Ohayo mina !

Merci beaucoup pour vos reviews et vos petits messages d'encouragement, vous êtes extra !
Vous avez globalement hâte de voir Law et Kid s'affronter sur un nouveau terrain... et il va falloir être patient, encore une fois, parce que ça ne va pas arriver tout de suite.
Allez-y, jetez-moi des objets, c'est open-bar.

Nope, pour l'instant, on se concentre sur le transfert Californie/Louisiane de Luffy, qui va s'avérer moins reposant que les jours en cellule.

Merci à Flllora, Sinasta et Crow pour m'avoir signalé des erreurs dans le dernier chapitre... veuillez excuser mes vieux yeux.

Joyeux Anniversaire à Zodiaaque, puisse ce chapitre être un bon cadeau pour ta journée !

Je retrouve les guests en bas de page, et...

Enjoy it !


Chapitre 10 :

Jour 17. Transfert.

Prison de San Quentin, CA 94964, Californie.
Six heures du matin.

Luffy cligna des paupières quand la porte de sa cellule s'ouvrit en grand et, un instant aveuglé par l'éclat des néons du couloir, se redressa lentement, quittant la position en chien de fusil qu'il avait adoptée, lové sur le banc de béton. Trois silhouettes s'engouffrèrent dans l'ouverture, faisant momentanément écran à la lumière glacée qui inondait ses quatre murs.

- Allez, soupira une voix sur sa droite. Debout, Monkey.

- Où on va… ? marmonna-t-il en se frottant les yeux.

- En Louisiane.

Il n'avait jamais mis les pieds dans les marécages de cet état et son cerveau fit un long effort pour tenter de se rappeler de tout ce qui pouvait le concerner à cet endroit, mais même les conclusions du procès résumées par Aokiji n'avaient rien donné à ce propos.

Deux paires de mains le redressèrent et menottèrent ses poignets dans un claquement sec, en même temps qu'on lui enfilait sa paire de chaussures et qu'on bouclait sa ceinture. Il se laissa faire, trop occupé à dévisager les visages qui le dominaient de leur hauteur – aucun d'entre eux ne lui disait quoi que ce soit, les gardiens devant se relayer régulièrement à sa porte.

Une poigne de fer l'entraîna hors de la pièce et des clameurs montèrent, sur sa gauche ; il se dévissa le cou pour apercevoir ce qui était à l'origine d'un tel capharnaüm, et ses yeux accrochèrent le regard d'un prisonnier à l'autre bout du couloir, pressé contre les barreaux de sa cellule, son pouce raclant lentement sa gorge dans un signe équivoque. Luffy haussa le sourcil, sentant les prémisses de la provocation refaire surface, signe imminent que Kid n'était jamais loin, prêt à prendre sa place sur la scène, sous la lumière.

Une secousse l'incita à presser le pas, alors que fusaient déjà les premières menaces de mort et les insultes ; il en avait entendu, dans sa vie, et ce n'étaient pas des types comme eux qui allaient lui apprendre quoi que ce soit qu'il n'ait déjà expérimenté lui-même, par le biais de Kid – comme eux, il avait trempé dans l'hémoglobine et s'était forgé avec ça, pantin de chair prisonnier des pulsions de son autre personnalité.

Les portes s'ouvraient sur leur passage, se refermant dans la foulée dans un grincement sonore et le martèlement régulier des alarmes d'ouverture, prenant peu à peu le pas sur les injures perdant de leur cohérence avec la distance qui se creusait entre leur groupe et celui des détenus. Finalement, ils changèrent d'aile, bifurquant vers ce qui semblait être le cœur de la prison, au milieu de bureaux à l'allure de postes administratifs et de surveillance ; le personnel pénitencier le regardait passer en silence, arborant une expression indéchiffrable qui laissait Luffy hésitant quant au fond de leurs pensées. Haine ? Mépris ? Compassion ? Ils devaient en avoir tant vu, ici, qu'une situation comme la sienne devait les laisser de marbre. Le jeune homme se demanda brièvement si, dans l'endroit où ils l'emmenaient, il serait traité avec la même indifférence, le même recul, ou si quelqu'un allait enfin pouvoir le débarrasser de ses démons, là où tout le monde avait échoué pendant si longtemps, lui le premier… ?

