Ohayo mina !
Pour la sortie de Kaamelott au cinéma, je place dans ce chapitre une petite pique de Léodagan le Sanguinaire à l'attention du Grand Enchanteur du Nord, Pourfendeur du Dragon des neiges, j'ai nommé : Elias de Kelliwic'h.
Merci pour vos reviews, votre patience et vos retours ! :)
J'espère que vous profitez tous de l'été et que vous vous portez aussi bien que faire se peut ; je vous livre ce chapitre qui, croisons les doigts, vous fera tenir jusqu'à la rentrée de septembre, où nous nous reverrons pour une nouvelle publication.
Pour cette fois, on va laisser Luffy de côté et se concentrer sur sa famille, ainsi que sur Zoro ; on s'approche à petits pas de la fin de l'histoire puisqu'à en juger ce qu'il me reste en rédaction, on a bien passé une bonne moitié de la fiction.
Les guests sont, comme toujours, en bas de page ; je vous souhaite une excellente lecture et...
Enjoy it !
Chapitre 29 :
Jour 63. Compromis.
Bibliothèque C. Green, San Francisco, Californie.
20h45.
Nami releva le nez de sa pile de livres quand le chariot de la bibliothécaire s'arrêta à ses côtés, croisant le regard de la gérante qui lui désigna la pendule sans un mot – le silence était d'or, à cet endroit, mais un regard aux aiguilles lui apprit que les portes étaient sur le point de se fermer. La remerciant d'un sourire, elle referma les ouvrages étalés autour d'elle et les déposa au bord de la table, rangeant ses cahiers, zippant sa trousse le plus délicatement possible – les autres étudiants la lorgnèrent du coin de l'œil, eux aussi occupés à rassembler leurs affaires, et elle souhaitait s'éclipser avant que l'un d'entre eux n'ait le temps de lui bloquer le passage. Non pas qu'elle en soit à redouter d'être en présence de ces crétins, seulement, elle avait mieux à faire que de supporter leurs commentaires railleurs et leurs questions déplacées, surtout pour ce soir.
Ajustant son sac à dos sur son épaule, elle se faufila entre les rayonnages interminables et descendit, sans un bruit, les marches qui menaient au hall d'entrée principal, ses yeux accrochant la pluie qui martelait les baies vitrées de part et d'autres des couloirs. Pas assez pour assombrir son humeur, toutefois. Poussant les portes de la bibliothèque, elle dévala les marches de pierre trempées par le déluge et trotta jusqu'à la berline noire garée en contrebas, ouvrant la portière pour s'engouffrer à l'arrière dans une dernière inspiration, sa frange collée à son front. Le chauffeur ajusta son rétroviseur pour la voir, ses yeux noirs vrillant les siens.
- Bonsoir, Daz, soupira-t-elle en bouclant sa ceinture, relevant ses cheveux dégoulinants pour les nouer à la va-vite.
Elle était habituée au silence pesant parmi les membres du personnel depuis la condamnation du benjamin de la famille, la plupart des employés ne demeurant au service de Shanks que par obligation professionnelle, beaucoup ayant cessé de tenter la moindre politesse verbale à leur encontre, se contentant de faire ce pour quoi ils étaient rémunérés. Daz était la parfaite neutralité, parmi toutes ces personnes, et pouvoir converser avec un être humain autre que sa famille était sa soupape de sécurité.
Nami n'était pas du genre à trop se lier, et ses amitiés déjà restreintes en avaient pris un sérieux coup dans l'aile depuis le procès. À croire que rien n'avait jamais été vrai, dans ses relations – cette idée lui était insupportable.
- Mademoiselle. À la villa ?
- À la villa, oui, sourit-elle en essuyant le maquillage coulé sur sa joue.
Elle sentait encore, à travers les vitres teintées, le poids des regards et des murmures qui ne tarissaient jamais, et cette sensation s'éternisa encore alors que la voiture se frayait un chemin dans la circulation. Le chauffeur était avare de paroles, comme elle, et le silence brisé par le clapotement de la pluie sur la carrosserie fut le seul son émis dans l'habitacle, la radio étant perpétuellement coupée en sa présence, à sa demande : elle était lasse d'entendre les mêmes inepties déblatérées à longueur de temps sur les ondes. Il ne la questionna pas sur sa journée, sur ses recherches, sur le temps passé à l'entreprise de Sabo, qui tournait toujours en son absence – elle avait un stage à honorer, malgré les circonstances – et elle apprécia sa discrétion et sa réserve.
À des années-lumière de ce que pouvait être Luffy, pensée qui lui serra le cœur, mais qui lui arracha un sourire pour elle-même alors que le paysage défilait, à la fenêtre.
Fouillant dans son sac, elle en sortit son trousseau de clés et prépara celle qui déverrouillait leur porte d'entrée, fermement serrée entre ses doigts ; la moindre seconde d'hésitation serait suffisante pour qu'elle se fasse aborder ou héler par-dessus la haie de leur propriété, et elle n'avait pas besoin de ça.
Le trafic s'amenuisa au fur et à mesure de leur avancée, jusqu'à leur arrivée dans le quartier huppé du Marina, désert à cette heure-ci ; Daz ralentit l'allure, s'arrêta devant le grand portail en fer forgé et regarda longuement autour de lui, avant de lui offrir un discret signe de tête, accord silencieux auquel elle était habituée après toutes ces années.
- Soyez prudente, murmura-t-il en lui jetant un autre regard dans la petite glace, sourcil haussé.
- Comme toujours. Merci, et bonne nuit, Daz…
Il acquiesça, attendit qu'elle se soit déchaussée et déverrouilla les portières ; elle ouvrit la sienne, son sac sous le bras, ses talons dans l'autre main, et la claqua derrière elle sans perdre une seconde avant de remonter, au pas de course, l'allée déserte de la villa sous la pluie à présent diluvienne qui frappait San Francisco, en ce vendredi soir maussade.
