UN ECLAT DANS LE NOIR
(octobre 844)
Hanji Zoe

Le soleil va pas tarder à se lever. Debout, les gars, nos camarades devraient se pointer bientôt ! Faut être prêts à décoller !

La récolte s'est bien passée. On en ramène des sacs entiers ; exactement trente sacs, pleins de ce minerai si convoité ! On a mis au jour d'autres galeries et on a pu pousser assez loin sous terre. Les donateurs seront contents du résultat ! A condition bien sûr qu'on vienne nous chercher... Qu'est-ce qu'ils foutent ? Ce retard m'inquiète...

Il y a deux titans qui traînent dans les parages depuis hier. Ils doivent encore dormir mais s'ils tardent encore, ils vont finir par se réveiller et ils devront se les coltiner. Ca m'ennuierait, je les aime bien ces deux-là. J'ai passé la moitié du temps à les regarder s'ébattre dans le lac en face. Jamais je n'ai pu observer d'aussi près des titans qui n'avaient même pas conscience de ma présence ! Je me suis demandée ce qui motivait ces titans à rester ici alors qu'ils sont attirés par les humains. Pourquoi la majorité prend la peine de parcourir des kilomètres pour venir se planter devant les Murs quand ceux-ci font leur vie tranquilles ? Les titans ont peut-être des motivations, qui varient d'un individu à l'autre... Ils ont peut-être des pensées, et même des sentiments ?

J'aide Moblit à charger les derniers sacs en scrutant le ciel. Bon, je vais sortir pour guetter leur arrivée. Je grimpe sur la petite colline qui surplombe la carrière de pierre en mettant mes mains en visière. L'horizon s'éclaircit un peu, je calcule qu'ils devraient être là depuis environ une heure. Et si ça s'était mal passé ? Si le bataillon avait été... Non, je me refuse à envisager ça, ce serait trop horrible... Je ne peux imaginer les cadavres de mes camarades éparpillés sur une plaine inconnue, pourrissant et bouffés par les corbacs à des kilomètres de chez eux, c'est pas possible ! Pas avec Erwin et son escouade !

Ah ! je crois que je vois quelque chose ! La ligne de la colline devant moi se met à onduler. Une troupe descend dans la cuvette nous rejoindre et je distingue bientôt la silhouette de Keith sur son cheval noir. Derrière suit le chariot de réappro, à moitié vidé de son contenu. Ils arrivent ! Ouuiii, je le savais que vous pouviez pas me laisser dans cette situation !

Le major a le front encore plus bas et plissé que d'habitude. A sa suite vient le second chariot, à l'origine destiné à ramener des choses intéressantes des terres inconnues et les blessés, puis les montures rescapées sans cavaliers. Erwin leur fait escorte. Je compte trois de ses soldats derrière lui. Il en manque un... C'est... attendez, y a plus personne après eux !? C'est tout ce qui reste du bataillon ?!

Je compte vite dans ma tête. Nous étions plus de cent au départ, et là... je ne vois pas plus de soixante soldats répartis le long du convoi. Celui-ci s'immobilise près de l'entrée de la mine et je me précipite pour regarder dans le chariot qu'escorte Erwin. Des tas de cadavres enroulés dans des bâches, les uns sur les autres, avec le plus de respect qu'on peut leur témoigner... Bon dieu, Erwin, me dit pas qu'il est parmi eux, j'y crois pas ! Je me mets à lui tirer la jambe frénétiquement en exigeant qu'il me dise que c'est pas possible !

Erwin m'indique le premier chariot du menton, et je m'y précipite. Une vingtaine de blessés, incapables de monter ou de se battre, sont blottis les uns contre les autres avec la réappro. Quand il ne leur manque pas carrément un bras ou une jambe, c'est une terreur qui ne dit pas son nom que je décèle sur leurs visages... Il n'y en a qu'un qui ne se mêle pas aux autres. C'est Livaï. Il reste bien à l'écart dans son coin du chariot, le front bandé et le regard un peu vague.

Cette vision me soulage. Je sais pas pourquoi mais la mort de Livaï m'aurait abattue plus que tout autre chose... Ca aurait presque été un signe de la condamnation et de la dissolution inéluctable du bataillon à son retour. Sommes-nous allés trop loin, si même lui a failli y passer ? Et bien, autant le taquiner et briser le sort, ce sera mieux ! Alors Livaï, tu te fais transporter tranquille ? Tu devrais avoir le cul posé sur ton cheval, comme un grand garçon ! C'est quoi, ces manières ?!

Livaï lève les yeux vers moi et lève le pouce pour désigner son chef. Il me répond d'une voix plutôt alerte que c'est Erwin qui a insisté pour qu'il reste là, car s'il était de nouveau tombé à cause d'un étourdissement et que des titans les coursaient, on aurait rien pu faire pour lui. Je vois, c'est sage comme décision ! Mais que t'est-il arrivé ? Que vous est-il arrivé, à tous ? Vous avez trouvé un refuge ou pas ? Vous avez fait les relevés topographiques ?

Keith me répond en serrant les dents que les détails attendront et que nous devons tous nous mettre en selle tant que le soleil n'est pas encore tout à fait levé. Je sens l'aigreur dans sa voix... A vos ordres, major ! Moblit, sors le chariot de la mine et dit aux autres de se mettre dans le rang ! On doit vite rentrer, pour sauver ceux qui peuvent encore l'être. Livaï n'est pas le plus mal en point.

Je chevauche à côté d'Erwin en le pressant de questions, mais il demeure très synthétique. Il ne se sent pas fier des derniers évènements, ça se voit , même s'il essaie de le cacher. Mais j'ai fini par le connaître. Et il me suffit de regarder les faces défaites des autres pour comprendre que quelque chose a foiré. Greta surtout paraît totalement abattue. Je me mets à côté d'elle pour la réconforter. Allez, courage ma grande, je sais que c'est toujours un crève-coeur, mais nous connaissons tous les risques d'une expédition. Ces soldats les connaissaient aussi et étaient résolus. Nous les pleurerons plus tard mais il faut aussi les célébrer.

Quand la mort fond sur nous, c'est toujours une affaire personnelle. Se charger du poids de la mort des autres est toujours trop lourd, et les êtres humains ne sont pas faits pour ça ; il faut aller de l'avant, sinon autant s'arrêter et se laisser mourir, tu ne crois pas ?