Disclaimer : cet univers appartient à JK Rowling, etc...

Et voici une seconde fic, toujours un Severitus, qui était dans les tuyaux depuis un moment déjà, et que je développais en parallèle du Serment à la Nuit. Les deux fics ne sont pas liées, et celle-ci, la Chose qui chuchotait dans les abîmes, commence d'ailleurs lors de la 3ème année de Harry, dans une réalité, comment dire, légèrement différente de la nôtre.

Je précise que je n'ai pas du tout abandonné le Serment à la Nuit mais j'ai dû prendre du recul pour avoir plusieurs chapitre d'avance. Du reste, les temps sont très chargés professionnellement et il m'est difficile de trouver du temps pour me concentrer et écrire comme je l'entends, mais je vais toujours au bout de mes projets ;)

Rythme de publication : une fois par mois.

Bonne lecture !


Chapitre I

Le voleur d'horloge


Le petit avion blanc à hélices vira dans le ciel d'un bleu profond, une aile lui renvoyant un flash ensoleillé, et Harry ferma les yeux, savourant la chaleur des rayons sur sa peau, laissant la brise tiède traverser les branches des arbres et lui caresser les cheveux.

Le paradis…

Il ne rouvrit les paupières que lorsque le ronronnement apaisant du moteur s'éloigna, le regard fixé sur la rive opposée du lac.

Prenant une grande inspiration, il franchit la courte distance qui le séparait du bord puis se jeta dans le vide, exécutant un saut périlleux arrière dans les airs avant de fendre la surface du lac, quelques mètres plus bas.

L'eau était agréablement fraîche et claire, et il remonta en une brassée, s'écartant prudemment du piton rocheux en haut duquel une jeune fille hésitait à sauter à son tour, sous les encouragements de ses amis.

Il se laissa flotter quelques instants sur le dos, observant les rares nuages cotonneux que comptait le ciel de cette fin du mois d'août.

Qu'il était doux…

Qu'il était doux de songer qu'il était ici, à profiter du beau temps et de la nature, alors qu'il aurait dû être confiné chez les Dursley à s'échiner à il ne savait quelle tâche sous les ordres de tante Pétunia et à guetter la main colérique de l'oncle Vernon… Ce n'était pas ce qu'il s'était imaginé après avoir gonflé la Tante Marge comme un ballon de baudruche mais… il n'allait pas s'en plaindre non plus.

Ça avait été le pire épisode de magie accidentelle qu'il ait pu avoir mais par chance, le Ministre de la Magie à sa descente du Magicobus n'avait exigé aucune explication sur son départ précipité de Privet Drive, davantage concerné par sa sécurité que par l'usage illicite de la magie… Pourquoi diable Fudge en personne avait-il reçu un sorcier de premier cycle par une soirée d'été pour s'assurer de sa sécurité, ça... Un hasard, sûrement...

En attendant, ça faisait dix jours qu'il était assigné dans une chambre du Chaudron Baveur, et à peu près autant qu'il passait les plus belles vacances de sa vie, arpentant le Chemin de Traverse en toute liberté.

C'est en allant faire ses devoirs chez Florian Fortarôme que celui-ci lui avait annoncé qu'il tenait également une boutique à Emerald Lake.

« N'importe quelle cheminée reliée au réseau de Cheminette y mène » lui avait dit le glacier . « Tu n'as qu'à utiliser la mienne, comme la plupart de mes clients. Sinon il y a aussi la Maison de la Cheminette pour t'y rendre, mais il faut payer ».

Emerald Lake était un lac situé au cœur d'une forêt, à quelques minutes à vol d'oiseau du centre-ville de Londres, une base de loisirs exclusivement réservée aux sorciers, dans un cadre exceptionnel où la nature avait toute sa place. Sur l'une des criques ombragée du lac étaient établies les guinguettes et autres tentes où les vacanciers partageaient un verre, s'affrontaient autour de jeux magiques ou profitaient tout simplement du temps magnifique.

« Emerald Lake a été rendue incartable par le Ministère de la Magie » lui avait expliqué Florian Fortârome quand Harry s'était étonné de voir des gens improviser une partie de Quidditch au-dessus du lac. « Les Moldus ne voient rien d'autre ici qu'un étang lugubre entouré de mauvaises herbes et de fils barbelés qui avertissent quiconque d'un danger de mort. Et s'il venait à l'esprit de l'un d'entre eux de quand même entrer sur le terrain par effraction, il se souviendrait subitement d'un rendez-vous urgent ».

La jeune fille sauta finalement du piton rocheux sous les acclamations de ses amis, et de légers remous vinrent jusqu'à lui.

Si Harry se débrouillait à peu près pour nager, il n'était pas toujours très à l'aise de ne pas savoir ce qu'il y avait sous ses pieds. Ne pas être le seul dans l'eau aidait grandement à ne pas penser au fait qu'il y avait au moins quelques mètres de profondeur sous lui, mais une part primitive de son esprit lui soufflait que rester statique, c'était devenir une proie.

« Par ici, Harry ! » l'appela un garçon qui flottait près de la rive.

Lunettes de soleil sur le nez, le teint clair et les cheveux d'un blond doré, il était assis sur une bouée d'un orange vif, à l'ombre d'un saule pleureur dont les branches effleuraient la surface.

Luke, c'était son nom, avait son âge.

Le premier jour, le garçon était spontanément venu l'aborder en lui demandant ce qu'il pensait du récent changement de gardien titulaire des Canons de Chudley. Harry avait reposé En vol avec les Canons, offert au dernier Noël par Ron, pour se lancer dans une discussion sportive des plus divertissantes. Ils s'étaient tout de suite entendus, et ne se quittaient plus depuis lors, passant des après-midi entières à se reposer et s'amuser.

Luke avait l'assurance des gens confiants et solaires, en plus de n'avoir pas cherché à lui demander s'il avait des souvenirs de Voldemort.

Si Hermione et Ron n'avaient pas été, pour l'une en vacances en France, pour l'autre sous le soleil d'Egypte, Harry leur aurait fait découvrir les lieux sans hésiter. Encore que Ron devait sûrement déjà connaître l'endroit.

Luke fut à sa hauteur en quelques crawls :

« Alors, c'était comment ? ».

« Pour un premier salto arrière, c'était plutôt pas mal » admit son camarade, et Harry grogna. « Mieux que le type qui a fait un plat hier après-midi en tout cas, c'est certain ».

Ils ricanèrent et passèrent quelques minutes à commenter les performances des gens qui s'essayaient aux plongeons avec plus ou moins de réussite, avant de rejoindre la berge ombragée.

