J'ai tout mon temps, Sabo, ne l'oublie pas.

Le jeune homme se tendit vers lui mais c'est Nami qui le retint, d'une main ferme sur la poitrine – compteurs à zéro, une fois de plus. Le psychiatre n'avait pas l'intention d'en démordre, pas plus que son interlocuteur qui le fusillait du regard, prêt à démarrer sur les chapeaux de roues à la moindre remarque.

- Je lui ai fichu la paix, rien que ça. Zoro est un type assez renfermé, il n'est pas là pour bavasser, juste pour agir. Il a été difficile à appréhender, parce qu'il ne se montre pas beaucoup.

- Est-ce qu'il aime garder la main, comme Kid ?

- Pas vraiment, intervint Nami. Il s'attarde quand ni Kid, ni Luffy ne sont en état de tenir la barre.

- C'est-à-dire ?

- C'est-à-dire des soirées trop arrosées, des sorties impromptues au milieu de la nuit, des excès en tous genres, soupira Shanks depuis son poste d'observation. Zoro encaisse des dégâts que vous imaginez même pas…

- Quels genres d'excès ?

- Alcool, stups, confessa Sabo avec une rancœur dans la voix, les yeux baissés sur les couvertures. Des saloperies que Kid enquille… ce qu'il préfère, c'est se défoncer et se tailler quand la descente s'amorce. Zoro prend le relai pour les heures qui suivent, Luffy enchaîne derrière, et la boucle est bouclée jusqu'au prochain écart.

Law était bien placé pour savoir que les stupéfiants ne faisaient que verser de l'huile sur le feu quand il était question de trouble de la personnalité ; une manière pour Kid de rester dans la lumière, en provoquant une dissociation forcée, parasitant la moindre pensée lucide qui pourrait faire revenir le seul véritable maître du bateau, à savoir Luffy.
Il griffonna d'autres notes, celles-ci destinées à Magellan – les drogues, peu importe leurs usages ou leurs provenances, n'étaient pas son fort, la chimie n'ayant jamais été la matière dans laquelle il brillait le plus, et il allait avoir besoin de son savant fou pour explorer les meilleures pistes qui s'offraient à lui.
Si Zoro et Kid se cachaient trop loin de lui, il aurait forcément un moyen de les faire venir, avec ou sans leur consentement, sans avoir besoin d'en recourir à des méthodes aussi extrêmes que la dernière en date.

- Vous avez des activités en commun, avec Zoro, jogging défouloir mis à part ?

- On fait régulièrement des parties de poker, quand il est d'humeur à jouer. Il est mauvais mais c'est la seule distraction qu'il s'autorise, avec les bières du bar et le théâtre japonais.

- … la seule distraction ?

- Quand il ne gère pas les bad-trips de Kid, il s'entraîne. Jusqu'à seize heures par jour quand Luffy le laisse sur scène.

- Un rapport avec les katanas que j'ai vus dans sa chambre et les matières suivies à la fac ?

- Absolument. Zoro pratique plusieurs arts martiaux, et depuis assez longtemps pour être capable de mettre une raclée à n'importe qui.

- C'est ce qu'il fait… ? hasarda Law en suspendant ses notes.

Shanks haussa les épaules et contempla le plafond – pas un réflexe de fuite, mais un mouvement qui trahissait la longue plongée dans ses souvenirs.

Le psychiatre ne doutait pas un seul instant de la capacité de Zoro à mettre Luffy à l'abri de toute menace, quand bien même cette faculté devait avoir ses limites, rien qu'à en juger le fiasco de la nuit du meurtre de Néfertari Vivi. De toute évidence, à moins d'un switch clairement défini et programmé, seuls les ressentis de Luffy étaient susceptibles de pousser les bons boutons pour faire sortir la personnalité qui serait la plus à même de gérer le moment. Si Luffy avait laissé la main à Kid, la veille, sans se douter de ce qu'il pourrait arriver, alors Zoro n'avait aucune raison de gérer pour lui. Il nota qu'il était toutefois, à première vue, plus difficile à Luffy de laisser sortir Zoro que son autre alter, qui semblait posséder une omnipotence incontestable sur la vie du trio.

