Ohayo mina !

Voici la suite du passage à la Nouvelle-Orléans ; on continue la petite plongée dans les projets de Law, même si les infos viennent toujours avec une lenteur d'escargot.
Ne me détestez pas.

Ce chapitre aurait dû être beaaaa[insérez ici énormément de 'a']aauuucoup plus long, mais j'ai préféré le scinder au bon (?) moment, pour faire durer un peu le suspens, quitte à en avoir un 3e un peu plus court... bref. Un peu de blabla scientifique dedans, n'oubliez pas : c'est une fiction...

Je ne vous embête pas plus, je vous souhaite une bonne lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 42 :

Jour 119. Chute.

La Nouvelle-Orléans.
14h15.

- … je m'attendais à ce que tu le bombardes de questions, marmonna Marco sans détacher son regard de la machine.

Le premier mot échangé depuis que la capture des images avait débuté, quelques minutes plus tôt, et qui fit regretter à Law ses pensées du moment sur l'avantage de travailler dans le silence ; se détournant des coupes affichées au PC, il fit pivoter son fauteuil dans la direction de son interlocuteur sans cesser de jouer de son stylo, geste parasite qui l'empêchait de perdre le fil au milieu de toutes ses idées.

- Je fais toujours un état des lieux avant d'abattre les murs. Pas toi ? soupira-t-il en croisant les jambes.

- … vu comme ça. Comment tu vas faire si tu peux pas l'entendre ?

- L'examen est en deux temps. D'abord l'injection associée aux stimuli, puis les questions. J'irai avec lui dans la pièce.

- Et si ça dégénère ?

Law tapota la seringue la plus éloignée des autres, au manchon noir – le chirurgien n'alla pas plus loin, parfaitement au fait de son contenu, reporta son attention sur l'adolescent toujours immobile. Il se contenta d'acquiescer quand il lui annonça qu'à un moment donné, Luffy refuserait sûrement de se confier en présence d'un étranger, lui signifiant par la même occasion qu'il serait bientôt de trop dans sa propre clinique.

Le psychiatre retourna à ses notes, fouillant d'une main dans les dossiers de son ordinateur pour lancer le défilement d'images sur l'écran présent dans la machine – les jambes de son patient bougèrent, l'espace d'une seconde.

- Pas de panique, murmura-t-il dans le micro. Tu n'as rien besoin de faire, contente-toi de regarder l'écran. Tu peux cligner des yeux à volonté.

Nouveau mouvement de pouce positif, avant que le bruit de la machine ne résonne à travers les cloisons pourtant insonorisées ; à en juger l'expression de Marco, il devait certainement s'attendre à quelque chose de bien plus exotique, mais Law réservait les parties les plus délicates à leurs moments de solitude. Pas besoin d'étaler la vie de Luffy au grand jour à une autre personne – aussi bienveillante soit-elle – déjà suffisamment déballée par les journalistes au fil des dernières semaines passées.

Il lorgna vers Magellan, penché sur ses cahiers et ses préparations, sûrement à l'affût de ses demandes mais trop occupé pour se contenter de fixer la caméra pendant des heures dans l'attente d'un ordre quelconque. À cette heure-ci, le déjeuner était sur le point de se finir, à l'asile, et il savait qu'il ne tarderait pas à avoir des nouvelles d'Ace sur l'avancement de la journée ; une manière détournée de lui prouver qu'il lui faisait toujours confiance en lui laissant la main en son absence, comme il en avait l'habitude.

- Tu lui balances quoi ? s'enquit Marco en se penchant par-dessus son épaule.

- 90% d'images random. Le reste est en rapport avec sa thérapie… je ne peux pas t'en dire plus.

- Quitte à ce que tu me laisses dans l'ignorance… je vais aller dévaliser le réfrigérateur, capitula-t-il en se levant de sa chaise, lui frappant l'épaule en passant. T'es dispo pour un verre, ce soir ?

- Trop de boulot, sourit le psychiatre sans lâcher Luffy du regard. Mais t'as pas besoin de moi pour te soûler, je me trompe… ?

Il ne prêta pas attention à ses marmonnements, attendit que la porte se soit refermée pour se pencher sur le micro, réfléchissant à ce qu'il allait dire avant d'actionner l'interrupteur.

- Luffy ?

Il repéra le mouvement du pied, sur la table, signe qu'il avait l'attention de son interné.

- Tu te rappelles ce qu'on a dit, il y a quelques jours, chuchota-t-il. Sur notre raison d'être ici.

Prendre des pincettes.

Ne brusquer personne et prendre le temps de considérer chaque alter, qu'ils soient ici de leur plein gré ou non.

Dire qu'il redoutait autant qu'il espérait la venue de Kid était un euphémisme – il était certain de ne pas avoir entièrement cerné toute cette personnalité dans son ensemble, là où il était sûr qu'elle offrait bien plus de subtilités que ce qu'elle laissait présager au premier abord.

- J'aimerais commencer par Zoro, si ça te va. Poursuivre par Nojiko, Kid idéalement, et finir par toi. Tu te sens prêt ?

Il n'obtint pas de réponse, cette fois, mais prit ce silence comme un assentiment ; réunissant ses affaires, il quitta son poste protégé derrière les baies vitrées et entra dans la zone d'imagerie, déposant tout sur la desserte installée près de la machine. Depuis sa position, Luffy ne pouvait pas le voir, mais il n'avait pas besoin d'un contact visuel pour cet examen : les images à l'écran étaient tout ce pour quoi ils étaient là ; le reste, il pouvait l'avoir à loisir dans son cabinet de l'asile.

Il régla le métronome, prit le livre de contes et le feuilleta, jusqu'à arriver à Hansel et Gretel – il se figurait déjà qu'à l'entente de l'histoire, Zoro ferait son possible pour ne pas se montrer, question de principe pour ne pas lui faciliter la tâche : après tout, il ignorait si Nojiko avait correctement délivré le message, et s'il lui était parvenu dans le laps de temps imparti. L'alter le plus protecteur pourrait très bien se cantonner à un refus d'obstacle. Il se racla la gorge et, de son portugais qu'il savait largement approximatif, se lança dans une nouvelle narration, espérant que les haut-parleurs fassent passer sa voix par-dessus les claquements de l'IRM.

Luffy savait parfaitement à quoi jouait son alter, mais préférait laisser couler plutôt que se battre contre des montagnes beaucoup trop grandes pour lui ; Nojiko lui avait déjà confirmé qu'elle n'avait eu aucune réponse, les laissant tous deux dans le flou le plus absolu et devant un parterre de possibilités, dont l'une serait la plus délicate : devoir gérer une alliance fragile mais coûteuse entre Zoro et Kid, décidés à s'évader une bonne fois pour toutes. Il n'eut pas à faire l'effort de chasser cette pensée, immédiatement distrait par le contact de la main froide de Law sur son poignet,et sa voix dans la machine lui annoncer qu'il allait avoir droit à une injection ; quand était-il entré dans la pièce... ?