D'ici, un sentier serpentant entre les arbres menait jusqu'à la base de loisirs, où ils passèrent commande chez Florian dont les terrasses aux ombrelles bariolées étaient prises d'assaut.

Ils s'installèrent sur deux transats miraculeusement libres, à l'ombre d'un parasol d'un jaune citron près d'un immense pin, et débattirent Quidditch jusqu'à ce qu'un plateau flottant dans les airs vienne leur livrer les boissons et les glaces tant attendues.

« Délicieux » commenta Harry après une rasade de limonade fraîche et une cuillerée de glace vanille fraise basilic. « Florian fait vraiment les meilleures glaces que j'ai jamais mangées de ma vie ! ».

Luke était trop occupé à boire goulûment son diabolo menthe pour lui répondre, mais étant donné qu'ils avaient passé la majeure partie de l'après-midi à s'amuser sous un soleil radieux, il ne risqua pas de le contredire.

Des hurlements surexcités leur parvinrent du lac, et Harry repéra une bande de jeunes sorciers qui se pourchassaient sur des planches de surf ensorcelées. Ça avait l'air génial et il en soupira d'envie.

« J'en connais qui vont avoir des ennuis » sourit-il quand les surfeurs se mirent en tête d'utiliser leurs talents en sortilèges pour essayer de former des vagues pour pimenter un peu leur jeu. « Florian va devenir fou furieux ».

Dompter les éléments naturels à sa guise était de la belle magie, et plus d'un spectateur admira l'œuvre, mais le glacier avait déjà mis en garde la joyeuse bande à pas moins de deux reprises cet après-midi là, et il était clair qu'il ne tolérerait plus que des vagues, même petites, déferlent sur la berge et sur ses terrasses.

Les deux garçons gloussèrent quand des vagues inondèrent une partie des places les plus proches de la rive, tandis que les clients maugréaient, les pieds dans l'eau.

Ce n'était pas du goût de Fortarôme qui surgit de son échoppe comme une furie, sa moustache frémissant sur son visage rouge de colère.

« Oups » railla Luke. « Tous aux abris ! ».

Le glacier, qui était un homme d'ordinaire calme, brandit sa baguette de son tablier d'un blanc immaculé.

« Ça suffit, vous autres ! Vous dérangez encore mes clients ! Allez faire vos vagues ailleurs, ou mieux encore, il existe des océans pour ça ! Ventus ! ».

Un tourbillon d'air jaillit de sa baguette et fonça vers les surfeurs imprudents jusqu'à les faire tomber un à un de leurs planches dans des cris indignés, sous les applaudissements nourris.

« La prochaine fois je viendrai moi-même vous chercher, et vos planches de surf, j'en ferai du petit bois pour cet hiver ! » menaça Flortarôme en lançant des Accio agacés pour récupérer des tables et des chaises que le reflux emportait avec lui.

« Quand je pense que tout ça se termine bientôt » fit observer Luke avec un sourire triste. « Je ne suis pas pressé de reprendre les cours ».

« Au contraire, moi, j'ai hâte que les cours reprennent » fit Harry. « Même si cet endroit va pas mal me manquer ».

Luke le dévisagea de ses yeux d'aigue-marine comme s'il lui était poussé une deuxième tête.

« Tu as hâte de retourner en classe ? Par la barbe de Merlin, mais tu es complètement frappé, je crois bien que le soleil a trop cogné ».

« Je n'ai pas vu mes amis de tout l'été, je te rappelle que je me suis atrocement ennuyé avant d'arriver ici ».

Si Luke habitait seul avec son père à proximité du Chemin de Traverse, Harry avait inventé une histoire de vacances qu'il passait chez de la famille éloignée, sans lui avouer qu'en réalité, il dormait seul au Chaudron Baveur sans la responsabilité d'aucun adulte. Il y avait Tom bien sûr, le propriétaire du pub bossu et édenté mais néanmoins affable, mais il ignorait que Harry se rendait tous les jours à Emerald Lake.

Le Ministre l'avait clairement averti qu'il ne devait pas quitter le Chemin de Traverse, mais dans la mesure où personne n'était là pour le surveiller...

« On remettra ça de toute façon, pas vrai ? Je viens ici chaque été ».

« Évidemment » répondit Harry sans même y réfléchir. « Il faudra que je te présente Ron et Hermione, un de ces jours ».

« Dommage que tu ne sois pas à Durmstrang, on aurait bien rigolé ensemble ».

« Dommage que tu ne sois pas à Poudlard, plutôt » corrigea Harry.

Des rares confidences de Luke, Durmstrang se situait apparemment dans le Nord ou l'Est de l'Europe, et menée à la baguette par un directeur autoritaire qu'il ne portait guère dans son cœur.

« Comment ça se fait que tu ne sois pas dans une école du Royaume-Uni, d'ailleurs ? Tu n'as pas reçu ta lettre pour Poudlard à tes onze ans ? ».

« Si, mais mon père voulait m'inscrire à Durmstrang » expliqua Luke. « Quand je pense qu'il a lui-même étudié à Poudlard, le comble... ».

« Quoi ? Mais pourquoi... ».

« Il m'a toujours dit qu'il voulait que je grandisse loin de l'influence du Ministère de la Magie britannique. Jamais compris le rapport, c'est Albus Dumbledore le directeur de Poudlard, pas le Ministère de la Magie, non ? Mais bon, Durmstrang n'est pas si mal, si on oublie qu'il y fait un froid de canard la plupart du temps et qu'en hiver, le soleil se couche beaucoup trop tôt. Et si on oublie Igor Karkaroff, bien évidemment. Je ne peux pas me l'encadrer, ce type ».

Le regard de Luke devint dur comme de la glace, et Harry tenta de lui remonter le moral :

« Tu vas retrouver tes amis, toi aussi. Et puis on pourra s'écrire si tu veux, à condition que tu ne lances pas un Oubliettes à ma chouette quand elle arrivera à Durmstrang. Mais encore faut-il qu'elle localise le château ».

Luke eut l'air amusé :

« Les animaux ont une sorte d'instinct pour se repérer, ta chouette n'aura pas trop de mal à trouver Durmstrang si elle est calibrée pour les vols long courriers. Et puis, à moins qu'elle ne soit un Animagus ou qu'elle sache parler, ça m'étonnerait qu'elle puisse te dire exactement où est le château ».

« Un Animagus ? » le reprit Harry, et Luke soupira théâtralement en levant les mains au ciel.

« C'est vrai, j'oublie toujours que le célèbre Harry Potter a grandi avec des Moldus et qu'il ignore les concepts basiques du monde magique ».

