UN SOMMEIL SANS RÊVES
(août 844)
Livaï
Je me réveille en sursaut, à moitié immergé dans l'eau savonneuse. Encore un cauchemar...
La tiédeur du bain m'indique que j'y suis depuis un moment. J'ai dû m'assoupir... Faut dire que c'est difficile de pas se laisser aller. Depuis que je prends des bains, je crois bien n'avoir rien connu de plus agréable. Je vais pas sortir tout de suite. J'actionne la pompe pour remettre un peu de flotte, puis plonge dedans pendant quelques secondes.
D'habitude j'aime la sensation de plongeon, mais là, je remonte vite fait. Ca me rappelle trop ce que je viens de vivre. Quand j'étais abandonné dans cette immensité de l'océan, telle que je l'imagine, avec tous ces monstres sous mes pieds prêts à me bouffer... Erwin pouvait pas savoir que ça provoquerait ça chez moi, et moi non plus. Sur le moment, l'évocation de l'océan m'avait émerveillé, mais plus je pense aux détails, plus c'est flippant. Je me fais sans doute des idées...
Ils sont tous à la cambuse en train de dîner ; moi, je préfère être ici. Le major est peut-être dans la forteresse lui aussi, je l'ai vu déambuler tout à l'heure. Il a toujours l'air préoccupé. Trouver des fonds pour une nouvelle expédition demande pas mal d'imagination, et je suppose qu'Erwin va devoir s'y coller de nouveau. Il est persuadé que si on ramène des échantillons de pierres, ça intéressera davantage de donateurs. Hanji est aussi très excitée à l'idée d'y retourner.
On pourrait y aller en petit groupe ; l'escouade d'Hanji et la nôtre. Même le major serait pas obligé de venir, Erwin ferait le boulot pour lui. Quand j'y pense, y a des tas de choses qu'Erwin pourrait faire à sa place... Mais, non, je voudrais pas qu'il soit major, il se prend déjà assez la tête comme ça...
J'entends des pas de l'autre côté du couloir. Les murs sont plutôt fins... Les quartiers d'Erwin prennent tout un côté de la forteresse, mais il n'y crèche quasiment jamais. C'est à peine s'il dort lui aussi. Il se retranche plus volontiers dans son bureau. Shadis a vu d'un mauvais oeil que j'emprunte sa salle de bain une fois par semaine. Erwin a eu beau lui expliquer que c'était un petit arrangement entre nous, il a pas eu l'air d'apprécier... Les sous-fifres comme moi sont pas censés se balader par ici.
Oh et puis merde, on est déjà sous-payés, c'est pas parce que je me prends un petit plaisir de temps en temps que le monde va s'écrouler !
Je me lave les cheveux - Erwin a un bon paquet de produits de soin - puis décide de sortir. La bigleuse se fout de moi en prétendant que ma peau va finir par fondre dans l'eau si je me lave trop. C'est ça, occupe-toi de tes titans, et pour ce qui est de l'hygiène, laisse tomber.
Je me frotte avec ma serviette et enfile des vêtements propres. Pendant un moment, je suis tenté d'essayer la lotion coiffante d'Erwin ; c'est grâce à elle qu'il réussit à conserver sa tête de premier de la classe même en pleine bataille. Ca doit coûter cher, ces trucs-là... Je me demande pourquoi il laisse pas ses cheveux libres ; c'est comme s'il essayait d'être quelqu'un d'autre...
Je vide la baignoire en enlevant le bouchon et le son de la tuyauterie résonne autour de moi. C'est vraiment ingénieux, en fait j'aurai pu me fabriquer ça dans les bas-fonds. Il aurait fallu raccorder tout ça la l'alimentation de la fontaine, et... La baignoire, par contre...
Je sors de la salle de bain et traverse la piaule d'Erwin - dans laquelle il ira sans doute pas se coucher. Il l'utilise si peu qu'elle paraît très propre. Son lit est fait au carré et je parie qu'il sera dans le même état demain matin. Il a beau dire, il dort pas plus que moi, j'ai l'impression. J'enfile ma veste tout en ouvrant la porte et je croise Moblit dans le couloir, les bras chargés de parchemins. Il me jette un drôle de regard mais je relève pas. C'est un bon gars. Pour supporter la bigleuse au quotidien, c'est nécessairement un type bien.
Je serais pas aussi courageux, moi.
