Lily cachait difficilement sa satisfaction. Tout grossier qu'il fût, son stratagème avait fonctionné à merveille : Severus présentait, à n'en pas douter, tous les symptômes de la jalousie. Depuis qu'ils étaient sortis des Trois Balais, laissant derrière eux le reste du groupe, son ami d'enfance n'avait pas décroché un mot. Il marchait à côté d'elle, mâchoire crispée, les mains dans le dos.
Il faut dire que Lily n'avait pas ménagé ses efforts pour enjôler James, lui souriant à pleines dents, le poussant gentiment du coude, buvant dans le même verre, allant jusqu'à déposer, « pour rire », un baiser furtif sur le bout de son nez. James, qui n'aurait pas cru que Lily pût s'intéresser à lui, paraissait sous le charme. Il s'était enhardi à caresser le genou de la jeune fille. Tout ceci s'était passé sous le regard ombrageux de Severus, assis à la table voisine avec ses camarades de Serpentard.
La menace d'un rival allait-elle enfin décider Severus à dévoiler ses sentiments pour elle ? Lily l'espérait secrètement. La mine renfrognée qu'il arborait en cet instant n'était-elle pas, déjà, un aveu ?
Lily le prit nonchalamment par le bras – Severus eut un sursaut.
« Ça va, Sev' ? le provoqua-t-elle – l'idée qu'il pût être jaloux, décidément, la ravissait. C'était une super soirée, tu ne trouves pas ? »
Pour toute réponse, Severus haussa les épaules.
« Je n'ai pas sommeil, ajouta Lily en resserrant la pression de son bras autour de celui de Severus. Peut-être… pourrions-nous nous retrouver ce soir… une fois que les autres seront couchés…
– Si tu veux », répondit aussitôt Severus.
Il ajouta, sans la regarder :
« Donnons-nous rendez-vous dans ce coin tranquille, au fond au parc. Vois-tu de quel endroit je parle ? Près des bancs en pierre. »
Lily voyait parfaitement. Un lieu idéal pour des amoureux. Aux anges, elle s'abandonna contre l'épaule de son ami. Il lui semblait que ses pieds ne touchaient plus le sol. Depuis combien de temps attendait-elle ce moment ? À présent, seules deux petites heures l'en séparaient encore.
Minuit venait de sonner dans le lointain, à la tour de l'horloge. Et Severus était assis tout contre elle, en bras de chemise, tordant ses longues mains entre ses genoux. Il avait l'air si mal à l'aise que Lily hésita à le prendre dans ses bras. Mais il aurait été capable de se vexer.
« Severus, n'as-tu rien à me dire ? chuchota-t-elle en guise d'encouragement.
– Si…, murmura Severus d'une voix presque inaudible.
– Je t'écoute, répondit-elle dans un souffle. Parle.
– Je ne…, commença Severus d'une voix chevrotante avant de s'interrompre. Je… n'y arriverai pas…. Il faut que tu m'aides, Lily.
– Si ce n'est que cela », murmura la jeune fille, compréhensive.
Cela ne la dérangeait pas que Severus fût timide. Bien au contraire, ça l'excitait. Beaucoup, même. Elle approcha son visage du sien, chercha fébrilement sa bouche de ses lèvres, finit par la trouver. Severus se laissa embrasser. Mais ses lèvres étaient figées. La jeune fille approfondit son baiser dans l'espoir de les voir s'animer. Rien ne se produisit. Peut-être son ami était-il déconcerté par son initiative, qu'il n'avait pas anticipée ?
Lily détacha sa bouche de celle de Severus et attendit, le cœur battant, son front moite collé au sien, qu'il lui rende son baiser. Mais le jeune homme ne bougea pas. Sans doute peinait-il à se faire à l'idée que son amie attendait de lui autre chose que de l'amitié. Ou bien ne savait-il pas s'y prendre ? À le voir si empoté, Lily lui supposa une expérience amoureuse proche du néant. Pour autant, cela ne la rebutait pas : elle se sentait prête à l'aider à surmonter ses appréhensions. N'avait-elle pas déjà vaincu les siennes avec l'aide d'une bonne amie peu farouche ?
Comme Severus restait toujours immobile, Lily se recula légèrement pour pouvoir scruter son visage en détails. Elle remarqua, non sans appréhension, que le regard de son ami, qu'elle s'était figuré brûlant d'amour, était devenu fuyant. Et que sa bouche s'était plissée en une moue qui semblait traduire du dégoût. Non, se ravisa-t-elle aussitôt, ce n'était pas du dégoût. Severus boudait à cause de James. Rien d'anormal à cela : Severus était rancunier, cela faisait partie de son charme, comme son nez et ses dents mal alignées.
Lorsque la main de Lily vint se poser sur sa joue, Severus battit convulsivement des paupières. Ses cils étaient aussi longs et noirs que ses cheveux.
« Tu m'en veux ? demanda Lily en caressant la joue de son ami d'une main tremblante – contre toute attente, celle-ci n'était pas râpeuse, mais douce et lisse comme celle de sa bonne amie. Tu m'en veux encore ? répéta-t-elle en laissant retomber sa main.
– Plus que tu ne l'imagines, Lily, finit par répondre Severus d'une voix détimbrée par l'amertume.
– Vraiment ? rit-elle doucement. À cause de ce type ?
– Précisément, murmura Severus sur le même ton.
