Petit chapitre un peu plus léger avant de nouvelles aventures ! Et le retour de deux vieux amis.


Ils n'étaient pas rentrés tout de suite.
Le vaisseau de secours était resté deux jours à côté des restes de leur transport, que des ingénieurs avaient commencé à remettre en état, alors qu'ils étaient débriefés, un par un, par le capitaine Vobat'kan de Silla.

Zen'kan n'y avait vu aucun inconvénient. Ils avaient tous reçu un substantiel don de vie qui avait enfin fait taire cette faim dévorante qui les rongeait tous, ils avaient pu se laver, mettre des uniformes propres, et dormir pour la première fois depuis très longtemps sur une vraie couchette dans une atmosphère tiède et non pas glaciale. Enfin, plus important que tout le reste, il avait retrouvé son meilleur ami sain et sauf.

Rory lui avait expliqué que tout cela n'était qu'une vaste mascarade, et qu'ils n'avaient jamais été perdus. Il l'avait écouté, mais pas vraiment. Son ami ne décolérait pas. Ça n'avait pas d'importance. Ils étaient en sécurité, tout le monde allait bien, et s'il y aurait sans aucun doute des conséquences à ce qui s'était passé dans le blizzard, ce n'était pas un problème qu'ils se trouvaient en capacité de résoudre dans l'immédiat.
Il réglerait plus tard tous les comptes qu'il avait à régler.

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Il s'était fait balancer. Pas besoin de se demander par qui. Ces sales bâtards de dégénérés humanisés, bien sûr.

Allongé sur sa couchette, Grande-gueule grogna sa hargne.
Il avait été mis au rencard avec Griffe et les autres chasseurs. Pourtant, il avait expliqué la logique de ses actions. C'était un exercice, et ils le savaient. Se sacrifier pour sauver une simple humaine était stupide. Son devoir était de préserver son existence le plus longtemps possible afin de pouvoir un jour servir et protéger sa future reine. Autrement dit, la seule personne qui compte réellement.

Malheureusement, le capitaine Vobat'kan semblait ne pas avoir autant de bon sens que lui, et il avait été parqué dans un dortoir séparé de ses autres frères, trop lâches pour avoir osé agir, ou trop stupides pour avoir compris le bien-fondé de sa démarche. Mais une chose était certaine : aucun de leurs frères de couvée ne les aurait jamais dénoncés. Jamais. Seuls les deux étrangers étaient susceptibles de l'avoir fait.
L'Immature échapperait sans doute à une juste et méritée vengeance, courant vite se réfugier dans les jupes du commandant Jû'reyn, mais le Nabot resterait avec eux... et il avait beau être coriace, il ne ferait pas le poids contre eux tous.
Griffe était déjà en train d'élaborer un plan, et Grande-gueule se réjouissait d'avance de le mettre en pratique. Quoi qu'il en soit, la rétribution devrait attendre qu'ils soient de retour à bord de la ruche...

L'appontage ne prit pas longtemps, et bientôt, ils se virent ordonner de rejoindre leurs frères pour descendre.

Aussitôt le sas passé, les officiers de bord leur commandèrent de se mettre en rang sur le côté en attendant qu'on vienne leur donner leurs ordres, afin qu'ils ne les gênent pas dans leur travail de ravitaillement du vaisseau.

Ils n'eurent pas longtemps à patienter. Temps qu'il occupa à subtilement menacer le Nabot d'une ombre télépathique à peine perceptible, et avant même qu'ils ne le voient, ils sentirent la conscience de maître Jurz'kan peser sur eux. Le seigneur incontesté des couvains apparut bientôt, suivi de la reine humaine et, sans même attendre l'ordre de leur supérieur, ils s'inclinèrent tous bien bas.

« Repos, soldats. » lança la femme, alors que retentissait un petit couinement indigne.

Se redressant, Grande-gueule en chercha l'origine.