La clé tourna deux fois dans la serrure alors qu'elle s'affairait sous son porche, refusant de regarder derrière elle au risque de croiser un autre regard lourd d'accusation et s'engouffra dans leur maison ; claquant la porte derrière elle et tirant sur la tenture, elle déposa ses chaussures sur le carrelage et secoua la tête pour en chasser les gouttes d'eau qui éclaboussèrent l'imperméable de son père, déjà pendu à la patère et totalement sec – à première vue, il n'avait pas quitté son bureau de l'après-midi, ce qui expliquait sûrement pourquoi il n'était pas à la porte pour l'accueillir, trop plongé dans ses derniers projets pour prêter attention aux mouvements de vie dans leur maison.
Silencieusement, elle se débarrassa de sa veste et emprunta les escaliers qui menaient au niveau supérieur, passant devant la chambre depuis longtemps inutilisée de Sabo pour entrer dans la sienne et jeter son sac de cours sur son lit, se désintéressant totalement de son contenu pour sortir la plus petite de ses valises de son placard. La direction indiquée par Shanks, la veille au soir, était la Nouvelle-Orléans et elle avait parfaitement saisi le programme de leur week-end : les visites à l'asile étaient enfin autorisées pour Luffy, et elle ne manquerait ça pour rien au monde. Le vol interne durerait un peu plus de cinq heures, jusqu'à la ville principale de la Louisiane – siège de Don Quixote Doflamingo – avant qu'ils ne soient conduits à l'asile en début d'après-midi, après le déjeuner.
Sabo n'était pas autorisé à voyager, dans son état – encore enfermé dans sa chambre d'hôpital, sous étroite surveillance, le médecin de l'unité avait refusé de le faire sortir si peu de temps après l'incident et sa sortie du coma. Il était furieux de ne pas pouvoir les accompagner, mais Shanks lui avait promis qu'ils l'appelleraient une fois sur place ; pas assez pour apaiser sa colère, de toute évidence.
Nami jeta une tenue de rechange dans la valise ouverte derrière elle, une paire de pyjamas pour leur nuit à l'hôtel, avant de sortir en direction de la salle de bain, qu'elle éclaira d'une tape sur l'interrupteur ; le grand miroir central, au-dessus de la double vasque, lui renvoya son reflet qu'elle trouva immonde. Ses cernes lui rappelèrent l'éternel air épuisé du psychiatre qui avait arpenté les couloirs de leur maison, et elle eut une brève pensée pour cet homme qui semblait être, lui aussi, au bord du gouffre, à la fois si proche et si éloigné de son objectif. Elle brisa le contact avec sa réflexion et ouvrit les colonnes de rangement, récupérant sa trousse à maquillage et une brosse à dents, ses yeux s'arrêtant sur le parfum de Luffy sagement rangé sur l'étagère qui lui était réservée.
L'idée de revoir son petit frère l'avait déstabilisée, et elle ignorait comment interpréter le furieux duel de sentiments qui ne trouvait pas de repos, à l'arrière de sa tête. Elle détestait l'idée même d'éprouver la moindre once d'appréhension – c'était de Luffy dont il était question, le gamin toujours collé à ses baskets, terrifié d'être seul dans son lit et quémandeur d'étreintes à longueur de temps. Aucune raison, pour elle, de redouter leur entrevue ; elle ne pouvait qu'être heureuse au-delà du raisonnable, tant le manque de sa présence lui avait torpillé un coin complet du cerveau.
D'où venait cette impression, cet espèce de ressentiment qu'elle ne s'expliquait pas ? Avait-elle fini, à son tour, par avoir peur de Kid et de ce dont il était capable, après des semaines passées dans un environnement aussi restreint ? Peur de Luffy lui-même, prisonnier de ses alters, du jeune homme qu'elle allait trouver et qui avait peut-être abandonné le combat, laissant le champ libre à celui qui ne demandait qu'à passer définitivement dans la lumière ? Elle avait grandi avec cette menace, qui l'avait marquée jusque dans sa chair, mais jamais encore elle ne s'était sentie aussi vulnérable à l'idée d'être enfermée pendant quelques heures avec ce cocktail explosif.
Et la culpabilité qu'elle ressentait à éprouver ça ne l'aidait vraiment pas à y voir plus clair.
Le discret raclement de gorge, à la porte, la sortit aussitôt de ses pensées – un regard dans le miroir lui renvoya l'image de son père, adossé au chambranle de la porte, main dans la poche ; le sourire en coin qu'il arborait était empreint de lassitude, mais toujours aussi sincère.
Elle se demanda, brièvement, s'il serait encore longtemps capable d'encaisser autant de coups sans tomber à genoux une bonne fois pour toutes, se composa le sourire le plus lumineux qu'elle avait en réserve et reprit sa trousse, qu'elle inspecta soigneusement.
- Ta valise est terminée ?
- Juste avant que tu ne rentres. Law m'a envoyé un mail pour me dire que tout va bien à l'asile, ajouta-t-il après un silence. Jusqu'ici.
- Qu'est-ce que c'est supposé vouloir dire ?
- Luffy est calme. Kid est loin. C'est Zoro qui débutera la journée, demain matin.
- … il devrait avoir compris que faire des plans ne sert à rien, marmonna-t-elle en prenant une serviette à sa portée, y jetant un flacon de gel douche avant de la rouler et de la ranger dans sa pochette.
- Laisse-le travailler, soupira le Gouverneur en s'avançant vers elle, tendant le bras pour passer ses doigts dans ses cheveux pour dégager son visage. Cesse de te braquer comme ça…
- Venant de ta part, c'est mesquin, papa…, murmura Nami en lui frappant la hanche d'un coup de coude.
