Chapitre 12
Septa Mordane avait crié au péché. Eddard, lui, avait demandé à la septa de les laisser. Il n'était pas loin, il avait l'ouïe encore bien fine et, même s'il n'en dit pas un mot à la religieuse, il fallait bien que jeunesse se passe. Surtout qu'il n'y avait rien d'inconvenant à ses yeux. Joffrey était venu voir Sansa. L'après-midi touchait à sa fin, il voulait la voir en privé et la chaperonne de la future souveraine avait retrouvé sa protégée assise sur son lit, le jeune roi allongé, la tête posée sur les cuisses de sa fiancée. Ainsi isolés du reste de la cour et donc du monde, ils pouvaient enfin se laisser aller, surtout l'adolescent. Sa compagne caressait avec douceur ses mèches blondes, cela le détendait.
-Daenerys a accepté toutes nos demandes. Révéla-t-il
-Après tous les efforts que vous avez déployés, le contraire aurait été indécent.
-Sans doute. Mais elle est née princesse, je m'attendais peut-être à plus de caprices.
La nordienne sourit.
-Quid de ses dragons? Ils sont encore jeunes...
-La fosse aux dragons va être rouverte, réaménagée par des loyalistes Targaryen, sous surveillance bien sûr, et des dragonniers retraités vont être convoqués pour veiller à la sécurité.
-C'est merveilleux. C'est tout un pan de l'histoire qui revit! Et ses hommes? Les dothrakis?
Certains avaient voulu retourner par-delà la mer, rejoindre un khalasar. Un navire avait été affrété pour les déposer. Ceux qui désiraient continuer à servir leur khaleesi avaient été intégrés à sa suite. On leur apprenait les us et coutumes, le langage, sans pour autant chercher à faire d'eux des sudistes. Daenerys elle-même ne l'aurait jamais accepté. Jaime s'était vu retiré son surnom de Régicide, d'ailleurs le grand livre des capes blanches était actuellement modifié. On voyait souvent le chevalier en compagnie de la princesse déchue, laquelle cherchait, à travers lui et à travers Ser Barristan, à découvrir les grands absents de sa vie. Le conseil avait accepté, un peu contraint et forcé, l'accord trouvé entre les deux têtes royales, cependant ils admettaient que c'était l'issue la plus calme possible.
-Vous devez peut-être m'en vouloir d'avoir fiancés nos enfants qui ne sont même pas encore nés...
-Je souhaite à nos enfants d'avoir un mariage d'amour comme le nôtre le sera. Dit-elle. Mais regardez mes parents : leur mariage a été arrangé, l'amour est venu après. L'un n'empêchera pas l'autre.
-Il me reste la Banque de Fer à gérer... Père a dilapidé le royaume... Et j'ai aussi énormément de dettes envers Grand-Père.
-Lord Tywin vous accordera des facilités de paiements sans difficultés. Vous êtes son petit-fils. Quant à la Banque, j'avoue ne pas pouvoir vous aider... Je suis très mauvaise en gestion!
-Mais vous brillez par vos milliers d'autres qualités.
Elle rougit sous le compliment.
-Vous êtes intelligent, Votre Grâce. Vous trouverez.
-Joffrey.
-Pardon?
Il y avait comme une tristesse dans ses yeux.
-Appelez-moi Joffrey en privé. De grâce. Trop peu de personnes utilisent mon prénom, j'ai le sentiment de l'oublier...
-Joffrey.
La voix de Sansa prononçant son prénom. Rien ne parut plus beau à ses oreilles. Le chant des anges, cela devait ressembler à cela.
-Le conseil a approuvé notre mariage. La date sera fixée sous peu.
Elle rayonnait.
-J'ai tellement hâte de porter vos couleurs!
Ses couleurs... Le jaune et noir des Baratheon alors que dans ses veines coulaient, viciées, le rouge et or des lions... Il n'arrivait toujours pas à s'y faire, à pardonner à sa mère. Qu'elle se console dans les bras de quelqu'un parce que son époux la trompait, c'était difficile à avaler mais il comprenait. Mais son propre frère... se laisser engrosser par lui... Cela avait l'air d'un coup d'état bien rodé et pernicieux...
-Je voudrais resserrer les liens avec les Tyrell. Ils nous ont bien aidés avec Daenerys. De plus, je doute que le mariage de Margaery à mon oncle Renly soit un mariage de passion... Son lit doit être bien froid.