– Serait-ce que tu m'aimes ? » se hasarda-t-elle, pleine d'espoir.
Severus se tut. Ses yeux mélancoliques – « de chien battu », disait Lily pour le taquiner, car elle n'en connaissait pas de plus beaux – semblaient regarder à travers elle. Lentement, le Serpentard baissa la tête jusqu'à ce que son menton pointu rencontre sa poitrine. Ses cheveux retombèrent alors tels des rideaux de chaque côté de son visage pâle et mince. Et bientôt, il parut n'avoir plus conscience de la présence de Lily à ses côtés. Mais à quoi pouvait-il bien penser ? se demanda-t-elle.
L'indifférence qu'il lui manifestait en cet instant ne l'alarma pas. Car, pour Lily, elle ne pouvait être que feinte. Severus, évidemment, était blessé qu'elle lui eût préféré James pendant la soirée ; alors il lui rendait la monnaie de sa pièce. C'était bien la preuve qu'il l'aimait. Elle, aussi, était amoureuse de lui. À mort. Elle avait toujours apprécié les garçons compliqués. Et de tous ceux qu'elle avait eu l'occasion de côtoyer pendant sa courte vie, Severus était incontestablement, de très loin même, le plus torturé.
Cependant son taciturne compagnon ne semblait toujours pas disposé à lui répondre. Pire encore, il entoura sa tête de ses mains, comme s'il cherchait à s'isoler plus profondément.
Lys continuait à l'observer à la dérobée. Elle se persuada qu'au fond, il n'était pas si fâché. Qu'il était surtout perturbé par le baiser qu'elle venait de lui donner. Comment aurait-il pu ne pas l'être ? Elle avait trop longtemps joué la comédie de l'amitié. Cela faisait bien deux ou trois ans qu'elle s'imaginait faisant l'amour avec lui lorsque sa bonne amie lui donnait du plaisir sous la douche. En cet instant même, rien qu'à y penser, Lily se sentait humide.
Alors elle se résolut à prendre les choses en main, au sens propre. Voiture « le corps ne ment pas », lui avait révélé la fille de septième année qui l'avait déniaisée. Severus pouvait faire mine de l'ignorer, il ne pourrait pas lui cacher son excitation ! Sans crier gare, elle coula sa main entre les jambes de son orgueilleux ami.
Jamais elle ne se serait imaginé faire une chose pareille, mais la fin, avait ajouté sa bonne amie, justifiait les moyens. Hélas ! Non seulement la main de Lily ne trouva rien de tendu, mais en plus Severus la repoussa brutalement, comme si elle l'eût brûlé. La jeune fille le vit bondir sur ses pieds, se dresser au-dessus d'elle de toute sa hauteur. Vu sous cet angle, il paraissait décharné. N'avait-il pas encore maigri ? Ses chaussettes godillaient sur ses chevilles, fines et allongées comme des roseaux.
« Mais qu'est-ce que tu fais, Lily ? s'écria-t-il d'une voix étranglée. Qu'est-ce que tu me veux ? »
Depuis son banc, Lily le regardait, abasourdie : n'était-ce pas évident ?
« Je... je voulais te... faire comprendre... que je te désire », balbutia-t-elle, soudain honteuse de son audace.
Le jeune Serpentard se frottait nerveusement les poignets, les bras, les cuisses comme s'il cherchait à effacer une souillure.
« Ne me touche plus ! lui cracha-t-il littéralement au visage. Jamais plus! Je ne suis pas ta chose ! »
Lys voulut répondre, mais le souffle lui manqua ; elle suffoquait comme si elle était en train de se noyer. Le dégoût qu'elle inspirait à Severus ne faisait plus de doute. Et dire que pendant toutes ces années, elle avait cru que si son ami n'entreprenait rien, c'était parce qu'il ne voulait pas « briser leur belle amitié ». De quelles fadaises ne s'était-elle pas bercée ?
La vérité, Lily l'avait là, sous les yeux, dans son atroce crudité : Severus avait beau se payer de grands mots et jouer les chevaliers servants, il n'éprouvait manifestement pas la moindre attirance physique pour elle.
« Je ne veux pas de ça, poursuivit-il. Pas avec toi, ajouta-t-il, comme s'il eût cherché à l'achever.
– Avec qui donc, alors ? » repartit Lily d'une voix désespérée.
Elle venait de se persuader que son ami, non content de ne pas l'aimer, en aimait une autre. Des noms défilèrent dans sa tête à toute allure : Mary, sa discrète camarade de chambrée, qui avait plus d'une fois joué les entremetteuses pour eux ? Juliet, la belle capitaine de l'équipe de Quidditch de Poufsouffle, dont tous les garçons étaient plus ou moins épris ? Ou bien l'énigmatique Emma, qui s'asseyait toujours à côté de Severus lors des cours de potions ?
« Si cela peut te consoler : quelqu'un à qui je n'ai aucune chance de plaire », répondit Severus d'une voix sourde.
Il détourna brusquement le visage, fit quelques pas dans l'allée déserte. Lily n'esquissa pas le moindre geste pour le retenir : à quoi bon ? N'avait-elle pas déjà assez souffert ? Elle le regarda longtemps s'éloigner en direction du château. Quand il fut hors de sa vue, elle ferma les yeux.
