Note: Désolée pour le long délai d'attente, et pour la taille réduite de ce chapitre! Ce qui devait arriver arriva: j'ai dévié de mon plan initial, ce qui m'a obligée à quelques petits arrangements. Comme ce ne sera certainement pas la dernière fois, j'implore votre indulgence!
Chapitre 5
— Et voilà.
Camus referma la fenêtre sur laquelle il venait de faire défiler les photos qu'il avait prises de Milo.
Son colocataire était assis à côté de lui sur le canapé du salon, l'ordinateur de Camus posé sur la malle qui tenait lieu de table basse.
Milo resta silencieux, le regard fixé sur l'écran.
Camus sentit sa bouche se dessécher.
Est-ce que Milo détestait ses photos? D'une manière générale? Ou seulement certaines?
Comme Camus l'avait anticipé, Milo avait paru troublé par certains clichés. Ceux que Camus jugeait les meilleurs. Ceux sur lesquels une ombre semblait affleurer juste en dessous de la surface lumineuse qu'il offrait à l'objectif. Comme si un photographe en reportage dans la jungle avait braqué son appareil sur un singe joueur et surpris un grand fauve au repos à travers un interstice du feuillage.
— Elles sont bien, commenta enfin Milo.
Il souriait à nouveau, mais quelque chose sonnait faux. Ses yeux demeuraient éteints.
Camus referma sèchement le couvercle de l'ordinateur.
— Milo. Si tu n'es pas convaincu, dis-le moi. Tu ne me rends pas service en me ménageant.
Milo agita les mains en un geste pacificateur.
— Je ne suis pas en train de te mentir!
Il se leva, ouvrit la verrière et s'appuya au rebord tout en allumant une cigarette. Une rumeur sourde, mélange de moteurs et de voix, envahit l'espace tandis qu'un coup de vent chaud faisait voler les cheveux de Camus.
— Au contraire, reprit Milo après avoir inhalé une longue bouffée de tabac. Je crois que je t'avais sous-estimé.
— Sous-estimé?
Celle-là, Camus ne s'y attendait pas.
— Hm-hm. Tes photos… Elles sont très bien. Plus que bien, même. C'est juste… Je ne suis pas habitué à me voir comme ça, j'imagine.
Il se retourna pour rejeter la fumée vers l'extérieur.
Camus observa un moment le dos de Milo, ses boucles qui se fondaient dans l'indigo de la nuit tombante.
— Comment, comme ça?
Comme si son sourire s'apprêtait à révéler des crocs.
Milo haussa les épaules sans se retourner.
— Sur des photos pro, mais chez moi et dans mes fringues, je veux dire. C'est un mélange un peu surprenant.
L'explication tenait la route, mais il y avait quelque chose dans la voix de Milo… une sorte de légèreté forcée qui ne collait pas avec la manière dont ses muscles paraissaient tendus, loin de la décontraction dont il avait fait preuve pendant que Camus le photographiait.
Camus ouvrit la bouche pour le questionner davantage. La referma.
Non.
S'il insistait, il allait braquer Milo. Au mieux, celui-ci lui en voudrait d'être indiscret. Au pire, il se retirerait du projet, et non seulement Camus devrait chercher une autre idée pour le concours, mais en plus, sa curiosité ne serait jamais satisfaite. De plus, cela risquerait de rompre l'harmonie entre lui et Milo.
Il n'en avait pas du tout envie.
Il appréciait Milo, et leur bonne entente ces derniers temps l'avait beaucoup aidé à se sentir plus à l'aise dans cette colocation si peu naturelle pour lui.
Au lieu de presser le tatoueur, il fallait l'approcher en douceur. Lui laisser une porte de sortie.
Heureusement, il avait prévu le problème.
— Evidemment, je te montrerai ma sélection finale, pour le concours. Tu pourras donner ton avis. Je n'exposerai rien sans ton accord.
Il s'était efforcé de parler de la manière la plus naturelle possible, comme s'il s'agissait d'une procédure parfaitement standard.
Milo n'était probablement pas dupe, décida-t-il.
Et pourtant, ses épaules s'abaissèrent peu à peu. Il tapota sa cigarette contre le bord de la fenêtre pour en faire tomber la cendre sans le moindre égard pour les passants douze étages plus bas, puis se retourna.
