Ohayo mina !

Merci, merci beaucoup pour toutes vos reviews !
Vous avez l'air d'avoir accroché l'histoire et ça me fait super plaisir :)

Nous restons encore sur le thème du procès, qui va durer quelques chapitres de plus ; aujourd'hui, j'aborde de manière plus détaillée le sujet qui amène Luffy dans ce tribunal, à savoir la nature du crime. Parlant de détails, je fais en sorte que les personnages restent "cliniques" dans leurs descriptions, mais j'espère ne perdre personne en route. Ça ne va pas être marrant pour notre boule de gomme (et pour Vivi... je mérite le fouet.) et j'en suis... moyennement désolée. *regarde passer une pierre près de sa tête* On avait dit pas de cailloux, namého !

Je vous souhaite néanmoins une bonne lecture, une dernière note est en bas de page !

Enjoy it !


Chapitre 4 :

Jour 4. Charges.

Cette nuit-là, Luffy ne dormit pas non plus.

Il resta les yeux grands ouverts sur le plafond de la cellule avec la certitude que, s'il fermait les yeux ne serait-ce qu'une poignée de secondes, il allait perdre le contrôle et se retrouver, une nouvelle fois, privé de ses sens et du peu de volonté qu'il lui restait.

Mihawk avait très peu échangé avec lui, après l'ouverture du procès, et Luffy le sentait agacé par son entêtement à ne rien vouloir dire ; le pire, dans tout ça, était que son silence n'était pas le signe d'une mauvaise foi absolue, non, au contraire : quand il s'échinait à répéter qu'il ne voyait pas de quoi tous voulaient parler, c'était loin d'être un mensonge.
Fataliste, il savait qu'il apprendrait la vérité au même moment que les autres, dans cette salle, et qu'il allait devoir s'y préparer, parce que rien ne pourrait le sauver de ce qui l'attendait.

C'était avec ces pensées qu'il était resté immobile dans son lit, sous le regard des gardiens qui se relayaient pour l'observer – ils avaient pour consigne de prendre note de n'importe quelle confession, qu'elle soit utile ou non, ce n'était pas à eux d'en juger. Le but était de le faire parler pour tout ce qui concernait le crime commis, puisque sans aveu, aucune culpabilité certaine ne pouvait être établie.

Quand il fut amené, au matin, dans la salle d'audience, le premier à remarquer son air déphasé fut le juge Aokiji, qui le scruta d'un coup d'œil préoccupé, par-dessus l'épaule de Sadi ; Luffy se garda de la moindre réaction, détournant le regard vers le public qui s'amassait, lui semblant encore plus nombreux que la veille au soir.

Le père de Vivi paraissait plus serein, pour sûr que dormir lui avait fait un bien fou, et Robin semblait avoir accusé le coup. Shanks s'installa au plus proche de son fils, Sabo et Nami suivant de près, et Luffy lui trouva le teint cireux, brouillé par une nuit sans sommeil. Il leur adressa un sourire mince, auquel tous trois répondirent, mais de la même manière que Cobra semblait convaincu que le couperet tomberait bien assez tôt, sa propre famille avait l'air convaincue, elle aussi, que la sentence ne jouerait pas en sa faveur.

Luffy aurait dû être mortifié, de se savoir condamné jusque dans les convictions de ses proches, mais ça ne faisait que confirmer ce que lui pressentait déjà.

Lentement, chacun retrouva sa place occupée la veille, les jurés s'installant dans leur box, sous les fenêtres, les avocats sortant leurs dossiers, bloc-notes, livres de droit, dans une mécanique bien huilée qui absorbait totalement Luffy, dont l'attention vacillante était happée par chaque détail qui se présentait à lui.
Il comptabilisait plus de trente-six heures sans sommeil, à cet instant ; dire qu'il se sentait sur le point de basculer dans un gouffre sans fond était un euphémisme, tant il avait la sensation de se trouver sur le fil du rasoir, incapable de réfléchir et de donner une cohérence à ses idées.

Les portes de la salle se refermèrent dans un bruit sourd qui trouva un écho dans le coup de maillet qui résonna entre les murs lambrissés, ramenant un silence pesant dans la pièce.

- Bien, bonjour à tous, lança Aokiji en enfilant ses lunettes, penché sur les monticules de feuilles qui s'amassaient devant lui. La séance est déclarée ouverte, à 9 heures 34, dans l'affaire Néfertari Vivi, numéro de greffe 160071... Nous avons entendu hier un premier témoignage à charge, suite à l'interrogatoire de personnalité et aux auditions de la famille de l'accusé. Nous allons reprendre l'instruction là où elle s'est arrêtée hier soir. Maître Dracule, avez-vous des questions à poser au témoin, je nomme Nico Robin ?

- Nullement, murmura Mihawk en soutenant le regard de Sadi qui le fixait avec défiance. ... Pour le moment, en tout cas.

- Greffier, prenez note, lança Aokiji au jeune homme aux cheveux blonds assis à quelques mètres de là. J'appelle maintenant à la barre le commissaire chargé de l'enquête, Sakazuki Akainu, et l'apport des pièces à convictions 3B et 3D.

L'homme, massif, se leva de sa chaise, deux sachets plastiques en main ; Luffy plissa les yeux pour distinguer leur contenu, mais n'en tira rien de net, à cette distance.

Akainu contourna la barre et prit place dans un grincement de chaise, Sadi semblant minuscule à ses côtés, son classeur en main. Un des magistrats examina les sachets, sembla comparer un bref instant avec une série de photographies, et les reposa là où il les avait prises, apparemment sûr de leur intégrité. Aokiji prit quelques notes supplémentaires et reporta son attention sur l'homme à ses côtés, le regard... quelque peu glacial.

- Veuillez résumer les points clés des événements ayant conduit à l'arrestation du suspect, Akainu. La parole est à vous.

- Mmn, merci. Un opérateur du 911 a reçu un appel d'urgence un peu après minuit–

- Soyez précis, s'il vous plaît.

- Minuit 12, d'après le relevé téléphonique. Venant d'une femme se présentant comme Nico Robin. Elle a indiqué sa position et l'état de son amie, dont elle a donné l'identité. Son discours était relativement confus, l'opérateur en a déduit qu'elle était en état de choc. Il est resté avec elle jusqu'au moment où mon équipe est arrivée avec les secours.

