Note:

Bonne année à toutexs, un peu en retard!

Et voici un nouveau chapitre! Enfin, nouveau... Il a, en réalité, été écrit il y a environ 2 ans. D'où un côté un peu chaotique et un ton un peu différent des chapitres précédents. Ma manière d'approcher certaines scènes, notamment les plus intimes, a changé depuis... mais j'avoue que je n'ai ni le courage, ni la patience de tout réécrire. J'espère que ça vous plaira quand même!

Chapitre 10

Bouteilles d'eau minérale, check.

Provisions ne nécessitant ni réfrigération ni cuisson, check.

Trousse de secours convenablement remplie de médicaments de base et du matériel nécessaire au traitement de blessures légères, check.

Quasi tous les items de la check-list de « Préparatifs en cas d'ouragan » que Camus avait téléchargée sur le site de l'Etat de New York étaient soigneusement barrés. Ne manquait que la radio à piles. Camus n'avait pas réussi à en dénicher une, malgré ses efforts.

L'orage qui avait surpris Camus et Milo sur la terrasse lors du vernissage s'était avéré ne constituer que des préliminaires. Vingt-quatre heures plus tard, la vraie tempête était sur le point d'éclater.

Comme Camus aurait dû s'en douter, Milo et Aphrodite prenaient la situation à la légère, répétant qu'il s'agissait juste d'une tempête estivale et pas d'un remake du passage de Sandy. Il n'en restait pas moins que les services d'alerte mettaient en garde contre de possibles coupures de courant, d'eau et du réseau de transports. Toute personne normalement constituée aurait dû se préoccuper de ne pas se retrouver dans une telle situation avec des pizzas surgelées et des bières pour tout moyen de subsistance…

Mais apparemment, pas ses colocataires, ainsi que l'avait révélé l'inventaire de leurs réserves que Camus avait initié. Les deux hurluberlus avaient commencé à se disputer pour savoir pourquoi les armoires ne contenaient que des bougies parfumées, si le stock d'eau potable devait aussi servir à arroser les plantes, s'il était prioritaire d'acheter du chocolat ou de l'alcool, et qui avait volé les dernières piles « probablement pour les mettre dans un sextoy ». A ce stade de la conversation, Camus avait dégainé son ton le plus glacial pour décréter qu'il se chargeait de garantir leur approvisionnement en vue de survivre en cas de pannes.

Il fallait bien qu'un habitant de cet appartement se montre un minimum responsable.

Il avait fait de son mieux. Tout un côté de la table basse était déjà couvert de bougies, les boîtes d'allumettes et deux lampes de poche bien en évidence au milieu, prêtes à servir. Tous les appareils électroniques étaient débranchés, ce qui leur éviterait de subir une surcharge en cas de court-circuit.

Pour la dixième fois, il attrapa son téléphone et relut les derniers messages reçus.

Aphrodite : Je reste au théâtre, pas envie de me retrouver coincé en route si le métro tombe en rade. Prenez soin de vous!

La photo attachée le montrait avec plusieurs membres de la troupe qui avaient aussi décidé de passer la nuit sur leur lieu de travail. Perruques, chapeaux, boas, fausses moustaches: ils avaient visiblement sorti du vestiaire tous les accessoires possibles en vue de transformer la soirée en pyjama-party costumée géante. Camus sourit: c'était bien Aphrodite, jouer la prudence et en profiter pour s'amuser comme un petit fou.

Venaient ensuite les réponses de leurs autres amis:

Mu : Tout va bien chez nous. Mille mercis encore pour hier… La collection Zodiaque ne serait rien sans vous.

Kanon: tu vas pas nous remercier encore trente-six fois, hein? on s'entraide entre potes, c'est tout. c'est pas sorcier

Kanon : tout est en ordre ici. l'équipe reste avec moi, au cas où.

Le Golden Triangle étant situé en sous-sol, le risque d'inondation y était accru. Kanon avait passé la journée à sécuriser les lieux avec tout son personnel, comme Milo l'avait fait au Scarlet Needle.

Milo, le seul membre du groupe qui n'avait donné aucune nouvelle à part un emoji festif en réponse au message d'Aphrodite.

Où était-il donc ? Il avait promis de revenir avant que les choses ne se gâtent vraiment, mais ce stade semblait déjà dépassé. Le bruit de la pluie contre la verrière était passé d'un léger grésillement à un martèlement puissant, régulier, parfois entrecoupé de longs sifflements quand le vent accélérait sa course entre les immeubles.

Camus se dirigea vers la fenêtre. Les rideaux formaient une maigre protection face aux éléments. Au moment où Camus les ouvrit, une rafale projeta contre lui un flot d'eau qui faillit le faire reculer.

Il distinguait à peine la rue dans la pénombre si peu naturelle en ce début de soirée. Un couvercle de nuages gris acier emprisonnait New York, privant la ville du moindre rayon de lumière. Même les fenêtres éclairées étaient moins nombreuses que d'habitude : les commerces demeuraient fermés, les bureaux vides, les employés calfeutrés dans leurs logements de banlieue. Quant aux phares, ils brillaient par leur absence, les déplacements étant déconseillés sauf en cas d'urgence. Pas de klaxons, de sirènes, de cris, de rires, de hip-hop déversé par une sono ambulante.

La mégapole se taisait, dans l'expectative. Elle se recroquevillait en attendant que les mâchoires de la tempête se referment sur elle pour la broyer dans leurs crocs de pluie et de vent.

En bas, quelques rares silhouettes se hâtaient vers des abris de dernière minute. Milo était-il parmi elles ?

L'estomac de Camus se tordit alors qu'il vérifiait une fois de plus son téléphone, cette fois pour s'assurer que Milo n'avait pas non plus écrit dans leur conversation privée. Comme les dix fois précédentes, celle-ci s'achevait sur ses propres messages.

Camus : Où en es-tu ? Ça commence à empirer. Ne traîne pas.

Camus : Tu as besoin d'aide ? Qu'est-ce qui se passe ?

