Ses yeux froids plantés dans ceux, de la même couleur mais infiniment plus doux de l'enfant, Entreri gardait les mâchoires scellées.
Il avait toujours fait attention pourtant !
Il avait toujours veillé a ne pas laissé s'égarer les millilitres de sa personne nécessaire a la fabrication d'une magnifique farce cosmique.
Et puis franchement, lui ! Père ! Et puis quoi encore ?! Prendre Do'Urden comme concubine aussi ?
Grinçant des dents, il jeta un regard assassin à l'enfant qui baissa les yeux.
L'humeur du tueur atteignit des sommets dans l'exécrable.
Le gosse n'avait même pas peur de lui ! Il baissait le nez, certes, mais plus visiblement parce qu'on lui avait apprit à le faire que parce qu'il avait peur ! Et pire que tout, son fils ne baisserait PAS le nez devant tout le monde et n'importe qui !
Il jeta un coup d'œil à l'horloge.
La mère du gosse était allée demander quelques heures de congé et n'était pas encore revenue. Pourtant, elle était partie depuis plus d'une heure et…
Un juron saignant échappa à l'assassin.
Il se leva d'un bond sans se soucier du banc qu'il renversait derrière lui et se précipita dans la salle principale de l'auberge.
"- Que…"
Le tenancier n'eut pas le temps d'en dire davantage qu'une épée démoniaque de fort beau gabarit se plantait devant son nez.
"- Où est-elle." Gronda l'assassin, les yeux brillant de rage à l'idée de s'être fait pigeonner.
L'homme glapit de terreur.
"- OU EST ELLE ?"
Les consommateurs se gardèrent bien d'intervenir. L'assassin était connu comme la peste et tout aussi dangereux.
"- Q…Qui ?"
"- La pute blonde, petite, cheveux ondulés, yeux violets."
"- Elle…A donné son congé…tout a l'heure…"
Entreri lâcha le tenancier.
"- Elle s'est sauvée…."
L'homme se frotta la gorge et hocha frénétiquement la tête. La dernière chose qu'il voulait était quand l'assassin se passe les nerfs sur lui.
"- Et son gosse ?"
"- Elle l'a pas emmené ?" Le tenancier eut un geste d'humeur malgré sa peur. "Quelle salope ! Vais certainement pas m'en occuper !"
L'assassin grinça des dents.
L'idée de voir un gosse grandir dans la rue ne le dérangeait pas. Lui-même y avait survécut.
Mais l'idée que SON fils grandisse seul dans la rue, sans personne pour le surveiller, le bouleversait….Même s'il l'aurait nié sur son lit de mort si on le lui avait demandé.
"- Je l'emmène."
Le tavernier étrécit les yeux, le gamin pourrait être vendu un bon prit, il était si joli…
"- Ca, j'en doute."
L'assassin se redressa.
"- Pardon ?"
"- Après tout… je l'élève depuis sa naissance et…"
Charon's Claw se porta à nouveau sur la gorge du tavernier.
"- Et ?"
L'homme avala péniblement sa salive.
"- Il peut partir." Couina-t-il difficilement.
Une toute petite main se glissa dans la grande patte calleuse et déliée de l'assassin.
Il retint un geste de surprise et serra machinalement la petite main de l'enfant dans la sienne.
Sans baisser les yeux sur lui, il lâcha sèchement.
"- Tu as des affaires ?"
L'enfant le fixa, étonné.
"- Vous voulez bien que je vienne ?"
Un peu surpris a son tour, Entreri finit par jeter un regard à son fils.
"- Va chercher tes affaires."
Le petit garçon lâcha la main de son père et fila aussi vite que possible chercher ce qu'il ne voulait pas laisser.
Très vite, il revint avec un baluchon pitoyablement petit a la main.
Avec un dernier regard assassin pour le tavernier qui tremblait sur le sol, Entreri poussa le petit vers l'arrière de l'auberge et sortit avec lui par où il était entré.
"- Tu t'appelles comment?"
L'enfant baissa les yeux sans répondre.
"- Parait que je suis ton père…"
"- C'est ce que Lucinda me disait."
