Ohayo mina !

Désolée, le chapitre était prévu le 08-sep-2023 mais je n'avais plus accès au 'Doc Manager'... apparemment, je n'ai pas réussi à convaincre le bot que j'étais humaine :)
Ayant réussi à prouver ma natalité terrienne et mon statut d'homo sapiens, je vous livre le chapitre un jeudi, et le prochain est prévu mi-octobre ; j'ai bien l'intention de finir cette purge avant fin 2023, pour que vous ne mourriez pas de vieillesse avant de voir le dénouement.

Allez, on attaque la dernière ligne droite de l'histoire, accrochez-vous...!

Je vous souhaite une bonne rentrée, une tout aussi bonne lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 44 :

Jour 123. Règlement.

Louisiane, près d'Ostrica. Salle comune.
13h45.

Zoro fut arraché à sa sieste par le grincement caractéristique de la chaise roulante de Shakky, bruit qu'il reconnaissait entre mille et qui ne pouvait être confondu avec le sifflement de la desserte de Magellan ou l'empilement de paniers de Tashigi pour la blanchisserie ; il ouvrit un œil et lorgna dans la direction de la double-porte la plus proche, que le fauteuil franchissait à l'instant, poussé par Ace qui sifflotait un quelconque air qu'il ne saurait pas identifier.

Il les suivit des yeux, les regarda slalomer entre les tables et se rendre à la véranda, comme toujours déserte à cette heure-ci – il attendit une poignée de secondes, juste ce qu'il fallait pour que tout le monde retourne au contenu de son bol, et se leva pour les rejoindre avec pour idée d'occuper son temps de manière plus constructive que ce qu'il avait initialement prévu. Ace le regarda approcher avec prudence, ses yeux noirs rivés sur lui avec une vigilance accrue, rappelant à Zoro que leur dernière entrevue datait de ces quelques minutes de conscience qui avaient précédé l'anesthésie au bloc opératoire de la clinique, cet instant où leurs regards s'étaient affrontés et où tous les deux savaient très bien ce qu'il en était.

Luffy lui avait confié ne pas être dupe sur ce qui était arrivé, sur l'inexorable pente vertigineuse qui avait conduit Kid à prendre une décision égoïste et digne de la tête brûlée qu'il avait toujours été, sans se soucier des conséquences ; sur le fait qu'Ace avait été contraint d'exécuter un ordre, quand bien même il le désapprouvait. À être sincère, l'alter se fichait pas mal des états d'âmes de leurs geôliers et de leurs décisions réfléchies ou hasardeuses, pour l'unique raison que le résultat était le même : Luffy était la limite à ne pas franchir et elle avait été littéralement explosée, ce matin-là, bafouée au-delà de ce qui lui était possible d'admettre.

L'échange couché sur le papier avait été houleux, ses doigts tremblants crispés sur le crayon témoins de son incapacité à prendre du recul sur la situation ; le gamin lui avait demandé de faire abstraction de sa colère et de sa rancœur et il avait fini par s'exécuter, sans surprise – parce qu'il était toujours trop prompt à céder quand il était question de celui qu'il se faisait un devoir de protéger, coûte que coûte.

Pour sûr qu'Ace, à cet instant, devait se demander à quelle sauce il allait se faire bouffer ; discrètement ou dans un esclandre sans pareil, similaire à ce que l'asile avait déjà vécu quelques semaines auparavant ? Zoro n'était pas spécialement un inconditionnel des démonstrations publiques, mais il était prêt à faire une exception pour ce cas-là.

Il poussa le loquet de la véranda et laissa glisser la baie vitrée sur ses rails dans un bruit feutré, qu'il referma derrière lui une fois le seuil franchi sans que Shakky ne réagisse à sa présence ; il chercha son regard derrière sa frange brune et ne trouva que deux billes de verre éteintes, parties trop loin pour espérer pouvoir interagir avec la réalité qui continuait son rythme sans elle.

Encore absente, tout comme la dernière fois qu'il avait eu l'occasion de la voir, réduisant à peau de chagrin les moments où ils étaient susceptibles d'esquisser un semblant de conversation.

Zoro pensa, encore une fois, au petit sourire en coin qu'arborait Ace quand il était question de discuter de Shakky ; il se demanda si l'infirmier affichait le même air avec Luffy, ou encore ce crétin de Kid, mais les lignes des cahiers n'en donnaient pas l'impression. L'infirmier lui lança une œillade hésitante, hocha la tête à son intention, signe de politesse auquel Zoro répondit en miroir ; il le regarda verrouiller les roues du fauteuil, le contourner et s'accroupir devant sa patiente pour jauger, sûrement une fois de plus, de l'étendue de son absence de réaction – dans un soupir, il se redressa, retrouva sa place derrière elle et sortit une brosse de sa poche, entreprenant de la coiffer sous l'œil perplexe de Zoro. Ace avisa son air décontenancé, esquissa un sourire que l'alter qualifierait de mélancolique avant de reporter son attention sur son travail, ses doigts glissants délicatement dans ses mèches de cheveux.

- … tu te demandes ce que je fais… ?

- C'est l'idée.

