Ohayo mina !
C'est après avoir récupéré l'accès à mon compte FF, enfin, que je peux vous livrer ce nouveau chapitre qui nous rapproche encore un peu plus de la fin... j'ai bon espoir d'avoir terminé pour la fin de l'année, accrochez-vous x)
Je vous remercie pour votre patience, j'espère que les petites informations distillées sur Qui-vous-savez (cf. le titre...) vous satisferont, je vous souhaite une excellente lecture et...
Enjoy it !
Chapitre 40 :
Jour 112. Dellinger.
Louisiane, près d'Ostrica. Bureau de Trafalgar Law.
09h45.
Law releva le nez de ses notes, crayon en suspens au-dessus de son carnet, les yeux levés vers Ace allongé sur le divan en face de lui ; l'infirmier gardait le silence, ses prunelles fixées sur le plafond, bras croisés sur sa poitrine dans une attitude fermée qu'il n'avait pas quittée depuis qu'il avait pris sa position, une heure plus tôt. Une séance de thérapie complète de A à Z, dont Law avait clairement établi les règles dès le début – il n'était pas question de planification, de justification ou de débriefing professionnel ; juste Ace et lui, comme patient et psychiatre, comme n'importe quel autre interné.
Le directeur désirait depuis longtemps que son bras droit vide son sac une bonne fois pour toutes, et fasse le point sur la situation avec Bonney – s'il était totalement honnête, Law devait admettre qu'il n'avait assisté à aucun échange critiquable entre ses deux chefs de service. Absolument rien à se mettre sous la dent ou à leur reprocher, aucune piste à exploiter sur laquelle il était susceptible de lancer son bras droit.
Ace ne lui avait pas non plus donné grand-chose à ronger, par ses silences et ses hésitations ; il n'avait jamais été doué pour exprimer ce qu'il avait dans la tête et cet aspect de sa personnalité n'était pas près de changer, Law le savait mieux que personne, chaque jour aux premières loges pour y assister. Il pouvait le guider, mais certainement pas le faire à sa place, pas plus qu'il n'était capable de lire dans ses pensées – contrairement à ce que beaucoup d'entre eux semblaient croire.
Non pas que ce point-là soit si dérangeant, à bien y réfléchir ; si cette croyance pouvait lui donner un coup de pouce supplémentaire dans la relation avec les internés, il était preneur.
- En conclusion… tu serais prêt à avancer que tu vas mieux… ? tenta le psychiatre.
- On peut dire ça.
Toujours cette même prudence dans la voix, si éloignée des certitudes absolues dans lesquelles baignait le jeune homme quand Law l'avait récupéré à l'asile.
Il marqua un temps de réflexion, fouilla dans la poche de sa blouse et en sortit le Zippo glacé qu'il avait confisqué à son adjoint après la débâcle complète qu'avait été l'interception d'Eustass Kid ; loin d'être une punition, l'acte avait surtout pour but de prouver à Ace qu'il pouvait très bien s'en sortir et se maîtriser sans son artefact fétiche. Il le lui tendit sans un mot, étudiant soigneusement sa réaction, du mouvement de déglutition difficile au léger tremblement de ses doigts quand il le récupéra d'un geste mal assuré, ses yeux noirs rivés sur l'objet dans une expression mélancolique dont Law soupçonnait l'origine mais qu'il n'était pas certain de cerner justement.
- Tu sais pourquoi je te le rends ?
- … parce que tu me crois prêt.
- Je me trompe ?
L'infirmier répondit d'un haussement d'épaules évasif, faisant tourner le briquet entre ses doigts, pensif. Peut-être en train d'évaluer la fermeté de ses convictions à l'instant t, de se chercher dans les idées qui pouvaient lui traverser la tête et dont Law ne savait rien.
Bien loin de la tête brûlée spontanée que le psychiatre avait eu l'occasion d'observer sous toutes les coutures à Moscou.
Les prunelles noires de son vis-à-vis se détachèrent de leur centre d'intérêt pour se plonger dans les siennes, presque inquisitrices.
- Tu le sais aussi bien que moi, trancha-t-il en soutenant son regard pénétrant. Je serai jamais prêt, Law. C'est un combat perdu d'avance et je suis fatigué de prétendre le contraire. J'ai–
Il pinça les lèvres, inspira profondément – réprimant l'envie de quitter cette pièce qui lui semblait étouffante, mais qui n'était rien de plus que le reflet de ce qui l'étranglait et l'empêchait de formuler ce qu'il pensait réellement ; parce que mettre des mots sur ce qu'il ressentait signifiait admettre, un exercice auquel il s'était toujours farouchement opposé.
- … j'ai un problème, et pas le genre qui se règle avec de l'homéopathie avant d'aller pioncer, poursuivit-il à voix basse, ses phalanges crispées sur le Zippo à les faire blanchir. J'arrête pas de–
- On a déjà mis des mots là-dessus, Ace. Trouble du stress post-traumati–
- Je me fous de comment ça s'appelle ! s'exclama l'infirmier en s'arrachant au divan, arpentant cette fois le bureau comme un animal furieux, loin de l'immobilité suspecte qu'il n'avait cessé d'afficher depuis le début de la séance. Putain de merde, Law, y'a des mecs qui ont passé vingt ans à se foutre sur la gueule à longueur de journée, des gars qui sont obligés de sortir les boyaux de pauvres types qui ont rien demandé et qui arrivent à se regarder tous les matins dans la glace, et moi j'suis là à chialer ma mère au premier rêve qui se pointe… !
Law garda le silence, se contenta de le regarder aller et venir au gré de ses vociférations, sachant mieux que personne qu'il était inutile de vouloir mettre un couvercle sur le volcan, qui finirait par exploser à un moment ou à un autre ; mieux valait laisser filer la vapeur plutôt que d'essayer de la contenir à tout prix.
