Ohayo mina !
Tout d'abord : bonne rentrée à tous ! J'espère que l'été a été clément, que vous soyez restés dans notre bonne vieille France ou que vous ayez lâchement abandonné la Mère Patrie pour vous exiler ailleurs...
Le chapitre va continuer sur la même lancée que le précédent, avec toujours quelques descriptions de type "limite-limite", mais vous en avez vu d'autres en faisant vos dissections au collège... non ? Vraiment ? Navrée :D
J'avais fait une énorme boulette dans le chapitre précédent, dans le récit de Nico Robin (confusion bus/voiture) ; merci à ce [vieux] fourbe de Sinasta de me l'avoir signalée, c'est corrigé !
Le rythme des parutions bimensuelles reprend... reprend son rythme, ouiiii, bravo Harlem, j'ai les idées claires, ça promet...
Je vous souhaite une très bonne lecture, et...
Enjoy it !
Chapitre 5 :
Jour 4. Angoisse.
Mihawk faisait les cent pas, devant le Tribunal.
Anxieux, comme rarement il l'avait été dans sa vie ; il avait reçu un nombre indécent d'appels de Shanks, tout au long de la journée, mais s'était abstenu de décrocher ou d'émettre le moindre commentaire – il préférait garder le silence pour ne pas se porter la poisse, conservant une ultime carte dans sa manche pour le contre-interrogatoire.
Il était impensable qu'il puisse perdre : c'était la tête du fils de son meilleur ami qui était en jeu et il savait que Shanks ne se remettrait jamais de perdre son petit dernier, et au diable ces histoires d'amour paternel défectible quand il s'agissait d'adoption – il l'aimait tout autant qu'il aimait Sabo et Nami.
Mihawk savait aussi qu'il n'arriverait jamais à le disculper, pour avoir compris dès le début que Luffy était indéfendable, mais il pouvait lui éviter la peine de mort.
Il pleuvait des cordes, à présent : sa montre indiquait 15:40, fait rassurant quant à l'horaire de reprise de l'affaire telle qu'ordonnée par Aokiji, et angoissant, car tout allait se jouer sur cette minuscule demi-heure, peut-être la seule décisive de ce procès.
Mihawk songea à Luffy, retourné dans la cellule qui lui était réservée entre deux séances, son refus de s'alimenter et de dormir – peu de coupables pouvaient se targuer de se faire écraser sous tant de culpabilité, et Dieu seul savait à quel point il en avait vu défiler, au cours de sa carrière. Sans être particulièrement croyant, il se surprit à psalmodier souhait sur souhait, tous se résumant à un vœu plus ou moins formulé : que Shiryu se pointe avant l'ouverture de la séance de contre-interrogatoire, ou bien Luffy était fichu.
Impossible de joindre personnellement ce géant démesuré, obligé de passer par sa secrétaire, Domino, qui n'avait pas l'air de vouloir déranger son supérieur pour cette affaire-ci : elle faisait trop de bruit, et y intervenir de quelque manière que ce soit risquait d'être mauvais pour la personne qui tenterait d'interférer, en bien ou en mal. Mihawk avait dû se contenter d'insister, laissant son numéro pour que Shiryu le rappelle, mais la probabilité pour qu'il le fasse était de l'ordre de la chance accordée par une loterie.
15:45.
Sur les marches, sous le parapluie couleur mandarine, Nami, Sabo et Shanks esquivaient les journalistes amassés dans les escaliers ruisselants d'eau, se faufilant entre les caméras et autres micros sans faire le moindre commentaire, évitant soigneusement de croiser l'objectif du regard. Shanks lui jeta un regard par-dessus son épaule, mais Mihawk conserva son stoïcisme – inutile de donner de faux espoirs en leur forçant à attendre, comme lui, une réponse qui ne viendrait probablement jamais.
Un cordon d'agents de police se forma à quelques mètres des portes, empêchant les chroniqueurs d'avancer plus, laissant quelques instants de répit à la famille avant que le battant ne se referme derrière eux pour les laisser rejoindre la salle d'audience. Mihawk reporta son attention sur la route en contrebas, le cœur battant à tout rompre, ses yeux dorés arpentant les trottoirs qui s'étendaient au loin, cherchant du regard la silhouette si reconnaissable de celui qu'il attendait désespérément… et ô combien il détestait être dépendant du bon vouloir de ce type.
15:50.
La pluie s'infiltrait dans ses longs cheveux noirs, gouttant le long de sa nuque, s'insinuant dans sa chemise, trempant ses épaules et son visage désormais ruisselant d'eau – c'était le dernier de ses soucis, à ce moment-là. Il était dans un tel état de nerfs qu'absolument tout lui passait par-dessus la tête, semblant si insignifiant à côté de ce qui se jouait en ce moment… Chaque pensée, chaque retournement de situation potentiel semblait lui percer le crâne avec la précision d'une aiguille, creusant un sillon supplémentaire, laissant ses idées s'y engouffrer comme le ferait le torrent d'une rivière, mais bien trop vite pour qu'il prenne le temps de les analyser : parce que ce temps était, dans cette partie tout du moins, le pire ennemi qu'il ait jamais eu à combattre.
Il jeta un autre coup d'œil à sa montre, nerveux : 15:55 ; Aokiji allait prononcer la réouverture de la séance d'un instant à l'autre, et si sa carte maîtresse ne se pointait pas rapidement, Luffy n'aurait plus qu'à attendre les semaines qui allaient le séparer de sa mort programmée.
Une voiture s'arrêta dans un crissement de freins humide au bas des marches de pierre blanche, sa portière arrière s'ouvrant sur une montagne vêtue d'un costume sombre, sous une gabardine immaculée au col montant. L'homme jeta son cigare sur le sol, l'écrasant du talon avant de claquer sa portière et de faire signe au chauffeur de démarrer. Aussitôt, ses yeux noirs trouvèrent ceux de Mihawk, et un sourire retors étira le coin de ses lèvres.
- … il nous reste moins de cinq minutes, marmonna l'avocat en désignant le Tribunal. Sérieusement, Shiryu… ?
- Tout doux, Hawkey, railla-t-il en ajustant son képi sur son front. Tu m'as demandé un boulot d'une semaine et je l'ai fait en 2 heures, ne viens pas me prendre la tête. Et si quelque chose te déplaît, je peux encore repartir.
- J'ai tenu les chiens de la presse loin de tes affaires pendant presque cinq ans, rétorqua Mihawk en montant les marches à ses côtés, se frayant un chemin parmi les journalistes. Tu m'en devais une, et de loin.
