Ohayo mina !

Bien à l'heure cette fois, le chapitre de la Nouvelle-Orléans...
Je vous souhaite une bonne lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 41 :

Jour 119. Course.

Louisiane, près d'Ostrica. Salle de sport.
07h15.

- … nan mais j'vais crever, là, haleta Luffy en se laissant descendre du tapis de course, ruisselant de sueur, le cœur battant la chamade contre ses côtes.

- Tu peux faire plus, j'en suis sûr, rétorqua Ace en lui collant une bourrade dans le dos à lui en décoller les poumons – pas du tout ce dont il avait besoin à cet instant.

La douleur ricocha dans sa hanche, loin d'être aussi insupportable qu'elle l'avait été mais toujours présente, s'attardant juste assez pour l'empêcher d'en faire abstraction sur le long terme.

Il attrapa sa serviette pour s'essuyer le visage, lorgnant sur sa blessure et les sutures fraîchement décousues par Lami la veille ; il aurait aimé être aussi oublieux que Zoro à ce sujet, mais il n'en avait pas la capacité, peut-être encore moins l'envie.

Ace jeta un regard à sa montre, plus soucieux du timing que d'ordinaire, et l'adolescent savait parfaitement à quoi était due son inquiétude latente – le jour de sa sortie à la Nouvelle-Orléans pour l'examen auquel Law n'avait pas renoncé, qui allait demander beaucoup trop d'efforts et de mobilisation pour être perturbé par quoi que ce soit ; d'où les deux heures de sport que le psychiatre avait exigées avant leur départ, juste ce qu'il fallait pour défouler le quatuor et s'assurer que personne ne serait tenté de faire quoi que ce soit. Ou, tout du moins, limiter le risque.

- Remonte là-dessus, je veux que tu rentabilises la bécane.

- J'en ai plein le cul.

- Et alors ? répliqua Ace en l'attrapant par son tee-shirt pour l'exhorter à retourner sur le tapis. Allez, exécution.

Marmonnant, Luffy jeta sa serviette sur le tabouret et retourna sur le tapis, reprenant sa marche rapide jusqu'à accélérer suffisamment pour se mettre à courir franchement, tentant de faire fi de la gêne dans son bassin, les yeux rivés sur les baies vitrées ouvertes sur l'extérieur, le mur d'enceinte hors de son champ de vision, se fixant comme seul objectif de se vider entièrement la tête et d'ignorer l'anxiété qui ne l'avait plus quitté depuis qu'il avait fermé les yeux la veille au soir, dans une quête quasi désespérée du sommeil qui lui manquait et qu'il ne pouvait se permettre d'entamer un peu plus, au risque de voir tout contrôle lui échapper pendant la journée à passer hors des murs de l'asile.

Dire qu'il était surpris d'avoir fermé l'œil plus de quelques instants serait un euphémisme – il s'était imaginé en proie à une de ses éternelles nuits blanches et avait eu droit à de longues heures noires et oublieuses du reste du monde, le faisant largement soupçonner la présence de somnifères dans son dîner sans qu'il n'en ait la preuve formelle.

Il entendit le talkie d'Ace grésiller à une portée de bras, posé sur leurs affaires, la voix de Franky annonçant que le petit déjeuner était en cours et que la table de Luffy serait prête pour huit heures tapantes ; l'adolescent devinait – plus qu'il n'en avait la certitude – que les murs de l'asile devaient grouiller comme une fourmilière, bien loin de l'agitation habituelle qui pouvait régner dans la salle commune au moment des repas, imaginant déjà le monde s'affairer pour que tout soit prêt à l'arrivée de son futur moyen de transport.

Moyen dont il ignorait tout et qui le renvoyait dans une de ses spirales de questions sans réponses – parce qu'il n'osait pas les poser, comme toujours. À quoi aurait-il droit, cette fois-ci ? Un autre fourgon étouffant et humide ? Un aller de quelques minutes en hélicoptère ? Il n'avait pas la moindre idée de la manière de sortir de cet endroit, grande porte mise à part. Une partie de lui, la plus raisonnable et sensée, était prête à parier tout ce qu'il possédait que le psychiatre ne le mettrait pas dans des conditions de stress similaires à celles de son premier et unique transfert depuis San Quentin, mais une autre part – peut-être plus importante encore – ne pouvait s'empêcher de craindre le moindre débordement, la moindre contrainte qui mènerait immanquablement à l'arrivée de l'élément perturbateur qu'était Kid.

Le bipeur de la machine le sortit de ses pensées, indiquant qu'il venait de franchir la barre de l'heure passée sur le tapis, mais Ace ne lui laissa pas le temps de se refroidir, lui désignant les poids soigneusement rangés sur les étagères – musculation, l'activité préférée de Zoro, mais que lui exécrait au-delà du possible.

- C'est quoi l'intérêt de me défoncer là-dessus ? protesta-t-il en engouffrant une longue rasade d'eau dans laquelle il faillit s'étouffer.

- Dopamine, endorphine. Le meilleur cocktail naturel que ton corps puisse te fournir, annonça l'infirmier en lestant la barre, lorgnant sur les bras du jeune homme avant de retirer un des poids avec une moue dubitative. Trois séries de trente en développé-couché.

- Dix.

- Vingt. Tu t'y mets où c'est toi qui me sers de poids, menaça-t-il en donnant une claque sur le banc pour l'inciter à s'asseoir.