« Je te déconseille de répéter ça si tu ne veux pas terminer la tête la première dans le lac » le menaça Harry tandis que Luke se lançait dans une explication sommaire de ce qu'était un Animagus.

Au fil de l'après-midi, la torpeur et la chaleur firent leur effet et ils se laissèrent bercer par le bruissement familier d'un Emerald Lake estival et des clapotis de l'eau.

Harry se laissa aller à penser au tout nouveau balai de course étincelant qu'il avait repéré il y a quelques jours dans le magasin d'Accessoires de Quidditch, sur le Chemin de Traverse, et qui avait occasionné pas mal d'échanges passionnés avec Luke, et d'ailleurs avec tous ceux qui s'étaient pressés devant les vitrines.

L'Éclair de Feu faisait sensation depuis sa mise sur le marché, et il avait dû faire appel à tout son self-control pour ne pas y laisser la moitié de son compte en banque. Il avait déjà son Nimbus 2000 généreusement offert par le professeur McGonagall…

Sa veille légère se mua en un sommeil plus profond, constitué d'Éclairs de Feu et de victoires…

Jusqu'à ce que, enfoui quelque part dans à la lisière de son inconscient, il finisse par distinguer une voix grave et doucereuse qui aurait pu être apaisante si elle n'avait pas appartenu à un homme qu'il se faisait un point d'honneur à détester.

« Alors, Potter, on s'accorde un peu de bon temps après avoir gonflé sa tante comme une vulgaire montgolfière ? ».

Harry ouvrit brutalement les yeux et tomba directement sur la haute silhouette de l'homme qui lui faisait face et le toisait de son regard glacial, réussissant à lui seul l'exploit de faire chuter la température ambiante de quelques degrés.

Ce n'était pas possible et pourtant... et pourtant, Snape se tenait là, devant lui.

Le Maître des Potions ne portait ni son austère redingote boutonnée jusqu'au col ni ses sempiternelles capes noires virevoltantes sans que cela ne lui fasse perdre la moindre prestance pour autant, ayant opté en cette chaude journée pour un pantalon et des bottes en cuir noirs, une chemise à œillets d'inspiration Renaissance - noire, cela allait sans dire - qu'ajustaient une ceinture et des bretelles en cuir, ensemble qui lui donnait l'air d'un implacable vicaire.

En sa présence, leur parasol d'un jaune citronné sembla soudain moribond.

Complètement sonné, Harry ne bougea même pas, certain d'être devenu timbré.

« C'est qui ? Tu le connais ? » demanda Luke, presque avec dédain - il avait dû capter à sa réaction que l'homme n'était pas spécialement un ami.

Ça lui confirma qu'il n'était pas sujet à une hallucination cauchemardesque.

« C'est... c'est... » balbutia Harry.

« Peu surpris de constater que mes conseils de lecture vous plongent dans une profonde rêverie » cingla Severus Snape avec mépris en avisant le grimoire Mille herbes et champignons magiques sur lequel s'était endormi le garçon, et qu'il avait commencé à feuilleter pour se donner bonne conscience avant la rentrée. « Je comprends mieux votre niveau catastrophique en Potions et votre propension à ruiner tout ce que touchent vos mains maladroites ».

Bien réveillé à présent, Harry bondit de son transat et se mit debout, le dos raide, comme un soldat lors d'une revue des troupes.

« D'accord, mais vous, vous êtes qui, au juste ? » demanda Luke en se levant à son tour avec une défiance qui fit pâlir Harry.

Il fut à la fois bluffé et horrifié par son impertinence, mais quand même réconforté qu'il ait délaissé son sundae framboise pour faire front avec lui.

Apparemment, les étudiants de Durmstrang ne manquaient pas de loyauté et avaient un caractère bien trempé. Ron et lui s'entendraient à merveille…

« Sn… professeur Snape » salua le Gryffondor avec suffisamment de respect pour laver l'affront de son camarade.

Un rictus narquois passa sur le visage du Professeur, et Harry songea que si un inconnu accoutré comme Snape lui avait jeté ce regard, il aurait détalé en courant.

« Severus Snape, votre humble serviteur » persifla le Professeur. « Maître des Potions à l'école de magie de Poudlard et directeur de la Maison Serpentard. Et vous, vous êtes… ».

Harry dut reconnaître à Luke un certain sang-froid, car il ne se laissa pas démonter par le regard inquisiteur et le ton autoritaire.

« Luke Peverell, Maître » fit crânement le garçon, et Harry hésita à intervenir.

Ils n'étaient pas à Poudlard, et il avait peur de ce que pourrait faire Snape lorsqu'il n'était pas sous l'autorité de Dumbledore…

Au lieu de déclencher les foudres incendiaires du Maître des Potions, celui-ci demeura impassible, toisant Luke en silence. Il n'y avait aucune émotion, ni dans son regard ni sur son visage lisse, et à ce petit jeu, son camarade finit par baisser les yeux. Une étincelle de satisfaction brilla dans les yeux noirs du Professeur, qui glissèrent à leur tour sur Harry.

Si Severus fut pour le moins étonné du comportement inhabituellement craintif de Potter, il remit cette observation à plus tard, encore suffisamment contrarié par la demande inopinée de Dumbledore d'escorter son petit protégé en lieu sûr. Il inspecta le Gryffondor mal à l'aise devant lui.

Le garçon avait grandi depuis juin, et bien que son visage n'ait pas encore perdu les rondeurs de l'enfance, il paraissait plus amaigri et fatigué que la dernière fois qu'il avait quitté l'école malgré le léger bronzage qu'il arborait. Comment diable Potter se débrouillait-il pour arriver à Poudlard chaque 1er septembre comme s'il avait été affamé tout l'été et mis aux galères ? Gamin capricieux…

« Qu'avez-vous au visage ? » exigea-t-il en préambule en découvrant le bleu en forme de demi lune qui s'étalait sur la pommette et la tempe du garçon, et qui devait dater de plusieurs jours, vu sa couleur.

Le Gryffondor se figea à sa question, et ses yeux verts d'ordinaire si frondeurs devinrent soudain fuyants.

« Exprimez-vous plus clairement qu'en marmonnements inaudibles, je ne suis pas votre confident » le réprimanda Snape.

« Je suis tombé dans les escaliers chez mon oncle et ma tante » répéta Harry.

C'était du moins la version qu'il avait offert aux rares personnes qui lui avaient posé la question, c'est-à-dire Tom du Chaudron Baveur, Luke et à présent la Terreur des cachots. Si les deux premiers n'avaient rien trouvé à y redire, il en alla pas de même pour le dernier qui plissa les yeux avec suspicion.

