UN ECLAT DANS LE NOIR
(octobre 844)
Erwin Smith

Mes blessures sont légères. Un tour à l'hôpital devrait suffire pour régler ça.

Nous avons réussi à vider la zone des titans qui nous harcelaient. L'architecture de ce bâtiment était idéale, les tours nous ont permis de stopper nos ennemis tout en nous assurant un bon refuge au cours de la bataille. Un seul mort parmi les vétérans à déplorer. J'espère ne pas devoir en subir une autre...

Mike et Steffen me suivent vers la salle de soins, aussi vaillamment que possible. Steffen a bien failli se faire dévorer tout à l'heure, heureusement que Mike n'était pas loin. Je lui ai ordonné de vérifier que son dispositif est toujours en état de marche. Je les abandonne en arrière, tout entier tendu vers ma destination.

Une infirmière m'attrape au vol et pose un cataplasme sur mon épaule blessée. Je ne sens presque pas la douleur, j'ai d'autres soucis en tête. A commencer par Greta. Je ne l'ai pas vue sur le champ de bataille, alors qu'elle aurait dû nous rejoindre. Je voudrais des explications... Même si nous étions assez nombreux pour tous les repousser, son absence n'est pas tolérable. Elle doit sûrement avoir une bonne raison.

En attendant, je fouille la pièce des yeux et découvre où se trouve Livaï. Je m'y dirige afin de m'enquérir de son état et découvre Greta, à côté de lui, comme prostrée. Elle trempe un linge dans un bol d'eau et le passe sur le visage de Livaï. Je remarque le bandage autour de sa tête, et constate qu'il a l'air de dormir. Mais il ne doit pas aller bien. Je comprends pourquoi Greta est restée avec lui, et finalement, je l'en remercie.

Elle m'informe, à voix basse, qu'il a de la fièvre et que le médecin en chef affirme qu'il a une chance sur deux de ne pas survivre au lendemain. Je reste stoïque, sans montrer que cela me bouleverse, et mets ma main sur son épaule pour la réconforter. Elle ne me voit pas, garde la tête baissée, et fuit même mon regard quand je tente de capter le sien. Elle est choquée, cela se comprend. Je le suis aussi car Livaï est notre meilleur soldat ; rien n'explique rationnellement ce qui lui est arrivé. Mais il y a plus que ça, pour elle et pour moi ; Livaï est plus qu'un camarade. Les liens que le bataillon créé entre nous sont difficiles à définir. Et pour moi-même, c'est plus qu'un crève-coeur ; je ne l'ai pas sorti des bas-fonds pour le perdre si vite...

Greta semble abattue par autre chose, qui l'atteint personnellement, de façon profonde. Je ne sais pas ce que c'est, et lorsque je lui demande ce qui ne va pas, elle me répond à demi mot que l'état de Livaï est préoccupant et qu'elle veut passer la nuit à prendre soin de lui. Ce n'est pas ce que je veux entendre. Mais c'est peut-être vraiment cela qui la rend triste et nerveuse...

Je m'assois au chevet de Livaï et passe ma main sur son front. Brûlant, en effet. Greta m'informe - toujours en détournant le visage - qu'elle a réussi à lui donner un peu à manger tout à l'heure. Ah oui ? A-t-il parlé ? Dis quelque chose sur ce qui s'est passé ? Greta bredouille qu'il n'était pas très cohérent et qu'elle n'en a rien tiré. Bon sang... si cela doit vraiment être sa fin, j'aimerais au moins savoir ce qui s'est passé, ce qui a causé sa mort ! Si je pouvais au moins savoir ça, peut-être que je me sentirais moins coupable... Mais je ne me fais pas d'idée ; la culpabilité sera mon lot, comme à chaque perte...

Plus j'y pense, plus la possibilité qu'il se soit fait ça lui-même me paraît improbable... Je lève les yeux vers Greta, quêtant sur son visage défait une trace de réponse. Ne lui a-t-il vraiment rien dit ? Ou bien l'a-t-il fait et ne veut-elle rien m'avouer ? Pour le protéger peut-être ? Sa réputation ?... Ou bien est-ce autre chose ?

Mike entre à son tour dans la pièce, suivi de Steffen, et nous sommes bientôt tous rassemblés autour de Livaï. Mis au courant de son état, nos camarades décident également de rester à son chevet pour la nuit. Nous ne sommes pas les seuls à le faire ; maintenant que la bataille est finie et le calme revenu, tous les soldats survivants se rassemblent autour de leurs camarades blessés, pour s'occuper d'eux, leur tenir la main dans leurs derniers instants, les rassurer, et que sais-je encore. Ce spectacle me désole. Mais moins que tout autre je ne dois me laisser aller à la douleur ; si je me montre fort, ils le seront aussi.

Peut-être que notre force permettra à Livaï de tenir le coup. C'est tout ce que nous pouvons faire...