- J'me sens… si faible, rugit-il en s'empoignant une poignée de cheveux. Même les bleusailles de mon unité étaient pas aussi inutiles, j'en entendais pas un seul se plaindre quand il fallait dégommer un gamin d'une balle en pleine tête… !
- Toi non plus tu ne te plaignais pas, Ace, murmura Law en haussant un sourcil entendu. Absalom n'a jamais eu le moindre reproche à faire à ton travail et tu le sais très bien. Tu ne peux pas exclure le fait qu'ils étaient peut-être aussi bons acteurs que tu l'étais…
- Foutaises.
- Nous ne sommes pas tous égaux face à nos réactions, moi le premier. Il y en a tellement qui refoulent la moindre perturbation, qui remplissent la coupe jusqu'à la faire déborder avec un tout petit rien, quelque chose de tellement insignifiant que–
Le psychiatre garda pour lui sa réflexion quand Ace donna un coup de pied dans le guéridon le plus proche, envoyant valser tout ce qui s'y trouvait dans un écho bruyant ; de toute manière, il s'en voudrait assez comme ça une fois sa crise de nerfs enfin éteinte, venir y rajouter ses remarques serait contre-productif.
- Je vais me répéter aussi longtemps qu'il le faudra, mais tous les hommes, sans exception, que tu avais sous tes ordres ont eu à tirer au loin, sur des cibles sans visages qui ne différaient en rien de ce que vous faisiez seize heures par jour pendant vos entrainements. Ce sont des tirs aveugles qui ne demandent aucun recul, alors que toi…
Il se leva de son fauteuil et saisit le bras d'Ace au vol, le tirant de ses cents pas qui semblaient ne jamais avoir de fin pour l'amener à lui dans un geste sec, ignorant le réflexe de recul de son adjoint dans une tentative ratée de s'extraire de son étreinte.
- … toi, tu es allé te salir les mains au sens propre comme au sens figuré, insista-t-il en lui imprimant une légère secousse. Torturer les autres n'est pas dans ta nature profonde et c'est ça qui t'a démoli, Ace. Être fort ou faible n'a rien à voir dans ta situation.
- Mais j'ai–
- La tête est différente du cœur, ne m'oblige pas à te refaire la leçon. Tout le monde n'est pas en accord avec ce qu'il se passe à l'intérieur, toi le premier. Il y a une différence entre en être capable et en avoir envie : tu as su faire ton job, et avec brio, mais tu n'y as jamais pris le moindre plaisir, conclut le directeur en le relâchant enfin. Et ça te rattrape toujours, crois-moi.
Ace essuya la larme de rage qui perlait à ses cils d'un revers de poignet un peu trop brusque, inspirant profondément pour ravaler les picotements dans son nez – lutter contre les pleurs, à tout prix, puisqu'il refusait en bloc de voir se reproduire le fiasco de la dernière fois, quand il avait lâché du leste et que tout était parti à vau-l'eau.
Il se dégagea de sa prise, s'éloigna de quelques pas, chassant ses cheveux de ses yeux de manière nerveuse – Law le laissa faire, sachant pertinemment où étaient les limites à ne pas franchir avec lui, quand bien même il était important qu'Ace puisse remettre les compteurs à zéro avant de devoir retourner affronter le reste du monde hors de ce bureau.
Ace se passa une main sur le visage et se retourna, affichant un air neutre en totale opposition avec la détresse qui peignait ses traits quelques instants plus tôt.
- Merci de m'avoir écouté, murmura-t-il en croisant les bras, barrière supplémentaire entre lui et le psychiatre. J'ai deux patients aujourd'hui à gérer, on se voit ce soir pour le débriefing.
- Tu ne–
- C'est bon, Law. Je gère.
- Parle-moi de Bonney, insista-t-il. Où vous en êtes ?
- Nulle part et j'ai pas envie d'en discuter.
Law pinça les lèvres, prenant le temps d'une demi-seconde de réflexion avant de savoir s'il devait aller plus loin – il était frustré de voir à quel point il avait été si proche de faire sortir Ace de sa zone de confort, l'amener à s'ouvrir davantage, là où il se trouvait à nouveau face à cette forteresse de froideur et de recul refusant de céder la moindre parcelle de terrain, similaire à ce qu'il avait connu à Moscou. L'infirmier de retour dans son rôle de réserve, bien à l'abri derrière son masque, s'était refermé comme une huître et ne semblait plus disposé à laisser filer quoi que ce soit, gardant pour lui ses pensées et ses ressentis, une fois de plus.
- Tu ne vas pas pouvoir éternellement taire ce que tu as là-dedans, Ace.
- Tu veux parier ? le défia-t-il en haussant un sourcil.
- Ne me donne pas une bonne raison de taper où ça fait mal. S'il te plaît.
- C'est pas comme si t'avais attendu d'avoir mon autorisation pour ça, rétorqua-t-il en se penchant pour récupérer ses chaussures. Dis-moi ce que tu veux sur ma mère, mon père, même Bonney si ça te chante, je m'en balance.
- Que tu crois.
- Je crois ce qui m'arrange, comme tout le monde. À ce soir, conclut-il en se détournant de son supérieur pour sortir du bureau et emprunter l'escalier à pas rapides, sûrement désireux de mettre le plus d'espace possible entre eux.
Le psychiatre laissa les secondes s'égrener dans le silence, pensif, les yeux rivés sur les bibelots renversés au sol et qui semblaient le narguer, preuve de son incapacité à purger Ace de son mal-être, même temporaire.
