Chapitre 10
Daenerys l'admettait, elle avait toujours du mal à réaliser. Elle l'avait fait : elle était chez elle. Elle était dans ce qu'elle n'aurait jamais dû quitter. Ces jours-ci, elle se surprenait à penser de plus en plus à Viserys. Aurait-il approuvé son choix ? Aurait-il été fier d'elle ? Elle qui avait fait renaître les dragons, elle qui était rentrée à la maison. Non, sans doute pas : à ses yeux, elle se serait vendue au fils de l'Usurpateur. Pourtant, il lui manquait. Lui aussi aurait dû être là.
-Khaleesi. S'inquiéta Jorah
L'adolescente s'efforça de lui sourire.
-Je suis juste nostalgique, Ser.
En contrebas, elle pouvait apercevoir Amerei. A dire vrai, elle aimait bien la dame de compagnie choisie par Joffrey pour l'accompagner lors de sa visite. Déjà, le fait d'avoir pris une parente de ce cher Darry… Et la jeune fille était drôle, fraîche, relativisait son mariage de convenance à Pat de la Bleufurque. Ser Lancel Lannister, cousin de la reine mère, ancien écuyer de Robert, lui faisait visiter une roseraie. Ils semblaient bien s'entendre, c'était dommage que la belle Frey était déjà mariée… On frappa à la porte.
-Khaleesi, c'est le jeune roi. Dit Irri
-Faites-le entrer.
Joffrey pénétra dans les appartements alloués à la dernière descendante des Targaryen. Sansa, sa promise, l'accompagnait et plongea en une profonde révérence à sa vue, sans doute par respect de son sang plutôt que de son titre fantôme. Mais l'attention la touchait : la future épouse du Baratheon veillait à son confort, rabrouait quiconque ne l'appelait pas « Princesse » ou « Votre Altesse ». Elle essayait de composer avec les dothrakis : respecter leurs croyances, c'était aussi lui montrer du respect.
-Votre Altesse.
-Votre Grâce.
Elle pouvait bien, par courtoisie, lui donner ce plaisir.
-J'aurais aimé discuter avec vous, Votre Altesse. Dit le souverain.
-A quel sujet ?
-De la paix.
Elle s'étonna.
-Je crains que le faire devant mon conseil ne soit une mauvaise idée. Confessa-t-il. Mes ministres, ma Main, me sont dévoués. Ils penseront bien faire pour le royaume. Mais je pense qu'ils essayeraient de vous forcer à faire quelque chose que vous ne voudriez pas faire. Je suis roi, vous êtes princesse en plus d'être khaleesi. Discutons de nos termes avant et donnons-leur nos résultats.
Elle acquiesça.
-Khaleesi, souhaitez-vous que je reste ? S'enquit son chevalier
-Si le roi le permet. Répondit-elle
-Je n'y vois aucun inconvénient, vous devez vous sentir protégée ici. Vous êtes mon invitée. De même, vous opposez-vous à ce que ma fiancée soit avec nous ? Elle est ma future reine, j'aimerais qu'elle demeure. De plus, c'est elle qui m'a suggéré l'idée de vous écrire.
Intéressant.
-Je serai heureuse qu'elle demeure avec nous. Irri, s'il te plaît, que personne ne nous dérange. Sauf s'il s'agit d'une urgence.
-Bien, Khaleesi.
-Et que l'on nous apporte à boire. Ce que Sa Grâce préfère.
On leur servit du vin ainsi que de l'eau, Sansa n'étant pas habituée à l'alcool.
-Tout d'abord, je tiens à vous présenter mes condoléances, Votre Altesse. Entama le jeune homme. La perte de votre frère, de votre fils puis de votre époux en si peu de temps ont dû être éprouvantes. Qu'importent les circonstances.
-Je vous en remercie… Mon mari me manque toujours beaucoup. Lui qui, comme tous les dothrakis, avait peur de la mer, il avait promis à notre fils à naître qu'il la traverserait pour lui offrir « la chaise de fer ». Je vous présente mes condoléances pour la perte de votre père. Je ne peux pas dire que je regrette son décès. Mais je connais la douleur de la perte.
La main de Joffrey trembla légèrement. D'instinct, Sansa posa ses doigts sur ses phalanges pour le calmer. S'il n'en parlait pas, sa bâtardise le rongeait toujours.
-Je suis consolé par l'amour de ma fiancée. Révéla-t-il. Son père, l'ancienne Main, a été bon pour moi. J'ai aussi la chance d'avoir mon oncle, le Régent, à mes côtés ainsi que mon grand-père. Je suis donc épaulé.
Ils trinquèrent à leurs disparus.