Elle ne put s'empêcher de noter à quel point son père avait maigri, ces dernières semaines ; elle était incapable, à elle seule, de faire face à tous ces démons qui lui tournaient autour : la bataille contre la bouteille avait été gagnée, mais la guerre était loin d'être terminée. Et elle n'était pas sûre de réussir, sans Sabo, à garder la tête du Gouverneur hors de l'eau suffisamment longtemps sans se noyer elle-même.
Peut-être qu'elle aussi, à la longue, était fatiguée de tout ce qu'il se passait, de tout ce qu'elle avait pu éprouver depuis la mort de Belmer ; peut-être était-ce ça, son point de non-retour, celui qu'elle pensait ne jamais atteindre. Des craintes, exacerbées par ce qui l'attendait le lendemain, en contradiction totale avec l'envie de revoir Luffy, qui lui manquait au-delà du raisonnable.
- Mon boulot, c'est de vous protéger. Je me fiche bien des politesses à lui adresser, répliqua-t-il en s'écartant pour la laisser passer, éteignant derrière elle avant de la suivre jusqu'à sa chambre.
- Si Coby t'entend parler comme ça, il va se suicider de honte.
Il balaya l'idée d'un geste de la main, non sans réprimer un sourire, s'appuya contre la porte et la regarda daigner enfin ranger ses livres de cours sur son bureau, pensif ; elle surprit son air songeur, ouvrit la bouche pour lui demander ce qu'il avait en tête et se tut quand le portable de son père se manifesta, dans la quiétude de la villa – il le porta à son oreille et s'éloigna dans le couloir, tirant la porte du bout du pied dans un geste équivoque : l'appel ne lui était pas destiné.
Geste que Sabo avait eu si souvent, à son bureau, quand il recevait un coup de fil « business » et qu'il s'isolait, mimant son père sans même s'en rendre compte. Luffy aussi avait pris de lui, avec le temps, dans l'exercice controversé du silence buté qui pouvait tout et rien dire à la fois, dans ces regards noirs dont il avait le secret et qui pouvait vous pétrifier sur place. Le genre de regard que Nami avait toujours soutenu, sans jamais vraiment savoir si c'était l'ombre de Kid qu'elle voyait, ou le garçon qu'elle pensait connaître mieux que personne.
Et force était d'admettre qu'elle n'aurait jamais la réponse à ses questions.
Le battant se rouvrit sur son père et son air indéchiffrable, la sortant une nouvelle fois du courant de ses pensées, les mains dans sa valise ouverte, figée dans son mouvement, trop focalisée sur ses souvenirs et ses doutes pour être capable de faire autre chose.
- Sois prête dans quinze minutes, murmura Shanks en jetant un regard à sa montre.
- … on reçoit quelqu'un à cette heure-là ?
- Le vol est avancé, on ne part plus demain matin.
- Tu blagues ?
Il haussa un sourcil, et son air sérieux lui rappela que ce genre de revirement n'était pas du style de son père, trop habitué à son emploi du temps chronométré à la minute près dans ses journées de 16 heures quotidiennes de travail.
- Pourquoi est-ce qu'on part ce soir ?
- Sabo est transféré hors de la clinique Zuckerberg dans vingt minutes.
- … quoi ? Mais on–
- Quelqu'un t'a suivie, à la bibliothèque, marmonna-t-il en lorgnant vers la fenêtre aux rideaux fermés. Daz est formel.
Elle réprima difficilement l'envie de lui demander, une nouvelle fois, s'il se payait sa tête, et considéra un instant les possibilités qui s'offraient à eux.
Shanks le lui avait dit et répété, depuis l'accident de Sabo : pour lui, ce n'était qu'une question de temps avant que la situation ne se reproduise. Elle s'était doutée, depuis le début, que son père s'assurait à distance de sa protection, mais jamais elle ne se serait figurée en arriver là, à cette extrémité, à devoir changer leurs plans en pleine soirée pour contrer une hypothétique intention malveillante à leur égard. La culpabilité n'était pas loin, elle non plus, couplée à une ébauche de honte et d'embarras – elle n'avait rien remarqué, et elle se sentait stupide de ne pas éprouver un centième de l'instinct de survie de Zoro, qu'elle avait plus d'une fois vu à l'œuvre.
- Papa… tu vas pas… juste pour–
- Comme si j'allais prendre le risque, rétorqua-t-il en pointant le doigt vers elle. Tu crois que je suis d'humeur à parier ta tête ?
- Je te demande pas de jouer à pile ou face ! Juste de… prendre le temps d'y réfléchir–
- J'ai passé quinze ans à me torturer le cerveau pour savoir quoi faire. Et où est-ce que j'en suis… ? Mmn ?
Elle détestait le ton sur lequel il s'adressait à elle ; à la fois railleur, défiant et hautain. Le genre de facette qu'il arborait en public quand il était pris à parti, sûr de lui et de ses arguments, façade qu'il ne pouvait pas abandonner quand il était question d'imposer son avis, ses décisions.
Le visage du Gouverneur, que Shanks s'était efforcé de garder hors de sa maison mais dont il peinait à se défaire, à présent.
Le genre d'homme prêt à tout pour atteindre son but, à la manière du psychiatre qui avait occupé leur territoire, beaucoup trop étroit pour les deux crocodiles qui avaient rôdé dans la même mare sans se quitter des yeux.
- Et voyager dans une ligne commerciale, tu crois que ça va t'aider à être plus serein ? argua-t-elle en refermant sa valise après y avoir fourré tout ce qui lui tombait sous la main.