Ils empruntèrent une volée d'escaliers les menant au dernier poste sécurisé, où ils franchirent le dernier obstacle de barreaux forgés avant de passer la double porte vitrée, qui les baigna de soleil quand les battants s'écartèrent pour le laisser passer. Il leva le visage vers les rayons dorés et ferma les yeux, inspirant à pleins poumons le parfum de l'océan, à quelques mètres de là, la force des embruns sur les rochers, le cri des goélands au-dessus d'eux.
La Louisiane et ses mangroves… c'était la dernière fois qu'il contemplait le Pacifique, il en était certain. La dernière image de la ville où il avait grandi, ces quinze dernières années.

Les policiers lui laissèrent une poignée de secondes de répit, immobiles à ses côtés, avant de le guider vers le petit fourgon garé le long du trottoir. Les portières s'ouvrirent et Luffy se figea en contemplant la silhouette de la jeune femme en uniforme occupée à vérifier le chargement de son arme, à quelques pas ; ils notèrent son hésitation et lui jetèrent un regard de concert, perplexes.

- … quoi ? C'est maintenant que tu fais d'la résistance ? s'enquit le plus proche, à sa droite.

- … y'a qui avec moi, dans cette caisse… ?

- Moi-même, pour commencer. Shiki, l'officier responsable de ton transfert, rétorqua-t-il à travers le cigare coincé au coin de ses lèvres. Blueno, que tu vois là, sera le conducteur jusqu'à Fabens, Kaku à ta gauche prendra le relais de la conduite à ce moment-là et Blueno restera avec nous à l'arrière pendant les heures à venir, jusqu'à La Nouvelle-Orléans, avant que Kaku ne finisse le trajet jusqu'à l'asile psychiatrique qui t'attend avec un petit lit douillet. Il y aura aussi Conis avec nous, ce qui nous amène à une escorte rapprochée de trois personnes, sans compter le conducteur. Presque 33 heures juste entre nous, quoi. Ça te convient, votre Altesse ?

- … je voudrais pas vous manquer de respect, mais vous avez lu le rapport me concernant ou pas… ? murmura-t-il sans lâcher l'officier féminin du regard.

Ils échangèrent un coup d'œil dubitatif, seul celui de Shiki demeurant ferme et sans appel, rivé sur le visage atterré de leur détenu.

C'était un désastre complet, et la situation n'allait pas gagner en sérénité, loin de là ; Luffy se connaissait assez pour savoir que toutes les conditions étaient réunies pour mener leur cortège droit dans le mur – la tentation serait beaucoup trop forte : une femme, la possibilité de s'échapper, la jeunesse du garçon chargé de la dernière partie du voyage, et la légèreté des armes qu'ils portaient sur eux, sans compter la pauvre paire de menottes passée à ses poignets qui ne risquait pas de le retenir très longtemps.

- Qu'est-ce que ça vient faire ici… ?

- Kid a– j'ai tué des gens avec beaucoup moins que ça. Et je suis un putain de détraqué qui viole des filles et les dépèce sur le trottoir, ajouta-t-il après un instant de flottement. Vous voulez vraiment m'enfermer aussi longtemps avec elle… ? chuchota-t-il en désignant Conis d'un geste du menton.

- Écoute, t'es mignon, mais on connaît notre boulot. Alors monte, fais pas d'histoires, et quand on arrivera, tu pourras avoir droit à tout ce que tu veux.

Résigné, Luffy se hissa à l'arrière du fourgon et s'assit sur le banc le plus proche, gardant les yeux obstinément rivés au sol pour ne pas croiser la jeune femme du regard – elle était espiègle, sous ses cheveux blonds comme les blés sagement tressés derrière sa tête, et comme n'importe quel garçon attiré par les filles, Luffy la trouvait jolie, juste ce qu'il fallait pour préparer l'arrivée tant redoutée de son alter-ego. Les trois flics suivirent, Conis prenant soin de s'installer face au prisonnier et non pas à ses côtés, fusil entre les genoux. Blueno chargea quelques caisses à l'arrière, certaines soigneusement verrouillées, ainsi que quelques jerricanes remplis d'eau – leur périple allait les emmener à travers les déserts californiens et les routes du Nevada perdues au milieu de nulle part, et ce n'était pas à ce moment-là qu'ils devaient se laisser mourir de soif ou perdre un tant soit peu de leur vigilance. Luffy avait parfaitement conscience de ce qui allait se passer si la moindre échappatoire se profilait pour lui, et il flippait littéralement à l'idée de revenir à lui désorienté, en train de courir au milieu du Sonora, sous près de 50°C au zénith, menottes aux mains et les vêtements poisseux de sang ; la chute brutale représentant son dernier réveil dans la maison de son père lui laissait encore un goût atrocement amer dans la bouche, il était impensable qu'il revive un tel épisode dans un laps de temps aussi court.