- C'est quoi ?

- Quelque chose contre lequel aucun d'entre vous ne peut aller, murmura-t-il en nouant un garrot autour de son bras avant de frotter le creux de son coude à l'alcool. Détends-toi.

Il sentit le pincement de l'aiguille dans sa veine, le produit qui lui sembla terriblement chaud, sous sa peau déjà frissonnante ; il déglutit, s'efforça de respirer le plus normalement du monde quand le stéthoscope du psychiatre se promena sur des points précis de son torse, avant de fermer les yeux quand le bruit du métronome devint plus fort, couplé à la voix de Law qui l'exhortait à se laisser aller. Le bruit de son cœur lui semblait assourdissant, dans ses oreilles, alors que la sensation familière d'engourdissement qui accompagnait ses dissociations s'invitait dans ses extrémités – les fourmis gagnaient du terrain, mais pas aussi vite que d'ordinaire, alors que l'histoire se poursuivait et qu'il devenait difficile de ne pas penser à ces heures passées à l'orphelinat, à écouter les contes qui leur étaient dictés une fois tous dans leurs lits.

L'air frais de la pièce devint désagréable sur sa peau à présent perlée de sueur, alors que le bruit de la machine gagnait en intensité, ses claquements sourds et saccadés capturant toujours plus d'images ; il fût surpris d'entendre la voix de Magellan, trop hachée pour être naturelle – sûrement émise par le haut-parleur d'un téléphone ou d'un ordinateur : impossible de saisir autre chose que des bribes de phrases, qui n'avaient de sens que pour lui et son patron.

- … Law ? lança-t-il à travers sa cage, espérant être entendu dans le bruit de la machine.

- Je t'écoute.

- … je me sens pas seul, là, souffla-t-il.

- C'est normal. Ça va bientôt passer.

- … normal ?

- C'est une partie inconsciente de toi. N'y prête pas attention.

La table se mit en mouvement, le ramenant brièvement à la lumière crue des néons, loin de l'écran aux images incessantes et à la pénombre incertaine – il cligna des yeux quand Law se pencha sur lui, bref moment d'ombre avant que le faisceau d'une lampe ne le fasse grimacer.

- Pupilles dilatées, annonça-t-il au PC posé près de lui.

- Et la PA ?

- En hausse. Pouls à 120–

Le vertige, immédiat, ne lui laissa pas le temps de penser à ce qui allait se passer, avec ou sans lui – il n'y eut rien d'autre que le noir, bien plus prompt à le reléguer au second rang que d'ordinaire.

Zoro se tendit contre les sangles, faisant grincer la table malgré le bruit lancinant de l'IRM, mais Law s'efforça de ne pas y prêter attention, les yeux rivés sur les images que la machine lui faisait toujours parvenir – Magellan lui aussi penché sur les clichés que le psychiatre lui partageait en direct.

- Salut, Zoro, murmura-t-il sans lâcher l'ordinateur du regard. Bienvenue à la Nouvelle-Orléans.

- … que–

- Economise-toi, tu nous fais une belle dépression respiratoire, poursuivit-il en jaugeant la fréquence affichée à l'écran et les mouvements courts de son torse. Luffy va bien. Tu te sentiras mieux d'ici une minute ou deux.

Haletant, Zoro ferma les yeux, luttant contre le tournis et la nausée, qui n'étaient pas sans lui rappeler les lendemains de débauche de Kid et ses psychotropes trop forts pour que le gamin ne les supporte plus de quelques minutes ; il se sentait beaucoup trop mal pour esquisser le moindre signe de colère, à cet instant, ne pouvait pas prétendre ne pas savoir ce qui lui était réservé pour cette sortie – Nojiko lui avait fait passer le mot, à sa manière, en lui demandant de jouer le jeu et de laisser Kid hors de l'histoire, quitte à devoir en payer le prix au centuple une fois qu'il se rendrait compte de la supercherie.

- Comment t'as fait ton truc ? souffla-t-il en éprouvant les liens qui enserraient ses jambes.

- Chacun ses secrets, pas vrai… ? sourit Law en rapprochant sa chaise. Tu te sens d'humeur à coopérer ?

- Non.

- On va essayer quand même. Pourquoi tu n'as pas pris le relais juste après la balle ?

Pour une raison simple, que Zoro refusait de verbaliser – Nojiko n'avait jamais eu à gérer une situation comme celle-là ; avant son arrivée, c'était à lui de s'occuper de ce genre d'occurrence, de faire en sorte que Kid n'en profite pas et que Luffy n'en souffre pas, mais l'apparition de la quatrième personnalité avait bouleversé leur ordre depuis longtemps préétabli et rôdé.

La gamine avait paniqué, ni plus ni moins ; trop jeune, encore loin de s'affirmer malgré son rôle au sein du groupe, paralysée à l'idée de prendre la mauvaise décision.

Il devinait le regard de Law plus qu'il ne le voyait, depuis sa prison, mais s'obstinait à l'ignorer ; le souvenir du fiasco de l'asile était encore douloureusement frais et il se refusait de lui faciliter la tâche ne serait-ce qu'un instant.

- Rien ? Comme tu voudras. Votre cerveau parle à votre place, de toute manière, chuchota-t-il au milieu d'une série de cliquetis, avant qu'une autre séquence bruyante ne se lance. On va reparler de ce qu'il s'est passé à Alemão… j'ai du mal à me figurer toute votre enfance enfermés dans une maison de passe.

Zoro savait parfaitement sur quel terrain Law comptait l'emmener, à quel jeu le psychiatre se plaisait à jouer ; être cru, le brusquer, le pousser dans ses retranchements : tout à fait le genre d'attitude susceptible de faire sortir Kid de ses gonds, mais qui glissait sur lui comme l'eau sur les plumes d'un canard. Il lui en faudrait bien plus que ça pour le faire flancher, lui qui était le plus dur au mal et qui en avait beaucoup trop vu pour se laisser avoir par ces provocations.

S'aventurer là où la blessure était la plus profonde… l'alter savait parfaitement pourquoi il était là, à encaisser le trop-plein qui menaçait souvent de déborder, et ce qu'il adviendrait de lui quand tous les problèmes de Luffy seraient réglés ; ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne soit hors-course, et cet aspect-là était peut-être ce qui le dérangeait le plus, à bien y réfléchir.

- Vous avez passé beaucoup de temps ensemble avant l'orphelinat. Dans la rue, poursuivit Law en lançant un autre diaporama à l'écran, dans la machine. Des souvenirs spécifiques dans lesquels il n'y a pas la moindre mention de vos heures de captivité.