Il ne vivait pas cette fin d'échange stérile comme un échec, mais comme un paramètre de plus à prendre en compte pour remettre, encore, son adjoint dans le droit chemin – le chemin que lui jugeait préférable, et non pas l'infirmier – et s'assurer de la bonne marche de l'asile ; au-delà de la simple question du professionnalisme se posait aussi celle de l'amitié qu'il avait pour lui, plus proche de lui que personne ne l'avait jamais été, Monet comprise, bourré d'une empathie que Law avait toujours considérée comme primordiale pour pouvoir tenir le poste qu'il lui avait confié et qui nécessitait de pouvoir se mettre à la place de ceux qu'il était chargé d'encadrer.
Dans un soupir, il s'accroupit et ramassa les objets étalés sur le parquet, certains éparpillés en éclats qu'il ne saurait pas recoller ; il pensa à Luffy et ses personnalités étiolées de part et d'autres, l'attente du retour du tribunal pour son autorisation de sortie, l'incident avec Shachi ayant soigneusement été passé sous silence pour d'évidentes raisons de praticité, le stress qui découlerait de cette intervention et ce qui en ressortirait après l'examen complet.
Lorgnant vers la pendule, il avisa l'heure affichée au-dessus de la porte, soit environ dix heures du matin ; un moment idéal où les internés ne se promenaient pas encore dans les couloirs et où il lui restait suffisamment de temps avant ses prochains rendez-vous de la journée pour improviser une petite visite, suivant un schéma bien établi qu'il se devait de respecter à la lettre. Achevant de ramasser les derniers items éparpillés autour de lui, il en était là de ses réflexions quand son téléphone sonna sur son bureau, le tirant de son flot de pensées et de ses plans sur la journée ; levant les yeux au ciel, il se redressa et retourna à son office, reconnaissant l'identifiant de la Californie mais hors de celui de Shanks ou de son cabinet.
- Trafalgar Law, annonça-t-il en portant l'appareil à son oreille.
- C'est Kizaru, j'ai ta requête en main, sourit la voix du responsable de l'application des peines du tribunal de son long accent italien traînant. La Nouvelle-Orléans, mmn~… ?
- C'est oui ou c'est non ? Ne me faites pas trainer, soupira le psychiatre en haussant le sourcil, les yeux rivés sur la copie de la demande envoyée mi-août. J'ai un boulot monstre, ici.
- J'étais parti pour une lettre toute formatée pour te signifier que malgré l'intérêt que représente ta demande, nous étions dans le regret de t'informer que nous n'allions pas accéder à tes désirs insensés, mais Kuzan est passé par là et il a tout éventé en acceptant votre petite expérience comportementale, déplora-t-il à l'autre bout de la ligne. Je te faxe l'avis dans la matinée, fais-en mauvais usage...
- Autre chose… ?
- C'est plutôt à moi de te demander ça. Tout se passe bien, dans les marais… ?
- La routine, éluda-t-il sans ciller.
Les mensonges éhontés ne le faisaient plus broncher depuis longtemps, coutumier du fait de devoir cacher les informations qui l'arrangeaient ; un trait commun avec son père, voire même avec Luffy s'il se basait sur la capacité du gamin à brouiller les pistes, quand il essayait de dissimuler ce qu'il pensait et ce qu'il savait : pour preuve, avoir caché l'existence d'une quatrième personnalité si longtemps, sans que personne n'en soupçonne la présence entre les murs de la villa.
Hors de question de lui parler de tout ce qui pouvait se passer à l'asile.
- … si tu le dis. Je ne te souhaite pas une bonne journée~
- C'est ça, on lui dira, marmonna Law en raccrochant, glissant son portable dans sa poche, ouvrant son tiroir pour récupérer son carnet et sortir de la pièce, refermant derrière lui en éteignant la lumière, signe qu'il ne serait pas là avant un moment.
Enfin une bonne nouvelle, dans cette mer d'embrouilles dans laquelle il trempait depuis quelques temps ; s'il lui était donné de pouvoir s'attarder sur ce sentiment, il admettrait volontiers être légèrement fébrile à l'idée d'avancer un peu plus sur son chemin de croix, de s'enfoncer un peu plus dans les méandres de ce que Luffy pouvait cacher aux quatre coins de sa tête, derrière sa carapace pas si blindée que ça.
Dévalant les marches, il s'assura que son bipeur était à sa place et chargé, descendit jusqu'au rez-de-chaussée et pressa le pas vers l'allée centrale, croisant Pudding sur son passage, occupée à prendre des notes, un livre de cuisine sur les genoux, assise dans le couloir à côté de Bonney occupée à lui lister ses parfums de glace préférés – il se rappela la fuite d'Ace, son évitement concernant la jeune femme, dont le comportement ne lui laissait pas entrevoir la moindre fenêtre de tir par laquelle se glisser pour tenter d'en savoir plus sur ce qui se passait entre elle et l'infirmier.
Mettant cette histoire de côté tout en se promettant d'y revenir à son retour de la Nouvelle-Orléans, il poursuivit sa route jusqu'aux dortoirs, qu'il dépassa jusqu'à atteindre la dernière porte, qu'il ouvrit d'un coup de badge – l'un des seuls à pouvoir accéder à cette partie, avec Ace, Magellan, Lami et Tashigi – avant de s'engouffrer dans le couloir plongé dans la pénombre, empruntant une nouvelle volée d'escaliers en colimaçon, entendant son talkie grésiller entre deux relais ; des phases de coupure radio, inhérentes à la structure de l'asile et la piscine intérieure, qui rendait certains passages aveugles au poste de commande. Arrivé en bas des marches, il bipa Ace pour lui signaler sa présence au sous-sol et fit un signe à la caméra, identifiable par son voyant rouge au plafond, avant de poursuivre vers la porte blindée au fond de l'antichambre, déverrouillant l'accès fermé par plusieurs verrous ; à en juger l'absence de réaction à la radio, feu vert pour aller plus loin.