Lily voulait croire que tout cela était un cauchemar dont elle allait se réveiller. Mais qu'avait-elle fait pour inspirer à Severus une telle répulsion ? Son geste malheureux ne pouvait pas tout expliquer. Alors, comme s'il n'y avait déjà pas assez de personnes, à Poudlard, pour s'étonner de leur amitié, Lily elle-même se mit à douter de sa réalité.
Elle repensa aux railleries de sa sœur sur les cheveux trop longs du « fils Rogue », sa silhouette délicate, ses accoutrements excentriques, son aversion pour les jeux virils – personne n'avait jamais vu cet « affreux garçon », comme le qualifiait Pétunia, taper dans un ballon de football ou jouer des poings sur le terrain vague du quartier. Ces sous-entendus odieux, Lily les avait, à l'époque, écartés d'un revers de main.
Certes, Severus pouvait inspirer le malaise. Ses manières étaient décalées. Son corps atypique, noueux, semblait avoir mal grandi. Mais Lily voulait voir dans son étrangeté l'effet des privations et des brimades qu'il avait subies lorsqu'il était enfant. Son père, un Moldu à l'esprit étroit qui le traitait plus bas que terre, ne l'avait-il pas, un matin d'école, affublé d'une vieille robe qui avait appartenu à sa mère ? Les vrais garçons, voulait-il ainsi faire comprendre à son fils, ne passent pas leurs journées à lire dans leur chambre.
Severus s'était donc présenté en cours attifé en fille. Alors qu'il rejoignait sa place, au fond de la classe, près du radiateur, un camarade lui avait fait un croc-en-jambe. Le maître d'école, du haut de son estrade, s'était gaussé. Sans surprise, dès la première récréation, « Miss Rogue » s'était fait moudre de coups. Depuis ce jour, comme Severus l'avait raconté à Lily, il vivait dans son coin, sans se soucier de ce qu'on pensait de lui. Lily était sa seule amie. L'unique personne au monde pour laquelle il avait l'impression de compter.
Lily sentit l'air qui fraîchissait. Elle ne parvenait toujours pas à s'arracher de son banc. Comment aurait-elle pu docilement rentrer à son dortoir après ce qu'il venait de se passer ? Soudain, une sueur froide la traversa, partant de son cœur pour faire frissonner jusqu'à l'extrémité de ses membres.
Le jour, un jour cruel, venait de se faire dans son esprit. Le visage troublé de Severus le jour où ils avaient rencontré James pour la première fois, dans le Poudlard Express, lui était revenu en mémoire. La vérité crevait les yeux. C'était l'évidence même. Il fallait qu'elle fût très amoureuse pour n'avoir pas tout de suite compris que ce n'était pas James qu'enviait son ami – mais elle.
Severus était buté, taiseux, puant, d'une mauvaise foi à crever. Mais il n'était certainement pas idiot.
Que Lily ait pu le sous-estimer au point de croire qu'il ne lirait pas dans son jeu le mettait hors de lui. Que s'imaginait-elle ? Il savait parfaitement qu'elle en pinçait pour lui. Il suffisait de voir la manière sensuelle dont elle entrouvrait la bouche lorsqu'elle se trouvait en tête-à-tête avec lui. Comment aurait-il pu être dupe de son manège ? Bien sûr qu'il avait compris qu'elle n'avait cherché, en se rapprochant de James, qu'à attiser sa jalousie ! L'intérêt qu'elle avait manifesté pour son voisin du jour était trop soudain pour être sincère.
En prenant place sur le banc à côté d'elle, dans ce coin isolé où ils s'étaient donné rendez-vous, Severus avait conscience qu'il allait la décevoir. Lily, de toute évidence, espérait une déclaration d'amour en bonne et due forme. Mais c'était des aveux d'une tout autre nature qu'il s'était préparé à lui faire. Il s'était bercé de l'illusion que son amie d'enfance lui prêterait une oreille compatissante. Qu'elle comprendrait. Et qu'il pourrait enfin être lui-même avec elle.
Lily avait tout gâché. Quand elle l'avait embrassé par surprise, Severus s'était retenu de la gifler. Comment avait-elle pu ne pas entendre la plainte qui vibrait dans sa voix lorsqu'il lui avait demandé de l'aide ? Quant à sa main entre ses cuisses… il s'en était fallu d'un cheveu pour que Severus la roue de coups. Les larmes lui montaient aux yeux en y repensant. Pourquoi en étaient-ils arrivés là, eux, les meilleurs amis du monde ?
Severus revit Lily telle qu'elle lui était apparue la première fois qu'il l'avait rencontrée. Elle jouait avec sa sœur Pétunia – il la détestait, celle-là, et elle le lui rendait bien ! – sur le terrain de jeux à côté de chez lui. Lily n'était alors qu'une petite fille pâle au regard candide, ignorante de la magie qu'il y avait en elle. Severus lui avait révélé sa vraie identité. Il lui parlait du monde des sorciers, lui donnait des conseils, la complimentait à chacun de ses progrès. Et lorsqu'il était sûr que personne ne les voyait, il lui faisait la démonstration de ses pouvoirs à lui. Severus était très fier de maîtriser des sorts qui n'étaient pas de son âge. Un jour, il avait réussi à subtiliser un livre de magie noire à sa mère. Depuis il s'entraînait chaque jour en cachette dans sa chambre. Sur la scolarité à Poudlard, le règlement, les matières qu'on y enseignait, il était intarissable. Il avait tellement hâte de rencontrer son destin. De se tirer, avec Lily, de ce trou de Moldus qu'était son quartier.
