Ohayo mina !
Bonne rentrée à tous !
Merci pour vos reviews et vos encouragements ! J'espère les mériter encore un peu avec ce chapitre, qui vous donne quelques infos sur Bonney, Shachi et Pen', et qui voit les retrouvailles entre Luffy et sa famille. Encore une fois... ceci est une fiction, quand bien même j'essaye de creuser suffisamment pour ne pas balancer trop d'inepties.
Autre précision que je suppose importante, puisque vous le demandez régulièrement : je rappelle que cette fiction est taguée "Luffy, T. Law" et non pas "Luffy / T. Law", ce qui est une différence considérable. Si certains d'entre vous attendent un tournant romantique entre ces 2 énergumènes : j'en suis navrée mais vous serez déçus. Je n'en dis pas plus, sinon autant vous lâcher tout de suite l'épilogue, mais je ne vous en voudrais pas de ne pas poursuivre la lecture de cette histoire si cela ne vous convient pas ou plus.
Je retrouve en bas de page les Guests, comme d'habitude, je vous souhaite une très bonne lecture et...
Enjoy it !
Chapitre 30 : Visite.
Jour 64.
Louisiane, près d'Ostrica. Extérieur nord de l'asile.
15h20.
- … comment tu te sens ? murmura Law en s'adossant à l'éclairage le plus proche, mains dans les poches de sa blouse.
- Mieux, concéda Bonney en arrachant les brins d'herbe sous ses jambes en tailleur, ses yeux obstinément rivés sur le sol. Comment vont les autres ?
- C'est toi, le sujet de la conversation, corrigea le psychiatre avec un sourire en coin. Et tout le monde va bien, Penguin compris.
Elle leva les yeux au ciel, s'étendit dans la pelouse et contempla l'ombrage des sous-bois, percé par le soleil de juillet, fermant les yeux pour apprécier la brise sur son visage.
Passer autant de temps dans le noir était aussi salutaire que destructeur, elle le savait pertinemment ; seulement, elle ne s'était pas sentie capable de mettre le nez dehors avant ce matin, et une présence étrangère à celle du directeur de l'asile dans sa chambre la terrifiait. Ses collègues avaient beau être coutumiers de cette situation, une partie d'elle n'avait pas pu s'empêcher de se demander si, cette fois-ci, ils s'étaient lassés de ses hauts et de ses bas – Ace avait frappé à la porte, la veille, et elle ignorait si le silence pesant dont elle l'avait gratifié l'avait dissuadé de pousser plus loin sa tentative d'interaction, ou s'il en avait eu assez de poireauter derrière le battant en attendant qu'elle daigne se manifester.
- Sugar ?
- Tu pourras la voir demain. Ace lui donne des leçons pour l'après-midi.
- Il est pas avec Luffy ?
- Shanks et Nami sont en visite.
Elle l'aurait presque oublié.
Le 17 juillet et son Post-it flamboyant, seule visite de la journée, sous étroite surveillance ; Ace aurait dû garder un œil sur la salle, mais leur emploi du temps avait été sérieusement révisé après sa défection quelques jours auparavant.
La boule dans sa gorge grossit un peu plus – culpabilité, angoisse, paranoïa : un cercle dont elle était encore beaucoup trop près, que Law faisait son possible pour briser pour la sortir de cette boucle sans fin. Une boucle dont elle détestait se satisfaire, mais dont s'extraire lui semblait insurmontable. Et quand bien même ils pourraient passer des heures à lui répéter qu'elle avait sa place parmi eux, son reflet accusateur serait toujours là pour lui asséner les mêmes vérités ; un reflet qu'elle avait beaucoup trop souvent vu dans le regard des autres, circonspects mais muets, inquisiteurs mais silencieux, prompts à juger sans pourtant avoir besoin d'ouvrir la bouche.
Ou bien était-ce le fruit de son imagination, elle était incapable de le dire ; les séances avec Law étaient toujours payantes, mais la rechute n'en était que plus dure. Et elle ignorait si, au bout du compte, elle se complaisait dans cet état, ou si elle serait pour toujours incapable de s'extraire de cette dynamique autodestructrice.
- Et… comment ça se passe ? s'enquit-elle en désignant l'aile ouest du menton, au loin.
- Plutôt bien, à en juger Kaya. Zeff leur fait préparer des pancakes. Tu en voudras… ?
Oh, elle savait très bien que cette question n'en était pas vraiment une ; plutôt un test, une mise à l'épreuve, aucune subtilité mais une perche tendue, visible et solide – à elle de s'y agripper ou de la laisser filer.
Elle jeta un regard à son bras, où siégeait encore la marque du cathéter, unique lien qui l'avait maintenue en vie pendant les derniers jours, qui lui avait permis de survivre sans avoir à ingérer quoi que ce soit. Elle n'était pas sans ressentir le manque que l'absence de nourriture avait causé, mais l'idée de se débarrasser de tout ce qu'elle avait dans l'estomac était encore beaucoup trop présente pour qu'elle puisse l'ignorer.
- … peut-être. Si tu en prends aussi.
- Deal.
- … tu cèdes trop facilement.
- Et toi, tu es trop têtue, rétorqua-t-il en haussant un sourcil.
Autant son point fort que son point faible, elle le savait pertinemment ; c'était sa volonté de fer, utilisée à mauvais escient, qui l'avait menée sur cette pente savonneuse dont elle n'arrivait plus à agripper le moindre rebord.
Elle ignorait depuis quand elle s'infligeait ça. Depuis si longtemps qu'elle avait certainement oublié ce jour où elle avait décidé de ne plus garder ce qu'elle avait dans le ventre. Depuis tant d'années qu'elle n'était plus capable de se rappeler avoir passé une seule journée sans être obsédée par l'idée de manger ou de se débarrasser de ce qui avait franchi sa bouche.
Ce qui était peut-être le plus difficile à supporter, dans tout ça, c'était la cécité stupide de son entourage, à l'époque où elle avait lentement sombré avant que Law ne lui mette la main dessus. La rage, la colère qui la bouffaient autant qu'elles la blessaient, de voir à quel point elle était seule au milieu de tous ceux qui ne voyaient rien, là où elle était pourtant la première à développer des trésors d'ingéniosité pour pouvoir passer entre les mailles du filet.