- Rayleigh sera là à 14h pour les visites, murmura l'infirmier en démêlant délicatement son carré noir. Shakky met toujours un point d'honneur à se faire belle et ça ne lui plaira pas si elle pense qu'elle n'est pas à la hauteur… alors je ne déroge pas à la règle.

- Elle est consciente ?

- De ce qu'il se passe ? Pas vraiment. Difficile à dire, concéda-t-il en soutenant son regard rivé sur lui. Elle n'en a pas de souvenir précis, alors je suppose qu'elle n'est pas à 100% avec nous.

Zoro tira vers lui un des tabourets laissés près du guéridon le plus proche pour s'y asseoir, contemplant la femme immobile et prostrée dont le profil inanimé lui semblait soudain totalement étranger ; il se surprit à laisser échapper, dans un murmure, qu'il préfèrerait en finir plutôt que de subir une vie pareille, s'il était à sa place.

Ace ne releva pas, se contenta de hocher la tête d'un air absent, et l'alter se demanda à quoi il pouvait bien penser, à cet instant : d'accord avec son idée, ou simplement en train d'enregistrer l'information ? Impossible de le savoir pour le moment.

Il rajusta délicatement les manches du chemisier qu'elle portait, lissant les quelques plis qui subsistaient malgré le repassage – Ace ne dit rien mais il sentit, néanmoins, son regard sur lui alors qu'il s'affairait à replier le plaid posé sur ses genoux.

- Tu veux prendre le relais ? proposa l'infirmier en lui tendant la brosse, sourcil haussé.

- Vous en avez déjà marre ?

- J'ai ses ongles à faire. Mais je te laisse gérer la manucure si tu veux.

Zoro leva les yeux au ciel, se redressa et lui prit la brosse des mains, prenant sa place derrière la chaise avant de soulever une mèche entre ses doigts, en éprouvant la texture si différente de celle qu'il avait l'habitude de sentir chez lui. Dire qu'il se sentait hésitant serait un euphémisme ; il n'y avait que Nojiko et Kid pour passer du temps dans la salle de bain, là où Luffy et lui n'y passaient qu'en coup de vent pour un brossage de dents réglementaire et le coup de peigne minimum pour ne pas avoir l'air de s'être levé à l'instant. Il n'était pas à l'aise avec toutes ces habitudes et ces heures d'apprêtage dont il ne voyait que l'intérêt limité, en ce qui le concernait.

Incertain, il poursuivit la tâche engagée par l'infirmier, qui portait sa concentration sur ses mains dépourvues du moindre mouvement, là où Zoro était habitué à voir tressautements et gestes désordonnés.

- La situation avec Luffy…, lança Ace en limant les ongles de sa patiente immobile. … elle te convient ? C'était quoi votre projet si vous ne vous étiez pas fait prendre ?

- On a pas tous la même vision de l'avenir. Kid pense sur le court terme, chiant à prendre en compte quand il faut se projeter mais pratique pour gérer les cahots. En théorie, ajouta-t-il après un silence qu'il jugeait lui-même dépité. Luffy et Nojiko… sont plutôt sur le long terme.

- C'a ses bons et ses mauvais côtés aussi, je présume… ?

- Ils anticipent tout. Et comme ils peuvent pas tout contrôler non plus… ils supportent mal l'imprévu. C'est pour ça que je suis là… dans une certaine mesure.

Il laissa passer un temps, pendant lequel Ace resta silencieux, sûrement conscient que son patient n'avait pas terminé son analyse ; Zoro était mitigé sur le comportement à adopter, là, pendant cette confession hors du bureau du psychiatre, dans un cadre beaucoup plus décontracté et anodin auquel il avait du mal à attribuer une intention.

- Ils ont des rêves plein la tête, les deux, là, soupira-t-il. Même si Luffy est de plus en plus pessimiste avec les années, y'a rien qui puisse l'empêcher de rêver… De voir plus loin.

- Tu parles de rêve… un en particulier qui te vient à l'esprit ?

- Commun ? Non, s'esclaffa Zoro en tressant négligemment quelques brins de cheveux entre ses doigts. C'est surtout le but de Luffy qui nous pousse vers l'avant, avec Nojiko. Pouvoir… être en paix avec nous tous. Continuer à faire des concessions et avancer. Mais ça c'était sans l'asile. Avant tout ce bordel.

Ace sembla méditer là-dessus, silencieux, son attention entièrement portée sur les ongles polis de noir de Shakky ; Zoro songea, encore une fois, à la vie que tous les infirmiers avaient dû abandonner derrière eux, à ces existences laissées en suspens, similaires à la leur et dont il n'y avait sûrement plus rien à tirer. Il ignorait quoi penser de cette organisation, des décisions prises par le psychiatre et de ce qui en découlait au quotidien, des concessions que le directeur était amené à faire et qui avaient toutes un impact sur le système mis en place ; un fonctionnement semblable à celui auquel le quatuor se pliait bon gré mal gré, chacun devant être apte à tenir son poste peu importe les débordements et les catastrophes. Nojiko maîtrisait encore mal cet aspect de la question, quand bien même elle était le moteur du groupe capable de faire fi de Luffy.

- OK pour toi et Nojiko. Vous suivez le cours de l'eau…, conclut Ace en soufflant doucement sur les ongles de Shakky. Je suppose que Kid ne se plie pas à la règle ?

- Pas vraiment.