Shiryu garda le silence, mais l'inclinaison de son menton indiqua à Mihawk qu'il avait toute son attention, désormais ; ils entrèrent dans le Tribunal, traçant droit vers la salle dont la porte était encore ouverte, donnant sur le silence d'une assemblée qui semblait presque plus dense qu'au petit matin. Quelques regards se tournèrent vers eux, mais pas celui de Luffy, que Shiryu considéra d'un regard quasi-railleur. Dans un murmure, il demanda à Mihawk si c'était ça le monstre sanguinaire et vicieux dont tout le monde parlait, et l'avocat se contenta d'acquiescer sans un mot, traversant la salle en direction du juge afin de lui déposer le dossier lui permettant de faire intervenir sa propre contre-expertise – Aokiji toisa Shiryu d'un regard pour le moins parfaitement clair : il ne lui faisait pas confiance. Et qui lui faisait confiance, d'ailleurs, dans cette ville ? Mihawk sentait le regard perçant de Shanks sur sa nuque, mais il décida de garder le silence à ce propos, encore une fois, avant d'aller retrouver sa place près de Luffy, plus cerné que jamais. Il pressa sa main, brièvement, et se rajusta sur sa chaise, fermant un bouton à sa veste dans un geste mécanique – tout allait se jouer sur Shiryu et Rayleigh, à présent, et sur sa propre capacité à amener le jury sur le bon terrain.
Aokiji ramena le silence d'un coup de maillet et alluma son micro, annonçant la reprise de l'affaire 160071 à 16 heures 03, résumant les derniers éléments à charge contre l'accusé. Sadi écoutait attentivement, prenant parfois note, les Néfertari se tenant voutés sur leur banc, l'un contre l'autre, épuisés et hagards, les traits tirés par la fatigue. Ils jetaient parfois de longs regards, à la dérobée, en direction de Luffy, qui restait obstinément tourné vers le juge – il ne supportait pas d'être dévisagé ainsi, jugé et condamné d'avance.
Et le plus difficile à admettre était encore que les parents de Vivi étaient dans leur bon droit.
- … le contre-interrogatoire est à la discrétion de l'avocat chargé de la défense. Dracule Mihawk, quelle est votre demande… ?
- Je voudrais appeler à la barre Silvers Rayleigh, votre Honneur, lança-t-il en se levant, porte-document à la main.
L'intéressé se leva quand le juge lui intima l'ordre de venir d'un geste de la main, passant entre les têtes du public pour rejoindre le siège qu'il avait occupé un peu plus tôt dans la journée ; Luffy le regarda s'installer, dans sa cape d'argent, vieux et paisible – atteindrait-il jamais cet âge, cet état de paix intérieure… ? Ou cet avenir ne lui était-il pas destiné… ? Certainement pas. Ce n'était pas un destin qu'il méritait, il l'avait compris depuis bien longtemps maintenant.
Mihawk s'approcha et consulta ses notes un instant, sous le regard indéchiffrable de Sadi, et releva la tête pour sourire poliment à Rayleigh.
- … j'aimerais revenir sur ce que vous avez dit un peu plus tôt, ce matin, concernant la force dynamométrique… est-ce le bon terme ?
- Ça l'est, en effet.
- Si je ne m'abuse, il était question d'étude de l'impact de l'arme présumée utilisée par le meurtrier sur le corps de la victime. Pourriez-vous vous exprimer à nouveau sur les coups portés par l'accusé… ?
- Clarifiez, exigea Sadi d'un claquement de langue.
- Soyez plus clair, Mihawk, lança Aokiji en guise d'approbation.
- Parlez-moi précisément des blessures faites par la pièce à conviction 3B.
Rayleigh se frotta le menton, pensif, les yeux levés vers le plafond – expression de la pure réflexion ; Mihawk le premier savait qu'une reconstitution aurait fait un bien meilleur travail que lui, mais il ne bénéficiait que de mots, à cet instant, pour qualifier les agissements de son client.
- La victime était étendue sur le dos quand elle a reçu les premiers coups. Cela se détermine avec un facteur de coagulation. Ils l'ont atteinte aux épaules, bras, dans la paume de la main droite, sûrement quand elle l'a levée pour tenter de se défendre. Les suivants se remarquent sur l'abdomen, la poitrine, à la tempe et à la clavicule.
- Pouvez-vous mimer à nouveau la nature des coups portés ? tenta Mihawk, crayon à la main.
Rayleigh s'exécuta et Mihawk lui fit signe de recommencer, ce qu'il fit aussitôt sans sourciller.
- … êtes-vous gaucher, Rayleigh… ? s'enquit-il en prenant une note.
- Absolument pas, sourit le vieil homme.
- Alors pourquoi mimez-vous de la main gauche ?
Un murmure monta dans la salle, Shanks lui-même scrutant attentivement le médecin légiste, mains jointes en une prière silencieuse.
Là.
C'est à cet instant-là que l'affaire prenait un tour plus délicat, susceptible de semer le doute dans l'esprit des plus sceptiques. Le moment que Mihawk attendait désespérément, l'infime miracle qui se produisait à l'endroit le plus improbable de cette Terre.
- Parce que c'est ainsi que les coups ont été portés. Les caméras le confirment, d'ailleurs, expliqua-t-il calmement en essuyant à nouveau ses lunettes.
- … ils ont forcément été portés par un gaucher ?
- Assurément. Je suis formel à ce propos, l'angle de la pénétration de l'arme ne laisse aucun doute. Je ne vais pas non plus me lancer dans un déballage d'études scientifiques et statistiques, mais les schémas d'infiltration sanguine et de déchirure de la chair parlent pour moi. Le coup au niveau du foie en est un parfait exemple.
- Le corps a-t-il pu être renversé sur le côté et le coup porté de la main droite ? insista Mihawk.
- Impossible, s'esclaffa Rayleigh. Allons… personne n'a oublié que nous avons les pieds sur Terre grâce à la gravité… ? Si le corps de Néfertari Vivi avait été tourné sur sa gauche, par exemple, et le coup porté par la main droite, l'arme aurait pénétré la chair de manière perpendiculaire à l'épiderme, et le sang se serait infiltré de la même manière.
Mihawk acquiesça, jetant un coup d'œil à Aokiji qui semblait plus perplexe que jamais, sa main courant sur sa fiche au rythme du grattement de son stylo, annotant ce qu'il avait déjà gardé en observations précédemment.
- … or, le sang s'est infiltré dans le sens de la blessure, c'est-à-dire à la perpendiculaire de la surface du corps, en direction du sol. On ne trompe pas le corps humain et ses spécialistes aussi facilement, ajouta-t-il avec un léger sourire. Je suis certain de ce que j'affirme.
- Une dernière chose, Rayleigh, poursuivit Mihawk. Si vous deviez faire une brève description morphologique d'un individu capable d'infliger de telles blessures, laquelle serait-elle ?