Il ne chercha pas à argumenter plus que ça, conscient que son gardien avait trop de choses en tête pour faire preuve de patience ce jour-là, et s'installa sous la barre dont il éprouva la prise entre ses mains avant de la décrocher de son support – vingt-cinq à trente kilos, à en croire les lests, ridicule pour ses deux alters masculins, le bout du monde pour lui ; inutile de compter sur Nojiko qui avait toujours trouvé stupide l'idée de soulever de la fonte, un avis bien tranché qui lui avait valu quelques pages froissées et des insultes en portugais que Luffy n'avait pas osé lui traduire.

- Il est où Law ? souffla-t-il entre deux séries.

- Il règle les derniers détails et il se prépare. T'as peur qu'il soit en retard ? sourit Ace en haussant le sourcil.

- Comme si ça pouvait arriver, marmotta-t-il en se rallongeant pour ses dernières minutes d'enfer personnel. C'était comment votre entraînement en Russie ?

- Mmn ?

- Chez les Spetsnaz. Je suppose… que ça se résume pas… à des pompes-abdos et trois tractions par jour ? expira-t-il à chaque descente, ses yeux levés vers Ace qui n'avait pas quitté sa position, debout derrière lui, les mains au-dessus de la barre.

Le jeune homme aurait presque pu jurer le voir mouliner, à en juger par le flottement qui voilait son regard, mais l'infirmier était beaucoup trop rôdé à ce genre d'approche pour se laisser déstabiliser par un souvenir aussi lointain.

Qu'est-ce que cette question était susceptible d'avoir éveillé en lui ? Où est-ce qu'elle était capable de l'emmener, malgré les années passées loin de cette discipline ultra-rigide ? Dans quel genre de cercle vicieux l'entrainait-elle ? Luffy mettait sa main au feu qu'Ace avait des horreurs plein la tête, malgré sa décontraction de façade, bien loin devant lui en ce qui concernait ses propres démons.

- … c'était il y a longtemps, éluda-t-il. J'ai arrêté la méthode, elle n'a pas son utilité ici.

- … mon œil.

- M'oblige pas à être désagréable.

- J'suis sûr… que ça plairait à Zoro, ce genre de trucs, marmonna Luffy en s'efforçant de ne pas perdre le fil de son décompte. Kid lui il préfère… se buter à ses exos de muscu…

Il surprit le léger sourire en coin sur le visage de son infirmier, ignora comment l'interpréter ; il reposa la barre, se redressa pour se retourner et l'interroger d'un haussement de sourcils, attendant qu'il développe le scénario qui semblait se jouer dans sa tête. Ace sembla peser le pour et le contre, ou chercher ses mots, marquant un temps d'hésitation avant de céder et de le désigner d'un vague geste de la main, cette fois l'air perplexe.

- Dans son cas c'est plutôt efficace, même si ça me fait mal de le reconnaître.

- … je vous ai pas suivi, là.

- Pour ne rien te cacher, Kid m'a mis une sacrée peignée et je ne m'y attendais pas, ajouta-t-il après un silence. Pas venant de la part d'une brindille dans ton genre. Sa réaction était carrément démesurée et j'aurais pas pensé un seul instant qu'un gamin gaulé comme toi puisse me mettre une telle raclée.

- … ouais. Ça fait partie du package, désolé, soupira l'adolescent en esquissant, lui aussi, un sourire amusé pour cacher sa gêne qu'il devinait presque palpable. Kid est–… il sait que j'ai une bonne tête et que ça lui facilite la vie. Les gens se méfient pas de moi.

- Il a trouvé le bon filon, ça serait con de creuser à côté, déplora Ace en lui désignant la porte. À la douche, on part dans moins d'une heure. Et t'empestes.

Luffy résista à l'envie de lui présenter son majeur – une sale habitude que Kid arborait avec fierté quand il était question de mimer son opinion au lieu de la verbaliser, et qu'il ne pouvait que lui envier dans ces moments-là – et récupéra son sac qui contenait ses vêtements civils, loin de la tenue immaculée de l'asile qu'il rêvait d'abandonner l'espace de quelques heures.

Dans les couloirs, ils croisèrent Shachi et Penguin aux prises d'un argumentaire musclé ponctué de mots en islandais que l'adolescent présumait être des injures, mais dont il n'osa pas demander la traduction à un Ace qui ne semblait pas plus désireux que lui d'en savoir plus ; ils pressèrent le pas vers l'aile des sanitaires, proche des dortoirs déjà déserts à cette heure-ci de la matinée – petit-déjeuner en cours oblige – et entrèrent dans ceux des hommes, visiblement déjà occupés à en juger la vapeur en suspension dès la porte franchie.

Pas besoin de s'enquérir de l'identité de l'occupant, dont la silhouette était à la fois familière et étrangement incongrue dans cet environnement : nez à nez avec Trafalgar Law en sous-vêtements, une serviette sur les épaules. La dernière personne qu'il s'attendait à voir ici.
Luffy pensait expérimenter une solide sensation de gêne, à cet instant, mais le psychiatre semblait bien plus embarrassé que lui.

- Je pensais pas que tu serais encore là, s'esclaffa Ace dont le ton ne trompait personne – tentative pour désamorcer la tension dans l'air. T'as zappé le réveil ?

- Trop de choses à faire dans la nuit, j'ai préféré les finir avant de venir ici, rétorqua Law en tendant le bras pour enfiler son tee-shirt malgré sa peau encore ruisselante d'eau.

L'adolescent n'écoutait déjà plus leur échange, trop focalisé sur ce qu'il voyait et qu'il ignorait comment nommer sans mettre les pieds dans un plat qu'il ne se sentait pas de saccager de si bon matin ; ses yeux balayèrent les longs pans de peau dépigmentés du psychiatre, contraste saisissant entre son épiderme mordorée parcourue de longues lignes d'encre noire et les taches laiteuses qui le jalonnaient – il ouvrit la bouche mais Ace le coupa d'un coup de coude furtif mais ferme entre les côtes, du genre à lui signifier que sa fixation était voyante, l'empêchant de faire ce qui serait peut-être une bourde ; il se força à se détourner du spectacle tout en étant certain que son absence de discrétion ou de subtilité avait déjà été notée par le psychiatre.

