Ohayo mina !

Nous laissons le Tribunal derrière nous pour nous pencher sur ce qui se passe loin des yeux de Luffy.

Depuis juin, vous avez été patients, vous avez donc bien mérité de faire connaissance avec *déroule le tapis rouge* son altesse sérénissime (si les plus téméraires d'entre vous lisent les romans de Gérard de Villiers, ils comprendront... et me jetteront des pierres) Trafalgar Law.

Comme promis, Shanks remonte la pente, petit à petit. Dites au revoir à la serpillère !

Merci encore pour vos reviews, j'aime votre enthousiasme, c'est un très bon carburant :) Vous êtes adorables.

Les guests sont en bas de page, comme toujours, et...

Enjoy it !


Chapitre 9 :

Jour 13. Requête.

Marina District, San Francisco, Californie.

Shanks plissa les yeux derrière ses lunettes, arpentant le livre des recettes que Sabo avait laissé en partant emménager en centre-ville, près de sa faculté ; l'écriture était soignée, mais Shanks le premier reconnaissait que l'âge le rattrapait et, qu'à 48 ans, il aurait déjà dû opter depuis longtemps pour une autre correction ophtalmique. Luffy avait réalisé quelques annotations sur la recette de quiche andalouse qu'il avait entrepris de réaliser, ce soir, lui arrachant un sourire en voyant à quel point son benjamin pouvait être généreux avec la quantité de nourriture à préparer. Luffy n'était pas très doué pour la cuisine, mais il pouvait passer des heures à pâtisser avec Nami si c'était pour obtenir le résultat escompté.

Cuisiner permettait à Shanks de ne pas penser, d'être mécanique, dénué de réflexion, se contentant de suivre une série d'ordres simples requérant assez de concentration pour empêcher ses pensées de partir beaucoup trop loin pour son propre bien ; ce qui lui semblait être une éternité auparavant, Luffy avait agi de la même manière, minuscule dans les pièces de la villa, pouce dans la bouche et yeux grands ouverts sur ce qui l'entourait, se contentant de faire ce qu'on lui disait, restant statufié dans son coin si personne ne lui donnait d'indication – la plupart du temps, il avait un mal fou à comprendre l'américain, habitué depuis longtemps à des conversations à 100% portugaises, et Shanks avait trimé pour l'intégrer dans leur famille recomposée.

L'imagination des enfants ne souffrant d'aucune barrière, c'étaient Nami et Sabo qui étaient parvenus à lui enseigner l'anglais, à force de jeux et de lectures d'histoires le soir, mais depuis toujours Luffy avait conservé cet accent chantant propre aux latins, mêlé de sa voix éraillée, et qui le rendait plus unique encore.

Une voix que Shanks n'entendrait plus le réveiller le matin, ou résonner à travers la maison à son retour de la faculté.

Un instant nostalgique, il frôla les observations griffonnées dans les marges du bout des doigts, avant de se secouer et de reprendre sa lecture, tâtonnant sur le côté pour trouver le saladier et en inspecter le contenu, dubitatif.

Les œufs, d'accord.

La crème, OK.

… sel, poivre… ?

Sérieusement, où était sa cuisinière attitrée quand il avait besoin d'elle, mmn… ? Il en était là de ses recherches quand des coups résonnèrent à la porte, le faisant tressaillir et renverser le restant de la boite d'œufs, qui explosa sur le sol en aspergeant les placards environnants.

« … génial » songea-t-il en levant les yeux au ciel, se détournant pour rejoindre l'entrée et déverrouiller le battant, qu'il ouvrit sur un géant debout sur le porche, une bouteille de vin à la main, un sourire retors sur les lèvres.

- Qu'est-ce qui t'amuse ? marmonna-t-il en s'écartant pour le faire entrer.

- … toi. Tu as flippé, hein ?

- Comme si j'avais peur d'une parodie de Michel Polnareff dans ton genre.

- On en est déjà aux noms d'oiseaux… ? ricana son invité en refermant la porte derrière lui, se débarrassant de son manteau de plumes nacrées pour l'accrocher à la patère la plus proche. Mets-moi ça à décanter, tu veux… ?

Shanks récupéra la bouteille qu'il tenait en main et l'emmena dans la cuisine, sortant le tire-bouchon du tiroir pour entailler l'opercule qui scellait la boisson, observant l'étiquette avec soin.

Un Climens Barsac, français à n'en pas douter ; son convive avait un goût prononcé pour l'importation de produits européens, qu'il jugeait meilleurs que ceux d'Amérique, et les choses raffinées. Ce vin devait faire partie de sa dernière sélection, à n'en pas douter. L'intéressé s'avança, mains dans les poches, contempla les dégâts au sol et esquissa un sourire, amusé par la situation.

- … tu tentes de cuisiner quelque chose de potable ? Je n'ai rien contre les omelettes, mais uniquement si elles n'ont pas séjourné sur le sol de ta cuisine…

- Je t'emmerde, Doflamingo.

La langue entre les dents, Shanks coinça la bouteille sous ce qui restait de son bras gauche et fit levier sur le tire-bouchon, éjectant le liège dans un « pop » sonore avant de verser le vin dans la carafe la plus proche, contemplant la chute du liquide purpurin d'un regard absent – la couleur veinée lui rappela, brièvement, les traces pourpres sur le sol de l'entrée, quelques jours auparavant, et un frisson de mal-être lui parcourut l'échine, réveillant une nausée qu'il pensait avoir étouffée depuis longtemps.

Nami et Sabo avaient mis un temps fou à tout faire disparaître, à quatre pattes dans les traînées vermeilles, frottant inlassablement chaque recoin, chaque joint, charriant des litres et des litres d'eau rougie à l'arrière de la villa, pour tenter d'effacer l'indélébile – Shanks le premier savait que, peu importe les années, l'image en négatif de ses murs maculés de sang le hanterait longtemps, jusqu'à prendre le pas sur la réalité qui lui avait brutalement échappé, quelques jours plus tôt.

