Briser la glace
– Tu ne dois pas dire ça, mon bébé, lâcha-t-elle dans son téléphone. Ce type est un crétin de t'avoir quitté. Je sais que pour le moment c'est difficile mais tu vas finir par voir ce qu'il est réellement.
Eddie observait son équipière, Athena Nash.
Elle avait mis les points sur les « i » et les barres aux « t » avant même qu'il n'ait fini de se présenter. Lui rappelant que même s'il était plus gradé qu'elle, il était sous sa responsabilité et qu'elle ne prendrait pas de gants avec lui.
Elle lui avait plu.
A priori, elle n'était pas habituée à travailler avec quelqu'un, mais elle lui avait expliqué avoir été sauvagement agressée l'année précédente et qu'elle reprenait à peine du service. C'était donc la raison de sa présence dans sa voiture de patrouille.
Ce qui, de son point de vue, rassurait leur capitaine.
C'était une femme avec un sacré caractère et Eddie se demandait quel genre de dingue avait pu s'en prendre à une femme aussi forte. Il y avait toutes sortes de dingue sur cette planète et il le savait mieux que quiconque.
Il en avait fait la douloureuse expérience.
– Exactement, sourit-elle. C'est seulement un trou du cul. Il ne te méritait pas. Tu étais trop bien pour lui.
Il avait vu son équipière malmener un voyou plutôt dans la journée et il devait admettre que de la voir aussi douce et maternelle lui faisait bizarre.
– Tu vas trouver l'homme fait pour toi, mon bébé. Je sais qu'il est là, quelque part, à attendre que tu entres dans sa vie. Je suis sûre que non, rit-elle. Ne dis pas de telles bêtises. Tu sais ce que dit ta grand-mère sur le grand amour ? Il faut lui tendre la main pour qu'il puisse la saisir, lâcha-t-elle en riant. Exactement.
Eddie devait admettre que c'était une drôle de devise.
– J'en suis persuadée, lui promit-elle encore. Oui ton père m'a dit. Je viens de t'en racheter un. Je le dépose chez toi dans l'après-midi. Ne t'en fait pas, je peux faire un détour pendant la patrouille. Mon nouveau binôme ne m'en tiendra pas rigueur, lâcha-t-elle en lui jetant un regard par-dessus ses lunettes noires.
Eddie souffla du nez et lui indiqua en silence que non, ça ne le dérangeait pas. De toute façon, il n'était pas sûr que son avis l'intéressait vraiment.
Ils n'avaient pas beaucoup parlé.
Eddie essayait de la profiler, de la comprendre en silence et elle semblait l'avoir compris ce qui rendait sa lecture plus compliquée.
Rare étaient ceux qui avait réussi cet exploit.
Pour pouvoir la comprendre, il allait devoir se livrer un peu et ce n'était pas un exercice pour lequel il était doué.
– Et je n'exclus pas non plus une visite à cet idiot.
Eddie ne put s'empêcher de sourire.
Athena semblait être une maman très protectrice et il n'aimerait pas être à la place de l'idiot en question.
– Bon d'accord, céda-t-elle. Mais il mériterait que j'aille lui dire ce que je pense de la façon dont il a été élevé.
Sa mère avait fait ça, une fois.
Adriana était rentrée en pleurs après avoir été poussé par un garçon plus âgé. Eddie avait voulu en découdre avec ledit garçon mais sa mère était allée trouver celle du garçon pour lui dire ce qu'elle pensait de sa façon d'élever sa progéniture. Il se souvenait juste que ça avait sérieusement chauffé mais le lendemain, le garçon était venu s'excuser.
Et cinq ans plus tard, Adriana s'était amourachée de lui.
– D'accord, mon bébé, lâcha Athena. Je sais que tu n'aimes pas ça mais essaie de te reposer un peu. Je t'aime.
Elle raccrocha et rangea son téléphone.
Eddie avala la dernière bouchée de son sandwich alors que sa partenaire jetait le reste du sien, ayant vraisemblablement l'appétit coupé après sa conversation téléphonique. En tant que père, Eddie n'avait pas vraiment hâte de voir le premier chagrin d'amour arriver.
Elle soupira en croisant les bras sur sa poitrine.
– Est-ce qu'on va rendre visite à l'idiot ? s'enquit-il.
Athena le fixa du regard, avant de retirer ses lunettes de soleil et de se poser contre la voiture juste à ses côtés.
– Ne me tentes pas !
– Ça passera avec le temps, la rassura-t-il.