Tout ce qu'il espérait, c'était qu'on l'enferme dans une cellule capitonnée jusqu'à ce que son corps ne cède pour de bon, libérant le monde et sa propre conscience du poids de son existence.

Murmurant sans lui prêter la moindre attention, les flics ouvrirent la carte du sud des Etats-Unis et tracèrent l'itinéraire au feutre, entourant certaines villes, barrant d'autres endroits ; Shiki consultait régulièrement sa montre et annotait l'heure qu'il devait estimer sur les check-points symbolisés sur le plan. Luffy s'efforçait de ne pas trop loucher sur les indications, histoire de ne pas se faire taxer de voyeur et d'en ramasser une au passage, mais il percevait assez de leur conversation pour comprendre que les pauses n'allaient pas être légion, dans leur excursion – ils n'emprunteraient pas de petites routes, seulement les axes les plus grands possibles : rouler sirènes activées à plus de 150 miles leur donnait la certitude qu'il ne tenterait pas, pour une raison ou une autre, de sauter du fourgon en marche, histoire de ne pas se faire broyer lors de la chute ou de se faire pulvériser par une voiture trop proche des portes arrières.

Dissuasif, à première vue, mais Luffy avait passé son existence entière à prédire les actes de l'autre fou qu'il hébergeait dans un coin de sa tête, et il en était malade de reconnaître que toutes leurs idées ne risquaient pas de peser bien lourd si Kid s'obstinait à partir d'ici, coûte que coûte.

- On décolle, lança Shiki à Blueno. Tu préviens Doc La Mort, on le contacte quand on atteint le panneau de Phoenix.

- Conis peut pas l'appeler ? Il me fout les boules ce mec, pesta-t-il en repliant la carte.

- Exécution. C'est juste un putain de coup de fil, tu vas pas commencer à avoir les miquettes pour ça.

« Doc La Mort ».

Luffy eut un sourire en s'imaginant atterrir dans une clinique où il serait reçu par Wouter Basson lui-même, prêt à tester tous ses petits tricks sur lui, mains gantées et masque sur le visage.
De la même manière que Monet avait testé les limites de Kid, éprouvé son self-control et évalué la hauteur des barrières qui l'entouraient, pour voir enfin aboutir les raisons de sa curiosité.
Quel genre d'accueil lui réservait-on, dans cet endroit ? Quitte à relativiser, il devait reconnaître qu'hormis l'ennui à mourir, il avait relativement eu la paix à San Quentin, isolé de tout et de tout le monde. La dernière chose qu'il désirait était se retrouver l'objet d'une surveillance accrue, d'un examen minutieux et malsain de tout ce que recelait son cerveau, de ce qui se cachait derrière ses yeux et ceux de Kid, jamais complètement fermés, à son plus grand désespoir.

Shiki grimpa à sa gauche, Kaku verrouilla les portes de l'intérieur, goupilles et chaînes incluses, et s'assit à sa droite en tapant contre les croisillons qui les séparaient du conducteur, l'enjoignant du menton de mettre le contact et de démarrer. L'intéressé composa un numéro en maugréant et porta son cellulaire à son oreille, patientant en jouant des doigts sur le volant, pendant que Conis s'assurait que les menottes de Luffy étaient correctement fixées. Il s'efforça à nouveau de regarder ailleurs, histoire de ne pas être tenté d'en observer le mécanisme, portant son attention sur Blueno de l'autre côté de la barrière.

- On part, marmonna-t-il dans le téléphone, sourcils froncés – image même du déplaisir. Euh… on descend vers Modesto pour prendre l'I-5, et… on bifurque au nord de Los Angeles. Shiki, il veut savoir si on passe par Riverside pour chopper l'I-10, lança-t-il par-dessus son épaule à l'intention de son supérieur, qui se contenta de lever son majeur dans une réponse équivoque.

Luffy finissait par se demander qui était vraiment le type chez qui il était supposé finir sa vie. Quel genre de psychopathe avait accepté de s'occuper de son cas, à quel prix, et dans quel but ; vu comment personne n'avait envie d'avoir affaire à lui, il s'imaginait un peu tout et n'importe quoi concernant ce Doc La Mort. Peut-être un des médecins de l'asile vers lequel leur troupe se dirigeait, en Louisiane ? Un homme, dans tous les cas, aucun doute possible, rien qu'à entendre les pronoms utilisés.

