Chapitre 85

L'annonce du danger couru par Anbei Furen avait fait le tour de la Capitale à la vitesse d'un cheval au galop.

Les rugissements de rage de leur Seigneur n'y étaient pas pour rien.

Personne ne l'avait jamais vu aussi furieux.

Quelqu'un s'en prenait à son épouse. Quelqu'un voulait du mal à la personne qui comptait le plus dans sa vie.

Il fit sonner la mobilisation générale.

Quelques troupes allaient rester à la Capitale pour la protéger et garder les habitants sous contrôle mais le reste… Les quatre généraux avaient pris sur eux de rapatrier des troupes des quatre coins du Domaine aussi vite que possible pour qu'ils se joignent à la petite fête.

Lorsque le Seigneur Anbei avait sauté sur le dos de sa monture, c'étaient plusieurs dizaines de milliers de démons prêt à raser la capitale impériale qui avaient eu le temps de revenir via portail de partout.

QingMing savait qu'il n'aurait jamais dû laisser son Boya partir pour l'Est. Ou qu'il aurait dû y aller avec lui.

MiChong avait bien tenté de l'empêcher de prendre la tête des troupes à cause de son état qui commençait à se voir, le renard avait refusé d'écouter. Sa Furen avait besoin de lui.

La famille Shi dans son entièreté avait exigé de venir. Même l'antépénultième quatrième général de QingMing, un vieux monsieur tout couturé de cicatrices qui avait tout vu et plus encore avait exigé de sortir de sa retraite occupée à baby-sitter ses arrières petit-enfants pour venir. Il était peut-être vieux, mais il pouvait être encore utile à son Seigneur comme il l'avait été pendant plusieurs décennies avant de laisser la place à son fils, puis son petit-fils.

Xue TianGou, Kuang HuaShi, la Multitude et MiChong aussi avaient exigés de venir.

Organiser l'armée pour aller reprendre Boya avait pris un temps ridiculeusement court.

QingMing avait été le premier à ouvrir un portail pour la Capitale.

Plusieurs de ses hommes l'avaient passé pour obtenir la référence visuelle, puis étaient retournés à la maison pour aider leur Seigneur à ouvrir autant de portails que nécessaire pour que les presque cent milles démons apparaissent comme par magie devant la Capitale.

Bon, ils n'étaient pas cent milles. Après tout, une bonne part d'entre eux ne savaient pas compter. Mais si on ajoutait tous les pieds, les ailes et les griffes, ça devait bien se rapprocher de ça quand même ! voir le dépasser.

Bref.

Ils étaient impressionnant à marcher tous ensemble sur la Capitale Impériale et c'était tout ce qui comptait.

Lorsque QingMing s'était approché des portes de la ville, ses queues s'agitaient frénétiquement derrière lui. Sa nature réelle était évidente et il était tout aussi évident qu'il était furieux.

Le messager qui avait filé au Palais prévenir l'Empereur n'avait jamais couru aussi vite de sa vie.

L'Empereur était blême lorsqu'il s'était déplacé jusqu'à la porte de la Capitale pour voir l'armée de démons qui se préparaient à l'attaque.

La rumeur avait bien sûr courut avec les derniers humains qui avaient pu se réfugier à l'intérieur avant que les portes se ferment. Quelques poignées de pauvres malheureux tapaient à la porte pour qu'on les laisse se réfugier à l'abri, sans réaliser qu'ils seraient bien plus en sécurité déplacés de quelques centaines de mètres vers la gauche ou la droite.

QingMing et son armée n'avaient rien contre les misérables humains standards. QingMing voulait juste sa Furen et ceux qui lui appartenaient.

Boya avait bien évidemment suivit le mouvement. Il voulait voir le déchainement de son mari pour venir le chercher.

Près de lui, Weilan s'appuyait sur son bras autant qu'il le guidait. Pour la balade, Boya avait fini par relâcher son troisième œil avant que sa tête n'explose.

Le petit sifflement appréciateur de l'assassin lui fit réactiver sa capacité.

"- Par les dieux ! Je crois que le Seigneur Anbei est vraiment ronchon !"

L'Empereur était au bord de la panique. Que pouvait-il faire avec ses quelques milliers d'hommes contre cette marée démoniaque ?