Se raclant la gorge, il se laissa revenir à l'instant présent, où la sonnerie du four lui indiquait que le temps de préchauffe était terminé – le saladier et le plat lui tendaient les bras, prêts à être utilisés, mais il avait un bon train de retard sur la recette.

- Un coup de main ? Sans offense, hein…, sourit son invité en haussant le sourcil, désignant son bras manquant d'un geste désinvolte du menton.

- Nettoie le Déluge, si tu y arrives, railla Shanks en indiquant la zone sinistrée par la brouillade d'œufs. Pour sûr que ça va te changer de chez toi et de tes domestiques.

Doflamingo ne releva pas la bravade et s'accroupit, éponge en main, pour racler le plus gros de l'étalage et amasser les débris dans l'évier, pendant que Shanks sortait la planche à découper et le chorizo en fredonnant, absorbé par sa tâche. Pendant un long moment, les deux hommes n'échangèrent pas un mot, dans le silence de la cuisine troublé par le son de la radio allumée dans le salon ; le géant blond lorgnait la main valide de son confrère, amusé par la technique qu'il utilisait pour découper le chorizo à une seule main – des clous plantés dans la planche, sur lesquels il avait embroché le saucisson à l'horizontale pour tailler la chair avec l'aisance que donnait l'habitude.

Ça faisait plus de vingt-cinq ans maintenant que Shanks avait eu le bras tranché, alors qu'il n'était encore que maire de la ville de San Francisco, et du plus loin que remontait la mémoire de Doflamingo, ça ne l'avait jamais empêché d'atteindre son but, à savoir devenir Gouverneur de Californie. Déjà, à l'époque où ils suivaient tous deux leurs cours de Sciences Politiques à l'université d'état, Shanks avait toujours montré une volonté sans faille pour réaliser ses ambitions.

Il ne doutait pas un seul instant que, malgré ce qui se tramait pour lui au travers des médias, il saurait rebondir, peu importe les moyens. Quand bien même la situation devait le mettre à genoux, il savait qu'il en avait vu d'autre, et qu'il ne s'arrêterait pas maintenant, pas après avoir tant donné.

D'un geste habile et précis, Shanks renversa le contenu du saladier dans son plat, disposant fromage, chorizo et poivrons dans la préparation, avant d'ouvrir le four du bout du pied et d'y enfourner la quiche, activant le minuteur d'un coup de hanches sur l'interface à sa portée.

- Prends-en de la graine, rétorqua-t-il en ouvrant le lave-vaisselle.

- C'est exactement ce que je fais. C'est vrai que je ne suis pas non plus à l'abri de perdre un bras, avec mes idioties, sourit Doflamingo en passant un ultime coup d'essuie-tout au sol, jetant le papier dans la poubelle avant de se laver les mains, regardant son ami entasser ses accessoires de cuisine dans les paniers. … Loin de moi l'idée de vouloir te commander, mais tu ne devrais pas mettre ça là.

- Occupe-toi de ton cul.

- … noté.

Il jeta un coup d'œil à la quiche frémissante, songeur.

Shanks était plutôt du genre à sortir au restaurant plutôt qu'à inviter chez lui, pour la simple et bonne raison qu'en temps normal, Luffy s'y trouvait, et le Gouverneur préférait passer ses soirées seul avec son fils – et parfois ses aînés – plutôt que de ramener ses collaborateurs chez lui pour des dîners d'affaires. Or, Doflamingo était bien placé pour le savoir, Luffy n'occuperait plus jamais cette maison, et Shanks allait être plutôt enclin à fuir les endroits publics pour les semaines à venir.

- … Tapas ? s'étonna-t-il en désignant le plat déjà posé au centre de la table à manger.

- T'es bien espagnol, non, muchacho ?

- C'était il y a longtemps, tu le sais aussi bien que moi. Mais j'apprécie l'effort.

- … et tu te doutes bien que je t'ai pas invité pour parler de paëlla et de Salvador Dalí, murmura Shanks en prenant la carafe pour la poser près des entrées, l'air soudainement plus sérieux.

- … comment tu vas, justement… ? soupira Doflamingo en passant un bras sur ses épaules, décontracté mais loin d'être nonchalant pour autant.

- … je fais aller.

Bien piètre résumé du mal-être innommable qu'il ressentait depuis la veille au soir, quand il avait vu Luffy partir dans la voiture d'Akainu pour le centre de détention de San Quentin. La seule pensée agréable qu'il avait eu se limitant à la certitude que Luffy ne serait pas condamné à mort…

… s'il survivait aux deux jours passés dans la maison d'arrêt.

La politique anti-mafieuse de Shanks avait envoyé beaucoup de personnes peu recommandables entre les murs de la prison d'Etat, en condamnant même certains à une mort certaine, et il savait pertinemment que l'arrivée de son plus jeune fils dans ce territoire ne passerait jamais inaperçue dans les couloirs occupés par des détenus rancuniers – à juste titre. Mihawk lui avait promis que les gardes qui avaient été assignés à la surveillance de Luffy étaient réglo, et qu'il resterait à l'écart, dans une aile annexe de la prison, loin du cœur grouillant où les pensionnaires du lieu nageaient à la manière des requins, lorgnant les nouvelles fritures qui ne cessaient d'affluer.

Shanks était le premier à savoir que, dans l'absolu, Luffy ne risquait rien, mais il avait choisi ne pas prendre de risques ; il préférait que Luffy dorme seul mais la conscience tranquille… au moins pour un temps.

- Tu arrives à dormir… ?

- Toi aussi, tu vas me dire que j'ai un air de chiotte… ?

- Démasqué, concilia Doflamingo en prenant place à table, amenant leurs verres à lui pour servir deux longues rasades de vin. Plus sérieusement, Shanks… Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

- Un service. Non… même plus que ça ; j'aurais besoin que tu fasses jouer des relations, murmura le Gouverneur en contemplant les circonvolutions du liquide prisonnier des parois de verre. Tu connais quelqu'un à la Cour Suprême ? Un juge d'application des peines qui s'occupe des affectations… ?