Luffy regarda les magistrats s'échanger ce qui ressemblait à des photographies, dont il ne distinguait rien d'autre que les nuances noires et pourpres, à cette distance ; les jurés eurent le droit de les contempler, et le jeune homme sut immédiatement faire la différence entre ceux, aguerris, qui se contentèrent d'un hochement de tête entendu, et les novices, ou les plus sensibles, qui détournèrent le regard en pinçant les lèvres.
Une partie de lui, et il savait parfaitement laquelle, était curieuse de connaître le contenu de ces clichés, tandis que l'autre souhaitait ne jamais voir ce qu'il avait fait.

- Le docteur qui accompagnait l'équipe médicale a prononcé le décès dès son arrivée, poursuivit-il, ignorant le long geignement venant du fond de la salle, où Cobra se tenait recroquevillé sur lui-même. Mes agents et moi-même sommes arrivés un peu plus tard, aux alentours de minuit quarante-cinq. Les techniciens ont immortalisé la scène, comme vous pouvez le voir sur les images ; deux armes ayant servi à perpétrer le crime ont été retrouvées près des containers à déchets. Présentes dans les sachets que j'ai soumis à votre examen, votre Honneur.

Le terme lui écorchait la bouche, c'était flagrant à l'oreille ; Luffy scruta attentivement la réaction du juge, qui semblait vouloir vérifier la véracité de ces propos avec un soin tout particulier, et jeta un coup d'œil à Mihawk, qui fixait les deux protagonistes avec intensité.

… est-ce que cette mésentente sous-entendue faisait partie de son cheval de bataille ? Comptait-il jouer sur cet aspect de leur relation tendue ?

Un des agents assermentés présents dans la salle enfila ses gants et procéda à l'ouverture des sachets, montrant les deux pièces au jury présent, en s'assurant de le laisser en évidence du public ; les parents de Vivi évitèrent les objets en détournant la tête, mais Luffy s'attarda longuement dessus, tentant de ranimer des souvenirs qui ne viendraient jamais, il le savait mieux que personne.

Il distingua les contours du premier objet et en déduisit qu'il s'agissait de la poignée d'un couvercle de poubelle, encore tâchée de sang coagulé.

Le deuxième n'était ni plus ni moins que sa propre ceinture.

- Après comparaison des dactylogrammes mis en évidence sur les armes de crime, les techniciens ont trouvé au moins douze points similaires sur les résidus révélés par la poudre. Dix-huit, pour être exact. Les empreintes sont nettes, sans doute possible.

Mihawk se pinça l'arête du nez, dépité.

Luffy sentit une envie folle de pleurer lui monter aux yeux, presque menaçante à cet instant tant elle le faisait se sentir vulnérable. Il inspira profondément et leva les yeux vers le plafond, retenant ce qui risquait de ruiner le sérieux de la séance, et entrelaça ses doigts entre eux, imaginant un bref instant que sa main pouvait être celle de Nami, Sabo, ou Shanks : n'importe qui susceptible de l'aider à se raccrocher à quelque chose de tangible pour ne pas sombrer.

L'injustice et la rancœur qui le prenaient à la gorge menaçaient de l'étouffer, tant le désespoir le rendait inapte à trouver quoi que ce soit de positif, n'importe quelle lueur susceptible de le faire tenir.

- La suite. Parlez-moi de l'appréhension du suspect.

- D'une simplicité enfantine, murmura Akainu.

Luffy aurait juré voir l'ombre d'un sourire sur ses lèvres, mais il était trop loin pour en être certain ; il osa un regard à la salle, tentant de voir si quelqu'un avait remarqué cet étalage discret d'une joie mal placée, mais personne ne réagit. Les yeux d'Akainu étaient braqués sur Shanks, qui s'était depuis longtemps composé un visage impassible, semblant à toute épreuve – là où Mihawk tant que Luffy savaient qu'il n'en était rien, bien au contraire.

- Le suspect a été filmé en train de revenir tranquillement à sa voiture après le crime. Il est monté dans une Mustang Shelby 1967 immatriculée MK 000 DL. Il a fallu moins de deux heures pour trouver qui était le propriétaire, le temps de trouver quelqu'un de suffisamment réveillé pour faire la recherche…

- Le nom du propriétaire ? poursuivit Aokiji.

- Monkey D. Luffy. Dans la foulée nous avons trouvé ses activités sur les réseaux sociaux, et son visage à la caméra était similaire en tous points à celui trouvé pour définir son profil et ses différents posts.

L'agent montra deux images, cette fois-ci ; l'une était une photographie prise à la volée par Nami, la semaine précédente, quand ils s'étaient promenés au bord de la mer – cicatrice, chapeau de paille, yeux bruns : parfaitement identifiable, sans filtre ou quoi que ce soit venant altérer l'image originelle. Sa photo de profil actuelle.
L'autre était un capscreen direct de la caméra en action près du bar, où Luffy adressait un doigt d'honneur à l'objectif, tout sourire, éclaboussé de sang. Là non plus, l'identification ne laissait pas place au doute.

Nami ferma les yeux et enfouit son visage entre ses mains, le bras de Sabo passé sur ses épaules – Luffy songea un bref instant, horrifié, qu'il les avait déçus, encore une fois. Tous autant qu'ils étaient.
Il n'osait pas chercher le regard de Sanji et Usopp, pétrifié à l'idée d'y lire accusation et amertume ; il s'en voulait assez, inutile d'en rajouter avec un jugement de plus.
Il sentit une armée de regards perçants se poser sur lui et baissa les yeux vers ses chaussures, incapable de soutenir la lourdeur des attentions qui lui étaient adressées. C'était de trop. Et il avait parfaitement conscience que ça n'était que le début.

- Merci pour votre témoignage, Akainu, marmonna Aokiji en prenant quelques notes de plus, invisibles depuis l'endroit où se trouvait le public et les jurés. J'appelle maintenant à la barre le Marshal Smoker.

Inconnu au bataillon pour Luffy, qui regarda l'échange de place se faire entre les deux hommes – le second appelé était un type à la carrure large et aux cheveux blancs, dont le visage mutilé était étranger au jeune homme. Il s'installa lourdement à la place du commissaire, faisant lui aussi grincer le siège mis à sa disposition, et fixa d'un air morose la foule présente dans la salle.

Peu engageant.

- Smoker, vous êtes le commanditaire engagé pour traquer le suspect jusqu'à son domicile. Pouvez-vous nous apporter un peu de lumière sur le déroulé de l'instant… ?

