Augusta avait toujours été belle. Du moins, c'est ce que plus d'une personne lui avait répété tout au long de sa vie.
— Tu as la chance d'être belle, pas comme ta cousine Clara, lui avait dit sa mère.
— N'oublie pas, ma chérie. La beauté est une arme puissante pour nous les femmes. Tu l'as, ne la gâche pas ! l'avait avertie sa grand-mère.
Suivant ces conseils, la jeune femme avait toujours apporté un soin particulier à sa mise. Sa tenue devait toujours être parfaite, sa coiffure simple, mais flatteuse. Elle se maquillait peu, comme toutes les dames de bonne famille, mettant simplement un peu de couleur sur ses joues afin d'avoir meilleure mine. Ce matin-là, pourtant, pour une raison qu'elle savait parfaitement, bien qu'elle ne veuille pas se l'avouer à elle-même, Augusta choisit avec grand soin sa tenue. Elle se décida pour une de ses robes d'un joli vieux rose qu'elle affectionnait particulièrement et qui se mariait parfaitement à son teint. Pour la coiffure, elle préféra en garder une plus traditionnelle, de peur de faire lever un sourcil à son époux.
Les mentalités avaient beau avoir évolué, il était toujours un peu mal vu qu'une femme mariée, surtout de Sang-Pur, se montre en cheveux devant un autre homme que son époux. Tristan était plus moderne que beaucoup, mais ce changement risquait de l'amener à se poser des questions.
Comme chaque matin depuis leur mariage, Augusta prépara le petit déjeuner. Ce jour-là, elle avait fait des œufs sur le plat, des toasts, quelques pancakes et fait griller des morceaux de lard.
— Merci Augusta, dit-il sans lever le nez de son journal lorsqu'elle lui servit sa tasse de thé.
Elle se retint de lui faire une grimace du fait de la présence de Iain à la table.
— Merci Mrs Londubat, déclara ce dernier en souriant quand elle remplit sa tasse.
— Je vous en prie, répliqua-t-elle en s'asseyant enfin.
— Je pense que je risque de rentrer tard, ce soir, déclara soudainement Tristan en pliant le journal. Sans doute après vingt heures, ne m'attendez pas pour souper. Tu n'auras qu'à me laisser une assiette.
— Très bien, se contenta de répliquer Augusta avant de boire une gorgée de son thé.
— Vous travaillez sur quoi en ce moment ? demanda Iain, curieux.
— Je ne peux pas parler d'une enquête en cours, répliqua Tristan en même temps qu'Augusta articulait silencieusement la même phrase.
Quelques secondes plus tard, il croisa le regard de son épouse qui lui offrit son plus beau sourire. La jeune femme le vit se trémousser sur sa chaise, visiblement mal à l'aise.
— Le petit-déjeuner vous va, Mr McGowan ? questionna-t-elle soudainement. Comme je vous ai dit hier, si vous avez la moindre envie particulière, n'hésitez surtout pas à m'en faire part.
— Merci Mrs Londubat, dit-il après s'être essuyé la bouche. Votre cuisine me satisfait pleinement, ne vous en faites pas !
Le silence s'installa de nouveau autour de la table quelques instants avant que Tristan ne s'intéresse aux recherches de son ami. Le jeune homme partit dans une explication passionnée et Augusta dut prendre sur elle de ne pas se laisser à l'admirer trop longuement. Sa voix sonnait étrangement douce à son oreille telle une ballade romantique.
— Bon ! Eh bien, il est l'heure d'y aller, déclara Tristan en se levant de table.
La jeune femme le suivit dans l'entrée et l'aida à mettre son manteau avant de lui tendre son attaché-caisse. Elle se devait d'être une épouse parfaite aux yeux de Iain. Il ne fallait pas qu'il se doute des dissensions qui pouvaient exister dans le couple.
— Bonne journée, mon chéri, souffla-t-elle avant de l'embrasser sur la joue.