Shanks avait passé tant de temps à vouloir le convaincre de consulter, et Luffy à lui faire jurer de ne jamais le forcer à faire ça – hors de question de prendre le risque que quelqu'un ne dévoile quoi que ce soit et ne le renvoie à l'orphelinat, ou anéantisse la réputation de son père ; tout ça pour rien. Kid avait pris le relais avec son lot de menaces, quelques temps plus tard, en promettant de foutre un bordel monstre si Shanks, Nami ou Sabo tentaient de le traîner chez un thérapeute. Résultats : Luffy ignorait à quoi pouvait ressembler ne serait-ce que la porte d'un psy, n'en avait jamais approché un – Monet mise à part, avec qui il n'avait jamais interagi – et ne pouvait que supputer ce qui l'attendait.

- J'crois que c'est le but. On la suit jusqu'à la Nouvelle-Orléans, en passant par Houston en dernier arrêt. Et on– putain, il m'a raccroché au nez ce con… ! s'exclama-t-il en lorgnant dans son rétroviseur. J'vous préviens, Boss, même pas je descends saluer ce fils de pute. J'veux même pas croiser son regard.

- T'en fais pas pour ça, Blueno, grogna Shiki en s'adossant confortablement à la paroi du véhicule. On largue le paquet, son toutou viendra récupérer le colis et on se barre. On a un job, un seul, et on va s'y tenir. Maintenant, démarre, parce qu'on va se fossiliser, ici.

Dans un marmonnement inintelligible, Blueno s'exécuta, mettant le contact avant de faire vrombir le moteur, passant une vitesse pour démarrer sur la légère pente qui marquait l'entrée de la prison. Le fourgon s'éloigna dans le chemin bitumé courant autour de l'enceinte et s'engagea en direction du nord-est de San Francisco, sur le pont Richmond-San Rafael, accompagné par le bruit des goélands et des pélicans, lointains mais audibles malgré la distance les séparant d'Alcatraz. Luffy fit volte-face sur son banc et riva son regard sur l'océan, fixant la berge la plus éloignée de l'endroit où ils se trouvaient, quasiment certain de contempler le Marina District, où se trouvait la villa de sa famille.

Il songea, la gorge nouée, que la dernière image qu'il emporterait d'eux serait celle du tribunal, avant que la porte ne se referme. Il leva les yeux vers le plafond, réfrénant ses larmes, refusant de laisser d'autres inconnus voir un peu plus de ses faiblesses, s'efforçant de penser à d'autres choses dont il avait à s'inquiéter en premier lieu ; il allait très bientôt avoir sa vie entière devant lui pour pleurer ce qu'il avait perdu et ne retrouverait plus jamais.

- T'as quoi… ? siffla Shiki en désignant, d'un geste du menton, la crispation des mains de Luffy sur ses cuisses.

- … je pense à mon père, murmura l'intéressé sans lui accorder un regard.

- Pense plutôt à c'qui t'attend.

Kaku leva les yeux au ciel, entre désapprobation et agacement, mais c'était assez pour piquer la curiosité de Luffy, le détournant momentanément du cours de ses pensées sombres.

- … y'a quoi, là-bas… ? marmonna-t-il en haussant un sourcil, perplexe.

- Un asile psychiatrique, répliqua Kaku en tirant sur sa casquette pour la rajuster sur ses cheveux vénitiens.

- Ouais, merci, j'avais pigé qu'on allait pas à Orlando…

- Ton langage, gamin.

Luffy réprima un claquement de langue exaspéré mais ne releva pas, sentant l'amorce d'une insolence illimitée naître au creux de son ventre, signe avant-coureur d'un débarquement intempestif de Kid, chose qu'il tenait absolument à éviter dans un tel huis-clos.

- Rien de plus que ce que Kaku ne t'a déjà dit, soupira Conis en se réinstallant un peu plus confortablement sur le siège. On ne peut pas vraiment t'en dire plus, ce qui s'y passe relève du secret professionnel. C'est une clinique où on soigne les personnes atteintes de maladies mentales… Kizaru lui-même t'a placé là-bas.

- Comme s'il avait eu l'idée tout seul, ricana Shiki.

- Ça, c'est pas notre job, rétorqua Blueno depuis la banquette avant, de l'autre côté de la grille.

C'était un non-sens complet ; de toute évidence, l'équipe était divisée sur le sujet, mais Luffy pouvait au moins en tirer une chose : le type chez qui il se rendait n'avait pas l'air d'être la personne la plus appréciée qui soit sur cette Terre. Peut-être même qu'il avait encore plus d'ennemis que lui, à bien considérer les choses.