- Objection, intervint Sadi en levant les yeux au ciel.
- Et pourquoi ça ? répliqua Mihawk, sourcil haussé.
- Oh, je ne sais pas, moi, pour totale subjectivité du sujet ?! s'exclama-t-elle en levant les mains.
- Votre Honneur, Silvers Rayleigh exerce sa profession depuis plus de trois décennies, et si quelqu'un est assez bien placé pour réaliser une description d'assassin avec toutes les données scientifiques pertinentes qu'il possède, c'est bien lui, souffla l'avocat en ignorant les grimaces de sa collègue.
- … accordé, Maître. Poursuivez, soupira Aokiji en désignant l'expert légal.
Mihawk reprit sa place face au témoin, resté immobile sur sa chaise, à suivre l'échange en silence. De la salle émanait une tension quasiment palpable, qu'il sentait peser de tout son poids sur lui, comme jamais encore il ne l'avait ressenti lors d'un procès.
Il y avait tant en jeu qu'il en aurait presque eu le tournis, le ramenant à l'époque de ses premières plaidoiries, fraîchement sorti de son examen du Barreau. Shanks lui vouait une confiance aveugle, irréfléchie, et il ne se sentait pas de la trahir maintenant.
- … une potentielle description du meurtrier, Rayleigh, je vous prie.
- Une personne beaucoup plus lourde et musclée que l'accusé. Très robuste, avec un thorax développé. Grand, sûrement, pour prendre assez de recul au niveau des bras pour infliger des blessures avec cette force, la gravité aidant.
- En somme, vous confirmez votre conclusion précédente ?
- Si je ne me base que sur des critères de mécanique pure… Monkey D. Luffy est incapable d'infliger des blessures pareilles à un congénère, affirma Rayleigh d'un hochement de tête.
- … merci pour ces précisions, Rayleigh, murmura Mihawk en parcourant du regard ses dernières notes. J'en ai terminé avec ce témoin, votre Honneur. J'aimerais appeler à présent Ame no Shiryu, si vous le permettez, comme je vous l'ai soumis en ce début de séance.
Sadi se retourna et fixa le géant assis en retrait, dans l'ombre ; qui ne connaissait pas cet homme, dans tout la ville… ? Shanks et lui s'évitaient comme la peste, chacun prenant soin de rester loin l'un de l'autre. Alors, comment savoir ce qu'il venait faire ici, dans cette salle, probablement pour défendre les intérêts d'un garçon qu'il n'avait jamais vu ni d'Eve, ni d'Adam, et de surcroît le fils d'un homme dont il ne supportait pas la moindre vue… ?
Rayleigh quitta son siège, croisant Shiryu au passage, qui vint prendre place à son tour à la droite d'Aokiji qui le considéra avec une méfiance mêlée d'étonnement.
- Je vais me permettre un commentaire personnel, lança Mihawk à la foule. Personne ici n'ignore qui est cet homme. Condamné à 15 ans de réclusion pour faux, usage de faux, détention illégale d'armes à feu, délit et crime en bande organisée, vol à main armée avec récidive. Ame no Shiryu était à la tête d'une pègre grandissante et il s'est fait attraper, parce qu'il faut bien que la course s'arrête un jour. Il a purgé sa peine et il est en règle avec la maison, et c'est en sa qualité d'ancien accusé que je souhaite le faire intervenir aujourd'hui.
- … on vous écoute, Mihawk, murmura Aokiji en s'installant plus confortablement dans son fauteuil.
L'agent le plus proche tira le projecteur face au public et ajusta le miroir supérieur, projetant la lumière sur le fond blanc destiné à l'exposition des pièces papier, sur la gauche, attirant tous les regards dans cette direction. Mihawk tira de sa pochette les deux feuilles écrites par Luffy un peu plus tôt et encrées sur une page plastifiée, et les déposa l'une à côté de l'autre, leur reproduction s'étalant sous les yeux du public.
- Ce que vous voyez, messieurs-dames, est une simple retranscription manuscrite des pensées de mon client au moment où il a rédigé ces mémos, de sa main-même. À droite… l'écriture de sa main droite. À gauche… celle de gauche, en toute logique. Voyez-vous la différence… ? Elle est flagrante. Mais Shiryu vous expliquera mieux que moi de quoi il en retourne.
- J'ai été le meilleur faussaire de la région pendant très longtemps, sourit le géant en jouant avec les insignes fixées sur son costume. Je sais en reconnaître un quand j'en vois un, je sais aussi identifier une personne rien qu'à sa manière d'écrire, pour peu que j'ai déjà eu affaire à son écriture une fois dans ma vie. Gardez à l'esprit que je ne suis pas là pour parler de la personnalité de l'individu qui a écrit ceci, je suis là pour poser des faits scientifiques et vérifiables par de simples raisons de physique élémentaire. Sachez aussi que je suis graphologue, à l'origine, et que je travaille pour le Gouvernement quand il daigne se rappeler de mon existence.
Il se leva et traversa la salle, allant tapoter l'écriture de droite.
- L'écriture de Monkey D. Luffy. Rapide, les points sur les i et les barres de t sont placées derrière la lettre, dans le sens du tirant, gauche à droite donc – le droitier tire son crayon, le gaucher le pousse. Pression normale, mais écriture tremblée – la frousse, c'est normal, moi aussi je l'aurais si on risquait de me faire passer de vie à trépas dans la semaine, commenta-t-il. La typographie est... originale, une manière polie de dire qu'il écrit comme un sagouin, mais elle est fluide, ça se voit au tracé, c'est totalement involontaire. La hauteur des lettres est assez régulière, on remarque des imperfections sur le r, mais elles se retrouvent à chaque fois, ce n'est pas un trait forcé. En gros, aisance pour cette main-là concernant le suspect.
Il désigna le tableau de gauche et retourna au projecteur, feutre en main, soulignant certains mots au passage.
- Là, maintenant. L'encre a bavé, il a essuyé au fur et à mesure avec la tranche de sa main ; s'il avait été gaucher, à son âge, il n'aurait pas commis cette erreur, il aurait naturellement appris à adapter son poignet et l'inclinaison de sa feuille pour éviter des dégueulasseries pareilles. Écriture carrément tremblante, inégale, elle penche et remonte, pas de constance dans le mouvement du poignet. Les traits vont toujours de gauche à droite, alors que les gauchers, s'ils tirent, le font généralement de droite à gauche, puisqu'ils sont tentés d'écrire en miroir. On voit parfaitement que cette personne ne parvient pas à consigner de la main gauche.
Shiryu prit le dossier que lui tendait Mihawk et en sortit une feuille double, qu'il montra à l'assistance – Luffy reconnut aussitôt sa dernière copie de Faculté, avec ses ratures, ses marges inégales, la correction de l'enseignant.