- Pas grand-chose à dire, grogna-t-il au travers de ses cigares éteints.

- Développez tout de même.

- Calme. Pas opposé de résistance. A gardé le silence.

- Où était-il ?

- Cuisine. Du sang partout, ajouta-t-il dans un autre grommellement.

Aokiji acquiesça, parcourant du regard les rapports et les photographies qui s'étalaient devant lui d'un air pensif, dans le silence absolu de la salle ; plongé en pleine réflexion, de toute évidence, à en juger le sillon de son front, la manière dont il se mordillait la lèvre, semblant chercher sa prochaine interrogation.

- … est-il… coutumier de faire intervenir les US Marshals dans l'appréhension d'un suspect… ?

Mihawk haussa un sourcil, et cette fois c'est sur son visage que Luffy crut apercevoir le reflet d'une satisfaction évidente – lui aussi semblait s'être posé la question, à voir la manière dont il fouilla ses dossiers pour en sortir une liasse de copies que Luffy ne parvint pas à lire, même par-dessus son épaule. Il devina des extraits de lois, au vu de leur forme et mise en page, mais pas leur nature.

Smoker sourit, lui aussi, et jeta un regard noir à Akainu assis quelques mètres plus loin.

- Non. Nous agissons au niveau fédéral.

- Foutaises, persifla Akainu, suivi d'une exclamation de la foule.

- Votre langage, Akainu ! rétorqua Aokiji d'un coup de maillet. Et révisez vos classiques… ! Smoker, pouvez-vous me citer le passage adéquat à la situation s'appliquant au suspect Monkey D. Luffy, je vous prie ?

- Titre 28, chapitre 37 du Code des États-Unis. Paragraphe 566, murmura l'homme aux cheveux blancs en s'adossant confortablement à sa chaise, bras croisés. Le procureur Général décide, après consultation des composés du Département de la Justice, de la pertinence de l'intervention d'un US Marshal selon l'aspect fédéral, étatique ou local de l'autorité compétente.

- Or, l'arrestation de Monkey D. Luffy aurait très bien pu se faire par le biais des forces locales, le FRET, si je peux me permettre, qui est tout à fait apte à mener ce genre d'arrestation… ? poursuivit Aokiji.

Smoker acquiesça, sous le regard d'un Akainu fulminant.

La subtilité de cet échange de lois échappait à Luffy, mais il en saisissait assez, à son niveau, pour comprendre que son arrestation comportait un vice de procédure relativement lourd, qui risquait de pencher en sa faveur, ou tout du moins d'alléger une partie des charges.

Mihawk l'avait mis en garde contre ce genre de remarques – Shanks avait de sérieux opposants politiques, notamment Akainu lui-même, et tous les coups seraient permis pour le faire tomber à travers cette affaire, qui s'avérait être une véritable aubaine pour ses détracteurs. L'intervention des Marshals était une bonne manière d'attirer l'attention, mais les erreurs de calcul n'étaient pas impossibles. Akainu avait certainement voulu quelque chose d'inouï qui attirerait les badauds, la discrétion et la finesse des Marshals n'étant ni leur point fort, ni leur but final. Ils avaient pour consigne de traquer, de trouver et d'arrêter le concerné, point. Le reste n'était pas leur business.

Et puis, encore plus remarquable que la mauvaise stratégie du commissaire, Aokiji mettait carrément les pieds dans le plat, exactement de ce que Mihawk désirait et qu'il n'aurait sûrement pas à faire durant sa plaidoirie : semer le doute dans l'esprit des jurés qui devaient déjà s'être fait une opinion sur cette affaire, dans un coin bien rangé de leur tête.

- Smoker, savez-vous qui a saisi le Procureur Général Gecko Moria pour cette mesure exceptionnelle ?

- Sakazuki Akainu. Reçu l'ordre de monter à l'assaut à 6 heures 12. Le temps de réunir mon équipe, suis parti pour le Marina District.

- Comment avez-vous organisé votre troupe ?

- Mon adjointe Tashigi. Avec six autres agents, dont deux spécialisés pour forcer une barricade et un sniper en couverture depuis l'extérieur.

Mihawk ne semblait pas être le seul surpris ; visiblement, huit Marshals semblaient être un nombre un peu trop important pour appréhender un jeune homme non armé au petit matin. Luffy interrogea son avocat d'un coup d'œil, qui lui répondit en griffonnant quelques mots sur un coin de son carnet. Les Marshals étaient moins de 100 à travers tout le territoire américain – mobiliser l'effectif de la Californie pour lui était ridiculement spectaculaire et inutile.

- Pas de tentative de fuite ? Vous êtes certain de ce que vous affirmez ?

- Pouvez interroger mes agents, rétorqua-t-il. Le gamin n'a pas bougé. Il s'est laissé coucher à terre, menotter, et embarquer en voiture. Moins de quatre minutes pour le dégager de là.

- Un dernier commentaire sur l'arrestation ? proposa le juge en lui jetant un regard appuyé.

Smoker prit le temps de la réflexion ; ses yeux clairs se posèrent sur Luffy, qu'il dévisagea un long, très long moment, circonspect. Pesant ses mots, évaluant les réactions de tout un chacun, mais restant focalisé sur le jeune garçon assis sur sa chaise, accusé du pire des crimes commis depuis une décennie.
Un bref instant, il se remémora le visage baigné de sang coagulé qui l'avait contemplé, quand il était entré dans sa maison, de la violence de son chagrin dans ses yeux bruns, des larmes sur ses joues quand ils lui avaient notifié ses droits.
Il en avait arrêté, des coupables, tout au long de sa carrière ; des monstres, des passionnés, des timbrés, des agités du bocal, bref, un échantillon peu reluisant de la société. Et force était d'admettre qu'il avait été perturbé par le gouffre béant entre la personnalité qu'il s'était imaginée, à en juger le résumé du meurtre par Moria, et celle qu'il avait découverte dans la villa du Gouverneur, semblant vulnérable, presque fragile au milieu de tout cet étalage d'hémoglobine.

- … Jamais vu un suspect aussi… résigné.

- Résigné ?

- Résigné, répéta Smoker sans lâcher Luffy du regard.

Il avait l'âge d'être son fils.

Plus proche du gosse traumatisé que du tueur de sang-froid.

Incompréhensible.