— Je ne vois pas pourquoi je ne validerais pas. Tant que tu choisis celles qui me mettent en valeur!
Son sourire était plus assuré, cette fois, plus malicieux. Plus Milo.
Intérieurement, Camus soupira de soulagement. Extérieurement, il leva les yeux au ciel.
— Je ne vois pas quel photographe digne de ce nom réussirait à ne pas te mettre en valeur.
— Camus! Je rêve? C'est un compliment? C'est la première fois que tu me fais un compliment!
Le regard de Milo avait retrouvé toute sa lumière.
— Ce n'est pas un compliment, c'est un fait. Tu es photogénique et tu le sais parfaitement.
— Ah mais, un compliment peut être factuel, tu sais!
Milo jeta son mégot par la fenêtre sans aucune vergogne. Camus grinça des dents.
— Tu pourrais te servir d'un cendrier…
— …Donc, c'était bien un compliment, ne crois pas que tu vas t'en sortir par des astuces sémantiques!
Camus soupira en ramassant son ordinateur portable.
Le retour de la bonne humeur de Milo et la sauvegarde de son projet valaient bien quelques taquineries.
Dans les limites du raisonnable.
L'air était étouffant lorsque Camus et Aphrodite arrivèrent chez Mu le lendemain après-midi. En retard, par la faute d'Aphrodite qui passait encore plus de temps que d'habitude à se préparer depuis quelques jours. Camus soupçonnait qu'il y avait un lien avec la prise de bec au Met que le maquilleur leur avait racontée avec une irritation non déguisée. Il n'avait visiblement pas apprécié qu'un inconnu se permette de mettre en doute la qualité de sa mise en beauté.
Mu accepta gracieusement la bise d'Aphrodite et les excuses de Camus, puis les introduisit dans le salon où se trouvaient déjà réunis les autres membres de l'équipe qui s'était constituée pour mettre sur pied le vernissage de la collection Zodiaque.
Kanon était vautré sur un canapé crème, ses longs cheveux répandus en rivière sur le dossier. Son t-shirt sans manches révélait des biceps ceints de larges bracelets d'encre représentant des fonds marins dominés par une sirène à droite, une pieuvre à gauche.
Face à lui, une jeune femme rousse pianotait sur un ordinateur portable, assise en tailleur sur le tapis. Sans doute la spécialiste de la communication que Milo et Kanon avaient recrutée, se souvint Camus; ils avaient mentionné la petite amie d'un de leurs partenaires d'entraînement qui avait accepté de les aider bénévolement en échange des talents de Milo pour un projet de tatouage.
Debout, appuyé à la fenêtre, se tenait… le double de Kanon.
Camus battit des cils plusieurs fois pour chasser l'aberrante image de sa rétine tout en rendant machinalement les salutations de Kanon et de la rouquine - Marine, se présenta-t-elle.
Aphrodite, par contre, n'était visiblement pas déstabilisé puisqu'après avoir embrassé les deux autres, il s'avança bras ouverts vers l'homme qui n'avait toujours pas bougé de son poste.
— Saga ! Je n'y crois pas, tu as quitté l'Olympe pour rejoindre les pauvres mortels ?
— … Dit celui qui a choisi le nom d'une déesse comme pseudonyme, commenta le reflet de Kanon en rendant son accolade à Aphrodite, ébouriffant ses cheveux au passage.
Mu dut remarquer l'air perplexe de Camus, lui faisant signe de s'approcher à son tour de l'inconnu.
— Saga, voici Camus, dont je t'ai parlé. Camus, Saga est le frère jumeau de Kanon.
Evidemment.
Comment n'y avait-il pas pensé? La chaleur affectait visiblement ses capacités cognitives. Même si le fait qu'il n'ait jamais entendu parler d'un frère jumeau - visiblement, les informations ne circulaient que dans un sens - pouvait jouer comme circonstance atténuante.
— Enchanté, Camus.
Saga serra la main de Camus avec la fermeté qui convenait à son attitude; il dominait la pièce non seulement par sa taille, mais aussi par l'autorité qui exsudait de lui par tous les pores.
Son costume bien trop formel pour l'occasion, sa façon d'attendre que les autres viennent à lui comme s'il avait l'habitude d'accorder des audiences à des subalternes, sa posture - c'était une version plus sérieuse et plus sophistiquée du Kanon que Camus avait découvert lorsqu'il avait pris la tête de leur petite opération.