Camus : Milo, réponds-moi.

Camus : Ou je viens au Scarlet Needle.

Tous étaient marqués comme non lus.


Milo se mit à courir. Il avait trop tardé.

La température avait baissé et pourtant l'air restait lourd, saturé d'électricité. Ses vêtements détrempés collaient à son corps et il avait l'impression d'avoir une serpillère plaquée sur la tête en lieu et place de cheveux. Il n'entendait plus rien. Ni le son de ses pas sur le bitume, ni celui de ses chaussures dans les flaques, ni celui de sa respiration. Rien que le vrombissement du ciel. Devant lui, le vent formait un mur. Il devait bander tous ses muscles pour avancer à travers les cascades d'eau qui le séparaient de chez lui.

Camus avait raison, évidemment. Ce n'était peut-être pas un ouragan dévastateur, mais on était assez loin du simple orage aussi. Milo avait hâte d'être au sec et en sécurité.

Camus… il devait aller faire les derniers achats dans l'après-midi. Était-il bien rentré ?

Milo serra les poings et accéléra au mépris de la brûlure qui s'intensifiait dans ses poumons. Il n'y avait pas de raison de s'inquiéter. Camus était probablement au chaud chez eux, prêt à soutenir un siège. Son colocataire était beaucoup trop prudent et organisé pour se retrouver dehors alors que la tempête s'abattait sur Manhattan, lui.

Un éclair déchira l'air, son craquement aussitôt supplanté par un grondement de tonnerre. La pluie sembla redoubler tandis qu'une odeur d'ozone envahissait les narines de Milo. Merde. Il fallait qu'il rentre avant que la foudre ne tombe là où il ne fallait pas et grille toute l'alimentation du quartier.

Plus qu'un bloc.

Une masse sombre jaillit soudain d'une rue transversale et Milo s'arrêta, incapable d'identifier l'objet à travers les gouttes qui brouillaient sa vue.

Bordel !

Par réflexe pur, il se jeta hors de la trajectoire du container à poubelles qui se précipitait vers lui à la vitesse d'un train en marche. Le container le manqua et s'écrasa dans un réverbère à trente centimètres de lui avec un bruit métallique. Le pied du lampadaire s'incurva sous le choc.

Bouge.

Milo s'aperçut qu'il s'était remis à courir avant de l'avoir décidé consciemment. Ne plus réfléchir. Juste lutter contre le vent et la pluie, rester aux aguets. Laisser les rênes à l'instinct. Rentrer chez lui. Rejoindre Camus. Rien d'autre ne comptait.

Il ne s'autorisa à ressentir du soulagement que lorsqu'il fit tourner sa clé dans la serrure de l'appartement. Enfin. Il ne restait plus qu'à espérer que Camus soit bien à la maison et…

La porte lui fut presque arrachée des mains au moment où il allait la pousser.

— Camus ?

— Milo !

Camus se tenait sur le seuil, ses cheveux rassemblés sous le capuchon d'un anorak noir. Pendant une seconde, les expressions se succédèrent à une vitesse folle sur son visage : surprise, soulagement, colère, inquiétude… Puis ses traits se figèrent à nouveau dans la mimique vaguement intéressée qu'il arborait généralement pour s'adresser à un proche, avec une nuance de sévérité au coin de la bouche qui n'échappa pas à Milo.

— Où étais-tu ? Tu aurais dû être rentré depuis longtemps !

— Et toi, qu'est-ce que tu fabriquais ? Tu n'allais pas sortir quand même ?

Camus attrapa Milo par le poignet et le tira à l'intérieur avant de refermer la porte derrière eux.

— Ne dévie pas la conversation. J'allais te chercher, imbécile !

La voix de Camus avait claqué comme un coup de fouet, mais un très léger tremblement agitait ses mains. Et cela suffit pour désamorcer complètement la colère que Milo avait sentie enfler en lui à l'idée qu'il soit sur le point de se mettre en danger. Au lieu d'exploser, il baissa la voix pour répondre.

— Je suis désolé. Le barbier à côté du Scarlet Needle avait un problème avec son volet roulant, alors je l'ai aidé à réparer la panne. Quand j'ai réalisé l'heure qu'il était, j'ai voulu te prévenir, mais c'est le moment que mon téléphone a choisi pour tomber en panne de batterie, et…

Il se mordit la lèvre comme un gamin pris en faute en se remémorant les recommandations émises par Camus le matin même: toujours s'assurer d'avoir un portable chargé.

Camus leva les yeux au ciel.

— Tu aurais dû rester là-bas, alors. C'était trop dangereux de revenir maintenant.

Camus avait parlé d'une voix sourde, et Milo se retint de lui faire remarquer que lui-même était sur le point de se jeter dans la tempête.

Pour venir le chercher.

— Je n'allais pas te laisser profiter tout seul de tout le stock de chocolat, quand même.

Camus pinça les lèvres, mais Milo vit distinctement ses épaules s'abaisser. Il avait bien fait d'insister pour le chocolat, finalement.

— Tu as l'air d'un chat qui est passé dans la machine à laver et tu dégoulines sur le parquet. Allez, viens te sécher.

Camus relâcha enfin son emprise sur le poignet de Milo et se mit en devoir d'enlever sa veste tandis que Milo retirait ses baskets. Il était à peu près sûr que s'il les retournait, il en sortirait des grenouilles. Il abandonna aussi ses chaussettes bonnes à tordre dans l'entrée et se dirigeait vers la salle de bains lorsqu'un grondement assourdissant roula entre les murs de l'appartement. Un flash blanc l'aveugla l'espace d'une seconde, l'air parut vibrer comme un diapason, et toutes les ampoules allumées s'éteignirent avec un grésillement de mauvais augure.

— Merde !

Il rejoignit Camus qui s'était déjà précipité vers la verrière, se heurtant au canapé au passage. La lueur orangée qui dansait à l'autre bout de la rue, bien visible malgré les rideaux de pluie, ne trompait pas.

