Chapitre 11

La salle du trône était bondée. Malgré tout, le silence régnait. La foule se taisait de peur de ne rien entendre, de ne rien percevoir. Certains avaient salué le jeune roi : être ainsi mené par la Justice, ne pas protéger les siens juste au nom du sang ! D'autres avaient pensé qu'il ne s'agissait que d'un moyen d'éviter le feu des dragons, ces créatures effrayantes rapportées par la princesse de par-delà la mer. Un hoquet parcourut l'assemblée cependant quand Joffrey désigna le trône à Daenerys. La khaleesi le contempla, hésita un instant mais se ravisa.

-Votre Grâce, votre offre me touche mais je ne peux pas accepter. Seul le souverain peut s'asseoir sur le Trône de Fer.

Il fit cependant placer un trône non loin. Comme il en avait pris l'habitude, il fit signe à Sansa de s'asseoir à ses côtés. Devant eux, le Régicide se tenait.

Debout.

Droit.

En homme libre.

Cela avait été une demande de Joffrey à Daenerys afin de ne pas trop peiner sa mère. L'adolescente avait accepté, plus par respect pour ce garçon qui tentait de payer les dettes de son sang envers sa dynastie que par affection pour cette reine mère avec laquelle elle avait à peine interagi.

-La séance est ouverte ! Clama le roi. Messeigneurs, Mesdames, nous sommes ici réunis afin de discuter du jour où le père de la princesse Daenerys, le roi Aerys II, a trouvé la mort.

Les mouches elles-mêmes n'osaient pas voler.

-Nous savons tous et toutes qu'il a été tué par mon oncle, Ser Jaime Lannister, lequel s'est ensuite assis sur le Trône de Fer jusqu'à l'arrivée de mon défunt père. La princesse Daenerys a émis le souhait d'entendre la version de Ser Jaime. Elle l'a demandé comme une fille qui réclame Justice pour l'auteur de ses jours. Au nom du Père, lequel est la figure de la Justice, je me dois d'accéder à sa demande.

Il fut applaudi.

-Votre Grâce. Commença Daenerys. Je vous remercie d'avoir accédé à ma requête. Les liens de sang et sans nul doute d'amour vous liant à votre oncle auraient pu vous donner des raisons de ne pas me l'accorder.

Elle reporta son attention sur le Régicide.

-Ser Jaime.

Surprenant tout le monde, Jaime salua la jeune fille d'un signe de tête respectueux.

-Princesse. Répondit-il

-J'ai fait mes devoirs avant de venir assister à la séance organisé par votre neveu.

Il ne sembla pas comprendre.

-Ser Barristan Selmy a eu la bonté de me parler du règne de mon père. Dévoila-t-elle. Et il m'a dépeint un portrait élogieux de votre personne.

Le chevalier observa son pair, lequel opina du chef.

-Vous avez été un ami de ma pauvre mère. Vous l'avez consolée quand mon père la battait. Vous vouliez la protéger des viols qu'elle subissait et si rien ne s'est fait, c'est parce qu'elle vous a supplié de ne pas mettre votre vie en péril.

Un brouhaha parcourut les spectateurs : l'homme sans honneur, protéger une femme de son propre époux ?

-Vous aimiez aussi ma nièce, mon neveu, teniez mes frères et ma belle-sœur en haute estime.

Il acquiesça.

-J'ai appris la folie de mon père. Les monstruosités qu'il a commises.

Elle se leva, se tourna vers Eddard qui se tenait non loin de ses deux filles.

-Lord Stark. Au nom de mon père, je vous demande pardon pour les meurtres de votre père et de votre frère.

-Les enfants ne sont pas responsables des erreurs de leurs parents, Princesse. Répondit humblement le suzerain du Nord. Mais le Nord vous sera reconnaissant pour vos paroles. Je vous remercie.

La khaleesi reprit place.

-Ce que je ne comprends pas, Ser Jaime, c'est comment un homme si dévoué à ma famille a pu ainsi trahir son serment. Ser, pourquoi avoir tué mon père ?

L'homme soutint le regard de la dernière des Targaryen.

-Parce qu'ainsi, j'ai sauvé cinq cent mille vies, Princesse.

Une vague de stupeur frappa l'assemblée. Joffrey leva la main pour la faire taire.

-Votre frère venait de mourir. L'armée de Robert Baratheon marchait sur Port Réal. Votre père se savait perdu. Il venait d'apprendre que ma maison s'était jointe à celle des cerfs. Le roi Aerys m'a alors ordonné d'aller tuer mon père, de décapiter son cadavre et d'ensuite lui rapporter sa tête. Cela a été le dernier ordre direct qu'il m'a donné.

Tywin se figea un instant. Ce fut assez pour alarmer sa fille, son fils cadet.

-Le roi avait fait cacher du feu grégeois sous la cité. Il a ordonné que l'on aille allumer les fioles. Savez-vous ce qu'est le feu grégeois, Princesse ? Une substance d'un vert semblable aux yeux des Lannister. Une substance hautement inflammable qui s'embrase à la moindre étincelle, qui dévaste tout sur son passage.

Daenerys déglutit.