Il avait certes Anbei Furen comme otage mais…

Un démon aux longues ailes blanches s'envola soudain vers eux.

"- NE TIREZ PAS !" Aboya Boya d'une voix de stentor.

L'Empereur comme ses généraux allaient lui dire de s'occuper de son cul mais Boya continua avant eux.

"- C'est l'un des conseillers de mon mari. Voulez-vous vraiment tenter de le tuer et mettre mon renard encore plus en colère ou écouter d'abord ce que veut le Seigneur Anbei ?"

L'amusement dans la voix de Boya crispait tout le monde. Il aurait dû avoir peur pour sa vie. Au moins un peu. Pourtant, il semblait se distraire plus qu'autre chose. Ou tout au moins se serait amusé si des hommes n'étaient pas morts pour lui.

Xue TianGou se posa comme chez lui sur le chemin de ronde des murailles qui ceignaient la capitale.

"- Anbei Furen. Comment allez-vous ?"

"- Pas de bobos. Mais ce n'est pas le cas de mes hommes. Certains sont morts." La désolation sur le visage du jeune homme était évidente. A être aveugle, il avait perdu l'habitude camoufler les réactions de son visage.

Le tengu soupira de soulagement. Pour un peu, il l'aurait attrapé par la taille, jeté sur son épaule et serait partit avec. Si Boya avait été seul, c'était ce qu'il aurait fait. Mais Boya ne semblait pas restreint physiquement. S'il n'avait pas fuit via un portail, c'était qu'il ne se sentait pas en danger.

"- Je suis navré de l'apprendre. Ils seront honorés comme il se doit d'avoir fait leur devoir." Assura gravement Xue TianGou. "Le Seigneur Anbei est fort courroucé par ce qui s'est passé. Quoi qu'il se soit passé d'ailleurs." Le regard d'aigle de l'esprit se posa sur l'Empereur qui se sentit se tasser sur lui-même, puis sur les membres de JingYun qui tentaient de faire bonne figure. Il y avait dans le calme d'apparence du tengu une exigence d'informations.

"- JingYun a décidé d'attaquer mon orphelinat." Soupira Boya.

Le tengu hocha la tête avant de baisser le regard vers l'Empereur. Ses gardes s'étaient bien sur mis entre lui et l'esprit mais les humains se sentaient bien pathétique devant la présence digne et coléreuse.

"- Le Seigneur Anbei parle par ma voix. Il veut son épouse, tous les hommes de celui-ci, le responsable de cette mascarade et une rétribution pour chaque vie perdue, chaque blessure subie, chaque bâtiments abimé. Alors seulement concèdera-t-il à ne pas raser ce pathétique tas de cailloux que vous appelez une ville."

Ca grommela pas mal derrière l'empereur. Leur Capitale ? Un tas de cailloux ? Qui croyait être ce monstre ? L'Empereur n'accepterait jamais de…

"- Les réparations sont déjà en court. Pour le reste" l'homme eut un vague geste de la main vers les survivants de JingYun. Même les derniers alliés du chef de secte n'étaient pas assez stupide pour refuser ce qui était, somme toute, bien peu cher payé pour ce carnage. Même s'ils devaient payer eux même ce qu'exigeait le renard-démon.

Certains grommelaient bien qu'ils auraient dû tuer Boya, massacrer les démons mais à un contre cent, peut-être même un contre mille, et en comptant les shidi de l'année, ce serait signer la fin de leur temple. Déjà, ils auraient de la chance si l'Empereur ne décidait pas de les détruire une fois la crise actuelle résolue.
La seule chance qu'ils eussent dans leur malheur même s'ils n'en avaient pas conscience, était que malgré sa fureur, QingMing était un vieux monsieur. Et un vieux monsieur qui voulait juste retrouver son époux, qui avait mal aux chevilles à cause de sa grossesse et dont la balade à cheval compromettait l'intégrité de la vessie à cause des renardeaux qui semblaient déterminés à utiliser cette dernière comme trempoline.

On poussa rudement le chef de JingYun aux pieds de Xue TianGou qui l'attrapa par le col.

"- Ouvrez vos portes. Il ne vous sera fait aucun mal. Ni à vous ni à personne de votre Capitale." Ordonna encore le tengu. "Vous saluerez le Seigneur Anbei comme il se doit."