- Se débattent tous. Essayent de nous faire caner avec eux. Tentent de se suicider. Ils font tout pour s'échapper encore. Lui, non. … Docile.

Luffy jeta un regard à Shanks qui lui offrit un sourire rassurant, débordant d'affection ; il brisa le contact quand Mihawk le rappela à l'ordre d'un léger coup de genou, l'obligeant à reporter son attention sur Smoker qui se levait, congédié par le juge.
Sa voix lui était familière, à présent ; c'était lui, le canon sur la nuque ; la sécheresse du mouvement, quand il lui avait tiré les bras dans le dos pour l'immobiliser et le menotter. Ce raccord brutal avec la réalité qui le rattrapait, dans tous les sens du terme.

Des murmures s'élevèrent, faisant suite au silence pesant qui avait régné ces dernières minutes, sans qu'Aokiji ne semble y prêter un quelconque intérêt, plongé dans l'examen de ses dossiers. Mihawk demeurait silencieux, feuilletant ses prises de notes, les agrémentant de commentaires. Luffy n'osait ni bouger, ni lui demander quoi que ce soit, ignorant totalement s'il lui était possible de prendre la parole, ou s'il n'y serait autorisé qu'une fois à la barre, pour entendre les accusations de Sadi.

Cette attente lui semblait insupportable ; il voulait en finir, arrêter là, ne pas entendre ce qui allait immanquablement venir. Rester dans sa cellule, jusqu'à ce qu'on vienne lui annoncer qu'on lui laissait le choix entre l'injection létale ou la chambre à gaz. Abandonner, rien qu'une fois, s'autoriser à lâcher prise pour que l'éternel cache-cache qu'était sa vie cesse enfin.

Il était… fatigué, encore une fois, encore un peu plus, même.

Il se frotta les yeux, sentant le poids de ses nuits blanches peser un peu plus sur ses épaules ; ses idées fuyaient, semblaient lui échapper comme l'eau vous file entre les doigts, le rendant incapable de monter le moindre raisonnement cohérent. Ce mélange d'aphasie et d'excitation l'épuisait.

- … J'appelle à présent Camie, lança Aokiji en choisissant un dossier parmi la pile. À la barre, s'il vous plaît.

Un raclement de chaise résonna dans la salle, des pas se firent entendre sur le parquet, et une longue silhouette apparut à la vue de Luffy, un peu plus loin sur la droite. Une très jeune femme, son âge environ, au visage lunaire et aux cheveux émeraude, traversa la pièce et alla s'installer sur la chaise avec bien plus de grâce que ne l'avait fait Smoker, un peu plus tôt.
Elle avait l'air mal à l'aise, sous sa détermination apparente, et Luffy se demanda quel était son rôle dans cette histoire dont il ne savait rien de plus que ce que le procès voulait bien lui dévoiler.
Aokiji lui offrit un sourire aimable, chaleureux, même, ne faisant que conforter Luffy dans ce qu'il pressentait : elle était jeune, elle aussi, comme lui.

- Je vous laisse vous présenter, et nous dire comment vous avez participé à l'enquête menée par votre supérieur, Akainu.

- Je suis technicienne criminelle au laboratoire de San Francisco. C'est moi qui ai réalisé les analyses biologiques et la dactyloscopie sur les objets ayant servi au crime, et sur les prélèvements envoyés par le médecin légiste, Silvers Rayleigh, sourit-elle au juge.

- Comment avez-vous travaillé sur ces objets ?

- Avec des écouvillons, d'abord. Sur chaque face de la poignée, la pièce 3B, et même chose sur la ceinture, la 3D. J'ai aussi coupé un morceau de son tissu pour étudier la traction sur le cuir. Pour les empreintes, tout à la poudre, c'était tellement net que le travail a été plutôt rapide…, soupira-t-elle.

Mihawk examina les photographies prises par la technicienne, Luffy lorgna dessus et frissonna en voyant le sang encore frais, à cet instant, sur les objets en question. Les mêmes clichés furent montrés au jury, qui les contempla longuement, attendant que Camie ait repris son dialogue.

- Sur la ceinture, j'ai retrouvé des cellules de peau au niveau de la boucle, et aux endroits où Luf– où le suspect, je veux dire, avait tenu le cuir, bredouilla-t-elle. Je les ai séparées de la fibre avec un milieu aqueux et–

- Cela a-t-il une influence sur l'analyse ADN ?

- Non, pas du tout. Les nucléotides qui composent l'ADN n'y sont pas sensibles. Elles vont se séparer, mais la technique d'analyse qui permet l'identification les réassemblera naturellement.

Aokiji hocha la tête, prenant toujours note, à la manière de Mihawk ; vif et concis, sachant parfaitement où aller, visiblement. Il l'invita à poursuivre d'un hochement de tête, l'enjoignant au passage de s'adresser également à la salle et aux jurés. Le sujet était ardu, Luffy lui-même ayant du mal à capter tous les termes dont il était question.

- Et donc… ?

- J'ai lancé l'analyse qui permet la lecture du code génétique de l'individu examiné. Plus il y a de cellules, moins l'on a besoin de copier les séquences d'ADN, il y en avait énormément ici, et j'ai pu gagner un peu de temps sur le timing prévu.

- Le timing prévu… ?

Camie piqua un fard, Akainu leva les yeux au ciel et secoua la tête, dépité.

- … Akainu voulait que les analyses sortent au plus vite, j'avais une douzaine d'heures pour générer un résultat, alors… c'a été un peu tendu, mais j'ai réussi à réaliser les deux études. L'un pour la victime, l'autre pour le suspect.

- … C'est noté. Reprenez, s'il vous plaît.

- Une fois l'analyse terminée, j'ai pu lancer un second système analytique qui permet de lire des… je ne sais pas si je dois aller dans le détail, s'excusa-t-elle. Pour faire simple, je peux lire des pics sur un gel où des molécules ont migré sous impulsion électrique, et dire si l'ADN du meurtrier correspond à celui du suspect appréhendé.

- Quels prélèvements vous sont parvenus, concernant Monkey D. Luffy ? lança Sadi depuis sa place.

- … je ne comprends pas la question.

Aokiji fouilla un instant dans un des nombreux classeurs qui ornaient son bureau et en sortit une liste, qu'il parcourut du regard.

- Vous avez reçu, au laboratoire, des prélèvements du médecin légiste, ceux effectués par vous-même sur les objets ayant entraîné la mort de la victime, et ceux fournis par les agents de police responsables de l'interrogatoire du suspect. C'est bien cela ? poursuivit l'avocate.