La foudre était vraiment tombée là où il ne fallait pas.

Une chape de ténèbres avait complètement recouvert le quartier. Pas une lumière ne subsistait à plusieurs blocs à la ronde.

— Ne bouge pas, commanda Camus.

Quelques tâtonnements plus tard, un faisceau de lumière tranchait l'obscurité, bientôt suivi d'un deuxième.

— Prends ça et va te sécher.

Camus lui tendit l'une des lampes de poche.

Milo hésita. Il ne voulait pas laisser Camus tout gérer seul. D'un autre côté, ses vêtements lui donnaient l'impression d'être pris dans une gangue de boue, sans parler du fait qu'il ruisselait littéralement. Camus sembla deviner ses scrupules.

— Je n'ai pas besoin d'aide ici. Tout était débranché de toute façon. On ne peut rien faire à part attendre que le courant revienne.

— Dans ce cas…


L'obscurité pressait contre le mince cône de lumière issu de la lampe de poche de Camus comme les parois d'une grotte sur le point de s'ébouler. Camus alluma quelques bougies et les répartit entre la table, les étagères de la bibliothèque et le comptoir de la cuisine. C'était mieux. Une douce clarté tamisée baignait maintenant la pièce, qui ressemblait un peu moins à un piège et un peu plus à un refuge.

— Soirée aux chandelles, hein ?

Milo réapparut vêtu d'un jogging et d'un t-shirt propres, ses cheveux à peine essorés reposant sur une serviette jetée sur ses épaules.

— Espérons surtout que ça ne dure que le temps d'une soirée.

— Mmh. Merci d'avoir tout installé.

— Pas de quoi. Tu as pu faire ce que tu voulais au Scarlet Needle ?

— Ouais. Il n'y a pas grand risque, mais j'ai rangé en hauteur tout ce que j'ai pu, par précaution.

Camus hocha la tête. Milo était aussi minutieux et organisé lorsque le Scarlet Needle était concerné qu'il était désordonné et nonchalant dans sa vie personnelle. Ça aurait dû l'agacer, mais il trouvait cette preuve de la passion que Milo vouait à son métier attachante.

Tous les deux restèrent assis un instant à leurs places habituelles, Milo sur le sofa et Camus sur l'un des fauteuils. Camus n'avait jamais vécu de tempête de cette ampleur à New York. Le tonnerre grondait comme les réacteurs d'un escadron d'avions de chasse semant la mort à coups d'éclairs blancs dont le craquement se répercutait sur les murs des gratte-ciels, et le vent poussait une mélopée continue de bête blessée. Une guerre. Une guerre menée par le ciel et la mer contre l'humanité pour la punir d'avoir voulu s'élever trop haut, songea-t-il. Il frissonna.

— Bon, j'ai faim, avec tout ça. Pas toi ?

Milo s'était levé et fixait sur lui un œil inquisiteur, comme s'il voyait à travers Camus, jusqu'à la boule d'angoisse qui s'était logée dans sa gorge.

— Un peu.

Il se redressa mais Milo lui fit signe de rester assis.

— Ne bouge pas. Je m'en occupe, ok ?

Camus obtempéra. Le stress de l'anticipation et des préparatifs, puis son inquiétude pour Milo l'avaient maintenu en alerte. Maintenant, avec le soulagement dû au retour de son ami et la sensation d'impuissance face à ce qui se déchaînait dehors, l'adrénaline retombait brutalement, laissant derrière elle une fatigue pesante. Il ramena ses genoux devant lui et y appuya son menton, tandis qu'à la périphérie de son champ de vision le ballet de la lampe torche accompagnait Milo qui s'affairait à la cuisine.

Celui-ci ne tarda pas à revenir, portant un plateau dont le chargement fit sursauter Camus.

— Milo ! Tu crois vraiment que c'est le moment de prendre l'apéro ?

— C'est le moment de se détendre un peu, oui.

Milo posa sur la table basse la bouteille de vin, les verres, et un assortiment hétéroclite de snacks. Clairement, le message selon lequel l'alcool n'était pas un compagnon conseillé en cas de catastrophe naturelle n'était absolument pas passé.

— On devrait garder l'esprit clair, au cas où.

Un grincement sinistre résonna au milieu de la cacophonie extérieure comme pour appuyer ces paroles.

— Tout ira bien, Camus. On a tout ce qu'il faut ici et l'immeuble ne va pas s'écrouler. En plus, panne d'électricité égale pas de risque de court-circuit égale pas de danger d'incendie ou d'explosion.

— Sauf si quelque chose endommage une conduite de gaz.

— Ça n'arrivera pas. Crois-moi. J'ai vécu à New York toute ma vie, d'accord ?

Camus soupira. Il n'était toujours pas tranquille, mais il y avait une telle certitude dans le regard de Milo… Et il était si fatigué de cette tension permanente…

— Un verre.

Milo sourit et Camus eut l'impression que la lumière était revenue l'espace d'une seconde.

Milo avait eu raison, songea-t-il un moment plus tard en avalant une dernière rasade. Il avait deviné ce dont Camus avait besoin, alors que lui-même n'en était pas conscient. Ça aurait dû le mettre mal à l'aise… Mais ce n'était pas le cas. Peut-être parce que leur pique-nique improvisé lui paraissait aussi surréaliste qu'agréable, si typique de Milo et du chaos qu'il infiltrait sans en avoir l'air dans sa vie bien rangée.

Le vacarme à l'extérieur n'avait pas faibli, mais l'inquiétude de Camus s'était émoussée, ses griffes l'éraflant au lieu de le déchiqueter. Il avait l'impression d'être dans la cale d'un bateau par gros temps. Des débris indéterminés heurtaient la coque, le mât pliait sous les assauts du vent, chaque planche grinçait et gémissait dans ses efforts pour résister aux éléments – et pourtant il se sentait en sécurité dans un chaleureux cocon doré, comme bercé par les vagues. Il devait admettre que la présence de Milo, sain, sauf et parfaitement détendu, y était pour beaucoup. Il était heureux que son colocataire soit rentré malgré les risques… Même s'il ne lui avouerait jamais, évidemment. Pas question de l'encourager dans sa témérité.