C'était beaucoup trop d'informations à digérer en peu de temps, rien qu'à en juger la manière dont ses mains s'affairaient à plier et déplier ses affaires de bain dans un geste compulsivement mécanique, tâche de fond toute trouvée pour son cerveau qui n'en finissait plus de repasser en boucle les mêmes images : la stupeur de voir Law sous un jour aussi... humain, loin du professionnel toujours couverts de la tête aux pieds, la surprise de constater à quel point le psychiatre était tatoué et la stupeur de constater ces marées d'imperfections dont il ne savait rien et qu'il n'aurait jamais soupçonnées jusqu'à présent.

- Si tu me cherches, je suis au bureau, marmonna Law en regroupant à la hâte ses derniers effets personnels avant de sortir au pas de course sous le regard mi-amusé, mi-concerné de son adjoint.

Le silence s'étira encore de longues secondes avant que Luffy ne se décide enfin à parler, une fois certain que le psychiatre se trouvait trop loin des douches pour entendre quoi que ce soit.

- C'était quoi, ça ?

- Ça dépend de ce que tu entends par "ça", répéta Ace en lui tendant le sac avec le nécessaire à toilette.

- Vous rigolez, là ?

- Pas du tout. T'es inquiet pour lui ? le taquina-t-il en haussant le sourcil.

- Nan, soyez pas stupide, marmonna Luffy en ôtant son tee-shirt lourd de sueur, se laissant faire quand Ace lui fit signe de s'immobiliser pour observer la blessure refermée de sa hanche. ... c'a tenu le choc, on dirait.

- Lami est douée pour ce genre d'interventions. T'en fais pas pour lui, ajouta l'infirmier en se redressant, de retour à leur conversation sur le psychiatre. Il va bien. Et si tu as des questions, tu les lui poseras toi-même. Libre à lui d'en parler.

- C'est à cause de ça qu'il reste couvert tout le temps ?

Ace se contenta d'un hochement de tête, tendit le bras pour actionner l'arrivée d'eau la plus proche et sembla prendre un indicible plaisir à le voir bondir au contact du jet froid ; pestant contre son gardien, Luffy acheva de se déshabiller et se glissa sous la douche, tâtonnant pour trouver le shampoing où s'étalait son nom au marqueur – préférence personnelle prise en compte par l'asile, qu'Ace conservait au même titre que ses autres affaires de bain, mais qui présentait le seul avantage de lui rappeler l'odeur d'agrumes qui régnait dans la salle de bain à la villa après le passage de Nami. Rappel d'une époque qui n'était pas plus simple, mais bien plus acceptable.

- Petit-déjeuner dans quinze minutes et dernier check-up avant le départ, annonça Ace en jetant un coup d'œil à sa montre.

- Il est serré votre timing...

- Il le serait moins si tu t'étais levé à l'heure.

- ... bien envoyé, marmonna Luffy entre deux contorsions pour se savonner entièrement.

À travers le ruissellement de la douche, il entendit la voix de Tashigi dans le talkie annoncer à Ace que Bartolomeo avait décidé de se joindre aux autres pour le repas et qu'il s'était installé à la table de Luffy avec la ferme intention d'y rester ; il ne perçut rien de la réponse de l'infirmier, coupa le robinet et s'enroula dans sa serviette pour se frictionner, lorgnant vers son gardien qui attendait après lui, tourné d'un quart de tour pour lui laisser son semblant d'intimité.

- Vous vous douchez pas ?

- Déjà fait ce matin. Et je ne viens pas avec toi à la Nouvelle-Orléans, ajouta-t-il après un silence.

- … y'aura qui, alors ?

- Tu le verras au moment de partir, c'est Law qui te briefera.

- Vous faites des secrets à dix mètres du drapeau à damiers… ?

Il leva les yeux au ciel quand Ace lui jeta son gant au visage, s'habilla pendant qu'il rassemblait ses affaires de toilette et s'inspecta une dernière fois dans la glace, prenant soin de ne pas soutenir son regard trop longtemps avant de sortir pieds nus, chaussettes et chaussures à la main, la suivant dans les couloirs en direction de la salle commune, où les autres internés étaient déjà attablés – comme entendu à la radio, il trouva Bartolomeo assis face à sa tasse de café, l'air déterminé et sourd aux arguments de Kaya accroupie près de lui qui lui demandait de laisser Luffy tranquille avant son départ ; beaucoup trop têtu pour se ranger à ses exigences.

- Laisse tomber, la tête est trop remplie pour qu'on puisse y faire rentrer quoi que ce soit, soupira Ace en installant son patient à côté de son hôte.

- C'est toujours plaisant quand on parle de vous comme si vous étiez pas là, marmonna Bartolomeo en tendant le poing pour l'entrechoquer avec celui de Luffy.

Ace ne releva pas, leva le bras à l'attention de Penguin qui se détourna vers la cuisine et fit signe à Kaya de le suivre, laissant les deux à leur tête-à-tête ; Luffy resta silencieux sous le regard pénétrant de son vis-à-vis, habitué à ses silences entrecoupés de moments volubiles pendant lesquels il semblait ne jamais vouloir cesser de parler, une longue minute de mutisme qui lui avait un temps paru singulière avant qu'il ne soit coutumier des normes décalées qui régnaient dans l'asile, propres à chacun. Un mouvement au fond de la pièce attira son attention, l'arrachant à leur échange de regard muet : il regarda Penguin revenir avec un plateau lourdement chargé, visiblement spécialement préparé pour l'occasion.