Sans l'affection dont il venait de faire preuve envers Aphrodite, il aurait paru complètement déplacé dans leur petit groupe.
— Milo t'embrasse aussi, continuait le maquilleur. Il avait un client qu'il ne pouvait pas déplacer, sans ça, il serait venu.
— Je m'en doute. Comment allez-vous, tous les deux?
— Je bénis chaque jour l'invention de la clim. Je ne suis pas génétiquement programmé pour…
— Je propose qu'on commence par les choses sérieuses et qu'on papote après, intervint Kanon, qui s'était relevé.
— Oh, je vois, monsieur est pressé d'exposer son plan, persifla Aphrodite en se laissant tomber à la place que Kanon venait de libérer.
Camus le rejoignit sur le canapé, qui se trouvait heureusement au plus près de la climatisation. Un courant d'air frais vint se poser sur sa nuque, délicieux.
Exposer son plan… ou imposer son rythme.
— Nous t'écoutons, Kanon, confirma Mu en déposant sur la table basse une carafe remplie d'une infusion glacée d'où émanait un délicieux parfum floral et une assiette de cookies.
Kanon s'accouda sur une étagère couverte de bibelots mêlant joyeusement les origines brésiliennes d'Aldébaran et la passion de Mu pour les cultures himalayennes.
— OK. Donc, pour passer immédiatement au point le plus crucial sans faire monter le suspense: comme je suppose que certains d'entre vous s'en doutent au vu de la présence ici de mon cher frère, je propose que le vernissage ait lieu…
Il passa la parole à Saga d'un geste du bras.
—... au Star Hill, enchaîna celui-ci.
Le Star Hill.
Camus était sûr d'avoir déjà entendu ce nom, sans parvenir pour autant à le replacer.
— C'est le bar de Saga, expliqua Aphrodite en se penchant vers Camus dans un chuchotement théâtral. Plus exactement, celui de son hôtel.
Hôtel. Star Hill.
Le souvenir d'un article lu le mois dernier dans un magazine traversa l'esprit de Camus à la vitesse de l'éclair.
— Ton hôtel, lança-t-il en se tournant vers Saga. Le Sanctuary?
La réponse vint de Kanon.
— Saga est celui des deux qui a réussi, annonça-t-il sur un ton sarcastique qui ne masquait pas totalement une certaine dose de fierté.
Saga roula des yeux comme s'il avait l'habitude de cette discussion.
— Ce n'est pas mon hôtel. Je ne suis que le directeur, pas le propriétaire.
Camus comprenait la distinction, mais aussi ce que voulait dire Kanon. Le Sanctuary on Fifth, ainsi surnommé pour son emplacement de rêve sur la Cinquième Avenue, était l'un des joyaux de Manhattan. L'un des derniers établissements de luxe indépendants à faire jeu égal avec les pions des grandes chaînes, Sheraton, Marriott et autres Park Hyatt. D'après l'article que Camus avait lu, il était toujours aux mains de la famille grecque qui l'avait fondé au début du 20e siècle.
Diriger le Sanctuary, son spa, ses trois restaurants dont un étoilé et son bar qui figurait sur la liste des vingt meilleurs rooftops du monde selon Time Out… ça n'avait clairement rien à voir avec gérer un speakeasy dans le Lower East Side, même si celui-ci était génial.
— C'est fantastique, Saga. Merci beaucoup.
Le regard de Saga s'adoucit devant la reconnaissance sincère de Mu.
— On en a déjà parlé, Mu. Organiser plus d'événements susceptibles d'attirer une nouvelle clientèle au Star Hill fait partie de ma stratégie. Ton vernissage sert mes objectifs.
— Et pour nous, lança Marine, l'avantage, c'est que le Star Hill représente une attraction en soi. Opération win-win!