Nets, en revanche, étaient les souvenirs de son adolescence et de ses débuts de jeune femme, quand elle recevait des pluies de compliments sur son physique malgré les quantités inhumaines de nourriture qu'elle pouvait engranger à longueur de journée. Tous ceux qui lui disaient à quel point elle était belle, toutes celles qui lui enviaient ses proportions. Tous ceux qui ne la calculaient pas quand elle s'absentait cinq minutes ou une heure, aveugles à tout ce qu'elle s'affairait à leur cacher.
Elle avait aimé, pendant longtemps, cette sensation de contrôle absolu sur son corps, cette manière de surpasser les besoins vitaux basiques dont elle pensait s'affranchir, sans en mesurer les conséquences sur le long terme ; ce qu'elle voyait, dans ses vêtements et sous l'aiguille de sa balance, était le résultat – non, l'accomplissement – d'un long chemin de croix dont elle seule était le maître.
Et pourtant, un seul regard dans le miroir suffisait à tout réduire à néant ; un seul regard, exactement ce qu'il avait fallu à Law pour comprendre en la voyant, penchée sur sa paillasse de laboratoire. Le souvenir était d'une précision déconcertante, alors qu'elle sentait l'attention du psychiatre portée sur elle, dans le sous-bois de l'asile traversé par l'air chaud de cet après-midi de Louisiane.
Elle avait vingt-trois ans et ne vivait que pour ses recherches et ses heures passées à courir sur son tapis d'entraînement une fois la nuit tombée, pour oublier sa faim, sa frustration et la lenteur de l'avancement de ses projets. Law était de passage à l'Université d'Exeter, en pleine période de recrutement pour l'asile – là où elle n'en savait encore rien – et ses pas l'avaient conduit jusqu'à son bâtiment, hasard du destin qui les avait fait se rencontrer à travers une plaque de verre que personne ne contemplait jamais.
La destination initiale du psychiatre était le campus d'études médicales et d'infirmerie, le laboratoire de recherches n'étant qu'un couloir de plus sur son chemin, et elle se rappelait pourtant l'avoir vu, du coin de l'œil, ralentir pour finir par s'arrêter, et sentir son regard rivé sur elle, perçant, incisif, la détournant de son microscope et de ses griffonnages pour soutenir son attention.
Il n'avait fallu qu'une poignée de secondes supplémentaires pour que son hôte, le doyen de l'université lui-même, ne lui ouvre la porte du laboratoire pour l'autoriser à entrer – il lui avait présenté le psychiatre, décrit en quelques mots la raison de sa venue, son pédigrée et sous-entendu qu'elle avait affaire à un petit génie.
Le doyen n'avait pas tari d'éloges à son propre sujet, la présentant comme étant la chercheuse la plus jeune et la plus prometteuse dans son domaine depuis plus de quinze ans ; les compliments, comme toujours, avaient réveillé en elle une bataille féroce entre la nausée et l'indicible plaisir ressenti à être mise en avant pour ce dont elle était fière. Son sourire forcé n'avait pas échappé à Law, qui n'avait pas cessé de l'observer, pas un seul instant, pas la moindre fraction de secondes.
Sa voix, grave mais caressante, lui avait murmuré qu'il était ravi de faire sa connaissance, alors que sa main chaude s'était refermée sur la sienne dans une poigne délicate mais ferme ; si éloignée de celles de certains hommes qui avaient pris l'habitude de lui broyer les phalanges, histoire d'assurer leur dominance, ou de ceux qui la fuyaient dans une étreinte molle et moite, intimidés par sa présence. Il l'avait questionnée sur son statut – Docteure en génétique – sur le sujet de ses recherches – la sénescence cellulaire – et sur ses découvertes en la matière ; encore aujourd'hui, elle ignorait s'il avait seulement écouté tout son blabla assommant sur les réactions des cellules endothéliales humaines à leur exposition au sulfure d'hydrogène, s'il l'avait même comprise alors qu'elle s'était mise à disserter seule sur ce qu'elle maîtrisait.
Rien de tout ça n'avait eu une quelconque importance, sur l'instant.
Tout ce qui comptait, c'était la sensation d'être vue, réellement ; d'être l'objet d'une attention qui n'avait rien à voir avec ce qu'elle pouvait afficher, à l'extérieur.
Elle lui avait laissé sa carte et il l'avait rappelée aussitôt la journée terminée pour lui proposer un dîner. Elle ne savait pas encore, à ce moment-là, qu'il avait déjà deviné ce qu'elle avait gardé loin du reste du monde, mais elle s'était laissée prendre au jeu et l'avait rejoint dans un bistrot du quartier, rien de prétentieux, un endroit où elle avait ses marques et où elle pouvait contrôler la situation – ou, tout du moins, en avoir l'illusion.
Ils avaient parlé recherches, travaux, résultats, projets en tout genre ; Law était loquace quand il était question de leur métier et elle avait retrouvé, l'espace de quelques heures, cette sensation de normalité qui lui avait tant manqué depuis son adolescence, à travers les années de restriction et de mal-être.
Elle se rappelait son hésitation quand leur entrevue s'était terminée, ce moment où elle s'était demandé ce qui allait se passer ensuite. Elle était rôdée à l'exercice de la séduction, en connaissait les codes tout en les détestant, s'était préparée à devoir lever le bouclier pour mettre un fossé entre eux, mais Law n'avait pas semblé le moins du monde intéressé par un éventuel sous-texte ambigu et sexuel ; c'était la première fois qu'un homme ne lui proposait pas de monter chez lui boire un verre, et elle aurait menti si elle avait prétendu que son comportement ne l'avait pas déstabilisée. Bonney avait, depuis longtemps, fait une croix sur la moindre relation sentimentale ; trop compliqué à gérer au quotidien, impossible à envisager sur le moyen et le long terme.
Elle ne supportait pas les regards moralisateurs que les hommes portaient sur son corps une fois qu'elle était dénudée, exécrait plus encore le fait qu'ils passent outre et s'accordent du plaisir là où elle en était incapable. Trop sévère avec elle-même pour se permettre ce qu'elle considérait comme une faiblesse, ou comme un interdit qu'elle ne se sentait pas de bafouer, trop mal à l'aise avec son corps pour le voir autrement que comme un fardeau dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.
Elle n'avait senti de Law que sa main tiède sur son épaule, quand il l'avait raccompagnée à la porte de son immeuble et lui avait promis de repasser la voir quelques jours plus tard ; elle avait retrouvé, immanquablement, sa silhouette derrière la longue paroi de verre du laboratoire, prête à l'emmener discuter autour d'une bière au pub du coin de la rue. Fidèle à sa promesse qui n'en était pas vraiment une.