- Benn a mis son avion à disposition. Il est déjà à l'aéroport.
- T'as réponse à tout, hein ?
- C'est pour ça que c'est moi le parent, rétorqua-t-il en lui tournant le dos, dévalant les escaliers sans un mot de plus.
Nami réprima la furieuse envie de lui balancer ses quatre vérités, de ses beuveries aux vomissements sans fin jusqu'aux larmes et aux sanglots étouffés par son oreiller que ses enfants avaient dû gérer à sa place, préféra se taire pour ne pas ruiner les chances de voyager avec un homme renfrogné et désagréable – elle aimait son père, profondément, mais ses réactions lui étaient parfois insupportables.
Elle ignorait ce qui l'avait rendu ainsi, au fil des années ; elle était incapable de se rappeler de « l'avant », de ses premières années d'enfance où sa mère était encore là, où Shanks devait encore sourire sans jamais faillir ; des années sans Luffy, sans cris, sans coups et sans larmes. Elle sentit sa gorge se serrer, encore une fois, sous un flot de culpabilité acide – elle se sentait idiote, une fois de plus. Ce serait mentir que prétendre que Luffy n'avait apporté que du malheur et des problèmes depuis son arrivée, horriblement blessant : elle avait adoré chaque instant passé avec lui, chaque minute consacrée à le connaître un peu plus, à jouer avec lui et accepter l'idée d'avoir un petit frère, quelqu'un dont elle pouvait s'occuper, ne plus être la petite dernière dont tout le monde se souciait à longueur de temps.
C'était Kid, le problème, pas le petit garçon que Shanks avait recueilli et qui avait éloigné, pendant longtemps, le vide laissé par Belmer ; à nouveau, elle ne put éviter cet intense sentiment de culpabilité, alors qu'une partie d'elle-même lui martelait que Luffy n'avait été qu'une excuse pour ne plus penser à sa mère et au manque suscité par son absence.
Elle éteignit sa chambre, tira sa valise derrière elle et emprunta, à son tour, les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée où l'ombre de son père se découpait, dans la cuisine – en train d'enfiler sa cape, chaussures aux pieds, bagage près de la porte ; le reste de la villa déjà plongé dans le noir.
- Besoin d'aide… ? murmura-t-elle en prenant une autre veste, sèche, la sienne encore mouillée de son retour de la bibliothèque pendue à la patère.
- Ça ira. Prête ?
Elle acquiesça, le contourna et déverrouilla la porte d'entrée, apercevant la voiture de leur chauffeur en bas de l'allée, moteur tournant, essuie-glace en marche. Shanks activa l'alarme, son trousseau cliqueta quand il ferma derrière eux et emboîta le pas de sa fille, dans l'obscurité qui régnait dans la propriété. Il lui ouvrit la portière de son bras libre pendant que Lucky chargeait leurs valises à l'arrière, s'engouffra derrière elle et claqua la porte, les coupant du bruit sonore de la pluie pour les laisser dans un silence pesant, troublé par le léger vrombissement du moteur.
Elle devait oublier, au moins pour ce soir et la journée à venir, toute sa rancœur, ses fautes, ses non-dits plein de regrets pour ne garder à l'esprit que l'occasion de revoir Luffy après tout ce temps, eux qui n'avaient jamais été séparés aussi longtemps. Elle devait mettre Sabo de côté, tourner la page, omettre ce que son père lui avait froidement annoncé quelques minutes auparavant – l'idée qu'elle était suivie, que l'épée de Damoclès avait trouvé une nouvelle cible – et continuer, peut-être même prétendre que rien de tout ça n'était arrivé, juste pour cesser de vivre avec le cœur au bord de la rupture.
Elle saurait faire semblant, donner le change devant le benjamin de la famille, mais elle ignorait encore ce qui lui en coûterait, cette fois-ci.
. . . . . . . . . .
Jour 64.
Louisiane, près d'Ostrica. Chambre de Monkey D. Luffy.
06h40.
Zoro ouvrit les yeux sur la pénombre de la chambre, les premiers rayons du soleil peinant à colorer le ciel de bleu à l'est ; il distinguait à peine les formes des meubles qui se profilaient autour de lui, mais il en voyait assez pour savoir que le bureau était désert et que les cahiers étaient rangés – c'était sa matinée, celle que le groupe lui avait accordée et dont il comptait bien profiter, en s'assurant que sa chronologie resterait aussi lisse que la surface d'un lac un jour sans vent. Pas de haut, pas de bas, pas de saute d'humeur. Juste du contrôle.
Il se redressa pour s'étirer longuement, lorgnant la montre posée sur la table de chevet qui indiquait 06h41 – trop tôt pour prétendre déjeuner, trop tard pour se rendormir. Il ouvrit le tiroir à sa portée, en extirpa la petite boîte noire soigneusement rangée à côté de celle de Kid et récupéra les trois pendants dorés qui annonçaient toujours sa présence, qu'il prenait un soin particulier à mettre quand il était question de croiser le reste de la famille de Luffy. Une forme de politesse à leur encontre, de son point de vue, que Kid avait toujours moquée, sans surprise. Pas besoin de miroir pour enfiler les accroches dans son lobe, la force de l'habitude – il se surprit à esquisser un sourire quand le souvenir de son passage chez le perceur refit surface, Shanks avait donné son aval et promis de l'emmener à la première heure, à condition que Luffy consente. Consentement enthousiaste, il n'avait pas eu besoin de forcer la main de son hôte pour obtenir ce qu'il voulait : Kid lui en faisait tellement voir trente-six chandelles que trois trous dans l'oreille lui paraissaient être un maigre tribut à payer pour Zoro.
