Ce fut la pluie qui les réveilla le lendemain matin. Ils mangèrent rapidement avant de reprendre leur route. Ils remirent pied à l'étrier et c'est sous un déluge que leur voyage se poursuivit. Si, Eawyn n'avait rien contre la pluie et l'appréciait, temps qu'elle n'était pas dessous, sentir son manteau s'alourdir et ses vêtements absorber l'eau ne manqua pas de la faire pester. La journée serait désagréable et atrocement longue.

Aucun des nains n'avait envie de parler. Tous se contentèrent d'avancer en silence en maudissant la pluie qui ne semblait avoir aucune envie de s'arrêter.

— Dites, Monsieur Gandalf, commença Dori. Ne pouvez-vous rien faire contre ce déluge ?

— Il pleut, Maître Dori. Et il continuera de pleuvoir jusqu'à ce que la pluie cesse. Si vous souhaitez changer le temps, il vous faut trouver un autre magicien.

— Dommage, se désola Eawyn.

Elle se félicita d'avoir une constitution robuste sinon elle était à peu près certaine d'attraper un mauvais rhume. Dans cette aventure, quiconque tomberait malade se verrait dans l'obligation d'arrêter le voyage. Ils n'avaient pas le luxe de perdre du temps.

— Et dire que nous sommes en juin, grogna Gloin.

— Il y en a d'autres des magiciens, interrogea Bilbon.

Gandalf sembla se perdre un instant dans ses pensées. Voilà longtemps qu'il n'avait pas parlé à un de ses semblables. S'il appréciait la compagnie de Radagast, il se passait bien volontiers de celle des autres istari.

— Oui, il y en a d'autres. Cela dit, je ne les ai pas vu depuis un âge.

— Qui sont-ils ? Sont-ils forts ou plutôt comme vous ?

— Il y a le plus fort d'entre nous, Saroumane le Blanc, commença Gandalf. Ensuite vient Radagast le brun, il vit loin des hommes entourés d'animaux et enfin les deux mages bleus. J'ai complètement oublié leur prénom…

Eawyn soupira de dépit. Il était vrai que le magicien avait une longue vie derrière lui et certainement devant lui, mais de là à oublier le nom de ses semblables. Ils étaient si peu. Elle songea un instant qu'elle aussi devrait oublier, le passé ne reviendrait pas. Mais elle était Eawyn du Rohan qui serait-elle si elle abandonnait son passé, sa patrie ?

Tout comme les nains, jamais elle n'oublierait. A l'inverse qu'elle ne pourrait jamais retourner chez elle. Elle ne pourrait pas s'installer dans une petite maison avec vue sur la plaine, là où elle pourrait s'accouder et observer les chevaux galoper.

Elle fit ralentir Nahald pour échapper à la conversation.

Le lendemain soir, la pluie s'était enfin arrêtée, ils montèrent le camp entre les arbres. Eawyn décida de s'éloigner un peu de ses compagnons de voyage. Le besoin d'être seule se faisait sentir et si ses sens ne la trompaient, ils étaient proche d'un cours d'eau et elle n'avait rien contre une baignade après des jours à cheval avec seulement la pluie pour se laver.

Elle enleva ses vêtements un à un et les déposa avec soin sur une pierre au sec et dans son champ de vision pour ne pas qu'ils disparaissent. Elle déposa ses armes avec et n'emporta qu'une lame qu'elle poserait à porter de main. Elle ne pouvait prendre le risque d'être seule et sans défense au milieu de nulle part.

Elle retint son souffle quand sa peau entre en contact avec l'eau glacée. Elle détendit ses muscles et plongea dans l'eau claire. Elle soupira d'aise une fois habituée à la température particulièrement fraîche pour la saison. Elle plongea la tête sous l'eau quelques instants. Une grimace anima son visage en voyant l'eau prendre une teinte trouble alors qu'elle refaisait surface. Ses cheveux étaient vraiment dans un sale état.

Eawyn défit ses tresses une à une pour libérer sa chevelure et pouvoir les laver comme il faut. Heureux fut le fait qu'elle n'avait pas croisé le chemin d'un miroir ces derniers jours. Elle aurait pu faire peur à un balrog dans cet état.

Une fois débarrassée de la crasse, elle s'assit sur une roche immergée ne laissant que sa tête dépasser de l'eau. Elle observa le ciel détendu par les sons du cours d'eau. Elle se sentait bien, en paix. Être avec les nains avait ravivé en elle des pensées et souvenirs dont elle se serait volontiers passé. Il était dur d'y faire face. Pourtant, malgré la méfiance de ses compagnons de voyage, elle se sentait bien avec eux. Elle espérait sincèrement qu'ils retrouvent leur terre.

Le craquement d'une branche la fit sursauter. Elle ouvrit brusquement les yeux qu'elle ne se souvenait pas avoir fermé. Elle s'était assoupie quelques instants. Elle pouvait remercier ses sens entraînés de l'avoir alerté si vite. Elle ne voyait encore personne, mais entendait des pas. Un homme seul.

— Eawyn, l'appela-t-on.

— Fili, vous m'avez fait une belle frayeur, lui répondit-elle encore dissimulée par les roches.

— Voilà un moment que l'on vous cherche.

Il continua d'avancer vers elle.

— Je l'ai trouvée, cria-t-il. Vous pouvez retourner au campement !

Eawyn grimaça. Si elle avait disparu si longtemps qu'ils s'étaient inquiétés et qu'ils s'étaient lancé à sa recherche, nul doute que Thorin allait le lui reprocher jusqu'à la fin du voyage. Misère.

— Que faites-vous seule ici ?

— Je me baigne.