- Œufs brouillés, bacon, chocolat chaud, jus d'orange et tartines. T'as la totale, profite-en.

- … c'est en quel honneur ?

- Pour reprendre les termes d'Ace, « tout ce qu'il faudra pour le mettre bien ». Ça coche toutes les cases ?

- … c'est pas mal.

- Régale-toi, conclut-il en lui frappant l'épaule avant de s'éloigner.

- T'en veux ? suggéra Luffy à son voisin en désignant l'assiette de bacon grillé.

Bartolomeo secoua la tête, déclinant poliment ; Luffy sentit monter l'irrépressible envie de lui demander qui, en ce monde, serait assez dingue pour refuser une proposition pareille, se fit violence pour garder le nez dans son bol de lait et réfléchir au meilleur moyen de lui poser la question sans le froisser.

Le jeune homme n'était pas du genre susceptible, mais il n'était pas certain qu'aborder le sujet du cannibalisme de front était une bonne idée, surtout de si bon matin ; les descriptions morbides ne l'impressionneraient pas, mais il préférait que rien ne vienne briser la quiétude qui régnait dans son crâne depuis qu'il s'était réveillé. Il n'était pas non plus du genre à se mêler de ce qui ne le regardait pas, mais la tentation était forte, surtout sans les oreilles indiscrètes de Sugar toujours prompte à chercher les histoires d'horreur.

- Tu manges rien ? s'enquit-il en désignant sa tasse de café pour seul déjeuner.

- … je suis difficile, sourit Bartolomeo en la soulevant pour la porter à ses lèvres.

- Je peux y aller franco ?

Il écarta les bras en s'adossant plus confortablement dans sa chaise, signe d'ouverture momentanée qu'il pouvait saisir ; il mordit dans sa tartine, mâchant lentement en cherchant ses mots.
Une distraction de plus pour le détourner de ce qui commençait à parasiter ses pensées, ombre latente qui n'était que le reflet de son angoisse montante pour son voyage imminent.

- T'as vraiment mangé des gens… ?

- Je serais pas là si c'était pas le cas.

- … pourquoi t'as fait ça ?

- La question à un million, s'esclaffa-t-il en reposant sa tasse. Le Doc' a plus la réponse que moi.

- Il est pas dans ta tête.

Il songea à la Nouvelle-Orléans, aux projets de Law – décortiquer chaque recoin de son crâne et de ses pensées, tout ce qui pourrait lui en dire plus sur eux et qui lui échapperait, immanquablement.
L'idée de se retrouver passé au microscope lui déplaisait fortement.
Pire, même, elle lui laissait d'avance un arrière-goût désagréable en bouche, celui qui persistait quand la sensation d'impuissance s'attardait trop pour être si facilement balayé d'un revers de pensées.

- … mais je sais pas pourquoi je fais ça. C'est irrépressible.

- Genre, si tu le fais pas, il va arriver quoi ?

Bartolomeo haussa les épaules, désigna Lucci attablé devant son plateau, près de la baie vitrée, plongé dans un cérémonial que Luffy n'avait jamais remarqué jusqu'à présent – sûrement parce que l'interné avait pour habitude de déjeuner plus tôt que lui, en temps normal, limitant le nombre de fois où leurs chemins étaient susceptibles de se croiser.

Une série de gestes qui, momentanément, lui rappelèrent Zoro et sa manie d'aligner son matériel utilisé pour polir ses lames, Sabo et la petite habitude qu'il avait prise de ranger ses vêtements par couleur dans son dressing, mais dans une toute autre mesure ; plus décuplés, plus pressants, dans une répétition qui n'avait rien de naturel et qui, pourtant, semblait suivre un cheminement précis dont la logique échappait à ceux qui y assistaient.

- Il fait quoi, là ? marmonna Luffy en mordant à nouveau dans sa tartine.

- Ça s'appelle des gestes conjuratoires, soupira Bartolomeo en se balançant sur sa chaise, adossé à la poutre métallique, mains croisées derrière la tête dans une éternelle attitude nonchalante. Il peut pas s'en empêcher, et pourtant il peut pas prévoir ce qui va se passer s'il ne le fait pas.

- Tu te compares à lui ?

- Dans l'idée. On est arrivé en même temps à l'asile, je suis le mieux placé pour te dire qu'il a fait des progrès mais qu'il a encore ses « périodes », appuya-t-il en mimant une paire de guillemets.

- … il est là que pour ça ?

Ça lui paraissait beaucoup trop gros ; quel besoin d'enfermer quelqu'un à vie pour des fenêtres ouvertes et fermées sept fois et des couverts perpendiculaires au bol ?

- Nan. Meurtres, souligna son voisin en gardant ses yeux bruns rivés sur leur acolyte toujours aux prises de son incessante litanie.

Luffy eut du mal à déglutir, reporta une nouvelle fois son attention sur Lucci et son expression mortellement sérieuse, son air glacial et hautain qui n'était pas sans rappeler le psychiatre dans ses jours les moins patients.
Il n'était pas du genre à flancher ou se laisser impressionner par ce type d'information, sachant mieux que personne ce qu'il hébergeait dans sa tête, danger public ambulant lui-même, mais Lucci était du genre imprévisible ; le faux calme avant la tempête, similaire à Zoro et son recul légendaire au sein de la villa, difficile à faire plier mais irrémédiablement brisé une fois la ligne franchie. Le genre dont il préférait se méfier – Bartolomeo et son goût immodéré pour la chair humaine lui semblait être une alternative bien plus abordable.