Zoro s'obligea à fixer l'affichage mouvant, dont les images défilaient beaucoup trop rapidement pour qu'il ait la chance de s'y attarder.

Il avait cessé de compter le nombre de fois où il était parvenu à filer entre les doigts de ceux chargés de garder un œil sur lui, et aussi cessé d'énumérer toutes celles où il s'était réveillé à nouveau enfermé dans la même pièce crasseuse à la lucarne minuscule, seule entrée de lumière entre les murs lézardés qui lui servaient de prison de fortune. Eternellement ramené dans son enfer personnel dont il était incapable de s'extraire.

Ce que Law appelait « beaucoup » était en réalité de brefs moments où il lui était possible de voir la lumière du soleil sans être pris dans une énième cavalcade, les instants trop rares d'une liberté trop chèrement acquise, à tenter de trouver son chemin dans la ville – le ventre creux et la tête vide, à vomir à chaque coin de rue entre deux pas titubants. Il apprendrait bien plus tard que ces désagréments lui étaient réservés, avec la première cuite de Kid et ses descentes trop rapides pour que Luffy les endure – Rio ne lui avait réservé que la honte, la faim et l'horrible sentiment d'impuissance qui accompagnait chacun de ses moments de lucidité. San Francisco n'avait pas effacé tout ce qui s'était passé, loin de là, mais lui avait donné l'occasion d'enfouir tous ses souvenirs hors de portée de Nojiko et de Luffy, de les garder à baie sans jamais s'en approcher : Monet n'avait pas réussi à mettre le doigt sur ce qui blessait le plus, dans leur groupe, et l'idée que Law joue de tels arguments le rendait malade.

- Tu n'as pas l'intention de coopérer, pas vrai ? soupira le psychiatre en lorgnant vers la machine.

Exactement ce que vociféraient ceux qui devaient parfois se mettre à plusieurs pour l'empêcher de bouger.

- … comme tu voudras. Je pense savoir pourquoi tu n'aimes pas le conte de Hansel et Gretel, murmura Law en multipliant ses captures d'écran.

Il serra les mâchoires, ferma les yeux et inspira profondément, tentant de faire fi de la carcasse qui l'entourait et dont les parois semblaient se rapprocher d'instant en instant, lentement mais sûrement, jusqu'à grignoter le moindre centimètre d'espace vital.

- Les parents les abandonnent dans la forêt. Les livrent à leur sort en sachant très bien ce qui va se passer. Et tu détestes ça parce que c'est ce que tu t'es figuré pour Luffy… tu n'as jamais connu ses parents et pourtant tu leur en veux, c'est un sentiment beaucoup plus fort que toi et tu refuses la moindre concession à ce sujet.

- …

- Les alters apparaissent avec des croyances. Des certitudes. Celle-là c'est la tienne et tu ne pourras pas t'en débarrasser, parce qu'au fond c'est tout ce que Luffy pense de ses parents. Il n'en garde aucun souvenir mais sa conviction passe au-dessus du reste, et toi c'est tout ce que tu as récupéré. Et c'est pour ça que tu es aussi dur avec toi-même, parce que toi aussi, à ta manière, tu l'as laissé tomber.

Pire qu'un couperet, la phrase sonna comme une sentence, le clouant sur place – non pas qu'il ait l'intention de répondre, mais ce constat lui sembla bien plus amer que d'ordinaire : la seule chose qui en restait à présent n'était rien d'autre que de la colère, mais qui ne lui fit pas perdre pied aussi vite que d'ordinaire, sa conscience refusant de lui échapper alors qu'il se bornait à vouloir fuir cet endroit beaucoup trop toxique pour eux.

Le cœur battant à tout rompre, il tenta vainement de se contorsionner pour apercevoir le psychiatre, toujours occupé à pianoter sur son ordinateur avec une nonchalance qui le rendait dingue.

- Pas la peine de te tortiller, Zoro, murmura-t-il en pivotant son siège vers lui, s'accroupissant à l'entrée du tunnel pour accrocher son regard. Tu n'iras nulle part tant que je ne te laisse pas partir.

- Qu'est-ce que–

Law se contenta d'agiter sa seringue vide avant de la reposer sur la table, se rasseyant confortablement en reportant son attention sur son ordinateur, sourd aux tentatives de son patient pour s'extraire de son carcan.

Il savait qu'il prenait des risques énormes, dans cette situation : le risque de se mettre plus à dos encore une partie du groupe, le risque de voir échouer son stratagème et de voir Kid ou Zoro détruire la machine à plusieurs millions gracieusement prêtée par Marco, le risque de définitivement fermer la porte que Luffy peinait à laisser entrouverte.

La camisole chimique aurait ses revers, Magellan avait été clair à ce sujet, mais c'était la seule option qu'il lui restait pour tenter de voir plus loin que ce que le groupe voulait bien lui montrer.

- Je ne peux pas te forcer à parler mais dans l'intérêt de tout le monde, je te conseille de coopérer. Plus vite tu passes à table, plus vite on en a terminé. Je n'ai pas l'intention de tourner autour du pot, je ne veux rien d'autre que des réponses. Deal ?

Zoro se terra dans son silence buté, décidé à garder la bouche fermée le plus longtemps possible – la seule chose sur laquelle il surpassait Kid ne lui serait d'aucune aide, puisque Law n'avait clairement pas l'intention d'user de la force avec eux, et il détestait la sensation d'être fait comme un rat, acculé dans son trou et impuissant.

Longtemps, rien ne vint briser la joute muette entre les deux hommes, d'indésirables minutes entrecoupées des bruits de la machine et du fredonnement ponctuel du psychiatre dont l'humeur ne semblait pas s'en ressentir. Il savait que sa patience serait bien plus limitée que la sienne, temps compté oblige, Law devant certainement rentabiliser sa présence entre ces murs, mais il ignorait combien de temps il aurait à tenir sa langue avant que cette mascarade ne cesse enfin.

S'il devait être honnête avec lui-même, il pourrait reconnaître avoir une démentielle envie de savoir comment le Doc s'y prenait pour empêcher leur changement, mais il préférait se couper la langue plutôt que d'avoir à lui demander quelque chose, surtout dans ces conditions où il était en position de faiblesse.