À ce jour encore, Bonney n'était plus certaine de se remémorer de manière précise les circonstances où elle avait été contrainte de laisser tomber son masque ; Law, a contrario de beaucoup d'autres personnes mille fois plus proches d'elle, avait fini par la confronter à la réalité – la vraie, celle qu'elle fuyait, niait, façonnait à son gré, celle dans laquelle elle se complaisait mais dont le reflet ne matchait jamais vraiment avec ce qu'elle voyait dans le miroir.
À quelle occasion, elle n'en était plus sûre : un autre dîner, un verre dans son appartement, une promenade dans un parc quelconque – il lui avait fallu peu de temps pour qu'il mette les pieds dans le plat. Pour qu'il lui confesse, de sa voix basse et délibérément lente, avoir remarqué ses ongles cassants sous le vernis qu'elle posait avec application, ses cheveux hors-service malgré les soins quotidiens qu'elle pouvait leur apporter, ses bleus, sa frilosité excessive et ses mains glacées. Les cicatrices dans ses avant-bras, qui n'étaient qu'un minuscule aperçu de ce qu'elle s'était infligée au cours du temps. Pour qu'il utilise le mot tant redouté – anorexie.
Nier était impossible, plus à ce stade.
Law lui avait laissé le choix, lui avait ouvert toutes les portes et les chemins qui s'offraient à elle ; tous menant peu ou prou au même endroit, si elle continuait sur cette pente dangereusement descendante. Elle avait la possibilité de mettre sa vie entre parenthèses, pendant le temps qu'il lui fallait, et de la reprendre là où elle aurait décidé de la laisser, si elle en avait la volonté.
L'expression du doyen de l'université, quand elle lui avait remis sa lettre de démission, resterait à jamais gravée dans sa tête ; elle allait de paire avec l'air mortifié de ses parents, de sa famille et des rares personnes qui gravitaient autour d'elle, qui avaient tenté de la retenir mais qui n'avaient pas su trouver les mots, incapables de rivaliser avec l'alternative que Law lui avait proposée. Ô combien lourde de sacrifices, mais qui lui offrait la possibilité d'être elle, d'être celle qu'elle avait vue dans ses yeux la première fois qu'ils s'étaient regardés.
Il avait ouvert la digue et elle s'était laissée entraîner par le flot, jusqu'à le suivre en Louisiane, là où elle était l'exception parmi les exceptions – la seule à avoir un ticket de sortie dont elle n'avait jamais usé depuis près d'une décennie.
La seule qui avait une chance de se sortir de là, mais dont la perspective était si effrayante qu'elle ne parvenait pas à se projeter dans un monde où elle ne se sentait pas de revenir. Où l'idée de devoir porter un autre masque la terrifiait.
Alors, oui, elle était peut-être beaucoup trop têtue, mais ce trait de caractère lui semblait bien faible face à ce qui l'attendait, au-delà de ces murs.
- Tu n'as pas des patients à voir, aujourd'hui ?
- Seulement Luffy. J'ai déjà vu Pudding et Dellinger ce matin.
- … Dellinger ?
Elle perçut le léger sourire en coin sur les lèvres du psychiatre, préféra ne rien relever ; Ace se plaisait à le décrire comme un cas désespéré, pour lequel Law n'avait aucune solution – elle s'était longuement demandé si Law ne trimballait pas un cuisant sentiment d'échec, à son propos, mais Gladius lui avait assuré qu'il n'en était rien ; leur directeur ne se considérait perdant que lorsque son patient ne livrait pas tout ce qu'il cachait derrière sa coquille, et Dellinger n'avait plus rien à lui offrir. Il en avait fait le tour, l'avait cerné en long, en large et en travers, mais l'impossibilité de le guérir ne semblait pas l'avoir affecté le moins du monde.
Non, le seul sentiment négatif qui paraissait toujours flotter dans un coin de son crâne ne refaisait surface que lorsqu'il était question de Lami, mais le cœur du problème ne semblait pas réellement être sa jumelle. C'était beaucoup plus loin, beaucoup plus profond, et le seul à avoir accès à cette partie de la vie de Trafalgar Law était Ace. La tombe la plus scellée de l'asile, que rien – ou presque – ne pouvait faire flancher.
Comme tous les autres soignants, Bonney savait où et quand appuyer, comment exercer la bonne pression pour obtenir ce dont elle avait besoin si la situation l'exigeait ; un jeu de pouvoir pervers, auquel Law avait établi des limites qu'il ne se privait pas de leur rappeler si besoin était, et dont il pouvait user à son tour de manière plus pernicieuse encore. Ace n'était pas facile à berner, loin de là, mais elle le connaissait depuis suffisamment longtemps pour déceler ses hauts et ses bas – il avait ses points faibles, restait à savoir comment les atteindre. Si elle voulait savoir ce qu'il y avait dans la tête de son patron, c'était lui qu'il fallait avoir en premier.
- Tu sais, je me demande souvent pourquoi est-ce qu'il est encore là.
- Inapte à être incarcéré dans un pénitencier.
- À croire qu'il le sait très bien.
- Tu prêches un converti, sourit le psychiatre en soutenant son regard. Je me pose parfois la même question à propos de Luffy, mais il n'y aura que le temps pour y répondre. Le genre de réponse qui prend du temps… tu es la première à le savoir.
- Oh, le grand Trafalgar Law n'aurait donc pas la connaissance absolue ? s'esclaffa-t-elle en lui lançant un paquet d'herbe arrachée.
- … si c'était le cas, aucun d'entre vous ne pourrait me cacher quoi que ce soit, pas vrai… ?
Le sous-entendu était net et sans appel, ne souffrant d'aucune ambiguïté. Elle avait parfaitement saisi ce qu'il insinuait, n'avait rien à ajouter – elle n'avait toujours pas expliqué son geste, mis des mots sur ce qu'elle avait ressenti et l'avait poussée dans une nouvelle rechute, dans ses travers dont elle pensait s'être lentement débarrassé. Non pas qu'elle n'en était pas capable, loin de là ; seulement, elle redoutait ce moment où elle devrait passer aux aveux, et elle s'efforçait de repousser l'échéance le temps de trouver les mots pour que Law ne perde pas les pédales. À raison.