« Vous aviez oublié de mettre vos lunettes ? » demanda Snape avec une ironie certaine. « Regardez-moi lorsque je vous parle ».

Le Gryffondor obéit et leva ses yeux clairs et inondés de soleil couchant vers lui. Severus demeura impassible malgré le nœud traître qui serra son cœur à la vue des émeraudes étincelantes, se maudissant que son corps le trahisse chaque fois qu'il croisait le regard… son regard, après une trop longue séparation.

« Non, j'ai simplement trébuché, un bête accident ».

Severus serra les lèvres, agacé d'être pris pour un imbécile. Le gamin mentait, il n'avait aucun doute là-dessus, et il laissa s'éterniser entre eux un silence suffisamment inconfortable pour que le garçon comprenne qu'il n'était pas dupe.

« Rassemblez vos affaires au Chaudron Baveur, nous partons ».

Le Serpentard perçut nettement le mouvement de recul involontaire qu'esquissa Potter quand il se rapprocha de lui, et haussa un sourcil.

Le Gryffondor affichait une peur contenue.

« Où est-ce que vous m'emmenez ? J'ai respecté à la lettre les consignes du Ministre de la Magie, je n'ai pas bougé du Chemin de Traverse depuis que je suis arrivé et je ne me suis pas baladé dans le côté Moldu de Londres… ».

« Et quand il s'agit de respecter les ordres du Ministre en personne, vous être très appliqué n'est-ce pas M. Potter ? Cela ne vous dispense toutefois pas d'être extrêmement obéissant quand je vous ordonne de me suivre ».

Pas emballé à la perspective de convoler il ne savait où avec l'abominable Chauve-souris des profondeurs, Harry parcourut du regard les parasols autour de lui. Personne ne faisait attention à eux, Snape aurait tôt fait de jeter un Petrificus totalus à Luke et de le kidnapper sans que quiconque ne s'en aperçoive. A moins que…

« C'est… c'est ma punition, c'est ça ? » demanda-t-il avec résignation. « Pour avoir violé le Décret sur la Restriction de l'usage de la magie chez les sorciers de premier cycle pour avoir gonflé ma tante comme un ballon ».

« Ma présence ici n'a rien à voir avec cela M. Potter, mais je suis sûr que je peux vous administrer une punition de mon goût si c'est ce que vous recherchez. Pour ainsi dire, nous pourrons également en profiter pour avoir une conversation sur la pertinence de quitter sa famille en pleine nuit et vagabonder dans la campagne anglaise à la merci de n'importe quel brigand ».

Harry n'osa s'aventurer sur ce que suggéraient les paroles doucereuses du Professeur, ni réfléchir plus que de besoin à l'étendue des sévices que Snape pouvait se faire un plaisir de lui infliger, loin de Poudlard et des yeux du professeur Dumbledore. Il sentit un frisson glacé le traverser.

« Harry ne va nulle part » s'interposa spontanément Luke, à qui l'homme n'inspirait visiblement aucune confiance. « Il n'a pas fait exprès de lancer un sort d'Enflure à sa tante acariâtre, et si vous voulez mon avis, c'était entièrement mérité ».

« Il se trouve que je me moque de votre avis M. Peverell, et que du reste, je ne vous l'ai pas demandé non plus ».

« Je n'ai pas besoin de votre autorisation pour vous dire ce que je pense, Maître » se moqua le garçon en remettant ses lunettes de soleil avec une assurance que démentaient ses gestes fébriles.

Il était plus facile, sans doute, de supporter le regard de quelqu'un comme Snape quand son propre regard effrayé était bien masqué derrière des verres fumés, supposa Harry, qui assistait à cet échange surréaliste. Sous les parasols voisins, certains curieux commençaient déjà à tendre l'oreille avec intérêt.

« Quelle recrue pour Gryffondor avons-nous là, M. Potter ? » gronda Snape. « On dirait bien que vous vous êtes fait un fidèle garde du corps ».

« Je n'ai pas besoin de garde du corps ! » s'insurgea aussitôt Harry.

« Non, et vous l'avez très bien démontré cette année, n'est-ce pas ? Vous n'avez besoin de personne pour braver les dangers » assena Snape d'un ton polaire.

C'était faux, mais Harry eut la vision fugitive d'un serpent géant aux yeux aveugles et aux crocs démesurés luisant de venin, et il se recula presque imperceptiblement.

« Quant à vous M. Peverell, je vous suggère d'abandonner tout de suite ce petit ton condescendant avec moi si vous ne souhaitez pas que nous ayons une petite explication à couteaux tirés. Le fait que vous ne soyez pas sous mon égide ne vous dispense pas de respecter les règles élémentaires de politesse. L'une des premières règles de politesse élémentaire d'ailleurs, consiste à avoir le courage de regarder les gens dans les yeux quand on leur parle. Maintenant que j'y repense, je crois me souvenir que votre père faisait montre d'une certaine déférence envers ses aînés ».

Les épaules de Luke s'affaissèrent légèrement, mais le fait que Snape insinue que se cacher sous des lunettes de soleil était l'apanage des lâches eut son petit effet et il obtempéra.

Severus acquiesça.

« Bien ».

Peverell… Ce nom lui avait vaguement évoqué quelque chose, et sa mémoire avait mis un peu de temps pour traverser son palais mental pour disséquer puis trier les visages et les noms en procédant par élimination puis déduction, mais à présent, il le remettait.

Il avait le prénom sur le bout de la langue mais ça n'avait pas d'importance, le nom de famille n'était pas très répandu et il était probable que le Préfet-en-Chef de septième année de Serpentard qui officiait lorsqu'il était arrivé en première année à Poudlard était le père du petit rebelle en herbe devant lui. Il avait dû le recroiser de loin à un moment donné dans son parcours de vie, mais l'homme était apparemment d'un naturel discret, et Severus aurait été bien en peine de dire ce qu'il était devenu aujourd'hui.

Non pas que ça ait une quelconque importance, cela dit.

« Vous connaissez mon père ? » demanda le garçon, moins assuré à présent.

« Et si nous allions lui rendre visite ? Revoir un ancien camarade lui ferait probablement plaisir, j'en suis sûr ».

« Ce ne sera pas nécessaire, Professeur » se dépêcha d'intervenir Harry, vaguement épouvanté à l'idée que Snape aille casser la figure au père de son nouvel ami. « Je vais vous suivre tout de suite ».

S'efforçant de se composer un air conciliant pour faire bonne figure devant Luke, Harry ramassa ses affaires et il nota l'adresse que son camarade lui donna, avant de faire leurs adieux. Sous l'œil ennuyé de Snape, ils se promirent de s'écrire et de se revoir pour le début d'une belle amitié.

