UN ECLAT DANS LE NOIR
(octobre 844)
Greta Elfriede

A l'heure qu'il est, tout le monde doit dormir ; ils étaient peu à nous regarder partir de Shiganshina. C'est le bruit de centaines de chevaux au pas qui les a mis à leurs fenêtres. Bonnets de nuit, visages ensommeillés, yeux engourdis ; des images de prospérité. Celles de gens vivant sans trop de soucis et sans penser que la mort peut frapper à tout moment.

Nous, nous ne pouvons nous permettre d'espérer cette quiétude.

Peu d'entre nous ont dormi, car la nuit a été courte. Après le festin traditionnel d'avant expédition, j'ai fait en sorte de me reposer en attendant le clairon du départ. C'est Livaï qui m'a secouée ; il était déjà en tenue, tenant son cheval par la bride. C'est alors que je me suis rendue compte que je m'étais endormie dans l'écurie.

La pleine lune brille haute et claire au-dessus de nos têtes. Le mieux qu'on puisse espérer pour une sortie nocturne, car la lumière éclaire notre route. Ce n'est pas la première fois que nous tentons une sortie avant l'aube. Les titans seront eux aussi assoupis et nous ficheront la paix. Nous disposons de quelques heures avant qu'ils ne s'éveillent et recherchent leur petit déjeuner.

Les gradés ont décidé que partir si tôt nous permettrait d'aller le plus loin possible avant que la nuit ne tombe de nouveau. Selon Erwin, nous devrions atteindre la carrière vers midi, à moins que ça tourne mal. Je jette un oeil sur le chariot de réappro plein à craquer et bâché que notre groupe escorte. C'est le plus important des trois. Nous avançons, tous ensemble, tout le bataillon, au petit trot sur la route maintes fois empruntée par nos prédécesseurs serpentant vers le sud. Nous devons être un peu plus de cent ; un véritable appât à titans. Je serre le poing sur mon coeur ; il bat à un rythme normal pour l'instant. Je n'ai pas peur mais si cela pourrait être ma dernière sortie. Je ne me vois pas mourir, pas avec les remarquables soldats qui m'entourent.

Livaï est à côté de moi, comme toujours, sur l'aile droite du chariot, Steff et Mike sur l'aile gauche. Erwin ouvre la marche devant le convoi. Le major guide la longue file avec un chariot vide à l'avant et chef Hanji ferme la marche de même derrière. Les escouades sont postées un peu à l'extérieur par rapport à la position générale afin d'intercepter les ennemis en premier. Les recrues se trouvent plus à l'intérieur et ne doivent attaquer qu'en dernier recours. Leur principale défense sera la fuite.

Je ne les sens pas si anxieux que ça. Ils n'ont jamais vu de titans jusqu'à présent, ils n'imaginent pas quels monstres horribles ils sont. Je les entends murmurer des choses banales, comme si nous nous promenions dans les paysages sauvages du Mur Maria. Mais soudain, les chuchotements cessent. Car sur notre droite gît une grande masse allongée sur le côté ; un titan endormi, recroquevillé sur lui-même, inerte à cause de l'absence de lumière.

Instinctivement, nous ralentissons nos montures pour ne pas le déranger. Des exclamations de stupeur fusent malgré tout et j'entends Steff les réprimander d'un "chhttt" énervé. Heureusement que la lune est notre alliée, sinon nous aurions pu buter dedans et ça aurait été la cata.

Erwin nous indique une direction et nous suivons la tête de la procession en silence. Il est très calme, et Livaï aussi. Trop calmes, à la vérité j'aimerais entendre le son d'une voix familière... Si tout se passe bien pour l'instant, cela peut déraper à tout moment... L'obscurité fait naturellement peur aux humains ; s'aventurer dans ces vastes plaines dangereuses dans le noir est d'autant plus effrayant... La lune n'y change rien, c'est bel et bien la nuit.

Je frissonne sous ma cape. L'air s'est refroidi depuis quelques minutes, et je bouge mes bras et mes jambes pour les empêcher de s'ankyloser. Un autre titan se dessine sur le côté de la route - la raison pour laquelle nous avons un peu dévié de notre trajectoire plus tôt. J'entends Livaï bâiller et cela me fait rire malgré moi. Il déteste être inactif s'il ne peut pas au moins lire un bon livre ou siroter son thé. Essaie de ne pas t'endormir en selle, mon vieux ! Je sais que ça lui arrive parfois, il peut s'assoupir partout, et se réveiller dans la seconde, frais et alerte. C'est un véritable don, ça.

Tout semble bien se passer et nous chevauchons au trot depuis déjà un bon moment. Je juge les heures écoulées à la couleur de l'horizon, qui commence à s'éclaircir. Il faut se secouer, ça va peut-être valser d'ici à peu de temps.

Je sors mes poignées de commande et enclenche mes lames ; plus pour me donner quelque chose à faire que par réelle peur d'un danger imminent...