L'Empereur était confronté à un rare dilemme. Il pouvait s'en sortir contre une simple humiliation sans plus de morts. S'il refusait pour protéger son égo…

Ses fils étaient presque tous outrés. Son ainé préférait la boucler mais pour une raison qui n'avait rien à voir avec la situation actuelle et tout avec la présence de Boya. Il avait reconnu celui qui avait permis à son épouse d'avoir finalement un fils. Il l'avait même payé pour. Il avait été présent. Ce cousin qui lui ressemblait physiquement vaguement et qui n'avait jamais eu aucune chance pour le trône s'était trouvé un autre empire à diriger. Grand bien lui fasse ! Mais le prince ne voulait prendre aucun risque en se rappelant à son bon souvenir. Ou pire, en ramenant la lumière sur son fils. Même s'il n'était pas de lui, il l'aimait tout comme. Il l'avait trop espéré et attendu pour risquer qu'on le lui prenne ou qu'une parole malheureuse révèle sa véritable origine.

Plusieurs de ses jeunes frères s'irritaient faussement dans l'espoir d'obtenir l'approbation paternelle à ce qui était exigé de l'Empereur contre l'indulgence de la plus grosse menace de son règne jusque-là.

Le prince héritier secoua la tête, écœuré. Quand il monterait sur le trône, il les ferait étrangler. Tous. A part peut-être les deux qui restaient comme lui à l'écart et qui hochaient silencieusement la tête. Pour eux, s'humilier pour sauver la Capitale, peut-être même l'Empire, n'était pas cher payé. Au contraire.

"- Majesté." Murmura soudain le plus jeune, une grande saucisse au visage en lame de couteau que l'héritier connaissait bien. Était-il son frère ou bien le frère de son fils ? La question n'était pas tranchée. "Si je ne m'abuse, Anbei Furen est de sang impérial. Peut-être qu'il serait intéressant de le reconnaitre comme tel. Après tout, l'Empire a tout à gagner de marier une de ses princesses au Seigneur Démon qui règne aux portes des Marches du Nord."

L'Empereur coula un regard en coin à son cadet. Était-il fou de dire ainsi tout haut ce qui aurait… résolu tout ce bourbier avec aisance !

Son ainé était déjà en train d'appeler serviteurs, fonctionnaires et gardes pour organiser la rencontre d'ici une heure.

Le sourire incrédule de Boya était presque une récompense en soit.

"- C'est une blague ?" S'outragea l'ancien chasseur.

Malgré toute cette catastrophe, l'Empire avait la chance d'avoir quelques princes qui n'avaient pas laissé leur cervelle dans la soie ou entre les cuisses de quelque courtisane. Comme son ainé, l'Empereur se demandait s'il n'allait pas faire étrangler quelques-uns de ses fils les plus inutiles. Ils étaient bruyant, dépensiers et… non, ils les enverraient sur un front quelconque à la recherche de leur virilité, de leur honneur et de leur utilité pour le trône. Et si d'aventure ils en défuntaient, au moins leur mort ferait du ménage dans l'arbre généalogique extensif de la famille Impériale.

Pendant que l'Empereur et ses fils préparaient l'avenir, Xue TianGou avait repris l'air avec le chef de JingYun à la grande horreur des membres survivants de la secte. Leur horreur cru en proportion lorsque l'homme fut jeté devant le Seigneur Démon qui changea de forme pour celle d'un énorme renard blanc comme ils n'en avaient jamais vu. La créature n'avait rien à voir avec les renardes rousses qu'ils connaissaient dans la capitale. Elles étaient dangereuses et fourbe, il était puissant et…tout rond. Ca n'empêcha pas le seigneur démon de trancher avec ses dents les tendons de l'ancien chef de secte puis de le confier à un de ses suivants qui cautérisa à vif les blessures pour éviter qu'il ne meure. Il ferait un très bon esclave pour Boya une fois soulagé de sa virilité en prime.

Une créature à mi-chemin entre un félin, un renard et un cheval se fit un plaisir de laper le sang rependu par terre.

Boya roucoula de contentement. Son mari avait pensé à emmener sa feifei !

La population retenait son souffle. La peur était présente bien sûr, mais la fascination aussi.