- … bah dis, c'est joyeux.

- Ouais, tordant… tu sais c'est quoi le meilleur ? Il a dit au Doc' qu'il y a qu'en tuant des gens qu'il a pas de pensées morbides ou compulsives.

- Comme Pudding ?

- Il entend pas des voix, corrigea-t-il en secouant la tête. C'est juste que ça le soulage… 'fin, si c'était si simple, aucun de nous serait là, pas vrai ?

L'adolescent hocha la tête, fouillant son assiette du bout de sa fourchette pour la planter dans les tranches de bacon, qu'il s'efforçait de ne pas se représenter comme des lambeaux de chair qu'il serait contraint de porter à sa bouche ; la gorge nouée, il s'obligea à mâcher lentement, inspirant profondément sans détacher son regard de la table et de son plateau veiné, fixant son attention sur les circonvolutions du bois plutôt que sur la légère nausée qui le tiraillait en regardant ses œufs brouillés.

Un coup d'œil à la dérobée à Bartolomeo lui appris que son vis-à-vis semblait légèrement gêné, son air emprunté en disant long sur ce qu'il pensait – il avait un peu trop noirci le trait, pour lui qui était supposé avoir droit à quelques instants de détente avant le départ.

Les aiguilles, à l'horloge, semblaient le narguer alors qu'il se forçait à finir son assiette, avalant péniblement son jus de fruit en espérant chasser les trémolos de son ventre alors que la salle se vidait peu à peu de ses occupants, Bartolomeo le laissant seul à son tour après une tape sur l'épaule pour suivre Gladius, dans le silence clinique de la pièce d'ordinaire si peuplée. Il reconnut le pas d'Ace derrière lui, repoussa son plateau en s'essuyant la bouche d'un revers de poignet, cherchant à chasser le mal-être qui lui collait à la peau.

L'angoisse du trajet, rien de plus.

- C'est parti, tout le monde est prêt, murmura l'infirmier en replaçant la chaise derrière lui pendant que Penguin débarrassait la zone. Toujours partant ?

- … non.

- Ça se voit, t'es tout blanc. Suis-moi.

Il obéit, le cœur et les mains fébriles, lui emboîtant le pas jusqu'au couloir central, celui par lequel il était arrivé des semaines plus tôt et qui lui paraissait interminable, alors qu'ils se rapprochaient de l'extérieur ensoleillé ; il cligna des paupières, brièvement aveuglé, avant de le suivre en direction de l'arrière du bâtiment, devinant à l'avance qu'il ne passerait pas par la grande porte. Ils rejoignirent le couloir grillagé qui reliait l'entrée pour les marchandises au bâtiment de stockage, passant par l'ouverture en barreaux forgés surveillée par Shachi, prompt à refermer derrière eux à double tour – un coup d'œil suffit à Luffy pour évaluer la solidité de la structure qui n'avait rien de commun avec le grillage à poulailler qu'il s'était figuré de prime abord.

Il distingua, au loin, la forme d'un véhicule semblable au fourgon qui l'avait amené jusque-là, et ne fut pas surpris de sentir les premiers prémices de la réticence se manifester quand le sang quitta brusquement ses jambes, rendant sa démarche claudicante. La gorge sèche, il s'efforça de maintenir le rythme au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient, à portée des voix groupées autour du camion – il reconnut Law, assis sur le hayon arrière une carte sur les genoux, Bonney et Magellan debout à ses côtés en train de prendre des notes, arborant son éternel air concentré. Il se demanda ce qui pouvait bien lui passer par la tête, à cet instant ; ce qu'il pouvait échafauder comme plan, ce qu'il espérait en tirer sans y laisser de plumes. Ce qu'il s'efforçait d'anticiper, quand bien même il serait incapable d'avoir perpétuellement un coup d'avance sur Kid sur tous les plans.

- Ça va pas, toi, constata Bonney en haussant un sourcil entendu à son intention.

- … je suis pas fana des road trips dans les marais, murmura Luffy en croisant les bras pour masquer le tremblement de ses mains, pendant qu'Ace déposait son sac d'affaires près du véhicule.

- Ça va bien se passer, rétorqua Magellan en lui désignant la portière coulissante, à l'arrière, déjà ouverte et chargée de matériel médical. Pose-toi là.

Il frappa le lit métallique d'une claque sonore, faisant tressauter la desserte la plus proche – Luffy eut le temps de voir Law tressaillir et lever les yeux au ciel, exaspéré, avant de s'exécuter et de prendre place là où le géant le lui avait ordonné.

Il se laissa faire quand le chimiste retroussa sa manche pour inspecter son bras, enfilant une paire de gants avant de frictionner sa veine avec une compresse imbibée d'alcool – son regard croisa celui de Bonney, venue s'incruster à son tour pendant que le psychiatre et son adjoint s'affairaient à l'arrière du véhicule, et le sourire en coin qu'elle arborait suffit à lui faire oublier l'espace d'un instant la montée d'angoisse qui menaçait.

- On te pose un cathéter, ça sera plus simple pour le reste de la procédure.

- Beaucoup d'injections prévues au programme… ? ironisa-t-il en s'efforçant de ne pas regarder ce qui se passait devant lui.

- Ça dépend si tu es sage ou pas, s'esclaffa la jeune femme en lui donnant un léger coup d'épaule joueur.

- Bonney–

- On va te sédater pendant le voyage, murmura-t-elle.

- Histoire que je me tienne tranquille ? brava-t-il.

- Law pense que ton expérience précédente a laissé ses marques, et il préfère que tu te détendes. Ça va aller, OK ?