- Pourquoi est-ce qu'il ne suit pas le groupe ?

- Trop compliqué à expliquer.

- Essaye, suggéra l'infirmier en haussant un sourcil interrogateur.

L'alter taciturne secoua la tête, en une dénégation nette qui ne laissait place à aucune négociation ; au-delà de ne pas pouvoir mettre de mots sur ce qui définissait profondément les personnalités, Zoro était persuadé – pas par suffisance, mais en connaissance de cause – que personne ne pourrait comprendre la subtilité de ce qui les unissait ou les éloignait les uns des autres.

Parler en son nom étant une chose, dévoiler ce qui pouvait se passer dans la tête de Kid en était une autre, et il n'était pas sûr d'être le mieux placé pour se plier à une tâche pareille. Les sentiments n'étaient pas son domaine de prédilection, sa raison d'être étant purement mécanique, et s'autoriser à disserter sur le sujet lui semblait déplacé.

Zoro perçut, du coin de l'œil, un mouvement à l'extérieur de la véranda : l'arrivée de Law dans la salle commune, venu visiblement chercher un des patients pour une séance de thérapie ; Pudding referma le livre de cuisine dans lequel elle était plongée et se leva sans se départir de son sourire, dans une expression de contentement qui échappait à la compréhension de l'alter – les séances avec le psychiatre étaient, à son sens, une incroyable perte de temps couplée à une notion d'obligation et d'autorité dont il ne reconnaissait pas la légitimité. Ceci sans compter le fait que Law savait, ou tout du moins en avait suffisamment deviné, pour lâcher la bombe qui risquerait de le faire sortir définitivement du tableau ; les cahiers étaient clairs à ce sujet depuis que Luffy s'était vu expliquer en long, en large et en travers le chemin de croix qui l'attendait pour réunir toutes ses personnalités en une, la sienne : difficile de commencer par Kid, pourtant le plus ancien, mais Zoro était dans la ligne de mire du directeur, cible facile à toucher en premier.

Son salut, Zoro savait indubitablement qu'il le devait au silence de Law, à ses hésitations à révéler ce qu'il soupçonnait sur l'origine de son alter défensif, et imaginer qu'il lui était redevable de ce sursis, sous une forme ou une autre, le rendait malade de dégoût ; leurs regards se croisèrent, l'espace d'un bref instant, le psychiatre le saluant d'un signe de tête poli auquel Zoro ne répondit pas – le psychiatre savait à qui il avait affaire, les pendants dorés à son oreille étant la meilleure indication qu'il pouvait donner sur son identité, et ne sembla pas s'offusquer de ce manque évident de coopération. Une manière pour l'alter de lui signifier qu'il n'avait pas assez de respect pour lui pour se fendre d'une salutation hypocrite.

- Il prend les décisions qui lui semblent justes, tu sais… ? tenta l'infirmier en se redressant pour venir se poster à côté de lui, ses yeux cherchant les siens.

- C'est pas le problème, rétorqua-t-il en se détournant de la baie vitrée.

- Ça l'est, justement. Je sais que tu lui en veux pour–

- J'avais été assez clair sur le sujet, il me semble, le coupa Zoro en lui collant la brosse dans les mains. Luffy c'est un no man's land, et ce type a décidé d'aller outre cette règle-là. Le reste, je m'en contrecarre.

Ace rouvrit la bouche, mais l'alter fut plus prompt que lui à lever le doigt dans un geste équivoque, qui lui signifiait poliment mais fermement de s'arrêter là et de ne pas pousser le bouchon plus loin.

- J'ai aucune, aucune tolérance pour ce genre d'écart, martela-t-il. Et il est hors de question que je passe l'éponge sur ces libertés que vous avez tous cru bon de pouvoir prendre sur son dos.

- C'est à toi que tu en veux, pas vrai… ?

La tentation devenait difficilement soutenable – celle de lui écraser son poing dans la figure, de se défouler une bonne fois pour toutes, de leur montrer à nouveau qui décidait, au fond ; Trafalgar Law pouvait en témoigner, témoin privilégié de ce qu'il était susceptible de faire en cas de débordement.

- Tu ne peux pas le protéger de tout ce qui se passe ici, poursuivit Ace en se risquant à le saisir par le tee-shirt pour être certain de bien faire passer le message. C'est pas possible, Zoro… Tu refuses d'admettre que tu peux échouer comme tout le monde, et c'est tellement pas en accord avec tes principes que ça te ronge.

Zoro se dégagea en repoussant l'infirmier d'un geste brusque, décidé à le faire sortir de son espace vital qu'il ne supportait pas de voir transgressé de la sorte ; il sentit la tension dans l'air, l'instant où un rien suffirait pour tout faire basculer, mais changea d'avis en songeant aux lignes de Luffy couchées sur son cahier : il tourna les talons et sortit de la véranda sans s'embarrasser à refermer derrière lui, traversa la salle commune à grands pas en ignorant les regards tournés vers lui, trop tendu pour y prêter la moindre attention – tout ce qu'il avait en tête, à cet instant, c'était lutter comme la nausée qui montait et qui semblait décidée à venir à bout de ce qu'il avait dans l'estomac, cette envie viscérale de retourner affronter le problème et de mettre à Ace une correction dont il se rappellerait, au lieu de se carapater comme un lâche.