« Hâtez-vous Potter, nous n'avons pas toute la soirée devant nous et j'ai pour consigne de vous conduire en lieu sûr ».

« Me conduire en lieu sûr ? Que se passe-t-il, Professeur ? ».

Severus, qui avait déjà amorcé un demi-tour impérial, se retourna entre les parasols pour le dévisager avec une incrédulité non feinte.

« Allons Potter, ne me dites pas que vous n'êtes pas au courant ».

« Au courant de quoi ? ».

« Personne ne vous a rien dit ? ».

« Personne ne m'a pas dit quoi ? » réclama Harry avec plus d'insistance qu'il ne l'aurait voulu.

« Professeur ».

« Professeur ».

« Tout comme votre camarade, le fait que nous soyons hors des murs d'enceinte de Poudlard ne vous épargne pas non plus de suivre les règles élémentaires de politesse envers vos professeurs, M. Potter » siffla le Serpentard.

A l'évidence, ce petit impertinent ne savait rien du danger qui planait au-dessus de sa tête, personne n'ayant daigné l'avertir. Cela expliquait la fugue après s'être amusé à transformer sa tante en ballon géant… nul doute que si le gamin savait ce qui se tramait dehors dans les ténèbres depuis quelques semaines, il n'aurait pas fait un pas en-dehors du domicile de ses Moldus. Quoique avec Potter, on était jamais vraiment sûr de rien…

« Rassurez-moi tout de même, vous n'ignorez pas qu'un criminel notoire et très dangereux nommé Sirius Black s'est échappé de la prison pour sorcier hautement sécurisée d'Azkaban ? ».

« Oh, ça… difficile de ne pas le remarquer, tout le monde ne parle que de lui. Mais je ne vois pas en quoi cela me concerne Professeur, en journée je suis soit sur le Chemin de Traverse soit ici avec toujours du monde autour de moi, et le soir je suis en sécurité sous la surveillance du propriétaire du Chaudron Baveur. Alors, qu'est-ce qu'on ne m'a pas dit ? ».

« Vous ne voyez pas en quoi cela vous concerne » reprit lentement Severus avec une pointe de consternation.

Il ne savait pas s'il devait éclater d'un rire sardonique qui serait pour le moins inapproprié en de telles circonstances, ou se mettre en colère face à l'énervante candeur du garçon. Il choisit la seconde option. Comme toujours. La plus facile.

« C'est bien l'ennui avec vous M. Potter, vous ne voyez jamais rien ».

La pique était purement gratuite et il se détourna aussitôt, prétendant ne pas avoir vu l'éclair blessé traverser les yeux du garçon.

Fendant la foule de badauds avec une autorité telle que les gens s'écartaient naturellement sur son passage, il prit la direction de la cheminée de Florian Fortarôme, après un salut de tête avisé au glacier.

Ils furent de retour sur le Chemin de Traverse en moins de deux, quittant le plein air de la nature pour se retrouver dans la cohue de la ville où les consommateurs se bousculaient pour leurs achats de rentrée.

« M. Snape, vous avez fait vite » l'accueillit Tom quand il eut franchi le seuil du Chaudron Baveur. « M. Potter était bien chez le glacier comme je vous l'avais indiqué ? ».

« M. Potter est un garçon incroyablement prévisible, Tom, je n'ai guère mis plus de quelques minutes pour le retrouver à se prélasser sur une chaise longue du glacier, mais pas sur le Chemin de Traverse, non. Notre ami Potter était en réalité à Emerald Lake ».

Son ton narquois fit supposer à Harry que pour le Professeur, ce n'était là pas un endroit à fréquenter en plein mois d'août, et que s'enfermer dans le sinistre donjon qui devait lui servir de résidence d'été était plus instructif. Incroyable de mépriser les bonheurs simples…

« Allons allons » tempéra Tom avec indulgence en lançant à Harry un regard en biais, non sans surprise, « M. Potter est un garçon gentil qui a bien mérité quelques vacances et a bien le droit de se reposer comme tous les enfants de son âge. Et puis, Emerald Lake est un bel endroit pour se détendre ».

« C'est cela, c'est cela » répliqua Snape en traversant la salle de l'auberge, attirant à lui d'un geste négligent de la main ses robes noires suspendues à une patère. « Montez récupérer vos affaires, Potter, et ne rêvassez pas trop longtemps, nous sommes pressés ». Il posa ses robes sur le comptoir. « Je prendrais bien un petit rafraîchissement, Tom ».

« Tout de suite, Professeur » s'inclina le vieil homme. « M. Potter, votre chouette n'est pas encore revenue, mais je pourrai lui dire à son retour de vous rejoindre directement à Poudlard, si cela vous convient ».

« Merci beaucoup, Tom ».

« Vous prendrez bien une boisson vous aussi. Jus de citrouille frais, sirop à la menthe, cette boisson pétillante au citron que vous adorez, ou bien encore tout ce que vous voudrez sur notre carte ».

« C'est gentil, mais je n'ai pas soif ».

Harry n'avait surtout pas la moindre envie de trinquer avec son professeur de Potions.

La mort dans l'âme, il emprunta les escaliers d'un pas lourd, passant devant l'avis de recherche intimidant de Black placardé dans le couloir. Le meurtrier avait l'air d'un dément à crier en silence, ses yeux exorbités de folie et la fureur transparaissent sur sa figure émaciée.

Comment pouvait-on tuer treize personnes de sang froid en pleine rue ? Cinglé… Vivement que le Ministère lui mette la main dessus.

Quelques jours à fréquenter les clients du pub et les terrasses du glacier lui avaient suffit pour réaliser la terreur qu'inspirait Black.

Accablé, il rassembla tous ses effets personnels avant se se traîner jusqu'à l'exiguë salle de bain.

« Non mais, regardez-moi cette tête de débraillé » gloussa une voix désagréable lorsqu'il passa devant le haut miroir aux pieds de serres argentés. « C'est cela, va donc te cacher loin de ma vue ».

« Les hostilités, toujours les hostilités » grommela Harry en levant les yeux au plafond. « Tu t'entendrais bien avec Snape, j'en suis sûr ! ».

Il claqua la porte pour ne pas entendre la réponse sans nulle doute acerbe de ce fichu miroir parlant.

Harry s'examina dans le miroir - définitivement muet celui-ci - de la salle de bain, grimaçant à la vue qu'il lui renvoyait sans pitié. Il n'était pas d'humeur à affronter les réflexions d'un miroir face aux dégâts bleuissants laissés par les coups de l'oncle Vernon.