- Mihawk m'a chargé de récupérer les dernières copies d'examens de Monkey D. Luffy, d'appeler tous ses enseignants pour qu'ils nous fournissent les travaux dirigés de ce jeune homme depuis son entrée à l'université, à 18 ans. J'ai réalisé des copies au carbone sur les transparents suivants…
Il échangea l'écriture gauchère de Luffy avec une reproduction d'une de ses copies, l'accolant au produit de sa main droite, et souligna les points de concordance.
- Même écriture. Mêmes particularités, aux mêmes endroits. La pression est la même, la manière de tracer ses points et ses barres en décalé aussi. Rien ne différencie ces deux écrits. Et la copie que je vous montre date de 4 ans, personne ne me fera croire qu'il s'amusait à modifier son écriture à chaque jour, chaque instant, en prévision d'un moment comme celui-là – impossible quand vous êtes en condition d'examen, pas sur le long terme, conclut Shiryu.
- … et donc ? lança Mihawk depuis la rambarde à laquelle il s'était adossé.
- Monkey D. Luffy est droitier. Et il a plus de chance d'être admis à Poudlard que de devenir gaucher un jour, regardez un peu cette écriture de mer–
- Merci, Shiryu, l'image est parfaitement claire, toussota Aokiji. Je valide votre expertise, elle est ajoutée comme pièce à conviction pour la partie défendant. Greffier, inscrivez les numéros 4B, 4C, 4D et E pour le paquet de copies restantes. Je vous laisserai le soin d'y inscrire également le nombre exact et de le consigner dans l'inventaire.
Sadi se leva et alla rejoindre les parents de Vivi, derrière elle, s'asseyant à leur côté pour leur murmurer dans l'oreille, hors de portée d'écoute indiscrète, alors que les jurés étaient invités à contempler les pièces manuscrites de plus près.
Mihawk reposa son porte-documents sur le bureau et se rapprocha du box où se trouvait le jury, mains dans le dos, menton relevé – langage corporel présent pour affirmer sa conviction en ce qu'il allait prononcer, dès à présent ; c'était loin d'être suffisant pour établir l'innocence de Luffy, mais si les jurés doutaient, alors ils n'oseraient jamais se prononcer en faveur de la peine de mort.
- … Silvers Rayleigh a apporté la preuve scientifique que le meurtrier est gaucher, et qu'il est particulièrement habile et fort de cette main. Ame no Shiryu vous a prouvé que Monkey D. Luffy est un pur droitier et qu'il l'a toujours été. Je ne peux pas affirmer que mon client est innocent, à l'heure qu'il est, mais je vous demande d'examiner cette possibilité, de ne pas l'exclure, peu importe l'avis que vous vous êtes sûrement déjà forgé à cet instant. Considérez, l'espace d'un instant, l'idée que mon client puisse ne pas être ce qu'on dépeint de lui depuis trois jours.
Sadi quitta son poste, près des Néfertari, et s'avança jusqu'à la barre pour se mettre face aux jurés, au coude-à-coude avec son homologue. L'air satisfait qu'elle arborait ne plaisait pas à Mihawk, mais il n'était pas là pour la faire taire à coups de genoux dans le visage, quand bien même ce concept le séduisait profondément.
- Très bel essai, Maître Dracule, sourit-elle. Je ne vais pas non plus contester les faits que vous apportez à notre connaissance... Si monsieur le Juge les trouve recevable, grand bien vous en fasse, parce que ce que j'ai à vous montrer risque bien de balayer les quelques incertitudes qui pourraient subsister suite à la brillante intervention d'Ame no Shiryu. Et je suis certaine qu'à la suite de cette présentation, notre Honneur ici présent n'aura plus le moindre doute sur la culpabilité de l'accusé, et vous non plus, les jurés…
Mihawk s'efforça de rester neutre, mais ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil à Akainu, confortablement assis à quelques mètres de là, sourire aux lèvres.
Plus aucun doute sur cette subtilité, à présent : il voulait voir tomber la tête de Luffy, pour mieux atteindre celle de Shanks. Et Mihawk avait parfaitement conscience que ce n'était plus une question d'attaquant et de défenseur, mais une véritable partie de jeu politique et sociale, avec bien plus à la clé que la condamnation d'un jeune homme pour crime capital.
- Je demande la diffusion de la pièce à conviction numéro 2A, votre Honneur. Et si cela ne suffisait pas, pourrait-on préparer la 2B ? Je voudrais également appeler l'accusé à la barre, je cite Monkey D. Luffy, afin qu'il puisse répondre aux questions que je serai très certainement amenée à lui soumettre, chuchota-t-elle.
Aokiji acquiesça et Luffy se leva, la bouche sèche, les mains tremblantes – le cliquetis des menottes le trahissait au fur et à mesure de son avancée, jusqu'à ce qu'il rejoigne le siège occupé la veille, où il se sentait plus minuscule encore, écrasé par le poids de toutes ces déclarations qui n'avaient fait qu'alourdir le bilan de ses crimes.
Main droite, main gauche… tout ça n'avait plus d'importance, désormais. Mihawk avait fait de son mieux, mais l'air dédaigneux de Sadi lui faisait comprendre que le pire était à venir.
Cette fois, c'est un rétroprojecteur qui fut amené sur une desserte, toujours en projection face au jury, sur la gauche de la salle, de sorte que personne ne puisse manquer quoi que ce soit. Luffy regarda l'agent connecter l'ordinateur au diffuseur d'images, un des magistrats lui tendre un sachet estampillé 2A dont il sortit une clé USB, pour la plugger aussitôt au portable.
- Ce que vous allez voir a été filmé la nuit du samedi 15 mai dernier. La date et l'heure apparaitront sur l'écran, en bas à droite. L'enregistrement complet dure un long moment, c'est la raison pour laquelle il a été scindé en deux. Ce que vous vous apprêtez à visionner en est la première partie, annonça Sadi en lançant la lecture.
- Greffier, prenez note, souffla Aokiji au jeune homme assis près de lui.
La nuit du 15.
Luffy sentit son ventre se contracter et serra les genoux, luttant pour ne pas se recroqueviller sur lui-même ; oh, il devinait parfaitement ce qui se cachait derrière ça, cette décision de faire diffuser les images, mais il savait aussi qu'il n'était pas en droit de les arrêter dans ce qu'ils avaient prévu de faire. Et Dieu seul savait qu'il préférerait être à des kilomètres d'ici…
L'image s'ouvrit sur une ruelle vue avec une inclinaison à moins 45°, en plongée – le grain était fin, la capture de qualité correcte, en monochromatique. On percevait l'impasse en briques, les poubelles et containers alignés le long de la façade du Party's ; clairement, il s'agissait de l'angle de vue d'une caméra de surveillance, et Shanks aussi sembla comprendre de quoi il retournait – à sa plus grande horreur.