Se levant du lit, il inspira profondément et se débarrassa du tee-shirt que Luffy avait dû enfiler avant d'aller se coucher, retirant ses chaussettes pour finalement rejoindre le centre de la pièce : il savait que les caméras étaient là, bien dissimulées dans les détails des moulures et des meubles et qu'il ne saurait les trouver sans la coopération de toutes les personnalités, et qu'il était inutile de perdre du temps à se questionner sur leur présence. Autant les ignorer, ce qu'il comptait faire en commençant sa première série de pompes. Par séquences de dix, répétées dix fois, selon une cadence effrénée qu'il avait vu Ace suivre sans broncher pendant leurs entraînements silencieux. C'était peut-être celui qu'il préférait, parmi tous ceux qu'il avait pu côtoyer – qu'ils soient conscients de sa présence ou non ; avare de paroles quand c'était nécessaire, toujours partant pour une bonne suée sans faire d'histoire, clairement pas du genre à se plaindre. Tout autant de qualités qui plaisaient à Zoro, toujours à la recherche de concentration et de moyens de se dépasser, de pousser toujours plus loin ses limites. Ace en avait une, trouvée par Luffy, mais que Kid n'avait pas l'air de vouloir exploiter pour le moment ; pour qui, pour quoi, Zoro l'ignorait, mais comploter n'était pas son intérêt de l'instant. La seule mission qu'il avait et qu'il mènerait à bien, c'était les protéger du reste du monde. Le reste, ce n'était pas ses affaires.
Troisième série.
Le soir où Kid avait dérapé, au bar de Makino, aucun d'entre eux n'avait été capable de sauver Luffy de ce qui l'attendait ; ils devaient tous faire amende honorable, pour ça, et il avait pris son rôle à cœur quand il s'était réveillé chez Monet ou acculé dans la salle aveugle de l'asile. Kid pouvait bien fomenter tous les coups possibles et inimaginables, il n'était pour l'instant pas d'humeur pour ses enfantillages ; c'était sa manière de se faire pardonner et de se pardonner, pour avoir failli là où il aurait dû redresser la barre.
Le souvenir de cet instant était douloureux de précision, tant il se rappelait avoir ressenti, physiquement, la douleur de sa propre défaite en parcourant les lignes laissées à la hâte par Kid dans le calepin de la voiture. La vision du sang sur ses mains – celles de Luffy, Kid, Nojiko – lui avait retourné le ventre, et il avait détesté sentir son cœur devenir fébrile dans sa poitrine sous l'afflux des idées glauques qui lui avaient traversé le crâne ; il ne s'imaginait que trop bien les conséquences de leurs bourdes : Luffy et lui pour avoir trop fait confiance, Kid pour avoir perdu les pédales. C'était sa soirée et il était supposé descendre quelques verres, sans excès, avant de traîner sur le port et de rentrer avant le lever du soleil pour laisser Luffy réviser – Zoro n'avait pas prévu d'entrer en scène, mais c'était la seule carte que Nojiko pouvait abattre pour tenter de renverser la vapeur.
Sixième série.
L'idée de la savoir paniquée et seule à prendre les décisions cruciales l'avait perturbé, et il avait fait la seule chose pour laquelle il avait un don : disparaître. Se faire discret, retourner à la villa en évitant les flics, la population, quiconque susceptible de remarquer le gamin éclaboussé de sang au volant de sa voiture. À peine descendu de la voiture, il avait retrouvé le noir et le silence pour rouvrir les yeux sur une salle bétonnée, face à un miroir teinté et deux flics maussades, une série de clichés et de paperasse étalée devant lui.
Une fraction de seconde nécessaire à la compréhension de cette scène – Kid n'avait pas arrangé ses conneries, leur petite routine s'arrêtait là ; Luffy devait craquer, Nojiko restait terrée dans son coin, sûrement peu désireuse d'affronter cette réalité – et il était de retour dans son rôle de dernier défenseur, ultime barrière entre eux et le monde. Il avait refait surface après cet instant où Kid, lui aussi, avait rendu les armes, chez Monet, le seul moment où il avait compris qu'ils s'approchaient dangereusement de la fin et que leur temps était compté. Tout cet étalage de douleur, d'angoisse et de désespoir l'avait catapulté des années auparavant, à Rio, quand ils erraient dans les rues pavées sous la chaleur mordante du soleil avec le ventre vide et les pieds en sang ; Zoro était supposé les mettre à l'abri du danger, là où Kid avait la lourde tâche de les nourrir, quel qu'en soit le prix. Un prix que Luffy avait trop longtemps payé, que Zoro s'était efforcé de régler à sa place, du mieux qu'il le pouvait.
Il descendit sa dernière pompe, roula sur le dos et débuta ses séries d'abdominaux, soufflant lourdement dans le silence de la chambre.
Torturer son corps à coups de brûlures musculaires était le seul moyen durable et efficace qu'il avait trouvé pour compenser tout ce qu'il avait à engranger pour eux tous – au-delà du fait que ces exercices et cette discipline le rendaient plus apte à encaisser les chocs. Cette pratique avait visiblement trouvé ses limites, au milieu de ces murs immaculés, le poussant dans ses propres retranchements ; lui aussi, à la manière de Kid, avait pensé que seule la torture physique était capable de les amener à leurs points de non-retour respectifs, mais force était de reconnaître que l'enfermement avait fait un véritable travail de sape en un temps record.
Ces cloisons le rendaient nerveux, à la longue, et lui rappelaient dans la même douleur coupable le tout premier souvenir dont il était forgé. Celui dont il ne pouvait pas se défaire, malgré tous ses efforts ; qui lui rappelait sa raison d'être, qu'elle soit juste ou non, et dont il devait se contenter, au moins pour cette vie-là. Il ferma les yeux, chassant cette sensation toujours aussi désagréable, après toutes ces années, ignorant la sueur à présent glacée sur sa peau, le bruit caverneux de son cœur battant la chamade dans sa poitrine.