Tristan la fixa quelques secondes d'un air surpris avant de lui retourner le compliment. Augusta le suivit du regard alors qu'il se dirigeait vers le petit bosquet d'arbres, en lisière de la propriété. Quand il eut transplané, la jeune femme ferma la porte et retourna dans la salle à manger. Elle écarquilla les yeux en voyant que la table avait déjà été en partie débarrassée. De la cuisine lui parvint le bruit de l'eau qui coule. À son grand étonnement, elle trouva Iain en train de faire la vaisselle. Elle le fixa quelques secondes, interloquée. C'était la première fois qu'elle voyait quelqu'un la faire à la main. D'habitude, un petit sort suffisait.
— Oh ! Mr McGowan ! Il ne fallait pas ! lança-t-elle en sortant sa baguette.
D'un sortilège, la jeune femme le débarrassa de la corvée.
— Ah ! Je n'y avais pas songé, plaisanta-t-il en voyant les assiettes commencer à se nettoyer toutes seules.
Augusta fronça les sourcils avant que la réalité ne la frappe de plein fouet. Iain était né-Moldu. Il ne faisait aucun doute que les personnes sans pouvoir magique étaient obligées de tout nettoyer à la main et l'habitude lui était certainement restée de son enfance.
— Merci, Mr McGowan, dit-elle. Je me chargerai du reste.
— Si je peux vous aider en quoi que ce soit, répliqua-t-il.
Il esquissa un petit sourire et lui offrit un signe de tête poli.
— Je serai dans la lande près du Moulin, ajouta-t-il avant de quitter la cuisine.
Comme tous les matins, Augusta finit de nettoyer la table du petit-déjeuner et rangea tout ce qui devait l'être avant de s'installer dans la salle à manger pour broder. C'était une des rares activités qu'elle avait gardées de sa préceptrice. Depuis sa majorité, la jeune femme aurait pu même utiliser des sorts pour faciliter son ouvrage, mais le faire à la main lui permettait de se vider complètement l'esprit. Quand elle avait une aiguille dans la main, rien d'autre ne comptait. Envolés les soucis avec son époux ! Envolées les remarques de sa famille et de celle de Tristan sur sa supposée incapacité à procréer ! Envolé ce sentiment étrange qui l'envahissait lorsqu'elle se trouvait en présence de Iain !
Cela faisait plusieurs semaines qu'elle travaillait sur un dessin de paysage. Elle avait pris une photographie des falaises près de chez Callidora et essayait depuis de reproduire du mieux possible l'image. La jeune femme était en train de travailler sur le rendu de l'herbe quand deux coups frappés à la porte la sortir de sa concentration. Elle posa son matériel en soupirant, certaine qu'il s'agissait d'une visite surprise de sa belle-mère.
— J'arrive ! lança-t-elle d'un ton joyeux qu'elle espérait convaincant.
Derrière la porte, se trouvait, comme elle l'avait deviné, sa belle-mère. Alda Londubat était une femme de presque soixante ans à la mine toujours sérieuse. Il lui arrivait de sourire mais cela ne durait jamais longtemps. Lorsqu'elle remarquait que ses lèvres s'étaient étirées trop largement contre sa volonté, le visage d'Alda prenait une expression de niffleur pris la main dans le sac, et elle retrouvait toujours son expression sérieuse. Ce manège était d'ailleurs encore pire lorsque son époux, Philemon, se trouvait dans la même pièce.
Il n'avait pas fallu longtemps à Augusta pour se rendre compte qu'elle n'apprécierait jamais son beau-père. Sous ses airs bonhommes et aimables en public, se cachait un être mauvais qui ne manquait pas la moindre occasion pour humilier et rabaisser ses proches. Alda était souvent sa victime. Elle subissait en silence les coups et les reproches. Harfang et Philemon avaient de très mauvais rapports. Un soir alors que Tristan était plus bavard qu'à son habitude, ce dernier lui avait confié que le père et le fils ne s'étaient pas parlés de longs mois suite au mariage de Harfang et Callidora.
Quand le couple avait finalement été convié à un repas, ils avaient accepté de venir, magnanimes. Callidora avait subi en silence les remarques à peine voilées sur son physique peu gracieux. Alors qu'ils partaient, Tristan avait entendu sa belle-sœur supplier son époux de ne pas se battre avec son père. Finalement, les deux hommes avaient disparu dans le bureau de Philemon et ce dernier, bien qu'il ne se soit pas excusé, n'avait plus commenté le manque de beauté de Callidora. Malheureusement, la paix n'avait pas régné longtemps.