Se soucier de ce que pouvait bien penser un objet stupide et inanimé… il était d'un ridicule...

Deux gros hématomes anciens d'à peu près dix jours s'étalaient, l'un sur ses côtes, l'autre sur la hanche, en réponse à l'irritante demi-lune qui commençait à peine à s'estomper sur son visage. Pendant ses excursions à Emerald Lake, il n'avait enlevé son t-shirt que pour aller dans l'eau, expliquant à un Luke stupéfait qu'il était lourdement tombé en essayant de rattraper sa tante-ballon pendant qu'elle s'envolait dans le ciel.

En réalité, l'œuvre de l'oncle Vernon en guise de punition...

Refusant d'affronter son reflet, il prit rapidement une douche, dans la crainte que Snape vienne lui-même le chercher par la peau du cou.

« Diantre, ce n'est pas encore ça » siffla le miroir parlant lorsqu'il s'arrêta devant pour discipliner ses cheveux noirs et mouillés.

« Le tact, c'est vraiment pas ton fort, hein ? Méfie-toi, je pourrais bien te faire malencontreusement tomber dessus un objet pointu, un de ces jours ».

« Voilà un jeune homme qui ne craint pas sept ans de malheur » ricana le miroir. « Par ailleurs, espèce de délinquant gonfleur de Moldus, tu seras heureux d'apprendre que je suis protégé par un sort Incassable qui me rend très difficile à briser, même pour un sorcier… tu ne serais le premier à essayer puis échouer. Les gens auront bon s'énerver, tant qu'ils ne comprendront pas que je suis incapable de mentir, ils continueront à vouloir détruire le chef d'œuvre d'orfèvrerie que je suis. J'ai été façonné pour ne dire que la vérité, le mensonge est un concept qui m'est étranger ».

« Ah oui ? Comme le miroir de la méchante reine dans Blanche-Neige ».

« Un lointain cousin de mon espère, oui Monsieur ! » se rengorgea le miroir. « Il était au service de la Reine elle-même ! Oui Monsieur ! ».

Enfilant un léger sweatshirt gris en coton représentant un Seigneur noir des Siths, Harry esquissa un sourire conspirateur et revint devant le miroir.

« Miroir, mon beau miroir, dis-moi, dis-moi que j'ai au moins une qualité pour rattraper mon air si débraillé » minauda-t-il avec une expression faussement charmeuse.

Comprenant qu'elle venait de se faire manipuler, l'arrogante vitre émit un long sifflement incompréhensible, et Harry dut se rapprocher du cadre finement ciselé, pour l'entendre susurrer à contrecœur :

« Je dois admettre, au-delà de ce goût vestimentaire douteux et contraire à toute règle d'élégance, que tu as en guise de yeux des émeraudes que le soleil couchant embellit de lumière, et des… ah ! On avait dit une seule qualité, pas davantage !… je fais valoir mon droit au silence ! Vil narcissique ! Fieffé manipulateur ! ».

« C'est comme ça que je te préfère ! ». Et il avait dû lui en coûter de distribuer un compliment car le miroir se fendit d'un râle plaintif avant de se taire pour de bon.

De meilleure humeur, Harry se jeta de tout son corps pour verrouiller sa valise, dont le poids devait avoisiner la tonne.

Au même moment, un grondement sourd fit soudain vibrer les fenêtres du couloir sur leurs gonds, et il sentit le vieux parquet gémir et tressaillir sous ses pieds.

« Qu'est-ce que c'était ? ».

« Est-ce que j'ai l'air d'avoir un troisième œil ? » grinça le miroir de son habituel ton aristocratique, incapable de se taire plus d'une minute. « Probablement les pétards explosifs vendus par ces saltimbanques de Pirouette & Badin ».

« Il paraît qu'ils vendent des pétards illégaux en arrière-boutique » se rappela soudain Harry de l'une de ses discussions avec Luke. « Selon les rumeurs, il y a même une variété qui prend la forme d'un gigantesque dragon ! ».

« Peuh ! » fit le miroir avec dédain. « Moi, je peux me targuer d'en avoir vu, des dragons véritables, et ils sont autrement plus dangereux que de vulgaires pétards mouillés pour feux d'artifices de rues ».

Amusé, Harry leva les yeux au ciel. Mais bien sûr…

Avant de partir, il s'arrêta sur le pallier pour jeter un dernier regard à ce qui avait été sa chambre pendant dix jours, dix jours de vacances et de liberté loin des Dursley et de Tante Marge, loin de l'oncle Vernon et de ses poings gros comme des battoirs. Il avait même gagné, en prime, une nouvelle amitié !

ooo

Lorsqu'il entendit les à-coups brutaux, Severus leva les yeux de l'exemplaire de la Gazette du Sorcier qu'il feuilletait pour voir Potter descendre les escaliers, gros sac en bandoulière et balai sur le dos, petit sourire aux lèvres. Il serra le poing. Qu'avait encore manigancé le garçon pour arborer cet air insupportablement satisfait ?

Il termina d'un trait son Vodka Martini et rejoignit le garçon qui traînait son énorme malle d'un air essoufflé.

« Prêt, Potter ? Notre lieu de départ est à la Maison de la Cheminette, à quelques encablures d'ici ».

Harry ne manqua pas le regard d'obsidienne qui glissa avec condescendance sur le Dark Vador dessiné sur son sweat et qui brandissait un sabre laser, mais heureusement Snape ne fit aucun commentaire désobligeant. Que connaissait la chauve-souris humaine du cinéma moldu, de toute manière ?

« Vous savez d'où ça venait, ce bruit d'explosion à l'instant ? ».

« Nous sommes à Londres, ce genre de chose arrive constamment dans une grande ville » répondit Snape avec ennui. « Allons-y, nous avons assez perdu de temps ainsi ».

Son pas conquérant vers la sortie du Chaudron Baveur fut aussitôt contrecarré par la présence d'un impressionnant berger allemand noir aux poils longs qui le défiait, les oreilles plaquées en arrière. Il s'arrêta net tandis que les client se taisaient, effrayés par l'agressivité de l'animal que personne n'avait entendu ni vu entrer.

Harry avait déjà vu le molosse, qui rôdait parfois à proximité du bar et venait lui léchouiller la main.

Un chien errant mais qui semblait propre et bien éduqué.

Enfin, bien éduqué jusqu'à ce qu'il grogne méchamment sur Snape...

Il lâcha sa valise pour se précipiter vers le chien, mais la main de Snape se referma sur sa nuque pour l'empêcher d'aller plus loin.