Doflamingo acquiesça, inspirant le parfum du vin sans lâcher Shanks du regard, à travers ses lunettes teintées ; sa propre idée commençait à germer dans un coin de sa tête, mais il se gardait bien d'en parler pour le moment – il voulait d'abord voir ce que son ami de toujours était susceptible de faire, à savoir sortir des sentiers dont il avait instauré lui-même les barrières, pour sauver ce qui lui était le plus cher.

- C'est Kizaru Borsalino qui gère ça, annonça-t-il calmement en passant sa langue sur ses lèvres pour apprécier les dernières gouttes de sa boisson.

- Exact. C'est lui qui va décider de l'endroit où Luffy va être expédié pour les… les soins psychiatriques. Et je refuse de voir sa vie gâchée parce qu'il sera tombé sur un pauvre connard qui va étaler son intimité dans les journaux. Toi le premier tu sais à quel point ça peut nous rendre paranos, quand ça touche à nos gosses. T'es Gouverneur de la Louisiane, Donquixote, et je sais que t'as le bras assez long pour t'étendre jusque chez moi, au bas mot… Dis-moi ce que t'as de mieux.

Les critères étaient simples ; Shanks avait un urgent besoin de discrétion, de pouvoir remettre son fils entre les mains de quelqu'un de confiance qui ne laisserait entrer aucun paparazzi, et qui se contenterait d'un professionnalisme à tout épreuve. Quelqu'un qui se trouverait hors de la juridiction de la Californie, étranger à toutes les questions politiques, économiques et sociales susceptibles d'attirer des ennemis supplémentaires sur leur famille.

Il ne voulait aucune répercussion de son statut gouvernemental sur Luffy, refusait de le voir payer pour lui ses erreurs de stratégie, en plus de ses propres problèmes mentaux à gérer.

Noble.

Mais si vain, à leur époque.

Doflamingo pesa longuement le pour et le contre, se demandant jusqu'où il pouvait pousser le bouchon, concrètement, en s'immisçant dans les affaires du Ministère Public d'un état qui n'était pas le sien ; jusqu'où il pouvait se mouiller personnellement dans une histoire comme celle-ci.
Tout, absolument tout le monde avait été touché par cette histoire, éclaboussé par le scandale, les enjeux, les conséquences des actes de ce gosse ; tel un raz-de-marée dévastant tout sur son passage, elle avait laissé derrière elle un champ de ruines, déterrant tout ce qui se trouvait à sa portée.
Est-ce qu'il était prêt, lui aussi, à tremper dans la même marmite que les autres, lui si habitué à prendre de la hauteur sur le monde qui l'entourait ?
Il se mordilla la lèvre, pensif, croisa les jambes, tapant la mesure du talon, encore hésitant. Il s'agissait de Shanks, qui était loin d'être irréprochable, comme lui, mais qui avait prouvé qu'il valait la peine de prendre des risques, rien qu'une fois.

- … près d'Ostrica, en Louisiane… sur la pointe extrême sud, chuchota-t-il en soutenant le regard pénétrant de Shanks. Il y a… un asile psychiatrique. D'un genre… un peu particulier. Tu sais à quel point ce genre d'hôpital est rare sur notre continent…

- Un genre un peu particulier… ?

- Ils sont peu nombreux, et le directeur de l'asile tient à ce que ça reste comme ça. Mais si c'est moi qui lui en parle, il pourra trouver une place pour Luffy. C'est… loin de chez toi, mais c'est ce que je peux faire de mieux. Borsalino ne bronchera pas, ton fils est une épine dans sa chaussure…

- Qui c'est, le dirlo de c't'endroit… ?

C'était précisément à ce moment de la conversation que Doflamingo savait qu'il en avait trop dit, ou pas assez ; il s'avançait beaucoup, dans cette affaire, sans savoir si sa requête serait rejetée ou non. En faisant la demande lui-même, il était certain d'avoir bien plus de chance que si c'était Shanks qui avait initié la sollicitation, mais il restait suffisamment de place, un pourcentage non-négligeable, pour une réponse négative de la part dudit chef d'établissement.

Il aurait l'air fin, s'il lui prenait l'envie de dire non, juste pour pouvoir le contrarier. Rien que pour le principe.

- … c'est mon fils aîné, soupira Doflamingo en ôtant ses lunettes pour se frotter les yeux, las d'avance de devoir attiser la curiosité de son garçon cynique à mourir.

Shanks fronça les sourcils, opérant un lourd travail de mémoire quant à l'identité de ce jeune homme, à peine plus âgé que Sabo. Après tout, lui comme Doflamingo n'étaient pas de ce genre de parents qui affichent une photo de leurs enfants sur leur bureau, tous deux prenant grand soin de scinder de manière totalement distincte leurs activités de Gouverneur d'Etat et de père de famille, quand bien même les meetings interminables entre confrères amenaient leurs rejetons à se côtoyer.

Une dissociation qui avait coûté des heures de solitude à Shanks, là où il aurait tout donné à présent pour pouvoir revenir en arrière et vouer tous ces instants gâchés à choyer Luffy plus qu'il ne l'avait déjà fait.

- … ta grande perche basanée… ?

- C'est bien lui.

- Il dirige l'établissement ?

- C'est le psychiatre-en-chef et il est « actionnaire » à 80% dans cette affaire. Ce qui fait de lui, incontestablement, l'administrateur de ce centre, et de loin…

Clairement, ce n'était pas la meilleure des vies qu'il lui proposait, mais elle avait le mérite d'être loin de l'agitation du monde et de tout ce qui risquait d'interférer avec ce que Shanks avait prévu pour lui. Doflamingo le regarda peser le pour et le contre, à son tour, s'efforçant de ne pas prêter attention au tremblement de sa main, qui trahissait le sevrage brutal qu'il s'imposait.

Ça non plus, ça ne lui avait pas échappé – les photographies du journal avaient largement parlé à la place de son ami : les cernes, le teint cireux, les cheveux emmêlés d'avoir été trop longtemps triturés. Il faisait largement ses 48 ans, sur ces clichés, et même plus ; ils étaient loin, ses sourires légendaires qui crevaient les écrans et lui retiraient plus d'une décennie, preuves irréfutables de sa combattivité, de son acharnement, de sa capacité à atteindre les buts qu'il se fixait.