- … hum, oui, c'est ça.

- Je voudrais connaître l'essence des prélèvements, et que vous puissiez expliquer au jury si la différence de nature du fluide jouerait sur le succès de l'identification ou non.

Luffy n'aurait pas su dire pourquoi, à cet instant, mais la question fit résonner une logique désagréable dans son oreille ; une pensée, qu'il tenta d'étouffer au mieux, tâchant de dissimuler l'accès de panique qui faisait battre son cœur plus vite.
Camie sembla réfléchir, non pas à la nature profonde de la question, mais à la manière dont elle pouvait présenter les faits de la manière la plus directe possible, sans être pour autant dénuée d'émotions.

- Concernant les prélèvements réalisés sur Monkey D. Luffy lui-même… le strict minimum. De la salive, ses empreintes, et une prise de sang. C'était largement suffisant pour moi pour faire les comparaisons ensuite. Pour ce qui est des demandes faites par le médecin légiste, j'ai reçu du sang de Néfertari Vivi, des cellules épithéliales récupérées sous ses ongles, et du sperme, qu'il a également prélevé dans le corps de la victime.

Statufié, Luffy resta abasourdi, ses yeux rivés sur Camie, sans même vraiment la voir, trop sidéré par ce qu'il venait d'entendre, et qui suggérait bien pire, à ses yeux, que tout ce qu'il avait pu imaginer avec les armes retrouvées sur place.
Oubliant discrétion et bienséance, il se tourna vers sa famille et ne trouva que des visages fermés, baissés vers le sol ; celui de Sabo était dissimulé derrière ses longues mèches blondes, invisible à son regard, et Shanks avait l'air… dévasté. Pour lui comme pour eux, c'était la goutte de trop.
Ce qui faisait basculer Luffy un peu plus bas dans sa propre estime, et le confortait dans l'idée qu'il fallait mettre fin à tout ça le plus vite possible.

- L'ADN de Monkey D. Luffy se trouvait à chaque point de prélèvement, et sans le moindre doute ; les résultats sont sans appel, je n'ai pas eu à lancer de confirmation, ou à augmenter le nombre de séquences génétiques. Qu'il s'agisse de fluide sexuel ou de cellules de peau, les pics correspondaient parfaitement entre l'analyse sanguine du suspect et les cellules corporelles lui appartenant.

- Vous n'avez aucune incertitude concernant les résultats que vous avez générés ?

- Aucune ambiguïté. Il s'agit bien de la même personne, c'est… indiscutable, murmura-t-elle au micro.

- Merci, Camie. Vous pouvez disposer, conclut Aokiji.

Du fond de la salle, à droite, Luffy sentait les regards meurtriers des parents de Vivi, qui semblaient le transpercer de toutes parts ; leurs yeux hurlaient vengeance, même s'il les évitait, et de tout leur être émanait cette haine innommable, pénétrante, paraissant capable de le fusiller tant elle le torturait.

C'était mille fois mérité, mais au-delà de ça…

… Luffy savait aussi que c'était profondément injuste. Comme Shanks, Nami, Sabo… Eux seuls savaient de quoi il retournait, mais c'était une bien maigre consolation comparé au reste du monde qui le voyait comme une raclure bonne à être éliminée de la surface de cette terre.
Savoir qu'autant de personnes souhaitaient le voir mort le brisait plus que tout le reste ; mais comment leur en vouloir d'envisager les choses ainsi, quand il savait pertinemment que rien n'allait en sa faveur ?

- Je voudrais que cette séance se termine par–

- Comment ça, « cette » séance, vous ne comptez pas conclure l'affaire ce soir ? s'exclama Akainu.

Aokiji releva la tête de son bloc-notes et haussa un sourcil entendu dans sa direction, rapprochant légèrement son micro de lui-même, ses yeux bleus, couleur de glace, ancrés dans les siens.

- … Sakazuki Akainu, seriez-vous par hasard actionnaire majoritaire de San Quentin ? murmura-t-il.

- Je ne vois pas le rapport.

- Répondez, ou je déclare une offense civile.

- … non, votre Honneur, je ne suis pas actionnaire de cet établissement, marmotta-t-il.

- Votre salaire comprend-il une part variable qui vous est reversée en fonction du nombre d'inculpations prononcées en votre sens par ce Tribunal… ?

- … non, votre Honneur.

- Alors taisez-vous.

Tous avaient suivi l'échange comme des passeurs auraient suivi un échange de balles, mais aucun commentaire ne s'éleva à la suite de cette intervention, chacun préférant ignorer la tension ambiante à sa manière.

- … je disais donc, reprit le juge, que je désirais clore cette séance par l'entremise de Silvers Rayleigh, le médecin légiste du comté de la baie de San Francisco. Je l'invite à nous rejoindre dès à présent.

Luffy se retourna, juste à temps pour voir Rayleigh donner un imperceptible clin d'œil à Shanks – pas de malice, dans ses yeux, juste un soutien discret ; lui ne le connaissait pas, mais visiblement, son père et le légiste semblaient être en bons termes. Au moins quelqu'un dont les explications seraient neutres, à la manière de Camie.

Il s'installa derrière la rambarde, ajusta le micro à sa hauteur et lissa la cape argentée sur ses épaules – influencé ou non par ce qu'il avait entrevu, Luffy l'apprécia aussitôt, tant par le calme qu'il dégageait que par l'aspect apaisé de ses traits. Il avait la certitude, sans savoir comment, que le jeu ne se terminerait pas à 0 contre 1, et ce grâce à cet homme.

Mihawk lui-même ne semblait pas mécontent de le voir, même s'il n'affichait rien ouvertement, avocat et personnalité propre obligent.

- Rayleigh, depuis combien de temps exercez-vous au sein du gouvernement comme médecin légiste ?

- Mmn… 35 ans, environ. J'ai cessé de compter, je crois.

- Pouvez-vous présenter votre étude sur le corps de Néfertari Vivi ?

- Le corps m'est arrivé au petit matin pour l'autopsie, j'ai pris mon service à 6 heures ce jour-là. Le commissaire Akainu m'a demandé de traiter cette affaire en priorité et c'est ce que j'ai fait. L'autopsie s'est déroulée en deux temps, avec un examen externe puis interne de la victime.