« Je le connais, je le vois souvent sur le Chemin de Traverse ! Il est très gentil avec moi, je crois qu'il a perdu son maître ».

« Restez derrière moi sans intervenir Potter, les chiens errants sont tout sauf gentils et je n'ai aucune envie de gérer des morsures. Ne vous est-il pas venu à l'esprit que cela puisse être son maître qui l'ait sciemment perdu ? Arrêtez de gesticuler ! ».

Sitôt que Snape eut posé sa main sur le garçon, le chien émit un grognement profond et continu, les babines retroussées sur ses crocs et l'échine tremblante, comme animée par une haine viscérale.

« Mais enfin, tu me reconnais, non ? » tenta de l'amadouer Harry d'un ton cajoleur. « Sois un gentil chien ».

Ignorant la pression qu'exerçaient les doigts de Snape autour de son cou endolori, il s'efforça de calmer le chien avec des mots apaisants. Un Snape furieux était la dernière chose dont il avait besoin s'il devait passer les prochaines heures en tête-à-tête avec lui. L'homme rendait son regard haineux à l'animal, une main à l'intérieur de sa cape, et Harry comprit qu'il se préparait à dégainer sa baguette au moindre signe imminent d'attaque.

Dans un aboiement rageur qui fit sursauter la plupart des gens, le molosse recula à pas lents vers la porte du pub demeurée entrouverte avant de disparaître.

« Abstenez-vous d'intervenir la prochaine fois, Potter » fit Snape. « Je suis tout à fait en mesure de m'occuper d'un chien agressif ! ».

« Ce n'est pas pour vous que je m'inquiétais, Professeur » rétorqua le garçon avec provocation.

Être impertinent n'était peut-être pas une bonne idée quand on était physiquement entre les mains d'un homme tel que Severus Snape, admit Harry tandis que le Professeur lui encerclait le bras d'une poigne de fer et le rapprochait de lui, le fixant en silence d'un regard assassin qui promettait mille tourments.

Il n'oserait tout de même pas lui faire du mal devant les clients du pub…

« Évidemment » fit Snape, venimeux, ses yeux lançant des éclairs. « J'aurais dû me souvenir que le célèbre et égoïste Potter ne se soucie de rien d'autre que de sa petite personne ».

Il le relâcha avec une expression de dégoût. Harry ouvrit la bouche pour rectifier son propos mais l'homme leva une main impérieuse très près, beaucoup trop près de son visage, si près même qu'il crut qu'il allait le frapper et il ferma les yeux, impuissant.

« Taisez-vous à présent, je ne veux plus vous entendre pour le reste de la journée ».

Le Maître des Potions fit volte-face dans un tourbillon de capes maîtrisé, et Harry ne perdit pas de temps à le suivre sans broncher, le cœur battant dans sa poitrine, surpris de n'avoir pas reçu de coup.

Mais ce n'était que partie remise, il en était sûr…

Il refusa de penser à la punition qui l'attendait.

Il y avait encore beaucoup de monde dehors, et le Chemin de Traverse fleurait bon ces soirées d'été insouciantes où une douce brise portait les musiques, les rires et les conversations murmurées dans les bars et restaurants qui commençaient à se remplir. Il y avait toutefois une certaine agitation dans le quartier, une rumeur qui enflait et de vagues cris lointains qui ne semblaient pas alarmer outre mesure le Professeur.

Autour d'eux, les gens prenaient un dernier verre ou regagnaient leurs foyers où les attendaient une famille, songea Harry avec nostalgie.

Tandis que lui serait coincé avec Snape… Génial.

Pourvu que ce ne soit que pour le temps du trajet, et qu'il soit débarrassé de lui pour profiter des précieux jours qu'il lui restait avant la reprise des cours, où il aurait encore le déplaisir de subir son habituel dédain en Potions…

« Donnez-moi ça, Potter ».

Tout à ses pensées, il n'avait pas remarqué que Snape s'était retourné sur lui.

« Q… quoi ? » bredouilla Harry le souffle court, la poitrine comprimée par son gros sac en bandoulière.

« Votre malle » répliqua sèchement le Professeur. « J'entends atteindre la Maison de Cheminette avant la tombée de la nuit ».

Reconnaissant, Harry le laissa soulever la malle comme si elle ne pesait pas plus lourd qu'une plume, et secoua son bras ankylosé.

« Merci, Professeur ».

L'homme reprit son chemin sans répondre, l'ignorant superbement.

La soirée promettait d'être franchement plaisante, soupira Harry. Il rattrapa les grandes enjambées du Professeur.

« Où est-ce que vous m'emmenez ? A Poudlard ? J'ai quand même le droit de savoir pourquoi vous... ».

« Au nom de Merlin ! » gronda le Maître des Potions en s'arrêtant brutalement au milieu de la rue, le scrutant avec un agacement croissant. « Vous êtes incapable de la moindre patience n'est-ce pas ? Que vous ai-je dit il y a moins de cinq minutes ? Je ne veux plus vous entendre pour le… »

Le Professeur ne termina jamais sa phrase qui mourut dans un claquement sec semblable à un coup de fouet, et qui fut suivi dans la seconde d'une série de claquements identiques.

A une cinquantaine de mètres, entre une taverne et un magasin de chapeaux haut-de-forme, venaient d'apparaître plusieurs sorciers comme surgis de nulle part et qui firent s'écarter les passants surpris.

Tout se déroula à une vitesse ahurissante.

Des hommes et femmes vêtus de longs manteaux solennels avaient pris en chasse un trio de sorciers aux visages dissimulés par des masques tout droit sortis d'un carnaval vénitien. Deux engagèrent aussitôt le combat avec les élégants sorciers dans une explosion de sortilèges et de formules hurlées, tandis que le troisième profitait de la diversion pour s'enfuir à travers la foule stupéfaite.

Bouche bée, Harry regarda un sorcier habillé d'une longue cape gris clair parer un rayon lumineux qui dévia sur une enseigne pulvérisée en copeaux de bois.

Qui étaient ces gens ? Que se passait-il ?! Il n'avait jamais vu de duels de sa vie hormis dans un environnement encadré l'année dernière au club de duel par ailleurs mémorable entre Snape et le bonimenteur Lockhart, et encore moins en plein quartier commerçant.

« Vous en êtes en état d'arrestation, n'opposez pas résistance au Ministère ! » tonna une voix rocailleuse au-dessus du brouhaha inquiet. « Vous pouvez encore mettre un terme à cette folie ! ».

Une main s'enroula étroitement sur le bras de Harry, qui paniqua l'espace d'un instant avant de reconnaître les manches du Professeur.

