Se battre

St Paul, 21 Décembre 1992

Bobby s'était battu bec et ongles.

Buck avait été transféré en foyer d'accueil d'urgence et il avait eu l'impression que le sol s'était dérobé sous ses pieds lorsque Marcy le lui avait annoncé. Il avait filé tout droit au bureau de placement et avait fini par faire un scandale, qui avec le recul ne pouvait que le desservir. Mais il n'avait pas les idées assez claires pour s'en rendre compte.

Il continuait de faire demande sur demande pour obtenir la garde de Buck.

C'était bientôt noël et Bobby se sentait stupide de s'être emballé. Il avait déjà transformé la chambre de son appartement en chambre d'enfant. Il avait monté le berceau et acheté des jouets et des vêtements qui seraient bientôt trop petits pour Buck. Son sapin était déjà fourni de cadeaux pour son âge.

Il avait cru possible de pouvoir construire une famille.

Mais il fallait se rendre à l'évidence, ce n'était pas pour lui. Il s'était bêtement attaché à un enfant qui ne serait jamais le sien. C'était douloureux d'en prendre conscience parce qu'il aimait vraiment ce gamin et à quelques jours de noël, c'était encore plus difficile d'imaginer le passer sans lui.

– Hey, lâcha Ray en cognant doucement son épaule contre la sienne. T'es bien silencieux, gamin.

– Ouais, désolé, j'ai un peu de mal à me mettre dans l'ambiance cette année.

– Tu penses à lui, hein ? Tu penses à Baby Doe.

– Buck, le corrigea-t-il. Je l'appelle Buck et… ouais. Je suis stupide, hein ?

– Ouais, sourit-il.

– T'avais raison, tu sais.

– J'ai souvent raison, s'amusa-t-il. A quel sujet cette fois ?

– Je n'aurais jamais dû franchir ces putains de portes vitrées.

– Ouais, rit-il. C'est un fait, notre mission s'arrête devant les portes.

– Je sais.

– Mais je te comprends. Tu sais, reprit Ray après quelques minutes de silence. Il y a deux ans, j'étais marié. Elle s'appelait Trisha et elle était la femme de ma vie. Le truc tu vois, c'est qu'elle voulait un bébé, agrandir notre famille.

– Et tu ne voulais pas ?

– Oh si je voulais, mais moi… je ne peux pas en avoir, les médecins ont dit que je tirais à blanc.

– Je suis dé…

– Comme tout le monde, le coupa-t-il. Mais ça m'a anéanti et je n'ai pas été capable de voir au-delà du handicap. Trisha s'est lassé de mon auto-apitoiement et elle est partie. Je sais qu'elle a rencontré quelqu'un et qu'elle est enceinte. Et je sais aussi que si j'avais été moins con, on aurait pu envisager la FIV ou l'adoption mais j'ai seulement… abandonné. C'est le plus grand regret de ma vie.

– Je ne sais pas trop ou tu veux en venir.

– Tu veux ce gamin, alors bats-toi pour lui.

– Je me bats mais il a été placé dans une famille.

– Tu n'écoutes pas, le gronda-t-il. Bats-toi plus fort.

– Je ne suis pas sûr que ça suffise.

– Tu as peut-être raison mais je sais que si tu ne tentes pas tout, tu le regretteras toute ta vie.

Ray déposa sa main sur son épaule pour lui apporter son soutien et le quitta pour rejoindre l'ambulance avec Dana, le laissant méditer sur ses paroles.

Bobby fila aux bureaux de la protection de l'enfance dès la fin de sa garde et dû subir les regards de pitié de Mme Fitzpatrick, la responsable du dossier de placement de Buck.

Il repartit avec la promesse qu'on l'appellerait en cas de problème avec Buck.

Il rentra et s'endormit sur le canapé, exténué et triste. Il se réveilla en sursaut cinq heures plus tard, au son de coups frappés à la porte.

Il se redressa, ignorant ses muscles raidis et alla ouvrir la porte après s'être passé la main sur le visage dans l'espoir de se réveiller un peu.

– Marcy ? s'étonna-t-il en la découvrant sur le seuil de sa porte.

– Bonjour Bobby, lui sourit-elle. Est-ce que je peux entrer ?

– Oh, euh, oui bien sûr.

Il se dégagea pour la laisser passer et referma la porte derrière elle.

Il avait fait connaissance avec la gentille infirmière de Buck ces dernières semaines et il était heureux qu'il ait eu Marcy pour s'occuper de lui quand il était de garde. Grâce à elle, il avait pu s'occuper de lui, le nourrir, le changer et lui donner le bain. Mais jamais il n'avait vu Marcy en dehors de l'hôpital.

Bobby fronça soudain les sourcils.

– Comment avez-vous su où j'habitais ?

– Je suis passée à la caserne, admit-elle. Je voulais savoir comment vous alliez depuis que Buck a été placé. Votre ami Ray m'a dit que je vous trouverais là et m'a conseillé de vous laisser sept heures de sommeil avant de venir frapper à votre porte, et donc me voilà.