Elle avait l'air de savoir ce qu'elle faisait, songea Camus alors qu'elle leur exposait son plan. Sa stratégie était simple : tout miser sur Internet et sur le Star Hill. Mu n'était pas connu et ne disposait pas d'un gros budget, elle allait donc se servir des réseaux sociaux pour faire connaître son travail et stimuler l'intérêt de clients potentiels. Elle avait sélectionné quelques influenceurs à qui envoyer un pendentif. Ils en feraient la promotion auprès de leurs followers pour un prix d'autant plus raisonnable qu'une invitation à la soirée de lancement constituerait en soi une récompense. Elle était sûre qu'ils ne résisteraient pas à poster des photos d'eux dans le magnifique décor du Star Hill, ce qui augmenterait encore la visibilité de Mu tout en offrant au passage une pub gratuite à Saga.
Parallèlement à cela, certains clients privilégiés du Sanctuary, de même qu'un certain nombre de personnes listées par Mu : professionnels avec lesquels il avait collaboré, journalistes susceptibles de s'intéresser au sujet, amis, et toutes les personnes impliquées dans l'organisation de l'événement.
Naturellement, Marine avait créé un site web pour la vente en ligne et un compte Instagram pour Jamir, la marque de Mu.
— Donc, ce qu'il me faudra, conclut-elle en passant en revue les hommes réunis dans le salon… Ce sont des photos des bijoux, tout d'abord. J'en ai besoin pour le site et pour Instagram, dès que possible. Ensuite, il faudra des photos de la soirée de lancement elle-même, pour continuer à animer les réseaux sociaux. C'est faisable ?
Son regard s'était arrêté sur Camus.
— Pas de problème, répondit celui-ci.
Il ne croulait pas sous les mandats en ce moment et pourrait sans peine dégager du temps.
— Merci, Camus.
Camus répondit au remerciement de Mu d'un petit signe de tête tout en goûtant l'un des cookies. Il était croquant à l'extérieur et moelleux à l'intérieur, un léger goût de sel relevant la saveur chocolatée des pépites. La perfection… Il faudrait qu'il pense à féliciter Aldébaran.
— Concernant la soirée elle-même, Dite a quelques idées de mise en scène, n'est-ce pas? continua Kanon.
— Absolument!
Aphrodite décroisa les jambes et se pencha en avant comme pour mieux convaincre son auditoire.
— C'est un truc dont on a déjà parlé avec Mu et Marine, expliqua-t-il. Le Sanctuary et le Star Hill, véhiculent une image luxueuse mais assez classique. Ils sont principalement fréquentés par des gens friqués ou qui voyagent pour affaires. Ce qui laisse de côté toute une partie du public-cible pour Mu, vu que ses pièces ne coûtent pas le prix d'une Rolex, non plus : les gens comme nous, qui sommes sensibles aux belles choses, susceptibles de porter des bijoux, mais, disons… moins conformistes.
Mu et Marine opinèrent.
— Nous cherchions ce qui pourrait ajouter une touche de folie à l'événement sans dénaturer le Star Hill, compléta Mu.
— Et c'est là que j'ai eu une idée de génie !
Aphrodite piocha un cookie sur l'assiette de céramique, le croqua tranquillement et but une gorgée de son thé glacé, décidé à faire durer le suspense jusqu'au bout.
— Qui est ?
C'était Saga qui avait craqué le premier. Pas étonnant, s'il ressemblait autant à son frère que Camus le supposait. Kanon n'avait pas l'air d'un homme patient. Ou peut-être que le directeur du Sanctuary n'avait tout simplement pas l'habitude qu'on le fasse attendre… Il dardait sur Aphrodite un regard impérieux.
En un mot, sa voix si semblable à celle de Kanon avait pris un accent tranchant. Comme si la surface lisse, toute en courtoisie, de Saga n'était là que pour cacher une volonté dominatrice qui, laissée à nu, aurait pu rebuter. Ce que Kanon dissimulait derrière une apparente nonchalance et un comportement de sale gosse, Saga le cachait sous un vernis de formalisme et de politesse.
Camus se rappela des mots de Kanon quelques minutes plus tôt et de son attitude au début de la réunion. La relation entre les deux frères semblait se composer d'affection et de compétitivité à parts égales, ce qui n'avait rien d'étonnant si son analyse de leurs personnalités était correcte.
Aphrodite ne semblait pas du tout affecté par les sautes d'humeur de Saga. Il but une autre gorgée avant de poursuivre en regardant ostensiblement Mu :
— Qui est de ne pas faire de défilé !
Mu fronça les sourcils.