Luffy apprécierait le geste mais il lui resterait, à lui, en travers de la gorge, une sensation d'inachevé qu'il ne digèrerait pas de sitôt.

Il n'eut pas le temps de retrouver son chemin dans les couloirs dangereusement semblables de l'asile – le bruit de pas, dans son dos, lui indiqua que son envie de solitude était compromise par Sugar et son panier de raisins plein à déborder, ses yeux rivés sur lui dans une intention pour le moins limpide : c'était lui, l'objet de toute son attention du moment. Vaincu d'avance, il resta planté dans le corridor, bras croisés, attendant que la fillette et ses foulées minuscules le rattrapent enfin, sans forcément s'attendre à la voir s'accrocher à ses jambes dans une brève étreinte qui le laissa muet, incertain sur la suite qu'il devait donner.

- Tu peux juste dire bonjour, tu sais, Zoro… ? marmonna-t-elle contre sa hanche.

- Je te retourne la remarque, rétorqua-t-il en l'attrapant par la capuche pour la décoller de lui, gentiment mais fermement.

- Ça te tuera pas. Tu vas bien ?

- Et qu'est-ce que ça peut te faire… ?

- C'est à cause de la pleine lune que t'es désagréable… ?

Toujours aussi inspirée quand il était question de répartie, une qualité qui faisait d'elle l'exception dans les projets assassins de Kid ; défaitiste, Zoro se contenta de lever les yeux au ciel, ignorant l'excès d'impertinence pour cette fois. Les enfants n'avaient jamais été son fort, lui plutôt du genre à fuir ces regroupements proprement terrifiants où bruits et agitation ne faisaient pas bon ménage – Luffy et Nojiko avaient pour eux une patience au-delà de sa compréhension, qu'il n'avait jamais cherché à discuter, se contentant de s'éclipser quand il était question de gérer des gosses.

- Qu'est-ce que tu nous veux… ? soupira Zoro en constatant avec dépit qu'elle semblait vouloir emprunter le même chemin que le sien.

- J'te l'ai dit, juste savoir comment tu vas. T'avais pas l'air bien tout à l'heure.

- Mêle-toi un peu de tes oignons.

- J'ai rien de mieux à faire, si t'es là ça veut dire qu'on va pas faire de maquette ce matin, répliqua-t-elle en plantant ses doigts dans ses raisins avant de les porter à sa bouche, méthodiquement, du petit doigt jusqu'au pouce. Tu veux pas jouer avec moi ?

- … jouer ? ronfla-t-il en haussant le sourcil. J'ai passé l'âge, Sugar.

- C'est parce que t'es nul, c'est ça ? C'est pas grave, concéda-t-elle en lui tapotant le bras avec une condescendance qui lui aurait fait sortir les yeux de la tête, en temps normal.

- C'est quoi ton jeu ?

Ces futilités lui échappaient.

Zoro avait toujours été incapable de comprendre ce qui amusait tant Luffy, enfant, malgré les descriptions enjouées de leur personnalité primaire – lui n'avait pas le temps pour ça, trop occupé à tenir les rênes du trio dont deux alters à l'énergie débordante. Pas le temps d'être un enfant quand il était le seul adulte du groupe. Ce qui, de leurs jours, l'amusait lui était d'un barbant aux yeux des autres : boire de la bière, faire la sieste et s'entraîner jusqu'à l'engourdissement étaient ses activités préférées et lui suffisaient amplement. Quand il était question de créativité dans un domaine autre, il avait conscience d'être aux abonnés absents et de ne pas avoir la moindre imagination.

- Franky est en train de tracer des repères à la craie pour accrocher des trucs sur le mur extérieur. On peut les effacer, il va péter un plomb en revenant, chuchota-t-elle en haussant le sourcil – le rictus qu'elle arborait en disant long sur ce qu'elle en pensait.

Puéril – beaucoup, beaucoup trop puéril – mais suffisant pour le distraire de sa mauvaise humeur du moment.

. . . . . . . . . .

Marina District. 15h30.

Shanks était sur le point de raccrocher quand la sonnerie s'interrompit enfin, le silence clinique de l'asile lui parvenant depuis l'autre bout du fil lui indiquant qu'il n'était pas tombé sur une quelconque messagerie ou renvoi d'appel – ce qu'il aurait trouvé étrange, de la part de Law, qui tenait à ce que ce numéro ne donne pas d'indication particulière sur l'endroit où il aboutissait.

- Désolé pour l'attente, Gouverneur, sourit une voix maintenant familière dans le combiné.

- Ace, le salua-t-il en s'efforçant de dissimuler son impatience. Un problème… ?

- … plutôt une bonne et une moyenne nouvelle.

- Très rassurant.

Il l'entendit rire, s'efforça de se dire que le personnel de l'asile avait forcément une notion tronquée de ce que pouvait représenter ce genre d'informations pour le commun des mortels ; Shanks avait déjà connu bien plus dramatique, en ce qui concernait Luffy.

- La bonne, c'est que Luffy va bien. La moyenne… il n'est pas là aujourd'hui.

- Pas là ?

- Zoro ne lâche pas la place depuis leur réveil.