Il acquiesça, resta immobile quand l'aiguille transperça sa peau, préférant centrer son attention sur la voix de Law de l'autre côté de la cloison, occupé à établir le plan de bord avec Ace ; des noms de ville dont il ne savait rien, comme Port Sulphur et Davant, un passage à Belle Chasse sur la 23 et un trajet ininterrompu jusqu'au centre médical de la Nouvelle-Orléans, où un certain Marco attendait les instructions du psychiatre.

Luffy se demandait ce qui pouvait bien avoir poussé une tierce personne à avoir accepté de recevoir dans son établissement un danger public comme lui, mais il était possible que le secret soit bien gardé malgré le dispositif de sécurité qui semblait prévu au programme.

Le hayon grinça quand les deux hommes quittèrent leur poste, les chaussures vernies de Law claquant sur le bitume quand il contourna le fourgon pour rejoindre Magellan et enfin croiser son regard, dans un échange plus soutenu que celui qu'ils avaient déjà eu dans les sanitaires un peu plus tôt – le rapport de force avait changé, Luffy se sentant encore une fois écrasé par les yeux gris rivés sur lui avec une assurance qu'ils n'avaient pas, quand le psychiatre était en position vulnérable. Il rabaissa sa manche quand Magellan eut sécurisé le cathéter de quelques traits d'adhésifs, attendit que les deux collaborateurs aient quitté leur poste pendant une minute qui lui parut infiniment longue, dans le silence de l'habitacle que Law ne semblait pas pressé de briser, se contentant de le dévisager avec soin.

- … on part dans 3 minutes.

- Rien que vous et moi ?

- Rien que toi et moi, répéta-t-il. Et le chauffeur.

- C'est un peu léger, non… ?

- Si on est un connard arrogant incapable de suivre des consignes claires, oui. Si on est à ma place, non, soupira Law en récupérant leurs sacs pour les poser dans un coin avant de se hisser dans la cabine, attrapant la poignée pour tirer le battant et le fermer dans un claquement sec. Allonge-toi.

Luffy s'exécuta, aperçut Ace à travers la lucarne du fond, qui lui adressa un signe qu'il voulait certainement rassurant et qui lui arracha un sourire malgré sa nervosité, avant qu'il n'entende la portière avant s'ouvrir, de l'autre côté de la cloison, bruit accompagné du mouvement caractéristique causé par l'ajout d'un poids à l'avant.

- Qui conduit ?

- Un des gardes des miradors extérieurs. Et lui ne te laissera pas filer, quoi qu'il arrive.

Il le regarda s'affairer autour de lui, installer des perfuseurs près du talkie-walkie et de ses batteries de rechange, alors que s'élevait le bruit de la radio avant qu'il ne soit interrompu par le bruit du démarreur, dans un ronronnement désagréablement familier qui lui rappela le trajet depuis San Quentin. Law se pencha sur lui pour inspecter le cathéter, dépliant le tubulaire relié à la poche suspendue au-dessus de sa tête pour le connecter à son bras – Luffy sentit l'odeur prononcée de son shampoing et de son gel douche, un parfum de menthe qui le ramena dans la pièce saturée de vapeur où le psychiatre lui avait montré bien malgré lui une autre de ses facettes ; il leva les yeux, détaillant ses rides d'expression, son air concentré, ses cernes. Le fait qu'il faisait moins que son âge, malgré la fatigue qui semblait ne jamais le quitter.

- … qu'est-ce que tu as dans la tête ? murmura Law en ajustant la perfusion sans quitter son branchement du regard.

- Trop de trucs, chuchota-t-il en regardant le liquide progresser dans la lueur jusqu'à atteindre le cathéter, sentant sa fraîcheur se diffuser dans sa veine. C'est quoi ?

- Juste de quoi t'hydrater. Tu veux m'en parler ?

- … je pense surtout que c'est vous qui voudrez pas en parler.

Law esquissa un sourire en déballant une seringue, qu'il piqua dans un flacon pour en prélever quelques millilitres sous le regard de son patient.
Visiblement déjà bien conscient du sujet à aborder.

- … on se complait à penser que nos complexes de l'adolescence disparaissent avec l'âge… parce qu'ils s'en vont ou parce qu'on les accepte, concéda-t-il en croisant les jambes, délaissant momentanément la piqûre à venir pour affronter son regard désormais ancré au sien. C'est une part de mon travail ; vous faire vous accepter comme vous êtes. Mais l'adage… c'est que le cordonnier est toujours le plus mal chaussé.

- C'est quoi, exactement ?

- Un vitiligo. Stabilisé depuis quelques années, maintenant.

- … et vous l'assumez pas ?

- … pas autant que je le voudrais, sourit-il en retirant l'aiguille de la seringue, qu'il clipa au cathéter. On en reparlera, si tu veux en savoir plus.

Luffy hocha la tête, baissa les yeux sur son bras quand Law injecta le produit, qui lui sembla plus chaud, plus inconfortable ; il déglutit et reposa sa tête sur le tissu matelassé qui recouvrait le brancard, se laissant faire quand le psychiatre le sangla fermement, dépliant un plaid sur lui alors que la température de la cabine paraissait dangereusement chuter.

Sa vision s'étrécit, sensation qu'il s'efforça de chasser d'un clignement d'yeux, alors que Law le contemplait d'un air songeur qu'il ne sut pas interpréter avant de sombrer dans le noir.

Une obscurité sans rêve, dont il émergea quand un cahot de la route un peu trop prononcé agita la civière d'un grincement métallique ; il tourna la tête, groggy, chassant le brouillard laiteux qui ternissait sa vue, reconnut Law dans la structure clinique de la cabine, assis à côté de lui, plongé dans la lecture d'un livre. Ses yeux se posèrent sur lui, brièvement, avant qu'il ne rouvre la desserte pour en sortir l'anesthésiant – il entendit à peine sa voix lui indiquer qu'il restait un peu plus d'une heure de route avant de retourner dans son sommeil artificiel, avec pour seul repère la main glacée du psychiatre posée sur son front qui lui semblait brûlant de fièvre.