Un an à peine plus tard, Callidora avait fait une fausse couche à près de trois mois de grossesse. Philemon n'avait pas manqué de lui dire qu'elle manquait à tous ses devoirs d'épouse en étant incapable de donner un héritier aux Londubat. La pauvre avait éclaté en sanglot et, avant que quelqu'un ait pu le retenir, Harfang s'était jeté sur son père et lui avait asséné un violent coup de poing. Il avait fallu plusieurs minutes avant que les convives présents, uniquement la famille proche, puissent les séparer. Harfang et Callidora n'avaient plus assisté à un seul repas de famille pendant près de deux ans suite à cela. Ils ne venaient même plus à celui de Noël, préférant le passer tous les deux. Tristan ne savait pas très bien comment, ni pourquoi, mais le couple accepta l'invitation du réveillon de mille neuf cent trente-sept. Cela faisait treize ans et la paix familiale était toujours des plus précaires.
— Mrs Londubat ! Entrez ! Je vous en prie, dit-elle poliment en s'effaçant pour la laisser entrer.
La jeune femme la vit jeter un regard critique autour d'elle, comme si elle cherchait le moindre prétexte pour critiquer la tenue de sa maison. Son regard se posa quelques secondes, plus que nécessaire, sur le matériel de broderie qui reposait sur la table de la salle à manger.
— Souhaitez-vous que nous prenions le thé dehors ? proposa Augusta avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit.
— Avec plaisir, répliqua-t-elle en se dirigeant vers la porte menant à l'arrière.
— Installez-vous ! Je prépare tout ça.
Sans attendre, la jeune femme se dirigea vers la cuisine afin de sortir la bouilloire et mit à chauffer de l'eau. D'un coup de baguette, elle réunit le service à thé, le sucre, le lait et les petits gâteaux et alla retrouver sa belle-mère après avoir fini de préparer le thé.
— Le temps est doux, cette année, remarqua Alda.
Son regard fixait le petit muret où des ronces poussaient.
— En effet, répliqua Augusta en lui servant une tasse de thé. Un peu de lait avec cela ?
— Un nuage, s'il vous plaît, et un morceau de sucre aussi.
La jeune femme la servit poliment avant de remplir sa propre tasse. Elle s'installa sur sa chaise et observa sa belle-mère en silence. Cette dernière remuait d'un air concentré le liquide brûlant.
— Comment allez-vous, Augusta ? demanda-t-elle.
— On ne peut mieux, Madame, répliqua-t-elle. Je suis ravie de voir que vous avez retrouvé votre bonne mine.
La dernière fois qu'elles s'étaient vues, lors d'un repas au manoir Londubat qui se trouvait à deux ou trois kilomètres de là, Alda avait un rhume, certainement causé par ses allergies au pollen.
— Un peu de repos et quelques tisanes, tout simplement, répondit-elle en se tapotant la joue. J'ai vu que vous continuiez la broderie. Que va représenter ce sur quoi vous travaillez actuellement ?
— Un paysage que j'ai photographié près de chez Harfang et Callidora.
— Ah ! Ces deux-là ont réussi à se créer un vrai petit cocon. Enfin, ce n'est pas de cela que je souhaitais vous parler ! J'aimerais vous demander un service en fait, pour tout vous dire.
— Un service ? répéta Augusta sur un ton qu'elle espéra aimable.
— Oui ! Voyez-vous ! C'est l'anniversaire de ma sœur. Elle fête ses soixante ans en août et je me demandais si vous auriez l'obligeance de lui faire une de vos jolies broderies.
— Vous souhaitez me passer une commande ? s'enthousiasma-t-elle malgré elle.
— Non, je souhaite vous demander un service. Nous sommes une famille après tout ! Il est important de savoir s'entraider. Bien entendu, je payerai le matériel, ajouta-t-elle comme si elle lui offrait là une grande faveur.