Ils ne connaissaient des démons que les monstres qui tuaient dans la Capitale et qui mourraient sous les coups des chasseurs de JingYun quand ces derniers daignaient s'occuper des simples humains.

Pour la première fois, ils voyaient de "vrais" démons. Des créatures parfois aussi humanoïdes qu'eux qu'ils n'auraient pu reconnaitre comme non humain même après un contact prolongé, parfois si étranges et bizarres que l'esprit humain ne pouvait appréhender. Mais surtout, ils étaient, si ce n'était dangereux au moins coup d'œil, incroyable dignes.

Il y avait de l'orgueil dans leur maintien et leur tenue. Ils étaient fiers d'être ce qu'ils étaient et fiers de servir leur Seigneur.

Lorsque les portes s'ouvrirent et qu'une partie de l'armée démoniaque entra dans la capitale, la panique n'était retenue que par la fascination.

Le gens n'avait pas d'information. Jamais. Le gens n'était qu'un gens après tout. Pourquoi devrait-il avoir une quelconque information sur un évènement qui pourrait signer la mort de toute la population de la capitale ? Vraiment, le gens ne servait à rien.

En tête de cortège, monté sur son cheval carnivore blanc, QingMing toisait la population avec son habituel calme tranquille. Pour ceux qui ne le connaissaient pas, il semblait parfaitement cordial et urbain.

Pour les autres…
Ses shishen autant que Xue TianGou et Kuang HuaShi surtout marchaient sur des œufs. Il ne faudrait pas grand-chose pour que le Seigneur Démon claque des doigts et n'ordonne la destruction de la ville si quelque chose ne lui allait pas. Boya n'était pas encore à l'abri sous ses queues, son ventre s'arrondissait gentiment au point que sa grossesse se voit quand il était assis (ou qu'on pense à un abus profond de raclette peut-être ?) mais son caractère, autant que sa force s'en ressentait.

Il n'y avait pas que QingMing qui était furieux. Il y avait aussi ses petits.

Maintenant qu'ils étaient détachés de son Node, ils avaient assez d'indépendance et de perception pour savoir que leur père était loin d'eux et en danger. Leur maman allait chercher leur papa. Si QingMing avait besoin, il pourrait profiter de l'énergie de ses petits pour l'épauler. Jusqu'à une certaine limite. Jamais les bébés ne se mettraient en danger. L'autoprotection était un instinct profond.

Autour d'eux, l'armée impériale ne savait pas trop comment réagir. Le démon et ses troupes avaient l'autorisation d'entrer en ville. La délégation était petite mais armée jusqu'aux dents. Les humains savaient parfaitement que les démons étaient plus forts qu'eux. C'était même pour ça que JingYun était toléré depuis si longtemps malgré ses écarts et ses magouilles.

Mais des démons ? ici ? armés ? Acceptés et invités par l'Empereur lui-même ?

Plus d'un soldat avait les doigts qui les démangeaient de tirer leur arc et d'envoyer une flèche en pleine tête du renard démon à neuf queues qui se tenait sans peur à l'avant de la colonne.

Et encore ! il restait tout le reste de l'armée démoniaque qui campait dehors ! Si certains étaient très humanoïdes, d'autres ne ressemblaient vraiment à rien qu'ils ne puissent identifier. Une espèce de masse de… de… lave ? boue ? de bave ? autre chose ? de la taille d'une colline surtout était terrifiante. Qu'est ce qui se passerait si le renard démon décidait que l'Empereur ne le recevait pas assez bien et qu'il décidait de se venger ? Ils ne comprenaient même pas la raison de la présence de ces monstres.

Les soldats pouvaient juste laisser passer vers le Palais Impérial ceux qui étaient des ennemis héréditaires tout en repoussant les péons qui se pressaient pour mieux les voir.

Les fonctionnaires étaient partagés en deux groupes principaux.

Ceux, pragmatiques, qui réfléchissaient déjà à ce qu'ils pourraient gagner de la situation et ceux, bien fol et hystériques sur les bords, qui hurlaient au meurtre et à l'assassinat. De qui, de quoi, ils étaient trop paniqués pour le dire eux-mêmes. De l'Empereur ? De l'armée ennemie ? Du renard démon ? De Anbei Furen ?
Après tout, le désordre permanent qui secouait le palais depuis des mois maintenant était toujours la faute de cet homme. Cet esclave aveugle que JingYun voulait récupérer. S'ils le tuaient ? Est-ce que ça règlerait le problème ?
Quelques imbéciles y pensaient sérieusement.