Mais il lui était impossible d'écarter la théorie selon laquelle Zoro pouvait outrepasser Kid s'il l'estimait nécessaire : pour ça, il allait devoir creuser davantage.

- C'est son rôle et il le prend très au sérieux. Zoro n'est pas contre les challenges mais il n'aime pas être pris au dépourvu, et le contrôle total qu'il a de lui-même est son meilleur atout pour garder la main. Kid est là à volonté, ce qui n'est pas son cas.

Zoro travaillait son temps de parole, à sa manière ; loin d'être hostile, mais loin d'être passif, comme tout tendait à le confirmer. Rester dans la lumière lui plaisait, en un sens. Le seul à s'effacer demeurait Luffy, encore et toujours, mais quelque chose gênait Law, dans ce fonctionnement. Un fonctionnement qui lui avait paru clair comme de l'eau de roche, mais qu'il n'était plus aussi sûr d'appréhender correctement maintenant qu'il avait vu le lieu le plus intime de leurs échanges.
Il ouvrit la bouche pour poursuivre mais se tut quand des coups résonnèrent à la porte, le coupant dans son élan ; le battant s'entrouvrit et ses yeux croisèrent les prunelles dorées de Mihawk, qui lui offrit un air circonspect mais loin d'être surpris par sa présence. Un coup d'œil à Shanks lui apprit que le Gouverneur n'était pas étranger à cette visite, rien qu'à en jauger la nature de l'échange muet entre les deux hommes, et il s'efforça de ravaler son agacement en tendant la main à l'homme qui les avait rejoints et qui lui offrit une poignée ferme et inextricable, ses doigts fermement ancrés sur ses phalanges tatouées.

- Dracule Mihawk, murmura le psychiatre en plissant les yeux.

- Trafalgar Law, toussota l'avocat. Comment ça se passe, avec mon client ?

- Ce n'est plus votre client, répliqua Law en haussant le sourcil, mettant l'emphase sur le pronom.

- Ce n'est pas vraiment le tien non plus. À ce qu'on dit, ta clinique n'est pas le Hilton…

- Rendez-nous visite, à l'occasion, sourit-il en se rasseyant sur sa chaise. Je suis certain de vous trouver une chambre avec une vue imprenable sur le mur d'enceinte, la partie ouest a été ravalée récemment suite au petit cadeau de bienvenue de votre « client »…

- J'aime beaucoup votre humour, mais est-ce qu'on pourrait terminer ce qu'on a commencé ? soupira Sabo en levant les yeux au ciel. Mihawk, si tu es venu voir Papa, vous pouvez sortir. Je pense que Nami et moi on peut survivre au fait de rester seul avec Law…

Le Gouverneur contourna le lit, tapotant de sa main unique la jambe de son fils avant de s'éloigner vers la porte, restée ouverte sur Mihawk qui semblait avoir mieux à faire ici qu'une simple visite de courtoisie ; il tira la poignée derrière lui et s'éloigna de quelques pas, jusqu'à un banc tout proche et vide de visiteurs, où l'avocat lui fit signe de s'asseoir.

- Je sais que tu aurais préféré rester avec eux, mais je ne veux pas en parler devant Sabo et Nami, chuchota Mihawk en ouvrant son ordinateur portable, pianotant dans ses dossiers avec une vitesse que Shanks lui enviait – une main ou deux, peu importait, il n'aurait jamais pu égaler son meilleur ami. Benn a pu avoir accès aux caméras de surveillance du campus.

- … du concret ?

- Plutôt, oui. Ces trucs-là ne sont pas ce qui se fait de plus précis, mais on voit un type se tailler en courant du bâtiment à peu près une minute avant que ça n'explose.

- … c'est tout ?

- J'ai un autre angle de vue. Il monte dans une vieille Buick, immatriculée Californie, et prend la sortie ouest du campus. Après ça, on perd sa trace.

- L'immatriculation donne quoi ?