En échange, Lily avait accordé à son ami une attention que personne ne lui avait jamais manifestée. Elle semblait l'admirer, même. Puis, peu à peu, elle s'était mise à lui témoigner de l'affection. Elle s'inquiétait de sa santé, le trouvant trop fluet. Elle lui demandait souvent si ses parents continuaient à se disputer. Elle avait patiemment soigné une mauvaise blessure que Severus avait à l'arcade sourcilière – il n'avait pas voulu lui dire ce qu'il lui était arrivé.
Que s'était-il passé pour que Lily devînt cette créature lubrique, pénétrée de l'idée que tous les hommes étaient des chiens et que, chien parmi les chiens, lui-même n'attendait, évidemment, que ça ? Qu'il suffirait de le titiller pour qu'il se jetât sur son ventre et fasse d'elle son affaire ?
Cette nuit-là, Lily avait laissé paraître des traits de personnalité que Severus n'aurait jamais soupçonnés chez elle : un goût pour la manipulation et une surdité totale à ce qui n'allait pas dans son sens. Et pourtant, il n'arrivait pas à la détester. Comme il n'arrivait pas à prendre ses distances avec sa mère, bien qu'elle se fût toujours montrée d'une froideur terrible avec lui.
Un jour – il avait huit ans – Severus était rentré crotté de l'école. Ployant sous le poids de son cartable, il marchait sur le chemin qui menait à l'impasse du tisseur, où habitaient ses parents. Des camarades l'avaient renversé sur le bas-côté où s'accumulait une boue putride : « Coupe tes cheveux ! » s'était-il entendu crier. Quelqu'un lui avait donné un coup de pied dans le ventre. En le voyant si sale, sa mère avait hurlé qu'elle aurait préféré accoucher d'un chien plutôt que d'un gamin comme lui. Severus lui avait demandé ce qu'il avait fait. Sa mère lui avait répondu : « Mais regarde-toi ! Ce n'est pas possible d'être aussi vilain ! ». Il avait failli répondre qu'il ne faisait que lui ressembler, que c'était d'elle qu'il tenait son nez busqué, son teint, sa maigreur. Puis il avait réalisé que c'était précisément cela, le problème. Sa mère ne s'aimait pas ; comment aurait-elle pu l'aimer ? Et lui, comment aurait-il pu accepter ce qu'il était ?
Toute bancale que fût sa relation avec Lily, c'était la seule que Severus avait réussi à nouer avec un être humain. Alors, même si avec les années une incompréhension réciproque avait grandi entre eux, il s'y était accroché, comme à une mauvaise habitude, avec un dévouement qui confinait au masochisme. Plus Lily se rapprochait de lui, plus Severus s'éloignait d'elle. Lily était pour lui, à jamais, une sœur, une sainte, une sorte de Galatée qu'il ne voulait pas voir prendre vie. Rien que la pression de sa main sur la sienne le révulsait. Au bal de fin d'année à Poudlard, il s'était fait porter pâle pour ne pas avoir à subir le contact de son corps contre le sien. Il ne l'aimait pas. Il ne l'aimerait jamais. Il ne pouvait pas. Et il s'en voulait. Parce que Lily était la seule personne au monde à le trouver beau.
Longtemps, Severus s'était cru incapable de tomber amoureux. Les autres filles, même celles que ses camarades d'école trouvaient belles, ne lui inspiraient rien. Dans sa naïveté, que personne autour de lui ne se souciait d'éclairer, Severus n'imaginait pas qu'il pût aimer quelqu'un d'autre qu'une fille.
La révélation avait eu lieu à Poudlard, après son premier entraînement de Quidditch. Severus, qui avait chuté de son balai, s'était attardé sur le terrain. En rentrant au vestiaire, il était tombé sur un garçon. Complètement nu. Qui lui tournait le dos. Severus ne reconnut pas tout de suite son coéquipier. Le pied posé sur le banc qui lui faisait face, le garçon enfilait sa chaussette droite. Il avait un dos magnifique, tendu d'une peau mate et veloutée, et, lorsqu'il reposa le pied par terre, ses fesses musclées remontèrent sous le nez de Severus avec un petit soubresaut.
La situation n'avait rien d'équivoque : trempé jusqu'aux os par la pluie, qui tombait drue ce jour-là, son coéquipier ne faisait que se changer. Mais Severus n'avait pas franchi le seuil du vestiaire qu'il avait été irrésistiblement attiré par lui. La cambrure de son coéquipier, qu'il pouvait contempler à loisir d'où il était, l'hypnotisait.
C'était la première fois de sa vie que Severus voyait un autre garçon nu. Car, rétif à toute forme d'activité physique, il n'avait jamais eu l'occasion d'expérimenter les rituels qui forgent les amitiés viriles : ni les accolades fougueuses après les buts, ni les bousculades pour rire pendant les entraînements, ni les douches communes où les physiques se comparent et se jaugent, ni les tapes amicales torse nu entre deux casiers, ni les paillardises des beuveries d'après-matchs.