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Ilinka n'avait pas eu à supplier pour pouvoir accompagner sa mère et le maître du couvain.
Elle s'était promis de rester digne et calme.
Et avait échoué lamentablement.
C'était impossible. Les jeunes mâles avaient mangé, s'étaient lavé et on leur avait donné des uniformes propres, mais – et même si c'était particulièrement flagrant chez ses amis qu'elle connaissait par cœur – tous avaient visiblement les traits tirés et un peu haves.

Rory semblait être celui qui avait le plus souffert. Il avait perdu beaucoup de poids, et avait de gros cernes sous les yeux.
Lorsqu'il croisa son regard, elle ne put retenir un petit gémissement de compassion coupable.

Ils avaient dû tellement souffrir sur cette planète ! Et elle n'avait rien fait...

D'un discret coup de coude, sa mère attira son attention.

Elle lui jeta un regard humide et suppliant, auquel l'artiste répondit par un sourire et un petit mouvement de la tête. « Vas-y. »

L'adolescente ne se fit pas prier.
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Lorsque Ilinka lui avait sauté au cou, ses jambes avaient failli se dérober sous lui.

Rorkalym avait senti ses efforts pour rester digne. Ça ne l'empêchait pas de sangloter de soulagement dans le col de sa veste, tout en l'étranglant à moitié.

Au bout de quelques instants, Zen'kan vint à sa rescousse, tapotant l'épaule de la jeune femelle.

« J'ai pas le droit à un câlin, moi ? »
La question provoqua un transfert immédiat de l'adolescente, et il put de nouveau respirer normalement.

Zen'kan était aussi grand qu'Ilinka, et de fait, elle ne devait pas se pendre à son cou – et pourtant, elle avait quand même trouvé le moyen de l'étrangler aussi. Fait qui ne semblait pas du tout déranger le guerrier, plus soucieux de rassurer leur amie sur leur état de santé que d'autre chose.

Rory ne put s'empêcher de rire. A la scène, à la joie de l'instant, au bonheur d'avoir survécu à un enfer glacé, à l'existence tout simplement. Difficile de rester fâché en cet instant.

Son hilarité lui attira des regards perplexes, dont celui d'Ilinka, dont les larmes se transformèrent bientôt en son rire, si beau et lumineux.
Finalement, elle lâcha Zen'kan, s'essuya les yeux, épousseta un peu sa robe puis, tâchant de se donner l'air solennel, malgré le sourire rayonnant qui lui revenait sans cesse, elle se tourna vers les jeunes guerriers de Silla restés en rang, dont la gêne perplexe était palpable.
« Bon retour à tous. Je... je suis désolée de ce qui vous est arrivé... et de n'avoir rien pu faire pour vous aider. Quoi qu'il en soit, je suis tellement soulagée que vous soyez tous revenus sains et saufs ! » leur lança-t-elle avec chaleur.

La plupart étaient trop incrédules pour ne serait-ce que penser, et Rory dut se rappeler que c'était la première fois qu'ils rencontraient celle qu'ils attendaient de servir depuis presque deux décennies.
Avec un immense sourire mouillé, Ilinka se retourna vers sa mère, qui l'encouragea d'un geste. Faisant voler ses jupes, elle leur fit à nouveau face.

« Et j'ai deux nouvelles qui, je l'espère, vous feront plaisir ! La première, c'est que maître Jurz'kan et Ro... Sa Majesté Mme Gady, ont décidé que ceux qui ont réussi l'épreuve pourront commencer leur formation définitive sur le terrain. Et la seconde, c'est que avant ça, vous avez tous une semaine de vacances ! »

Il y eut deux secondes de vide, puis l'Esprit éclata d'un bonheur cacophonique et martial.
Rory ne put s'empêcher de se réjouir aussi. Davantage de la perspective de congé que du reste, mais tout de même !

Lentement, comme honteux, Tête-vide fit un pas en avant.

« Oui ? » s'enquit Rosanna.

« C'est quoi des vacances, Majesté ? » demanda-t-il avec candeur.

L'artiste sourit.