Law savait qu'ils avaient tous un point faible.
Le sien n'était jamais loin, mais le psychiatre n'avait pas encore pu mettre le doigt dessus – même si, aux yeux de Kid, ce n'était plus qu'une question de temps pour qu'il comprenne. Pour lui, pour Zoro, pour Nojiko. Et pour Luffy. Et Kid avait été très clair, dans leur dernier échange, la veille au soir : si Law avait Luffy dans ses griffes, c'en était fini du groupe.
Le point de côté qui se manifesta, sous son foie, l'obligea à ralentir le rythme, sans pour autant casser l'exercice, le rappelant à l'ordre dans un message qui ne souffrait d'aucune ambiguïté : il retenait son souffle, trop perdu dans ses pensées, et son endurance s'en ressentait. Il s'étira, brièvement, expira longuement et quitta le parquet à la faveur des barreaux de la fenêtre, se suspendant à une des barres transversales profondément ancrées dans les murs et commença ses tractions, observant par à-coup l'extérieur qui perdait sa couleur d'encre pour laisser place à l'aube, le soleil lui brûlant les yeux à chaque fois qu'il hissait son corps toujours plus haut.
Le souvenir revint à la charge, plus insidieux encore, lui serrant la gorge – il n'était pas question de larmes, en ce qui le concernait. Il ne se rappelait pas en avoir versé une au cours de son existence, mais il n'était pas certain à 100% d'être objectif sur le sujet, à bien y réfléchir. Peut-être avant, à Rio, quand il ignorait encore ce qu'il faisait là et ce qui lui arrivait. Quand il n'avait aucun sens, aucun but, rien à quoi se raccrocher.
Non, ce qui lui restait en travers était cette amertume, huile sur le feu de sa rancœur et de sa rage, et qui alimentait et motivait chaque décision radicale qu'il avait été amené à prendre dans leur vie.
Quelques coups, discrets, résonnèrent à la porte, l'arrachant à sa contemplation du soleil levant pour reporter son attention sur Ace, en tenue de jogging, capuche rabattue sur la tête, les traits tirés par une nuit beaucoup trop courte à en juger les cernes sous ses yeux noirs.
- … je sais pas si c'est la lumière ou quoi, mais t'as une mine de chiotte, marmonna-t-il entre deux expirations, focalisé sur le mouvement mécanique de flexion et d'extension de ses bras et de son dos.
- Visite, cet aprèm, rétorqua Ace.
- J'avais pas oublié.
- Alors commence pas la journée en m'insultant, s'te plaît, soupira l'infirmier en écartant la porte du pied, lui désignant le couloir d'un geste du menton. Dehors.
Zoro se laissa retomber au sol, fouilla dans l'armoire pour en sortir un sweat et enfila ses chaussettes et ses baskets sous l'œil attentif de son gardien, le suivant dans l'aile déserte dont les portes étaient toutes encore verrouillées, témoins silencieux du sommeil des autres pensionnaires ; encore une fois, Ace emprunta un nouveau trajet pour l'emmener dehors, une manière discrète mais bien sentie de lui faire comprendre qu'il n'aurait pas le temps de s'exercer au Simon dans son coin. Pour autant, il ne se gêna pas pour laisser traîner ses doigts sur les serrures, le long des poignées et des portes dont ils croisaient le chemin, tâchant de mémoriser un maximum d'informations.
L'air était frais, dehors, l'herbe trempée de rosée – la Louisiane tenait ses promesses, bien loin de la Californie, et pourtant similaires sur certains points ; le brouillard de San Francisco qui leur cachait la vue aux alentours, le pont qui semblait interminable au milieu de cette purée de poix. La même ambiance glauque régnait sur l'asile, certains matins, quand la brume ne semblait pas décidée à quitter les murs vertigineux qui entouraient la clinique, et ce temps fichait le bourdon à Luffy, qui se languissait du Brésil et de la sécheresse du sol où ils avaient tellement erré.
- Le petit-déj' est servi dans une heure. T'as quartier libre jusqu'à midi. Déjeuner avec Penguin, Lucci et Bartolomeo, Nami et Shanks seront là un peu avant la fin du repas, vers treize heures trente. Il faudra que tu repasses la main à ce moment-là.
- Deal. Est-ce que Shakky sera dans la salle commune, ce matin ? s'enquit-il en remuant les chevilles, sautillant pour éprouver le retour de la terre sous ses pieds.
- Si tout se passe bien, vers dix heures, oui. Pourquoi ? Tu veux que je vous arrange un petit rendez-vous ? suggéra Ace, railleur, en haussant le sourcil d'un air entendu.
Zoro ignorait ce que cet air-là était supposé vouloir dire, et il était incapable de saisir la perche au vol.
Exactement ce qui le trahissait à longueur de temps, et qui le descendait à la dernière place dans la compétition qui faisait rage pour imiter Luffy à la perfection entre Kid et Nojiko – et de loin.
- … pour quoi faire ? s'étonna Zoro en entrelaçant ses doigts, s'étirant longuement en arrondissant le dos, sentant ses muscles chauds s'étendre sous sa peau. J'ai juste envie de lui parler.
- Je déconnais, mec. T'as pas saisi la blague ?
- … quelle blague ?
- Laisse tomber, soupira Ace en lui frappant l'épaule. Prêt ?