— Pas de défilé ? Mais c'est toi qui nous as répété des dizaines de fois que présenter les bijoux sur des mannequins serait plus vivant que de les disposer seulement dans des vitrines, que ça permettrait aux invités de se projeter, etc etc…
— Et j'avais raison, naturellement.
Aphrodite leva une main juste à temps pour faire taire Saga, dont la bouche s'était déjà entrouverte sur une apostrophe bien sentie.
— … les mannequins, c'est une idée brillante. Le défilé, non. C'est du déjà-vu, il faut des moyens qu'on a pas pour épater la galerie avec ça… et en plus, le public sera trop loin pour bien admirer les bijoux. Ils ne verront que les mecs et leurs fringues. Totalement contre-productif.
— Et donc, ton trait de génie, c'est ?
Même la voix de Mu trahissait un certain agacement, ce qui devait être rarissime, songea Camus.
— Les mannequins vont faire le service.
— Plaît-il ?
— Ne te vexe pas, Saga, je sais qu'on avait dit que le staff du Star Hill s'en occuperait, et je sais qu'ils sont plus compétents que des mannequins… Mais imaginez : tout le monde va prendre un verre ou un petit four, non ? Et en général, on ne regarde pas trop le mec qui porte le plateau… Mais si c'est un top model savamment dénudé, là, ça attire l'œil !
— Comment ça, dénudé ?
C'était au tour de Marine de fixer le Suédois d'un œil scandalisé.
— Pas à poil, évidemment ! Je parle juste de deux ou trois boutons de chemise ouverts, pour qu'on voie bien le pendentif. Et si on ajoute le maquillage cosmique que je suis en train de mettre au point, je vous garantis que les invités risquent de s'intéresser plus au serveur qu'au champagne, pour une fois. Quant au bijou, ce sera la cerise sur le gâteau ! Personne ne pourra le rater.
L'absence de réactions était sur le point de vaincre la mine triomphale d'Aphrodite quand Camus prit la parole.
— C'est vrai que c'est original… de plus les mannequins, et donc les bijoux, auraient d'autant plus de chance de se retrouver sur les selfies des invités. Je trouve que c'est une bonne idée.
Aphrodite lui lança un regard plein de gratitude tandis que Marine enchaînait.
— Tu as raison, de ce point de vue… Ça pourrait créer cette image sexy et innovante qui manque pour le moment.
Tous se tournèrent vers Mu et Saga, encore dubitatifs. Ce fut Mu qui se décida le premier.
— Vous avez l'expérience de ce genre de choses, et plus important, vous représentez une partie de la clientèle que cette soirée doit séduire… Donc si ce concept vous plaît, je suppose qu'il est bon.
Il se tourna vers Aphrodite.
— Validé. Si Saga est d'accord, bien entendu.
L'assemblée se tourna d'un seul mouvement vers Saga, qui tapotait sa lèvre inférieure du doigt en signe de réflexion. Son visage resta de marbre si longtemps que Camus se demanda s'il ne faisait pas payer à Aphrodite la monnaie de sa pièce, avant qu'un sourire s'y dessine peu à peu.
— Bien sûr que c'est d'accord… vos arguments sont convaincants, et ça dépoussiérera un peu l'ambiance du Star Hill. Je mettrai au courant ma responsable de l'événementiel dès demain, et vous aurez carte blanche pour tout organiser avec elle.
Une tornade turquoise sauta du canapé et traversa la pièce pour se jeter au cou de Saga, manquant renverser au passage verres et carafe.
— T'es le meilleur, tu sais?
Le reste de la journée fut studieuse, mais productive. Quand le petit groupe se sépara, une trentaine de mannequins - spectaculaires, mais pas suffisamment pour éclipser les bijoux - avaient été présélectionnés pour un casting, les dates des shootings fixés, le déroulement de la soirée planifié, et le lancement de la collection Zodiaque commençait à prendre un tour extrêmement concret.
Ça avait été, l'un dans l'autre, une journée fructueuse, songea Camus en se séparant d'Aphrodite qui avait un autre rendez-vous pour rentrer à l'appartement.
Milo poussa un soupir de bien-être lorsque le jet d'eau chaude le frappa entre les omoplates, pile là où des noeuds subsistaient après des heures passées à tatouer.