Augusta esquissa un sourire forcé avant de porter sa tasse à ses lèvres. C'était le seul moyen pour elle de contenir son agacement. Sa belle-mère n'était pas une personne mauvaise, mais elle manquait certainement de sens commun quant au travail qu'amènerait ce petit service. À moins qu'elle le sache, mais qu'elle trouve cela acceptable. Ils étaient une famille, après tout !
— Il faudra que vous me précisiez un peu plus ce que vous souhaitez que je représente.
— Je ne suis pas encore certaine. Je sais qu'elle aime beaucoup les hiboux. Vous pourriez en faire un ?
— Avec le fil adéquat, oui.
— Parfait ! Faites les achats à la mercerie de Mrs Foster et mettez cela sur mon compte ! Vous pourrez l'animer ?
— Bien entendu, comme je le fais pour tous les travaux, ne put-elle s'empêcher d'ajouter.
— Parfait, répéta Mrs Londubat en la fixant. Et sinon ! Comment va mon fils ?
— Il se porte bien. Le travail l'occupe beaucoup.
— J'imagine que vous lui faites de bons petits plats pour qu'il reste alerte et plein d'énergie.
— Bien entendu !
— C'est bien… souffla-t-elle, pensive. Dites ! Je sais que… que le sujet n'est pas toujours des plus aisés à aborder, mais je ne peux continuer à me terrer dans le silence alors que je tiens peut-être une solution.
— Une solution ? demanda Augusta sans comprendre.
Qu'est-ce que sa belle-mère allait bien pouvoir lui sortir ?
— Oui, je… Je n'ai pas osé avant car je me disais que, comme Harfang et Callidora, vous finiriez par y arriver, que je savais que cela vous faisait certainement de la peine, mais les années passent et…
La femme ouvrit son sac sur ses genoux et en sortit un sachet d'herbes séchées.
— À boire, infusé dans de l'eau chaude. Pas bouillante, surtout, juste chaude ! Il faut que vous buviez ça dès la fin de votre période d'indisposition et cela pendant quatorze jours.
— Je vous remercie, Mrs Londubat, répliqua Augusta, un sourire crispé étirant ses lèvres.
Elle prit le petit paquet et le posa sur le plateau, à côté de la théière.
— Vous verrez, cela fonctionne, lui assura Alda en lui tapotant doucement la main.
— De quoi est-ce composé ?
— D'herbes en tout genre ! C'est une recette de la sage-femme qui m'a aidée à mettre mes enfants au monde, expliqua-t-elle.
— D'accord. En tout cas, cela est vraiment gentil de votre part, déclara-t-elle poliment.
— Je vous prie. Ce n'est pas grand-chose, répliqua-t-elle avant de porter sa tasse à ses lèvres.
Délicatement, la femme finit sa boisson et reposa le petit récipient en porcelaine. Avec grâce, elle vérifia l'heure sur sa montre à gousset et s'excusa. Il fallait qu'elle rentre superviser la préparation du déjeuner. Augusta la raccompagna à la porte et fut ravie de la voir s'éloigner dans la lande, vers la demeure ancestrale des Londubat.
Sans perdre un instant d'un sortilège précis, la jeune femme fit revenir le service à thé dans la cuisine où il fut lavé. Elle jeta un coup d'œil au petit sachet d'herbes et, sans hésiter, le jeta dans la poubelle. Le problème ne venait pas d'elle après tout.
Ce midi-là, la jeune femme se décida à faire un plat italien qu'elle avait découvert au début de son mariage et qu'elle affectionnait particulièrement. Elle alla récupérer des conserves qu'elle avait faites l'année passée dans la cave ainsi qu'environ quatre cents grammes de viande de bœuf hachée. En passant, elle prit note qu'il ne lui restait presque plus d'aliments frais et qu'elle allait devoir aller au marché sous peu.
Comme la veille, Iain revint peu avant l'heure du déjeuner. Il avait bonne mine et semblait satisfait de sa matinée. Augusta ne put s'empêcher de rougir, bien qu'elle jouât la carte de la modestie, quand il la félicita sur sa cuisine. Après le repas, Iain s'installa à la table sur la terrasse et commença à travailler sur ses plantes. À l'heure du thé, Augusta lui apporta un plateau avec tout le nécessaire.