Heureusement pour Boya, il n'était pas seul.

Il n'était pas seul et s'était trouvé des alliés aussi inattendus que remarquable dans les personnes de deux des princes. L'héritier l'avait reconnu et savait ce qu'il lui devait. S'il aurait été plus simple pour lui de le savoir mort, disparu avec le secret du lignage de son fils, il était aussi dramatiquement pragmatique.

L'aveugle était un cousin. C'était pour ça que lui et son épouse l'avaient choisi pour tenter de produire le fils qu'ils n'arrivaient pas à donner à l'Empire. La ressemblance physique serait suffisante pour que personne ne se pose de questions.

Lorsque les portes du Palais s'ouvrirent pour laisser passer le Seigneur Démon, L'Empereur eut un signe pour les fonctionnaires présents. Ca protesta en silence quelques secondes avant de se prosterner. Pas aussi bas que pour leur Empereur mais assez pour reconnaitre la présence de QingMing comme celle d'un dirigeant étranger.

"- Boya !"

L'énorme renard blanc fit fi de toute retenue. Il se rua à quatre pattes vers son époux pour le retourner d'un coup de pattes en tous sens, le renifler sous toutes les coutures pour s'assurer qu'il allait bien, avant de reprendre forme humaine pour le caller à sa place dans ses bras, sur ses genoux et enroulé dans ses queues.

"- Je ne peux donc pas te laisser t'éloigner de moi plus de quelques minutes ?" Grondait le Démon, ses grands yeux jaunes emplis d'inquiétude.

Le large sourire de l'aveugle était tendre. Il caressait le visage de son époux sans se soucier une seule seconde des convenances. Si le geste pouvait apaiser le monstre et le disposer positivement envers l'Empire, il pouvait bien lui lécher l'entrejambe pour ce que l'Empereur en avait à faire ! Le Démon était impressionnant de loin.
De près, sa présence était écrasante.

QingMing avait finit par se calmer mais ce n'était pas pour ca qu'il avait lâché Boya ni ne lui avait permis de quitter ses queues. Il fallait déjà qu'il s'estime heureux d'avoir pu s'asseoir à coté de son mari et non plus sur ses genoux.

Bien qu'ils soient dans le Palais Impérial avec son Impérial occupant dedans, ce n'était pas l'humain qui semblait régner sur la place mais le couple mixte.

La présence de QingMing était si écrasante que d'aucun se tournait naturellement vers lui comme s'il était le maitre des lieux, à la grande crispation de l'Empereur.

"- Maintenant que j'ai retrouvé ma Furen et en bon état, il est plus que temps que nous négociations les réparations pour le dommage qui lui a été infligé ainsi qu'à ses troupes."

Ca grinçait des dents.

"- Ce n'est pas la seule négociations qu'il va falloir entreprendre, j'en ai peur." Les sourcils de l'empereur étaient froncés. Il sentait dans son dos son héritier qui poussait à la roue. "Je pense même qu'il faut commencer par celle là avant de se pencher sur le reste."

QingMing haussa un sourcil, curieux. Ses queues s'enroulèrent encore plus étroitement autour de Boya.

"- Hooo ? Vraiment ? j'ai hâte de savoir de quoi il s'agit."

"- Yuan Boya appartient à la lignée Impériale après tout. Il est plus que temps que son mariage soit correctement négocié. Une princesse ne peut en aucun cas être ainsi abandonné au premier venu."

Les yeux du renard s'étrécirent. C'était lui le premier venu ?

"- Faites attention à vos paroles, humain. Je suis généralement de bonne composition mais je n'apprécie ni le mépris ni les insultes."

Le rétropédalage de l'Empereur fut de toute beauté, il fallait lui laisser ca. Très pale soudain sous le regard jaune aux pupilles verticales, il ne pouvait détourner les yeux des dents beaucoup trop aigues du seigneur démon. Pendant une seconde, il avait oublié que la créature en face de lui était au moins son égal, probablement même plus puissant que lui. Très certainement même. Mais il refusait de plier l'échine.