Glauque.

Fermant les yeux, il se laissa aller contre la paroi et ramena ses genoux contre sa poitrine, cherchant une position la plus rassurante possible, au milieu de toutes ses pensées lugubres : comment allait se passer ce trajet jusqu'en Louisiane ? Est-ce qu'il serait autorisé à manger, à boire ? Et s'il lui prenait une monstrueuse envie de pisser, comment est-ce qu'il se débrouillerait ? Avaient-ils seulement l'autorisation de s'arrêter pour ce genre de raisons ?
Et qu'est-ce qu'il se passerait, une fois là-bas ?
Est-ce qu'il allait finir ses jours dans une pièce capitonnée, à attendre la fin, coupé du monde et d'une vue sur le ciel ?

Il en était presque réduit à se demander si laisser Kid gérer et prendre le dessus ne serait pas une bonne idée, tout compte fait ; pour qu'il se fasse abattre d'une balle dans la tête, et que ses emmerdes et celles des autres s'arrêtent une bonne fois pour toutes.

. . . . . . . . . .

Jour 17. Louisiane, près d'Ostrica, 70 miles au sud-est de la Nouvelle-Orléans.
Treize heures.

Law s'adossa à l'encadrement de la porte et croisa les bras, son regard serpentant sur chaque aspect de la pièce immaculée au porche de laquelle il se trouvait, critique. Rien ne devait être laissé au hasard, surtout pas dans ces conditions-ci, où il avait un pari à tenir, et un spécimen si rare entre les mains. Tout avait été étudié et aménagé en un temps record et, de toute évidence, conforme à sa demande.

Il avisa la silhouette affairée à tendre les draps du lit au carré, sourit et toussota pour annoncer sa présence, attirant l'attention de la jeune femme occupée à lisser la couverture de la manière la plus impeccable possible ; elle lui jeta un regard par-dessus son épaule et fit sauter un de ses écouteurs, sourire narquois au coin des lèvres.

- Toi, t'as pas dormi de la nuit, avisa-t-elle en désignant les cernes sous ses yeux.

- C'est si visible ?

- Personne t'en voudra d'avoir une tête de mort, ici, tu le sais mieux que personne…

Elle se redressa et s'étira longuement, sous le regard pensif de Law, qui laissa ses yeux glisser jusqu'au système de verrouillage de la porte ; Franky lui-même s'était assuré de la solidité des fermetures et jamais encore il n'avait failli, et même s'il restait persuadé de la perfection de son système, une partie de lui ne pouvait s'empêcher de douter, comme à chaque fois qu'il recevait une nouvelle bombe à amorcer et désamorcer au gré de son envie.

C'était un risque supplémentaire qu'il prenait avec la perle rare qu'était Monkey D. Luffy, mais il restait persuadé que le jeu en valait la chandelle.

- Tout le monde a reçu le rapport ? s'enquit-il en laissant ses doigts courir sur les murs satinés, dénués d'aspérités, traversant la pièce pour se rendre à la fenêtre fraîchement soudée qui ouvrait sur les marais entourant l'asile.

- Le dernier à l'avoir lu est Magellan, pas plus tard que ce matin. À quelle heure est-ce qu'ils sont partis, à SF ?

- Six heures quinze. Je les attends au plus tard demain à 18 heures, si je leur laisse le loisir de faire le plein et d'autres choses typiquement humaines.

Il avait demandé des rapports réguliers, espacés de 4 heures au maximum, avec une description détaillée du comportement du patient et de ce qu'il avait mangé, bu, qui l'avait approché, le temps exact passé à l'arrêt et tout ce qui serait susceptible d'agrémenter son analyse – il doutait fortement de la bonne volonté de Shiki et Blueno, mais c'était tout ce dont il pouvait se contenter pour le moment.

- Sois pas trop chiant, OK ? soupira-t-elle en inspectant le contenu des commodes et du bureau laissés à la disposition du futur habitant. Ils vont avoir une journée et demi de voiture dans les pattes, fous-leur un peu la paix.

- Si directive, susurra-t-il, s'attirant un regard noir qu'il balaya d'un sourire retors.

- Des fois, je me demande si on est vraiment frère et sœur, toi et moi, souffla la jeune fille en s'assurant qu'aucune vis ne dépassait des étagères.

- Désolé pour toi, Lami, mais tu vas devoir supporter le fait qu'on partage le même patrimoine génétique, railla-t-il en se détournant de sa jumelle pour lorgner sa montre. On se voit au dîner, d'accord… ?