- Tu gagnes cette manche, capitula Law en se tournant vers lui, à en juger le mouvement de l'ombre à l'entrée de la machine – mettant enfin un terme à ces interminables instants d'immobilité. On se reverra à l'asile, j'espère que tu seras plus coopératif–

Il avisa son majeur levé, ne releva pas et retourna à son ordinateur, où Magellan affichait un air perplexe – Law s'efforça, lui, de ne pas monter sa déception, s'obligeant à ne pas songer à son trop-plein d'optimisme douché à l'eau glacée ; il avait beaucoup attendu des talents de persuasion de Nojiko, peut-être même mis la barre bien trop haut, mais digérer l'échec lui prendrait du temps ; Il savait pertinemment que Kid allait freiner des quatre fers et refuser le moindre instant de dialogue, mais il devait reconnaître qu'il attendait de Zoro un minimum de d'effort. La plus jeune alter avait semblé confiante, et il en était presque rendu à s'en vouloir d'avoir basé sa stratégie sur sa capacité à fédérer.

De toute évidence, à en juger l'activité cérébrale affichée par la machine, il n'y avait plus rien à tirer de cet alter obtus qui refusait le moindre échange.

Changeant la programmation des images à l'écran, il s'obligea à ne pas prier pour que le reste de la procédure se déroule sans encombre, refusant de s'abaisser à ce dernier recours quand il avait encore une chance de voir la situation s'améliorer.

. . . . . . . . . .

Luffy rouvrit les yeux dans un sursaut, tambour battant dans la poitrine – il reconnut les cheveux dorés du médecin qui les avait accueillis à leur arrivée, sans que son prénom ne lui revienne, identifia formellement le psychiatre penché sur lui mais pas les quatre infirmiers qui l'encadraient, dont l'un avait le visage rouge et les yeux exorbités.

- Lâche-le, murmura Law en tirant sur ses doigts verrouillés autour de la gorge de l'homme aux traits déformés par l'afflux de sang. Doucement, d'accord… ?

Tremblant, il relâcha sa prise, avisant son cathéter pendant au sol et les éclaboussures carmin – son sang à lui, à en juger l'état de son bras – sur le carrelage immaculé, la sangle arrachée et l'état pitoyable de la table sur laquelle il était toujours fixé, malgré l'angle bancal qu'elle arborait désormais.

Il ouvrit la bouche mais Law lui fit signe de garder le silence, dégrafant les attaches de la cage qui lui cerclait le crâne sous le regard suspicieux du personnel soignant.

- Fin de l'examen, annonça-t-il en soulevant son bras pour le remettre à son flanc, avant d'aider l'équipe à le tirer sur le brancard le plus proche. Marco, sécurise ses chevilles, s'il te plaît.

- J'ai… j'ai–

- Tu n'as rien fait, souligna le psychiatre en lui tapotant l'épaule. Ne t'en fais pas.

- On peut pas arrêter là, bredouilla-t-il en cherchant son regard. On peut encore–

- Je suis au bout de mes doses et ton corps est au bout de ce qu'il peut encaisser, le coupa Law en examinant l'homme au cou noir d'hématomes.

Il tourna la tête, rencontra le regard de l'autre médecin – Marco – et y lut tout ce qu'il avait toujours été habitué à voir dans les yeux des autres quand il était question de Kid et de ses frasques ; et avec ça, sa sempiternelle culpabilité et le flot de remords qui y était associé. Dire qu'il s'en voulait était un euphémisme, lui faisant instantanément regretter d'avoir accepté – il aurait dû savoir que cette idée mènerait au désastre, inutile d'avoir les détails pour savoir que Kid avait occupé ses instants de lucidité à tenter de s'échapper, quitte à payer le prix fort.

Luffy aurait aimé leur dire qu'il était désolé, mais il n'avait le courage ni de le formuler, ni de voir que personne ici n'en aurait quelque chose à faire ; il ravala ses excuses trop de fois avancées et épuisées et se contenta de fixer le plafond et ses lumières crues pendant que le reste de la pièce s'agitait autour de lui.

Il était certain que sa sensation de gâchis ne pouvait pas excéder celle que Law devait ressentir à cet instant ; il était trop tôt pour tirer des conclusions sur ce qu'il était finalement advenu de cette journée, mais il ne doutait pas un seul instant qu'elle ne s'était pas déroulée aussi bien qu'il l'espérait.

- Comment tu vois la suite ? s'enquit Marco en contemplant les dégâts sur la machine, hébété.

- Un bon devis pour mon secrétariat et quelques heures blanches cette nuit pour exploiter tout ça.

- … je te trouve vachement détendu, après ce qu'il s'est passé.

- Et moi je te trouvais un peu trop désinvolte à notre arrivée, rétorqua Law en rangeant ses affaires dans sa valise. Ça t'a donné une meilleure vue de ce que j'ai à gérer au quotidien, ou il t'en faut encore ?

Le médecin balaya l'idée d'un geste de la main – Law réprima l'envie de lui dire qu'il l'avait prévenu et fit signe aux infirmiers d'évacuer la zone, poussant lui-même le brancard hors de la pièce en tentant de faire fi des regards sceptiques braqués sur eux. Il entendit la voix de Luffy, à travers le crissement des roues sur le linoléum, lui demander où ils allaient avec une prudence qui lui ressemblait peu ; pas étonnant, à en juger le réveil en fanfare qu'il venait de se payer malgré lui.

- Il faut que tu manges.

- … on se fait un BK ?

- J'avais pensé à quelque chose de plus sain, mais si c'est ce qui te fait envie…

La phrase resta en suspens, mais Law savait qu'il n'avait pas besoin d'en dire plus ; Marco suivait toujours la cadence, les yeux rivés sur le groupe qui marchait à pas rapide dans les couloirs, visiblement bien plus nerveux qu'au moment de leur entrée dans le service. Pour sûr qu'il lui laissait un chantier phénoménal, mais il ne voulait pas courir le risque de voir Luffy chuter encore et laisser la place à Kid. Le gamin avait besoin de récupérer, et vite.

Le fourgon était de retour à sa place, hayon ouvert et gardiens en ligne, mains sur leur arme collée à la hanche ; il aida les infirmiers à pousser le lit entre les portes, s'assurant une dernière fois que l'adolescent était solidement harnaché avant de verrouiller les battants en lui faisant signe de patienter quelques minutes, tapotant le cadran de sa montre à travers la vitre arrière avant de reporter son attention sur son collègue toujours aussi perturbé, qui entra dans son espace vital trop rapidement pour qu'il ait le temps de réagir.

- Sérieux, c'était quoi ce bordel ?! s'exclama-t-il avant de se mettre à arpenter le bitume à grands renforts de gestes désordonnés, sa blouse suivant ses mouvements erratiques.

- Je me demandais quand tu allais enfin lâcher le morceau, soupira Law en fouillant son sweat pour en sortir son paquet de cigarettes.

- C'est ça ta définition du « Ça va bien se passer » ?!

- … j'ai connu pire, modéra le psychiatre en refermant son briquet dans un claquement sec, exhalant un panache de fumée qui sembla agacer Marco plus encore. Shachi a eu droit à une perforation de trois centimètres dans la gorge… je trouve que ton équipe s'en sort bien.