- Tu m'as promis des pancakes, marmonna-t-elle en réfrénant l'envie de se triturer les doigts, mal à l'aise. On y va ?
Lentement, Law quitta son poste d'observation, se rapprocha d'elle et s'accroupit pour amener son visage à hauteur du sien, l'air si sérieux que Bonney se sentit comme une fillette sur le point de se faire rabrouer par un parent moralisateur ; elle s'obligea à ne pas déglutir, ne cilla pas quand sa présence se fit de plus en plus écrasante, quand bien même il n'avait pas esquissé le moindre signe de dominance – tout passait par le regard, un duel silencieux et mille fois plus efficace.
Il tendit la main, lui saisit le menton avec douceur mais fermeté, et ses yeux s'ancrèrent davantage dans les siens, inquisiteurs.
- Je sais que tu ne me dis pas tout, chuchota-t-il. Et tu ne pourras pas le cacher éternellement… tu en es consciente ?
- … reçu 5/5.
- On reprend ta thérapie dans deux jours. Et tu auras intérêt à tout me déballer. Je me fiche que ça soit beau à regarder ou non… compris ?
Elle savait pertinemment que Law ne jugeait jamais aucun de leurs actes ; il opérait un distinguo précis entre ses opinions humaines et ses avis médicaux, se fichait bien que leurs actions soient justes ou pavées de mauvaises intentions, ne leur faisait jamais le moindre reproche personnel. Mais elle n'était pas stupide et elle savait que, comme les autres, Law avait ses limites, et qu'elle s'apprêtait à les franchir quand elle passerait à confesse.
Elle hocha brièvement la tête, s'efforça de maintenir son expression la plus neutre jusqu'à ce qu'il l'aide à se relever pour marcher en direction de l'asile, en silence, aucun d'entre eux n'ayant quelque chose à rajouter à leur conversation cette fois-ci stérile.
. . . . . . . . . . . .
Salle des visites.
17h45.
- … attends, ça vaudra jamais le jour où t'as fichu des oignons secs dans les céréales de Nami, ricana Luffy à l'image de Sabo sur l'écran de la tablette de Shanks.
Son frère s'étouffa de rire alors que résonnait dans la pièce un long flot d'insultes ; il ne tenta même pas d'esquiver la claque que sa sœur lui asséna derrière la tête malgré les protestations vaguement concernées de leur père qui était, comme eux, beaucoup trop occupé à profiter de leur semblant de réunion pour leur ordonner de se calmer.
L'adolescent s'était efforcé d'ignorer le mouvement régulier des aiguilles de l'horloge suspendue au mur du fond, le lent décompte du temps qu'il lui restait avant que tout ne se termine ; il s'était promis de ne pas pleurer, avait passé le premier quart d'heure à se moucher et à tremper de larmes la veste de son père et le chemisier de Nami, cramponné à eux comme un noyé se raccrochant à sa bouée pour ne pas sombrer. Il avait eu des jours, des semaines pour ressasser le manque que leur absence avait suscité chez lui, mais ce n'était qu'à leur contact qu'il avait pris la pleine mesure du vide qu'ils avaient laissé et qu'il avait été incapable de combler.
Le vide affectif mais aussi physique, pour lui qui n'avait jamais passé la moindre journée sans une étreinte avant d'être enfermé loin de la villa ; le creux dans sa poitrine, toujours béant, de plus en plus profond au rythme des heures et des nuits, qu'il s'était dépêché de remplir pendant cet après-midi coupé du reste du monde. À engranger ad nauseam tout ce que son cœur pouvait prendre et supporter, jusqu'au trop-plein, terrifié à l'idée de manquer à nouveau. Plus encore que la privation de liberté, cette privation d'amour le tuait à petit feu, lentement mais sûrement.
- « Elle avait renommé tous mes contacts sur mon portable. Payback » répliqua-t-il à l'attention de Nami.
- T'as pas aimé recevoir des textos de « Rouquemoute Manchot » ? sourit-elle en haussant le sourcil, suggestive.
- C'était qui, ça ? s'étonna Shanks en portant son dernier morceau de pancake à sa bouche.
- … toi, papa, argua Luffy en lui tapotant l'épaule.
Le regard foudroyant qu'il jeta à Nami valait tous les trésors du monde, et il repartit dans une énième crise de fou rire qui lui fit monter les larmes aux yeux, manquant presque les coups discrets à la porte et le léger grincement du battant qui s'ouvrit sur Kaya et ses yeux rieurs – il avait cru, jusqu'au bout, qu'Ace serait en charge de la visite, mais les plans quotidiens étaient perpétuellement réajustés en fonction de l'absence de Bonney. Non pas qu'il était déçu, car cela ne changeait rien à son planning de la journée, mais il aurait aimé que Shanks et Nami rencontrent celui qui était chargé de le veiller 24/7. Il s'était senti stupide de penser ainsi, s'était efforcé de mettre de côté sa pseudo-déception qui n'en était pas une.
- … on fait trop de bruit… ?
- Du tout, c'est simplement pour demander si vous accepteriez de voir Law avant de partir… ? s'enquit-elle dans un sourire à l'attention du Gouverneur et de Nami, qui échangèrent un regard bref mais plus parlant que la moindre communication verbale. Juste quelques minutes, pas plus.
L'allocution attira le regard de Luffy sur l'heure qu'il était, le lent déclin du soleil dans le ciel mordoré, le chronomètre qui s'approchait de la fin.
Une fin qu'il redoutait plus que tout de voir arriver, qui lui semblait sonner comme un glas, là où il n'en était rien – Ace lui avait promis qu'une autre visite serait autorisée quelques semaines plus tard, s'il le désirait et avec l'accord de Law, et il n'avait aucune raison de remettre en doute ce qu'il lui avait annoncé, mais il ne pouvait pas se défaire de cette impression qui lui chuchotait que ce serait peut-être la dernière fois qu'ils se verraient.
- Pas de problème, acquiesça Shanks. On a encore le temps ?
L'expression contrite sur le visage de l'infirmière fut une réponse éloquente, largement confirmée par le mouvement sec de la grande aiguille qui passa à cinquante-cinq.
Bientôt dix-huit heures, horaire butoir qu'ils devaient impérativement respecter ; une manière polie, pour Kaya, de les interrompre sans leur aboyer que le temps des visites était écoulé. Luffy inspira profondément, se composa de toute pièce un air le plus enjoué et offrit un large sourire à l'écran, où Sabo affichait lui son expression la plus neutre – une façade toute aussi fausse que la sienne, mais que ni l'un ni l'autre ne chercherait à démonter, ce soir.