Il ouvrit le battant, clignant des yeux pour s'accoutumer au soudain afflux de lumière en provenance de la petite pièce après les minutes passées dans l'obscurité – une zone aveugle, sans ouverture sur l'extérieur, tout en lumière artificielle supposée recréer celle du soleil mais qui ne pourrait jamais l'égaler, peu importe la fausse fenêtre peinte en trompe-l'œil et leurs efforts combinés. Le lit grinça quand la silhouette qui y était allongée s'y déplia en se redressant lentement, ses yeux le scrutant dans une brève manifestation de surprise immédiatement remplacée par un sourire retors beaucoup plus familier.
- Docteur, susurra-t-il en reposant son livre.
- Dellinger, le salua Law en prenant la chaise proche de la porte pour s'y asseoir, sans le lâcher du regard. Comment tu te sens ?
Le jeune homme se contenta d'hausser le sourcil sans se départir de son expression narquoise, le regard de Law balayant les marques au mur, les éraflures dans les multiples couches de peinture qui ne pouvaient plus venir à bout des dégradations répétées, celles présentes visiblement toutes fraîches à en juger les gouttelettes de sang séchées sur la paroi mordorée et les phalanges meurtries de son patient.
Enfermé ou non, Dellinger avait toujours eu tendance à manifester ses émotions de cette manière, et le psychiatre n'allait certainement pas s'émouvoir pour si peu, habitué à le voir tout tenter pour prétexter une sortie supplémentaire, tout moyen bon à prendre pour gratter le moindre instant de liberté.
- Vous le savez déjà, soupira-t-il, exagérément théâtral. Je me languis des autres… du monde.
- … tu te languis…, s'esclaffa le directeur en croisant les jambes, mimant la position de son vis-à-vis. Que de grands mots.
- Vous pouvez rire mais vous n'êtes pas à ma place–
- Tu t'y es mis tout seul. Tu as peut-être la mémoire courte, mais Bonney avait aménagé toute une aile de l'asile pour toi à ton arrivée. C'est ton comportement qui t'a amené ici, rien d'autre.
Dellinger délaissa sa couche, ses pieds nus silencieux sur le parquet quand il s'approcha de Law, jusqu'à la dernière limite, un mètre avant la porte, une barrière immatérielle qui ne manquerait pas de déclencher le dernier dispositif qu'ils avaient à leur portée pour l'empêcher de sortir et de se mêler aux autres.
Il le sentait agité, sous sa façade de neutralité faussement composée, voire même agressif ; rien d'inhabituel, mais le signe qu'il devait, comme toujours, prendre leur rendez-vous avec des pincettes s'il voulait en obtenir quoi que ce soit. Il était coutumier de ses tentatives d'en savoir toujours plus, sans jamais accéder à ses requêtes, tous les membres du staff ayant les mêmes consignes, quand bien même elles étaient difficiles à suivre au quotidien.
- Trêve de blabla… on a un nouvel arrivé, pas vrai… ? sourit-il en se rapprochant davantage, arpentant la ligne invisible comme le ferait un lion en cage.
- C'est exact, confirma le psychiatre. Luffy. Depuis le mois de mai.
- Il me regarde sortir, gloussa Dellinger en ébouriffant ses cheveux blonds dans un geste presque séducteur. Vous le saviez, ça… ?
Bien sûr qu'il le savait. Kid ne ratait jamais les sorties nocturnes du patient le plus reclus de l'asile, toujours à son poste pendant que Dellinger avait droit à son heure de liberté, ne perdant pas une miette du spectacle qui semblait le fasciner, immuablement. Law n'avait jamais eu l'occasion – ou même pris la peine – d'en parler à Luffy, ignorant ce que l'adolescent savait à ce sujet et s'il souhaitait échanger à ce propos, si Kid lui avait fait part de ses raisons d'agir de la sorte.
- Je suis au courant, oui. Mais je n'y peux pas grand-chose… c'est son droit.
- D'où il vient ?
- San Francisco.
- Qu'est-ce qu'il a de particulier pour avoir atterri ici… ?
Law évalua, pendant un instant de silence, les risques qu'il prendrait à lui répondre honnêtement, les bénéfices que cette réponse pouvait lui apporter, ce qu'il risquait d'en faire, la raison qui le poussait à obtenir cette information – puisque la curiosité n'était pas une fin en soit pour son patient, il était le mieux placé pour le savoir.
- Dissociation de la personnalité.
- Intéressant… c'est votre premier exemplaire ?
Le psychiatre hocha la tête, Dellinger sourit et se mordit la lèvre, volontairement provocateur, une attitude que Law avait eu des années pour appréhender et s'en méfier, sachant d'avance que le jeune homme allait prendre un soin particulier à vouloir taper où le bât blesserait. Objectif difficile à atteindre, avec le peu d'informations qu'il avait à sa portée, mais qui avait fait ses preuves sur Kaya à son arrivée – l'infirmière avait appris à passer au-dessus de ses piques, habitude oblige, mais les débuts avaient été chaotiques et ses effets s'en faisaient encore sentir, même des années après.
- … vous comptez échouer avec lui comme vous avez raté avec moi, docteur… ?
- Je n'ai pas échoué, le corrigea-t-il en esquissant un sourire en coin, défiant son air goguenard. Au contraire… j'ai obtenu tout ce que je voulais et je n'ai plus rien à tirer de toi. C'est la flagrante différence entre vous deux… tu n'as jamais voulu t'en sortir et aller au-delà de ta pathologie, là où Luffy n'a pas encore baissé les bras.
- Pas encore, hein… ?
- J'y travaille, rétorqua Law. Est-ce que je dois te rappeler que ta situation n'a pas évolué et que j'attends de ta part une participation… ? Sans quoi, tu sais très bien que je ne peux pas te réintégrer aux autres.
- Ouais… instabilité et tout ce qui va avec… un beau prétexte pour me garder loin et juste pour vous. Ça marche peut-être avec moi, mais votre petit nouveau va faire des siennes.