« Ha, tu reviens seulement ? lança négligemment l'autre garçon, qui venait de remarquer la présence de Severus. Sale temps pour s'entraîner, hein ? Et on annonce de la pluie pour tout le reste de la semaine. »
Son coéquipier s'était tourné face à lui pour remonter son slip, dont il fit claquer l'élastique sur ses hanches. Manifestement, il n'éprouvait aucune gêne à se montrer nu. Severus s'était forcé à le regarder dans les yeux. Car il lui avait suffi d'entrapercevoir son sexe pour que son désir devînt douloureux. Puis, imperceptiblement, alors que son coéquipier, tête baissée, enfilait son pantalon à cloche-pied, le regard de Severus était redescendu sur sa poitrine dénudée. Était-il possible d'être aussi bien fait que ce type ? Comment s'appelait-il, déjà ? Ha oui, ça lui revenait : Mulciber.
Severus ne lui avait prêté aucun attention jusqu'alors. Pour lui, Mulciber n'était qu'un Serpentard parmi d'autres. Un peu plus doué que ses camarades, peut-être. Et curieux de magie noire. Ils ne s'étaient jamais vraiment parlé. Mais, ce jour-là, l'image de son corps splendide s'insinua dans l'esprit de Severus pour ne plus en ressortir. Mulciber était devenu son mètre étalon en matière de perfection physique. Severus s'était demandé si les autres garçons, sous leurs habits, étaient beaux comme lui.
« Tu ne te changes pas ? lui avait soudain demandé l'autre garçon en se trémoussant pour faire coulisser son pantalon. On a cours dans cinq minutes, je te signale. Et, sans vouloir te vexer, tu as de la boue jusqu'aux yeux… »
Pour toute réponse, Severus s'était entortillé dans sa cape détrempée. Il pouvait l'entendre dégoutter lamentablement sur le carrelage. Il sentit alors quelque chose de chaud lui picoter les joues. Il était en train de rosir comme une vierge. Il aurait voulu mourir. Mourir plutôt que Mulciber remarque son état. Jamais il n'avait eu aussi honte de lui, de ce corps dont une partie lui échappait.
Son coéquipier lui avait adressé un regard légèrement surpris. Puis il lui avait dit, sans malice, qu'entre garçons, il n'y avait pas de pudeur à avoir.
Mais Severus ne s'était pas déshabillé. Il avait attendu que Mulciber fût parti pour s'enfermer dans les toilettes et se soulager avec sa main. Il le ferait désormais presque chaque nuit, dans le secret de son lit, étouffant ses râles dans son oreiller, s'imaginant tantôt avec un garçon tantôt avec un autre, selon son humeur du jour. Les Poufsouffle, surtout, parce qu'ils étaient réputés pour être athlétiques, avaient ses faveurs. Ses amants virtuels avaient tous le corps à se damner de Mulciber. Parfois, même, son désir n'avait pas de visage.
Comme il ne s'était ouvert à personne de ses inclinations, Severus se posait une foule de questions : les garçons « comme lui » – il ne savait pas comment les appeler autrement qu'en les insultant, comme faisaient les autres – étaient-ils nombreux ? Où les trouver ? Comment les reconnaître ? Les aborder ? Et surtout leur plaire ? Une nuit, Severus s'était rendu en cachette à la bibliothèque pour se documenter. Il avait sorti les livres des rayons les uns après les autres, les feuilletant frénétiquement à la recherche d'indices. Dumbledore l'avait surpris, au petit matin, plongé dans Le Banquet de Platon – un des rares livres sur le sujet qui eût échappé à la censure de Madame Pince. Severus lisait attentivement le discours de Pausanias. Cela pouvait passer pour de l'intérêt philosophique. Le directeur lui avait donné une tape affectueuse sur l'épaule. Et Severus avait deviné, au sourire de Dumbledore, qu'il avait compris. Le vieil homme était-il juste perspicace ou bien était-ce si visible ? Évidemment, Severus était terrifié à l'idée que cela se sache.
Une nuit de printemps, enfin, Severus était passé à l'acte. Ou plutôt il s'était abandonné au désir d'un garçon. De retour d'une escapade nocturne, un élève de Serdaigle, qu'il avait dû regarder malgré lui de manière trop appuyée, l'avait brusquement poussé dans un buisson, face contre terre. Baissant son pantalon à lui, lui arrachant presque le sien, il l'avait pris à même le sol avec une extrême brutalité, le déchirant de l'intérieur. Severus s'était laissé faire. Au milieu de la souffrance, dont il avait cru mourir, il avait ressenti un début de plaisir. Le garçon avait joui très vite, en bavant sur sa nuque, s'était excusé. Il avait trop bu. L'excuse qu'allaient lui resservir tous ses amants d'un soir. Bien sûr, Severus ne s'était pas imaginé sa première fois comme ça. Au moins s'était-il débarrassé de l'étiquette infâmante de puceau. Et, maintenant, il avait la certitude qu'il n'était plus le seul garçon de sa race à Poudlard.
Severus eut par la suite une dizaine de garçons, moches, souvent complexés – il n'était pas difficile. La plupart faisait mine, en public, d'aimer les filles. D'autres étaient simplement curieux. Severus n'en repoussait aucun. Mais chaque étreinte le laissait un peu plus vide. C'était toujours furtif, inconfortable et douloureux. Le plus souvent, avec l'autre garçon, ils ne se parlaient même pas. La chose faite, chacun repartait vite de son côté, honteux. La seule manière qu'avait trouvé Severus de se protéger de la peine que lui causaient ces amours clandestines avait été de refuser qu'on l'embrasse.