. . . . . . . . . .

La Nouvelle-Orléans.
13h30.

Le réveil définitif avait un goût amer, assez pour lui donner la nausée mais trop peu pour l'obliger à vomir ; la bouche sèche, il battit des paupières quand une lumière vive passa devant ses prunelles, voulut détourner la tête – à nouveau, il reconnut la fraîcheur de la paume de Law sur sa joue, dans un geste ferme mais précautionneux, le ton de son injection à émerger de la vase cotonneuse dans laquelle il baignait ; il tenta de se redresser, mais ses membres semblaient moins enclins à la coopération que lui à en juger son incapacité à se mouvoir ne serait-ce que d'un centimètre. Il tressaillit au son d'un raclement métallique, releva la tête et aperçut les sangles à ses poignets et ses chevilles, ancrées à la table qui le soutenait par des chaînes dont il ne se sentait pas d'éprouver la résistance.

- Tout va bien, chuchota Law au-dessus de lui, poussant la console dans le couloir dont les néons qui défilaient semblaient ne pas avoir de fin. Tu es avec moi, Luffy… ?

- … j'ai la gerbe–…, bredouilla-t-il en fermant les yeux pour ne plus voir les éclats de lumière crue se succéder au plafond.

- Une dose de Primperan, maintenant, ordonna le psychiatre à l'attention de quiconque devait se trouver autour d'eux. Et trouvez-moi Marco, j'ai un dernier debrief' avec lui avant de commencer la procédure.

- … bordel, le voyage vous a pas rendu aimable…

Il entendit son rire, derrière sa tête, plus proche du ricanement que de l'éclat franc, mais une amorce de détente réussie ; les yeux clos, loin des rayons lumineux qui semblaient vouloir s'imprimer à vie dans sa rétine, il était plus à même de réfléchir, percevant le brouhaha lointain qui régnait toujours dans un hôpital – une succession de plaintes, de bips sonores et de jargon médical – dans le bruit régulier de pas sur du linoléum tout autour de lui dans une escorte invisible mais pourtant bien présente : il était certain de pouvoir les voir s'il se donnait la peine d'ouvrir les yeux et de tourner la tête, mais l'idée d'affronter la blancheur clinique le fatiguait d'avance.

Luffy sentit le brancard bifurquer puis s'immobiliser, avant d'entendre le « ding » caractéristique d'un ascenseur dont les portes s'ouvrirent dans un bruit feutré ; ils s'y engouffrèrent, une poignée de secondes nécessaire à ce qui tout le monde rentre avant que les battants ne se referment. Il sentit la traction sur son tee-shirt, le froid humide de la compresse, grimaça quand une aiguille transperça son épaule dans un geste sec.

- Les intramusculaires ne sont jamais agréables, concéda Law, à voix basse, en le recouvrant. Mais dans deux minutes tu te sentiras mieux.

- On part tout de suite à la vivisection… ? soupira-t-il en s'obligeant à entrouvrir les paupières, distinguant difficilement les silhouettes debout autour du brancard, toutes habillées de noir.

- Acclimatation et déjeuner dans quinze minutes, si tu t'en sens capable. J'aimerais bien que tu avales quelque chose avant l'examen.

- … j'essayerai.

L'ascenseur s'immobilisa lentement, avant que ne reprenne leur progression dans un autre couloir, bien moins fréquenté à en juger le silence qui régnait entre les murs immaculés ; pour son escorte personnelle, Luffy dénombra quatre hommes armés, à en juger les automatiques visibles dans leurs holsters à chaque mouvement de veste, et au moins trois infirmiers qui le dévisageaient de coups d'œil curieux réguliers par-dessus leur épaule.

La bête de foire.

Il n'y échapperait pas, même dans un endroit aussi clos et sécurisé.

Il s'efforça d'ignorer leurs regards insistants et leva les yeux vers Law, apercevant son cou tatoué sous le sweat à capuche noir qu'il arborait sous sa blouse, son bouc taillé au cordeau, la tension de ses tendons sous sa peau – nerveux ou profondément concentré ?

Il se rappela les pans de peau blanche, les délimitations irrégulières qui parsemaient son épiderme, ne les retrouva pas et se demanda s'il les avait rêvées ; il ouvrit la bouche, se ravisa – ils n'étaient pas seuls et Luffy était quasiment sûr à cent pour cent que Law n'apprécierait pas de s'ouvrir de manière si intime devant autant de spectateurs. Il en était là de ses réflexions quand une nouvelle personne entra dans son champ de vision, arborant une chemise violette sous sa tenue médicale, contraste avec ses cheveux d'un blond saisissant sur un crâne presque intégralement rasé – le psychiatre comptait-il seulement au moins une personne conventionnelle dans son cercle de fréquentations ?

- C'est lui ton Freddy Krueger ? sourit-il en suivant le brancard, tendant le bras par-dessus pour serrer, à sa grande surprise, sa main emprisonnée dans son carcan de sangles. Marco, ravi de te rencontrer. Je suis le chef du service chirurgie. Tu nous as mis un beau capharnaüm aujourd'hui, tu sais… ?

- Ça le fait sortir de sa zone de confort, ne t'en fais pas pour lui, rétorqua Law à l'attention de son patient en empruntant un couloir traversant, aux murs menthe à l'eau.