-J'ai su que vous vouliez poursuivre le rêve de votre frère. Conquérir Westeros, comme votre aïeul, afin de remettre votre dynastie sur le trône.
-Et bien évidemment, vous souhaitez demeurer.
-Vous avez le droit du sang. J'ai celui du sang aussi. Mon père, que les Sept le reçoivent en leur gloire, a eu le droit de la bataille.
-J'entends.
-Nous sommes tous les deux dans notre bon droit.
-Mais vous entendez être celui qui règne. Qu'avez-vous à me proposer en échange ?
-La Justice.
Il la fixa droit dans les yeux.
-Vous avez sans doute appris que j'ai ordonné les exécutions des assassins de votre belle-sœur, de votre neveu et de votre nièce.
-Oui, tout comme Dorne a accepté le mariage entre votre jeune sœur et l'un de leurs princes.
-Je ne peux pas vous rendre votre famille. Mais je veux vous rendre votre dignité.
Il lui expliqua alors que si elle l'acceptait comme roi, elle serait reconnue comme princesse des Sept Royaumes. Elle se verrait attribuée le titre de « Son Altesse Royale, la princesse Daenerys Targaryen, née du Typhon, princesse de Peyredragon », le château de sa naissance lui étant cédé par le Régent. Elle se verrait allouer une rente, de quoi vivre selon son rang. Afin qu'elle ne soit pas qu'une princesse de façade, il lui offrait un siège à son conseil. Elle serait libre d'épouser qui elle le désire sans passer par l'approbation royale. Enfin, leurs enfants se marieraient. Si Joffrey avait une fille et elle un fils, sa fille épouserait son fils pour perpétuer la lignée Targaryen. Si Joffrey avait un fils et elle une fille, son fils épouserait sa fille et l'enfant serait alors la prochaine reine consort et le sang Targaryen retrouverait en partie sa place sur le trône de fer. S'ils étaient bénis avec les deux sexes, alors la fille de Daenerys serait reine tandis que la fille de Joffrey serait à Peyredragon.
-Votre offre est profondément généreuse. Mais je crains qu'il n'y ait un problème.
Il était prêt à argumenter.
-Je suis infertile. Révéla-t-elle. Quand mon mari agonisait, j'étais si désespérée que j'ai demandé à une sorcière que j'avais sauvée de mon propre khalasar de le soigner. Elle a accepté en me disant qu'il y aurait un prix à payer. J'ai alors perdu mon fils Rhaego et mon époux était un mort qui respirait encore… Elle m'a maudite. Je ne peux plus avoir d'enfant jusqu'à ce que le soleil se lève dans l'ouest et se couche à l'est, que les montagnes s'envolent dans le vent comme des feuilles et que les mers s'assèchent…
-J'en suis navré…
-Il y a peut-être un moyen. Révéla Sansa
Ils l'observèrent. Elle parlait pour la première fois depuis l'entrevue.
-Je n'étais pas présente lors de cette épreuve, Votre Altesse. Mais se peut-il que cette sorcière ne vous ait dit cela que pour vous faire du mal ? J'ai connu jadis une fille à Winterfell qui s'était fait lire l'avenir et elle a pris pour argent comptant ce qu'on lui a dit. Toutes les prophéties n'ont pas vocation à se réaliser mais la sienne l'a été sous la force de sa propre volonté. Elle en a eu si peur, elle en était tellement convaincue, qu'elle a réalisé son pire cauchemar.
-J'avoue ne pas savoir…
-Cependant, si cette malédiction était vraie, le sang ne fait pas nécessairement une famille.
Elle observa son futur époux.
-Quid de l'adoption ?
-Pardon ? Bégaya-t-il
Elle reporta son attention sur Daenerys.
-Je vous souhaite d'avoir des enfants, Votre Altesse. Je prierai les Sept pour vous.
-Je vous en remercie, Lady Sansa.
-Mais si par malheur vous ne pouviez concevoir, alors la suite est simple : vous choisirez vous-même votre héritier. Nommez votre successeur. Il sera reconnu comme un Targaryen.
-Il n'aura pas le sang du dragon…
-Mais le nom demeurera. N'était-ce pas ce que Corlys Velaryon avait dit un jour ? L'Histoire retient les noms et non le sang. Si vous ne pouvez pas avoir un enfant de votre sang, prenez-en un comme le vôtre. Il sera le sang du dragon aux yeux de tous. Si c'est un garçon et que nous avons une fille, ils perpétueront votre lignée. Si c'est une fille et que nous avons un fils, elle régnera.
Joffrey observait sa future femme avec tant d'étoiles dans les yeux que la Targaryen se sentit mélancolique : Drogo la regardait ainsi.