Après la découverte de son homosexualité, la seconde étape, pour Severus, avait été de comprendre que la fascination bizarre, un peu maladive, qu'il éprouvait pour James et qu'il croyait être de l'aversion était, plus simplement, de l'amour. Un amour qui avait emprunté des chemins si obscurs que ce ne fut que lorsque Severus se surprit, un matin d'hiver, devant le porte-manteaux du rez-de-chaussée de l'école, à humer une écharpe que James venait d'y suspendre et où l'on sentait encore la chaleur de son cou, qu'il en prit conscience.
Où qu'il fût, Severus pensait constamment à James. C'en était devenu une obsession. Au réfectoire, il le cherchait des yeux dans les rangs rouge et or des Gryffondor. Lorsqu'il le croisait dans un couloir, il se retournait discrètement pour le suivre du regard. Pendant les rares cours qu'ils avaient en commun, il l'épiait dans son dos. Parfois même, il se tapissait derrière une colonne pour écouter ce que James, allongé de tout son long sur la pelouse de la cour, racontait à ses amis Sirius, Remus et Peter. Les quatre garçons passaient leur temps libre ensemble. Ils se surnommaient « Les Maraudeurs ». On murmurait qu'ils sortaient la nuit pour faire les quatre cents coups. Severus détestait les trois autres, mais se sentait jaloux de la complicité qui les unissaient.
Malgré, ou à cause des sentiments qu'il éprouvait pour James, Severus s'interdisait de le mêler à ses rêveries érotiques. Il ne faisait aucun doute pour lui que le Gryffondor aimait les filles, et seulement les filles. Elles étaient d'ailleurs nombreuses à graviter autour de lui et de ses amis. Severus s'était souvent demandé pourquoi James exerçait un tel charme sur les personnes qui l'entouraient. En vérité, il n'était pas spécialement beau : un visage assez banal, le nez un peu long, des cheveux noirs mal coiffés, une taille moyenne. Il était beaucoup moins plaisant à regarder que Sirius, qui avait une allure folle avec ses airs de bandit de grand chemin. Sans parler de Mulciber.
Ce qui distinguait James des autres était, en réalité, sa confiance en lui, la nonchalance avec laquelle il prenait les choses, sa morgue inébranlable. Le jeune Gryffondor ne parlait pas ; il assénait. Son sourire était conquérant ; ses gestes, amples. Il occupait tout l'espace. Il ne doutait de rien et rien ne paraissait pouvoir l'atteindre. Il était, en somme, l'exact contraire de Severus.
Severus aurait tout fait pour que James le regarde autrement qu'avec cette moue nauséeuse qu'il affectait en sa présence. En retour, il se serait contenté d'une simple poignée de main. Il ne pouvait pas prétendre à mieux, de toute façon. Lorsqu'il voyait James rire à gorge déployée en pinçant les joues des filles qui se pressaient autour de lui, Severus se sentait dépérir à s'en faire vomir. Qui l'aimerait jamais, lui, le « vilain garçon » ? se répétait-il à lui-même. Sa vie en valait-elle la peine ?
Mais pourquoi donc Lily avait-elle choisi James plutôt qu'un autre ? Elle ne l'appréciait même pas ! S'il ne s'agissait que de le rendre jaloux, n'importe quel Gryffondor aurait pu faire l'affaire. Le spectacle d'eux deux batifolant avait crucifié Severus : le garçon qu'il aimait avec celle qu'il croyait sa meilleure amie ! Et lui, là-dedans ? À croire, vraiment, que Lily, cette garce, l'avait fait exprès. Maintenant, il l'en savait capable.
Même si son emploi du temps lui promettait une journée assommante, James se leva ce matin-là avec un entrain inhabituel. Il se laissa glisser sans bruit hors de son lit, attrapa le verre d'eau à demi vide qui traînait sur sa table de chevet, puis, à pas de loup, s'approcha de Sirius, qui ronflait encore. Tirant les rideaux de son lit d'un geste vif, James lui renversa le contenu du verre sur la tête. « James ! beugla Sirius, réveillé en sursaut par la sensation de l'eau qui ruisselait sur son visage. Mais qu'est-ce que… Sale bâtard ! »
En guise de représailles, Sirius jeta son oreiller à la tête de James. Mais celui-ci l'esquiva habilement, comme il l'eût fait d'un cognard, en se jetant de côté.
« Raté ! objecta-t-il avec un sourire narquois tout en reprenant sa place initiale.
– Tu ne perds rien pour attendre ! » grogna Sirius, qui rejeta ses cheveux en arrière d'un geste théâtral.
Et sa main tâtonna derrière lui à la recherche de son traversin. James sautait d'un pied sur l'autre, prêt à jaillir.
S'ensuivit une bataille de coussins, de savates et d'objets en tout genre. Bientôt ce furent Remus et Peter qui s'en mêlèrent, car le bruit les avait tirés de leur sommeil. Un nuage de plumes et des rires sonores se diffusèrent dans la chambre.
« Mais c'est pas bientôt fini, ce boucan ! hurla une voix dans la chambre voisine. Ça dort encore ici !
– Vos gueules, les marmottes ! » hurlèrent en cœur les Maraudeurs.
Si James se sentait d'humeur joueuse aujourd'hui, c'est qu'il repensait à ce qu'il s'était passé hier. À cette fille qui lui avait fait du pied aux Trois Balais. La petite Evans. James frétillait comme un chien qui vient de flairer une piste. Craquante, la rousse. Pas du genre poil de carotte et taches de son, non ! Lily était ce qu'il se faisait de mieux en la matière : un teint opalescent et une crinière auburn qui cascadait jusqu'à ses omoplates. Et, avec ça, des yeux finement ciselés en mandorles, d'un vert hypnotique, qu'étoilaient des cils interminables, les plus beaux yeux de Poudlard, sans discussion possible. Et ce cou, cette taille, ces jambes de ballerine, ces petits seins qui tressautaient sous sa robe !