- Si catégorique… ?
- On est fait de la même matière lui et moi, et tous les prédateurs ont le même schéma, murmura Dellinger en s'asseyant au sol. Il restera pas tranquille bien longtemps… c'est pas dans sa nature.
- Je ne te savais pas connaisseur de l'âme humaine, railla le psychiatre en ajustant sa position sur la chaise.
- C'est vous le docteur, pas moi… votre Luffy, il voudra jamais se plier aux règles, mais c'est un modèle unique et vous voudrez pas l'abîmer.
Trop intelligent pour son propre bien, c'était ce qui définissait son interlocuteur aussi bien que le quatuor qui évoluait entre les murs de la clinique ; malgré tous ses efforts, il avait toujours eu la sensation que Dellinger lui filerait éternellement entre les doigts, dès son arrivée à l'asile – une certitude avérée.
Il avait passé trop de temps à jouer avec les nerfs des autres, hors de l'asile – sa famille, ses rares proches, les flics chargés d'enquêter sur lui – pour perdre cette habitude malgré les années d'enfermement ; loin d'être aussi jeune que Sugar à son arrivée, déjà en fin d'adolescence, mais bien plus rôdé que tous ceux réunis ici. À en croire les recherches de Lami et ce qu'elle avait recoupé entre les différentes juridictions bordant celles de San Francisco, Kid n'en était pas à son premier forfait et était peut-être le seul à pouvoir tenir le menton de son interné le plus instable, mais cette comparaison ne relevait pas du compliment.
- Tu ne veux toujours pas qu'on parle de toi ?
- J'adore qu'on parle de moi, murmura Dellinger en se rapprochant encore, attirant l'attention de la caméra qui pivota vers eux dans un grésillement qui résonna presque trop fort dans la pièce soudain plus silencieuse que d'ordinaire.
- Pas de ce qui t'arrange, mais de ce qui t'a amené ici.
- … vous admettez pas le fait que vous ayez jamais réussi à comprendre pourquoi je faisais ça, hein… ?
- Forte comorbidité avec trouble explosif intermittent et personnalité antisociale, soupira Law en soutenant son regard. Une succession de déficiences couplées au fait que tu n'as jamais accepté ta maladie, qu'elle t'a toujours parue injuste et que tu as décidé d'en faire quelque chose d'horrible.
Le psychiatre reconnut, l'espace d'une fraction de seconde, le pli marqué du mépris sur le visage de son patient le plus récalcitrant, alors qu'il tirait sur ses manches dans un geste sec et nerveux, inclinant la tête pour se cacher derrière ses mèches blondes ; Law savait cette manœuvre risquée, en l'attaquant de front sur son plus grand complexe.
Comme pour tous ses patients, il se rappelait nettement le premier regard posé sur le dossier qui lui était confié, huit ans auparavant : un adolescent de dix-sept ans responsable de huit meurtres étalés sur cinq mois, tous présentant un mode opératoire différent mais une scène de crime systématiquement chaotique, toujours commis aux alentours d'une heure du matin. Le coupable souffrait d'une génodermatose, le xeroderma pigmentosum, qui lui interdisait toute exposition aux rayons ultra-violets, cette particularité expliquant ses homicides perpétrés au plus sombre de la nuit.
Arrêté sur le lieu de son dernier crime, sur lequel il s'était beaucoup trop longtemps attardé, jusqu'à ne plus avoir le temps de rentrer chez lui une fois le soleil levé ; fait comme un rat et hors de contrôle lors de son interpellation, au plus fort de sa crise. L'état du Kansas ne s'était pas fait prier pour expédier leur nuisance locale quand Law avait accepté de le prendre en charge, constatant l'étendue des dégâts à son arrivée. Bonney, assistée par Franky, avait passé deux semaines complètes à calfeutrer chaque entrée de lumière dans une partie de l'asile qu'elle avait l'intention de lui dédier, mais tous les efforts d'aménagement s'étaient révélés inutiles sur leur patient décidé à poursuivre son œuvre, même enfermé entre les murs de l'asile. À partir du moment où ils avaient manqué perdre Kaya, Law avait cessé de se remettre en question et avait capitulé, se résignant à mettre Dellinger hors de portée des autres patients et du personnel.
Comme l'écrasante majorité de ses patients, Dellinger était incurable et, surtout, désirait rester dans cet état – aucune raison de changer quand il se complaisait dans cette situation, qui lui donnait le sentiment d'être au-dessus des lois et de ses congénères, qui n'étaient rien d'autre que des bouts de viande à sa disposition. Law n'avait plus rien à tirer de ce spécimen, se contentant de le conserver dans ses trouvailles comme le ferait un antiquaire lassé de s'être trop abîmé les yeux sur une œuvre longtemps convoitée, mais incapable de se séparer de ce qui avait été un si grand centre d'intérêt.
- « Pourquoi » tu as fait ça n'est pas la bonne question à se poser. Il y a toujours un interminable nombre de facteurs qui amènent quelqu'un à commettre des horreurs, un déclencheur dans l'environnement, mais la décision revient à une seule personne, en fin de compte. Tu as fait tes propres choix, personne ne t'y a contraint.
- Ça vous rassure de penser ça ?
- … c'est toi que ça rassure, Dellinger. Personne d'autre. Je renouvelle une dernière fois : es-tu prêt à reprendre ta thérapie, oui ou non ?
Son patient se contenta d'un sourire retors, qui servit de réponse au psychiatre ; réprimant un soupir de lassitude, il se leva et replaça la chaise près du mur, rajustant sa blouse avant de retourner à la porte, sous le regard intense de Dellinger qui ne s'était pas départi de son expression mutine.