- Là, ici, commenta Sadi en allant montrer le coin droit inférieur de l'image. Néfertari Vivi entre dans le cadre.
Malgré l'absence de couleur de la capture, il était aisé de reconnaître la jeune femme, d'après les photos produites par la partie attaquante. Cobra porta une main à sa bouche et réfréna ses larmes, qui touchèrent Luffy en pleine poitrine – ils n'allaient quand même pas infliger cette vision à ses parents… ?
À en voir l'expression de Sadi et Akainu, c'était bien le cadet de leurs soucis.
À l'écran, Vivi fouillait son sac, tête penchée et dodelinant alors que ses lèvres bougeaient, laissant croire qu'elle fredonnait un air dont Luffy était bien incapable de se souvenir, à cet instant ; la salle entière tressaillit quand lui-même entra dans le cadre, se collant à la jeune femme qui fit volte-face, main levée, de toute évidence prête à se défendre. Et la technique aurait certainement marché, s'il ne s'était pas agi de lui.
Le poing de Luffy fut plus rapide et s'écrasa sur son nez, la projetant au sol où elle s'étala sans même chercher à se rattraper – trop sonnée pour ça. Autre tressaillement de la salle quand il se pencha pour l'attraper par la cheville et la traîner vers la ruelle, loin des regards d'éventuels passants sur le trottoir. Vivi planta ses doigts dans le sol mais il la tira sans difficulté dans sa direction, gestes qui corroborèrent un peu plus les avancées de Rayleigh quant au déroulement du crime.
Nausée.
Luffy se plaqua une main sur la bouche, la gorge nouée.
Celui de l'écran attrapa sa queue de cheval et lui frappa le visage sur le bitume – Titi laissa échapper une plainte de désespoir et tendit le bras vers l'écran, dans un geste incontrôlé qui brisa un peu plus le Luffy assis sur sa chaise, au bord des larmes.
Vivi tenta de se traîner plus loin et il la regarda un long moment, la dominant de sa silhouette, dans la pénombre, avant de lui asséner un coup de pied qui la renversa sur le dos, semblant lui couper le souffle.
Nami détourna le regard quand il fouilla le sol à tâtons, semblant trouver l'inspiration dans la poignée, élément indistinct à cette distance, mais qui s'avèrerait être le bon suite aux analyses ADN.
Main gauche, comme l'avait prédit Rayleigh.
L'arme improvisée s'abattit sur l'épaule et Vivi leva les bras, mais sans succès, son corps tressaillant à chaque fois que l'arme s'abattait sur elle.
C'était trop.
Luffy agrippa la rambarde et vomit, sous les exclamations de la foule et le regard surpris d'Aokiji, qui claqua des doigts à l'attention de l'agent le plus proche.
Le sang rugissait à ses oreilles, occultant le brouhaha, les cris – quelqu'un hurla qu'il simulait, un autre qu'il devait assumer et regarder jusqu'au bout – la panique qui faisait résonner les battements de son cœur dans chaque centimètre de réseau veineux ; coup de maillet d'Aokiji, cri de Shanks lui disant que tout irait bien, qu'il devait se calmer et mettre son esprit en paix ; Mihawk demandant une suspension de la séance, les pleurs de Nami ; les murmures précipités des jurés ; Titi et Cobra Néfertari s'écriant qu'il n'avait même pas les couilles de voir ce qu'il avait fait.
Son estomac se retourna, un spasme le ramena en avant et la bile lui brûla la bouche ; il n'avait rien avalé depuis deux jours, et son corps le lui faisait largement payer. Elle s'infiltra dans son nez, il s'étouffa et toussa, incapable de reprendre son souffle – étaient-ce ça, les derniers instants de Néfertari Vivi ? S'étouffer dans son propre sang, après qu'il lui avait brisé le nez ? Chercher désespérément un filet d'air, alors qu'il l'étranglait en prenant son temps… ?
Il régurgita, encore, et la main glacée de Mihawk se posa sur son front, le forçant à se redresser.
La lumière l'aveuglait, et l'air s'obstinait à le fuir, comme une punition supplémentaire pour ce qu'il avait fait.
- Luffy… ! Regarde-moi… ! s'exclama une voix près de son oreille, au milieu de tout ce capharnaüm.
Aokiji, son maillet, encore, les vociférations.
Shanks, si lointain.
Mihawk, flou dans les larmes qui noyaient ses yeux.
Vivi, qui lui semblait être là, debout derrière Mihawk, le doigt pointé vers lui dans un geste éminemment accusateur.
Cette fois, c'est sur son avocat qu'il vomit, mais l'intéressé sembla s'en ficher, se contentant de maintenir son visage entre ses mains pour le forcer à le regarder.
- Calme-toi !
- Peux pas... peux pas... regarder ça..., haleta-t-il.
La voix d'Aokiji tonna par-dessus le tapage de la salle, annonçant la suspension de la séance pour trente minutes ; aussitôt, deux bras le saisirent et l'entraînèrent loin de Mihawk, rudes, le traînant à travers la pièce jusqu'à la sortie, où l'avocat le perdit de vue.
L'avocat jeta un regard à Shanks, immobile au milieu de l'agitation, du public quittant la salle, de la vidéo tournant toujours, de l'expression glaciale et altière de Sadi. En état de choc, lui aussi – entre entendre quelque et le voir, il y avait tout un monde, et il venait d'être projeté dans la réalité que tout le monde s'efforçait de lui montrer, depuis ce matin où des hommes lui avaient arraché Luffy des bras.
À pas lents, Mihawk le rejoignit sans ciller, se laissant faire quand Shanks agrippa sa veste poisseuse de bile, ses yeux bruns fermement ancrés dans les siens.
- … sors mon fils de là, Mihawk, souffla-t-il, la voix rauque.
- … je te l'ai promis, non… ?
Lentement, il se dégagea de son étreinte et contourna les bancs, s'éloignant vers le bout du corridor menant dans l'entrée du Tribunal ; les représentants de la presse étaient déjà sortis, téléphone à l'oreille, soufflant les derniers évènements à leurs chroniqueurs à l'autre bout du fil. Oh, les journaux locaux et nationaux allaient en faire leurs choux gras, mais ils étaient impossibles à contrôler, et Mihawk le premier savait qu'il était inutile de gâcher des cartouches contre ces adversaires-là – Shanks avait fini par admettre qu'il allait se faire traîner dans la boue, et que personne ne pourrait le sauver de la sale réputation qui allait assombrir sa carrière de Gouverneur : il estimait que c'était le juste prix à payer pour que Luffy s'en sorte, point. Tout ce qu'il voulait, c'était protéger ses enfants, le reste importait peu à ses yeux.