- Et on parle de ton pneumothorax… !?

Il lui arracha sa cigarette des doigts et la lança au loin, Law suivant son mégot des yeux avec une pointe de déception avant d'affronter à nouveau son regard, le soutenant sans ciller.

C'était son lot commun depuis des années – être sous-estimé puis détesté, pour des tas de raisons qui ne l'avaient jamais fait flancher ; il avait cessé de s'évertuer à prévenir ses hôtes ou ses détracteurs plus que de raison, préférant se cantonner au minimum syndical.

Pour sûr qu'avec son débarquement en urgence à la clinique au début de l'été, il avait imaginé que Marco se serait davantage figuré la menace que Luffy pouvait représenter pour quiconque, mais entre le savoir ou l'expérimenter, il y avait tout un monde : leurs équipes en avaient fait les frais à leurs dépens.

- Je te rappelle demain, tu as un boulot monstre qui t'attend et moi, j'ai une bombe à désamorcer.

- Je sais pas comment tu fais pour supporter ça à longueur de journée.

- L'habitude, rétorqua-t-il en reculant vers le fourgon, jetant un coup d'œil à l'intérieur avant de faire coulisser la portière sur le flanc et de monter dans l'habitacle.

Elle claqua derrière lui quand le chauffeur activa le verrouillage depuis son poste, avant que le véhicule ne démarre pour s'éloigner au pas dans la cour, Law dévisageant une dernière fois le staff médical en présence avant qu'ils ne franchissent les barrières, suivis par une poignée de voitures chargées de les escorter jusqu'à l'hôtel.

- … je m'attendais à un autre genre de comité, à la sortie, marmonna Luffy sans cesser de fixer le plafond.

- Pas à cette heure-là, il y a moins de monde dans les couloirs.

- … il est–

- Vingt-et-une heures, pour ta gouverne.

L'adolescent sembla accuser le coup – pour être honnête, lui non plus n'avait pas vu passer le temps, mais à la décharge de son patient, lui avait cessé de faire surface dès le début de l'après-midi. Il devait n'avoir aucune idée de ce qui s'était tramé entre les parois de la machine et Law en venait presque à redouter le moment où il aurait droit à un interrogatoire en règles – tout ce qu'il risquait de faire, c'était braquer le gamin, qui ne serait certainement pas prêt à entendre tout ce qu'il y avait à dire sur ses alters, notamment Zoro.

Le trajet, qu'il avait pourtant planifié le plus court possible, lui parut interminable malgré les maigres minutes qui les séparaient de leur destination, dans le silence tendu de la cabine – Luffy, trop fatigué et occupé à lutter contre un sommeil trop agité pour être réparateur, Law, trop pétri de doutes et de questions toujours en suspens. Ils finirent par se garer sur le parking du motel, plein à cette heure-ci, sous un néon aux couleurs vives qui rappela à Luffy ses vagues instants de lucidité entre deux trips de Kid en discothèque : les portes s'ouvrirent en grand et plusieurs hommes s'engouffrèrent dans l'ouverture pour se placer autour de lui, Law lui faisant signe de se tenir à carreaux pendant qu'il le désanglait de la table. Pas même le temps d'envisager la moindre sortie, à en juger les paires de main qui immobilisèrent chacun de ses membres avant de le soulever comme un fétu de paille pour l'emmener dans le corridor en lambris qui courait le long du bâtiment, jusqu'à une porte déjà ouverte où ils entrèrent pour l'asseoir manu militari dans le fauteuil le plus proche.

- Dans la consigne « En douceur », est-ce qu'il y a une subtilité qui vous aurait échappé ? siffla Law en attrapant un des exécutants par la veste.

- On a reçu des ord–

- J'emmerde Borsalino, c'est clair… ? Comptez pas sur moi pour l'empêcher de vous faire bouffer vos propres boyaux, martela-t-il en désignant l'adolescent, qui se contenta d'agiter la main en esquissant un sourire las.

Sans surprise, il eut droit à la même réaction nonchalante, décida de laisser couler, ayant bien mieux à faire pour le reste de la soirée ; il laissa tomber leurs sacs sur son lit, leur fit signe de sortir et ferma la porte derrière eux, tirant les rideaux au passage.

- … on est que tous les deux ?

- Ils sont cinq derrière la porte. Si c'est pour moi que tu t'inquiètes, ne perds pas ton temps.

- Pourquoi on est pas restés à la clinique ?

- J'ai mes raisons.

Luffy leva les yeux au ciel, éprouva la liberté de ses articulations de quelques mouvements de poignets, détaillant du regard la pièce où ils se trouvaient. Une entrée de gamme sans charme tout juste fonctionnelle, elle aussi prompte à lui remémorer les lendemains de beuverie de son alter le plus véhément, où Zoro baissait la garde une fois le pire passé.

Le psychiatre n'avait pas envie d'en dire plus à ce sujet mais il ne pouvait pas nier être intrigué, surtout en sachant à quel point toutes les actions du directeur de l'asile avaient un sens.

Law, pendant ce temps, avait ouvert son ordinateur qu'il avait déposé sur la planche en Formica qu'ils appelaient bureau, et s'était installé dans le second siège, pianotant sur son portable pour trouver de quoi remplir le trou noir qui siégeait à quelques mètres de lui – Zeff risquait de mal prendre le fait que le gamin se paye une exception en junk food, aussi ce sujet serait soigneusement évité à leur retour à l'asile.

- … j'ai encore des questions.

- Je t'écoute.

- Y'a qu'un lit.

Le psychiatre, cette fois, ne put réprimer son sourire, relevant le nez de son téléphone pour plonger son regard dans celui perplexe de son patient qui n'avait toujours pas bougé de là où il avait été déposé quelques instants plus tôt.

- C'est le tien. Le fauteuil m'ira très bien.

- … vous êtes suicidaire ?

- Je m'en remettrai.

- Je parle de vous. Avec moi. Dans la même pièce alors que vous dormez.

Il haussa les épaules, Luffy sembla plus décontenancé que jamais.

C'était un autre genre de test, qu'il comptait mettre en pratique de manière spontanée – qui risquait de lui coûter un peu plus que quelques bleus ou une côte cassée, mais Ace s'était contenté de lui dire qu'il en avait marre de l'empêcher de mourir chaque semaine.

Une manière pour lui de lui donner son assentiment, quand bien même il n'en avait pas besoin.

Il lui fit signe de s'approcher, l'adolescent hésita un bref instant avant de se lever, le rejoignant d'un pas incertain pour s'asseoir au bord du lit, regardant l'écran que Law lui désignait – des images colorées sur fond noir et blanc, qu'il était incapable d'interpréter.