Rien à en tirer pour aujourd'hui, mais sans être non plus dans une impasse – la venue de Luffy, l'étrangeté de son cas étaient susceptibles de pousser l'interné à sortir de son attitude provocatrice qui le forçait à l'isolement, mais il aurait besoin de temps pour que l'idée fasse son chemin et ce n'était pas aujourd'hui qu'il en tirerait un quelconque bénéfice.
- À bientôt, Dellinger. Je reviens la semaine prochaine.
- À votre guise, docteur, sourit-il en le suivant du regard quand il referma la porte sur lui, le grincement des verrous comme point final à leur ébauche de conversation sans dénouement constructif.
Le retour à la surface lui sembla bien plus poussif qu'à l'allée, sûrement teint de sa nouvelle sensation d'échec ; la seule chose susceptible d'alléger son humeur était la réaction de Luffy, à l'entente du verdict du tribunal en sa faveur, qu'il espérait positive. Le pari était risqué mais valait le détour, il en était certain.
Rejoignant la salle commune où de rares patients se trouvaient attablés autour de jeux ou de livres, il emprunta l'escalier qui menait à la mezzanine close où se trouvait le planning de la journée – la pièce était déserte, signe que le staff complet était occupé, mais les Post-it colorés soigneusement disposés sur le tableau lui indiquèrent que Luffy était à l'escalade, aujourd'hui, avec Ace et Lucci.
Il reprit le chemin inverse, sous le regard amusé de quelques internés qui le regardèrent passer de nouveau, ignora le couloir qui menait à la piscine à la faveur de celui qui le ferait totalement changer d'aile, passant dans celle réservée aux activités sportives où beaucoup de soignants emmenaient leur patient attitré.
Le psychiatre trouva les trois hommes à l'endroit escompté, Ace au sol les yeux levés vers Luffy, Lucci occupé à feuilleter paresseusement un livre en leur jetant des regards à la dérobée. L'adolescent était déjà perché à cinq bons mètres, solidement harnaché mais pieds et mains nus, assurant ses prises avant de passer d'une surface à l'autre.
Law s'approcha d'Ace, qui lui coula un regard en biais mais garda le silence, leur interaction sûrement encore beaucoup trop fraîche pour qu'il ne l'accueille à bras ouverts comme si rien ne s'était passé.
- Comment ça se passe… ? murmura-t-il.
- … c'est plutôt curieux, mais ça fonctionne, rétorqua Ace en reprenant sa prise sur la corde.
- L'escalade ? Ce n'est pas la première fois qu'il en fait, ici.
- Ils sont deux, annonça l'infirmier en lui désignant Luffy d'un geste du menton. Nojiko est de la partie.
Law reporta son attention sur son patient, tendant l'oreille sans le lâcher des yeux, balayant sa gestuelle.
Luffy se hissa sur une nouvelle accroche, sécurisa son mousqueton et s'essuya le front d'un revers de poignet, soufflant sur une mèche de cheveux collée à son nez avant de se détourner et de regarder vers Ace, prenant seulement conscience de la présence du psy dans la salle. Il le salua d'un geste de la main, auquel il répondit d'un signe de tête, ses yeux clairs rivés sur lui dans une attitude limpide : il était sous surveillance accrue, Ace ayant sûrement lâché le morceau à propos de son deal avec Nojiko.
- Cette partie-là est pour toi, marmonna-t-il en fermant les yeux.
L'adolescente était sûrement celle dont la venue était la plus aisée, parmi les trois alters qui se disputaient la place ; Kid ne venait dans la lumière qu'à renforts d'émotions incontrôlables – désir, colère, rage – et Zoro n'était pas en reste, avec son lot d'angoisse, de tristesse et de douleur. Sa dernière personnalité avait tendance à se laisser déborder par le jeu, Sabo et les marques d'affection, et l'instant présent était pile dans ses cordes.
Il n'avait pas à affronter nausée, peur ou chute vertigineuse quand c'était à elle de prendre la scène, le changement d'un alter à l'autre étant aussi fluide que la simple action de cligner des paupières, fugitive, naturelle.
Nojiko tendit le bras et palpa la pierre la plus éloignée, ses doigts jaugeant sa prise, la lange entre les dents ; elle poussa sur ses jambes et se raccrocha in extremis à son but, suspendue dans le vide, ses pieds trouvant de nouvelles accroches dans la foulée. Le cœur battant à tout rompre, elle rajusta son harnais et verrouilla une nouvelle sécurité, avant d'évaluer l'étape supérieure en massant sa hanche toujours aussi douloureuse.
C'était au tour de Zoro de s'octroyer un peu de bon temps mais il lui avait cédé la place pour la journée, pour des raisons qu'il avait gardées pour lui et qu'elle n'avait pas essayé de questionner ; un autre qu'elle ne chatouillait pas était Kid, désespérément muet dans son cahier malgré les tentatives des trois autres pour le faire sortir de son silence buté. Dire qu'elle lui en voulait était un doux euphémisme : s'ils en étaient là, à devoir encaisser une souffrance de plus – la blessure par balle qui avait fait autant de dégât physiquement que moralement – c'était uniquement sa faute, et pas celle d'un autre. Il avait lu son carnet, celui qu'elle ne partageait qu'avec Luffy, une barrière qu'elle avait pourtant érigée avec soin en s'assurant que ces limites seraient respectées ; chacun avait droit à son jardin bien à lui, et elle préférait que certains sujets restent inconnus de Kid et Zoro.
Zoro, pour son inaptitude à lui proposer des solutions – parce que beaucoup trop éloigné de ce genre de préoccupations – Kid, pour sa capacité à la mettre mal à l'aise en quelques conseils trop crus et inutilement vulgaires.
L'alter avait bafoué la plus élémentaire de leurs règles et elle refusait d'entendre parler de pardon, à ce stade ; Luffy avait eu beau négocier, elle savait qu'elle resterait sourde à tous ses arguments tant que Kid n'aurait pas fait lui-même son mea culpa.