-La logique voudrait que je nomme Shireen Baratheon. Réfléchit la Mère des Dragons. Tout comme vous, Votre Grâce, elle descend d'une Targaryen. Mais elle est promise à votre frère et je vous souhaite aussi d'avoir des enfants.
-Nous avons encore le temps, Votre Altesse.
-Et si je mettais au monde un bâtard ?
-Il me suffit de le légitimer. Ce n'est qu'un détail.
-J'accepte.
Jorah ne put retenir un « Khaleesi ! ».
-Votre proposition est honorable, généreuse, soucieuse de me rendre ce qui peut m'être rendu. Je vous en remercie, Votre Grâce. Je voulais certes le trône. Mais je voulais avant tout rentrer chez moi. Ce but m'a maintenue en vie après mes deuils. Mais j'ai une condition.
-Je vous écoute.
-Je veux que le Régicide ait un procès. Pour le meurtre de mon père.
-Non ! Tu ne peux pas accepter ça, Joffrey ! Jamais !
Il y avait dans la voix de Cersei de l'hystérie, de la colère, de la peur aussi. Tywin demeurait plus composé mais la pâleur de ses traits trahissait son angoisse. Jaime, lui, demeurait sans réaction, ce qui était plus effrayant encore.
-Mère, je n'ai pas encore accepté.
-Fais-la tuer dans son sommeil !
-Votre Grâce. Commença Tyrion. La princesse a-t-elle expliqué le pourquoi de sa demande ?
-Facile. Répondit son frère. Elle veut venger son père.
-Je ne pense pas. Argumenta l'adolescent
Il observa son « oncle ».
-Si elle avait voulu se venger, elle avait l'avantage du nombre, de l'effet de surprise. Ses dragons sont jeunes mais déjà féroces, ses hommes dévoués. Non, Daenerys Targaryen ne veut qu'une chose : comprendre. Comprendre pourquoi un homme fidèle à son roi l'a trahi. Pourquoi vous l'avez assassiné. Elle veut entendre vos raisons, de votre bouche. Je peux m'arranger pour que ce soit elle et elle seule qui vous juge.
-Non ! Vociféra sa mère. Sans ton oncle, tu ne serais même pas sur ce trône ! Cette petite rousse t'a retourné le cerveau, t'a retourné contre nous !
Tywin leva la main pour la faire taire.
-Sansa Stark est la meilleure chose qui pouvait arriver à ton fils, Cersei. Je ne partage pas ses méthodes. Mais j'approuve ses résultats. Le début de règne de notre roi se déroule dans un climat de paix, dans l'idée de consolider la fragilité de sa dynastie.
-Grand-Père.
Il était rare que Joffrey l'appelle ainsi depuis le couronnement.
-Je peux exiger auprès de Daenerys que mon oncle ne soit pas tué. Je peux lui demander la clémence, le Mur. Sansa a demandé à Ser Barristan de s'entretenir avec la princesse. Il était un proche de la reine Rhaella, il pourra déjà attester de la loyauté de mon oncle envers sa mère. De quel genre d'homme était son père.
-Ne va-t-elle pas le prendre comme une tentative d'influencer son jugement ? S'inquiéta Tyrion
-C'est Daenerys elle-même qui a fait cette demande.
-J'irai.
Le silence se fit. Les têtes se tournèrent vers la Cape Blanche.
-Organise le procès, Joffrey. Je répondrai à Daenerys. Je lui dois bien cela.
Il pouvait voir le conflit dans les yeux de son fils caché. Savait-il déjà la vérité ? Ou bien, était-ce l'influence de Sansa, l'adoucissement qu'elle effectuait sur lui ?
-Je ne peux garantir votre vie, mon oncle.
-La Mort ne m'a jamais fait peur. Et encore moins si elle peut préserver la paix de tes royaumes.
-Depuis quand es-tu un héros, Jaime ?! Hurla Cersei
-Depuis que je dois protéger ton fils.
La porte s'ouvrit sans un bruit. Eddard se leva de son bureau, surpris de voir son futur gendre.
-Sansa est déjà au lit, Votre Grâce.
La lèvre de Joffrey tremblait.
-Votre Grâce ?
Le Gardien du Nord sursauta quand l'adolescent fondit vers lui, cherchant la sécurité de ses bras, ses larmes mouillant sa chemise. Dans un réflexe, l'adulte referma ses bras autour de lui, le laissa sangloter tout en lui caressant le dos. Le fils de Robert s'en sortait si bien que tous oubliaient qu'il était encore si jeune…
Ce soir, il n'y avait plus de roi.
Il n'y avait qu'un garçon apeuré, effrayé par le poids immense de la couronne qu'il avait ceinte.
Il n'y avait plus que le fils de son meilleur ami.
Et lui, il n'était alors plus qu'un père.
A Suivre
