Le secret
Le docteur Copeland était thérapeute depuis de longues années.
Elle aidait à soigner des traumatismes différents et avait rarement échoué dans sa tâche. En réalité, elle n'avait perdu qu'un seul patient, tout le long de sa carrière. Un jeune homme victime d'abus toute son enfance par ses propres parents.
Il avait fini par se suicider et elle s'était promis que cela n'arriverait plus jamais.
C'était difficile et elle avait souvent eu des moments de doutes mais elle finissait toujours par se reprendre et donner les bons outils pour remettre la vie de ses patients sur les rails.
Aujourd'hui, elle était inquiète alors qu'elle s'engageait sur le parking de l'hôpital St Matthew. Depuis qu'elle avait reçu un appel de l'une de ses patientes, qu'elle suivait pour une dépression depuis quelques mois, elle ne pouvait s'empêcher de penser que quelque chose de grave s'était produit.
Pourtant, Karen Wilson répondait bien au traitement et aux séances de thérapie.
La jeune femme avait fait une grave dépression après avoir appris qu'elle ne pourrait certainement jamais porter d'enfant et elle la comprenait. C'était douloureux de prendre conscience que sa chance avait été dépassé ou qu'on ne l'avait jamais eu.
C'était une pensée terrible de savoir que cet honneur de porter la vie, qui devrait être inné chez toutes les femmes, était interdit à certaines d'entre elles. Le deuil et l'acceptation étaient un long chemin mais Karen Wilson semblait être sur la bonne voie.
Alors cet appel paniqué de la jeune femme était inquiétant.
Elle sortit de l'ascenseur pour la trouver assise dans la salle d'attente, ne tenant pas en place sur son siège, aux prises avec une terrible agitation.
– Karen ? l'appela-t-elle. Que s'est-il passé ?
– Merci d'être venu docteur, lâcha soulagée à la rejoignant. Je crois… Je crois que mon ami est en pleine dépression et je crois… qu'il vient de se faire agresser.
– Beaucoup de supposition, lui fit-elle remarquer calmement.
– Il refuse de m'en parler. Il dit juste qu'il ne peut plus le faire, qu'il n'y arrive plus. Docteur, je ne l'ai jamais vu dans cet état. Il est habituellement si plein de vie… Il suffit qu'il entre dans une pièce pour tout illuminer sur son passage mais il a trop subit. Avez-vous entendu parler du pompier qui s'est retrouvé prisonnier sous son camion après un attentat à la bombe ?
– Comme tout le monde… attendez, vous voulez dire… ?
– Oui, c'était Buck. Il s'est battu comme un diable pour retrouver sa mobilité et son travail et le jour même de sa certification, il a fait une embolie pulmonaire qui a réduit à zéro tous ses efforts. Ensuite, il était sur la jetée de Santa Monica le jour du tsunami et je n'ose pas imaginer le genre de journée qu'il a passé.
– Doux Jésus.
Ce pauvre garçon allait effectivement avoir besoin d'une thérapie s'il voulait guérir de son SSPT évident.
– Je ne sais pas ce qui a pu lui arriver ensuite mais je suis presque sûre qu'il vit dans sa voiture. Il refusait de l'abandonner sur le parking, comme si elle contenait toute sa vie et je crois… je crois que c'était le cas. Docteur, je vous en supplie, aidez-le. J'ai vraiment peur pour lui.
– D'accord, je… Est-ce qu'il a de la famille ?
– Il refuse qu'on les appelle, il est terrorisé à cette seule idée. Il n'a plus aucun contact d'urgence, comme s'il n'avait plus personne et je ne comprends ce qui se passe. Il semble tellement seul et perdu.
Le docteur Copeland ne comprenait pas non plus ce qui se passait. Elle n'avait certainement pas toutes les cartes en main. Elle allait devoir découvrir cela si ce jeune homme acceptait de la voir et de lui parler.
– Très bien. Vous avez parlé d'une agression ce qui est, je suppose, la raison de sa présence à l'hôpital.
– Non, il… Il s'est coupé la main avec du verre. Il est sous anti-coagulant et il saignait beaucoup. Ensuite cette femme s'est présentée et il avait tellement peur qu'il tremblait en pleurant comme un enfant. Docteur, Buck est un homme assez imposant de plus de six pieds de haut, cette femme… Je ne comprends pas pourquoi elle lui fait tellement peur. Elle a dit qu'elle était sa thérapeute mais elle a déguerpi quand j'ai menacé d'appeler la police. Je ne sais pas ce qu'elle lui a dit mais ça l'a clairement terrorisé.
– Vous avez dit sa thérapeute ? s'étonna-t-elle.
– C'est ce qu'elle a dit mais je n'ai pas aimé sa façon de le toucher. Elle a prétexté que Buck avait besoin de contact et que cette forme de thérapie avait fait ses preuves.
– Certains thérapeutes pensent en effet que les câlins à eux seuls peuvent tout soigner.
– Buck semblait vraiment avoir peur, insista Karen.
– Je ne dis pas que je suis d'accord avec cette méthode, lui sourit-elle. Votre ami sait-il que vous m'avez appelé.
– Non, admit-elle. Il ne voulait même pas venir. Il pleurait tellement que je ne savais plus comment l'aider.
La thérapeute soupira.