Elle se hissa à une pierre, assurant ses arrières en testant la résistance dans la corde et enchaîna les accroches sur un bon mètre, s'efforçant de ne penser à rien d'autre qu'à l'escalade, mais le défi était difficile à relever ; elle avait encore beaucoup trop de choses en tête et ignorait comment en faire abstraction. Son pied glissa et le frisson glacé de l'adrénaline lui paralysa momentanément les bras, lui coupant le souffle – à elle de garder le contrôle sans risquer de faire intervenir Zoro, qui souhaitait visiblement rester dans l'ombre.
- … comment ils font ? murmura Ace, à peine audible dans l'immensité de la pièce.
Law n'eut pas besoin de lui demander de préciser sa pensée ; il savait parfaitement de quoi parlait son adjoint.
Ses yeux suivirent la progression du duo à flanc de mur, de leurs rares défaillances à leurs prises de risque, prenant le temps de formuler sa réponse.
- … il y a des moments borderline, souffla le psychiatre sans les quitter des yeux. Des moments où les personnalités ne sont jamais loin l'une de l'autre. Le stimulus qui les fait venir est là et elles sont proches de prendre le devant de la scène… mais pas suffisamment pour occulter l'alter présent. … c'est une ligne grise, où la frontière entre leurs mondes est mince.
- Le changement de personnalité est conscient ?
- Complètement. C'est délicat à gérer et ça prend des années… qu'ils en soient arrivés là par leurs propres moyens, sans thérapie, ça relève de l'exceptionnel.
Luffy secoua la tête, avisa la distance de la prise suivante : Nojiko s'était sûrement lancée dans quelque chose de trop aventureux pour elle. Il assura ses appuis sous ses orteils et grimpa jusqu'à la plateforme la plus proche, tentant de faire abstraction de ce qu'il ressentait à cet instant pour se concentrer sur l'objectif à atteindre : les réminiscences de frustration et de tristesse qui lui serraient le cœur n'étaient pas les siennes et il haïssait ignorer d'où elles venaient exactement, sa dernière alter étant assez réservée dans leurs échanges depuis que Kid avait lu ce qui ne lui était pas destiné, sûrement par crainte de voir une nouvelle fois son intimité exposée à la mauvaise personne – une erreur supplémentaire qui ne ferait qu'alimenter la méfiance du groupe, que Luffy était incapable d'expliquer ou de justifier parce qu'il ignorait ce qui pouvait bien traverser l'esprit de Kid et le pousser à faire ça.
- … Luffy ? lança la voix de Law en contrebas.
Il se retourna vers le psychiatre, abandonnant le mur d'escalade pour chercher le regard du directeur.
- Descends, s'il te plaît.
- Vous pouviez pas le dire plus tôt… ? soupira-t-il en testant le retour de la corde de rappel et la solidité du mousqueton, avant de se laisser couler vers le tapis, dépité.
- Je préférais te voir à l'œuvre avec un autre alter, répliqua-t-il en lui tendant une serviette pour s'essuyer la nuque.
- … comment vous pouviez être sûr que c'était moi ?
- Je ne peux pas me targuer de bien connaître Nojiko, mais toi, je te connais assez pour savoir quand tu es là. Ton expression diffère trop de la sienne.
Clairement trop observateur à son goût, mais pas grand-chose à redire là-dessus – c'était son job, après tout.
Son alter féminin n'avait plus besoin de faire semblant, entre ces murs.
- J'ai une bonne nouvelle, avança Law alors qu'il s'escrimait à défaire son harnais. Le déplacement à la Nouvelle-Orléans est validé pour le tribunal.
- … oh ?
- Il reste quelques détails du voyage à peaufiner, mais je voulais être certain que tu sois toujours partant pour ça.
La prudence dans ses mots le renvoya à ses heures de réflexion, seul dans sa chambre, à tenter de se figurer à quoi pourrait bien ressembler ce trip à travers les marais, un arrière-goût désagréable qui lui rappelait son transfert depuis San Quentin. Il se laissa faire quand Ace l'aida à se débarrasser de son équipement, l'esprit trop encombré de questions pour réussir à se concentrer sur ce qu'il faisait, les yeux rivés dans ceux de Law qui semblait visiblement attendre une réponse claire et verbale.
Il avait pourtant déjà signé le papier l'autorisant à réaliser sa petite expérience, et changer d'avis n'était plus possible ; pourquoi s'embarrasser d'une nouvelle question à cet instant ?
- Et si je dis non ?
- J'annule. Si tu n'es pas consentant, ça ne donnera rien, ponctua le psychiatre après un silence.
- Tu ferais quoi, toi ? lança Luffy à l'attention de Lucci, tête baissée vers son livre.
L'intéressé daigna hausser un sourcil, ses yeux noirs se détachant de sa lecture pour les jauger, une moue perplexe sur le visage.
- … c'est l'occasion de sortir d'ici, même brièvement. Rien que pour ça, je prendrais, si j'étais à ta place, murmura-t-il en tournant sa page pour passer à la suivante.
- Pragmatique, comme toujours, sourit Law en reportant son attention sur Luffy. … alors ?
- … je marche.
- C'est bon à entendre. Tu as droit à un bonus, on va limiter les séances de thérapie pendant les jours qui nous séparent du test.
- Pourquoi ?
- Je ne veux pas risquer d'aller sur le mauvais terrain, et j'aime autant préserver l'effet de surprise de mes questions pour pouvoir provoquer tes dissociations.
Comme si la manœuvre l'étonnait.
Luffy se demanda si Law avait toujours perpétuellement dix coups d'avance sur toutes les personnes qui l'entouraient, ou si ce n'était qu'une impression, une manière pour le psychiatre de donner le change et de s'assurer une mainmise complète sur son environnement.