Mihawk poussa la porte des toilettes et les trouva désertes, sans le moindre signe de Luffy et de l'agent ; dépité, il retira sa veste de costume, desserra sa cravate pour la retirer et déboutonna sa chemise, qu'il passa sous le jet d'eau du lavabo le plus proche. Son reflet lui renvoyait l'image d'un homme fatigué, exténué par des nuits de travail et des journées d'écoute, mais en bien meilleur état que son client, qui avait à présent l'air d'être au bord du gouffre, prêt à basculer à n'importe quel moment.
Il frotta la tâche laissée par la bile sur le tissu, mais devinait pertinemment que ça ne serait pas suffisant ; il n'avait pas d'affaires de rechange et devrait certainement se présenter ainsi de nouveau, et sa position d'avocat supposé être un minimum crédible ne lui permettait pas une excentricité pareille. Rageur, il frotta le tissu, dents serrées, et tressaillit quand la porte s'ouvrit dans un claquement sonore.
- Hé bah, railla Akainu en s'approchant des urinoirs, dégrafant sa braguette. C'est un beau merdier qu'on a là, hein…
- La ferme, marmonna Mihawk en faisant mousser le savon sur sa chemise ruinée.
- Oh, on en est déjà là… ? Et ça sera quoi, quand on verra le gamin en train de déglinguer la fille Néfertari, tu me mettras une fessée… ?
- … Sadi a prévu de diffuser les images de ça aussi… ?
Akainu se contenta de ricaner, dos tourné à l'avocat, occupé à uriner comme si rien de ce qui se passait ici-bas ne l'atteignait ; Mihawk ne l'avait pas vu afficher le moindre signe de malaise à la vue de l'adolescente convulsant sous les coups de son assassin. Et puisqu'il en était là de ses pensées, elles dérivèrent sur Luffy, sur son expression révoltée, choquée, horrifiée, la pâleur de ses traits, les crampes incontrôlées de ses membres – bien sûr que son comportement était incohérent, et de loin. Il en avait assez vu dans sa vie, des meurtriers, et Luffy ne collait pas au schéma, sur aucun point. Sa réaction n'était pas le résultat d'une simulation désespérée destinée à tromper le public et les jurés.
Alors, quoi ?
Qu'est-ce qui clochait et qui lui échappait ?
Cette affaire… tout ce ramdam était un non-sens complet. Rien ne prédestinait Luffy à commettre un crime pareil, et surtout, à voir ses réactions épidermiques, il semblait être un garçon… parfaitement sain. Équilibré.
Le souvenir d'une confession d'un Shanks paniqué, entre fureur et désespoir complet, lui revint en mémoire – il la chassa sans même l'avoir considérée : il ne croyait pas à ces sornettes. Et si lui n'y croyait pas, alors jamais il n'arriverait à convaincre qui que ce soit de le suivre dans ce rationnel stupide. L'explication... l'excuse, à ses yeux, était trop facile.
La chasse d'eau de l'urinoir résonna dans le silence, Akainu retroussa les manches de sa chemise et se pencha sur le lavabo à gauche du sien, se savonnant les mains sans se départir de son sourire, sous le regard blanc de Mihawk qui s'abstenait bien du moindre commentaire.
- … on peut pas toujours gagner, Hawk-Eye. Admets-le, laisse ce gosse se faire éliminer de la surface de cette Terre, et arrête de faire les frais des caprices de Shanks. Il a adopté un barge, point, ça arrive tout le temps. Faut juste faire en sorte que ça s'arrête. Parce que, crois-moi, je préfèrerais me charger moi-même de tout ça plutôt que de laisser un psychopathe comme Monkey D. Luffy dans la nature.
- … attention à ce que tu dis, Sakazuki, murmura Mihawk en rinçant sa chemise.
- Chacun de mes mots est pesé, pensé, réfléchi. Maintenant, dépêche-toi de trouver un autre sort dans ton sac à malice, parce qu'à la fin du mois, Monkey sera un numéro de plus dans les placards réfrigérés de Silvers Rayleigh, chuchota-t-il en sortant des toilettes, laissant la porte claquer derrière lui dans un fracas sonore.
Coincé.
Au pied du mur.
Mihawk était capable d'envisager tout ce que Luffy pouvait ressentir en ce moment, pour se trouver lui-même dans cette situation. Cette sensation d'impuissance lui collait à la peau, et il était bien incapable de s'en détacher ; il essora sa chemise et la glissa sous le séchoir à main, non sans un regard pour sa montre qui indiquait que le temps pressait, encore une fois.
Il était beaucoup de chose, et certainement pas ce qu'on pourrait qualifier de mauviette, mais il n'était pas pressé de retourner dans cette salle pour voir Néfertari Vivi se faire violer à travers l'objectif d'une caméra. D'autant qu'à chaque fois qu'il fermait les yeux, ce n'était pas Luffy qu'il imaginait, mais un monstre sans visage qui ne correspondait en rien au jeune garçon assis à côté de lui depuis la veille.
Non… rien ne collait.
Sa chemise était encore légèrement humide quand il l'enfila, mais qu'importe ; il remit sa cravate, rajusta le nœud et renonça à passer sa veste, trop tâchée pour être présentable. Il la roula en boule sous son bras et reprit la direction de la salle d'audience, au moment où Luffy sortait d'une pièce annexe, bras tenu par un agent, sous le bruit des photographies en rafale des journalistes non autorisés restés en retrait. Il avait une nouvelle chemise mais pas de veste, sûrement dans le même état que la sienne. Leurs regards se croisèrent et, l'espace d'un instant, Mihawk ressentit un vague doute, un doute si étrange, si… inapproprié qu'il l'évinça immédiatement, comme il l'avait fait avec la révélation de Shanks.
Pourquoi Luffy lui semblait si étranger, à ce moment précis ?
Un autre agent referma les portes derrière eux et Luffy fut ramené à la barre, mains toujours menottées, les yeux levés vers le plafond, scrutant les moulures comme s'il les voyait pour la première fois.
Mihawk resta debout à ses côtés, songeur, dévisageant son client avec incertitude, alors que Sadi s'avançait à son tour vers Aokiji qui saisissait déjà son maillet pour ramener le silence dans la salle. Du coin de l'œil, l'avocat intercepta un signe de Shanks, mais y prêta tout juste attention en voyant son expression affolée, comme s'il tentait de lui dire quelque chose. Il fronça les sourcils et secoua la tête, presque imperceptiblement, lui signifiant que ce n'était pas le moment, mais Shanks insista, une perle de sueur coulant sur sa tempe.