La seule réponse qu'il lui offrit fut un départ rapide dans le silence de la cour déserte, une illusion de solitude dans l'immensité de la propriété avant que l'infirmier ne le rattrape ; il songea à tout ce que Luffy avait graphé dans les cahiers concernant celui supposé les surveiller, tout ce que Law avait bien voulu lui dire et qu'il avait déduit, avec le temps passé ici. Son passé de Spetsnaz, toutes les horreurs qu'il avait dû commettre avant de terminer là, les raisons qui l'empêchaient de vivre dans le monde extérieur – les soupçons sur sa pathologie, que rien n'avait vraiment trahi, a contrario de Bonney que Luffy n'avait pas encore revue.
Le voile qui séparait les patients et les infirmiers était dangereusement fin, et Zoro ignorait ce qui poussait Law à poursuivre cette stratégie, les raisons de sa mise en place, la manière qu'il avait de tous les rassembler et de les faire obéir au doigt et à l'œil. Il avait bien saisi que l'opportunité que leur avait offert Law tenait plus du cadeau empoisonné que d'une véritable aubaine, mais l'alternative devait être suffisamment séduisante pour contrebalancer ce qui les attendait, dehors.
Il coula un regard en biais à Ace, concentré sur sa course, la fatigue de ses traits contrastant avec la détermination de son regard, qui semblait perdu bien plus loin que la limite des murs de l'asile.
Il n'était pas de nature curieuse, plutôt du genre à s'occuper de son propre business, mais l'envie d'en apprendre plus, pour lui comme pour le groupe, était quasi-irrépressible.
- Combien de temps chez les Spetsnaz ? souffla-t-il entre deux foulées.
L'infirmier lui jeta un coup d'œil à mi-chemin entre la surprise et la perplexité, reporta son attention sur l'horizon.
- … trop longtemps, crois-moi.
- C'était ton choix, non ?
Le mur d'enceinte se profilait plus nettement devant eux, à présent, alors que la brume s'épaississait derrière eux, faisant paraître l'asile plus proche du mirage que de la réalité, bâtiment fantôme encore plongé dans le noir, les rares fenêtres allumées avalées par le brouillard blanc au fur et à mesure de leur avancée dans la propriété.
- Ça l'était, oui.
- Tu regrettes pas ? De pas être resté là-bas ?
- J'aurais pas pu, de toute manière.
- Pourquoi ?
- Secret professionnel, éluda Ace en esquissant un sourire.
Secret médical, ouais, songea Zoro en gardant la bouche fermée, s'abstenant de tout commentaire.
Ils abordèrent le sous-bois, où de nombreux arbres fruitiers poussaient les uns sur les autres, le sol constellé de racines offrant un parcours d'obstacles improvisé dont il se forçait à oublier la configuration, histoire de préserver un maximum de surprises – la routine obligatoire était ce qui le tuerait le plus vite, et il préférait gagner du temps et conserver la sérénité dont il avait presque désespérément besoin.
Un léger grésillement, sur sa gauche, attira son attention, manquant l'envoyer se vautrer dans l'humus mou sous ses pieds ; ses yeux captèrent la présence d'un fil électrique, d'un second, puis d'une tripotée d'autres, véritable maillage qui sertissait le mur dans un vrombissement léger mais menaçant. Il interrogea Ace du regard, celui-ci se contentant d'un haussement d'épaules équivoque.
- Clôture électrique. Quand bien même on ne vous laisse jamais le temps de l'atteindre.
- Assez pour nous faire griller ?
- Assez pour que tu te pisses dessus, sourit l'infirmier en passant une main dans ses cheveux pour dégager son visage, qui paraissait beaucoup plus creux dans la pénombre des arbres qui les entourait.
Le message était reçu ; Zoro arracha son regard de la clôture et reprit sa course, Ace à ses côtés, le silence à présent brisé par les oiseaux réveillés par le soleil qui se levait enfin vraiment, derrière la purée de poix qui s'étirait sur l'asile et ses alentours.
Le talkie sur sa hanche se manifesta, la voix de Law demandant aux chefs de service de se réunir dans la salle de pause des infirmiers avant le petit-déjeuner, Ace mis à part – sûrement bien au courant de leur balade matinale.
Comme à propos de tout ce qui pouvait se passer dans cet endroit.
- Le Doc est déjà debout ?
- Souvent avant nous, toujours après nous. Exceptés ceux qui sont de garde.
- … Shanks était pareil. Beaucoup de boulot.
- Même punition pour Law. Mais en ce qui le concerne, c'est aussi son choix.
- Il a pas de patients à l'extérieur ?
- Plus depuis qu'il a ouvert l'asile.
Difficile, pour Zoro, de se figurer ce qu'était la vie du psychiatre et des infirmiers avant qu'ils ne cohabitent ici, sous le même toit, jusqu'à la fin de leurs jours. Luffy avait des dizaines, des centaines de questions à ce sujet, chacun d'entre eux chargé de ramener le plus d'éléments possibles, avec toujours une longueur de retard causée par l'absence retentissante de Kid.
Kid, qui ne s'était pas manifesté en public depuis un bon moment, maintenant, et tous se préparaient à cet instant où il se déciderait enfin à faire son entrée parmi les pensionnaires.
La voix de Bonney, faible mais audible, s'éleva dans le haut-parleur, leur souhaitant à tous une bonne journée – Zoro surprit le sourire d'Ace, sous sa capuche, ignora comment l'interpréter ; il savait qu'en matière de relations humaines, ses lacunes atteignaient des proportions grotesques, maladroitement comblées par Nami et Sabo du mieux qu'ils l'avaient pu.
- Elle va mieux ?
- Elle sortira de sa chambre pour déjeuner, éluda l'infirmier. Law va rester avec elle pendant un bon moment.
- Et les patients ?
- Law sait jouer sur plusieurs tableaux à la fois. Il saura gérer le reste.
