UN ECLAT DANS LE NOIR
(octobre 844)
Steffen Wenzel

Ca va mal. Les lignes n'ont tenu que quelques minutes face à l'afflux de titans. Quand le grand déviant a foncé direct dans les premières lignes, nous étions trop loin pour intervenir tout de suite.

Mike et moi sommes à l'avant pour tenter de retenir ces monstres et les empêcher de faire plus de dégâts. Mais les morts se comptent déjà... Sous les sabots de nos chevaux, le sang couvre l'herbe verte et risque de nous faire déraper. Mike décolle de sa monture et je le suis de près. Nos câbles accrochent un neuf mètres égaré et nous le mettons à terre en quelques secondes. Mais ça ne s'arrête jamais ! Regarde, Mike, celui-là va se faire bouffer ! Grouillons-nous !

Nous passons d'un titan à l'autre sans toucher terre, angoissés uniquement par les cris du soldat en train de disparaître dans la bouche démesurée d'un onze mètres... Ce n'est qu'un gosse encore, une nouvelle recrue... J'accélère, tentant le tout pour le tout, frôlant même la mort - et les doigts des titans - dans l'espoir d'arriver à temps.

Peine perdue. Le soldat a été englouti et son sang éclabousse les lèvres énormes et luisantes... Une image que je n'ai jamais pu supporter... Mike, que ça nous empêche pas de lui faire payer ! Tranche-lui la nuque, à cet enfoiré ! Mike retombe avec une extrême violence sur le cou du monstre, à tel point qu'il lui sectionne presque la tête. Sa colère est perceptible sous son flegme habituel. Perché sur le dos du titan écroulé, nous regardons autour de nous l'étendue des dégâts.

Les lignes, désorganisées, tentent de fuir dans toutes les directions, en espérant que les titans se fatiguent à les poursuivre. Mais ce sont des bleus, ils savent pas que les titans continueront à les pourchasser jusqu'à ce que le soleil se couche. Je me prends à le prier de finir sa course au plus vite pour stopper le carnage, mais je peux rien faire d'autres ! Le chariot a disparu, Greta et Livaï aussi ; sans doute en train de livrer bataille ailleurs. Les explorateurs fuient sur toute la plaine, mais pour aller où ? Nous n'avons aucun refuge !

Et Erwin ? Où est-il, toujours à l'avant avec le major ? Ou bien est-il déjà... Les lignes avant ont pris la première attaque de plein fouet, pourvu que...

Mike me crie de continuer à tuer tant que je le peux, que c'est tout ce qu'on peut faire. Il vaut mieux se séparer, mec ! Il y en a partout, on optimisera pas nos attaques en restant ensemble ! Je m'assure que mon cheval n'est pas loin, quand une silhouette couverte de sang fumant se dirige vers nous.

C'est le chef ! Il a eu son lot d'ennemis lui aussi ! J'espère que c'est bien que du sang de titan qu'il a sur lui ! Il émerge de la mêlée et galope vers nous. Le poitrail de son puissant étalon est sanglant mais la blessure ne semble pas grave et la bête paraît ne pas la sentir. Le sang s'évapore enfin et le visage d'Erwin reparaît, ferme, concentré et résolu. Il nous crie d'en-bas qu'un abri a été découvert plus au sud, derrière la forêt ; un grand bâtiment doté de deux tours, facile à protéger. Le major est déjà en route et les survivants des lignes avant aussi ; nous devons rassembler ce qui reste des lignes arrières en déroute et surtout retrouver le chariot, car sans lui, nous ne pourrons jamais revenir chez nous.

Erwin tourne la tête de tous les côtés, en quête de Livaï et Greta. Il nous demande où ils sont et on doit bien admettre qu'on en sait rien. Quand la débandade a commencé, ils sont partis de leur côté mener leurs combats. T'inquiète pas, chef, je suis sûr qu'ils vont bien et sont en train de sauver les fesses des recrues ! Ah ! Et bien, qu'est-ce que je disais ! Le voilà !

Livaï se presse vers nous sur son cheval essoufflé. Il tourne autour d'Erwin en essayant de stopper sa monture affolée et l'informe qu'il a perdu Greta de vue depuis un moment mais que la dernière fois,il l'a aperçue près de la forêt. Erwin le laisse reprendre son souffle et lui répète ce qu'il nous a dit, assorti d'un autre ordre. Nous devons rallier au plus vite le refuge afin de pouvoir mieux défendre notre position. Livaï doit retrouver Greta et lui passer le message. Même si le soir approche, nous ne tiendrons pas les heures qui restent à découvert.

Ok, chef, on va chercher ce chariot, le ramener et foncer là-bas. En attendant, Erwin rassemblera les survivants et ils se dirigeront en masse compacte vers l'abri. Je tourne la tête de côté au moment de sauter en selle... et surprend le titan qui se jette sur nous, la bouche ouverte, les bras écartés !... Un déviant, qui vient sur nous ! Dégagez !

Mais Livaï est le plus rapide. Il saute de son cheval immobile, lance son grappin et tournoie autour de sa cible ; en un quart de seconde, il l'a abattue et elle vient s'écrouler sur son camarade. Livaï retombe près de nous ; ses yeux paraissent rouge dans la lumière de fin d'après-midi... Mon vieux, il faut y aller ! Retrouve Greta et on nous on s'occupe de ramener le chariot ! Faut déjà qu'on le trouve... Economiser le gaz et les lames... Sinon on est foutus.

D'autres titans viennent vers nous. Erwin ordonne la dispersion et on ressaute sur nos montures pour quitter le coin. Mes compagnons prennent tous une direction différente. Livaï, lui, s'éloigne vers la forêt. Pourvu qu'il la trouve...