Il laissa ses yeux s'arrêter sur Milo. C'était étrange comme la lumière mouvante et tamisée lui allait bien. Elle adoucissait ses traits et en révélait la perfection au gré de jeux d'ombres qui soulignaient tantôt sa bouche pleine, tantôt des pommettes sculptées, tantôt l'angle de sa mâchoire. Ses cheveux humides paraissaient plus foncés, au point de se confondre avec l'encre aux endroits où ils coulaient sur ses bras. Ses tatouages dansaient lentement au rythme des flammes des bougies, comme un sortilège qui aurait pris vie. C'était hypnotisant.

Si seulement il avait pu fixer cette image…

— Camus ? Tout va bien ?

Camus sentit le rouge lui monter aux joues en réalisant qu'il n'avait pas entendu un mot de ce que son ami lui racontait.

— Oui. Pardon. Je t'écoute.

Milo répondit par un sourire qui voulait clairement dire qu'on ne la lui faisait pas.

— Dis-moi ce que tu as à l'esprit.

N'y avait-il vraiment aucun moyen de mentir à cet homme ?

— Je pensais que je pourrais prendre de superbes photos de toi avec cette lumière, soupira Camus.

Milo resta interdit un moment, puis se pencha en direction de Camus et appuya ses bras sur ses genoux.

— Maintenant ? Comme ça ?

Il fit un geste vague qui englobait autant le jogging que ses cheveux emmêlés, ses pieds nus, les bougies et la bouteille à moitié vide.

— Oui. Exactement comme ça.

Milo soutint son regard un moment, une expression indéchiffrable sur le visage, avant de sourire en coin.

— Eh bien, qu'est-ce que tu attends ? Va chercher ton appareil. De toute façon… c'est pas comme si j'avais des projets pour les prochaines heures, hein.

Un clin d'œil ponctua sa tirade, et Camus se leva, la tête soudain tellement légère qu'il aurait pu s'envoler.

Il lui fallut peu de temps pour se préparer et commencer à mitrailler Milo. Il avait refusé que celui-ci aille se changer pour quelque chose d'un peu plus habillé ou qu'il bouge de sa place sur le canapé. Ce moment, c'était exactement ce qu'il recherchait depuis le début : quelque chose de vrai, d'authentique, sans mise en scène ni scénario. Juste un homme qui venait d'essuyer une tempête, qui mangeait des cookies aux pépites de chocolat au milieu d'un essaim de bougies Ikea, et aspirait toute la lumière de la pièce.

Milo semblait serein. L'appréhension déguisée qui avait caractérisé leur dernière séance, avant qu'il ne se mette à dessiner, paraissait avoir complètement disparu. Peut-être était-il lui aussi trop fatigué pour maintenir une façade… Il continuait donc à paisiblement siroter son vin et fumer une cigarette que Camus avait exceptionnellement autorisée à l'intérieur. Il semblait absorbé par ses pensées, ou peut-être par le bruit de la tempête. Parfois, il regardait Camus, et à chaque fois celui-ci tremblait à l'idée d'avoir brisé le sort qui rendait Milo si… magique, à cet instant.

Magique… Oui, il y avait de la sorcellerie dans la manière dont la lumière se condensait autour de Milo, dont les ombres jouaient avec les volutes sur sa peau comme des créatures fantastiques. Quel dommage que les plus timides restent cachées sous son t-shirt. Il détestait ce tissu qui l'empêchait d'admirer pleinement leur ballet…

— C'est bien, comme ça ?

Milo avait parlé doucement, comme pour ne pas le sortir de sa transe trop brutalement. Camus l'observa. Rien, dans son regard interrogateur, ne trahissait autre chose que l'envie de contribuer au mieux à sa réussite. De fournir la meilleure prestation possible.

Lorsqu'il répondit, sa voix semblait faite de papier de verre.

— J'ai besoin de voir plus de tes tatouages.

Il se mordit la joue. Besoin. Une partie de lui rejetait le mot, voulut se corriger. Une autre gronda, avide.

Milo n'hésita pas une seconde. En deux mouvements, son t-shirt et la serviette qui le recouvrait avaient disparu derrière l'accoudoir du canapé.

— Comme ça ?

Camus acquiesça sans rien dire. Il se remit à tourner autour de Milo sans jamais baisser son objectif.

La lueur tremblotante des bougies le nimbait d'une aura mystique. Camus avait l'impression de se trouver dans un temple reculé face à la statue d'un dieu primitif. Un dieu à la chevelure d'océan sauvage et au corps de sable chaud paré de rubans de nuit. Un dieu tellement masculin et vivant, dont les muscles bien dessinés saillaient et s'étiraient à chaque mouvement.

Le monde s'était réduit à Milo, au halo de lumière dorée autour de lui et au cliquetis du déclencheur. Camus avait conscience de la fureur du vent, de ses attaques brutales contre les fenêtres et les murs, mais elles paraissaient faibles et distantes par rapport au bourdonnement du sang dans ses tempes. Son cœur battait comme un tambour dont les coups puissants et réguliers faisaient vibrer tout son corps. Des ondes de chaleur pulsaient en lui au rythme des images qui s'imprimaient sur sa rétine.

Et soudain, Milo plongea son regard droit dans le sien.


Milo avait vu Camus se métamorphoser à nouveau. Comme si une barrière avait cédé lorsqu'il lui avait demandé de retirer son t-shirt pour mieux voir ses tatouages. Toute la raideur qui paralysait son maintien s'était effacée. Il évoluait dans la pièce avec la souplesse et la légèreté d'un danseur. Le gros appareil dissimulait ses yeux, mais pas sa bouche, et elle seule laissait transparaître plus d'émotions que son visage entier en temps normal. Les lèvres légèrement arrondies, étonnées. Mordues sous l'effet de la concentration. Etirées en un demi-sourire satisfait.

