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Armando Dippet.
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Si le bureau de Dumbledore avait incarné le chaos, celui du directeur Dippet était une ode à l'ordre et à la symétrie : chaque objet occupait une place précise et la poussière ne trouvait pas le moindre refuge dans cet espace impeccable.
Les étagères, alignées avec une rigueur militaire, débordaient de parchemins soigneusement classés, de livres parfaitement alignés et de dossiers impeccablement triés.
Et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette perfection oppressait Harry.
Le bureau lui-même était d'un bois sombre et poli, dépourvu du moindre document en désordre. Une lampe de bureau ancienne éclairait le plan de travail de son ampoule jaunâtre.
Au coin de la pièce, à proximité d'une imposante armoire, un fauteuil moelleux accueillait un énorme chat tigré, qui s'était confortablement roulé en boule contre le velours de l'assise.
À travers la fenêtre, Harry pouvait apercevoir le ciel d'un bleu azuréen. Un soupir s'échappa involontairement de ses lèvres.
Dès que Tom avait franchi le seuil du bureau, un petit sorcier ridé, frêle et chauve s'était empressé de se diriger vers lui avec une joie manifeste, presque babillant d'excitation. Armando Dippet, dont la calvitie ne laissait que quelques rares cheveux blancs subsister sur son crâne, n'avait d'yeux que pour lui. Toute son attention était entièrement focalisée sur son ancien élève, ne jetant qu'un regard négligeant à Harry, comme s'il ne représentait qu'une présence accessoire.
Cela ne dérangeait pas Harry, bien évidemment. Il appréciait le calme que l'anonymat lui apportait désormais et la sensation de passer inaperçu lui procurait un certain réconfort, un luxe qu'il n'avait pas eu la chance de connaître pendant une grande partie de sa jeunesse.
Dippet s'exclama dans une effusion presque théâtrale : « Monsieur Riddle ! Quel plaisir ! Mais quel plaisir ! J'attendais votre visite ! Mon meilleur élève, toutes promotions confondues. Un préfet fabuleux ! Et quel talent. Vous n'avez pas changé. Quel bel homme vous êtes devenu ! D'ailleurs j'ai entendu dire qu'il fallait vous appeler Lord Gaunt désormais ? Que le temps passe vite ! Je me rappelle encore que vous aviez reçu un écusson pour services rendus à Poudlard ! »
Tom accueillit les compliments de Dippet avec une aisance naturelle. Sa tête légèrement baissée et son sourire détendu, teinté d'une subtile condescendance, témoignaient du peu d'importance qu'il accordait aux éloges du directeur. Pour dire vulgairement, c'était l'attitude mielleuse typique d'un commercial prêt à vous la mettre bien profond et Harry ressentit un étrange soulagement l'envahir en réalisant que, jusqu'à présent, Tom ne l'avait jamais regardé de cette manière.
Le directeur, un sourire bienveillant aux lèvres, proposa en désignant les sièges face à son bureau : « Puis-je vous offrir une tasse de thé ? »
Tom accepta l'invitation et s'assit avec élégance : « Merci. Nous apprécions votre hospitalité. »
Dippet s'empressa de verser le thé et un léger tintement résonna dans la pièce lorsque Tom porta délicatement sa tasse à ses lèvres. Ce ne fut vraiment qu'à ce moment que le vieil homme remarqua la présence d'Harry. Il interrompit son geste, se tournant vers Tom avec un regard interrogatif : « Monsieur Riddle, j'ai demandé que l'on vous prépare votre ancienne chambre de préfet, près de la salle commune des Serpentards. Dois-je également préparer une autre chambre pour votre… compagnon ? »
Un sourire énigmatique se dessina sur le visage de Tom et il lança un regard moqueur à Harry : « Inutile de s'en préoccuper, directeur. Monsieur Potter dormira dans ma chambre. Peut-être même par terre, s'il le faut. »
Dippet, visiblement soulagé de ne pas avoir à préparer une nouvelle chambre, frotta ses mains avec satisfaction : « Parfait, parfait. J'espère que vous vous sentirez comme chez vous, Monsieur Riddle, et que vous trouverez les informations que vous êtes venu chercher. »
Ignorant le regard noir qu'Harry lançait à Tom, il poursuivit sa conversation en se penchant vers les deux hommes d'un air conspirateur : « Eh bien, Monsieur Riddle, j'ai une autre nouvelle à vous annoncer. Après de nombreuses années à la tête de Poudlard, j'ai décidé de prendre ma retraite à la fin de ces vacances scolaires. »
Tom répondit d'une voix polie : « Félicitations pour cette longue carrière. »
Dippet continua à babiller avec excitation : « Oh, mais ne vous inquiétez pas, nous avons trouvé un remplaçant à la hauteur. Un homme que vous connaissez bien : notre ancien professeur de métamorphose prendra les rênes de l'école à la rentrée. »
Le sourire de Tom se figea et une lueur froide passa dans son regard : « Je vois. Albus donc. » Il n'ajouta rien de plus mais le ton qu'il avait employé valait toutes les insultes du monde. Un silence pesant s'installa dans le bureau, seulement brisé par le tintement des cuillères remuant dans les tasses de thé.