Luffy écouta, en silence, les nombreuses explications de Rayleigh ayant permis d'identifier la victime avant même que les résultats sanguins ne lui parviennent. La taille et le poids, la couleur de la peau, la présence ou absence de signes particuliers comme les tâches de naissance, la disposition singulière d'un amas de grains de beauté, les cheveux bleus vifs, les yeux clairs, qu'il imaginait dénués de vie, loin de l'étincelle qu'ils devaient arborer avant qu'il ne lui retire ce qu'elle avait de plus précieux.

- Le corps présentait des contusions aux quatre degrés existants, allant de l'ecchymose au broiement ; j'ai constaté de multiples fractures avec décoloration, doigts, poignets, bras, jambes, côtes, ainsi que des torsions anormales des membres supérieurs et inférieurs ayant conduit à des ruptures aux points de pliage, poursuivit-il en balayant la salle du regard, croisant même parfois le regard des parents de Vivi.

Assurément, il fallait un certain degré de détachement quand il était question d'exercer ce métier, et Luffy ignorait comment cet homme parvenait à décrire de manière si scientifique les conséquences directes d'un meurtre aussi sauvage que celui qu'il était chargé de démontrer. En toute logique, ce n'était pas la première fois qu'il assistait à ce genre de scène, mais là où Camie n'avait droit qu'à l'aspect indirect de l'assassinat, en se basant sur des données physicochimiques rapportées et reliées par un numéro d'affaire et deux noms sur une feuille blanche, Rayleigh, lui, était en plein dedans.

- J'ai découvert des excoriations au cou, sous forme d'abrasion, et dans la région buccale. Un visage présentant un aspect congestif, également, un grand nombre de pétéchies sclérales et conjonctivales disséminées jusqu'aux tempes. Toutes étaient de nature ante-mortem.

- Ante-mortem ?

- De nature vitale, je veux dire. Infligées avant la mort du sujet. J'ai aussi noté le peu de mobilité cervicale, sur laquelle je reviendrai un peu plus tard. La bouche, elle, présentait un parcheminement anormal, dû à une déshydratation extrêmement rapide.

- Quelles étaient vos conclusions à cet instant de l'autopsie ? s'enquit Aokiji, alors que les photographies défilaient parmi les jurés.

Luffy se sentit… sale. Gêné. Humilié.

Ce n'était pas de son corps dont il était question, mais c'était tout comme.

Les clichés dévoilaient impudiquement le corps de Vivi comme s'il s'était agi d'un mannequin quelconque, anonyme, plus morceau de viande que feu être humain doté de vie et de conscience. D'émotions. De rêves.

La nausée qui le tenaillait n'était pas près de trouver le repos, il en était pleinement conscient – et il l'acceptait.

- Strangulation, sans hésitation. Mais non manuelle, comme me l'a confirmé Camie avec les résultats, et en me fournissant la ceinture du suspect. Les traces à la gorge sont sans appel, comme on peu le voir sur les photographies, cette jeune femme a été étranglée avec la ceinture. À en juger les poches sanguines en ligne le long du larynx, le suspect a croisé la ceinture sur sa gorge et a exercé une traction bilatérale. D'où le parcheminement et les écorchures de la bouche, conséquences des cris et de la suffocation.

Luffy n'osait même pas regarder en direction de Cobra et Titi, mort de honte.

Savoir qu'il était à l'origine de la mort de quelqu'un était une chose, en imaginer chaque instant en était une autre. C'était lui, c'étaient ses mains qui avaient engendré ça, et il se devait de l'assumer, mais songer à la souffrance du couple Néfertari était pire que tout : le calvaire de Vivi était terminé, le leur ne faisait que débuter.

- J'ai procédé à un examen interne de l'appareil respiratoire, cette fois-ci, en pratiquant une incision du muscle digastrique à la trachée, poursuivit l'homme, en guise de commentaire sur les images affichées par l'agent de police. J'ai observé un refoulement de la paroi postérieure du larynx contre la base de la langue, qui a confirmé mon hypothèse de strangulation, sans compter cette raideur dans le cou qui ne venait qu'étayer ma théorie. Avant cet acte qui a sans doute aucun entraîné la mort, des plaies ont été faites sur le corps à l'aide d'un instrument de type tranchant et piquant. Vingt-trois, très exactement. En précision, j'apporterai qu'on parle bien de section pour les plaies, malgré leur absence de netteté et leurs bords irréguliers.

- Vis-à-vis de l'arme improvisée retrouvée près de la victime ?

- Elle correspond tout à fait. Les plaies sont profondes, larges, pas de rigueur ou de plan précis appliqués pendant l'agression, le meurtrier a agi sous l'impulsion du moment. On voit plusieurs niveaux de pénétrations à l'incision des muscles pour examens, accompagnées d'hémorragies avec infiltration des tissus, et coagulation in situ.

- Coagulation, vous dites ?

- La torture de la victime a duré suffisamment longtemps pour que le processus de coagulation se mette en place, en effet.

Quelques murmures résonnèrent dans la pièce, audibles mais quelques-uns incompréhensibles, et Luffy garda obstinément le regard rivé sur Rayleigh, ignorant les coups d'œil en coin du jury et les insultes soufflées par la famille Néfertari.

« Retour de flamme. Je ne mérite rien d'autre, de toute manière. »

- Parlez-moi des blessures, s'il vous plaît.

- … C'est là que mon analyse touche ses limites, votre honneur.

- Et je m'en doute parfaitement, à en voir les photographies, rétorqua Aokiji. Allez-y, dissertez. De manière un peu plus technique, je vous prie.

Rayleigh sembla réfléchir, lui aussi – il avait déjà parfaitement conscience que son jargon ne facilitait pas la compréhension et qu'il était à la limite de perdre quelques personnes de l'assistance, mais c'était un ordre direct du juge, à lui de méditer et de trouver la meilleure tournure.

- Profondeur maximale de 10 centimètres à certains endroits.

- … dix centimètres, vous dites ?

- Absolument. Ce qui, en soit, dénote une force… assez... curieuse.

- Laquelle ?

- Je ne pense pas me lancer dans une dissertation sur les calculs de force, et un tas de facteurs entrent en jeu–

- Développez, insista Aokiji.

D'un soupir, Rayleigh se repositionna sur sa chaise, prenant une pose bien plus confortable, au vu de la longueur de l'explication qui l'attendait. Mihawk lui-même réajusta sa position, et à en juger le bruit derrière lui, Luffy devina que Shanks faisait de même.