- On se verra une prochaine fois, pas vrai ?
- Luffy–
- Ça va vite passer, éluda-t-il dans un autre sourire pour Nami.
Shanks pinça les lèvres, brièvement, acquiesça pour lui-même et se leva de sa chaise, alors que sa cadette ne semblait pas décidée à quitter la table autour de laquelle ils s'étaient enfin réunis après de longues semaines d'absence ; Kaya s'éclipsa en refermant la porte en douceur, le bruit feutré du battant résonnant pourtant dans le silence de la pièce seulement troublé par le faible grésillement du haut-parleur de la tablette posée sur la table, Sabo n'esquissant pas le moindre mot pour rompre cet instant croulant de malaise et de regrets.
L'adolescent se sentait bouillir, mais ce sentiment était à des années-lumière de la rage qu'il était habitué à côtoyer, au fond de son ventre – cette marmite frémissante n'était rien d'autre qu'un bouillon confus d'amertume, de tristesse et de désespoir, rien de constructif, mais qui ne manquerait pas de couver pendant des heures, peut-être même des jours. Le masque était difficile à tenir, mais il refusait de céder tant qu'ils seraient là, à se plier de leur côté au même exercice ingrat.
Shanks ajusta sa cape sur ses épaules pendant que Nami renfilait sa veste, ses yeux soutenant les siens tant bien que mal avant qu'elle ne lui tende les bras et qu'il ne vienne s'y réfugier, la serrant contre lui à s'en couper le souffle, inspirant le parfum de son shampoing aux agrumes qui réveilla une foule de souvenirs aussi plaisants que douloureux. Il ferma les yeux, fort, jusqu'à voir luire une pluie de points lumineux derrière ses paupières closes, sentit l'étreinte de sa sœur se raffermir davantage avant qu'elle ne le repousse, doucement mais sûrement, dans le bras de Shanks qui l'enlaça avec plus de force encore ; le nez enfoui dans sa chemise, Luffy se remémora les heures passées à y trouver refuge, le seul endroit où il se sentait hors de danger, peu importe ce qui lui arrivait. Quand il croyait encore que tout pouvait s'arranger, que tout irait mieux à son réveil, que Shanks était doté d'un quelconque don pour faire disparaître tout ce qui le terrifiait.
- … tu nous manques, Lu, murmura son père en nichant son visage dans ses cheveux noirs. Tellement…
Il renonça à ouvrir la bouche – sa gorge était, de toute manière, beaucoup trop serrée pour espérer que quoi que ce soit puisse y passer, qu'il s'agisse d'une parole ou d'un sanglot ; lui-même n'était pas certain de ce qu'il aurait eu envie de répondre, à cet instant. Il se contenta d'hocher la tête, se fondant encore un peu plus dans leur embrassade avant de reculer en lui offrant le meilleur sourire de façade qu'il avait en réserve. S'arrachant définitivement de l'étreinte du Gouverneur, il rejoignit la tablette et s'accroupit pour contempler son frère, luttant contre l'envie viscérale de passer à travers l'écran pour trouver un autre de ses échappatoires dans ses bras ; pour lui dire à quel point il se détestait, à quel point il crevait de culpabilité à chaque instant, à quel point il haïssait chaque minute passée loin d'eux. Tout autant de vérités que Sabo connaissait déjà et qu'il n'avait pas besoin de s'entendre dire, mais que Luffy brûlait de lui lancer pour se décharger du poids invisible qui tirait son cœur dans son estomac, et plus bas encore.
- T'as intérêt à être là la prochaine fois, menaça-t-il.
- « Sinon quoi ? » sourit le jeune homme en posant son menton sur ses doigts croisés, sourcil haussé, provocateur à souhaits.
- Je sais pas. Je trouverai des blagues à faire sur les borgnes et ça te plaira pas.
- « T'es vraiment qu'un emmerdeur. … prends soin de toi, d'accord ? »
- J'ai que ça à faire, ici, répliqua-t-il en s'efforçant de ne pas être trop railleur.
Il avait envie de lui dire qu'il l'aimait, qu'il lui manquait au-delà du raisonnable, mais il ignorait pourquoi il n'avait pas les tripes pour le faire, lui qui était pourtant le premier à afficher ses sentiments quand il était question de sa famille ; peut-être accordait-il à ce sentiment une notion beaucoup trop triste pour être capable de le verbaliser sans craquer. Sabo semblait du même avis, et c'est pourtant lui qui mit fin à la vidéo après un dernier sourire, que Luffy devina aussi forcé que le sien. Pas d'au-revoir, pas de promesses, pas de fatalisme non plus – pour pouvoir reprendre leur conversation là où ils l'avaient laissée quand ils se reverraient ou se rappelleraient, une sorte de rendez-vous obligé auquel ni l'un ni l'autre ne pouvait se soustraire, une manière peut-être superstitieuse de ne pas rompre le fil. Ils avaient toujours procédé ainsi mais, pour cette fois, Luffy aurait aimé une sortie différente, plus proche de celle de Shanks – qui ne se gênait pas pour afficher ce qu'il pensait ou même ressentait, tant qu'il se trouvait dans une sphère exclusivement privée.
Il se sentait gauche, à cet instant ; maladroit, mal à l'aise dans ses gestes, dans son propre corps. Le temps était passé à une vitesse folle et il s'en voulait presque de s'être senti, l'espace de quelques heures, de retour dans la cuisine de la villa, loin de l'asile et des étrangers qui y vivaient, à rire et à refaire le monde, sans avoir à se soucier de tout ce qui se trouvait au-delà de la porte d'entrée, en se fichant bien du monde et du reste.
Il se sentait de nouveau atrocement seul, si distant alors qu'ils n'étaient qu'à une portée de bras ; le fossé entre eux lui paraissait insurmontable, de plus en plus grand, lui faisait ressentir sa solitude avec la force d'un boulet de démolition, le rendant incapable de s'accrocher à eux.