Milo tira une dernière bouffée puis écrasa son mégot dans une soucoupe à côté d'une bougie à demi-consumée. Il s'épatait lui-même, à feindre la nonchalance comme si le regard de Camus ne lui donnait pas l'impression d'être passé aux rayons X.

Et pourtant… ça n'était pas désagréable. Il se rappelait pourquoi il avait eu envie de renouveler l'expérience, après la dernière fois: l'attention de Camus avait quelque chose d'addictif. Simultanément dangereuse et délicieuse. Milo se sentait plus vivant, sous son regard. Comme on doit se sentir vivant quand on saute d'un avion en confiant sa vie à un parachute.

Et puis, il adorait ce que Camus révélait de lui alors qu'il prenait des photos. Ce Camus était fascinant et Milo ne se lassait pas de le regarder. Il aurait voulu le dessiner encore. S'il pouvait aider Camus à déployer une créativité trop longtemps bridée, à exprimer cette passion qu'il ne révélait qu'involontairement, une fois bien à l'abri derrière son objectif…

Il pouvait peut-être faire encore plus pour l'aider à gagner le concours. Camus le voulait brut, dénué d'artifices… eh bien, il y avait moyen d'aller plus loin dans cette voie, non ? Il l'avait déjà fait quand il posait pour payer ses études. Il n'était pas pudique, ça n'avait rien de sorcier.

Non. Tu ne sais pas où ça pourrait mener. C'est Camus.

Camus était un professionnel. Bien sûr, ce qui ne le gênerait pas avec un mannequin inconnu pourrait le mettre mal à l'aise avec son colocataire… Mais si ce n'était pas le cas ?

Ça n'est pas la question !

Il fit taire la voix de la raison et leva la tête vers son ami. Celui-ci appuya sur le déclencheur, une fois, puis resta immobile. Ses joues avaient pris une teinte rosée.

Même si Camus y avait pensé, il n'oserait jamais le suggérer.

Une fois de plus, Milo s'en remit à son instinct.

— Est-ce que tu aimerais en voir plus ?

Sa voix était rauque comme s'il n'avait pas parlé depuis mille ans, mais ça n'avait pas d'importance parce que Camus hochait la tête, à peine.

— Oui.

Une bulle éclata dans le ventre de Milo, libérant une nuée de papillons. Il se leva et retira son jogging, lentement.

Camus baissa son appareil photo pour la première fois depuis qu'il était allé le chercher.

Il darda sur lui des yeux aux pupilles dilatées. Des trous noirs qui l'attiraient, voulaient absorber la moindre parcelle de son corps et de son âme.

Non !

Milo résista à l'impulsion de se cacher ou de se défendre contre l'intrusion. Il posa le bout de ses doigts sur ses hanches et haussa les sourcils. Camus répondit à nouveau d'un mouvement de tête, et le rouge sur ses pommettes s'accentua.

Milo fit glisser son boxer au sol.

Ils restèrent un instant immobiles. Milo essaya de calmer sa respiration tandis que le regard de Camus le parcourait avidement.

— On devrait changer de décor, murmura Camus, si doucement qu'il faillit ne pas l'entendre par-dessus le vrombissement de la pluie contre la verrière.

Ils allèrent dans sa chambre en emmenant les bougies. Milo s'assit sur le lit tandis que Camus reprenait son appareil photo. Il continua à le fixer alors que Camus cherchait le meilleur angle de vue, s'approchait, s'éloignait, inclinait la tête, s'accroupissait, appuyant sur le déclencheur quand il était satisfait.

Milo ne quittait pas Camus des yeux et celui-ci suivait chacun de ses mouvements sans parler. Parfaitement synchrone, comme s'ils obéissaient à une chorégraphie connue d'eux seuls. Une danse harmonieuse et pleine de grâce, en rupture complète avec la bande-son de fin du monde qui ne cessait de rugir.

Milo s'allongea sur le lit, en appui sur les coudes, un genou replié vers lui. Ses doutes s'étaient complètement évaporés. Tous les gestes de Camus étaient sûrs, précis. Et son regard… il le sentait à travers l'objectif. Camus recevait sa nudité comme le cadeau qu'elle était, avec chaleur et admiration. Il s'attardait sur ses moindres détails, la peau un peu sèche de ses coudes, le pli des genoux, la lignée de poils qui conduisait au nid bleuté au creux duquel reposait son sexe, comme si tous étaient également fascinants.

C'était bon d'être regardé ainsi. Comme si un projecteur se braquait sur ses zones d'ombre, pas pour les révéler mais pour les réchauffer. Avec une intensité telle qu'un arc électrique semblait se tendre entre eux, faisant crépiter chaque centimètre carré de sa peau.

Le vent sifflait, la pluie martelait les vitres comme pour les fracasser, et les yeux de Camus répandaient des étincelles sur tout son corps.

Celles-ci dansèrent un moment sur sa peau, puis se rassemblèrent tout à coup dans son entrejambe, et Milo cilla.

Il était nu face à son colocataire, son ami qui le dévorait des yeux. Et ça l'excitait.

Mais ça va pas non ?

Il fut tenté de se mettre sur le ventre pour dissimuler le problème, mais un seul coup d'œil lui révéla que ce serait parfaitement inutile. Vu leurs positions respectives, il ne pouvait pas avoir échappé à Camus et…

Et Camus ne hurlait pas à l'indécence. En fait, il n'avait pas l'air de rester de glace, lui non plus, à en juger par sa bouche entrouverte et son torse qui se soulevait trop rapidement.

Un frisson de plaisir parcourut Milo. C'était toujours agréable de faire de l'effet… même s'il savait que ça ne voulait rien dire. Camus leur avait raconté que ça pouvait arriver pendant des séances un peu déshabillées. Autant au modèle qu'au photographe. C'était mécanique… Les mecs, quoi. Ça retombait au bout d'un moment.