La phrase laissa un goût amer sur son palais, lui rappelant ce mot que Luffy lui avait communiqué et qu'il n'avait toujours pas digéré ; Kid savait ce qu'il en pensait et l'avait envoyé chier, comme toujours, mais cette incartade était sa première et sa dernière, il le savait mieux que personne.
Il était convenu qu'aucun membre du groupe ne savait où leur cohabitation allait les mener sur le long terme ; s'ils allaient parvenir à quitter la villa, à se trouver un appartement, à tenir un boulot, vivre une vie plus ou moins normale. Les relations affectives de Luffy avaient toutes été de douloureuses impasses, la dernière plus spécifiquement, envoyant un message clair à tous les membres de leur colocation : il n'y avait pas la place pour la moindre once de normalité, dans leur existence, et ils étaient forcés de s'en accommoder. Une direction qui ne plaisait pas à Kid, qui s'était confronté à la conclusion pure et simple de Nojiko : il n'était pas et ne serait jamais une personne à part entière, et son contrôle sur Luffy et le reste avait ses limites. Une limite dont elle faisait partie, et qui serait de plus en plus dure au fil du temps à venir ; la période où elle se terrait à l'abri des autres était loin, désormais, au grand plaisir de Zoro qui préférait la voir s'affirmer plutôt que subir.
Peut-être dans le même état d'esprit que Law avec Bonney, dont le caractère et la personnalité de façade ne collaient pas avec ce que Luffy avait fini par écrire, dans les cahiers, l'incident des toilettes, tout ce qui en avait découlé, ce qu'il avait pensé, ressenti. C'était un progrès, indéniablement, mais le chemin était encore long pour lui, et d'autant plus difficile que tous leurs efforts ne serviraient à rien, au final – bonne ou mauvaise conduite, ils ne sortiraient jamais d'ici.
Law avait nuancé le verdict des jurés en expliquant que la perpétuité était une notion abstraite, qu'elle n'était pas assortie d'une peine incompressible et qu'elle pouvait être revue, avec le temps, mais Zoro n'était pas dupe : le temps dont il parlait était une question de décennies, d'immenses pans de vie que rien ne saurait rattraper, quand bien même ils seraient un jour autorisés à sortir. Et si sortie il y avait, elle serait au prix de leur irréversible disparition, Luffy étant le seul à rester à bord.
Et, à bien y réfléchir, il n'était pas certain que leur personnalité d'origine puisse supporter une vie sans eux – Law prétendait le contraire, mais Zoro n'en mettait pas sa main à couper.
- Au fait…, haleta Ace en accélérant le pas, longeant le mur adjacent au sous-bois qu'ils venaient de quitter. Law vous a proposé un planning pour tous les quatre… t'as eu le temps d'y jeter un coup d'œil ?
- Pour la thérapie ? … je m'en fous.
- Tu veux pas participer… ?
Zoro allongea sa foulée, concentré sur les battements frénétiques de son cœur, qu'il voulait maintenir au rythme idéal – penser à ces heures enfermé dans le bureau du psychiatre lui déplaisait, mais Luffy avait exigé leur coopération.
- J'ai rien à lui dire. Il va perdre son temps.
- Au contraire. Il aimerait que tu lui parles… de temps en temps… histoire d'avancer.
- Et j'accepterais de me faire bannir… ? Non merci, sourit-il en secouant la tête.
- Il veut juste… comprendre pourquoi t'es là. C'est pour Luffy, argua l'infirmier en lui donnant un coup de coude. Ça lui ferait plaisir.
Ses poumons le brûlaient, conséquence de l'humidité glacée qui régnait entre les murs et de leur conversation, qu'ils n'avaient pas pour habitude de tenir quand ils couraient.
Il ignorait si Ace était d'humeur bavarde, aujourd'hui, où s'il avait un objectif à remplir sitôt la journée commencée ; à première vue, c'était un 50/50, à en juger la venue de Shanks et Nami qui devait davantage le préoccuper que le reste. Zoro comptait bien rester suffisamment longtemps pour laisser à Luffy le champ libre avec sa famille, sans Kid pour rompre la quiétude de la journée – objectif commun avec leur surveillant attitré. Il verrait plus tard pour la coopération, qui n'était pas sa priorité du jour.
- … Luffy a aucune idée de ce qu'il demande, rétorqua-t-il en gardant son attention rivée sur la pelouse s'étendant à perte de vue, devant eux.
Comme l'avait déjà dit Law et comme tous le savaient déjà, dans leur groupe, Zoro avait sa propre raison d'être, juste ici pour couper Luffy de l'horreur du monde. Avec plus ou moins de succès, à en juger l'affaire Néfertari, mais tout de même fidèle à son poste. Encore une fois, son tout premier souvenir lui revient de plein fouet, des images d'une incroyable netteté que Luffy n'avait pas supporté et qu'il avait préféré occulter, le laissant seul pour gérer cette situation.
Il ne doutait pas un seul instant que son alter maître ne pourrait jamais revivre ça, sous aucun prétexte.
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Réponse aux guests :
Haper : Hey, merci, ça fait plaisir ! Oui, les relations et interactions entre alters seront développés dans les chapitres à venir, sur Law ça viendra également, patience ;)
Potichat : Hello ! Hahaha, c'est cruel, je sais. Oui, nous avons vu Lucci ;) le père d'Ace est mentionné mais pas nommé, il s'agit bien de Roger. Pour les autres je ne dirai rien pour l'instant, attendons de voir la suite... Ah, le perso de Lami sera aussi développé, de même que Law, mais ça va prendre du temps, ça sera surtout en se rapprochant de la fin. Vous psychotez tous sur Teach, ce pauvre gars x) Dellinger aura droit à ses apparitions, pour le moment je le garde sous le pied, héhé. Merci pour ta review, à bientôt !
Passez un bel été et profitez-en ! Je vous embrasse !