La porte se rouvrit sur Kaya, pour la dernière fois, son regard en disant long sur ce qu'elle pensait – Luffy se demanda si sa famille lui manquait, si elle en avait encore seulement une de l'autre côté de ces murs, et si elle avait le droit de les voir. De ce qu'il savait, les infirmiers avaient droit à une sortie par mois, mais elle semblait se résumer à un bref moment de l'autre côté des portes principales pour la réception des marchandises – en vérité, il ne connaissait pas grand-chose de ces instants, et cette idée ne faisait que s'ajouter à la longue liste d'interrogations qui le tannaient.
Shanks récupéra la tablette, qu'il glissa dans sa sacoche et passa son bras unique sur les épaules de son fils, qui les accompagna dans le couloir avec l'impression d'être un condamné à mort – un effet "Ligne verte", qui lui rappela le tribunal, les regards accusateurs, toutes ces sensations vertigineuses qui lui donnaient la nausée.
Nami faisait corps de l'autre côté, sa main dans la sienne, suivant d'une oreille distraite les échanges polis entre leur père et l'infirmière ; elle échangea un regard avec son cadet, lui sourit et entrelaça leurs doigts, le projetant à nouveau dans la limousine qui l'avait emmené à la villa et où il avait gardé sa main dans celles de sa nouvelle sœur adoptive, regardant le paysage défiler à la fenêtre, si différent de celui dans lequel il avait passé ses premières années de vie.
Ils empruntèrent une volée d'escaliers, traversèrent les couloirs centraux par lesquels Luffy se rappelait être arrivé à l'asile, jusqu'à parvenir à l'entrée baignée de lumière derrière les grandes portes vitrées où se tenait Law, assis sur un des bancs de béton, coudes sur les genoux et visage dans les mains ; cette attitude, si éloignée de celle qu'il lui connaissait, déstabilisa Luffy qui ignora quoi en penser, sur l'instant.
Kaya poussa le battant et sembla sortir le psychiatre de ses pensées, au vu de la vitesse à laquelle il redressa la tête, les traits tirés et le regard vitreux – son masque de neutralité et de sérieux reprit vite sa place, toutefois, quand il se leva pour les rejoindre, mains dans les poches de sa blouse, l'air nonchalant.
- Toujours trop court, n'est-ce pas… ? murmura-t-il en portant son attention sur Luffy, qui hocha la tête en raffermissant l'étreinte de ses doigts sur ceux de Nami.
- Ça ne te fait pas le même effet avec ton père ? s'esclaffa Shanks en passant une main affectueuse dans les cheveux de son fils.
- … excellente question. Il y répondra mieux que moi, sourit Law avant de désigner l'allée. …C'est le moment.
Luffy contempla la direction indiquée, le grand portail le plus proche où trois personnes se tenaient, au loin – il crut reconnaître Magellan à son immense stature, celle de Franky, et peut-être même Penguin ; il ravala le nœud dans sa gorge et se tourna vers sa sœur pour la serrer de nouveau contre lui, sentant Shanks les prendre tous les deux dans son bras pour les amener à lui dans un geste similaire mais plus fort encore.
La seule chose qu'il devait garder à l'esprit était de savoir qu'ils se reverraient sous peu, comme Law le lui avait promis.
Quant à savoir si cette promesse était ou non une carotte, il ne le saurait qu'à l'avenir, en essayant de canaliser Kid et d'évoluer malgré la situation – il n'avait pas encore eu de retour de tous ses alters à propos du planning proposé par Law, et il savait que le psychiatre n'allait pas attendre indéfiniment avant de finir par lui imposer lui-même ses objectifs.
- À plus tard, mon grand, chuchota Shanks avant de poser un baiser sur son front, le projetant quelques semaines plus tôt dans le hall d'entrée de la villa quand Smoker l'avait embarqué et que son père avait ignoré ses sommations pour le rejoindre et l'embrasser.
Le souvenir ne réveilla pas, cette fois, l'habituelle nausée et son cortège de malaise – il se contenta de le balayer avant qu'il ne s'installe plus nettement et s'arracha à eux, s'essuyant les yeux d'un revers de poignet avant de leur offrir un dernier sourire et de leur tourner le dos, enfonçant ses mains dans ses poches, courbant la tête, s'éloignant à pas rapides avec la sensation d'avoir un crochet dans le nombril qui lui retournait tripes et boyaux ; il avait une trouille monstre de faire machine arrière, regrettait déjà de partir sans un mot de plus, s'en voulait de les abandonner aussi vite, mais c'était déjà bien plus qu'il ne s'en croyait capable.
Il rouvrit la porte d'entrée, traversa le couloir au pas de course, ignorant les autres internés de la salle commune : c'était une fuite en avant, encore une fois, la seule issue de secours qu'il voyait à cet instant ; il voulait retrouver sa chambre, se couper de tout, ne penser qu'aux dernières heures passées avec eux, les chérir et les laisser tourner en boucle dans sa tête sans rien pour l'interrompre, les graver à jamais. Il pressa le pas, se prit à courir – les courbatures de son corps lui rappelèrent que Zoro avait occupé le poste un peu trop longtemps mais il s'efforça de ne pas s'attarder sur cette douleur, ne prêta aucune attention à Gladius qui lui intimait de ralentir la cadence, se trouva dans l'aile des dortoirs et laissa défiler les dizaines de portes immaculées pour rejoindre la sienne, claquant la porte derrière lui.
Son cœur tambourinait dans sa poitrine, envoyant le sang dans ses oreilles dans un bourdonnement assourdissant ; il inspira profondément, se laissa glisser le long du battant et hoqueta bruyamment en se laissant enfin aller à ses sanglots, ramenant ses genoux contre lui pour y enfouir son visage et y étouffer ses larmes.
. . . . . . . . . . . .
Salle des chefs de service.
23h30.
Se balançant lentement sur sa chaise et jusqu'ici plongé dans la lecture de ses notes de la journée, Shachi lorgna la pendule quand la porte s'ouvrit sur Law – toujours réveillé malgré l'heure tardive alors que Kaya avait juré l'avait vu en train de siroter son premier café de la journée à quatre heures du matin, déjà frais et dispo, rasé de près et cravate nouée. Un rythme biologique qui lui échappait complètement et qu'il ne souhaiterait avoir pour rien au monde, rien qu'à en juger les cernes sous les yeux du psychiatre et son éternel air las.
- Qui est de garde, ce soir ? murmura le psychiatre en récupérant les carnets de ses infirmiers posés dans la bannette à son intention.
- Ace jusqu'à 3 heures, Kaya prend le relais, répondit Teach en tendant le bras pour récupérer les feuilles de route que lui tendait le directeur.