Bien sûr, en connaisseur, James avait repéré cette superbe proie avant même son arrivée à l'école, dans un compartiment du Poudlard Express. Il avait tenté une approche en s'asseyant juste à côté d'elle. Sans succès. Car la fille était du genre bégueule. James s'était senti passablement vexé. Pas suffisamment, toutefois, pour que cela entame la certitude qu'un jour il ferait d'elle ce qu'il voudrait.
Bien qu'ils fussent de la même maison, la jeune fille l'avait, jusqu'à hier soir, tenu soigneusement à distance. Réservée, studieuse, un peu hautaine, elle ne fréquentait que trois personnes : Mary, une brune introvertie qui était, paraît-il, sa voisine de dortoir ; Leonor, une fille plus âgée, un peu vicieuse – elle était connue pour initier ses amies aux plaisirs de la chair, ce qui n'était pas sans nourrir les fantasmes de James – ; et surtout, beaucoup plus embêtant, un Serpentard coincé et chafouin qui passait pour l'un des plus brillants élèves de Poudlard. Même Lloyd, leur professeur de défense de forces du mal, qui se plaisait à rabaisser ses ouailles, le tenait en haute estime, c'était dire.
Rogue. Severus Rogue. C'était ainsi que l'avait appelé le professeur McGonagall lors de la cérémonie de répartition. Severus. Ridicule, songea James tandis qu'il se brossait énergiquement les dents. Se-ve-rus. Un prénom vieillot qui sentait l'austérité et la frustration. Pour l'appeler ainsi, c'est que ses parents voulaient le punir. Mais qu'est-ce qu'elle pouvait bien lui trouver, Lily, à ce Severus ? Le gars se résumait à un immense appendice nasal émergeant d'un rideau de cheveux sales planté sur un ersatz de corps, avec des pattes d'araignée en guise de jambes – sans doute cet avorton était-il trop absorbé par ses bouquins pour s'intéresser à son assiette.
Quand Severus traversait les couloirs de sa démarche saccadée qui faisaient courir des vagues dans ses cheveux – il avait le mauvais goût de les porter jusqu'aux épaules – il donnait l'impression de ne pas se déplier complètement, comme si sa position naturelle était d'être assis par terre, à lire, recroquevillé, ses genoux pointus remontés presque sous le menton. James le découvrait souvent dans cette position, au bord du lac, à l'ombre du grand hêtre, quand le temps était beau. Dans ces moments-là, rien d'autre que sa lecture ne comptait pour Severus. Il ne daignait même pas le regarder faire le pitre avec sa petite bande. Et il ne répondait pas à ses invectives. Pauvre type.
En tout cas, pensa James avec soulagement, à supposer que le type fût sexué – ce dont il doutait fort à voir son corps de gosse qui aurait grandi de travers –, il n'y avait aucun risque que ses rapports avec Lily dépassent le stade de la complicité intellectuelle. Un goût partagé pour le savoir était, en effet, la seule explication plausible à leur improbable relation. James était persuadé, du reste, qu'on exagérait de beaucoup les capacités du Serpentard. Certains s'enflammaient jusqu'à prétendre qu'il aurait pu en remonter à des Aurors. Foutaises, grommelait pour lui-même James, dont la bouche pleine de dentifrice avait pris un rictus arrogant. Ce Severus, avec ses grands airs, c'était juste un fumiste.
Et quand bien même ce serait vrai, quel intérêt ? James cracha si fort dans le lavabo qu'il éclaboussa de mousse jusqu'au miroir. Il y avait autre chose dans la vie que les études ! Tournant le robinet pour rincer sa brosse à dents, James jubila en se rappelant que Severus s'était fait renvoyer de l'équipe des Serpentard dès son premier match de Quidditch. De toute l'histoire de Poudlard, on n'avait jamais vu un aussi piètre gardien que cet échalas ! Il était sorti du terrain sous les huées de son propre camp.
Ivre de son succès de la veille, James s'éternisa à sa toilette, laissant ses amis le précéder au réfectoire. Lorsqu'enfin il se décida à descendre les rejoindre, ce fut avec une démarche et un port de tête étudiés. En passant devant le miroir du hall, il s'arrêta un instant pour s'ébouriffer les cheveux. Il ne voulait pas avoir l'air d'un garçon sage. Question de réputation. Alors qu'il reprenait son chemin en direction du réfectoire, d'où s'élevait un brouhaha ponctué de tintements de couverts, James lança un regard machinal par les fenêtres à meneaux. Il aperçut deux silhouettes qui se tenaient côte à côte dans la cour, seules.
Même à la distance où les deux élèves se trouvaient, et bien qu'ils lui tournassent le dos, James les reconnut aussitôt – Lily au flamboiement de ses cheveux, Severus à son corps étiré. Aux grands gestes qui leur échappaient, nul doute que leur conversation était animée. Peut-être même se disputaient-ils. James colla son nez à la vitre. Il brûlait de savoir ce qu'ils se disaient. Mais il était trop loin.