— Oh ! Laissez-moi débarrasser mes affaires, je vous en prie, dit-il en le faisant précipitamment.
— Oh ! Ne vous en faites pas et prenez votre temps, dit-elle en continuant à faire léviter le plateau.
Finalement, lorsque tous ses papiers et ses plantes furent rangés dans son grand classeur en cuir, il posa ce dernier au pied de sa chaise et le plateau put être posé délicatement sur la table.
— Vous ne prenez pas le thé avec moi ? s'étonna-t-il en ne voyant qu'une tasse.
— Oh ! C'est juste que je ne voudrais pas vous déranger.
— Vous ne me dérangez pas, Mrs Londubat, rétorqua-t-il en souriant. Et puis, vous êtes chez vous alors il serait mal venu de ma part d'exiger que vous restiez dans votre salon.
— Très bien alors ! Accio tasse en porcelaine banche et rose, lança-t-elle en levant sa baguette.
Elle l'attrapa au vol quand cette dernière arriva devant elle et s'installa face à Iain. Poliment, elle le servit avant de verser le liquide dans sa propre tasse. Le jeune homme avait un doux sourire, qu'il arborait la plupart du temps, mais Augusta crut voir une légère pointe de gêne dans son regard.
— Que faisiez-vous avant que je vous dérange ?
— Je répertoriais ce que j'avais ramassé ce matin. D'ailleurs, il faudra que je fasse sécher tout ça dès que possible, après notre petit goûter, certainement, expliqua-t-il. Et comme je vous ai dit, Mrs Londubat, vous ne me dérangez absolument pas. Au contraire, cela me fait plaisir de pouvoir discuter avec un autre humain. Paraît-il que j'ai un peu trop tendance à parler aux plantes, plaisanta-t-il.
Il porta précipitamment sa tasse à ses lèvres, comme s'il en avait trop dit et but une longue gorgée. Augusta détourna prestement le regard en se rendant compte qu'elle fixait sa pomme d'Adam avec trop d'insistance. De nouveau, le silence s'installa entre eux. Voulant sans doute prendre une pose plus détendue, Iain se laissa aller contre le dossier de sa chaise. Son regard parcourut le petit cottage.
— Vous avez une bien belle maison, remarqua-t-il, sincère.
— Elle est charmante, en effet. C'est une des nombreuses dépendances du domaine familial des Londubat, répondit-elle.
— Oui, c'est ce que Tristan m'a dit.
Augusta se sentit mortifiée en voyant qu'encore une fois un silence gênant s'installait entre eux. Iain fixait toujours la maison d'un air pensif, comme s'il cherchait un nouveau sujet de conversation.
— Vous vous connaissez depuis longtemps mon époux et vous, n'est-ce pas ? demanda-t-elle soudainement.
— Depuis notre première année à Poudlard. On s'est rencontré dans le Poudlard Express. J'étais tout seul, un peu effrayé. Je ne savais pas trop où j'allais, vous comprenez.
Il n'eut pas besoin d'insister pour qu'elle comprenne qu'il parlait de son statut du Sang et ce que cela impliquait en termes de nouveautés pour un enfant de onze ans.
— On s'est immédiatement bien entendu lui et moi. Il m'a expliqué les maisons, qu'il voulait aller à Gryffondor comme son père, son frère et sa sœur avant lui. Tous les Londubat sont passés par cette maison ! C'est ce qu'il m'a dit ce jour-là. Enfin, il a été réparti à Gryffondor, moi aussi et on a pu se retrouver là-bas. Vous étiez à Serdaigle, je me trompe ?
— En effet, j'étais à Serdaigle, répondit-elle, ravie malgré elle qu'il s'en rappelle.
— La maison des érudits, souffla-t-il en souriant.
Son regard était si intense qu'Augusta le détourna et sentit le rouge lui monter aux joues.
— Oh, vous savez… C'est juste que nous aimons le savoir.