En effet, pas de quoi se morfondre – ce n'était pas la situation la plus inconfortable, bien au contraire : il était coutumier des crises existentielles de Kid, où dialoguer n'était même pas envisageable. L'alter le plus modéré de son fils était celui avec lequel échanger ne relevait pas du pugilat ou du parcours du combattant, quand bien même il était certainement le moins loquace des trois.

À dire vrai, s'il n'avait été question que de Zoro, Shanks était intimement persuadé que leur vie de famille n'en serait pas là où elle en était actuellement ; sauf qu'il n'était plus question de ce qui aurait pu être ou ne pas être.

- … je rappellerai.

- Il est juste là, si vous voulez lui parler.

- Seulement s'il le souhaite.

Il perçut un bruissement, un long silence, avant qu'un raclement de gorge qu'il ne connaissait que trop bien à présent ne résonne dans le combiné.

Zoro n'avait jamais raffolé des longues conversations – même des courtes, d'ailleurs – et Shanks savait à quel point il pouvait lui en coûter de s'ouvrir à quelqu'un, ou de tenir une ébauche d'échange basiquement social ; Luffy était beaucoup plus prompt à parler, à l'instar de Nami, et il savait que la discussion de ce soir lui semblerait beaucoup trop courte.

- Salut Zoro.

- Shanks.

- Ça fait combien de temps qu'on ne s'est pas parlé ?

- … quinze jours avant l'anniversaire de Luffy.

Le regard du Gouverneur se tourna malgré lui vers la fenêtre de son bureau, qui donnait directement sur l'allée des garages, où la vieille Mustang rouge luisait dans le soleil couchant ; une antiquité qu'il avait faite restaurer pour l'offrir à son benjamin, qui n'en avait pas profité plus de dix jours avant de se faire embarquer par les Marshalls de la région pour finir à San-Quentin. Depuis, Sabo et Nami se relayaient pour la conduire, mais aucun des deux n'aimait s'attarder dans cette voiture que Luffy avait tellement voulue. Entre autre une idée soufflée par Zoro, quand ses ainés étaient venus le harceler de questions sur ce qui ferait plaisir à leur petit frère – oui, s'il n'était question que de cet alter, la vie aurait été mille fois différente.

- … J'ai appris pour la procédure de destitution. Désolé.

- Ça n'est pas encore fait, ne m'enterre pas tout de suite, sourit le Gouverneur en s'installant plus confortablement dans sa chaise.

- Il vous en faudra plus que ça pour vous abattre ?

- Comme toi. Tu n'es pas d'humeur à me laisser Luffy, aujourd'hui ?

- … désolé pour ça aussi.

- Ne le sois pas. Des problèmes… ?

- Il va bien, si c'est la question.

- Et toi ? Tu as besoin de quelque chose ?

- Mes katanas.

Il entendit la voix d'Ace, au loin, lui rétorquer qu'il pouvait toujours rêver, et le soupir mêlé d'agacement qu'il perçut à l'autre bout du fil lui rappela l'adolescence tumultueuse de son plus jeune fils, ses travers, ceux de ses alters, leurs crises existentielles qui les coupaient du reste du monde pendant des jours entiers.

Les trois armes, toujours pendues au mur de la chambre, ne bougeaient que pour les rares instants où Sabo les entretenait ; pour sûr que la technique n'aurait jamais convenu au bretteur, mais c'était un autre rituel auquel son aîné ne sacrifiait jamais.

- Si je pouvais… je le ferais.

- J'en suis sûr. Sabo, ça va ?

- Il gère. Rien ne l'arrête, lui non plus.

- Nami ?

- Elle fait son chemin. Toujours dans ses études… tu la connais, elle a la tête dure.

Il l'entendit inspirer, retenir brièvement son souffle – marquer son hésitation – et resta immobile, s'efforçant de ne pas briser cet instant, où il sentait que l'alter était sur le point de lâcher quelque chose : Shanks sentit sa paume devenir moite, contre le téléphone, alors qu'il restait suspendu à ses paroles en devenir.

- C'est quand, le résultat des votes ?

- Imminent. Vous serez au courant avant moi, au rythme où vont les médias.

- … je trouve ça injuste.

- Il y a beaucoup de choses injustes contre lesquelles on ne peut rien. Pas vrai ?

- …

- Zoro, j'aimerais qu'on–

- Désolé. Au revoir, Shanks.

Encore une fois, la voix d'Ace se fit écho dans la clinique, avant qu'il ne récupère le combiné dans un crissement qui laissa penser au Gouverneur que le téléphone venait d'avoir droit à un saut dans le vide au bout du fil.

- Il est d'humeur maussade depuis le réveil. Pas possible d'en tirer quelque chose.

- On a tous nos humeurs. Ils n'y échappent pas non plus.

- J'aurais aimé que vous puissiez échanger avec Luffy. Il a… besoin d'entendre autre chose que les monologues qu'on lui sert à longueur de journée.

- Une prochaine fois. Je ne vous retiens pas…

- Law vous appellera demain. Bonne soirée, Gouverneur.

Shanks raccrocha et se laissa retomber contre le dossier de son fauteuil, le regard rivé sur le portrait familial suspendu au-dessus de la porte, retrouvant le silence de la villa qui lui parut plus déserte que jamais.