– Ouais, soupira-t-il ne sachant pas s'il devait maudire Ray pour se mêler de sa vie ou le remercier de lui avoir envoyé la seule personne qu'il avait vraiment envie de voir.

Marcy avait été témoin de la connexion qui s'était établie entre Buck et lui, elle savait plus que quiconque à quel point il aimait ce gosse.

Il lui présenta le canapé et la vit regarder les paquets soigneusement emballés, disposés sous le sapin.

– Je pensais que ça suffirait, admit-il. Je veux dire notre lien, je croyais que ça suffirait pour qu'ils me le confient.

– Je l'espérais aussi, admit-elle.

– Mais ils ne m'ont pas pris au sérieux.

– Ils l'ont fait, affirma-t-elle. J'ai reçu la visite de la femme qui s'occupe de son dossier. Elle m'a posé des questions. Je pense que vous aviez vos chances.

– Alors quoi ? Qu'est-ce que j'ai raté ?

– Je ne sais pas mais parfois, c'est seulement que le dossier des autres personnes est meilleur.

– Je vais me battre pour lui, de toutes mes forces, lâcha-t-il avec conviction. Je ne m'arrêterai que quand il sera ici, avec moi.

– Je sais, lui sourit-elle. Je fais ce métier depuis trois ans et j'ai vu beaucoup de moments intenses entre des bébés et leurs parents mais je n'ai jamais vu ce qu'il y avait entre Buck et vous, jamais d'une telle force.

Bobby ne put s'empêcher de sourire.

– Quoi ? s'étonna-t-elle.

– Vous ne l'appelez plus Baby Doe, répondit-il. Vous l'appelez Buck.

– C'est parce que vous passez votre temps à l'appeler comme ça.

Bobby lui sourit tendrement.

Marcy était une belle femme et elle le regardait si intensément. Il se pencha doucement vers elle alors qu'elle faisait la même chose. Il sentit ses lèvres frôler les siennes et sursauta lorsqu'on frappa de nouveau à sa porte.

Il se dégagea et alla ouvrir en s'excusant silencieusement de l'interruption.

Il se trouva devant Mme Fitzpatrick et un homme inconnu et fronça les sourcils avant d'être frappé par la peur soudaine que quelque chose soit arrivé à Buck.

– C'est Buck ? souffla-t-il. Est-ce qu'il va bien ?

– Buck ? demanda l'homme.

– Il va bien, M. Nash, répondit Mme Fitzpatrick en faisant un signe à l'homme qui laissa tomber. Il y a eu un changement et votre protégé a été ramené chez nous.

– Ramené ? Mais… quoi ? s'enquit-il alors que Marcy se rapprochait pour lui apporter son soutien.

– Il n'arrive pas à s'adapter à la famille à laquelle il a été confié, lui expliqua-t-elle. Ils nous l'ont rendu.

– Ils l'ont… rendu ? s'étrangla-t-il. Mais qui fait ça ? Ce n'est pas un produit de supermarché que l'on retourne lorsqu'il est défectueux.

– Je comprends votre colère M. Nash, mais cette famille a d'autres enfants et personne n'a pu dormir pendant plusieurs jours à force de ses cris.

Ça ressemblait bien à Buck.

Bobby ferma les yeux pour se calmer lorsqu'il sentit la main de Marcy se glisser dans la sienne. Puis, il vit l'homme fureter un peu partout dans son appartement.

Il avait du mal à comprendre ce qui se passait.

– M. Nash, vous êtes le mieux placer pour obtenir la tutelle de l'enfant, affirma-t-elle encore. Tous les voyants sont au vert, il ne manque que cette visite surprise à domicile et M. O'Hara est là pour vérifier ce dernier point.

– Vous allez me le confier ? demanda-t-il plein d'espoir. Vraiment ?

– Si vous le voulez toujours.

– Plus que tout.

– C'est ce que j'ai cru comprendre quand vous êtes venu me voir ce matin, rit-elle.

– J'ai tout ce qu'il faut, affirma M. O'Hara en revenant vers eux.

– Quand ? demanda Bobby. Quand pourrais-je le récupérer ?

– M. O'Hara va rendre son rapport et s'il est favorable, l'enfant sera avec vous d'ici quelques jours.

– Merci, lâcha-t-il les larmes aux yeux. De tout cœur, merci.

Il les laissa repartir et referma la porte.

Il se tourna vers Marcy et la serra dans ses bras. Il était tellement heureux mais il se sentait aussi complètement dépassé.

– Marcy, souffla-t-il en se dégageant soudain. Je suis désolé.

– De quoi ?

– Je vais avoir Buck, je vais être comme son père et…

– Et je sais exactement dans quoi je mets les pieds, affirma-t-elle avant de coller ses lèvres sur les siennes.

D'abord surpris, Bobby resserra ses bras sur son corps et lui rendit son baiser avec passion.