- … c'est le test de Rorschach ?

- Ce sont les images de ton cerveau, s'esclaffa-t-il en les faisant défiler. Je me suis dit que ça t'intéresserait… je me trompe ?

- … non. C'est plutôt cool, admit-il en se penchant pour les observer. Ça représente quoi ?

- Les aires fonctionnelles. Tes réactions à tous les stimuli que tu as reçus.

- Et vous avez de quoi bosser, avec ça ?

- … surtout avec Nojiko et toi. Je n'ai pas grand-chose de Zoro… rien de Kid.

Il sentit son embarras, lui coula un regard en biais – Luffy fixait le sol sans le voir, sourcils froncés, dans une expression lisible malgré la fatigue qui tirait ses traits. Il donnerait cher pour avoir droit à d'autres images supplémentaires de ce moment, histoire de voir s'il était capable de savoir à quoi pensait le jeune homme en l'instant.

Il avait poussé le bouchon plus loin qu'il ne l'aurait dû, avec Zoro, il le savait ; là où le bât blessait, c'était sur son interaction quasi nulle avec Kid, incapable d'écouter la moindre parole sensée, fixé sur son unique pensée : s'évader, encore. Au point d'en devenir incontrôlable et de devoir mettre fin à l'expérience, qu'il ne pourrait jamais retenter demain – faute de matériel et d'une fenêtre de tir suffisante. Accepter l'idée que cet alter resterait fermé à toute tentative de rapprochement ou d'étude était difficile, un amer sentiment d'échec dont il n'avait jamais aimé le goût.

- Vous lui avez dit quoi, pour qu'il s'énerve comme ça ?

- … rien. Il a essayé de se faire la malle dès son arrivée. Pas très concluant.

- C'était qui, avant ?

- Nojiko. Pas le meilleur de mes choix… j'aurais dû procéder autrement.

À nouveau, le silence prenant entre les murs au papier peint douteux.

Law n'y voyait pas d'inconvénient, habitué au calme serein de son bureau désert hors des créneaux de thérapie, mais il était certain que Luffy détestait ces instants de flottement, trop terrifié par la solitude qui en découlait, même pour quelques insignifiantes petites minutes.

- … qui est le vrai moi ? murmura-t-il en triturant l'ourlet de son tee-shirt. Ce visage… à qui il appartient ?

- … tu n'es peut-être pas toi, concéda le directeur en se détournant de ses clichés pour chercher à établir un contact visuel, que l'adolescent lui refusa en gardant les yeux obstinément rivés sur le vieux tapis élimé. … tu es peut-être celui qui a été là le plus longtemps, mais il est probable que tu ne sois pas celui qui était là à l'origine.

- Quoi ?

La sentence était difficile à accuser, Law le savait ; Monet avait déjà eu affaire à ce genre d'annonces et de réactions, toujours délicates à gérer, même avec l'expérience – un patient ne faisant pas l'autre.

Luffy, malgré sa jeunesse et sa capacité à s'adapter, n'était pas différent de tous les autres.

- Tu es l'hôte. La personnalité qui gère les autres.

- Je croyais que c'était Nojiko qui avait le contrôle.

- Pas seulement. Si c'était si simple…

Il se leva pour rejoindre la fenêtre, écartant légèrement le rideau pour contempler l'extérieur, adressant un bref signe à quiconque devait se trouver là avant de revenir sur ses pas et de tirer le fauteuil pour le positionner face à lui, dans une configuration similaire à celle de son bureau à l'asile.

Lui le premier savait qu'il fallait des années de thérapie pour arriver à cerner le système d'un patient souffrant de dissociation, et que ce qu'il s'apprêtait à dire relevait de l'hypothèse, Luffy n'étant pas avec lui depuis assez longtemps pour lui permettre d'avoir un avis définitif sur la question.

- C'est toi qui encaisses le quotidien. Nojiko ne fait que l'attribution en fonction de la situation.

- Elle a pas toujours été là, comment est-ce qu'elle–

- Les rôles changent, Luffy. Tout le monde évolue, au cours de sa vie, et tes personnalités ne font pas exception.

- J'ai aucun rôle là-dedans, à part être l'emmerdeur de service pas fichu de faire quelque chose de ses dix doigts.

- Détrompe-toi. Ton poste consiste à gérer la vie de tous les jours, les problèmes, les tâches ingrates… c'est toi le dernier recours pour arranger les choses. Le mot que Kid t'a laissé en est la preuve.

Luffy balaya l'idée d'un geste agacé de la main, à la fois furieux et dépité à en juger son expression.

C'était là que Law trouvait ses limites en tant que psychiatre ; il était tenté de dire que l'adolescent était le cœur de leur système, la personnalité originelle venue au monde dans le corps qu'ils occupaient, mais rien n'était moins sûr. À dire vrai, Kid était là depuis si longtemps – Luffy n'ayant conservé aucun souvenir de ses années sans lui – qu'il était impossible pour Law de statuer sur qui était là en premier.
À en juger par ses persécutions répétées et son caractère, il pouvait sans se tromper affirmer que Kid n'était pas le premier habitant, mais ses certitudes s'arrêtaient là quand il était question de savoir si quelqu'un d'autre dormait au milieu du quatuor.

- On change de sujet… ? capitula-t-il en cherchant son regard.

- Et pour parler de quoi, hein… ? murmura Luffy en lorgnant dans sa direction à travers ses mèches brunes. On va pas disserter sur le temps qu'il fait ou sur la couleur du couvre-lit…

- À toi de me le dire.

Son patient secoua la tête, autant par ignorance que par désappointement ; difficile de pointer du doigt un problème sans avoir de solution à proposer, il le savait, mais il demeurait encore et toujours partagé entre son envie de coopérer ou de tout envoyer chier, comme Kid.

Il laissa son regard errer vers la télévision, soupira et la désigna d'un coup de menton, résigné.

- Franchement, je suis pas contre m'abrutir devant des images pendant que vous faites votre tri.

Sans sourciller, Law récupéra la télécommande posée sur la table de chevet et la lança dans sa direction, Luffy l'attrapant au vol avant d'allumer l'écran et de zapper, s'installant en tailleur sur le lit en cherchant le moindre programme susceptible de le laisser déposer son cerveau hors de sa boîte crânienne pour enfin espérer un semblant de repos.

- Le dîner sera là dans trente minutes, annonça le psychiatre en rangeant son portable dans sa poche. Tu vas tenir le coup ?

- J'ai pas vraiment le choix, admit-il en s'arrêtant sur une série quelconque dont il ne connaissait absolument rien. Et vous ?

- Pas vraiment faim.

Oh, la grande surprise.