Sansa ne comprenait pas et il n'eut pas le coeur de briser son innocence.
-Pensez-vous à une place au conseil pour l'un deux?
-J'avais pensé à un mariage.
-Oh? Pensiez-vous à une cousine Lannister? La soeur de Lancel est exclue, elle est si petite! Mais s'il y a bien Joy Hill, elle est une bâtarde, l'accepteraient-ils?
-Ma mère. A Loras Tyrell.
Il y eut un silence.
-Vous n'approuvez pas?
-C'est que la différence d'âge est certaine, Joffrey. Sans offense à votre mère. L'aîné, Willas, l'héritier de Hautjardin, n'a que sept ans de moins et n'a pas encore d'épouse. La reine mère est encore florissante, elle pourrait lui donner des héritiers. Quel plus bel honneur pour cette maison ambitieuse que d'avoir pour futur Lord Tyrell un cousin des souverains des Sept Couronnes?
L'idée de sa compagne avait beaucoup de mérite. Mais lui, il voulait punir sa mère en plus de servir ses intérêts. Le temps passait mais il n'arrivait pas à lui pardonner.
-Je crains que la reine n'ait guère envie de se remarier...
-La reine fera ce que son roi l'ordonne, comme l'exige son devoir.
Face aux yeux de sa promise, il ajouta.
-Je n'arrive pas à lui pardonner Sansa. Pour Père, pour moi, pour Myrcella, pour Tommen... Cette main levée sur vous! Elle m'aime, me direz-vous. Cela ne me rend la tâche que plus difficile... J'ai parfois l'impression d'être un menteur, un pantin, qui joue à être roi...
-Vous êtes le roi.
Elle caressa sa joue.
-J'ignore si le roi savait. S'il l'ignorait, il est mort en vous pensant son fils. S'il savait et n'a rien fait, c'est qu'il vous acceptait comme fils. Dans tous les cas de figure, vous êtes l'héritier légitime. Regardez tout ce que vous avez accompli! Vous êtes digne du trône, de la couronne, de vos peuples.
-Et de vous?
Elle embrassa son front.
-Vous seriez digne de moi-même en étant le dernier des métayers.
Sansa l'admettait, que Cersei veuille la voir l'étonnait. Elle s'en inquiétait un peu aussi : depuis la fois où elle l'avait agrippée à la gorge, la reine mère lui faisait peur. Le modèle qu'elle admirait, ce symbole de dignité et de beauté, s'était désagrégé alors que son vrai visage se découvrait : celui de la femme apeurée, jalouse, presque malade à la vérité. Elle ne comprenait pas non plus comment elel avait pu se compromettre ainsi avec son propre frère. C'était un acte dangereux, elle aurait pu mourir, et surtout, c'était là abandonner sa fierté de femme. Cependant, elle avait entendu des rumeurs selon lesquelles le roi Robert la frappait. Et Père avait dit un jour qu'on ne devait ni loyauté ni paix à ceux qui nous avaient fait du mal.
Lorsqu'elle entra, la Lannister était assise près de la fenêtre, regardant Tommen discuter avec Shireen. Elle n'acceptait toujours pas ce mariage, considérant l'enfant trop laide pour son précieux petit garçon.
-Votre Grâce.
Elle se retourna.
-Ah, ma petite colombe! Assieds-toi près de moi!
Le sourire de Cersei la glaçait. Elle obéit cependant.
-Nous n'avons pas pu réellement discuter, toi et moi. Ton mariage à Joffrey est en route. J'en déduis que tu as fleuri. Ta mère n'étant pas là, je sens qu'il est de mon devoir de t'instruire sur certains aspects de la vie maritale.
-Votre bienveillance me touche, Votre Grâce.
-Dis-moi, sais-tu comment les enfants sont conçus?
L'adolescente, saisit, ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Elle baissa les yeux, honteuse, expliquant qu'elle n'avait pas les détails mais qu'elle savait que cela se passait entre les jambes, au-dessus des genoux. La reine ne put s'empêcher de rire, un véritable rire dépourvu de malice pour une fois.
-C'est dans cette zone, chère enfant. Je doute qu'on te laisse aller espionner une travailleuse de Littlefinger, donc permets-moi une légère explication.
Les joues de la future mariée la brûlaient.