Il savait, indéniablement, que la distance qui le séparait de Luffy était bien plus qu'une histoire de kilomètres ; qu'elle creusait une irrémédiable tranchée entre eux, trop grande et trop profonde pour pouvoir être franchie un jour, les éloignant un peu plus à chaque instant. Causant une fracture que rien ne pourrait jamais réparer, peu importe le temps ou les efforts.

Son benjamin lui échappait. Irrémédiablement.

. . . . . . . . . .

Bureau de Trafalgar Law.
17h45.

Law avisa Zoro, immobile dans l'encadrement de la porte, la raideur de sa posture qui en disait long sur son envie d'être là.

Jusqu'au bout, il avait cru que l'alter laisserait la place à Luffy pour son appel, mais il devait reconnaître qu'il s'était planté ; ce qui lui paraissait au minimum curieux, au pire inquiétant : voir un changement aussi net dans leur dynamique éveillait ses soupçons. Il lui fit signe d'entrer, ce que l'autre concéda avec mauvaise grâce, mais qu'il prit comme une preuve d'une ébauche d'effort pour une tentative d'échange plus ou moins cordial.

- … merci d'être venu.

- Qu'est-ce que tu veux ?

- Ace m'a rencardé sur les katanas. Je me rappelle les avoir vus à San Francisco.

- … et ?

Law désigna, d'un geste de la tête, le mur adjacent ; le regard de Zoro pivota dans la direction indiquée et accrochèrent le nodachi suspendu aux lambris, éclairé par les appliques murales. Ses pas l'emmenèrent au pied des bibliothèques, que la lame surplombait de toute sa longueur, massive et intimidante.

Ace, égal à lui-même, avait été prompt à lui dire ce qu'il pensait de cette idée, mais le psychiatre avait tout de même envie de tenter l'expérience – non sans s'assurer d'avoir une fléchette anesthésiante chargée dans le tiroir de son bureau, au cas où. Question de principe.

- Je ne peux pas te laisser te balader avec dans la clinique, mais tu peux t'en occuper ici, proposa-t-il en évaluant soigneusement les réactions de son patient.

L'alter s'arracha à sa contemplation et lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, semblant peser le pour et le contre.

Law savait que l'hameçon était gros, peut-être même un peu trop, mais il ne comptait pas laisser les deux alters de côté suite à l'incident de la Nouvelle-Orléans – le but étant de leur montrer qu'il ne lâchait pas l'affaire, et qu'il serait sur leur dos peu importe le temps que ça lui prendrait.

Il avait conscience que la personnalité en présence était tout sauf d'humeur, et que se sortir de ce guêpier relèverait du petit miracle, mais ne rien tenter serait pire encore que d'essuyer un refus ; il avait déjà l'incroyable chance de ne pas se faire sauter à la gorge, un indéniable signe positif dont il se réjouirait plus tard – pour le moment, il préférait ne pas crier victoire trop tôt.

- C'est quoi l'arnaque ?

- Il n'y en a pas.

- Il y en a toujours une, rétorqua Zoro en détaillant la lame du regard.

- Je suis désolé que tu le voies comme ça… je ne sais pas quoi te dire de plus pour te convaincre. J'espérais juste que ça te mette dans de bonnes dispositions, mais…

Levant les yeux au ciel, Zoro rapprocha le fauteuil le plus proche pou s'y hisser et se tendit vers le nodachi, le retirant délicatement de son support pour le ramener à lui, tirant sur le fourreau pour examiner la lame de plus près ; il s'assit dans le divan, et c'est seulement à ce moment-là que Law se rendit compte qu'il avait retenu son souffle, sentant son cœur battre la chamade au creux de sa poitrine.

Ace serait sûrement ravi de voir qu'il était toujours vivant à la fin de cette séance.

Lentement, le psychiatre s'extirpa de sa chaise et le rejoignit, récupérant au passage la boîte qui contenait tout ce dont il se servait pour entretenir sa lame – quand il y pensait, c'est-à-dire quasiment jamais.

- D'où elle vient ? murmura l'alter en ouvrant le coffret pour en sortir le chiffon et essuyer l'acier, observant les reflets de lumière sur la surface.

- Mon père l'a ramenée d'un voyage au Japon. Pour mes vingt ans.

- Plutôt joli, comme cadeau.

Le genre que Doflamingo n'avait cessé de leur faire, à lui et Lami, en tentant maladroitement de combler ce qui ne pourrait jamais l'être. Une montagne d'efforts dépensés pour essayer de jouer le rôle des deux parents, sans succès – rien ne saurait ramener à Law ce qui lui manquait désespérément, pas même tout l'or du monde.

Il n'avait jamais essayé de l'en empêcher, là où Lami lui avait tout de go annoncé qu'il pouvait arrêter de les gâter comme les gosses qu'ils n'étaient plus ; lui n'en avait pas le cœur, puisqu'il savait que c'était la seule manière à disposition de son père pour soigner son mal-être et le manque que lui aussi ressentait chaque jour qui passait. Déformation professionnelle oblige, il était le mieux placé pour savoir que son père aurait besoin d'une longue thérapie pour tourner la page, mais sans la volonté qui allait avec, il ne pouvait absolument rien pour lui.