Avec une souplesse de félin, il se coula par le porche et glissa sans bruit le long de l'arcature, se baissant entre chaque colonne pour n'être pas aperçu. Enfin, il s'accroupit derrière un muret éboulé – il n'avait pas trouvé de cachette plus proche – les yeux au raz du bord. De là, il ne percevait guère que des éclats de voix. C'était Lily, surtout, qu'il entendait et encore, par intermittences. Severus, lui, n'élevait jamais la voix. Il se tenait droit comme un i et ses rares gestes étaient empreints de raideur. Son teint avait pris des couleurs que James ne lui connaissait pas.
Il vit alors Lily faire mine d'attraper la manche de la robe de Severus. Celui-ci la lui arracha des mains en ramenant vivement son coude contre sa poitrine. Ses lèvres ne bougèrent pas, mais il semblait furieux. Lily se mit à pleurer. Severus l'observait en silence, avec une froideur intimidante. Alors Lily s'inclina vers lui comme si elle implorait un pardon. Severus détourna la tête. Après un temps, il marmonna quelque chose entre ses dents, avec une répugnance perceptible. Lily se redressa aussitôt, tamponna ses yeux, parut vouloir se jeter à ses pieds. Mais Severus l'en empêcha ; il l'avait fermement saisie par les épaules. Il se mit à les broyer entre ses longues mains. Ses yeux brillaient d'un éclat humide. C'était à son tour d'être ému. Il parut lui poser une question. Lily le regarda d'un air incrédule. « Je m'en fiche de James! » se récria-t-elle soudain. Severus eut l'air d'avoir un poids en moins sur la poitrine. Il retira lentement ses mains des épaules de Lys. La jeune fille s'empara de l'une d'elles au vol et la pressa sur sa poitrine, à l'endroit du cœur. Et ils échangèrent un long regard.
De toute la discussion qu'ils eurent ce jour-là, James n'entendit distinctement qu'un membre de phrase : « Je m'en fiche de James ! ». Mais c'était suffisant pour qu'il s'imaginât comprendre ce qui venait de se jouer entre Lily et Severus. Il attendit qu'ils se fussent éloignés pour se relever. Puis, de dépit, il se mit à donner des coups de pied répétés dans le muret, Achevant de le Rucher.
Alors, comme ça, ces deux-là se payaient sa tête ! fulminait-il. Car, pour lui, la scène ne pouvait s'interpréter que d'une seule manière : Lily et Severus étaient en couple. Et, après un froid, ils venaient de se réconcilier. Quant à lui, il n'avait été, dans cette histoire, qu'un instrument dont Lily s'était servi pour reconquérir Severus ! Mais comment l'autre s'y était-il pris pour la séduire ? bouillait intérieurement James. Vu son apparence repoussante, ce ne pouvait être qu'en faisant boire à Lily un philtre d'amour à son insu – selon le professeur Slughorn, Severus était un crack en potion. James fr éprouva une bouffée de rage comme il avait rarement eu l'occasion d'en avoir dans sa vie.
D'une certaine manière, en devenant son rival, le Serpentard venait de remonter dans son estime. Auparavant, James ne faisait que le mépriser ; à présent, il l'exécrait. Hors de question que ce rebut de l'humanité s'introduisît sur son terrain de jeu ! Bien sûr, James aurait pu lui casser la figure à la sortie d'un cours, mais, vu le gabarit de son adversaire, ç'eût été trop facile. Il ne voulait pas passer pour un lâche aux yeux de Lily et encore moins offrir à Severus, le coupable, une occasion de se faire plaindre. Sans compter qu'une rixe, si elle venait à remonter aux oreilles de McGonagall, pourrait lui valoir, à lui, d'être renvoyé de Poudlard comme un malpropre.
Non sa vengeance serait plus subtile, plus cruelle. James voulait atteindre Severus dans ce qu'il avait de plus intime, l'humilier comme lui-même venait de l'être. Et pour ça, quoi de mieux que de mettre sa Lily dans son lit ? – il joindrait ainsi l'utile à l'agréable.
Le plan de James était arrêté et il ne doutait pas de sa réussite : il ferait à Lily une cour assidue, l'aguicherait de lettres bien troussées, répudierait ostensiblement la foule de ses admiratrices. L'étape suivante serait d'inviter Lily à venir voir un match de Quidditch où il jouerait, bien sûr, comme un dieu – il savait, pour l'avoir constaté, qu'aucune fille ne pouvait résister à une démonstration de voltige. Au retour, avec une œillade suggestive, il lui proposerait une promenade. Ils contempleraient le lac en silence et il en profiterait, l'air de rien, pour lui prendre la main. Enfin, il l'attirerait dans la remise au fond du parc. Et ils feraient ça sur les coussins défoncés d'une diligence qui ne servait plus – c'était Sirius qui lui avait refilé le bon plan : il y emmenait lui-même ses conquêtes.
James déshabillerait Lily ; la cajolerait avec ses mains et sa langue ; puis il la ferait jouir autant de fois que nécessaire, jusqu'à ce qu'elle perde toute retenue, jusqu'à ce qu'elle ahane son prénom en le suppliant de recommencer, jusqu'à ce que, comme la mer rappelle à elle un objet rejeté sur le rivage, la jouissance l'emporte sur le reste et que Severus finisse englouti dans les profondeurs de son cœur. Bientôt, se jurait James, ce serait comme si ce sale Serpentard n'avait jamais existé.