Pour sûr que cette partie l'intéressait, lui aussi…

- Néfertari Vivi, d'abord. Une jeune femme en pleine santé, un mètre soixante-cinq, soixante kilos, corpulence normale. Mince mais sportive, j'ai appris qu'elle pratiquait le tennis en club et la gymnastique à raison de six à huit heures par semaine. Ces sports-là donnent un excellent tonus musculaire et un gainage incroyable, surtout chez une jeune fille comme elle, souligna-t-il. Et maintenant, visualisez notre suspect, Monkey D. Luffy. Un mètre soixante-quatorze, soixante-huit kilos d'après son dossier. Athlétique, mais à des années-lumière des sportifs à haut niveau.

Il désigna le jeune homme qui sentit tous les regards converger dans sa direction ; rougissant, il détourna le regard, préférant fixer les lambris du mur plutôt que d'affronter la curiosité malsaine de ce groupe.

Où est-ce qu'il cherchait à en venir, avec cette démonstration ?

- Sans vouloir être insultant, Monkey D. Luffy et Néfertari Vivi n'étaient pas si différents, physiquement. On est dans un rapport de forces qui n'a ni de gagnant, ni de perdant défini. Partons du principe que Luffy est un jeune homme dans la norme ; dans le tirant, sa force dynamométrique, convertie, est d'environ… 38 kilos. C'est une moyenne, je ne compare pas à des chaudronniers qui peuvent atteindre jusqu'à 15 tonnes à la frappe du marteau… Et là, évidemment, il n'est pas question de marteau, mais d'un objet qui n'est ni une lame, ni une hache, ni un pic, ni quoi que ce soit qui puisse paraître agressif. Il s'agit d'une poignée, avec arêtes tranchantes certes, mais qui n'est pas conçue pour l'utilisation que le meurtrier lui a conférée. Imaginez un peu la force qu'il a fallu pour transpercer la peau, la chair, les muscles, et aller jusqu'à érafler l'os, avec un objet dont ce n'est ni le design, ni la fonction… ? La densité du derme humain est évaluée à… environ 1,20 à 3,10 MPa, et 3,10 à 9,70 kPa pour l'hypoderme. Nous sommes faits pour résister à de nombreuses agressions extérieures, et cette poignée n'aurait jamais dû induire de telles blessures, dans une utilisation… normale, si j'ose dire. Au vu du siège des infiltrations sanguines, le sang s'est infiltré d'une manière bien particulière, et j'en déduis que les coups ont été portés ainsi, expliqua-t-il en mimant un coup précis, attirant l'attention de Mihawk qui plissa les yeux et prit une note.

- … vos conclusions ?

- Il a fallu une force incroyable pour réussir un tel tour. Sans compter que Monkey D. Luffy n'est pas un forgeron, et que de son côté, Néfertari Vivi n'est pas une fillette fragile.

- … alors, pour vous, ça ne peut pas être Luffy ?

- Je n'ai pas dit ça. Mais c'est… difficilement probable, si on se base uniquement sur les preuves mécaniques, et non pas biologiques.

- Je prends note. Revenez aux examens physiologiques, s'il vous plaît, Rayleigh.

Luffy avait un mal fou à suivre ; il se sentait… dépassé par toutes les informations lancées par le scientifique, et même s'il comprenait vaguement – à travers le brouillard qui s'insinuait peu à peu dans chaque recoin de son crâne qui lui semblait en pleine ébullition – de quoi il retournait, il avait la sensation d'être à des kilomètres de cet endroit, de ces dialogues, de ces expertises.

Soit.

Mais tout était foutu en l'air par son ADN, alors, à quoi bon… ?

- J'ai procédé à l'observation de l'abdomen et des membres supérieurs. Présence d'hématomes multiples au niveau des côtes et des biceps, signes de contention forcée aux poignets, écorchures sur la zone pectorale, pelvienne et palmaire.

- Dues à… ?

- Il l'a très certainement traînée au sol, soupira Rayleigh en retirant ses lunettes pour les frotter d'un coin de tee-shirt. Les prélèvements réalisés par les techniciens sur la scène de crime ont montré la présence d'un très grand nombre de cellules dermiques sur les gravillons, ce qui abonde dans le sens de mes conclusions.

- Poursuivez.

- Ecchymoses sur l'intérieur des cuisses, principalement en long des adducteurs, jusqu'au vaste du genou. Elongation manifeste des muscles supérieurs, et torsion des articulations coxo-fémorales. Présence également de lésions traumatiques sur la zone du périnée et rupture utérine. Il y avait également d'importants saignements vaginaux et anaux avec coagulation in situ, comme cité précédem–

Cobra eut un haut-le-cœur et Rayleigh s'interrompit quand Aokiji leva la main, ses yeux rivés sur le couple dans une expression indéchiffrable – préoccupation masquée, peut-être.
Pour Luffy, les descriptions prenaient un tour tellement… détaché, cartésien, qu'il lui était difficile de se projeter dans ce qu'elles impliquaient.

Il se sentait…
… ailleurs.
Comme s'il ne s'agissait ni de lui, ni d'elle, mais de quelqu'un d'autre totalement extérieur à ce crime, à cette salle, à ce public. Loin de cette scène sur laquelle il jouait désespérément sa vie.

- … avez-vous d'autres précisions de cette nature à apporter, Rayleigh ?

- Non, je pense avoir fait le tour. Si je dois résumer mon analyse vis-à-vis des plaignants, je me contente de conclure que la victime a été violée, torturée puis étranglée à mort avec l'article 3D, et que de facto aucune blessure infligée par l'arme 3B n'a été mortelle.

- Merci, Rayleigh, vous pouvez disposer, murmura Aokiji en refermant le dossier ouvert devant lui. Je suspends donc cette séance jusqu'à 16 heures, heure à laquelle elle reprendra pour débuter le contre-interrogatoire des experts par la défense. C'est pourquoi je prie tous les intervenants de demeurer à disposition de la Cour pour toute intercession qui leur sera demandée. Merci pour votre écoute, conclut-il d'un coup de maillet.

L'écho résonnait encore quand Mihawk se leva, sans accorder un regard à Shanks, saisissant Luffy par le bras pour l'emmener immédiatement vers l'entrée, escorté par un des agents sous le regard perplexe d'Aokiji ; le jeune homme se laissa faire, trop surpris par cette marque de familiarité pour lui demander quelle mouche l'avait piquée.