Un frisson parcourut Harry à l'évocation de ce nom. Albus Dumbledore, son mentor, toujours en vie et prêt à prendre la direction de Poudlard. Il aurait aimé le revoir, juste une fois, mais il doutait que Tom partage la même opinion.
Il essaya de se reconcentrer sur la conversation.
« Oui, comme je vous le disais, cette rentrée va apporter quelques changements dans le corps professoral : nous avons recruté de nouveaux enseignants, dont une certaine Minerva McGonagall. Je ne sais pas si vous la connaissez, mais elle semble être une sorcière très prometteuse ! Et il y a aussi… »
Tom ne le laissa pas continuer : « Monsieur Dippet, il y a quelques années, vous avez jugé prématurée ma candidature pour le poste de professeur contre les forces du mal. J'étais trop jeune, à vos yeux. Maintenant que le temps a passé, pourriez-vous à nouveau considérer ma candidature ? »
Le directeur sembla légèrement mal à l'aise et se tortilla sur dans son fauteuil : « Monsieur Riddle, c'est une question délicate. Comme je vous l'ai dit, je ne serais plus responsable de cet établissement à la rentrée. Aussi ai-je laissé carte blanche au professeur Dumbledore concernant le recrutement du personnel. Je suis au regret de vous annoncer qu'il a déjà trouvé un candidat pour le poste : Herbert Hawthorne assumera le rôle de professeur de défense contre les forces du mal dès la rentrée. »
Harry observa attentivement la scène qui se déroulait sous ses yeux ; il devinait que la paisible trêve venait d'être rompue. Les premiers signes de perturbation commencèrent lorsque le chat, d'un mouvement brusque, sauta de son fauteuil et fila sous l'armoire sans demander son reste.
Tom abandonna son sourire de façade, son regard se durcit et sa voix devint basse, presque imperceptible : « Armando. Vous aviez signifié à Albus mon souhait, n'est-ce pas ? »
Dippet sortit un petit mouchoir en soie de sa poche et essuya son front : « Bien sûr, bien sûr, Monsieur Riddle. Je lui ai vanté vos mérites. Mais ce n'est que partie remise, n'est-ce-pas ? »
La tasse dans la main de Tom se fendit subitement. Les yeux de Harry se levèrent instinctivement vers son visage, dont la pâleur avait atteint des niveaux inédits et l'inquiétude le saisit lorsqu'il distingua quelques fines ramifications noires émerger à la base de son cou.
« Vous lui avez dit et il n'en a pas tenu compte. » Un sourire était réapparu sur le visage de Tom. Sa voix était calme. Un frisson parcourut l'échine d'Harry et il déglutit nerveusement. Il ne trompait personne : une fureur sans nom, glaciale, émanait de lui et ses yeux étaient voilés de rouge.
L'air sembla se raréfier dans le bureau et Harry dû en avaler une grande goulée pour ne pas avoir la sensation d'étouffer.
Dippet tenta de calmer les choses : « Je suis certain qu'Albus en a tenu compte. Mais Hawthorne a une excellente réputation et une grande expertise dans le domaine. Enfin, vous savez ce qu'on dit : c'est lui aujourd'hui, ça sera vous demain. »
Harry lança un regard désabusé au directeur. Vraiment ? C'était ainsi qu'il entendait gérer la situation ? Avec quelques paroles vaines et creuses ? Un soupir d'exaspération s'échappa involontairement de ses lèvres. Il se demanda un instant si ce petit homme n'était pas totalement idiot.
À l'extérieur, un oiseau s'écrasa contre la fenêtre.
Un sentiment d'urgence saisit Harry et il tourna son visage vers celui de Tom : « Tom. » Il prononça son nom d'une voix douce tout en posant délicatement sa main sur son poignet, cherchant ainsi à établir un contact physique pour apaiser la fureur qui l'habitait.
Tom se tourna lentement vers Harry. Ce dernier pouvait presque sentir l'aura meurtrière qui s'élevait de lui. Harry lui adressa un sourire apaisant : « Reste avec moi, d'accord ? » La main de Tom se crispa, mais il ne fit aucun geste brusque et, si un éclat froid passa rapidement dans ses yeux, la tension qui régnait dans la pièce sembla légèrement s'amenuiser.
Reposant délicatement sa tasse de thé sur le bureau, Harry esquissa un sourire navré à Dippet : « Excusez-moi, je crois que je ne me sens pas très bien. Le voyage a dû me fatiguer. Pourriez-vous m'indiquer où nous allons loger ? »
Un soulagement salvateur se dessina sur le visage du directeur, qui se leva rapidement, prêt à accompagner les deux hommes vers leur appartement.
Tom, en revanche, ne fit aucun geste pour les rejoindre et Harry dû doucement tirer sa main pour l'amener à lui. Il sembla résister un moment, avant de finalement le suivre sans prononcer un mot.
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