Il resta silencieux plusieurs secondes et reporta son attention au loin. Derrière le mur de la propriété s'étendaient de magnifiques landes balayées par le vent.
— Vous vivez vraiment dans une belle région, souffla-t-il. Vous plaisez-vous ici ? questionna-t-il soudainement.
— Si, je me plais. Oui, je pense, bafouilla-t-elle. Nous avons notre propre maison, un joli terrain et les Moldus du village d'à côté sont des plus charmants, ajouta-t-elle. Et vous, Monsieur ? Vous plaisiez-vous en Australie ?
— J'y ai passé de bons moments, d'autres plus tristes, mais j'ai toujours été bien entouré. Oui, je crois qu'on peut dire que je m'y suis plu.
— Et le Canada ? Pourquoi avoir choisi ce pays ? Vous allez tout de même passer d'un extrême à un autre en ce qui concerne le climat, remarqua-t-elle.
— Je pense que j'avais besoin de changement, répondit-il.
Augusta se rappela ses paroles d'il y a quelques jours et de l'évocation d'une certaine Carol. Avait-il décidé de quitter l'Australie à cause d'elle ?
— J'avais lu dans un journal que le poste de professeur de Botanique à l'école de Mrs et Mr Barebone se libérait et je me suis dit que c'était l'occasion.
— Je n'ai jamais rencontré Euphrasia Barebone, mais sa mère est venue à Poudlard. Elle rendait visite au professeur Dumbledore. Certains disent que c'est elle qui a réussi à le convaincre d'aller se confronter à Grindelwald.
— Et vous pensez que c'est le cas ?
— Je ne sais pas. Tout ce que je sais c'est qu'il a fini par le faire un peu près un an plus tard. Dans tous les cas, cela ne change rien au fait que Callisto Crabtree est une grande sorcière ! Savez-vous qu'elle est la plus jeune Première Ministre à avoir jamais été nommée au Canada ? Elle a commencé en bas dans le département de la police magique et a monté les échelons un à un. Et tout ça en étant mariée et en élevant quatre enfants ! Vous rendez-vous compte ? Pardon ! C'est juste que…
Elle se tut, les joues rouges.
— Navrée, j'ai toujours tendance à m'emporter quand…
— Quand on parle d'un de vos modèles ?
— Oh ! Un de mes modèles ? Euh… Je ne dirai pas cela comme ça ! Plutôt une inspiration !
— Et une très bonne, alors !
Le silence s'installa de nouveau entre eux. Iain semblait pensif, comme s'il pesait le pour et le contre avant de continuer de parler. Finalement, il dut se dire que le sujet n'était pas approprié, car il préféra dériver la discussion vers la météo. Ce jour-là, comme depuis près d'une semaine et demie, le beau temps était au rendez-vous et la température était très agréable. Après avoir épuisé tout ce qu'ils avaient à dire sur le retour du printemps, Augusta s'excusa et mit fin au goûter. En rentrant, elle jeta un coup d'œil à la pendule accrochée au mur, et écarquilla les yeux en constatant qu'ils avaient parlé pendant près de quarante-cinq minutes. Malgré les moments de gêne, elle devait avouer qu'elle n'avait pas vu le temps passer. Bien que cette constatation lui fit peur, un sentiment d'étrange bonheur s'insinua en elle. Elle esquissa un sourire, rêveuse tout en lançant le sort pour laver la vaisselle. À l'extérieur, Iain avait recommencé à travailler sur ses plantes. Il releva son visage vers la fenêtre de la cuisine à cet instant-là et la jeune femme n'eut pas le temps de se cacher avant qu'il la voie l'observer. L'ancien Gryffondor leva la main pour la saluer et, sans attendre, elle fit de même.
Ce fut à ce moment précis qu'Augusta sut qu'il était trop tard.
Ce soir-là, comme la plupart du temps depuis l'arrivée de Iain une semaine plus tôt, Augusta décida de monter dans la chambre conjugale dès la fin du dîner. Elle s'installa dans son lit et sortit le roman qu'elle avait commencé la veille. Il racontait l'histoire d'une inspectrice de la police magique qui enquêtait sur une série de meurtres dans le Canada sorcier des années mille neuf cent dix et Augusta s'était fait la réflexion plus d'une fois que le personnage, bien qu'elle ne fasse pas partie du peuple Métis, ressemblait beaucoup à Callisto Crabtree.