S'imposer à un patient qui semblait terrorisé par l'idée même d'être soigné n'était pas l'idéal pour commencer une relation de confiance mais l'état que décrivait Karen Wilson était très inquiétant.
Celle-ci la suppliait du regard.
– D'accord, souffla-t-elle en prenant sa décision. Allons-y.
Le jeune homme était dans un état encore pire que ce qu'elle avait imaginé et s'il avait excepté de lui parler, il s'était clairement opposé à ce que son amie quitte la pièce pendant leur entretien. Elle n'avait jamais rencontré ce genre de terreur pure. Karen avait raison, il avait beaucoup enduré mais le traumatisme semblait plus profond.
– Pourquoi ne vouliez-vous pas qu'on vous emmène à l'hôpital ?
– Je…, souffla-t-il les yeux rivés sur ses mains. Pas d'argent… pour payer.
– Votre assurance…
– Plus d'assurance, la coupa-t-il. Je n'ai pas repris le travail alors ils ne me couvrent plus.
– S'ils ne vous couvrent plus, cela veut dire que vous pouvez reprendre le travail alors pourquoi ne pas avoir repris ?
– Je… Je ne peux pas, souffla-t-il la voix tremblante. Je dois… Le cap, il veut que… je vois le psy du département et je… Ce n'est pas possible, je ne peux pas.
Les larmes du jeune homme s'écrasaient silencieusement à ses pieds.
– Pourquoi Buck ? insista-t-elle d'une voix ferme mais douce.
– Elle… Elle me touche, souffla-t-il. Je ne veux plus qu'elle me touche.
– Comment vous touche-t-elle ? Est-ce qu'elle vous prend la main ? Vous serre-t-elle dans ses bras ?
Elle le vit fermer les yeux, tentant inutilement de ravaler ses sanglots.
Il semblait tellement souffrir et elle ignorait s'il parviendrait à dire ce qui l'oppressait autant. Il vit Karen lui serrer la main pour l'encourager et l'assurer de sa présence.
Il s'y accrochait avec fermeté comme à une bouée.
– Sexe, articula-t-il enfin.
– Vous voulez dire des attouchements de nature sexuelle, tenta-t-elle de reformuler alors que Karen semblait avoir perdu toutes ses couleurs.
– Non… Pas seulement, c'est… Elle…
– Elle t'a violé ? souffla karen incapable de se retenir plus longtemps.
– Non, nie-t-il. Je… Je n'ai pas dit non. Je voulais retrouver mon travail, et j'ai eu le droit de revenir après, alors je n'ai pas dit non.
– Mais vous n'avez pas dit oui Buck, lui rappela le docteur Copeland. Et de toute évidence vous avez été traumatisé par cet évènement. Karen a raison de parler de viol ou d'agression sexuelle parce que c'est ce qui vous ai arrivé. Cette femme s'est servie de son statut de thérapeute pour vous forcer à avoir des relations sexuelles avec elle et si je comprends bien, elle vient de vous proposer de recommencer.
– Je ne veux pas, souffla-t-il. Je… J'aurai dû… peut-être… être plus fort… accepter pour retrouver mon travail.
– Non Buck, le corrigea-t-elle avant que Karen ne puisse de nouveau intervenir. Elle n'avait pas le droit de vous toucher et de profiter de vous. Elle était là pour vous aider, vous lui faisiez confiance pour vous aider et elle a trahit cette confiance de la pire des manières. Buck elle doit être dénoncée.
– Non, lâcha-t-il en se levant brusquement avant de chanceler.
Immédiatement, Karen l'aida à se stabiliser.
– Je ne veux plus parler de ça, je ne veux plus.
– D'accord Buck, affirma le docteur Copeland. Vous n'êtes pas obligé de la dénoncer et vous pouvez refuser de porter plainte. Mais ce qui s'est passé entre vous est un crime et je suis obligé de le dénoncer. Aucune autre information sur vous ne sera divulgué, je vous le promets, mais je vais devoir donner votre nom à la police afin qu'ils puissent enquêter sur elle et l'empêcher de recommencer que ce soit avec vous ou avec tout autre patient dont elle pourrait avoir la charge.
Le jeune homme ferma les yeux semblant désormais résigné.
– Faites comme bon vous semble, murmura-t-il. Ça n'a plus vraiment d'importance.
– Buck, souffla Karen.
– Je suis trop fatigué Karen. Beaucoup trop fatigué.
– Buck, laissez-moi vous trouver une place en clinique…, tenta-t-elle.
– C'est gentil docteur mais… je ne pourrai pas payer. Merci, d'avoir essayé.
– Buck…
– Je paierai, affirma Karen.
– Non, rugit-il. Je refuse de…
– C'est mon argent et je pourrais… te mettre comme personne à charge, voir avec mon assurance. De toute façon, tu as aussi besoin de tes anti-coagulants, ils ne seront pas éternels. Et tu vas venir à la maison, j'ai une jolie chambre d'amis…
– Non Karen !
– Buck que ça soit bien clair entre nous, tu ne peux pas rester seul en ce moment parce que tu risques bien trop de te faire du mal. Je le sais, tu le sais et le docteur Copeland le sait aussi. Alors ou tu viens t'installer à la maison le temps de te remettre ou je paie tous les frais pour que le docteur Copeland te fasse interner en clinique spécialisée. Mais je ne te laisserai pas disparaitre dans la nature et mourir seul comme tu le projettes certainement.