- Quoi ?! mima Mihawk en silence.
- Bien, nous reprenons la séance, soupira Aokiji en avisant Luffy d'un coup d'œil. Puisque tout le monde semble avoir retrouvé son calme… Maître Sadi, je vous écoute… ?
- Pièce à conviction 2B, votre Honneur. Et je passerai ensuite à ma plaidoirie pour clore ce procès qui n'a que trop duré.
- Gardez pour vous ce genre de commentaires, rétorqua le juge en faisant un signe à l'agent. Présentation accordée, néanmoins, allez-y.
Elle laissa l'assermenté connecter les périphériques et lança le deuxième fichier vidéo, qui tarda à s'afficher à l'écran – sûrement plus lourd que le précédent.
Shanks se tendit vers Mihawk, les yeux écarquillés, et l'avocat se renfrogna davantage ; quel était son délire, à présent ? Attirer l'attention de la mauvaise façon ? L'outrage à la Cour n'était pas le meilleur moyen de le faire, ça, il en était certain. Il leva le doigt, tentant de lui faire comprendre qu'il viendrait plus tard, mais Shanks n'en démordait pas – Mihawk était même prêt à parier qu'il lisait dans ses yeux la détermination nécessaire pour sortir de son banc et intervenir lui-même, en pleine présentation d'éléments à charge : ce qui serait une catastrophe pour la défense de Luffy.
La vidéo reprit là où la précédente avait certainement dû s'arrêter ; la silhouette courbée de Luffy, agenouillé entre les jambes de Vivi, affairé à déshabiller la jeune femme.
Cobra resta figé, statue de marbre, mais Titi détourna le regard, son visage caché contre le torse de son mari. Certains jurés affichèrent un visage impassible, mais deux femmes baissèrent les yeux – Aokiji n'émit pas de commentaire, se contentant de fixer l'image en tentant d'être le plus impassible possible, mais l'émotion était là, dans le pli amer de sa bouche.
Sabo serra les dents mais s'efforça de ne pas porter son attention ailleurs, fermé à ce qui pouvait se passer autour de lui, à commencer par l'effroi manifeste de son père.
À l'écran, Luffy tira sans ménagement sur les collants de Vivi qui tentait faiblement de le repousser, affaiblie par les blessures multiples qui semblaient la jalonner, à en juger les tâches noires sur ses vêtements dans l'univers monochrome qu'était celui de cette caméra. Il retroussa sa jupe et se pencha sur elle, glissant une main entre eux, l'autre attrapant son poignet pour le plaquer au-dessus de sa tête ; Mihawk déglutit et resta le regard fixé sur l'animation muette, ignorant les signes de Shanks.
Les reins de Luffy se creusèrent et Vivi secoua la tête, sa main libre le frappant mollement à l'épaule, tentant de tirer ses cheveux.
Insoutenable à regarder. Nami aussi s'obstinait à ne rien voir, et Mihawk ne se sentait pas de lui faire la moindre remarque au sortir de l'audience.
Un ricanement s'éleva dans la salle, pesant, semblant statufier chaque personne présente dans le tribunal. Aokiji tourna la tête et fixa le public, puis les jurés, qui le regardèrent à leur tour, avant de dévisager la foule présente. Shanks fit signe à Mihawk, encore, qui haussa le sourcil à son attention. Il lui désigna Luffy, épouvanté, et l'avocat se risqua à un coup d'œil avant de se figer, interloqué.
Luffy.
C'était lui, le ricanement.
Aokiji sembla le remarquer à son tour et le toisa dans un mélange d'incompréhension et de ressentiment, exacerbé.
Envolée, sa bienveillance, à cet instant.
- … puis-je savoir ce qui vous amuse, jeune homme… ? persifla-t-il.
Toutes les têtes convergèrent dans sa direction et Luffy s'essuya les yeux en gloussant, contenant difficilement son hilarité.
- J'ai tellement galéré à lui virer ses fripes, vous avez même pas idée, s'esclaffa-t-il en croisant les jambes, levant ses mains menottées derrière sa tête pour s'installer confortablement.
- … comment ? souffla Mihawk.
- Putain c'qu'elle s'est débattue, cette conne. Tout ça pour rien, en plus.
Les jurés se regardèrent sans un mot, abasourdis.
Même Akainu semblait perplexe, alors que Sadi regardait autour d'elle, semblant attendre que quelqu'un lui annonce qu'il s'agissait d'une blague, et qu'elle allait prendre fin maintenant.
Nami se leva mais Sabo la retint, ignorant ses chuchotements précipités et la ferveur qu'elle mettait à vouloir rejoindre Mihawk ; Shanks semblait... ailleurs, affichant le même visage que si on lui avait annoncé que son fils était condamné à mort à l'instant même.
- Woah, c'que j'lui ai mis, j'étais à bloc, vous pouvez pas imaginer… Beau travail, hein ! sourit-il en levant le pouce à l'intention des Néfertari. Un cul pareil, j'en ai rarement vu dans ma vie… !
- J'vais te casser la gueule, espèce de petit enfoiré ! vociféra Cobra en se levant de son banc, se précipitant vers la barre où se trouvait un Luffy souriant à pleines dents, loin d'être impressionné.
Mihawk fut le premier à l'intercepter, suivi de deux agents sous les coups de maillet d'Aokiji réclamant le silence, alors que la salle semblait littéralement s'embraser sous les yeux d'un Shanks abattu et d'une Nami horrifiée, restée en retrait dans les bras de Sabo qui fixait Luffy avec hargne.
L'adolescent leur renvoya un majeur bien senti et se hissa sur sa chaise, escaladant la rambarde de la Barre avant de sauter sur le bureau des Magistrats, qu'il traversa en courant sous le nez d'un Aokiji stupéfait, piétinant les dossiers au passage, prenant son élan avant de s'accrocher aux moulures des lambris et de se hisser vers la fenêtre sans barreaux. Un gardien lui attrapa la jambe et, d'un coup de pied, Luffy lui brisa la mâchoire dans un éclat de rire, se laissant tomber au sol avant de courir en direction de la sortie, abandonnant cette issue-là.
Un autre agent s'interposa et leva sa matraque, prêt à frapper si nécessaire ; Luffy plongea au sol, pied en avant, glissa entre ses jambes et se releva d'un même mouvement, réduisant un peu plus les mètres qui le séparaient de son échappatoire.
Un inconnu du public se leva et tendit le bras pour l'intercepter, mais Luffy fut beaucoup plus rapide ; le saisissant par la cravate, il le renversa au sol avec une aisance qui effara Mihawk un peu plus qu'il ne l'était déjà, et plaqua sa chaussure sur sa joue, tirant sur la soie du tissu dans un geste sec et précis – un craquement sinistre résonna et la femme la plus proche de la lutte hurla, provoquant l'hystérie générale.