Un vrai labyrinthe, dans lequel il n'avait aucun repère ; si Zoro ou Kid devaient avoir à sortir d'ici en urgence, ils n'auraient pas d'autre choix que de se fier à lui, ou de passer par la fenêtre la plus proche sans s'embarrasser de détails.

Il écarta l'idée que Kid n'était – officiellement d'après les carnets – toujours pas au courant de la date définitive de leur petit périple, et qu'il risquait de mal prendre le fait d'avoir été tenu à l'écart de tout ; Law avait voulu prendre le risque, et Luffy s'était mis la tête dans le sable pour ne pas avoir à y réfléchir plus longuement. Il n'avait pas non plus de nouvelles de Zoro, ignorait si les tentatives de Nojiko avaient porté leurs fruits ou étaient tombées dans l'oreille d'un sourd.

- Qu'est-ce que je devrais dire de toi, enfermé 24/7 au fond des marais, s'esclaffa son hôte en lui donnant un coup de stéthoscope joueur. La salle de pause est prête, déserte à souhait.

- … tu as faim ? s'enquit le psychiatre en baissant les yeux sur lui.

- Je pensais pas m'entendre dire ça un jour, mais pas tellement, non, marmonna Luffy.

- Changement de plan, on va direct à l'IRM, lança-t-il au dénommé Marco, qui leur fit signe de continuer dans le couloir.

Il eut droit à un autre défilé de couloirs et de néons, quelques minutes supplémentaires de répit pendant lesquelles sa nausée se dissipa avant qu'ils n'entrent dans une pièce bourdonnante, à la température bien en-deçà de ce à quoi il était habitué à l'asile ; la ventilation tournait à fond et il se demanda s'il était capable de supporter un tel bruit, ajouté à celui de l'IRM, pendant les heures à venir.

Law immobilisa le brancard à côté de la machine, fit signe aux infirmiers de s'approcher et s'affaira un instant sous la desserte, avant qu'il se soit happé et tiré sur la table dans un geste assuré, mille fois exécuté ; il inspira profondément quand le dénommé Marco cala des écouteurs dans ses oreilles avant de les recouvrir d'un casque, pour ensuite lui coincer la tête dans une cage aux bords capitonnés, bloquant sa nuque avant de lui sangler les épaules. La gorgée nouée, il déglutit et lorgna en direction de Law, occupé à sécuriser les attaches qui le jalonnaient pendant que d'autres le bardaient d'électrodes – il lui avait promis que la technique ne serait pas invasive, mais la partie la plus méfiante de son cerveau était incapable de s'empêcher d'évaluer toutes les possibilités qui s'offraient à eux, de la moins contraignante à la plus nocive.

- Vous allez pas me piquer avec un truc… ?

- Un produit de contraste ? Pas besoin, éluda le psychiatre en sortant sa lampe de poche pour examiner ses pupilles à travers le grillage. Bien installé ?

- J'ai connu mieux. C'est pas ma came d'être entravé comme ça.

- Le contraire m'aurait étonné, sourit-il. La table va rentrer dans le tube… c'est plutôt étroit et si tu te sens mal, dis-le moi avant que ça dégénère. Appuie là-dessus, ajouta-t-il avant de glisser un joystick entre ses doigts.

Il voulut acquiescer, s'en trouva physiquement incapable, se racla la gorge et confirma que le message était reçu ; Law le dévisagea une dernière fois et se détourna, traversant la salle en indiquant aux autres de dégager la place, passant dans la pièce attenante aux grandes baies vitrées avant de se délester de son sac à dos, d'où il sortit son ordinateur portable sous le regard pénétrant de Marco.
Il devinait ses questions avant même qu'il ne les ait formulées, mais s'abstint de tout commentaire – il avait eu le droit d'obtenir un quasi tête-à-tête avec son patient, la présence du chirurgien en plus, et n'allait pas se plaindre des conditions d'accueil de la clinique.

Magellan était déjà en ligne, à en juger la rapidité avec laquelle il prit l'appel, son visage cerné et maussade en plein écran dans la pénombre mauve de son laboratoire. Sa tête des mauvais jours, à laquelle Law était habitué depuis longtemps.

- Tu me reçois ? murmura-t-il en haussant un sourcil entendu en direction de la caméra.

- Cinq sur cinq, Boss. Il dort toujours ?

- Réveillé à temps. Jolie dose.

- On criera victoire quand tout votre bazar sera terminé, marmonna-t-il en chaussant ses lunettes.

Law sortit la pochette de cuir de son sac, où s'alignaient les seringues pré-dosées par son chimiste, tentant d'ignorer les yeux de Marco qu'il sentait perplexe sur sa nuque ; des quantités infimes, qu'il n'avait pas questionnées en les récupérant avant leur départ de l'asile.

- … qu'est-ce que c'est ? murmura le chirurgien en s'accroupissant près du bureau pour les observer de plus près.

- Du LSD.

- … tu rigoles ?

- J'en ai l'air ? rétorqua Law en étalant ses notes devant lui avant de sortir CD, livres et métronome du fond de son sac.

Il amena le micro de la salle à lui, coupa celui de l'ordinateur et fit signe à son collègue de garder le silence, avant de se tourner vers les vitres.

- Lève le pouce si tu m'entends, Luffy.

Son patient s'exécuta, Law fit signe à Marco de lancer la séquence ; la table se mut brièvement avant de glisser dans le ventre de la machine, qui sembla avaler la silhouette immobile – il ne lui connaissait pas de tendance claustrophobe, mais impossible de savoir ce qui risquait de se passer jusqu'au lendemain. Il n'était question que de spéculations, que Law ne souhaitait pas voir se réaliser.

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A bientôt, prenez soin de vous !