Pas étonnant que Trafalgar Law soit si austère, si Luffy devait le juger à ses habitudes alimentaires ; aucune raison d'être agréable ou heureux avec le ventre vide à longueur de temps. Il se rappela les commentaires de Zeff, le fait que Law était un cauchemar à nourrir, se demanda s'il avait été toujours aussi difficile.
Quel genre d'enfant il avait été, quel adolescent il avait pu être, avant de devenir l'adulte beaucoup trop grave qu'il était maintenant.
Les lignes de Kid sur ce qu'il avait retenu de lui étaient assez édifiantes, malgré le peu qu'ils en savaient – Luffy n'était pas certain qu'être admis à la fac à tout juste douze ans était le meilleur cadeau que quelqu'un puisse se faire pour son développement personnel ; il savait qu'il était mal placé pour juger l'enfance de qui que ce soit, mais ça ne l'empêchait pas d'avoir un avis tranché sur celui supposé veiller sur lui ad vitam aeternam : ce type n'avait jamais été un gosse, à ses yeux déjà adulte une fois venu au monde.

Lorgnant dans sa direction par-dessus son épaule, il avisa le profil concentré du directeur de l'asile, son immobilité en-dehors de ses yeux qui n'avaient de cesse de balayer l'écran et les images qui y défilaient.
Il se sentait curieux, a minima, ignorant à quel point il pouvait se permettre de le déranger, que ce soit par le son de la télévision ou par les questions qui lui brûlaient la langue à son propos. Law dût sentir son regard sur lui, à en juger le coup d'œil en biais qu'il lui donna après quelques secondes de suspens.

- … je t'écoute.

- C'est vrai qu'il faut s'auto-analyser pour devenir psy ?

- Absolument pas, soupira-t-il.

- Personne vous a obligé à creuser là-dedans, alors… ?

Law le regarda désigner sa tête d'un vague geste du menton, esquissa un sourire.
Exactement le chemin sur lequel Monet avait tenté de l'emmener, sans succès – il n'avait jamais mordu à l'hameçon, bien trop prompt à se dégager avant de se faire prendre.

- Certains ont essayé.

- Ils ont fait chou blanc ?

- … on ne va nulle part si le patient refuse de parler, tu le sais aussi bien que moi.

- Vous vous confiez jamais ? À personne ? s'étonna l'adolescent.

Il secoua la tête, s'efforça d'ignorer le souvenir de son père et de ses tentatives de le faire parler durant les courtes semaines qui avaient précédé son départ pour l'Angleterre ; le souvenir de ses soirées mutiques, où même Lami ne parvenait pas à lui arracher le moindre mot et où Doflamingo, lassé, renonçait à ses essais systématiquement infructueux.

Il avait, déjà à cette époque, la tête suffisamment dure pour refuser d'y faire rentrer quoique ce soit d'indésirable, dressant petit à petit son mur entre lui et le reste du monde, rang par rang, jusqu'à se couper de tout ce qui sapait ses ambitions et sa quête personnelle, laissant ses attaches en chemin – la seule qu'il ne parvenait pas à sectionner étant celle qui le reliait à sa jumelle.

- … triste.

- Tu n'es pas trop du genre à t'épancher non plus, souligna le psychiatre en s'adossant plus confortablement à sa chaise.

- Ouais mais moi, on est quatre à se battre pour avoir le droit de jouer au même jeu, rétorqua Luffy dans un haussement de sourcil. C'est pas votre cas, j'espère ?

- Tout va bien, merci de demander, railla-t-il. Et je te trouve bien bavard pour quelqu'un qui n'avait pas envie d'aborder les sujets fâcheux…

- C'est la télé, j'ai pas pu résister, marmonna l'adolescent en reportant son attention sur le programme en fond. Ace il met souvent des chaînes en russe, quand il se fait trop chambrer dans la salle commune–

Des coups résonnèrent à la porte, le coupant dans son récit – Law s'extirpa de son assise pour aller ouvrir, récupérant le sac en kraft qu'on lui tendait avant de tout verrouiller à nouveau : rien qui ne pourrait arrêter Kid bien longtemps, mais juste ce qu'il fallait pour que ceux présents de l'autre côté de la paroi aient le temps de lui préparer un accueil sur mesure.
C'était pourtant une occasion en or, loin de l'asile et de ses règles trop strictes pour être brisées, mais Luffy savait qu'il n'aurait pas les cojones pour ça.
Le psychiatre lui tendit le plus gros des deux paquets, dont il huma le contenu comme s'il s'était agi d'un plat trois étoiles avant d'attaquer son premier burger, avisant Law et son gobelet fumant avec dépit.

- Un café comme dîner ? marmotta-t-il la bouche pleine.

- J'ai l'habitude, éluda Law en en prenant une gorgée, les yeux à nouveau rivés sur ses images. Mange.

- J'ai l'air d'être en train de compter les pâquerettes ? rétorqua l'intéressé en mordant de plus belle dans son sandwich.

Law se contenta d'un bref sourire en coin, contempla les captures d'écran dont la netteté irréprochable lui laissait le loisir de décortiquer à l'envi le contenu du cerveau de son patient ; il n'eut pas le répit qu'il espérait, cependant, rien qu'à en juger le bruit du lit accompagné par un mouvement dans sa vision périphérique : Luffy s'était rapproché et regardait lui aussi les résultats, ses yeux bruns allant et venant d'un cliché à l'autre avec un intérêt détaché qui ne trompait personne.

Son attitude lui rappelait Lami, penchée par-dessus son épaule dans une pose faussement nonchalante qui trahissait son besoin d'attention, similaire à ce qu'elle faisait déjà étant enfant, quand il passait – trop à son goût – des heures absorbé par ses bouquins sans lui accorder ce qu'elle ne savait pas demander : son temps.
Et bien qu'ils n'aient rien de comparable, il était incapable de résister au fait de leur accorder un peu de ces minutes précieuses et comptées.

- Je suis tout ouïe, souligna-t-il après un instant de flottement.

- C'était quoi, votre truc avec l'écran dans la machine ?

- Des images subliminales.

- … c'est-à-dire ?

- Des images que je fais apparaître moins de trente-trois millisecondes. Tu ne le vois pas, mais ton cerveau oui.

Il tendit le bras, tapota l'écran du bout du doigt pour lui désigner les tâches de couleur au milieu des séquences.

- Ça c'est ton amygdale.

- C'est pas dans la gorge, ça ?

- … pas celle-là, non, s'esclaffa le psychiatre. Ce qu'on voit, c'est sa réponse au stimulus. Cette série est prise quand c'est encore toi dans l'IRM.

- Et vous voyez quoi, là-dessus ?

- … que Zoro n'est pas loin.

- Pourquoi ?