-L'accouchement peut se montrer long. Quand j'ai eu Joffrey, j'ai lutté pendant des heures. Mon frère était à mes côtés, même si on lui a dit que ce n'était pas sa place. Mon fils ne te montrera pas la même dévotion.
-Ce n'est rien, Votre Grâce. Le roi aura tous ses sujets à gérer. L'échiquier politique est son champ de bataille, le lit de couches sera le mien. Même si sa présence me réconforterait, je sais qu'il serait avec moi en pensée.
-Tu es bien sage. Et si ton époux te trompe?
Sansa eut l'impression que le monde s'effondrait à ses pieds.
-C'est la nature des hommes. Rares sont ceux qui sont fidèles. Ton propre père a été infidèle à ta mère. Moins que la majorité, je l'admets. Et c'était la guerre. Mais il l'a trompée.
-Le roi m'aime, Votre Grâce...
-Oh, tendre enfant...
Cersei caressa sa joue.
-Un homme peut aimer son épouse à la folie et la tromper...
-Votre oncle, Ser Kevan, aime son épouse et lui a toujours été fidèle...
-C'est bien l'un des rares et vu sa femme, personne ne l'aurait blâmé... Mais réponds-moi. Que ferais-tu, si le roi te trompait?
-Je ferai passer le royaume en premier.
Elle osa soutenir le regard de son interlocutrice.
-Je ferai comme vous, Votre Grâce. Je resterai droite, digne, fière.
-Et en tant que femme?
-J'ignorerai les maîtresses. Le roi est le roi, il peut faire ce qu'il lui plaît. Si la maîtresse reste à sa place, je peux fermer les yeux.
-Et si elle te manque de respect?
-Joffrey ne la laissera jamais faire...
L'adulte eut un rictus.
-Sans doute.
Joffrey, après tout, avait été prêt à la faire exécuter pour avoir levé la main sur elle...
-Mère, j'ai à vous parler.
Cersei sourit à son fils, heureuse de le voir.
-Dois-je m'en aller? S'enquit Tywin
-Non, restez Grand-Père.
Joffrey se servit un verre de vin et fixa les flammes qui dansaient dans l'âtre de la cheminée, la main sur le linteau.
-Mère, sachez que j'envisage votre remariage.
Elle se figea.
-Joffrey... Non.
C'était sorti immédiatement de sa bouche, d'une voix tremblante, presque effrayée.
-Pitié. J'ai déjà assez donné.
-J'ai dit que je l'envisageais, Mère. Ce n'est guère chose faite. Mais si je souhaite qu'il se fasse, j'entends que vous m'obéissiez, en bonne sujette loyale.
Elle eut un rire cynique.
-Les rois respectent leurs mères. Mais dis-moi? Pour qui serais-je un veau d'or?
-J'envisage votre union à Willaw Tyrell.
-Le Bief. Veux-tu vraiment m'exiler?
Le regard de la reine mère changea du tout au tout.
-C'est Sansa, n'est-ce pas? C'est elle qui te l'a demandé! C'est pour se venger!
-Se venger de? S'interrogea Lord Lannister
-Mère a frappé Sansa il y a quelques semaines.
Tywin eut un rictus.
-Qu'a pu faire cette pauvre fille? Hormis rendre le roi heureux et le guider sur un bon chemin?
Le jeune homme observa l'autrice de ses jours, les yeux glacés.
-S'il vous faut des détails, j'avais songé à Loras Tyrell. Ma promise m'a suggéré Lord Willas. Plus proche de vous en âge. L'héritier d'Hautjardin. Vous seriez la lady d'un lord régnant d'une grande et influente maison, vos enfants, si vous en avez, serez les héritiers d'une vaste fortune. Je vous offrais le troisième fils qui a l'âge d'être votre enfant. Sansa, soucieuse de votre standing, m'a suggéré le premier né malgré ce que vous lui avez fait.
-L'union ne serait pas une mauvaise chose. Complète son aïeul. Et cela a le mérite de garder les Tyrell sous contrôle.
-Je ne suis ni une poule aux oeufs d'or ni une matrice pour des héritiers! S'emporta Cersei
L'adolescent ne se laissa pas émouvoir.
-Non. Vous êtes ma mère. Que j'aime. Que j'aime malgré tout. C'est bien pour cela que j'envisage et non ordonne.
Cersei tremblait.
-Sansa n'est pas votre ennemie.
Il avait tort.
Elle l'était.
Aujourd'hui plus que jamais...