Il faudrait encore plusieurs séances pour finir le phénix, mais le résultat dépassait ses attentes et Ikki était ravi, ce qui avait comblé Milo. Puis une séance d'entraînement avec Aiolia l'avait conforté dans son optimisme lorsqu'il avait constaté qu'il était définitivement en meilleure forme que son ami. Après une douche pour délasser ses muscles, il serait un homme neuf!
Il offrit son visage au jet, ignorant les bruits des conversations et les claquements de portes de casier qui résonnaient dans le vestiaire du Punching Bull.
Il se sentait définitivement mieux que ce matin, après avoir vu les photos de Camus.
Elles étaient toutes très esthétiques, comme il s'y attendait. Non pas à cause de sa fameuse photogénie - même s'il avait bien sûr exagéré: il était parfaitement conscient de ses atouts à ce niveau - mais parce que comme il l'avait soupçonné, Camus avait le chic pour donner du cachet à n'importe quel sujet. Il avait visiblement essayé différents styles, son habituel noir et blanc mais aussi de la couleur, variant les angles et paramètres, mais toujours avec des résultats impeccables.
Cela n'avait pas empêché Milo de grincer des dents devant certains clichés. Ceux sur lesquels la ressemblance était frappante.
Cela faisait des années qu'il ne l'avait pas perçue aussi violemment. Depuis qu'il s'était laissé pousser les cheveux et qu'il avait couvert sa peau d'encre pour l'atténuer. Il s'était vu sur d'innombrables photos depuis, croisait son reflet dans le miroir chaque matin, sans jamais être assailli par les souvenirs de la sorte.
Mais là… il avait suffi d'un effleurement de lumière qui souligne sa mâchoire, d'une ombre voilant ses yeux, d'un pli au coin de sa bouche, pour que la phrase qu'il avait entendue des dizaines de fois dans son enfance se mette à sonner dans son esprit comme un glas: C'est le sosie de son père, ce petit!
Il avait eu envie de s'enfuir à des kilomètres de là et de ne plus jamais laisser le regard bien trop acéré de Camus se poser sur lui.
Le fait qu'il ait été capable de se limiter à sortir une cigarette pour se calmer prouvait que malgré tout, il n'était pas dénué de self-control. C'était une maigre consolation.
Il massa son crâne en cercle, prenant soin de bien laver ses racines sans trop frotter, puis rinça le shampoing soigneusement et appliqua son après-shampoing sur les longueurs. Cette routine capillaire, imposée par Dite lorsqu'il avait fait sa connaissance - Milo se rappelait encore le cri d'effroi avec lequel le maquilleur lui avait arraché la brosse qu'il s'apprêtait à passer dans ses cheveux secs - avait quelque chose de réconfortant.
Camus avait-il senti sa détresse? Qu'avait-il vu, lui, sur ces photos? Sa promesse de laisser Milo valider le contenu de l'exposition était tombée à pic, en tout cas. Sans elle, Milo n'était pas sûr qu'il aurait eu le courage de continuer. Se reprendre son patrimoine génétique en pleine figure, comme s'il ne lui jouait pas déjà assez de mauvais tours, avait été un sale coup. L'assumer devant autrui, même si personne ne se rendait compte de ce que cela représentait… Ça dépassait ses capacités.
Milo attrapa son peigne et entreprit de défaire les noeuds qui parsemaient sa crinière aussi délicatement que possible.
Oui, la flexibilité de Camus était une aubaine. Il s'en serait voulu de le laisser tomber, et pas seulement parce qu'il avait besoin de ses services en échange. Paradoxalement, ce que Camus avait réussi à saisir à l'insu de Milo prouvait qu'il avait vraiment du talent. Milo avait travaillé avec assez de photographes pour savoir que rares étaient ceux qui avaient la capacité de voir au-delà des apparences…
Camus méritait d'avoir sa chance.
De plus, Milo n'avait perçu aucun jugement de sa part. Pas plus aujourd'hui que pendant le shooting, ou après la désastreuse soirée au Valhalla. Camus ne l'avait pas non plus pressé de questions, comme Dite, engueulé comme Kanon, ou enveloppé de sollicitude comme Mu. Quoi qu'il ait compris, il avait décidé de respecter les secrets de Milo.
Milo pouvait probablement lui faire confiance.
Il rinça l'après-shampoing et laissa l'eau ruisseler sur lui, emportant avec elle ses derniers doutes.
Tout irait bien.
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