L'agent faisant office de gardien le saisit par-derrière, glissant ses bras sous les siens pour l'immobiliser, mais Luffy balança sa tête en arrière d'un coup bien placé, lui fracturant instantanément le nez ; il le relâcha et il se dégagea de son étreinte, ouvrant la porte d'un puissant coup de talon avant de débarquer dans l'entrée marbrée, au nez des journalistes amassés là, en attente de la clôture du dossier pour la journée, qui le dévisagèrent avec la même surprise.
Cette fois, deux agents le plaquèrent au sol dans un dernier essor, le déséquilibrant momentanément ; il s'écroula sur le marbre dans un éclat de rire et roula sur le dos, saisissant la tête de l'agent le plus proche entre ses genoux, lui tordant la nuque d'un coup de bassin. Le public sortit en courant de la salle, Mihawk en tête, juste à temps pour voir un autre agent sortir un taser de sa poche arrière et de viser le pectoral droit de Luffy, qui jeta un coup d'œil au laser illuminant sa chemise.
- Essaye, pour voir ! rit-il en levant ses mains menottées, exposant son torse au tir. Me rate pas, bouffon… !
Les électrodes se fichèrent dans sa peau dans un bruit sonore et l'arc électrique le parcourut des pieds à la tête, sous l'objectif de la presse qui prenait photographie sur photographie, d'autres filmant même en direct – Luffy sourit, à travers les secousses de son corps, et l'agent emprisonné dans son étreinte hurla de plus belle.
- ÇA MARCHE PAS ! s'écria-t-il. IL VA ME PÉTER LA NUQUE !
- Charge-le, putain ! cria un autre policier en sortant son arme de service, qu'il agrippa par le canon avant de lui éclater la crosse contre la tempe.
Luffy ne broncha pas, malgré le filet de sang qui perla aussitôt sur sa joue, et garda sa prise serrée sur sa proie dont les tendons étirés saillaient sous le mollet de son agresseur.
Le policier réitéra, Luffy resta stoïque, jusqu'à ce qu'un troisième agent n'intervienne et ne sorte son propre pistolet à impulsion. Il visa à son tour, la décharge partit avec les électrodes et, cette fois, Luffy lâcha prise, agité de spasmes incontrôlés.
Et même à travers le chaos de son système nerveux devenu impuissant, Mihawk aurait juré l'avoir vu sourire, ses yeux noirs rivés dans les siens.
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Réponses aux guests :
Yuh : Hey ! Voici donc cette fameuse suite, en espérant que ta frustration soit apaisée… ou pas ! *ricanement démoniaque* Merci beaucoup, à toute' !
Ty06 : Bonso~ir! Oh, merci beaucoup ! RVEE c'est un gros morceau à digérer, tu as été bien brave de tout lire… Bon, je suis tout de même un peu désolée que ça t'ait mise dans cet état, mais je suis contente que ça t'ait plu, paradoxe quand tu nous tiens… OK je note que tu sembles pressée que Law arrive x) J'espère que tu vas aimer la suite ! Merci pour ta review, à bientôt !
Nina : Hello~ ! En effet, 36 heures sans dormir, on commence déjà à voir les premiers effets de cette privation, alors que pendant un procès il est quand même plus sain d'avoir les idées claires… OK pour Akainu, j'ai déjà le stock de gadins à lui balancer. Ouais le doigt d'honneur, j'avoue ça m'a amusée d'écrire ça, même si le geste collerait plus à Law pour le coup.
Tu m'as fait rire avec ton « New York Unité Spéciale » ! x) J'ai trop imaginé la voix du mec hyper grave qui fait son speech de début d'épisode : « A New York, les inspecteurs qui enquêtent sur ces crimes sont membres d'une unité d'élite […] ».
Pour l'hypothèse sur Ace, je laisse la fiction répondre, héhé. Merci beaucoup, à la prochaine !
Mae : Hey ! C'est gentil, merci, j'espère que je vais garder ce cap jusqu'à la fin de l'histoire. C'est difficile de se plier à l'exercice des descriptions sans tomber dans le pathos ou l'hyper-exagéré, mais ça le rend passionnant, au moins. Et puis, quand il est question de Luffy, que l'on n'imagine pas du tout dans cette situation, ça rend cette hsitoire de viol d'autant plus saisissante, tant c'est en contraste avec tout ce qu'on sait de lui. Ça viendrait de Doflamingo, je dis pas…
J'aime beaucoup ton hypothèse, d'autant que tu as étudié le cas Billy Milligan (donc peut-être connais-tu les œuvres de Daniel Keyes…), ahem.
Si tu étudies la psychologie, alors j'espère que tu me pardonneras quelques hérésies qui viendront dans la fiction, parce que j'ai tout de même besoin de romancer certaines choses et de les… comment dire… capillotracter ? Mais je croise les doigts pour que cela te plaise !
Merci d'avoir pris le temps de me laisser tes impressions, ça me fait super plaisir. À très vite, peut-être !
Ayako : Yop ! Endroit sans internet… ça devient de plus en plus rare, ces choses-là ! Je suis contente de voir que le déroulé de l'histoire te fait douter, fufu. Mais parfois, les choses les plus simples sont aussi ce qu'il y a de mieux…
Alors, non, il est inutile de te torturer avec une question surnaturelle, il n'y en a pas dans cette fiction-ci ;) pas de possession démoniaque ou autre exorciste en vue, même si le thème promettrait de gros fous rires et quelques chocottes… Merci, et à bientôt !
Crow : Bien le bonjour/soir, chère Crow. Oh, ça, c'est du compliment, merci ! Ah, prudente, comme toujours… il est vrai que tu commences à connaître l'animal, n'est-ce pas… L'exercice d'écriture n'était, comme tu as pu le lire, pas vraiment en rapport avec Smoker, mais plutôt avec notre vieux Rayleigh…
Oh, tu m'as perdue avec ton « l'autre truffe, là », j'ai imaginé un tel dédain dans ta voix, ça m'a pliée en deux x) Camie a fait un petit lapsus parce qu'elle est encore très jeune et niveau professionnalisme elle est loin d'être au niveau de Rayleigh ou même encore Smoker.
Ah, madame est callée sur le sujet Fred Vargas, ça me fait plaisir autant que le reste parce que peu de gens que je connais ont déjà parcouru ses œuvres, qui valent pourtant le coup tant ils sont accessibles et si bien romancés à la fois… Merci infiniment, à très vite pour la suite qui est déjà sur le feu !
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On se revoit dans deux semaines... à très bientôt !