Camus lui confirma d'un sourire qu'il n'y avait pas de quoi paniquer, et Milo se détendit. Il s'installa confortablement et se soumit de bonne grâce à l'appareil photo en essayant d'ignorer son érection.

C'était plus facile à dire qu'à faire. Surtout avec Camus face à lui, apparemment totalement inconscient de la sensualité qu'il dégageait en ce moment. Aucun des petits signes qui trahissaient son excitation n'échappait à Milo : la rougeur qui avait envahi son cou, sa pomme d'Adam qui roulait le long de sa gorge… même sa façon de bouger avait changé : précautionneuse, comme si le moindre geste maladroit pouvait les faire basculer du fil sur lequel ils évoluaient depuis quelques minutes.

Il s'humecta les lèvres et Milo mordit les siennes. Avoir sa langue sur lui, partout où il l'avait regardé…

Il n'avait jamais rien expérimenté d'aussi érotique. Loin de retomber, son sexe s'était dressé à son maximum. Il avait le souffle court comme si la tension entre lui et Camus se nourrissait d'oxygène. Chaque déclic lui faisait l'effet d'une caresse fantôme qui enflammait ses terminaisons nerveuses hypersensibles.

Il revint à sa position originelle avec un grognement. Ça ne suffisait plus. Son corps réclamait un contact plus substantiel pour attiser les flammes qui couraient sur sa peau. Son érection pulsa douloureusement et il y porta la main par réflexe avant de se ressaisir. Bordel, il n'allait tout de même pas…

— Fais-le.

Ce n'était pas un ordre. Plutôt une prière, des mots de verre filé qui le délivraient de toute pudeur, de toute honte. Milo les sentit se nicher au plus profond de lui et y embraser un foyer encore inconnu.

Camus avait baissé son appareil et son expression coupa le souffle de Milo.

Il en avait besoin tout autant que lui et ne cherchait même pas à le dissimuler. Son désir irradiait par vagues, son regard envahi par la nuit proclamait qu'il le voulait tout entier, failles et aspérités et dangers compris.

Et si Camus lui faisait suffisamment confiance pour se dévoiler ainsi… Alors peut-être que lui aussi pouvait faire confiance à Camus. Et se faire confiance à lui-même.

Il obéit.


Camus faillit perdre le peu de contrôle qui lui restait quand Milo commença à se caresser. Sa main gauche erra sur son torse, dessina le contour d'un îlot marron flottant au milieu des arabesques qui décoraient ses pectoraux. Il titilla du doigt un téton érigé, le pinça et le tordit en soupirant plaintivement, comme si malgré ses efforts la stimulation restait insuffisante. Pendant ce temps, sa main droite parcourait son flanc puis sa hanche, avant d'aller se poser à l'intérieur de sa cuisse comme pour attirer l'attention de Camus sur la vague d'encre qui y prenait son élan.

Elle s'abattit sur Camus, le laissant hors d'haleine, les mains tremblantes. Toutes les barrières qu'il avait crues si solides allaient être brisées, submergées par ce raz-de-marée, et il n'avait plus envie de lutter. Pas quand Milo s'abandonnait devant lui en soutenant son regard, s'offrant dans ce qu'il avait de plus intime, déposant à ses pieds sa vulnérabilité sans même demander la sienne en échange.

Milo empoigna enfin son sexe et le fit coulisser dans son poing, lentement d'abord puis à petits coups rapides. Il poussa un râle de satisfaction auquel Camus répondit par un gémissement involontaire, et le bassin de Milo s'arqua en avant. Il s'interrompit et, pour la première fois depuis le début de leur séance improvisée, il lui décocha un de ses sourires joueurs dont il avait le secret.

Puis il replia son deuxième genou et écarta les jambes pour lui permettre de mieux voir.

Camus faillit en laisser tomber son appareil. Ses vêtements le brûlaient. Il ne savait plus si la tempête hurlait à l'extérieur ou à l'intérieur de lui. Tout se confondait dans le rythme des mains de Milo, son cœur qui essayait de lui briser les côtes, sa verge palpitante pressée brutalement contre son jean, la danse ardente et sauvage du désir le long de ses veines, et un rire de pure joie qui montait en lui.

Il s'emplit encore une fois de cette image incroyable, Milo écartelé sur le lit comme une offrande dans la lumière chaude et vacillante, une main autour de son sexe luisant et l'autre agrippée aux draps.

Il prit une dernière photo. Un visage enflammé, une bouche entrouverte sur un halètement. Des yeux voilés mais qui continuaient à s'accrocher aux siens, à créer cette connexion presque palpable qui réduisait au néant le reste du monde et toutes ses peurs.

Une nouvelle vague se leva dans son ventre, remonta sa colonne vertébrale et l'inonda. Lorsqu'elle se retira, elle emporta sa carapace fissurée, le laissant frissonnant, léger et tellement libre que sans les yeux de Milo, il se serait dissolu dans l'air. Il posa son appareil délicatement sur une étagère.

Plus de lentille, d'écran, d'étoffes. Ses protections étaient devenues des obstacles insupportables. Il avait besoin de Milo pour l'envelopper, son regard sur sa peau, ses bras autour de lui, son odeur, son goût, sa voix. Il avait besoin de se noyer dans l'encre qui recouvrait son corps, de le sentir entre ses reins, de remettre la partie la plus fragile de lui entre ses mains. C'était absolument terrifiant. C'était la meilleure sensation qu'il ait jamais éprouvée.

Milo s'immobilisa quand Camus rangea son appareil photo. Une seconde de panique lui coupa le souffle. Ça ne pouvait pas s'arrêter là, n'est-ce pas ? Puis son cœur se remit à battre dans une cavalcade désordonnée lorsque Camus revint face au lit et commença à se déshabiller.

Oh, putain.

Il recommença à se caresser tandis que Camus se dépouillait de chaque vêtement lentement, délibérément.

La tension dans son aine était insupportable. Il donnait de petits coups de hanches dans sa main pour accroître la friction, et chaque poussée alimentait le brasier dans ses reins. Son ventre se creusait, ses cuisses se contractaient, l'excitation ricochait follement d'un nerf à l'autre, dispersant dans tout son corps prêt à convulser un plaisir à la fois trop intense et insuffisant.