Tout chez Shanks dénotait l'abattement, à ce jour… Tout, hormis son regard ; pas même une lueur, tout juste une étincelle, mais cette ténacité qui brûlait encore confortait son confrère dans son analyse : le Gouverneur en avait encore à revendre, sous son amertume.

Et rien que pour ça, Doflamingo allait se permettre d'abattre la seule carte qu'il pouvait lui proposer.

Tant pis pour le reste.

- … en Louisiane, tu dis… ?

. . . . . . . . . .

Jour 14.

3800 W Lakeshore Dr., Baton Rouge, Louisiane

Doflamingo détourna la tête de son journal quand un crissement de pneus résonna dans l'avenue bordée d'arbres qui courait autour du lac de l'Université de la ville, preuve manifeste de la conduite nerveuse du pilote amateur qui jouait la montre sur le bitume ; un sourire en coin étira ses lèvres quand il entendit ronfler le moteur, de plus en plus proche, jusqu'à ce que la voiture s'engouffre dans son allée au portail demeuré ouvert. En retard, comme d'habitude, mais le trajet entre l'asile et la maison où son fils avait vu le jour n'était pas le plus tranquille qui soit, à travers le bayou et la circulation ralentie, propre aux habitants du Sud ; près de 2 heures 30 à slalomer entre les mangroves n'était pas une sinécure, il le savait mieux que personne.

Une portière claqua et Doflamingo se pencha à la fenêtre demeurée entrouverte, laissant passer un peu d'air malgré la moiteur ambiante, et adressa un sourire retors à son fils remontant l'accès bitumé qui menait à la grande entrée de la villa façon hacienda où il avait fait ses premiers pas.

Il revenait rarement ici, et c'était toujours l'occasion pour le Gouverneur de revoir celui qu'il considérerait toujours comme son éternel gamin renfermé et déjà adulte dans sa tête depuis sa naissance – à croire qu'il l'était bien plus que lui, parfois.

Repliant son journal, il traversa le salon, montant légèrement le son de son gramophone au passage, descendant les quelques marches qui menaient à l'entrée, juste à temps pour voir la porte s'ouvrir sur la grande silhouette de son aîné, lunettes de soleil sur le nez, en jean et chemise malgré la chaleur – et frileux, par-dessus le marché.

- … salut, Papa, lança-t-il en laissant la moustiquaire claquer derrière lui, relevant ses lunettes sur sa tête pour s'habituer à la légère pénombre de l'habitation.

- Salut, Law…, murmura Doflamingo en l'attirant à lui pour poser un baiser sur son front. Tu as fait bonne route… ?

- Pas vraiment. Du coup, j'aimerais savoir ce qui m'a valu presque trois heures d'emmerdes, ce fameux truc dont tu ne pouvais pas me parler au téléphone, rétorqua-t-il en s'écartant pour aller à reculons vers la cuisine, sans le quitter des yeux, ouvrant le frigidaire sans même un regard pour en sortir une bouteille d'eau fraîche et tâtonner pour trouver un verre.

Doflamingo sourit, enfonçant ses mains dans ses poches, esquissant quelques pas dans sa direction, évaluant son fils du regard ; pour être honnête, il ne l'avait pas vu depuis au moins quatre mois, n'ayant de plus que rarement l'occasion de l'avoir au téléphone. Mais malgré tout ça, il saisissait parfaitement les angoisses de Shanks, ses enfants étant ce qu'il avait de plus cher à ses yeux – lui non plus ne supporterait pas qu'on tente de lui retirer l'un d'entre eux.

Est-ce qu'il avait fait le bon choix, jusque-là ? Law avait pour habitude de chercher lui-même ceux qu'il appelait « ses petites pépites », et n'appréciait pas qu'on les lui impose, préférant dénicher seul sa perle rare. Pire encore était sa réticence quand c'était son père qui s'y mettait, en adolescent défiant l'autorité qu'il était resté depuis toutes ces années.

Il saisit le dossier laissé de côté sur le comptoir et s'approcha lentement, feuilletant ci et là pour trouver les titres les plus accrocheurs, sous le regard de son fils qui gardait ses yeux clairs posés sur lui – il en viendrait presque à être intimidant, si Doflamingo ne le connaissait pas aussi bien.

- Shanks. Tu te souviens de lui ?

- Mmn. Gouverneur de la Californie, acquiesça Law entre deux gorgées. Pourquoi ?

- Je suppose que… tu as suivi l'affaire qui est en train de faire les choux gras de ses opposants… ?

À en juger par le haussement de sourcil significatif du jeune homme, il en déduisit qu'il était resté coupé du monde des semaines durant, enfermé entre les quatre murs de son asile, centré sur ses patients et le cours de l'existence ralenti de cet endroit isolé de tous.

Et Dieu qu'il ne se sentait pas capable de résumer cette folie en quelques mots…

- Le plus jeune de ses enfants. Luffy. Diagnostiqué avec un trouble dissociatif de l'identité. Condamné par un jury populaire à la réclusion à perpétuité, murmura-t-il en ouvrant le dossier au premier cliché du médecin légiste.

- … qui a posé le diagnostic ?

- Ta copine Monet.

- Monet est beaucoup de choses, mais certainement pas « ma copine », rétorqua Law en attrapant le dossier d'un geste sec, zappant tout ce qui pourrait paraître alléchant à un civil en mal de frissons pour atterrir sur les résultats des tests réalisés sur le patient, le plus intéressant à ses yeux. Nom de Dieu… c'est rare qu'elle soit aussi catégorique dans ses constats…

- Quoi, c'est si rare que ça ? Je croyais qu'il y avait un nombre pas possible de gens atteints…

D'un regard, Law lui fit comprendre que, clairement, il le prenait pour le dernier des abrutis finis, et Doflamingo répliqua d'une tape derrière la tête avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit pour affirmer ses pensées. De toute évidence, les subtilités du monde psychiatrique lui échappaient, et son fils semblait décidé à remettre les pendules à l'heure… histoire de.