Il regarda Zoro parsemer la lame de nuages de craie, de la garde à la pointe, avant de la polir méticuleusement ; des gestes délicats et contrôlés, qu'il n'imaginait pas Luffy faire un seul instant. Il fallait du temps et de la patience, une qualité dont l'adolescent était totalement dénué et qu'il allait devoir travailler pour les décennies à venir, cloîtré entre ces murs. Quelque chose qui pourrait venir avec l'habitude, pour peu qu'il en ait l'envie.

Restait à savoir s'il souhaitait passer le temps qu'il lui restait à vivre seul, ou submergé par ses alters.

- C'est juste pour m'amadouer, hein ? chuchota Zoro en gardant les yeux rivés sur le nodachi.

- Ça marche ?

- … en un sens.

- Est-ce que tu en veux à Luffy pour la Nouvelle-Orléans ?

Il remarqua l'esquisse de sourire en coin, ne sut pas quoi en tirer. Il savait que l'expérience avait été désastreuse sur le plan de la confiance avec le quatuor, notamment en ce qui concernait Kid et Zoro, tous deux farouchement attachés à leur liberté, et qu'il avait régressé jusqu'au point de non-retour dans leur ébauche de relation patient-thérapeute.

- … bien sûr que non. Jamais je ne lui en voudrais de quoi que ce soit.

La phrase sonnait comme une confession, murmurée dans le silence du bureau.

Il savait qu'il devait y aller doucement, sans brûler les étapes ; atteindre les points sensibles de l'alter là où il était plus facile de les travailler sans le brusquer : parler de Luffy semblait être le sujet préféré de Zoro, quand il n'était pas question de le provoquer ou de pointer ses défauts et ses ratés.

Law l'avait expérimenté en première ligne à plusieurs reprises : les faiblesses étaient un sujet à éviter.

- Et le savoir en couple ?

- Tu veux parler d'Ishilly ? C'était pas mes affaires. Du moment qu'il était heureux, le reste n'avait aucune importance.

- Kid n'avait pas l'air de penser la même chose que toi.

- … Kid a ses raisons, conclut-il en soufflant sur la lame pour repousser le trop-plein de poudre. Elles n'ont pas l'air entendables pour ceux qui ne sont pas comme nous.

- Ça me donne juste l'impression qu'il ne supporte pas que Luffy ait d'autres personnes que lui – que vous – dans sa vie.

Zoro ne renchérit pas, se contentant de polir la lame à nouveau, avec soin, absorbé par sa tâche.

Ou peu désireux de lui donner raison.

Law était à peu près sûr d'être dans le vrai, mais aucun des quatre alters ne pourrait jamais le lui confirmer, le principal intéressé refusant en bloc la moindre tentative d'échange construite, semblant n'avoir en tête que l'idée de s'échapper de l'asile, coûte que coûte. Pour sûr que sa décision semblait prise, alors que la personnalité la moins encline à se confier paraissait se ranger aux côtés de l'hôte, par pur principe.

- Luffy avait des scrupules à te faire venir à la Nouvelle-Orléans sans ton accord. Comme si tu avais ton mot à dire… alors qu'il n'a pas besoin de beaucoup pousser pour que tu le suives.

- C'est une affirmation, pas une question, soupira Zoro en retournant la lame.

- Il est trop attaché à toi pour progresser dans sa thérapie. Il n'avancera pas tant que tu seras derrière lui, et tu es beaucoup trop ancré pour ça.

Pour se détacher de Zoro, Luffy devrait faire face aux vérités que Law avait à lui annoncer, et il n'était pas certain des résultats qu'il obtiendrait ; le risque étant de provoquer un autre trauma, et de risquer de voir apparaître une autre personnalité, ou de chambouler le fragile équilibre du quatuor.

- … si Luffy décide de nous faire partir, c'est son choix. Ça fait longtemps que j'ai compris que je ne suis personne et que je n'ai pas et n'aurai jamais d'existence propre, murmura-t-il.

- Kid ne l'acceptera jamais.

- Alors on est tous coincé ici, retour à la case départ.

- … tu ne comptes pas faire le moindre effort, pas vrai ?

- Plus on t'en donne, plus tu en demandes, et plus ça nous coûte. C'est Luffy qui décidera de la suite… et c'est toi qui prendras tes décisions et qui en assumeras les conséquences.

Il le regarda huiler l'acier, l'odeur de clou de girofle lui rappelant le cabinet médical de sa mère, les bocaux devant lesquels il s'attardait, enfant, ses yeux accrochant les reptiles figés dans le formol et les interminables piles de livres dans lesquels elle s'abîmait des heures durant pendant ses recherches.

Un souvenir beaucoup trop vieux pour être précis, dans lequel les traits de sa mère lui échappaient, ne lui laissant que des passages fugaces et impossibles à attraper ; il s'efforça de chasser ce moment qui n'avait pas sa place ici mais qui persistait malgré tout, latent à l'arrière de sa tête, juste ce qu'il fallait pour le perturber.

- Tu accepterais de revenir vendredi ?

- Si Luffy le juge nécessaire, objecta-t-il en essuyant lentement le tranchant de l'arme.

- C'est lui qui t'a laissé la main, aujourd'hui ?

- … non. J'avais des choses à mettre au clair avec Ace.

- J'ai toujours pensé que tu l'appréciais.