La porte claqua derrière eux et Mihawk le poussa jusqu'à une salle annexe, réservée aux entretiens privés entre avocat et accusé, intimant l'agent de rester à l'extérieur avant de fermer le battant avec la même force, loin d'être préoccupé par la retenue exemplaire qu'il avait observée jusque-là.

D'une pression sur l'épaule, il obligea Luffy à s'asseoir sur la chaise la plus proche, laissant lourdement tomber sa mallette sur la table pour l'ouvrir dans un claquement sec, faisant tressaillir l'adolescent toujours menotté et recroquevillé sur sa chaise.

Peut-être lui en voulait-il, finalement… ? Pour… pour tout ça. Pour tout ce qu'il avait entendu, vu, imaginé. Peut-être même avait-il l'intention de dire à Shanks que son fils était un putain de dégénéré et qu'il fallait le laisser se faire mettre à mort, pour le bien de la société, du monde entier… ?

Mihawk sortit deux feuilles de papiers et un stylo, qu'il plaça sèchement devant lui, ses yeux d'or rivés dans les siens.

- Écris, ordonna-t-il.

- … que… quoi ?

- Écris, répéta-t-il en croisant les bras, désignant le stylo du menton. N'importe quoi, ce qui te vient à l'esprit. Mots, chiffres, ponctuation. Écris.

- … je saisis pas le–

- Écris ! s'écria Mihawk, agacé.

Luffy tressaillit et s'empara du stylo, s'efforçant de maîtriser ses tremblements.

Écrire.

D'accord.

Ça, il était capable de le faire.

Il ajusta la feuille devant lui et traça les premiers mots qui lui venaient à l'esprit : sa dernière conversation avec Shanks à propos de son avenir professionnel. Son job prévu pour l'été à venir, barman dans un des cafés de la ville, horaires de nuit pour avoir l'opportunité d'avoir un meilleur salaire. La joie de Shanks, qu'il ait pu trouver quelque chose qui lui plaisait, sa confiance et l'espoir qu'il mettait en lui. Savoir qu'il ne lui mettait pas la pression pour se hisser au niveau de Sabo et Nami, tous deux très scolaires, et qu'il voulait juste qu'il soit heureux et s'épanouisse dans ses projets, rien d'autre.

Le souvenir lui arracha un sourire doux-amer, rappel de ce qu'avait été sa vie avant qu'il ne commette l'irréparable, une fois de trop. Arrivé au bout de son paragraphe, il releva la tête vers Mihawk et lui tendit timidement le papier et le crayon, mais l'avocat secoua la tête.

- Main gauche.

- … c'est-à-dire… ?

- L'autre feuille. Inscris n'importe quoi, ce qui te vient. Main gauche.

Luffy s'exécuta, cherchant un long moment comment se dépêtrer de tout ça, entre les menottes qui l'encombraient, la feuille bizarrement inclinée, le stylo qui ne lui semblait pas à sa place entre ses doigts – à dire vrai, il n'avait jamais été tenté par un essai d'écriture par la main gauche. Il eut un sourire en voyant se dessiner une écriture vaguement enfantine, très patte-de-mouche, secoua la tête en songeant qu'il n'était déjà pas un graphiste en devenir, alors de cette main-là, autant ne pas envisager la moindre carrière.

Il massa son poignet endolori, reprit sa ligne ; brouillonne, en biais, ridiculement penchée.

- … Je vois pas le point de tout ça, Mihawk, murmura-t-il en lui jetant un regard à la dérobée.

- Contente-toi d'écrire. Tu verras ça ce soir. Et tu te tais, à ce sujet.

Directif.

Il avait une idée bien précise en tête et, de la même manière que Mihawk aurait aimé être dans son crâne pour comprendre comment il en était arrivé à massacrer une jeune fille de la manière la plus ignoble qui soit, lui aussi aurait aimé pouvoir lire ses pensées, et savoir ce qui se tramait en lui.

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Réponses aux guests :

Yuh : Hello ! Promis, les réponses vont venir, et les raisons d'être de Law dans cette fiction aussi... et là, on pourra parler du sujet de manière ouverte ! Le passé de Luffy sera abordé dans l'histoire, mais tu penses bien que ça ne se fera pas tout de fuite, fufu... Merci beaucoup, à très vite ! _o/

Nina : Hey ! Toutes les questions auront une réponse, et à partir de ce moment-là la prise de tête sera terminée, la fiction avancera doucement ;) Le fait qu'il ait été adopté sera abordé, même si pour l'instant cette histoire sera laissée de côté au profit du présent. Oui, je vais aller camper au pied du Tribunal pour attendre la sortie d'Akainu et lui balancer des trucs à la tête, tu te joins à moi ?! Merci pour ta reivew, à la prochaine !

Crow : Bien le bonsoir, chère Crow~ Comme je disais plus haut à une autre guest, la partie orphelinat ne sera pas sans revenir sur le tapis, c'est certain... Je ne peux pas ne pas faire apparaître Ace dans une fiction, alors il fera bien partie de l'histoire, mais reste-t-il à venir ou s'est-il déjà indirectement manifesté...? Je reste silencieuse pour le moment, héhé. J'adore Fred Vargas, notamment dans "L'homme à l'envers", mais je n'avais pas encore lu ce livre que tu cites, il a l'air génial, comme les autres ! Hé oui, il y aura encore beaucoup de personnages à venir dans la suite de la fiction, et notamment d'interactions avec Luffy... Merci pour cette analyse et tes ressentis, c'est un plaisir de te lire ! À bientôt !

Mae : Olà ! Ne t'en fais pas, le lectorat de l'ombre est aussi le bienvenu :) Merci à toi pour tous tes compliments, c'est tout ce dont mon intellect a besoin pour continuer à carburer. J'aime bien ta théorie qui concerne l'univers psychiatrique, pour le moment je reste silencieuse à ce propos et c'est la fiction elle-même qui répondra à tout ça, en temps voulu... et ça arrivera vite, le doute ne subsistera pas indéfiniment sur ce sujet, fufu. J'espère te revoir bientôt, et surtout que la suite te plaise et réponde à tes attentes ! Merci encore, à une prochaine !

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Je prends un petit break annuel (oui, ça m'arrive...) et je vous dis à début septembre ! Le profil sera mis à jour :) Je vous souhaite à tous et toutes un excellent été !