- Je te file l'info si tu me promets de ne pas aller faire justice toi-même, rétorqua Mihawk en le lorgnant par-dessus son écran, de nouveau tourné vers lui.

- Drac'...

- Shanks, tu es dans le collimateur de tout le monde, ici. Personne ne te ratera si tu tentes quoi que ce soit, et il y en a qui n'attendent que ça. Une commission parlementaire a recommandé ta destitution, et la chambre des représentants songe sérieusement à lancer la procédure. Si leur vote passe et que le Sénat approuve, tu vas perdre tout ce que tu t'es acharné à bâtir ces dernières années. C'est vraiment ce que tu veux...?

- Je ne ferai pas de connerie. Alors file-moi ce nom.

- La Buick est au nom d'un type qui se fait appeler Jango, céda l'avocat en affichant l'image d'un homme au visage maigre sous ses cheveux longs. C'est un des petits dealers du coin.

- ... je connais ce gars. De nom. Il bossait pour Kuro, un revendeur bien plus sérieux qui était sous la coupe de Crocodile, murmura Shanks en détaillant la photographie. Tu penses que c'est lui qui aurait commandité l'attentat ?

- Va savoir. Tu t'es fait des ennemis en le faisant tomber, et il a probablement attendu que tu aies un genou à terre pour t'abattre. Vous êtes la cible facile du moment.

- ... honnêtement... ce que je vais te dire est... je sais pas, complètement crétin, mais j'imagine pas Crocodile s'abaisser à ce genre de pratiques.

- On parle de Crocodile, là, appuya Mihawk. Tu te rappelles ce qu'il faisait à ceux qui faisaient un pas de côté ?

Le souvenir était même d'une netteté incroyable, malgré toutes ces années ; à cette époque, Shanks venait tout juste d'accéder au poste de maire et faire tomber les réseaux de San Francisco et des autres grandes villes de l'état était sa priorité. Crocodile faisait partie de ces hommes auxquels personne ne refusait quoi que ce soit, et pour la plus logique des raisons : aucun de ses collaborateurs n'était assez fou pour le contredire, la corruption était une meilleure option que la mort sale qu'il avait tendance à offrir à ceux qui ne le suivaient pas dans son ascension.
Les cadavres des associés dont il n'était plus satisfait étaient systématiquement retrouvés desséchés jusqu'à la moelle, sa petite signature qui indiquait que l'homme était passé dans un des fours qui lui servaient à décarboxyler le cannabis dans les nombreux entrepôts destinés à cet usage qu'il possédait en ville.
Alors, oui, quand il était question d'inventivité, Crocodile était sans nul doute un inépuisable créateur ; un créateur qu'Akainu avait trop longtemps cherché, dans sa quête de justice absolue, assez pour passer de l'autre côté d'après Benn. Un comportement obsessionnel qui l'avait conduit, par le passé, hors des portes de la CIA et qui ne le quitterait plus, Shanks en étant persuadé.

Akainu était déjà commissaire au moment où le Gouverneur s'était astreint à tenir ses promesses électorales – en donnant un coup de pied dans la fourmilière de la mafia qui gangrénait certains quartiers de la ville – et, quand bien même il se targuait d'être en accord avec la politique de Shanks qui consistait à nettoyer les rues de tous ceux qui en avaient fait leur terrain de jeu, personne n'avait été dupe quant à ses accointances avec le parrain local.

Shanks n'avait jamais pu en avoir la preuve, et il avait préféré saquer l'homme au risque de se faire poignarder dans le dos : néanmoins, sa revanche ne s'était pas faite attendre avec le cas de Luffy, pain béni sur lequel il s'était aussitôt jeté.
Crocodile était tordu et ces méthodes lui ressemblaient, mais Shanks trouvait l'appât trop simple, trop facile à suivre. Comme il l'avait confessé à Mihawk, cette manière de procéder le dérangeait, et il n'arrivait pas à se sortir de la tête le visage souriant d'Akainu pendant l'audience de Luffy, imperméable à la lourdeur de l'atmosphère et aux sanglots silencieux de la famille Néfertari : ce n'était pas une question de justice, c'était une question de victoire personnelle, et tant pis pour les dommages collatéraux.
Et une visite à San Quentin lui semblait être l'idée la moins extravagante que son cerveau ait été capable de pondre ces dernières semaines.