"- Lucinda, ta mère ?"
Le petit garçon aux cheveux noirs hocha stoïquement la tête.
"- Tu l'appelle pas maman ?"
L'enfant resta silencieux un instant avant de répondre, la voix légèrement tremblante.
"- Elle ne voulait pas, elle disait que ça faisait du tord a son commerce…Que JE lui faisais du tord…Alors je dormais toujours dans l'écurie…Enfin, quand elle avait un client."
Enteri serra les mâchoires.
Comme beaucoup d'enfant de Calimport, il avait été lâché dans la nature dès qu'il avait plus ou moins sut marcher tout seul et tenir une dague par le bon bout sans avoir besoin d'un plan.
Sa mère fabriquait des chandelles s'il se souvenait bien et son père n'avait jamais été autre chose qu'un souvenir….
Pourtant, il pensait se souvenir vaguement que sa mère l'aimait. Il se souvenait surtout de l'odeur de la petite boutique, remplie d'herbes et de cire….
Il secoua la tête.
Sa mère était morte quand il avait sept ans, tuée par accident par un assassin de la guilde Bassadonni.
Sans réfléchir, le petit Artemis avait prit un couteau de boucher dans le tiroir de la petite boutique et avait pisté le tueur.
A sa grande stupéfaction, il y était parvenu.
Amusé par le jeune garçon, l'assassin l'avait à moitié tué avant de le prendre sous son aile et de lui apprendre les rudiments du métier.
A neuf ans, Entreri avait massacré son "bienfaiteur" dans son sommeil….
Et maintenant, presque 30 ans plus tard, il se retrouvait avec un mini lui qui avait encore dans les yeux cette infime étincelle d'innocence qui désertait si vite ceux des enfants de Calimport.
La tête basse, l'enfant trottinait derrière lui, tentant tant bien que mal de suivre les grandes foulées élastiques de l'assassin.
Perdu dans ses pensées, Entreri prenait machinalement la direction de l'auberge où il avait ses habitudes.
Repère de la guilde des petits hommes de la cité, elle était tenue par l'une de ses très rares amis.
Tranchant la foule comme un couteau chauffé au rouge transperce du beurre, il eut tôt fait de rejoindre l'auberge.
Il se retourna pour voir si l'enfant était parvenu à le suivre et haussa un sourcil surprit en le voyant près de lui. Certes hors d'haleine, mais près de lui.
"- Nous allons quitter Calimport."
Il ne le dirait jamais à haute voix, mais puisque le destin lui avait collé un rejeton sur son bras, il ne voulait pas le voir évoluer dans une ville aussi glauque que celle qui l'avait vu grandir.
La petite femme ouvrit la porte de l'auberge quand il tapa le code idoine.
"- Entreri tu rentre tôt et… hoooooooooo ! Mais qui est ce petite bonhomme."
Le gamin s'inclina.
"- Bonjour madame."
Charmée par la politesse de l'enfant, Dwahvel, s'écarta pour les laisser entrer.
"- Il te ressemble." Susurra la petite femme à l'assassin qui grogna.
"- Je suis au courant." Lâcha-t-il, lugubre.
Le petit garçon baissa les yeux, pas étonné. Si sa mère l'avait abandonné, il n'avait pas grand-chose à attendre d'un parfait inconnu, quand bien même puisse-t-il être son géniteur.
Dwahvel poussa le garçon vers la cuisine.
"- Viens, je dois discuter avec ton père. Il doit y avoir de quoi te nourrir par la.
Le petit jeta un regard effrayé à son père. Allait-il disparaître comme l'avait fait sa mère ?"
Entreri tendit le bras et attrapa son fils par l'épaule.
"- Apporte plutôt a manger ici, j'ai faim aussi.
Un peu rassuré, le petit se serra machinalement contre les jambes de l'adulte.
Touché, Entreri lui tapota la tête.
"- Je vous apporte ça."
Le petit enfant s'assis anxieusement.
Plus timide qu'un jeune chat, les mains posées sur les genoux, le bout de chou ne faisait pas plus de bruit sur son père lorsqu'il se déplaçait. Tant et si bien qu'Entreri finit par plus ou moins l'oublier et parler plus librement devant lui.