"- Je disais donc, Yuan Boya appartient malgré tout à la lignée impériale. Si JingYun s'est montré incapable de s'occuper correctement de lui, il est normal qu'il revienne dans le giron de la lignée."

QingMing renifla sans pitié. Il aurait pu éclater de rire mais Boya lui tira les poils de la queue. S'ils pouvaient éviter de faire n'importe quoi et rentrer rapidement à la maison….

"- Je suis désolé que vous soyez en retard de quelques années. Le Yin Yang a déjà négocié le mariage de Boya pour lui. Ces négociations ont fait de lui l'homme le plus riche de l'Empire je pense. Ou pas loin."

Boya lâcha un petit coassement.

"- QingMing !"

"- Quoi ? C'est la vérité après tout ! Tu es propriétaire de près d'une centaine de chèvres au moins." Le mépris des humains était avant tout la preuve qu'ils ne connaissaient rien du nord. "Mais si vous voulez rajouter à la dot de Boya, je n'aurais rien contre." Ronronnait le renard avec un sourire plus large encore.

"- Et qu'aurait à un gagner l'Empire ?" Coupa un fonctionnaire, piqué au vif. Ce monstre ne voulait-il donc que voler l'Empire ? Sans doute. Pourquoi choisir un mâle humain handicapé sinon ? Quand bien même il soit un ancien cultivateur.

"- Eviter une guerre ?" Lâcha froidement Boya.

Encore une fois, l'intervention calma tout le monde.

"- Boya…" QingMing était peiné. "Pourquoi ne me laisses-tu pas m'amuser un peu ?"

"- Parce que nous ne sommes pas là pour ça, QingMing."

Un soupir échappa au renard démon. Il voulait s'amuser au dépends des humains qui s'étaient si mal occupés de son époux mais voilà que son Boya voulait juste rentrer à la maison.

Il ne pouvait que répondre à sa demande. Surtout que leurs renardeaux s'agitaient de plus en plus. Ils voulaient retrouver le contact avec leur père.

Jusque là, Boya résistait à la tentation de prendre son renard sur ses genoux pour le cajoler comme il le méritait. Comme ils le méritaient tous.

"- Finissons-en, voulez-vous ?" s'agaça soudain QingMing. "Payez ce que vous voulez pour Boya. Il ne vous appartiens plus depuis que vous l'avez abandonné à la cruauté de JingYun. Quant à croire que son sang pourrait vous garantir quoi que ce soit envers mon Domaine, ne rêvez pas. Je n'ai rien contre la paix, mais sans qu'il n'en coute rien à l'honneur. Et l'honneur de mon Boya aussi bien que celui de votre Empire ont été foulés à terre à cause de votre temple et de ses manières."

L'Empereur jeta un regard noir aux cultivateurs présent. Il avait comprit le message : "Faites le ménage et nous en reparlerons".

On leur servit du thé et des petits gâteaux. Bien qu'il ne soit là qu'un invité, QingMing se comportait en Seigneur d'une terre conquise. Il sentait la crispation autour de lui, la colère qui montait parmi les nobles, les généraux et surtout, l'Empereur.

Il fixait ce dernier sans ciller, un petit sourire aux lèvres non cruel mais au moins moqueur.

"- Mangez, mangez !" Insistait le renard-démon lorsqu'il se servit au plat que MiChong venait de lui apporter.

Non qu'il ne mangerait rien qu'on lui servit ici, simplement il ne voulait pas risquer la colère de sa petite shishen s'il déviait un peu de son régime alimentaire stricte. Depuis quelques semaines, il n'avait plus le droit au sucre à son grand dépit. De la viande, la plus crue possible, voila tout ce qu'on lui laissait avaler avec quelques légumes bouillis et sans sel.

Boya attrapa un rouleau de viande crue qu'il se mis dans le bec sans sourciller. Il avait appris à apprécier la viande crue. Coupée en fines lamelles, juste cuite par du citron, c'était devenu une friandise. Avec une rare cruauté tranquille, MiChong apporta le plateau à l'empereur et ses suivant pour qu'ils se servent eux aussi puis présenta le plateau aux maitres de JingYun. Si les cultivateurs parvinrent à manger la viande crue sans moufter malgré leur dégout, ce ne fut pas le cas des nobles. Plusieurs durent sortir pour vomir.