- Qui est l'avocat de Crocodile ?

- Un ami à moi. Don Krieg, son bureau est au Sud de la ville.

- Tu peux lui demander d'organiser une petite sauterie au parloir de San Quentin ? J'ai des questions à poser au Capitaine Crochet, marmonna-t-il en se frottant le visage, déjà las d'avance de devoir discuter avec ce genre d'individu.

- ... pas certain qu'il accepte, mais je peux toujours essayer. Je ne pense pas qu'il va rater une occasion de me narguer.

- Vous n'êtes pas si amis que ça, en fait, pas vrai ? devina Shanks avec un sourire en coin.

- Je suis arrivé premier au Barreau et je lui ai volé sa femme. Il est... disons... légèrement vexé...?

- Tu as le chic pour t'entourer, toi.

- Et c'est pour ça que je suis ici, coincé avec ta mauvaise humeur et tes problèmes, rétorqua Mihawk en levant les yeux au ciel. Parce que j'ai le malheur d'être ton ami.

Il n'y avait aucune attaque, dans ces paroles, Shanks le savait mieux que personne après des années d'amitié avec lui, et il accueillit sa remarque avec un rire franc, qui sembla encore plus exaspérer son vis-à-vis.

Une infirmière arriva au bout du couloir, poussant un chariot rempli de matériel de soin, faisant signe au Gouverneur qui se leva pour lui ouvrir la porte de la chambre de Sabo, où le carnet de Law s'était noirci de pages griffonnées sur chaque centimètre de papier disponible.
Sa voix, autoritaire, ordonna à Law de sortir le temps des soins, autorisant Nami et Shanks à rester pour l'assister, chassant le psychiatre d'une main ferme avant de claquer le battant derrière lui, le laissant seul face à Mihawk et son expression narquoise.
Refermant ses notes, il traversa le couloir et prit place à ses côtés, observant une distance saine tout en soutenant son regard - l'avocat était connu pour ses coups d'œil glaçants et sa réputation était avérée rien qu'à en juger la manière dont il le dévisageait.

- Instructif...?

- Plutôt, oui. Sabo est bavard, en ce qui concerne Luffy. C'est un bon point.

- Pourquoi ?

- Plus j'en sais, plus j'avance dans sa thérapie.

- ... sa thérapie, hmm...? souligna l'avocat en laissant ses yeux dorés dériver sur son flanc, confortant Law dans l'idée que l'entourage de Shanks était au courant de la bévue avec Zoro.

Une partie de lui s'en fichait comme d'une guigne, là où l'autre avait envie de pester et de hurler à la face du monde que cela ne les concernait pas ; le côté mature l'emporta sur le reste et il se contenta d'un sourire équivoque, s'installant plus confortablement sur le banc usé par des milliers d'assises.

- Puis-je me permettre une question ? chuchota Mihawk en pianotant à toute vitesse sur son clavier – feignant l'indifférence, l'air de ne pas y toucher là où Law savait que c'était tout le contraire.

- Dites toujours.

- As-tu reçu les comptes-rendus de Monet concernant Luffy ?

- Bien sûr. Comme tout le mon–

- Les comptes-rendus complets, précisa l'avocat en lui glissant un coup d'œil. Pas ceux qui ont été transmis à Kuzan et au jury.

- Je ne vois pas où vous voulez en venir.

- Oh si, tu le vois très bien. Vous êtes plus que des confrères. Je sais que vous vous êtes vus à un colloque à Chicago, et que vous avez fait plus que partager un verre au Thimothy'. Je sais aussi que vous avez échangé toutes vos informations sur Luffy, et que vous n'êtes pas près d'arrêter vos petits jeux de psy entre vous. Je suis également certain que Monet a bafoué au bas mot une bonne dizaine d'articles de droit pénal relatifs à la dignité humaine, pour réussir son petit tour en une semaine, et rien que ça, ça constitue un énorme vice de forme qui pourrait rendre caduque son expertise psychiatrique. Sans compter le fait qu'elle est liée à Sakazuki et qu'il a été viré de la CIA pour ça... ça fait un peu trop de coïncidences.