- C'est le cas. Et pour que ça perdure il fallait que je mette les points sur les i.

- … il est pourtant bien moins coulant que moi.

- Il se contente de faire ce que tu dis… il est logé à la même enseigne que nous, répliqua-t-il en rangeant la lame dans son fourreau dans un chuintement aigu. Un autre monstre dans ta galerie.

Zoro se leva pour reposer la lame à sa place, rangea les affaires dans le coffret qu'il déposa sur le guéridon le plus proche et s'éloigna vers la porte, jetant un dernier regard au psychiatre par-dessus son épaule avant de partir – Law ne le retint pas, mais sentit la tension quitter ses épaules quand le bruit des pas s'effaça dans l'escalier.

Ce n'était pas la pire des séances qu'il avait eu à mener dans sa vie, mais elle n'était pas non plus à mettre dans son top dix, et ne venait que confirmer ce qu'il pensait déjà : le test à la nouvelle-Orléans lui avait permis d'en apprendre plus sur le groupe, mais l'avait considérablement fait reculer sur l'échelle des interactions.

Las, il se laissa retomber contre le dossier et contempla le plafond, songeur ; il avait beaucoup trop de choses en tête, de Luffy aux autres patients, en passant par sa mère, pour réussir à se concentrer sur quoi que ce soit. Le genre de pensées trop futiles qui lui promettaient une nuit blanche et une migraine sans fin.

Fermant les yeux, il desserra sa cravate et déboutonna son col, se déchaussant de deux coups de talons avant de s'allonger dans le divan – il n'eut pas la chance de saisir la moindre minute de sommeil, des coups résonnant à la porte le tirant de son ébauche de repos. Tournant la tête, il avisa Gladius dans l'encadrement et son expression perplexe, qui le découragea d'avance à l'idée d'avoir à se justifier.

- Juste–… pas ce soir, soupira-t-il.

- Ace vous a bipé, la réunion de service a commencé y'a 5 minutes.

Qu'il avait oubliée, bien entendu.

Dépité, il se frotta le visage, sentant poindre une pulsation familière derrière son front, vrillant déjà sa vision de points blancs – il n'avait ni l'envie, ni la capacité pour assister à ce rendez-vous, mais il ne pouvait pas faire l'impasse sur ses obligations. Réprimant un grognement dénué d'élégance, il se redressa et reprit ses chaussures, défaisant les lacets en s'efforçant de juguler ses gestes d'humeur ; Gladius sembla hésiter un moment mais ne s'attarda pas, le laissant à sa morosité.

Se dévisageant un instant dans le reflet de la vitre, il rajusta sa chemise et sa cravate avant de quitter son bureau pour rejoindre la salle des chefs de service, passant par la salle commune encore déserte où Zeff préparait le couvert du soir ; il le salua d'un signe de tête, emprunta l'escalier de la mezzanine et frappa avant d'entrer et de fermer derrière lui, s'excusant pour son retard, tâchant de ne pas relever les regards parfois narquois qui le suivirent jusqu'à sa place, au fond de la pièce.

Il était question de planning, d'arrangement, d'une réorganisation avec l'annulation de certaines visites et l'ajout d'autres évènements impromptus, qu'il n'écoutait que d'une oreille, beaucoup trop focalisé sur son précédent flot de pensées qui l'emmenait beaucoup plus loin que l'asile – dans les rues de Rio, où Luffy avait passé son temps seul avec ses alters.

Il savait que Lami travaillait sur le sujet qu'elle ne déméritait pas, mais il aurait tout donné pour pouvoir accélérer le temps et doubler leurs moyens pour pouvoir chercher toujours plus vite, toujours plus loin.

- T'écoute pas, murmura Penguin à son oreille, trop bas pour interrompre la discussion entre Shashi, l'armée de Post-it colorés et les notes de Kaya.

- Désolé. J'ai la tête ailleurs, confessa-t-il.

- Luffy ?

- Entre autres.

- … –vous en pensez quoi, patron ? l'interpella Teach depuis l'autre bout de la salle.

Les yeux qui le fixaient arboraient tous la même expression moqueuse – il ignorait si cette option était meilleure que celle du mépris ou de l'agacement, mais ses subordonnés semblaient être d'humeur joueuse, ce soir, le laissant seul dans son marasme.

Qu'il avait bien cherché, il devait le reconnaître.

- Vous êtes des adultes autonomes. Prenez vos décisions, rétorqua-t-il.

- Belle esquive, commenta Tashigi sans lever le nez de son classeur.

- Il s'améliore avec le temps, renchérit Shashi.

Il leva les yeux au ciel, leur fit signe de continuer et se réinstalla sur sa chaise, bras croisés, ignorant les sourires goguenards alors que leur discussion reprenait, cette fois sur les livraisons prévues de nuit pour la semaine à venir, à ne pas faire coïncider avec les sorties de Dellinger.

Le genre de casse-tête qui n'en était pas vraiment un, tous beaucoup trop rompus à l'exercice depuis des années, mais un problème simple qui lui permettait de mettre de côté ce qu'il avait en tête pour quelques instants, une pause dans le tourne-disque qui lui servait de crâne et qui semblait prendre de plus en plus de vitesse.

Jusqu'à dérailler.

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À bientôt pour la suite ! Merci d'avoir lu !