Il n'attendit pas de réponse, sachant pertinemment qu'elle avait l'habitude de ses interrogations qui ressemblaient plus à des ordres dissimulés qu'à de véritables questions, et sortit de la pièce pour traverser le couloir de l'aile où il se trouvait avec pour idée de rejoindre le rez-de-chaussée, un objectif bien précis en tête. Il longea les grandes baies vitrées qui ouvraient sur la cour intérieure, mains dans les poches de sa blouse, saluant les infirmiers d'un signe de tête avant de dévaler une volée d'escaliers, s'arrêtant au dernier niveau où s'ouvrait une rangée de portes. Il remonta le corridor et frappa à la plus éloignée de l'entrée principale, prenant son mal en patience en attendant que le battant ne s'ouvre sur un de ses adjoints – il attendit une poignée de secondes avant d'ouvrir la porte de son propre chef, trop empressé pour patienter davantage.

- ... Magellan ?

- Quoi ? rétorqua une voix gutturale, au fond de la pièce. Ah, c'est vous, boss...

- Tu as fini ce que je t'ai demandé ? sourit-il en poussant la porte pour s'engouffrer dans le laboratoire aux relents soufrés.

Le géant se détourna de ses fioles pour faire face à son supérieur, le dominant malgré tout de deux bonnes têtes, immense et presque décalé dans cet univers composé de verre et d'alambics.

Lui aussi était un cas atypique, mais Law ne regrettait pas un seul instant passé à travailler avec lui ; il avait été le dénicher loin, ce savant fou, au fin fond d'un labo d'amphétamine perdu dans un coin du Mexique : juste ce qu'il fallait de génie et de témérité pour oser faire ce qu'il comptait lui demander. Parce qu'après tout, du point de vue de son collègue tout du moins, quoi de mieux que pouvoir faire tous ses dosages à l'envi sans prendre le risque d'être harponné par un groupe des stups ?

Magellan s'accroupit et fouilla dans un des bacs réfrigérés à ses pieds, écartant sachet après sachet pour en sortir un récemment étiqueté, tout sourire.

- La petite merveille est là. La quantité peut surprendre, mais c'est extrêmement... vivace.

- C'est quoi, la dose létale ? s'enquit Law en prenant le plastique pour observer la fiole à l'intérieur, intrigué.

- En règle générale, ou si on parle de l'exception qui la confirme ?

- Disserte.

- 3 centilitres pour les personnes comme vous ou mademoiselle Lami. 5 pour quelqu'un comme moi. Mais pour notre bizarrerie... je dirais 7. Sans prélèvement sanguin je ne peux rien affirmer, mais ça viendra en son temps. Pas besoin de diluer, une dose se suffit à elle-même. J'ai aussi pris la liberté de réarranger l'injecteur, et à peu près tout le monde ici est formé à son utilisation.

- À peu près...? souligna le psychiatre en haussant un sourcil.

Le terme et sa signification ne lui plaisaient pas ; Law, même s'il avait instauré depuis toujours une notion ferme de hiérarchie dans ses services, avait toujours tenu à ce que tout le monde soit apte à maîtriser un interné, peu importe la manière d'en venir à bout, que l'effet soit temporaire ou définitif.

Par conséquent, à chaque arrivée d'un nouveau pensionnaire, les règles de sécurité étaient réévaluées, et Law voulait être certain que personne ne serait en reste au pire moment.

- Il ne reste que vous, boss, sourit Magellan. Mais je ne doute pas un seul instant que vous soyez capable de gérer...

- C'est ça, flatte-moi. En attendant, fais en sorte que personne ne se pique avec ça, tu veux ? Et laisse-le loin de Shachi, marmonna-t-il en se pinçant l'arête du nez, contenant tant bien que mal son exaspération.

Le chimiste acquiesça et rangea le flacon avec les autres, retournant à sa paillasse en laissant Law prendre congé et repartir dans ses couloirs, en quête de perfection ; comme un chef d'orchestre se devait de diriger ses musiciens, il devait s'assurer que rien n'avait été laissé au hasard, que tout le monde était bien conscient de ce qu'ils allaient récupérer et des conséquences directes qui en découlaient. Oh, pour être honnête, Monkey D. Luffy et son autre personnalité n'étaient pas les patients qui avaient causé le plus de morts, d'autres personnes bien plus dangereuses étaient enfermées ici depuis longtemps, mais ils étaient ceux qui représentaient le plus de risques : un comportement aussi changeant demandait une vigilance constante de la part du personnel, Law y compris, et les journées passées avec lui ne promettaient pas un long fleuve tranquille, à l'inverse du Mississippi qui ondoyait paresseusement à quelques kilomètres de là.