- Hé bien, libre à vous d'enquêter en ce sens, murmura Law en s'accoudant au dossier, désinvolte. Mais admettons. Admettons qu'elle ait enfreint le règlement intérieur. Qu'elle ait volontairement mis la vie de Luffy en danger pour le pousser dans ses retranchements. Qu'elle ait poussé tous ses boutons rouges pour pouvoir faire sortir Eustass Kid de sa tanière, et Roronoa Zoro par la même occasion. Qu'elle les ait torturés pendant des jours, pour arriver à ses fins. Admettons que vous parveniez à prouver votre théorie, que son expertise soit annulée et que Luffy n'ait plus sa place dans cette clinique. Qu'il soit déclaré sain d'esprit, et envoyé sur la Veuve Courant à San-Quentin.

Law se tut, inspira profondément et tourna la tête pour affronter le regard de son voisin, toujours aussi silencieux – réputé pour être taiseux, lui aussi.

- ... dites-moi... vous supporteriez d'être là et de regarder un gosse de vingt ans griller sur sa chaise...? D'être assis à côté de son père, de son frère, de sa sœur, et d'être responsable de cette situation ? Si vous pouvez toujours vous regarder dans le miroir, alors allez-y. Retirez-moi Luffy, sourit-il. J'attends impatiemment l'injonction de Borsalino sur mon bureau.

Touché, coulé.
Il avait fait mouche sans avoir à lever le petit doigt.

- Vous avez défendu les intérêts d'Ame no Shiryu pendant des années ; vous avez accepté le cas de Luffy alors que tout concourait contre lui. Vous secondez Shanks qui, comme n'importe quel politique, a toujours quelque chose à se reprocher et trempe dans des affaires qu'on ne souhaite à personne d'avoir dans son bol. Vous avez aidé à blanchir mon père pendant le procès sur les entreprises SMILE, alors que vous saviez pertinemment qu'il était loin d'être aussi innocent que ce qui a été avancé pendant les audiences. Vous avez même fait libérer Vasco Shot, Avalo Pizzaro et j'en passe et des meilleurs... alors ne venez pas me parler d'intégrité, de respect des lois et de dignité humaine, parce que toutes les personnes que j'ai citées ont les mains pleines de sang jusqu'aux coudes. Maintenant, si ça ne vous gêne pas, j'aimerais que vous me laissiez faire mon travail, et je vais vous laissez faire le vôtre, parce que Sabo va bien plus que moi avoir besoin de votre... pugnacité, si je peux la nommer ainsi, termina-t-il en se levant, quittant le banc sans un regard de plus pour l'avocat resté muet, sentant son regard perçant sur sa nuque, qu'il ignora pour sortir son téléphone et composer le numéro de la clinique – pas question pour lui de négliger son personnel et le reste de ses patients, quand bien même il brûlait d'envie de retourner dans cette chambre pour soutirer davantage d'informations à l'aîné de la fratrie.

Néanmoins, et c'était peut-être ce qui le perturbait le plus, il était incapable de se défaire de la pointe de vexation qui lui vrillait la tempe et qui lui rappelait que tout le monde, dans cette histoire, avait quelque chose à se reprocher, et que le trio n'hésiterait pas à se servir de la moindre faille, de la moindre hésitation, de la moindre brèche où s'engouffrer pour faire exploser cet ensemble ténu qui gravitait autour de lui.

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Réponse aux guests :

Pinigin : Hello ! Ah, oui, les chapitres se font attendre, c'est mon côté sadique peut-être… c'est très gentil de ta part, j'espère que l'histoire continuera à te donner envie de lire jusqu'au bout. Malgré la frustration ;p merci pour ta review, à bientôt !


À bientôt pour la suite ! Passez un bel été !