Lorsque Camus se retrouva nu devant lui, il gémit. Une fleur de feu éclot dans son ventre, s'épanouit, étendit des lianes le long de ses os, et il dut mobiliser toute sa volonté pour ne pas lui céder. Il ralentit ses mouvements, expira longuement et elle se rétracta, le laissant tremblant d'anticipation et de frustration. Mais il était trop tôt. Camus avait besoin de lui et à son tour il lui offrit son regard.

Il était d'une beauté irréelle. Sa silhouette fine cachait des muscles déliés, un ventre plat et ferme, son sexe tendu entre des hanches étroites. Sa peau paraissait dorée sous la lueur oblique des chandelles, comme la neige au coucher du soleil. Par endroits, ses veines affleuraient en transparence, un dessin bleuté que Milo croyait voir palpiter. Des ombres fantomatiques semaient des reflets lie-de-vin dans sa chevelure. Milo avait envie d'y passer ses doigts, de sentir cette soie glisser sur son torse, de s'y fondre pour envelopper le corps de Camus de sa douceur.

Comme s'il ressentait lui aussi le besoin irrépressible de toucher et d'être touché, Camus s'approcha.


Ses jambes le portaient à peine. Le désir dans les yeux de son ami était un baume, une promesse, un appel. Chaque fibre de son être voulait y répondre, maintenant.

Il monta à quatre pattes sur le lit et s'avança entre les cuisses puissantes de Milo. Celui-ci s'était immobilisé et ne résista pas lorsque Camus attrapa sa main droite et l'éloigna de son sexe.

Camus retourna le bras de Milo et amena son poignet à sa bouche. Il embrassa le point exact où son tatouage prenait naissance, là où le pouls battait follement sous ses lèvres. Puis il se perdit dans les arabesques hypnotiques, les suivant du doigt, de la langue, comme si elles racontaient une histoire qu'il aurait pu déchiffrer à force d'attentions. Dans son dos, sur son flanc, ses fesses, la main de gauche de Milo semait de petites décharges électriques qui filaient droit à son entrejambe, mais il ne se laissa pas détourner de cette encre qui le fascinait et continua à la laper jusqu'à la clavicule. Puis il remonta jusqu'à la jointure du cou et de l'épaule pour trouver ce qu'il cherchait : un emplacement vierge sur lequel apposer une marque éphémère. Milo gronda sous la morsure, un son grave qui se propagea de la poitrine de Camus à ses orteils. Puis il se redressa, s'assit sur ses talons et referma ses bras autour de Camus.

Il plongea à son tour dans sa gorge qu'il parsema de baisers tandis que ses mains s'enroulaient dans ses cheveux, et Camus se laissa fondre contre lui. Tout son corps se détendit, se ramollit, et quand Milo prit son visage en coupe et l'embrassa, il devint liquide. Il explora la bouche de Milo, se gorgea de sa chaleur et de son humidité, joua avec sa langue jusqu'à ce que l'oxygène lui manque. Puis il laissa Milo boire encore à ses lèvres, savourant son goût, la pression de ses doigts sur son crâne.

Quand elle se relâcha, il se coula à nouveau le long de son cou, puis plus bas, suivant les rivières d'encre jusqu'à une aréole. Il la lécha et mordilla la pointe de chair dure comme un galet. Le souvenir des doigts de Milo qui la pétrissaient se superposa au moment présent et il la suça fébrilement, essayant d'apporter à son ami la sensation qui avait semblé lui échapper.

Un gémissement rauque le récompensa de ses efforts. Milo se cambra, en appui sur ses mains posées derrière lui, lui offrant un meilleur accès à son torse lisse. Camus taquina encore un peu le mamelon qu'il avait en sa possession avant de passer à l'autre, tout aussi sensible. Le plaisir de Milo se réverbérait dans son corps, chaque soupir, chaque battement de paupières une goutte de plus dans l'océan qui commençait à s'étendre au creux de lui.

Milo se redressa en le repoussant doucement, et l'espace d'une seconde ils se firent face sans se toucher.

C'était déjà trop.

D'une main, Milo attrapa la taille de Camus et l'attira contre lui, plaquant leurs érections l'une contre l'autre. De l'autre, il saisit une poignée de sa chevelure pour la faire ruisseler sur ses épaules et sa poitrine, avec un regard d'une telle luxure que Camus en trembla des pieds à la tête. Le sexe de Milo pulsait contre le sien, tellement gonflé qu'il lui faisait mal. Ses cheveux répandaient des filets d'encre écarlate sur la peau de Milo, enlaçaient les motifs noirs, leur apportaient la couleur qui manquait - celle dont Milo savait pourtant si bien orner la peau d'autrui.

Un son à mi-chemin entre le rire et le sanglot lui échappa. Une marée de plaisir s'éleva en lui, trouvant sa source dans son bas-ventre, là où leurs bassins s'étaient mis à onduler pour soulager un peu leur désir douloureux. Mais la friction ne faisait qu'exacerber le besoin qui palpitait entre ses jambes, dans sa poitrine et dans ses reins. Il vit le même manque absolu se refléter dans les yeux de Milo et s'arracha à son étreinte comme on se jette dans un lac gelé.

Ils s'accordèrent le temps de quelques battements de cœur, puis Milo s'éloigna pour attraper dans la table de nuit un tube de lubrifiant et une boîte de préservatifs. Il se retourna vers Camus sans se donner la peine de refermer le tiroir et paraissait prêt à se jeter sur lui lorsqu'une hésitation traversa son regard. Il considéra ce qu'il tenait dans sa main avant de lever un sourcil interrogateur.

— Une préférence ? coassa-t-il.

— Pour toi, répondit Camus d'une voix beaucoup plus suppliante qu'il ne l'aurait voulu.