Law marqua un temps d'hésitation, s'efforça de garder le regard sur son ordinateur pour conserver un minimum de concentration – ce n'était ni l'endroit ni le moment de lui déballer les raisons d'être de son alter le plus protecteur, mais mentir ne lui servirait pas ; prendre le risque de briser la quiétude qui régnait dans cette pièce pour la transformer en purgatoire personnel pour Monkey D. Luffy n'en valait pas la chandelle.

- … parce que je vois que ton cortex préfrontal ne réagit pas à ce que j'envoie. C'est ton amygdale qui le court-circuite et qui l'empêche de réfléchir à ce qui se passe devant ton nez, donc ne lui laisse pas le temps de réagir et de trouver une solution à ce qui se passe.

- C'est ça qui fait venir Zoro… ?

- Basiquement… ? Oui. C'est prendre un gros raccourci, mais c'est le départ du processus d'altération de ta personnalité.

- Comment ça marche ?

- … sécrétion d'acides plus ou moins forte selon le degré de dissociation. Entre autres.

Il se tourna vers lui, affrontant enfin l'expression perplexe qu'il arborait en détaillant les illustrations colorées.
Il se détestait d'hésiter à ce point.
De repousser l'échéance jour après jour.

Il savait que Luffy ne serait jamais prêt et qu'il n'y aurait jamais d'instants propices, quand bien même il avait conscience d'avoir reculé à pas de géant dans le niveau de confiance que le gamin lui accordait ; en remettre une couche alors qu'il se remettait tout juste de l'incident du toit serait imprudent, mais il ne pouvait pas attendre éternellement. La thérapie ne serait, de toute façon, qu'un long chemin semé d'embûches, qu'il serait intelligent d'emprunter au plus tôt au lieu de se voiler la face et d'avancer à tâtons dans le noir.

Oh, il savait aussi que son hésitation n'avait rien à voir avec un pur altruisme dont il était parfaitement dénué – l'ordonnance de soin par le juge était on ne peut plus claire, mais la partie la plus sournoise de sa tête n'avait absolument aucune envie d'obtempérer : non, ce qu'il voulait, c'était garder la lame sous le microscope et l'observer jusqu'à se brûler les yeux, beaucoup trop fasciné par ce qu'il avait à sa portée pour oser l'altérer.

Il ouvrit la bouche mais n'eut pas le temps de prononcer le moindre mot, coupé en plein élan par l'annonce télévisée qui venait de lâcher le nom de Shanks, attirant aussitôt l'attention de Luffy sur le vieux tube cathodique grésillant. Le présentateur annonçait l'avancement du procès au Sénat et les résultats du vote à venir concernant la destitution du Gouverneur par la Chambre des Représentants – bouchée bée, Luffy repoussa son repas pour se rapprocher de l'écran, sidéré.

Son père, potentiellement bientôt démis de ses fonctions à cause de lui : l'idée l'horrifiait et lui donnait la nausée.

Il était incapable d'exprimer ce qu'il ressentait, à cet instant – un mélange de peur, de honte, tout autant de sentiments qu'il rejetait en bloc, beaucoup trop forts pour lui. Il sentit la main de Law sur son épaule, un geste semblable à celui qu'Ace pouvait avoir ; pas aussi réconfortant, mais avec le mérite de le raccrocher à un semblant de réalité.

- … dites-moi que je rêve, murmura-t-il en assistant, impuissant, aux échanges des politicologues s'invectivant autour de la table du journal télévisé.

- … désolé, Luffy.

- C'est quand mon prochain coup de fil avec lui… ?

- Mardi prochain.

- … et c'est quand, les résultats ?

Law marqua un silence, Luffy leva la tête pour tenter de jauger son expression, n'y vit rien d'autre qu'une parfaite neutralité.

- Difficile à dire… le procès a commencé mardi, la fin ne devrait plus tarder. Le vote est plus rapide.

- Vous pensez qu'ils font le virer ?

- Aucune idée, Luffy. Mon père n'a jamais eu ce genre de problèmes.

Doflamingo tirait beaucoup trop de ficelles pour avoir la moindre chance d'être inquiété, peu importe le sujet ; Law l'avait toujours connu ainsi : une façade de tyran qui ne souffrait aucune opposition, aucun imprévu, et qui ne supportait pas de voir quiconque se mettre en travers de son chemin.

Il savait, de par ses propres souvenirs, que son père n'avait pas toujours été l'homme que tout le monde dépeignait depuis ces dernières années ; qu'il avait eu ses instants de faiblesse, avant de s'endurcir au-delà du raisonnable, comme lui. Des instants qu'il avait souhaité enterrer loin de la surface, pour ne pas prendre le risque de les affronter un jour.

- Vous êtes proche de lui ?

La question à un million de dollars.

- Non. Oui. Je ne sais pas… je l'ai été, peut-être. J'étais plutôt accroché à ma mère, avoua-t-il en s'asseyant, lentement, à ses côtés au bord du lit, face à la télévision et les informations qu'elle crachait sans jamais marquer de halte.

- Elle vous manque ?

- … ça dépend des jours, soupira le psychiatre appuyant son menton sur ses mains croisées, coudes sur les genoux. Souvent, oui.

- Je sais pas comment vous avez fait pour tenir jusque-là. Je supporterais pas de perdre mon père, ajouta Luffy après un silence, baissant les yeux sur son plat refroidissant.

Supporter n'était pas une option, à dire vrai, mais ce n'était certainement pas ce que son patient voudrait entendre ; Law avait eu le choix entre baisser les bras ou survivre, une décision qui – avec du recul – n'en était pas vraiment une, mais qui lui avait paru évidente quand il avait eu à se décider. Luffy, à sa manière, avait aussi fait son choix : en refusant en bloc ce qui lui arrivait et en laissant ses alters faire ce pour quoi ils seraient bien meilleurs que lui, sur l'instant.

- Perdre son titre fera toujours de lui un père… ça ne l'empêchera pas de vous aimer autant.

- … c'est ma faute. Il aurait le droit de me détester, et pourtant il–

- Tu te tortures beaucoup trop.

- …

- Il n'y a pas que ça, n'est-ce pas ? devina-t-il en cherchant son regard.

Son patient marqua un temps d'hésitation, se redressa en délaissant la boîte de son burger sur le tapis défraîchi et quitta sa position prostrée pour sillonner la chambre à pas lents, mains dans les poches de son pantalon, tête baissée – la fuite dans toute sa splendeur, mais seulement pour un bref instant ; assez pour prendre du recul sur la situation, lui tourner le dos, mettant une barrière invisible entre eux.

Typiquement l'attitude qu'Ace ou Shachi adoptaient quand il était temps pour eux de passer à confesse, lui-même n'ayant jamais été un grand adepte du frontal quand était venu le temps de défier son père.

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À bientôt !