Il prenait son métier très au sérieux, le mettant sur un piédestal dont personne ne l'avait fait descendre, à ce jour, haut, très haut perché dans l'équilibre de sa vie à cent à l'heure.

- C'a été une pathologie très à la mode, fut un temps, pour excuser toutes les pulsions sanguinaires des détraqués incapables de supporter la moindre frustration, rétorqua-t-il, professoral, en reportant son attention sur son dossier. Tellement plus facile de faire porter le chapeau à son ami imaginaire… Ce patient-là, reprit-il en tapotant le rapport de police, il a tout fait pour cacher sa pathologie jusqu'au bout, quitte à tout encaisser alors qu'il n'en était pas intimement responsable.

- Qu'est-ce qui te dit qu'il ne fait pas semblant… ? tenta Doflamingo, un léger sourire aux lèvres.

- Si Monet, qui est la meilleure psychiatre de ce continent derrière moi, et Dracule Mihawk, le pire vautour que j'ai pu connaître de toute ma vie, se sont mis d'accord sur ce point, alors je ne vais certainement pas les contester. J'embarque ça, annonça-t-il en secouant le dossier. Je vais avoir à potasser, je crois.

- Dépêche-toi, alors. Le délai de 48 heures touche à sa fin. Borsalino va–

- Kizaru, je le gère très bien, répliqua Law en levant les yeux au ciel, s'éloignant vers la porte à reculons. C'est moi qui reprends ce dossier. Tu peux prévenir Shanks, dans moins de huit jours, son rejeton sera ad vitam aeternam dans ma galerie d'art…

Doflamingo n'émit pas le moindre commentaire, se contentant de le regarder partir et sourire avec son insolence habituelle, rabattant ses lunettes de soleil sur son nez pour signifier que cette conversation prenait fin ici. Il s'appuya à son comptoir, bras croisés, dévisageant pensivement son fils, cherchant toujours à analyser le peu d'émotions que ce gosse s'autorisait à laisser poindre de temps à autre sous son masque de froideur, comme un éclat fugace dans une nuit noire.

De la satisfaction, au moins, de la curiosité, de l'envie… et un plaisir malsain, mêlé de fascination.

À bien y réfléchir, le gouverneur ignorait s'il avait eu une si bonne idée que ça, de proposer d'interner Luffy chez Law ; compliqué d'expliquer la tendance de son aîné à collectionner ce qui lui semblait précieux, quand bien même il s'agissait d'humains et non pas d'objets.

Et il était hors de question qu'il dise à Shanks que son fils s'était pris d'adoration pour les particularités du sien, et qu'il comptait en décortiquer chaque recoin, patiemment, jusqu'à arriver à ce qu'il avait de plus intérieur, de plus intime, jusqu'à tenir son cœur entre ses mains pour le sentir battre, et mieux pouvoir l'écraser quand ses battements auraient cessé de le fasciner.

Le jeu n'en valait pas la chandelle.

Law dévala les marches du perron d'un pas allègre, fredonnant pour lui-même jusqu'à sa voiture dont il ouvrit la portière pour se glisser souplement dans l'habitacle aux vitres teintées ; le signal sonore qui résonna à ses oreilles lui indiqua que le kit main-libre venait de reconnaître son portable, et c'est le sourire aux lèvres qu'il demanda le numéro de téléphone du secrétariat du juge d'application des peines de San Francisco à son assistant vocal, jetant un coup d'œil par-dessus son épaule pour dévaler l'allée en marche arrière dans un ronflement de moteur, ignorant les regards indignés des rares passants qui s'attardaient sous le cagnard ; la tonalité résonna après un long instant de silence, surpassant légèrement le crissement de ses pneus dans le lotissement qu'il traversait à toute allure, les yeux rivés sur l'horizon rendu trouble par la chaleur écrasante qui régnait dans cette partie du pays, concentré sur sa conduite tout en cherchant les mots pour convaincre la seule personne capable de lui apporter son Noël avant l'heure.

- Vous êtes bien au secrétariat général de Kizaru Borsalino, annonça une voix veloutée dans les haut-parleurs. Que puis-je pour vous… ?

- Trafalgar Law. Je souhaiterais m'entretenir un instant avec lui, et au passage précisez-lui que je n'ai pas plus de dix minutes devant moi, répliqua-t-il.

Ni bonjour, ni remerciement, encore moins de politesse ; cette nuance-là, Law la réservait à ceux qu'il estimait, il jugeait ne pas avoir de salive à gaspiller pour ceux qu'il appelait les sous-fifres et qui étaient incapables de lui donner ce qu'il voulait. Son empressement à grimper les échelons à toute vitesse avait amené son lot de désillusions, mais aussi de réussites, pour atteindre le but qu'il s'était fixé après avoir passé tant de temps dans l'ombre de son père : procurer cet effet immédiat à l'entente de son nom, de la même manière que celui de Doflamingo qui lui ouvrait n'importe quelle porte, pour peu qu'il la veuille ouverte, fût-ce pour le seul plaisir de voir les autres s'affairer pour lui sans motif d'aucune sorte.

- À votre service, monsieur, murmura la standardiste avant que ne s'élève une énième musique d'attente, un classique de type Vivaldi.

Law tapa la mesure du bout des doigts, sur son volant, prenant la sortie de la ville sur la droite en direction de l'I-10, pour la Nouvelle-Orléans, qui le mènerait vers les lacs Maurepas et Salvador, derniers remparts avant les mangroves où il avait fait bâtir les murs de son établissement.

La circulation était quasiment inexistante, à partir de là, preuve évidente que cette région du globe n'attirait personne, moustiques mis à part.

- Maa~ Que me vaut le déplaisir de ton appel, Law… ? soupira le ton italien horriblement traînant de son interlocuteur.

- Numéro de greffe 160071, sur ton bureau. Ouvre-le.

- Il est déjà ouvert. Akainu m'a demandé d'y porter un soin tout particulier.