Fredonnant pour lui-même, il monta au premier niveau, passant devant la cafétéria où le premier service était en cours, et repéra les verres teintés de Shachi, un de ses chefs d'équipe, occupé à surveiller les premiers patients en train de déjeuner – une attention de tous les instants, semblable à celle d'une prison, les repas étant classés "moment délicat" dans leur quotidien. Il entrouvrit la porte et se glissa à l'intérieur, souriant et saluant les pensionnaires qui lui faisaient signe à son passage, et rejoignit le médecin debout au milieu de la salle, bras croisés, regard scrutateur derrière ses lunettes.

- Des nouvelles de Penguin...? murmura-t-il pour ne pas troubler la quiétude du lieu.

- Nope. Il est en train de bosser sur la programmation des portails de l'aile ouest. T'es sûr que tu veux le faire rentrer par là ?

- S'ils arrivent entre quinze heures et la fin d'après-midi, c'est le créneau où les patients peuvent être à l'extérieur, et s'il se passe quoi que ce soit, j'aime autant que ça reste dans le seul endroit où personne ne peut se rendre au gré de ses déambulations.

- ... oh, ouais. Pas con.

- Je prends le compliment, railla Law en regardant passer une infirmière aux longs cheveux nacrés, tirant une desserte derrière elle. Bonney, qu'est-ce que je t'ai déjà dit à propos des cheveux détachés...? lança-t-il à son intention.

- J'ai bien quelque chose à te répondre, mais ça ne colle pas à l'ambiance du déjeuner, répliqua-t-elle en fouillant dans sa poche pour en sortir un élastique malgré tout, et relever ses mèches en chignon.

N'importe quoi était susceptible de se retourner contre eux, et Law n'avait pas envie de voir un de ses infirmiers scalpés selon le bon vouloir d'un patient un peu trop nerveux.

Encore un risque qu'il avait dû évaluer, concernant l'arrivée de Luffy : il avait lu tant le rapport de police que celui de Monet, Mihawk avait accepté de lui céder les vidéos et les images diffusées pendant le procès, et toutes ces preuves étaient autant d'arguments pour prendre très au sérieux les pulsions de son futur patient... notamment envers les femmes. De toute manière, Law avait pris sa décision : c'était un homme qui serait désigné pour être le référent de Luffy, entre ces murs, et il ferait tout pour contrôler les contacts entre le jeune homme et les individus de sexe féminin présents sur le site, sans distinction entre les patientes et les infirmières.

Il songea un instant aux photographies de Silvers Rayleigh, au visage marbré de coups de Néfertari Vivi, et son cerveau transposa cette image sur les traits de Lami, provoquant un frisson désagréable à l'arrière de son crâne – inenvisageable. Rien que pour ça, il n'accepterait pas la moindre faille, le moindre échec dans son scénario ; il avait beaucoup trop à perdre, et même si tout le monde ici pouvait lui reprocher la distance qu'il mettait entre ses employés et lui, rien ni personne ne pouvait nier l'attachement profond qu'il vouait à sa sœur.

Il secoua la tête, brièvement, assez pour chasser l'illusion qui se profilait devant ses yeux, et posa une main sur l'épaule de Shachi pour attirer de nouveau son attention.

- Dis à Penguin que tout doit être prêt pour la répétition, demain matin, OK ?

- ... genre le même cirque que dans la Ligne Verte ?

- Vois ça comme ça. Je ne tolèrerais pas le moindre débordement. Ça va déjà être un bordel monstre, je ne tiens pas à stresser plus que ça les autres internés.

- T'as un mauvais pressentiment ? s'inquiéta Shachi en lui jetant un regard lourd.

- On va dire que je pèche par excès de prudence. Je compte sur vous pour garder la tête froide, c'est un sacré numéro que j'ai récupéré. Vu ?

Le médecin hocha la tête et Law se détourna après un dernier regard sur la salle encore calme, en se demandant à quoi ressemblerait leur mécanique bien huilée quand la tornade arriverait, le lendemain soir.

. . . . . . . . . .

Jour 18. Près de Fabens, Texas.
Deux heures du matin.

Luffy se réveilla dans un sursaut quand un coup derrière la tête résonna dans chaque cellule de son cerveau, le tirant de ses rêves de la pire manière possible ; il ouvrit les yeux, le cœur battant à tout rompre, sous le regard intrigué de Kaku qui s'était levé et s'apprêtait à déverrouiller les portes du fourgon.