L'Empereur parvint à dominer son estomac malgré le gout du sang dans sa bouche. Il rinça le gout métallique avec un peu de thé amer heureusement trop infusé. Le gout était écœurant aussi mais un écœurement qu'il connaissait, presque un soulagement pour son estomac.

Boya avait récupéré le plateau au vol lorsque MiChong revint vers eux pour nourrir son renard lui-même. Petit à petit, l'aura de danger trouble autour du Seigneur Démon diminua lentement à mesure que Boya le nourrissait à la main.

Boya jeta un regard vers l'Empereur. Sous son troisième œil, l'humain se raidissait dès que le regard si particulier de son lointain cousin se posait sur lui.

Si le danger que représentait le Seigneur Démon avait quelque peu décru, l'ambiance générale était moins à la peur mais davantage au malaise.

Le silence qui s'étirait, le manque de conversation, les petits regards en coin, la violence contenue entre démons et JingYun… Au milieu de cette ambiance de plus en plus désagréable, les deux seuls qui s'en fichaient totalement étaient clairement le Seigneur Démon et son époux.

L'Empereur finit par se racler la gorge. Il ne savait comment apaiser la tension croissante ni régler la catastrophe diplomatique qu'ils avaient sur les bras. Il ne devait rien attendre du Seigneur Démon, ni du jeune Boya. Le premier s'amusait bien trop, le second n'avait plus la moindre attache pour l'Empire, si tant est qu'il lui en soit resté un peu après ce que JingYun lui avait fait.

Un de ses ministres sembla soudain frappé par la grâce. Il s'approcha du trône, s'inclina devant l'Empereur puis devant le Seigneur Démon.

"- Majesté, Seigneur Anbei, la Garde demande des instructions concernant JingYun." Les maitres se raidirent mais restèrent silencieux. "Plusieurs ont été arrêtés près des portes du palais. Ils semblaient prêts à se battre."

L'Empereur aurait presque pu serrer le fonctionnaire dans ses bras.

"- Seigneur Anbei, ils sont à vous si vous les voulez."

Mais le renard secoua la tête. Ce n'était pas à lui de décider.

"- Boya ?"

"- Qu'ils se débrouillent entre eux." JingYun ne représentait plus rien pour lui. Il avait encore de l'affection pour certains, un attachement réel pour son Shifu mais le reste….

"- Vous avez entendu mon époux, Majesté. Je vous laisse JingYun." Cela semblait régler le problème pour le Seigneur Démon qui se leva. "Je vous serai gréé de ne pas toucher au clan Yuan. Evidemment. Je trouverai très dommageable que ce qui reste du clan de mon époux ait

quelque problèmes de santé."

Il n'y avait aucune subtilité dans la demande du renard à neuf queues. L'Empereur comme les maitres et les anciens présents avaient compris qui serait le prochaine chef de secte et quel clan allait prendre le contrôle de JingYun. C'était déjà entendu avant mais avec le double poids de l'Empereur et du Seigneur Démon… Même Tànli grimaça. Les habitudes et les traditions avaient la vie dures. On ne choisissait pas un chef de secte sur ordre de l'Empereur. On le voyait prendre le pouvoir sur les cadavres de ses ennemis. Là… Mais Tànli avait déjà éliminé la majorité des autres clients potentiels de toute façon alors ca devrait passer quand même.

JingYun le suivit à l'extérieur du palais lorsqu'ils furent mis dehors par l'Empereur qui continuait à parler avec QingMing sur leurs talons.

L'Empereur observait Zhuque voler tranquillement au dessus du palais dans une fascinante danse enflammée.

"- Seigneur Anbei. J'espère que les relations entre l'Empire et votre heu…"

"- Domaine." L'homme eut un petit signe de tête pour Boya.

"- J'espère que les relations entre l'Empire et votre Domaine resteront les même."

"- Qu'entendez vous par là, Majesté ?"

"- Une bienheureuse ignorance au pire."

QingMing éclata de rire, réellement amusé.

"- Cela me parait un bon début."

"- Qing…Ming…."

La voix soudain rocailleuse de Boya autant que le cri de détresse de Zhuque transformèrent la tranquille assurance de QingMing en terreur absolue. Il n'eut que le temps d'attraper son mari au vol pour l'empêcher de s'écrouler par terre, une flèche dans la poitrine.