- Chez moi dans moins d'une semaine. Et comme toujours, ce n'est pas une demande, c'est uniquement factuel. Tu me prolonges son maintien en détention à San Quentin pour les prochaines 72 heures, et s'il lui manque un seul cheveu, je vous en tiendrai pour personnellement responsables. Toi et l'autre collabo, ajouta-t-il pour faire bonne mesure.

- … je ne sais vraiment pas ce qui me retient de le faire assassiner tout de suite par un de ses voisins de cellule, déplora Borsalino à l'autre bout du téléphone. Ça lui éviterait beaucoup de souffrances, plutôt qu'être avec toi.

- On s'adressera des compliments plus tard. Tu me faxes l'ordre de transfert, je le veux sur mon bureau avant mon retour à l'asile. Deux heures, c'est largement suffisant.

- Autre chose pour sa seigneurie… ?

Law ne releva pas l'ironie et se contenta de raccrocher avec un sourire satisfait, jetant un regard à la dérobée au siège passager où s'affichait l'image du trombinoscope du lycée de Luffy, le montrant tout sourire à l'objectif, au-dessus du rapport parfois surligné de noir.

Martin Heidegger le disait lui-même : « Même quand on a tout vu, la curiosité invente du nouveau » ; ce gosse représentait un défi, un de plus, et un corsé, de la même manière qu'il aimait son café au réveil. Il avait l'attrait de l'anticonformiste, de l'interdit, de la rareté, juste ce qu'il fallait pour éveiller ce qu'il y avait de plus possessif en Law, de plus complexe, de moins avouable, aussi. Le cas méritait réflexion, et le psychiatre sentait déjà poindre cette envie presque malsaine de conquête, sans pour autant ignorer le frisson d'appréhension qui anticipait chaque arrivée d'un nouveau cas ; rien à voir avec la peur, sentiment qui demeurait confus chez lui, se disputant entre le rationnel et l'envie dévorante d'adrénaline qui attisaient les braises qui sommeillaient en lui depuis toujours.

Il voyait chaque nouvel internement comme un challenge, homme débarquant sur un territoire inconnu dont il devait apprendre les limites au plus vite pour survivre. Monkey D. Luffy était d'une trempe peu commune, après ces années passées à se forger d'autres personnalités imperméables aux obligations sociales courantes, et Law frémissait rien qu'à l'idée de pouvoir poser les yeux sur un modèle aussi unique.

Oh… Law avait parfaitement compris, depuis toutes ces années, qu'au royaume des aveugles, les borgnes étaient les rois ; que lui-même n'était pas le meilleur exemple d'être humain mentalement sain sur cette planète, et qu'il risquait de tomber sur quelqu'un de son tempérament qui lui donnerait du fil à retordre, et pour un long, très long moment.

Il réclama, cette fois, la composition du numéro de Monet, non sans jeter un énième coup d'œil au visage immortalisé sur le papier glacé du dossier jeté à côté de lui, songeur.

Il avait besoin d'en savoir plus, et ce dès maintenant – de toute évidence, cet énergumène-là avait quelque chose de peu commun, de précieux, d'unique, même, et comme toute pierre inestimable, elle se devait d'être gardée le plus jalousement possible, à l'abri des regards, loin, bien loin du reste du monde susceptible d'en éroder la perfection.

- Sérieusement, Law, si tu appelles pour Monkey D. Luffy, c'est déjà trop tard, souffla la voix de son homologue dans le combiné. Il n'est plus entre mes murs.

- … et tu ne peux pas m'en dire plus sur ce petit concentré de folie… ? sourit-il en se déportant sur la voie d'urgence pour doubler par la droite, dépassant une ligne de voitures pour se rabattre au bout de la file et accélérer sur la route dégagée devant ses yeux.

- Il va croupir dans une maison où on lui injectera des sédatifs jusqu'à ce que son cerveau décide d'arrêter le carnage lui-même, rétorqua-t-elle. Et je pense que c'est encore mieux pour tout le monde.

- Tu l'as chatouillé combien de temps avant qu'il ne cède ?

- Une semaine, pas plus, pas moins. Et je te prie de croire qu'elle fait partie du top cinq que je ne souhaiterais revivre pour rien au monde.

Law connaissait trop bien Monet pour se laisser berner par sa prétendue répulsion, et pourtant, au fond de sa voix, il décelait assez de sincérité pour s'autoriser un instant de doute.

- Tu ne me feras pas croire que tu n'as pas pris ton pied à t'amuser à voir tout ce qu'il y avait dans sa coquille.

- C'était intéressant, mais plus que les autres tu devrais te rappeler qu'il est dangereux de jouer avec une allumette près du bidon d'essence. Il a un tempérament d'un genre bien différent de ce que j'ai été habituée à évaluer.

- Tu parles de trois personnalités. C'est… rare, et je crois que ce mot est sous-évalué.

Une chaise grinça, à l'autre bout du fil, signe que la psychiatre s'installait un peu plus confortablement dans son siège, sûrement résignée à devoir développer davantage le fil de ses pensées.

- Je n'en ai rencontré qu'une seule, Eustass Kid pour ne pas le nommer. J'ai jugé la première sur ce que je savais de ce Luffy, et il me semble bien que quelqu'un d'autre se plaît à arpenter la jolie tête du fils de Shanks, soupira-t-elle.

- Qu'est-ce que tu sais sur cette troisième face ?

- Taciturne. Beaucoup moins tapageuse qu'Eustass Kid. Et… en un sens, je m'en méfie bien plus que de l'autre peste. Tu sais ce qu'on dit de l'eau qui dort…

Law sourit pour lui-même, jetant un regard dans son rétroviseur pour se rabattre et emprunter une sortie supplémentaire, plus déserte encore que la première, alors que la voie vers le sud marécageux s'ouvrait à lui, loin de l'agitation de la ville.

- Donne-moi une estimation du temps qu'il t'aurait fallu pour la débusquer, celle-là.

- … un mois, au moins. Pourquoi ?

- … un petit pari, ça te dit ? susurra-t-il en jouant de ses doigts sur le volant.