Enfin, le petit garçon pu prendre le temps d'observer l'homme qui était son géniteur.
Sa maman avait raison.
Ils avaient les mêmes yeux, le même visage, la même couleur de cheveux…Jusqu'aux mêmes doigts longs et déliés bien qu'encore potelé par l'enfance chez l'enfant.
Le fils de l'assassin baissa les yeux.
Il comprenait que sa mère soit partie. Elle n'avait jamais fait mystère de son aversion pour lui et n'avait jamais perdu une minute pour le rabaisser.
La preuve la plus flagrante était son nom…
Elle n'avait jamais trouvé une minute pour lui en donner un.
Des gens qui l'entouraient, on l'appelait le gosse ou petit… rien de plus… Rien qui ne lui donne une identité propre.
On le secoua doucement par l'épaule.
Lentement il rouvrit les yeux.
Avec un petit glapissement, il se redressa avant de s'excuser à profusion.
Entreri le fit taire d'un geste de la main.
Il n'allait pas le frapper parce qu'il s'était endormit la tête sur sa cuisse en suçant son pouce ! Il était son fils quand même. Il n'allait pas le frapper pour une bêtise pareille….Il n'allait pas le frapper tout court d'ailleurs…Il ne savait que trop à quel point c'était inutile et contre productif…
Dwahvel retint un petit sourire en coin amusé.
Artemis Entreri l'aurait nié sous la torture mais il éprouvait une visible affection croissante pour le petit garçon qui lui ressemblait tant.
Elle n'aurait jamais imaginé l'assassin dans la peau d'un père aimant mais c'était bien le plis qu'il semblait prendre.
Le petit garçon soupira tristement.
Il était si fatigué…
Entreri déplia ses longues jambes musclées et se leva tranquillement.
"- Nous allons y aller."
La petite femme protesta énergiquement.
"- Le petit dort debout ! Tu ne va pas lui faire prendre la route comme ca ! En plus, il n'a rien a se mettre a part ce qu'il a sur le dos. Il va avoir froid."
L'assassin n'en démordit pas.
"- Donne lui une couverture, il chevauchera en croupe. Je veux mettre le plus de distance possible entre cette vielle et lui et ça, le plus rapidement possible."
Il rosit légèrement, un peu choqué se s'être laissé allé a pareille confidence.
La tenancière de l'auberge soupira mais n'insista pas.
Elle savait a quel point il était inutile d'essayer de faire entendre raison à l'humain quand il voulait se montrer borné.
"- Comme tu veux…"
Elle alla chercher la couverture demandée et la donna au petit garçon a moitié endormit qui s'appuyait sur la jambe de son père pour ne pas tomber par terre.
Il s'en saisit , remercia gentiment, puis suivit a l'extérieur où son géniteur sellait un bon cheval. Dès qu'il l'eut bridé, il souleva l'enfant de terre, l'assit devant le pommeau, puis sauta en selle. Il prit la couverture des mains du petit, l'emmitoufla dedans avec une décontraction remarquable, puis prit les rênes.
Machinalement, le gamin se bouina contre le large torse musclé de son père et ferma les yeux.
En quelques instants, bercé par sa chaleur, les battements de son cœur et l'odeur de musc et d'acier qui se dégageait de la peau de l'assassin, il dormait.
Un petit sourire infiniment tendre monta timidement aux lèvres du tueur.
"- N'oublie pas que c'est ton fils, Entreri. Même s'il ne te connaît pas encore beaucoup, il t'aime déjà. C'est évident…"
Le sourire de l'assassin disparu, instantanément remplacé par un masque froid que la petite femme connaissait bien.
"- Adieu ma chère amie…"
Et sans un mot de plus, il fit volter sa monture avant de s'engouffrer dans les rue ombreuses de Calimport, bien décidé à être dehors avant la fermeture des portes.
Entre ses qualités martiales et son infravision, il ne risquait par grand chose des éventuels risques de la route.
Mais ça, c'était avant d'avoir un adorable petit fardeau brun entre les bras.
