Alea Jacta Est

Chapitre 13

Joffrey et Sansa étaient en grande discussion quand la porte s'ouvrit. La jeune fille, trop prise par son explication de la réalisation d'un point de nœud, ne l'entendit pas. Elle se doutait que son fiancé n'avait guère d'affection pour la broderie mais le fait qu'il s'y intéressait un peu, pour elle, parce qu'elle aimait cela, lui faisait chaud au cœur. Le roi leva la tête et vit son futur beau-père poser un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence. Quand il en comprit la raison, un éclat de malice traversa son regard et à cet instant, Eddard ne pouvait que constater, une nouvelle fois, combien le souverain des Sept Couronnes était encore jeune. L'homme lâcha la laisse et sa fille sursauta quand elle sentit un museau humide et des poils doux et chauds contre sa main. Elle eut un cri de joie pure quand elle réalisa :

Lady était là !

Lady, sa belle Lady, si gentille, si brave, à la fourrure grise et blanche, aux grands yeux innocents.

-Lady ! Oh ma chérie, ma Lady !

Elle enlaça l'animal, embrassa son front avant de dévisager, tour à tour, son père et le roi.

-C'est une surprise du roi, ma fille. Sourit Lord Stark

-En effet. Reprit Joffrey. C'est un cadeau d'avant mariage. J'ai bien vu combien Lady vous manquait et si la princesse Targaryen peut avoir ses dragons, vous pouvez bien avoir votre louve !

-Mais Lady était bannie ?

Joffrey lui caressa la joue.

-A ma demande, du temps du roi mon père. Mais je suis le roi désormais. J'ai pardonné Lady jadis. Aujourd'hui, je lève son bannissement. D'ailleurs, Lord Stark.

-Votre Grâce ?

-Informez votre cadette que j'ai demandé à ce que des recherches soient faites. Si sa louve, Nymeria je crois, est trouvée, il a été fait ordre de la capturer, sans lui faire de mal, afin qu'elle puisse être réunie à sa maîtresse.

Sansa embrassa la main de son promis.

-Votre Grâce, votre générosité est sans égale !

-Je m'inspire de vous, Sansa. Et ce n'est pas tout.

Le suzerain du Nord laissa alors entrer son épouse et ses enfants.

-Mère !

L'adolescente se précipita dans les bras maternels.

-Sansa ! Oh ma fille, que tu as grandi !

Catelyn l'embrassa avant de laisser son enfant saluer ses frères. Même Bran était venu, étant poussé par Robb. La matriarche s'approcha de Joffrey et fit une profonde révérence. Elle l'avouait, elle appréhendait un peu : comment le fils de Cersei Lannister allait-il l'accueillir après ce qu'elle avait fait à ses oncles ?

-Je suis heureux de vous revoir, Lady Stark. Votre époux vivant ici et m'ayant fidèlement servi, j'ai pu apprendre à le connaître un peu mieux. J'espère pouvoir apprendre à vous connaître également.

Le sourire était peut-être de façade mais au moins, le jeune homme semblait vouloir faire preuve de courtoisie.

-Lord Stark, j'ai écrit à la Garde de Nuit pour solliciter une autorisation. Révéla Joffrey. Le Commandant a eu la bonté de me l'accorder : Jon Snow arrivera sous peu à la capitale.

Éberlué, Eddard ne comprenait pas.

-Il est important, à mes yeux, que ma promise puisse se marier avec l'ensemble de ses adelphes à ses côtés, qu'ils soient légitimes ou non. Sansa me l'a d'ailleurs demandé.

Il en tut les raisons. Mais sa future épouse le lui avait confié : depuis qu'elle avait appris sa bâtardise, elle avait commencé à réfléchir sur son comportement avec son demi-frère. Joffrey était illégitime, personne ne le savait bien entendu, mais pour autant, cela n'avait rien changé pour elle. Elle l'aimait, l'admirait et ce n'était pas de sa faute si sa mère avait fauté. D'ailleurs, elle ne jugeait pas Cersei non plus. Le roi Robert avait été cruel avec elle et elle comprenait, à sa manière, qu'elle ait pu trouver du réconfort ailleurs. Le fait que l'homme fut son frère était autre chose et elle préférait ne pas y penser. Elle avait réalisé combien elle avait pu être injuste voire cruelle avec son demi-frère, lequel n'avait en rien mérité cette méchanceté. Elle avait joint à la demande de Joffrey une lettre à Jon, lui expliquant combien elle regrettait d'avoir été froide à son égard et qu'elle aimerait énormément l'avoir à ses côtés pour son mariage.

-Votre Grâce, savoir toute ma famille réunie est un immense présent. Je vous en remercie.

On frappa à la porte. Un messager venait d'arriver de Darry-le-Château : Lord Lyman avait le regret d'annoncer le décès de Set Pat de la Bleurfurque, l'époux de sa cousine, Lady Amerei Frey, dame de compagnie de la princesse Daenerys.