Un sourire étira ses lèvres alors que des rougeurs apparurent sur les joues du nain quand enfin celui-ci la distingua. Fili sentit son souffle se bloquer un instant. Comme au premier jour des sentiments indistincts firent irruption en lui. Il avala difficilement sa salive en observant la femme qui lui faisait face. L'eau peinait à cacher son corps si bien que peu de détails lui échappèrent.

— Respirez, Maître Nain !

Il croisa les yeux rieurs d'Eawyn et reprit contenance autant que possible.

— N'avez-vous aucune inquiétude qu'un ennemi vous attaque ?

— N'ayez crainte, je suis armée.

Elle saisit sa lame et l'exposa au blond.

— Comptez-vous sortir d'ici que nous retournions au campement, demanda le nain en détournant le regard.

Eawyn l'observa, un sourire espiègle accroché aux lèvres. Il n'y aurait peut-être plus jamais d'autres occasions et elle avait besoin de comprendre. Elle devait comprendre les émotions qui la saisissait quand elle était en compagnie de Fili. Elle n'avait qu'une vie.

— Rejoins-moi, Fili, suggéra-t-elle, abandonnant le vouvoiement.

Elle observa l'homme avec appréhension alors que celui-ci se figeait et ancra ses yeux dans les siens. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait. Elle ne comprenait pas totalement ce qu'elle ressentait. Voulait-elle seulement le provoquer ou le désirait-elle réellement… Elle n'était pas certaine de ce qui appartenait au jeu et aux sentiments.

Fili n'était pas voué à rester un inconnu à ses yeux. Il y avait quelque chose de plus profond.

Le blond était perdu. D'abord le tutoiement puis cette proposition. Elle l'avait intriguée dès les premiers instants. Il avait envie de la connaître, de savoir qui était cette guerrière du Rohan. Au plus profond de lui, il savait ce qu'il en était. Un tel attachement après un seul regard ne pouvait signifier qu'une chose, il n'arrivait pas à se l'avouer. Et Si Thorin l'apprenait…

— Je comprends qu'il puisse être difficile de se mettre à nu devant une dame, mais promis je garderai mon jugement pour moi et je resterai impassible, le provoqua-t-elle décidant d'aller jusqu'au bout de sa proposition. Je ne voudrais pas te créer un quelconque complexe.

Le blond sortit de ses pensées, amusé. Il regarda rapidement autour de lui avant de secouer la tête, un bref rire lui échappant. Il retira alors sa veste et bientôt ses autres vêtements vinrent rejoindre ceux de la combattante. Il prit soin d'emporter un poignard avec lui. Un frisson le parcourut nu face au vent. Il se hâta de rejoindre l'eau.

Eawyn le regarda approcher avec une certaine appréhension. Qu'allait-elle faire maintenant qu'elle en était là ? Elle avait cru jusqu'au bout qu'il refuserait, mais il était là, devant elle. Ses lèvres s'étiraient en un sourire alors que son cœur semblait battre la chamade. Fili plongea et refit surface face à elle. Si proche qu'elle sentait son souffle sur sa peau. Elle plongea ses pupilles vertes dans les yeux du nain. Un sentiment d'éternité.

— Bon sang que m'as-tu fait, murmura-t-il en langue naine.

Eawyn n'eut pas le temps de répondre que le blond la saisit par les hanches, réunissant leur corps pour savourer un baiser passionné qui lui coupa le souffle et éveilla ses sens, les entraînant dans une tempête d'émotions qui unit leur âme et leur corps. Un instant, à jamais.

Sa tête reposant sur l'épaule du nain, elle effleura du regard les tatouages qui ornaient son torse velu. Elle en comprenait certains, d'autres restaient un mystère, elle maîtrisait parfaitement la langue naine à l'oral, l'écrit restait un peu plus compliqué. Les runes qui décoraient sa propre peau étaient basiques et se mélangeaient aux décors typiques du Rohan et les quelques runes elfiques qu'elle connaissait et qui avaient un sens particulier pour elle.

Enchaînée, prononça Fili en Khuzdul, prêtant lui aussi attention aux tatouages de la guerrière.

Eawyn effleura le tatouage sur son torse, un sourire triste aux lèvres.

— Pourquoi ? Et pourquoi en khuzdul ?

Elle poussa un soupir.

— C'était il y a longtemps, quand je me sentais prisonnière de moi-même, de qui j'étais et de qui je voulais être. Et le khuzdul est un rappel de qui je suis justement.

Fili fronça les sourcils. Il s'approcha un peu plus, retraça le symbole du bout des doigts coupant le souffle de la femme face à lui.

— Vous les humains avez une drôle de notion du temps… Comment cela peut-il faire longtemps pour vous alors que votre existence est si brève ?

Eawyn haussa un sourcil interloquée par sa remarque.

— Hm. Quel âge me donnes-tu au juste ?

— Eh bien, un âge raisonnable pour une humaine qui vagabonde seule, je dirai une trentaine d'années pas plus, annonça-t-il après une brève réflexion.

Eawyn éclata de rire.

— Même pour ton peuple, j'ai un âge adulte Fili. On va dire que je suis flattée que tu me rajeunisses autant, cependant je ne suis plus une enfant. Je t'ai dit que le khuzdul était un rappel à qui j'étais. Mon sang est autant humain que nain, je suppose que l'absence de barbe t'as induit en erreur. Moi et mes septante-sept ans te remercions, plaisanta-t-elle.

— Je n'avais pas pensé, aucun de nous n'a imaginé que…

— Ne t'en fais pas, sourit-elle.

Cela expliquait bien des choses. Un poids s'enleva du cœur du prince, elle ne disparaîtra pas demain. Il ne la perdrait pas en un battement de cil. Elle avait du sang nain qui lui assurait une certaine longévité, certes pas autant que lui, mais ils avaient du temps.