Peinant déjà à déchiffrer les gribouillis illisibles qu'il leur avait fournis, les instructions et les priorités du lendemain à la dernière minute avant la fin de la journée ; c'était à eux d'organiser les surveillances de nuit en fonction de leur état de fatigue et de leur motivation, une fonction dans laquelle Law n'intervenait pas, sauf exception.
Teach ajusta ses lunettes sur son nez et commença à noter ce qu'il parvenait à lire sur les tableaux de tous les infirmiers avec les codes couleur établis sous le regard pensif de son collègue, qui avait le regard rivé sur le planning vide de Bonney, à l'exception de ses périodes de repas et de ses entrevues avec Law.
Ace avait passé de longues minutes à sa porte, avant de renoncer après avoir essuyé un échec cuisant ; Shachi savait, d'avance, que Bonney s'en voudrait à mort, mais l'infirmier ne lui en tiendrait pas rigueur. Il était trop bien placé sur l'échelle à l'équilibre incertain de sa propre culpabilité pour se vexer de ce genre de comportements.
- J'ai pas fini, se plaignit-il quand Law lui retira son carnet des mains, grogna quand il lui en flanqua un coup sur la tête. … Hé.
- Tu veux un tiers-temps ? railla le psychiatre en l'ajoutant à la pile qu'il avait déjà sous le bras.
- C'était mesquin, ça, répliqua l'infirmier en haussant le sourcil.
- Pourquoi ? Tu galérais à finir tes copies à l'heure ? sourit Teach sans décoller le nez de ses Post-it.
Cette remarque, anodine, le projeta des années auparavant dans la salle de classe dernier cri de son école, assis à côté de son frère, entre leurs parents ; il n'enregistrait rien de ce que pouvaient dire leur institutrice et le psy de l'établissement, Pen ne semblait pas plus intéressé que lui et leur attention était focalisée sur tout ce qui pouvait les entourer et qu'ils n'avaient pas encore consciencieusement analysé pendant leur journée.
Il écoutait à peine, d'une oreille distraite, le discours de ces adultes qui tentaient de dépeindre ce qui pouvait se passer dans sa tête, là où lui-même était incapable de le dire ; il se fichait d'entendre qu'il n'avait aucun ami en dehors de son frère, avait dépassé cette frustration depuis longtemps – peu importait si les autres enfants ne voulaient pas jouer avec eux, s'ils refusaient de leur parler sous prétexte qu'ils étaient trop bizarres pour eux, s'ils les laissaient à l'écart de leurs jeux : il avait mieux à faire que chercher à s'intégrer à leur logique qui lui échappait et à laquelle il n'était pas familier.
Il se rappelait les larmes de sa mère, l'air contrit de son père, se rappelait aussi avoir été incapable de comprendre ce qui les mettait dans cet état-là ; pour lui, parler en classe ou se lever sans autorisation était loin d'être le bout du monde, et tant pis s'il terminait au coin pour ne pas avoir respecté des règles dont il ne reconnaissait aucune légitimité.
Sans Pen, il aurait baissé les bras depuis longtemps, il le savait, mais cette notion d'être « hors normes » lui passait complètement au-dessus du béret, à la condition sine qua none qu'on ne lui retire pas son autre moitié ; la moindre contrainte, sans lui sembler insurmontable, lui paraissait totalement dénuée d'intérêt, comme celle à laquelle il était confronté à présent, à devoir rester assis pour entendre une ribambelle de mots compliqués que personne ne semblait être disposé à lui expliquer.
Pour sa famille ultra-rigoriste, le premier diagnostic erroné de son hyperactivité était tombé comme un couperet qui n'avait pourtant rien d'une fatalité, et le décrochage scolaire n'avait été qu'une des longues épreuves qui allaient jalonner le reste de son existence et de celle de son frère, dont la propre maladie qui couvait n'allait en rien arranger la relation déjà bancale qu'ils entretenaient avec leurs parents.
Jusqu'à les pousser à fuir, claquer la porte de leur maison trop étroite pour eux et les mener tant bien que mal à l'université dans le même cursus, au département génie industriel dans lequel ils avaient lutté pour se fondre dans la masse, à coup de café, de manque de sommeil, de Ritaline et de neuroleptiques fournis en douce par des étudiants de la fac de médecine contre billets et sortie de matériel d'ingénierie. Ils étaient même parvenus à se distinguer pendant leurs études, assez pour que le bouche-à-oreille sorte du cercle nordique et n'arrive à des milliers de kilomètres de là, sur le bureau déjà chargé de Trafalgar Law.
Penguin était le premier à être tombé sur lui, adossé à la porte d'entrée de leur immeuble, en plein soleil de minuit – le psychiatre avait attendu que Shachi rentre en catastrophe de sa nuit écourtée dans le laboratoire de l'université pour leur faire son offre, qu'ils avaient tous deux religieusement entendue avant d'échanger un de leurs longs regards, par lesquels ils exprimaient bien plus de choses que par la parole.
Ils savaient qu'ils allaient droit dans un mur, à toute allure et les yeux fermés, et l'alternative de la Louisiane était loin d'être négligeable. La clinique était encore en construction et une seule personne ne pourrait pas en chapoter l'intégralité, ni en connaître toutes les subtilités ; il avait besoin qu'ils soient deux, sur l'exacte même longueur d'onde, et capables de cumuler deux jobs : soignants et chargés des infrastructures. Ce qui disait apprendre un nouveau métier en un temps record, s'occuper des autres alors qu'ils n'étaient pas toujours en état de s'occuper d'eux-mêmes. Pen, le plus prudent et le moins impulsif de leur duo, avait exigé des garanties, que Law leur avait fourni en désignant les blister de médicaments qui s'étalaient sur leur commode tout en leur annonçant que ni l'un, ni l'autre n'était hyperactif, que le médecin qui avait posé le diagnostic était un incompétent et qu'ils allaient finir par se tuer à force d'ingérer de la merde. Il avait annoncé, tout de go, que Shachi n'était rien de moins qu'hypomane et que Penguin souffrait de paranoïa aiguë et d'une personnalité obsessionnelle compulsive, et qu'ils ne pourraient pas en venir à bout seuls – Law les voulait, eux, dans son équipe, ensemble : par pure vérité ou par simple soucis de collaboration de leur part, Shachi l'ignorait encore à ce jour.