« Ilinka va vous expliquer. »

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Comme ils étaient arrivés en fin de journée, après avoir expliqué à tout le monde le concept de vacances, Ilinka leur avait proposé d'aller se reposer jusqu'au lendemain – et ils avaient retrouvé le dortoir qu'ils occupaient avant leur départ.
Rory les avait laissés pour retourner à son propre lit, de l'autre côté de la ruche.
« Tu avais raison, elle est merveilleuse. »
La pensée du Rêveur était douce.
Zen'kan sourit. Merveilleuse était un qualificatif un peu faible pour parler d'Ilinka, mais il saurait s'en contenter.
« Elle est déficiente, oui... » persifla Grande-gueule, mauvais. « Quelle honte de servir une lamentable parodie de reine à la sauce humaine. »
Zen'kan se redressa, prêt à bondir sur le guerrier qui le défiait en pensée depuis son lit, plus bas dans la rangée.

Se levant lentement, presque péniblement de la couchette sous la sienne, la Flemme lui posa une énorme main sur l'épaule.

« Ignore-le, il te nargue. »
« Lâche-moi ! J'vais pas laisser ce bâtard insulter Ilinka ! »
« Arrête, le Nabot. La Flemme a raison. Il sait qu'il a merdé avec Joyau. Il veut juste que tu sois aussi puni... » intervint la Balafre.

« Pffff... Si moi, ou les autres, on devait être punis, on le serait déjà ! La vérité, c'est qu'ils en ont pas plus à faire de cette petite merde humaine que de moi ! On aurait pu bouffer cette chieuse que ça aurait rien changé ! » ricana Grande-gueule.

D'un geste sec, Zen'kan se dégagea de la poigne de la Flemme, qui le laissa partir avec un petit sifflement d'avertissement.

Il n'eut toutefois pas le loisir d'approcher Grande-gueule, car il fut rapidement ceinturé par deux guerriers qui le retinrent jusqu'à ce qu'il cesse de lutter.

A demi-vaincu, il gronda, défiant du regard son aîné qui ricanait toujours dans son coin.
« C'est vrai qu'elle manquait de... prestance... » lança songeusement Paisible.

Sa rage ayant soudain trouvé une nouvelle cible, Zen'kan se retourna.
« ... Mais quel âge a-t-elle déjà ? » poursuivit le guerrier, l'air curieux.

« Dix-huit ans. » cracha Zen entre ses dents serrées.
« Oui, c'est ça. Un peu plus jeune que toi... Nous, on était inutiles et faibles à cet âge là. C'est encore une larve... elle est plus proche de l'âge de la petite humaine qu'on a gardée que du nôtre... Moi, je me réjouis de voir comment elle sera dans un siècle ou deux... » nota-t-il, n'ayant visiblement pas compris que Joyau n'était pas du tout une enfant.

Néanmoins, ses paroles firent mouche, et ils furent plusieurs à acquiescer.

Grande-gueule se vit prier de se la fermer, et lui se fit doucement mais inflexiblement reconduire à son lit – et l'incident fut clos, malgré la volonté des belligérants.

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Ne pouvant retenir une petite exclamation de joie, Ilinka regarda s'ouvrir la porte du transport qui devait les amener à terre. Ils allaient pouvoir visiter Oumana et s'y promener à leur guise !

Bien que techniquement en vacances, Rory et Zen avaient reçu l'ordre d'emmener chacun un blaster, au cas où, et deux des gardes de Delleb les accompagneraient, jouant à la fois les guides et les protecteurs.
Elle était descendue plusieurs fois sur la planète, mais à chaque fois juste le temps d'accomplir une mission précise avant de repartir. Aujourd'hui, ils y allaient en touristes.

Ils s'installèrent à bord du transport, bientôt rejoints par les deux guerriers qu'elle reconnut sans peine. Les deux frères contrastaient par leur différence de taille et de stature, l'un grand et sculptural, l'autre ramassé et massif.
Rorkalym les connaissait déjà, ne serait-ce que de vue, mais ce n'était pas le cas de Zen'kan. Elle se leva donc pour faire les présentations.