Milo se mordit la lèvre comme si l'intensité du désir de Camus le brûlait, puis le poussa aux épaules jusqu'à ce qu'il soit allongé sur le dos. Les cuisses de Camus s'écartèrent d'instinct pour le laisser s'approcher, et ses yeux se fermèrent lorsqu'il revit mentalement Milo dans cette même position une éternité plus tôt.

C'était trop, trop de désir et de sensations, un ouragan qui allait l'emporter comme un fétu de paille. Il rouvrit les yeux, trouva les flammes bleues qui le guidaient comme des phares jumeaux dans la tempête, et s'y ancra à nouveau. Milo adressa à Camus un sourire rassurant, comme pour l'assurer que la connexion était bien là et qu'il ne lui en voulait pas de l'avoir abandonné. Puis il passa une main sous ses fesses et introduisit un doigt en lui. Immédiatement, les hanches de Camus basculèrent en une invitation à venir plus loin, et ses jambes se relevèrent pour offrir plus d'espace à Milo.

Sa tête tournait, son bassin tanguait. Un second doigt, puis un troisième avaient rejoint le premier. Ils l'écartaient, le massaient, créaient un vortex de plaisir en son centre tandis que l'autre main de Milo caressait l'intérieur de ses cuisses et griffait l'arrière de ses genoux. Il voulait que ça ne s'arrête jamais. Il avait besoin de tellement plus. Plus la marée montait plus le manque se faisait violent. Le frottement des draps sous lui, les baisers que Milo déposait sur ses chevilles, ses cheveux qui chatouillaient ses pieds : tout était à la fois délicieux et insupportable, des miettes qui attisaient sa faim. Il n'avait jamais ressenti ça : ce désir féroce, impérieux, incontrôlable. Quand Milo retira ses doigts, il grogna à la fois de frustration et de soulagement, provoquant un rire grave qui résonna le long de ses os.

Puis Milo le pénétra.

Camus écarquilla les yeux alors qu'il l'étirait et l'emplissait tout entier, comme s'il pouvait l'absorber plus encore, comme s'il devait fixer à tout jamais sur sa rétine l'image de Milo en lui. Milo qui le regardait avec la même incrédulité, le même émerveillement, la même soif insatiable.

Ils bougèrent au même moment, à peine d'abord, puis Milo entama des va-et-vient prudents. C'était incroyablement bon de le sentir enfin… mais pas assez pour apaiser l'océan furieux qui se déchaînait maintenant en lui. Camus roula brusquement des hanches pour l'attirer plus profond, et Milo cessa de se retenir. Il enchaîna de longues poussées presque brutales qui percutaient le point le plus sensible de Camus, oblitérant tous ses sens à l'exception du toucher. Plus rien n'existait à part Milo, dur et brûlant et puissant au plus profond de lui, tel qu'il le voulait depuis, quoi, des minutes ? Des heures ? Des semaines ? Chaque fois que Milo plongeait en lui, une nouvelle vague de plaisir se levait dans son ventre, inondait son corps jusqu'à la peau de son crâne et refluait en le laissant pantelant, dans l'attente extatique de la suivante.

La première qui le submergea en charriant des émotions étranges et lumineuses comme les poissons des abysses le surprit, et il cria. La seconde faillit l'étouffer. La troisième voulut déchirer sa gorge avec des mots de verre brisé, pointus et effilés comme des lances, et il les repoussa avec un long gémissement. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas ressentir ça, pas maintenant, jamais, pas avec Milo

Tout s'arrêta, et la première chose qu'il vit lorsqu'il reprit conscience du monde extérieur fut le regard de Milo accroché au sien, légèrement inquiet. Milo l'observa quelques secondes puis décrocha ses jambes de ses épaules. Il se pencha, le prit dans ses bras et le redressa contre lui comme s'il ne pesait rien. Instinctivement, Camus enroula ses cuisses autour de sa taille pour préserver le précieux contact.

Milo posa une main protectrice sur sa nuque et appuya son front contre le sien.

— Hey, petit renard… murmura-t-il, si bas que Camus eut l'impression de sentir ses mots sur sa peau plus que de les entendre. Ne va pas te perdre. Reste avec moi, d'accord ?

Camus acquiesça d'un hochement de tête. Il ne faisait pas confiance à sa voix. S'il essayait de parler en ce moment, qui savait quels mots pourraient en profiter pour se faufiler à l'oreille de Milo ?

— Bien. Tout va bien. Ecoute… le vent est tombé.

C'était vrai. Un silence absolu régnait, comme si le ciel devait récupérer après avoir abattu toute sa colère. Une bonne partie des bougies s'était éteinte, les laissant dans la pénombre. Ils restèrent immobiles, sans parler, pendant plusieurs minutes. Et peu à peu, de leurs fronts réunis, de leurs souffles mêlés, de la chaleur de leurs deux corps, de la chair solide toujours enfouie en lui, Camus sentit se recréer la bulle dans laquelle ils s'enfermaient si facilement tous les deux, cette bulle de sécurité et de partage qui n'existait qu'avec Milo.

Il soupira alors que la tension quittait peu à peu son corps. Il savait qu'il n'y avait pas besoin d'explications, que Milo était dans la bulle avec lui. Et comme pour le confirmer, celui-ci déplaça ses mains pour les amener sur ses hanches.

— Comme tu le sens, quand tu le sens, hm ?

Il embrassa sa joue avant de reposer son front contre le sien.

Camus sourit doucement et ondula du bassin. C'était bon. Il réitéra son mouvement plusieurs fois, puis Milo se joignit à lui. Ils se balancèrent ensemble, lentement, et l'océan déchaîné se mua en un lagon tiède au doux ressac. Camus écoutait les grincements du sommier, leurs respirations hachées, les petits cris étouffés de Milo, et se laissait flotter dans un plaisir d'un bleu turquoise à la fois intense et paisible. Quand Milo se déversa en lui avec un long soupir, l'azur l'engloutit enfin et il s'y noya sans crainte, certain d'émerger de l'abîme sain et sauf.


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