Un silence lui répondit, excessivement long, pendant lequel il ne perçut rien d'autre que le léger grésillement de la ligne ; pas même la respiration de sa consœur, qu'il imaginait perplexe.

- … Law.

- Monet.

- Tu n'as pas pu résister, hein… ? déplora-t-elle, clairement désapprobatrice.

- On a passé les mêmes heures sur les mêmes bancs, à écouter nos enseignants nous raconter des histoires à en faire des cauchemars la nuit, et à espérer un jour pouvoir observer un phénomène du même genre. Tu ne me feras pas croire que ce gosse ne t'a pas fait frémir, persista-t-il.

Silence, encore une fois.

Toute vérité n'était pas bonne à dire, mais visiblement, elle n'était pas non plus toujours bonne à entendre.

Mieux que personne, Law pouvait se targuer de sonder l'âme humaine, et il avait depuis longtemps dressé le profil de sa rivale de promotion, assez pour prétendre la connaître mieux qu'elle ne se connaissait elle-même ; Monet avait adoré le jouet qu'on lui avait prêté, et quand bien même elle s'y était brûlé les doigts, cette fascination qu'elle avait ressenti pour Monkey D. Luffy n'avait pas encore trouvé ses limites.

Il était prêt à parier gros qu'elle en crevait de jalousie, tout au fond d'elle.

- Quand est-ce qu'il arrive dans ton musée des horreurs ?

- Six ou sept jours, le temps de préparer sa chambre et informer le personnel.

- J'espère sincèrement pour toi que ton nouveau toutou n'aura jamais l'idée de te mordre… parce que ça pourrait bien être la première et dernière fois. Ce genre de chien ne chique pas la main, il prend directement à la gorge.

- Monet, tu me fais de la peine, s'esclaffa-t-il.

- Tu n'as pas vu ce que j'ai vu. Quand il aura passé tous tes niveaux de sécurité, on en reparlera, murmura-t-elle. D'ici là, je te présente toutes mes condoléances pour les futures morts que tu auras à gérer entre tes murs, et je te rappelle dans la quinzaine pour savoir si tu es toujours en vie…

- Combien tu paries que j'arrive à psychanalyser tout ce qui se passe dans son crâne en mois de quatre semaines ?

- Pas plus de deux cent dollars. Je me méfie de toi, crut-elle bon d'ajouter après un court instant de flottement.

- Tenu. Passe une bonne soirée, s'esclaffa-t-il en raccrochant d'une chiquenaude sur l'écran.

. . . . . . . . . .

Jour 14.

San Quentin, CA 94964, Californie.

Luffy mâchonna lentement la cuisse de poulet passée par le passe-plat de la porte quelques minutes plus tôt, les yeux rivés sur le sol où filtraient quelques rayons de lumière à travers l'interstice du lourd battant de fer, dans la pièce plongée dans le noir.

Mesure de sécurité, tant pour lui que pour les autres.

Il avait perdu la notion du temps, coupé du reste du monde, suspendu aux rondes de ses gardiens chargés de rester devant sa porte H24, seuls témoins du cours de la vie qui se poursuivait de l'autre côté des murs. Que représentaient ces journées, dans l'immuabilité des heures passées enfermé entre ces parois bétonnées ? Il n'avait pas été autorisé à sortir pour se doucher, et avait longtemps considéré, dépité, le pot de chambre qu'il était forcé d'utiliser et de passer par le petit battant qu'on déverrouillait à des horaires randoms pour le nourrir et l'hydrater.

Il avait parfaitement conscience qu'il se trouvait au dernier endroit où un fils de Gouverneur était supposé se rendre, d'autant plus quand votre père avait fait enfermer un bon tiers de la population locale en durcissant le système pénal de l'état déjà en place. Luffy savait, plus que quiconque, qu'il ne survivrait pas à trente secondes passées dans un couloir de cette prison, et il estimait s'en sortir à bon compte, après toutes les horreurs de Kid, qu'il ne pouvait s'empêcher de maudire – et qui, bien sûr, ne se montrait pas tant que la partie n'en valait pas la peine, à ses yeux. De toute manière, il n'y avait rien pour lui, entre ce sol et ce plafond rongés par l'humidité ; pas de distraction, des surfaces lisses sans ouverture et inviolables, peu importe l'étendue de son imagination.

Il se redressa et arpenta les quelques mètres carrés de sa cellule, s'étirant longuement pour désengourdir ses reins, laissant ses doigts courir sur les murs râpeux qu'il pouvait toucher d'un bout à l'autre en tendant les bras, levant les yeux vers le plafond dont il ne devinait pas les limites, dans l'obscurité de la pièce. Sans issue. Et quand bien même Kid aurait eu envie de jouer, il ne pouvait rien, ici – lui laisser les rênes n'apporterait rien. Ni bien, ni mal ; autant rester conscient pour ne rien rater de plus.

- On arrête le tir dans combien de temps… ? marmonna une voix de l'autre côté de la porte.

- Ben, ça va pas être pour tout de suite, mec.

Luffy jeta un regard par-dessus son épaule en direction du battant, intrigué.

- Quoi ? Ils prolongent ?

- Tout juste. 72 heures minimum. 'Vient de Borsalino lui-même.

Kizaru Borsalino. Le jeune homme avait déjà entendu ce nom, auparavant, quand Shanks traitait une de ses innombrables affaires à la villa, tard le soir, quand il pensait ses enfants couchés ou enfermés dans leurs chambres.

Il se rapprocha de la porte, plaquant ses mains sur le métal glacé, pressant ses lèvres contre l'ouverture au niveau des charnières.

- Hé, s'il vous plaît…, lança-t-il. Qu'est-ce qu'il se passe… ?

- Rendors-toi, toi, marmonna une voix étouffée.

- Pourquoi j'dois rester là trois jours de plus… ? Y'a un problème avec mon transfert ?

- On en sait pas plus que toi, gamin. Tu fais comme nous, t'attends.

- Allez…. ! insista-t-il en se tendant contre la porte, réflexe dérisoire qu'il possédait encore pour tenter de l'ouvrir. Ça fait combien d'temps que j'suis là… ? Un jour… ? Plus… ?