« Merci de nous accompagner. Voici Rorkalym Lanthian, que vous connaissez déjà, et Zen'kan Giacometti, mes amis. » les salua-t-elle, désignant les deux mâles qui s'étaient aussi levés. « Et voici Râ'kan de Delleb et Trel'kan de Delleb, gardes de Son Excellence la grande régente. » les présenta-t-elle tour à tour.
« C'est un plaisir de vous escorter, princesse. » répondit Râ'kan, inclinant la tête en même temps que son frère.

« Avez-vous une idée de ce que vous désirez visiter sur Oumana ? » s'enquit Trel'kan.

« Non, pas vraiment. On espérait que vous pourriez nous conseiller. »

Les deux guerriers échangèrent en silence quelques instants.

« Une promenade partant du village wraith, remontant par Estain jusqu'aux quartiers nouveaux, vous conviendrait-elle, pour commencer ? »
Ilinka consulta du regard ses amis et opina.

« Si vous êtes prête, princesse, allons-y. » conclut Râ'kan.

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« Alors ? » siffla Delleb avec impatience.

« Tout s'est bien passé, Majesté. » répondit docilement Trel'kan.

« Je m'en doute, puisque vous êtes là ! Je veux savoir ce qu'ils ont fait ! En particulier la femelle.»

« Ils ont agi comme on peut s'y attendre de larves laissées libres de découvrir une planète inconnue. Ils ont exploré et visité. La princesse s'est beaucoup intéressé aux habitants et à leurs coutumes. » expliqua Râ'kan.

« Tsssh, elle se soucie beaucoup trop des humains ! » cracha Delleb.

« Pardonnez-moi, ma reine, mais mademoiselle Ilinka a également passé beaucoup de temps à s'intéresser aux wraiths vivant à la surface, et à discuter avec certains d'entre eux. » objecta Trel'kan.

« Merveilleux. Qu'est-ce qu'elle leur voulait ? » siffla l'ancienne reine, faisant une grimace.

« Elle désirait découvrir en quoi leur vie était différente de la vie à bord de la ruche, et aussi ce qui leur plaisait dans cette existence. »

Les deux frères échangèrent un regard.
« Quoi ? » grinça Delleb, l'ayant remarqué.

Trel'kan s'inclina un peu, soumis.

« La princesse... a beaucoup posé de questions sur la cohabitation... sur... les habitudes humaines qu'ils avaient pu adopter, et... »
« Tsssh... elle aurait gagné du temps en vous posant directement ces questions... » ironisa-t-elle.

Les deux guerriers se ratatinèrent. Ce n'était pas parce que, dans sa grande magnanimité, elle tolérait leurs petits vices, qu'elle allait s'abstenir de leur faire savoir son avis sur le sujet.
Autant avait-elle étudié avec un certain intérêt les accouplements de Trel'kan avec une atlante – avant d'en tirer ses propres conclusions –, autant elle n'avait jamais vu aucun intérêt dans l'abêtissement provoqué par l'alcool qu'affectionnait tant Râ'kan.

Jamais le guerrier n'avait été sous l'effet de la substance durant son service, ni ne s'était particulièrement illustré sous son emprise, ne lui donnant pas de raison concrète – en dehors de sa propre réticence – à le lui interdire, mais elle restait à l'affût de ce jour.
En attendant, rappeler à ses deux fils qu'elle n'ignorait rien de leurs travers était suffisant.

Les congédiant d'un petit geste de la main, elle retourna à son travail.

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La sanction avait été aussi discrète qu'implacable. Zen'kan avait craint le retour à la normale après les vacances. Il avait craint les représailles de ses aînés jusqu'ici évitée. Mais ils n'en avaient pas eu l'occasion.

Au matin de la reprise de service, ils n'étaient plus qu'une vingtaine sur la ruche.

Grande-gueule, Griffe et les autres « chasseurs » avaient tous été envoyé à des postes où ils ne risquaient pas devoir choisir entre leur sécurité et celle d'un humain. Quelques autres, pour des raisons qui lui échappaient, avaient été renvoyés à l'avant-poste quarante-six sur Grinna.

Quant à lui et à ceux qui restaient, ils furent priés de se tenir prêts à une mutation imminente sur une des deux ruches secondaires de Silla.