Le psychiatre leur avait laissé 24 heures de réflexion, pas une de plus, mais ils avaient fait leur choix bien avant le délai expiré – presque dix ans plus tard, il en était toujours à se demander ce qu'ils seraient devenus, cloîtrés dans leurs 20 mètres carrés, si Law n'était pas venu les chercher sur leur île.
Et ce qu'il leur en aurait coûté de décliner, en sachant tout ce qu'ils savaient quand Law leur avait dévoilé toutes ses cartes.
- ... -achi. Oh. Hé. ... Shaaaaachi. T'es avec moi, là ?
Il arracha son regard au tableau blanc, reportant son attention sur Teach et son air curieux, feutre en l'air, à lorgner dans sa direction par-dessus ses lunettes de lecture. Parti beaucoup trop loin, dans ses pensées, ses souvenirs, encore une fois.
Law, lui, avait quitté la pièce avec toutes les notes de son staff et marchait seul dans les couloirs, silencieux à cette heure-ci ; pas d'obscurité, chaque corridor étant faiblement éclairé par les appliques murales qui ne devaient jamais s'éteindre, seule manière de ne pas rendre aveugle le central des caméras. Les boyaux principaux étaient perpétuellement noyés sous la lumière des néons crus, quotidiennement vérifiés par Penguin et Franky – un détail qui avait toujours amusé Teach, lui qui avait coutume de laisser sa chambre dans le noir et de vivre la nuit, le plus régulier en poste derrière les écrans de la salle de contrôle pour laisser ses collègues dans le jour.
Son coup d'œil à sa montre lui indiqua que Shanks et Nami devaient toujours être dans l'avion qui les ramenait à San Francisco, dirigeant ses pensées sur Luffy qui s'était enfermé dans sa chambre et qui avait catégoriquement refusé d'en sortir malgré les injonctions d'Ace, qui n'avait pourtant pas cédé d'un pouce – et peu semblait importer le dîner, ce qui n'était pas commun quand il était question de l'insatiable appétit de leur hôte.
Il hésita une poignée de secondes avant de bifurquer vers l'aile des dortoirs, s'efforçant de ne pas faire claquer ses chaussures sur le dallage, passant devant les portes closes pour trouver celle de Luffy et frapper au battant d'un revers de phalanges, l'oreille tendue ; il n'eut droit qu'à un mutisme lourd et pesant, et il décida de prendre le silence de son talkie-walkie comme un assentiment de la part d'Ace – déposant ses affaires sur le sol, il fouilla un instant dans ses clés et déverrouilla la porte, qu'il entrouvrit délicatement pour regarder à l'intérieur. Pas besoin d'arriver jusqu'au lit pour se rendre compte que le gamin ne s'était pas couché, à le voir affalé sur son bureau, la lumière brûlant encore, crayon dans la main.
Il se faufila dans la pièce et referma derrière lui, s'approcha de lui à pas lents, parcourant du regard les pages qui s'étalaient devant lui et dont l'écriture était, incontestablement, celle de Luffy ; il attrapa quelques mots, reconnut du portugais mais ne poussa pas plus loin sa lecture – il tira sur le cahier où Luffy avait posé sa tête, doucement, le referma et le glissa dans le tiroir avec son stylo. L'adolescent ne broncha pas, n'esquissa pas le moindre mouvement ; Law n'en demeurait pas moins méfiant. Il en avait assez vu, dans sa vie et dans le court séjour de Luffy, pour savoir que la tempête n'était jamais loin derrière un temps au beau fixe.
Il hésita à le porter, une fraction de secondes, avant que la douleur sourde toujours présente dans son flanc ne le rappelle à l'ordre ; il se contenta d'aller chercher la couverture posée sur le lit et de la déposer sur ses épaules, passant une main dans ses cheveux noirs pour dégager son front et regarder le mouvement de ses yeux derrière ses paupières.
Plongé dans des rêves qui n'appartenaient qu'à eux.
Peut-être loin de l'asile, et du psychiatre.
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Réponses aux guests :
Fia : Hello ! Merci pour ta review :) Malheureusement, comme tu as pu le lire dans l'en-tête, il ne faut pas s'attendre à une tournure de couple... j'espère que malgré tout l'histoire te plaira, sinon peut-être à bientôt sur une autre fiction !
Nitta : Hello ! Malheureusement et j'espère que tu le comprendras, on ne se connait pas vmt et je ne tiens pas à te donner mon mail perso qui contient nom et prénom… FF a, de plus, censuré ton adresse et ça n'est pas plus mal, je te déconseille de la laisser sur des zones publiques où n'impt qui peut faire n'impt quoi… navrée, mais j'attendrai que tu aies créé un compte FF pour pouvoir communiquer par PM, ce qui sera avec plaisir d'ailleurs. Non, mon rythme de publi n'est pas mensuel car je n'en ai pas le tps. Comme tu as pu le lire en début de chapitre, je n'ai pas réellement annoncé de pairing avec cette fict°, il est donc normal de ne pas le voir apparaitre… j'espère malgré tout que le reste de l'histoire te plaira si tu acceptes de continuer sa lecture. Tu ne me mets pas la pression, tqt pas, à mon âge ça fait bien lgtps que ça me passe loin au-dessus la tête :) « tu attends mieux que ça de moi »… je ne sais pas à quoi correspond ce mieux mais espérons qu'il colle à tes attentes qui ont l'air d'être assez hautes ! Je note bien ta suggestion pour l'origine de Zoro, on verra de quoi il retourne quand qlqs chapitres, c'est actuellement sur le feu ! On verra aussi pour Daz si tes soupçons ont du bon… Oui, on verra revenir des proches de Luffy, ça je peux le dire sans trop spoiler car c'est pas d'une importance capitale pour l'histoire ;) Ah, les déductions sur l'anglais et le portugais… je ne peux pas te répondre, les chapitres le feront à ma place ds qlqs semaines. Je ne peux pas non plus t'éclairer sur ta qst° concernant les ressentis de Zoro sur Nojiko, là aussi c'est l'histoire qui va répondre, je ne veux pas trop m'avancer ou dire de bêtises en cas de rectification de tir sur le développement de l'histoire. J'ai une certaine connaissance des USA mais au regard du tps passé, on ne peut pas dire que j'y ai vécu :) À bientôt pr la suite, peut-être ; merci pour tes reviews !
On se voit en Octobre ! Soyez sages ! :D