– Je sais. Quand je pense qu'il a passé la nuit à pleurer tout seul alors que je dormais tranquillement.
– Qui ? sursauta-t-il.
– Mon fils, lui rappela-t-elle. Qui s'est fait plaqué hier soir par son abrutit de petit copain.
Eddie ouvrit la bouche, sans savoir quoi dire, avant de la refermer en silence.
– Oui, mon fils est gay, lâcha Athena en se redressant pour lui faire face. Et c'est le garçon le plus gentil de cette planète. Ça te pose un problème peut-être ?
– Ce qui me pose un problème c'est de savoir qu'il s'est fait plaquer le jour de Thanksgiving. Qui fait ça, sérieusement ?
Eddie s'en fichait qu'Athena ait un fils gay. Qu'est-ce que ça changeait à sa vie ? Mais il avait dans l'idée qu'elle, et surtout lui, avait dû entendre toutes sortes de remarques méchantes et déplacées.
– Un connard d'ex petit ami, cracha-t-elle ne le lâchant toujours pas du regard.
– Et le garçon le plus gentil de cette planète, c'est le mien, crut-il bon de rectifier.
– Tu as un fils ? s'étonna-t-elle soudain.
– Christopher, admit-il. C'est le meilleur.
– Je maintiens ce que je dis sur mon garçon mais je suppose que je suis partiale.
– Tout comme moi, rit-il.
La glace était rompue et Athena se détendait enfin.
Eddie avait trouvé sa faille. Ça lui avait pris une demi-journée, quand-même. Il était un peu rouillé.
Son fils semblait être la prunelle de ses yeux.
– Désolée, s'exclama-t-elle enfin. Tu sais, quand notre fils nous a dit qu'il préférait les garçons, il avait quatorze ans. Il semblait confiant en notre amour mais en même temps terrorisé à l'idée qu'on le rejette à cause de ça.
– Mais vous ne l'avez pas fait.
– On a été choqué parce qu'on ne comprenait pas. C'était il y a presque quinze ans. On en entendait parler comme d'une malédiction qui s'abattait sur certaines familles mais, mon mari et moi, avions trop vu de jeunes gens qui étaient jetés dehors par leurs parents et finissaient dans les rues, dans le meilleur des cas. On voulait mieux que ça pour notre fils. Alors on a cherché à comprendre, à savoir ce qu'on devait faire pour l'aider à s'accepter, à être lui-même. Et on a découvert sur le chemin qu'il nous suffisait, à nous, de l'accepter tel qu'il était. Et, il s'est épanoui.
– J'espère avoir autant de clairvoyance avec mon fils, quand le moment sera venu.
– Je l'espère aussi, lui sourit-elle. Donc un fils, reprit-elle. Quel âge ?
– Sept ans, presque huit. Il est... déjà en pleine adolescence. Est-ce que c'est normal que ça commence si vite ?
– Ne m'en parle pas, lâcha-t-elle en faisant un geste de la main. On ne sait pas quand ça commence, ni même quand ça se termine.
– C'est effrayant, admit-il sincèrement. Athena ? Je sais ce qu'on entend dans les couloirs, je suis ici parce que je l'ai demandé, pour Chris, pour être là pour lui. Je n'ai pas été rétrogradé et ce n'est pas une punition pour une faute quelconque.
– D'accord mais tu sais que j'ai mieux à faire de mon temps que d'écouter les commérages, n'est-ce pas ?
– Ouais. Mais je voulais être honnête.
– Alors pourquoi maintenant ? Il va avoir huit ans, alors pourquoi aujourd'hui et pas à sa naissance ?
– Ma femme m'a quitté parce que j'étais plus marié à mon travail qu'à elle. Nous sommes restés proches néanmoins. Les salopards que je traquais... ce n'était pas des petits voyous. Ils avaient un truc de tordu en eux. L'un d'eux a changé de cible alors que je le traquais et je ne m'en suis rendu compte que trop tard. J'avais sauvé sa première cible alors il s'est mis à me traquer à son tour, expliqua-t-il.
– Eddie...
– Il a tué Shannon, confirma-t-il. Chris était à l'école, heureusement.
– Je suis vraiment désolée.
– Quand je suis arrivé, elle agonisait, tu sais, poursuivit-il en essuyant une larme traitresse. Elle est morte dans mes bras. Je l'ai choppé et je me suis promis d'être là pour mon fils, de ne plus ramener de travail à la maison. C'est pour ça que je suis là. C'est ça la vraie raison.
Athena acquiesça et Eddie sentit une partie de la charge qui pesait sur ses épaules, s'envoler.