- Nous oblige pas à te faire taire, pesta un ténor nasillard. T'as pas été chiant jusque-là et ça s'rait bien qu'ça reste comme ça. Capito ?

Un frisson courut le long de sa colonne – l'envie dévorante d'insolence, si propre à Kid et lui, qui les rendait indissociables l'un de l'autre quand ils avaient décidé de se buter dans leurs principes.

Ce n'était pas le moment d'aggraver son cas, mais l'espace d'un seconde, il envisagea la possibilité de laisser Kid diriger, et de faire fermer son clapet au gardien en lui faisant avaler sa langue – qu'il avalerait de son propre chef si elle était le seul échappatoire qu'il lui restait aux tortures que Kid adorait expérimenter sur ceux qui lui tombaient entre les mains.

Tentant.

Se secouant lui-même, il se détourna de la porte et se laissa glisser le long du mur, genoux ramenés contre sa poitrine, avec pour seule distraction le murmure constant des détenus, tout autour de lui, bruissements, raclements, éclats de voix dans les corridors – endroit sous pression, où Luffy percevait souvent son nom dans les conversations qui tournaient en boucle autour de son étape par San Quentin.

Il lui arrivait parfois, au milieu du bruit incessant, de percevoir les crachotements d'une radio, tout près, et d'entendre les commentaires d'un journaliste vociférant à un micro que Shanks devait être démis de ses fonctions, scandant qu'il était impensable qu'un homme comme lui soit le leader de la Californie – « Vous voulez d'un homme comme ça à la tête de notre Etat ? Un homme dont le fils est un attardé sanguinaire ? » – et continue à véhiculer une image comme celle de sa famille ; les débats faisaient rage, entre ceux martelant qu'il n'avait rien fait pour court-circuiter la justice et qu'il n'avait jamais nié les crimes de son fils, et ceux impatients de savoir ce qu'il allait advenir de ce vilain petit canard. Luffy n'imaginait que trop bien les défilés de pancartes devant la prison, les uns réclamant sa tête au bout d'une pique, les autres militant pour une relaxe totalement injustifiée, selon lui – il méritait ce qui lui arrivait, point.

Et, au milieu de tout ça, se trouvait ce qu'il restait de sa famille ; Nami, Sabo, Shanks. Il avait une conscience accrue de ce qu'il risquait de se passer pour eux, dans une chute aussi brutale que précipitée, vent en poupe : la menace que Shanks perde son investiture et ne soit destitué, que Sabo soit forcé de mettre la clé sous la porte de son entreprise BTP une fois son carnet de commandes devenu désespérément vide, et l'échec constant de Nami à l'Université, ses travaux censurés et sous-évalués, l'effondrement de sa vie privée… celle de Sabo et Shanks, aussi.

Luffy considérait déjà qu'il avait tout perdu, ces dernières semaines, peu lui importait ce qu'on pourrait penser de lui ; la seule chose qui le dévorait à petits feux, c'était imaginer l'épée de Damoclès qui s'était enfin décidée à s'abattre sur la tête de ceux qu'il aimait, prix à payer pour l'égoïsme dont il pensait avoir fait preuve depuis des années, à présent.

- T'es vraiment le plus gros des abrutis, marmonna-t-il à Kid, tout en sachant pertinemment qu'aucune petite voix ne viendrait lui murmurer la moindre réponse à l'oreille.

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Réponses aux guests :

Nyu : Hello ! Et voilà, Law a fait son entrée... en espérant qu'il t'a plu ! Je vais continuer à faire entrer des personnages au fur et à mesure de la fiction, tu vas être servie, je suis même pas arrivée à la moitié du casting... Merci beaucoup, à bientôt !

Yuh : Yop ! Luffy est dans le mal, c'est vrai, mais ça va aller, ne t'en fais pas. Ça ne va pas être le fond du trou à chaque fois. Et Kid n'a pas fini de faire le mariole... Oh, l'inspiration est toujours là, même si je cours tellement à droite et à gauche que je n'ai pas le temps d'écrire comme je le voudrais ! Merci pour ta review, à très vite !

Crow : Bonsoir, chère Crow ! J'ai posté tard, ce jour-là, j'en suis navrée. Ce chapitre-là était à l'heure, au moins !
Je tenais vraiment à expliquer avec des mots simples ce qui différenciait la schizo et le TDI, parce que je suis parfois hérissée par des abus de langage, autant qu'on parte tous avec la même base !
Les 2% vont être développés un peu plus tard, pour l'instant, cette notion reste en stand-by, je vais surtout m'attarder sur Kid et Luffy. Oh, oui, cet épisode de Criminal Mind... cette série me manque, il faut que je remette la main dessus, c'était si inspirant et si prenant, également ! Ace ou Zoro ? La réponse viendra en son temps, mais j'aime bien tes propositions...
Pauvres gosses, mais j'avoue qu'ils sont souvent très bon public, ils sont faciles à faire flipper, parfois. J'ai déjà vu une version zombie de la Reine des Neiges qui coursait des mômes, c'était mythique.
Punaise, à l'heure où je rédige les réponses c'est tôt le matin, et ton apéritif m'a juste fichu l'eau à la bouche. Nous, nous avions de l'ail mariné, des yeux en tomates, fromage frais et olives, une tarte pentacle à la courge et au chèvre, thym et origan, huile d'olive à la truffe blanche. Des têtes de Jack à la viande rouge épicée et crâne en pâte brisée, et dessert en forme de table Ouija, en biscuit imbibé rhum orange, crème au beurre, fruits secs torréfiés et décor en très fine pâte à sucre. Qu'en penses-tu ?
L'automne est arrivé chez moi avec son lot de pluie et de température moyenne, on décline doucement vers l'hiver, au revoir le soleil pour quelques temps... A très bientôt, porte-toi bien près de ton poêle en fonte !


Rendez-vous dans 15 jours !

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PS : Peut-être verrai-je certains d'entre vous à la Japan Touch de Lyon... si c'est le cas... à demain !