-Amerei, je suis désolée pour votre perte. Dit Daenerys à sa dame de compagnie

Assise sur un divan, Amerei pleurait. Il n'y avait guère eu d'amour entre eux, cela avait été un mariage arrangé à la va-vite : Set Pat avait accepté de l'épouser, malgré sa réputation, pour la dot. Elle, on avait fixé cette union après l'avoir retrouvée en pleine orgie, dans les écuries des Jumeaux, avec trois hommes en même temps. Cependant, Pat s'était montré courtois, n'avait jamais fait mention de l'événement ou des raisons de leurs noces et le peu de fois qu'ils s'étaient unis, il avait toujours pris en considération son humeur et ses envies.

-Je sais ce que c'est de perdre un mari…

-Pat était un homme bon. Et courageux ! Voyez, Votre Altesse, il est mort en protégeant mon cousin !

C'était Lancel qui s'était vu confier la douloureuse tâche de lui annoncer son veuvage. Comme leur bonne entente était connue de tous, sur la recommandation de Sansa qui pensait que la peine serait moins rude à encaisser si c'était annoncé par un ami, Joffrey avait ordonné au cousin de sa mère de le lui dire.

-Vous n'avez pas à retourner aux Jumeaux. Précisa la Targaryen. Vous êtes ma dame de compagnie et je vous apprécie.

Elle savait aussi les mauvais traitements que la jeune femme subissait de la part de ses parents, notamment de sa mère.

-Je leur écrirai que je ne peux pas me passer de vous. Ils n'oseront pas me refuser.

-Ils chercheront à me remarier, séance tenante, de peur que je ne les déshonore à nouveau.

-Je leur préciserai que je vous trouverai un mari. Mais entre nous, Amerei, vous choisirez qui il vous plaira.

Daenerys aimait sincèrement la demoiselle Frey : elle était douce, gentille, vive, gaie, positive et certes, elle avait une aura de scandale autour d'elle mais paradoxalement, il y avait une innocence en son âme. La khaleesi y réfléchissait depuis un moment. Elle n'était pas certaine de se remarier un jour, n'en éprouvant aucune envie. Drogo lui manquait bien trop et comment imposer sa stérilité à un homme ? C'était dans la nature masculine d'espérer un héritier. Les paroles de Sansa étaient restées dans son esprit : selon Lord Corlys Velaryon, du temps de la Danse des Dragons, l'Histoire ne retenait pas le sang mais le nom. Ce qui importait, c'était de préserver le nom Targaryen, éviter qu'il ne tombe, à défaut de l'oubli, dans l'extinction.

-Pardonnez-moi, Votre Altesse. Vous avez bien plus souffert que moi et c'est encore vous qui me consolez !

-La douleur et la tristesse ne sont pas des compétitions à gagner, Amerei. Vous souffrez et ce n'est pas parce que j'ai perdu « plus » selon vous que votre peine n'est pas légitime. Pleurez tout votre saoul. Si ça peut vous consoler, Lancel m'a confié qu'il prierait pour l'âme de votre époux et va demander au septon s'il est possible de tenir un service en sa mémoire.

-Comme Lancel est gentil ! Et de sa part, c'est sincère. Il croit aux Dieux ? Saviez-vous que sa propre mère prie sept fois par jour ?

Oui, la décision de la jeune femme était prise. Même s'il restait une variable en jeu qui la tracassait, elle était prise, actée, certaine.


-J'espère ne pas vous ennuyer.

Sansa se leva et salua immédiatement Daenerys.

-Vous devez sans doute parler du mariage.

-Vous ne nous dérangez pas, Votre Altesse. Dit Joffrey. Rejoignez-nous, nous discutions simplement de la louve de Lady Sansa.

Lady dormait sagement dans son panier. La Targaryen était heureuse pour la future reine : elle s'imaginait séparée de ses dragons et cela lui paraissait être un Enfer. Sansa était bonne et méritait d'avoir son animal à ses côtés.

-Votre Grâce, j'ai pris ma décision quant à qui sera mon héritier.

L'atmosphère dans la chambre changea du tout au tout.

-Vous avez encore le temps, Daenerys.

Elle lui sourit.

-Je le sais. C'est pour cela que j'aimerais ajouter, si possible, cette mention : dans l'attente d'un héritier né de mes entrailles. Ainsi, on saura que je n'abandonne pas l'idée d'avoir un enfant à moi mais que ma succession est assurée dans le cas où je n'en ai pas.

-Cela est facilement précisable. Qui est donc l'heureux élu qui semble digne d'intégrer votre dynastie.

Le feu qui crépitait sur les mèches des bougies faisait danser ses ombres sur son visage et lui conférait une aura presque magique.

-Joffrey, Sansa. Mon héritière, l'héritière des Targaryen, est Lady Amerei Frey.

A Suivre