Elle en était arrivée à l'interrogatoire d'un suspect quand deux coups frappés à la porte annoncèrent l'arrivée de Tristan. La jeune femme leva le nez de sa lecture et suivit son époux du regard alors qu'il se dirigeait vers le paravent afin de se changer. Il sortit quelques instants plus tard, vêtu d'un de ses pyjamas habituels et s'installa dans le lit à côté d'elle.
— Que lis-tu aujourd'hui ? demanda-t-il en jetant un coup d'œil au livre.
— Un roman policier. Les aventures de Georgia Hamilton, dit-elle.
Du coin de l'œil, elle le vit hocher la tête tandis qu'elle gardait le regard fixé sur l'ouvrage, sans le lire.
— Tu as passé une bonne journée ?
— Charmante ! Ta mère est passée, dit-elle.
— Ma mère ? Que voulait-elle ?
— Me demander de broder quelque chose pour ta tante. Ah oui ! Et aussi me donner des herbes pour combattre mon manque de fertilité, ajouta-t-elle après avoir fait mine de réfléchir.
— J'imagine qu'elle voulait seulement bien faire, répliqua-t-il d'une voix peu sûre.
— Mmh… Certainement ! répondit-elle d'un ton blasé. Ton père t'a-t-il apporté une potion de vigueur ? Il paraît qu'elle fonctionne très bien, ajouta-t-elle d'un ton qu'elle espérait indifférent.
À côté d'elle, la jeune femme entendit son époux pousser un soupir.
— Tu sais très bien que notre absence d'enfant me fait autant de peine qu'à toi, finit-il par lâcher.
— Peut-être, mais ce n'est pas ta fertilité qui est remise en cause mais la mienne, remarqua-t-elle.
— Si tu veux tout savoir, mon père m'a déjà pris à part pour me demander si tout allait bien en bas, rétorqua-t-il d'une voix sèche.
Augusta ne put s'empêcher de relever son visage vers son époux tandis qu'elle reposait son livre sur mes genoux.
— Et pourquoi ne pas m'en avoir parlé ?
— Parce que je ne voulais pas qu'on s'apitoie sur mon sort. Nous sommes tous les deux dans une situation difficile.
— En effet, mais tu as tes amants, alors que moi je n'ai que ma cuisine et la broderie, souffla-t-elle d'une voix triste.
— Augusta ! On en a déjà parlé, soupira-t-il. Si tu veux prendre un amant, tu sais bien que je ne m'y opposerais pas, du moment que tu restes discrète et que…
— Et que je ne tombe pas enceinte de lui, n'est-ce pas ?
La jeune femme se mit à genoux sur son lit, faisant tomber par la même occasion son livre par terre. Elle attrapa la main droite de son époux entre les siennes et l'amena contre son ventre.
— Tristan ! Tu sais que je veux un enfant. Nous avons essayé pendant des années et…
— Et tu penses qu'en avoir un avec un autre homme réglerait notre problème ? Je refuse ! lâcha-t-il d'une voix froide. Bonne nuit, Augusta, ajouta-t-il en arrachant sa main des siennes.
Sans un regard pour elle, Tristan éteignit la bougie de son côté du lit et se coucha pour dormir. Bien qu'elle tente de les retenir les larmes commencèrent à couler le long des joues de la jeune femme.
— Bonne nuit, Tristan, dit-elle d'une voix qu'elle espérait dure.
Elle prit une grande inspiration, souffla sur la bougie et lui tourna le dos pour dormir. Augusta sentait son cœur se remplir de haine alors qu'elle repensait à tous les sacrifices qu'elle avait acceptés pour lui. Elle ne lui avait demandé pourtant qu'une chose en échange, une chose qu'il refusait de lui donner. Les yeux fermés, une volonté inébranlable enserrant tout son être, la jeune femme décida de ne plus attendre. Elle obtiendrait ce qu'elle voulait d'une manière ou d'une autre.