-Votre père voulait que Robert règne sur une ville de cendres ! Il allait faire exploser, brûler, la capitale toute entière ! Des vieillards, des hommes, des femmes, des enfants qui hurleraient d'agonie pour ceux qui auraient eu l'infime chance d'en réchapper ! Des gens réduits à moins que de la poussière sous l'effet de la détonation ! J'ai tué votre père, mon roi, l'homme à qui j'avais juré fidélité et protection, parce que cela allait à l'encontre d'un autre de mes vœux : celui de protéger les plus faibles ! J'ai assassiné votre père, Princesse. Si je regrette les conséquences qu'elle a eues sur votre vie, sur celles des vôtres, je ne regrette pas mon choix. Je le referai, encore et encore.

D'une voix chevrotante, Daenerys demanda ce qu'il était arrivé aux fioles de feu grégeois.

-Stockées en lieu sûr. La capitale n'est pas en danger. J'ai également tué les autres alchimistes qui devaient participer dans ce plan inique.

-Comment vous croire, Ser ? C'est votre version.

Joffrey se tourna vers Pycelle.

-Avez-vous des traces d'achat ou d'ordres du roi fou dans les archives concernant le feu grégeois ?

-Oui, Votre Grâce. Dit le vieillard. Bien que l'utilisation n'ait jamais été expliquée. J'ai pour ma part cru que le roi aurait voulu, à l'instar d'Aerion Viveflamme, en boire, pensant que cela le transmuterait en dragon…

-Je vous demande un instant de réflexion. Déclara la Mère des Dragons

Une fois seule, Daenerys réalisa que sa main tremblait. Que faire ? Qui croire ? Ser Barristan avait été un ami de sa mère. Tout le monde ici lui disait que son père était fou. Viserys lui aurait dit qu'ils croyaient la propagande de l'Usurpateur. Leur père était « particulier », comme tous les membres de leur famille. Cependant, elle avait vu l'instabilité gagner son frère : une vie de privation, d'aigreur, d'humiliation, avait fait pencher la balance du mauvais côté.

Seigneur, que devait-elle faire ?

Elle pouvait obtenir la tête de Jaime, Joffrey la lui offrirait peut-être, même si elle sentait qu'il lui demanderait la clémence et la possibilité de l'envoyer au Mur. Refuser cela, était-ce risquer alors une guerre ? La voix de Jorah résonna dans son esprit. Son ami lui dirait de suivre son coeur. Son coeur pur selon ses dires. Que souhaitait-elle ?

La Justice ?

Le Trône ?

La paix ?

-Je veux être chez moi… à la maison…

Et elle y était.

Joffrey lui offrait la possibilité d'un chez elle, sur ses terres, avec un statut, une place, quelque chose. Barristan n'avait aucune raison de lui mentir : il était réputé pour être l'un des chevaliers les plus honnêtes des Sept Royaumes, Jorah lui-même le lui avait confirmé. La porte s'ouvrit derrière elle. Elle se retourna. Sansa était là, plongeant aussitôt dans une profonde révérence.

-Votre Altesse, le roi me demande votre réponse.

-Bien sûr…

La future reine se rapprocha d'elle, prit sa main avec douceur.

-Cependant, si vous avez besoin de temps, je peux demander le report de l'audience. Personne ne vous en voudra, pas après toutes ces révélations.

Daenerys lui sourit.

-Non. Non, je pense avoir fait mon choix. Non, en fait, je l'ai déjà fait.

Elles parurent ensemble puis regagnèrent leur place.

-Votre Grâce. Dit la Targaryen. J'ai pris ma décision. Je suis prête à annoncer ma demande.

Cersei agrippa le bras de son père. Tywin posa discrètement sa main sur les phalanges de sa seule fille. Le peuple, les nobles, le clergé, retenaient leur souffle.

-Ser Jaime.

Malgré l'inquiétude qui devait le ronger, il demeurait droit et fier.

-Je vous pardonne.

La reine mère eut un cri de soulagement, tombant à genoux, soutenue par son père et son petit frère. Ce fut alors un brouhaha incessant, une véritable ruche bourdonnante. Jaime, lui, observait la fille de sa victime sans réellement comprendre ce qu'il se passait. Son neveu réclama le silence.

-Je vous pardonne, Ser. Répéta la khaleesi. Je refuse de vivre dans la haine, le ressentiment et le passé. Encore moins quand votre crime est né de la volonté d'en voir un pire encore perpétré. Vous avez tué mon père. Mais vous avez sauvé une ville entière. Je vous pardonne, Ser. Et j'espère pouvoir apprendre à connaître l'homme sous le sobriquet.

Le Régicide s'inclina.

-Votre Grâce. Dit-elle à Joffrey. Je crains que le surnom « Régicide » ne soit guère approprié pour votre oncle. Je lui pardonne, bien sincèrement. Et je vous demande de bien vouloir lui en octroyer un plus digne.

-Cela sera fait, Votre Altesse.

Il quitta son trône, baisa la main de Daenerys.

-Merci, Votre Altesse… Murmura-t-il

-Je crois que vous pouvez désormais m'appeler Daenerys, non ?