Il resta silencieux, se contentant de regarder Ace exhorter Lucci à enfiler le harnais pour se mettre à l'escalade à son tour malgré sa réticence et ses grognements de protestation, point de distraction dans les pensées qui se bousculaient dans sa tête. Kid ne devait absolument pas être au courant de la date précise de départ, mais il avait besoin de s'assurer de la coopération de ses deux autres personnalités sur ce coup. Pas certain que Zoro accepte quoi que ce soit, après ce qu'il s'était passé, mais il se rangerait à son avis pour peu que le psychiatre insiste en invoquant sa collaboration. Nojiko serait toujours partante, mais il ne savait pas à quel point il pouvait être explicite dans le carnet sans que Kid ne puisse tomber dessus intentionnellement.
Il répugnait à l'idée de demander de l'aide à Law, mais il n'allait pas avoir le choix.
- … je peux vous demander un truc ? marmonna-t-il en fixant ses pieds nus.
- Ce que tu veux.
- Il faut que Zoro et Nojiko soient dans la confidence, mais surtout pas Kid–
- Je suis d'accord avec toi, approuva le psychiatre en s'éloignant d'Ace et Lucci, entraînant Luffy dans son sillage pour plus d'intimité.
- Vous… vous pourriez leur dire ? No' va pas se faire prier pour venir, Zoro va faire son difficile mais ça en fait au moins un sur deux. J'ai pas envie que ça traîne dans les carnets, j'ai pas… je suis pas confiant en ce qui concerne Kid.
Luffy trouvait toujours étrange, malgré les années passées, le fait d'être incapable de verbaliser son manque de confiance envers son plus ancien alter ; pas besoin d'avoir fait des études psy pour savoir d'où lui venait cette inclinaison : Kid, peu importe ses frasques et ses défections, les avait tous les deux maintenus en vie pendant trop longtemps et l'avait empêché trop de fois de se sentir seul pour que Luffy puisse se résoudre à le considérer comme un traître ou comme quelqu'un qui n'était pas digne de cette confiance, qu'il accordait pourtant trop vite, trop facilement à en croire Sabo.
Law acquiesça, l'adolescent regarda ailleurs – le psychiatre lutta contre l'envie de le dévorer des yeux, s'efforça de porter son attention sur le mur d'escalade où Lucci faisait sa mauvaise tête, peu désireux de se plier à l'exercice malgré les injonctions d'un Ace visiblement exaspéré par son comportement.
- C'est à quel sujet… ? s'enquit le timbre délicat de l'alter dans son dos.
Réprimant un sourire, il lui jeta un coup d'œil prudent, s'efforçant d'enregistrer la moindre ses micro-expressions, sa posture, sa manière de le dévisager et de se tenir, de ses bras croisés à son regard presque défiant ; les occasions de la voir étaient beaucoup trop rares, et il s'était promis de ne pas la brusquer sans pour autant laisser passer l'occasion d'en savoir plus sur elle.
- Au sujet de la Nouvelle-Orléans et des examens à y passer. Deux jours loin de l'asile.
- … ah, ça, marmonna-t-elle en se grattant l'arrière de la tête. J'ai cru que vous aviez annulé.
- J'ai l'autorisation du tribunal et Luffy est toujours partant, mais il espère un peu de discrétion à ce sujet. Tu en es… ?
- Si ça va à Luffy alors ça me va aussi. C'est pour quand ?
- Pas encore fixé, et Luffy le saura du jour pour le lendemain. Moins il anticipe, mieux ça vaudra.
Elle acquiesça et il se demanda ce qui pouvait bien lui passer par la tête, là, sur l'instant, mais ses lèvres pincées étaient un excellent indicateur de sa volonté de ne pas en dire ou demander davantage malgré son air avenant et ses manières polies.
- … je crois pas que Zoro va vouloir venir. Tout de suite, je veux dire.
- Je pense qu'il n'a pas très envie de me voir, tempéra le psychiatre. Ça ne fait rien… j'y travaillerai avec Luffy.
- … et c'est juste pour un truc comme ça que vous nous avez fait descendre ? s'étonna-t-elle en désignant le mur derrière elle, où Lucci prenait ses premières prises de mauvaises grâce. Ça se voit que c'est pas à vous d'escalader ça, sérieux.
Law se demanda, à l'intonation de sa voix, si Nojiko avait grandi avec les années – à l'instar de Kid et Zoro – ou si elle était restée figée dans son adolescence sarcastique et insolente, un peu trop prompte à se défendre, un trait de caractère partagé avec Luffy qui n'était pas en reste quand il était question de montrer les dents.
- Je note pour la prochaine fois, s'excusa-t-il en levant les mains en reddition. On se revoit bientôt… ?
- … vous nous ferez pas de mal, hein… ?
La question le surprit, passant par-dessus sa garde pour le renvoyer des années auparavant, dans le souvenir fugitif et douloureux des dernières heures passées avec sa mère – un souvenir qu'il écrasa d'un coup de talon imaginaire, le faisant disparaître de sa vue mais beaucoup trop tard pour espérer s'en tirer sans avoir à supporter le cortège de sons et d'images qui accompagnait toujours ces instants qu'il cherchait désespérément à fuir.
Il déglutit, s'efforça de se composer un air neutre, à défaut de mieux, et esquissa un sourire qu'il espérait rassurant, mais qui ne tromperait personne, alors que Nojiko scrutait son expression avec soin.
- Ça n'est pas mon intention.
- Promis ?
- … promis.
Il songea, en la regardant s'éloigner vers Ace après un dernier regard plein d'interrogations, que l'engagement était toujours facile à prendre, et si difficile à tenir.
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J'espère vous revoir vite, au détour d'une review ou du prochain chapitre !