Il aurait préféré utiliser le réseau de poudre de Cheminette plutôt que de réaliser un transplanage d'escorte en urgence avec le garçon et ses bagages qui pesaient le poids d'un Quintaped adulte, mais Severus n'avait pas le loisir de se permettre d'aller à la confrontation avec ces idiots habillés en guignols quand l'infâme Black rôdait dans les parages et avait été aperçu dans la matinée dans le Londres Moldu. Il n'eut besoin que d'une seconde pour mobiliser sa concentration et visualiser sa destination.

Au lieu de ressentir dans ses veines le crépitement familier de la magie du transplanage, rien ne vint. Il ne lui fallut qu'une autre tentative infructueuse pour rouvrir les yeux avec contrariété, croisant le regard interloqué du garçon.

« Périmètre anti-transplanage » grogna-t-il. « Probablement déployé par les Aurors ».

« Périmètre anti-quoi ? ».

Maudit Gryffondor ! Toujours à poser des questions dans les moments les plus inopportuns !

La Maison de la Cheminette n'était plus très loin, en se dépêchant ils auraient tôt fait de déguerpir de ce bourbier.

Il y eut alors un flash lumineux et un rayon puissant fendit la foule dans leur direction, direction qu'avait également prise le sorcier en robe pourpre et au visage recouvert d'un masque blanc et doré aux motifs floraux.

Avec la rapidité et le réflexe que lui conféraient ses années d'expérience, Severus eut tout juste le temps d'agripper le garçon par les épaules et de le coucher sur le pavé, le protégeant de son corps.

Une fraction de seconde plus tard, le sortilège s'écrasait dans une boutique où luisait une impressionnante collection de chaudrons impeccablement cirés, la désintégrant avec fracas. La vitrine vola en éclat, projetant une pluie de morceaux de verre brisé de tous les côtés.

Le sort de l'Auror avait manqué sa cible, qui s'était également jetée au sol.

La cible, le sorcier au capuchon pourpre, se releva sans se préoccuper de son assaillant, misant sur le mouvement de foule causé par la destruction de la devanture pour se faufiler entre les gens. Il portait contre lui un objet doré visiblement dérobé au Ministère de la Magie si l'on en jugeait l'armada d'Aurors à ses trousses, et semblait plus déterminé à s'enfuir qu'à se défendre.

Sa baguette magique déjà sortie, Severus sauta hâtivement sur ses pieds, relevant le garçon par la même occasion. Tous deux étaient couverts de poussières et de minuscules bris de verre, mais ils n'avaient aucune égratignure visible. Il conjura un bouclier autour d'eux : affronter des voleurs déguisés en Arlequins ou un Auror ne lui posait aucune difficulté, cependant il préférait éviter de se retrouver entre deux feux nourris pour une vulgaire histoire de cambriolage.

« On y va, Potter ! » gronda-t-il à l'oreille du garçon, le tirant par l'épaule de force. « La Maison de la Cheminette est toute proche ! ».

Dans la cohue, une femme qui portait dans ses bras une grosse cage où bondissaient d'étranges boules rondes et duveteuses colorées le bouscula, et Harry n'évita une chute que grâce à Snape qui le rattrapa par le sweat. Vérifiant qu'il avait toujours son cher Nimbus 2000 sur le dos, il s'élança à travers la foule aux côtés du Professeur.

« Expulso ! » hurla soudain quelqu'un.

Soulevé dans les airs comme une poupée de chiffon, le carnavalier vénitien s'écrasa sur un étal de tapis persans luxueux à quelques mètres de leur position, roulant sur lui-même. Harry l'entendit laisser échapper un grognement de douleur.

« Expelliarmus ! » enchaîna la même voix.

« NON ! » hurla une Auror dont les cheveux bruns retombaient en cascade sur son manteau vert sombre.

Il était trop tard pour le carnavalier cependant…

Le sortilège fit sauter la baguette des mains du voleur, tandis que de l'autre main volait dans les airs l'objet qu'il cherchait si précieusement à protéger.

Le temps sembla se suspendre durant quelques secondes sur le Chemin de Traverse, comme si plus rien n'avait d'importance hormis cet étrange objet couleur cuivre et or d'une vingtaine de centimètres et très semblable à une horloge surmontée d'un sablier, constitué d'un mécanisme complexe au centre duquel brillait une lumière d'un bleu profond iridescent.

La relique se brisa au contact du pavé, et une fumée couleur bleu persan s'en échappa.

« NON ! » s'époumona l'homme au masque vénitien, et personne ne manqua l'effroi dans sa voix. « NOOOOONNNN ! PAUVRE FOU !

L'expression de terreur primaire mélangée au désespoir que saisit Harry dans les yeux écarquillés du sorcier, et qui hanterait ses prochaines nuits, suggérait qu'il venait d'être commis là une erreur fatale, et il sentit ses entrailles se glacer sans qu'il ne puisse se l'expliquer.

Personne, ni Auror ni voleur, ni homme ni femme, ne fut épargné dans un rayon de cent mètres autour de l'horloge.

Autour de Harry, le monde s'effondra sur lui-même dans un éclair blanc éblouissant qui venait d'exploser du sablier et morcela le Chemin de Traverse en une mosaïque de couleurs tourbillonnantes.

Ni le bouclier doré matérialisé par le Professeur ni le torse solide qui le cloua au sol pour le protéger ne purent entraver l'inexorable marche du destin.

Sur les façades à colombages du Chemin de Traverses, les rayons ambrés et rougeoyants du soleil couchant brillaient de mille feux, et pourtant, très peu de leur lumière lui parvenait.

Une vague de magie intense traversa son corps comme une lame de fond, bouillonna dans son sang et pénétra jusque dans son cœur qui battait à tout rompre.

L'onde de magie était si puissante qu'il lui était impossible d'ouvrir ses paupières ou de bouger d'un cheveux, ses veines pulsaient violemment sous la surface de sa peau et ses muscles étaient tétanisés.

Alors il songea qu'il allait mourir là, avec un homme austère et sarcastique qui le haïssait depuis son premier jour d'école à Poudlard, et il voulut soudain hurler que mourir pouvait attendre, qu'il était trop jeune pour ça, et que ce n'était pas un sablier ridicule qui allait l'emporter dans la tombe, qu'il n'avait pas pu dire adieu à Ron et Hermione, aux Weasley, à Dumbledore et à tous les autres...

Aussi brutale fut la lumière aveuglante, aussi brutales furent les ténèbres aveugles dans lesquelles il perdit connaissance.

Un instant, était la vie.

L'autre, était le néant.