Il leva la tête et croisa celui de Shiki, agacé et maussade. Pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il venait de s'en manger une gratuitement.

- Ça fait presque dix-sept heures qu'on roule. T'as pas envie de pisser ? soupira-t-il en lui désignant la station essence, à quelques mètres de là.

- ... euh, si. Je crois.

- Non mais quel boulet, marmonna Shiki en levant les yeux au ciel, claquant des doigts à l'intention de Conis qui se leva pour prendre Luffy par le bras et l'obliger à se lever en direction de l'ouverture, où il fut forcé de constater que la nuit était tombée, malgré la tiédeur de l'air.

L'endroit était quasiment désert, là où ils se trouvaient.

Elle l'entraîna à l'arrière de la boutique, où Blueno patientait également, main sur son arme de service, ses yeux courant autour d'eux dans une attitude alarmée, presque défensive.

« Tout ça pour un tour aux chiottes. Hé bah, on est pas sorti du sable, hein », songea Luffy en s'engouffrant par la porte de service, longeant le couloir carrelé aux portes soigneusement fermées.

Pour sûr que personne ne devait être au courant qu'il se trouvait ici, et que Shiki devait s'arranger pour que le gérant la mette en veilleuse et reste calme, sans provoquer de tollé ou d'émeute.

Il se laissa guider par Kaku dans les toilettes, la porte se referma sur Conis, dos tourné au battant – certainement pour empêcher quiconque d'entrer – les laissant seuls dans l'espace à la propreté limite. Il songea au pot de chambre qu'on lui faisait passer à la prison et relativisa un instant, prenant son mal en patience : il avait l'espoir presque vain qu'un peu de tranquillité lui serait accordée à l'asile, mais il avait la sensation que peu importe ses espérances, elles seraient mises à mal dès que son pied aurait touché le sol de la Louisiane.

- J'vous rappelle quand j'ai fini...?

- Dans tes rêves, répliqua Blueno.

- Vous pouvez au moins me retirer les menottes ?

- À la prochaine question conne, j'te jure que j't'en mets une.

- ... OK, souffla Luffy en secouant la tête, sidéré.

Il trouverait bien un moyen de faire payer tout ça à Kid, un jour ou un autre.

Pestant à voix basse, il s'approcha de l'urinoir et dézippa sa braguette, luttant un moment pour empêcher son jean de lui tomber sur les chevilles. Les joues en feu, il s'efforça d'oublier la présence des deux hommes à moins de cinquante centimètres de lui et ferma les yeux, tentant de s'imaginer loin, très loin de cet endroit.

Il se sentait complètement humilié, et quelque chose au fond de lui lui disait qu'il n'était pas près de venir à bout de cette sensation ; la même petite voix lui susurrait aussi qu'il méritait ce traitement, et que c'était bien peu comparé à ce qu'avait pu vivre Vivi, mais il ne pouvait rien faire pour réprimer la boule dans sa gorge qui menaçait de virer en larmes.

Il entendit la voix de Conis, lointaine, de l'autre côté de la cloison, refuser l'entrée à un homme, bientôt dominée par le timbre rocailleux de Shiki intimant au gars de dégager avant de se retrouver avec un deuxième trou où ça lui plairait le moins – l'image eut le mérite de lui arracher un sourire, et d'amorcer un semblant de détente chez le duo chargé de le surveiller. Il lorgna vers Kaku, qui avait levé les yeux au plafond, tourné de trois-quarts, et coula un regard vers Blueno qui gardait ses yeux bruns plongés dans les siens, transpirant de méfiance.

- … vous pouvez au moins regarder au-dessus de ma tête… ? marmonna-t-il. Je vais jamais réussir à faire, j'vous jure.

Irrité, le flic obtempéra malgré tout, laissant Luffy pousser un léger soupir de soulagement avant de laisser à nouveau ses paupières se fermer, tentant d'oublier son embarras ; seuls résonnaient dans la pièce les bruits d'un clapotis équivoque et le tic-tac de la montre de Kaku, trop proche de lui à son goût, et venant s'ajouter à eux les grognements de Shiki leur intimant de se magner le train, des voix impatientes s'élevant de l'autre côté de la cloison. Luffy se pencha et pressa la chasse d'eau du coude, rajustant son caleçon et fermant son jean en pestant intérieurement, guidé par Blueno jusqu'aux lavabos où il osa se dévisager, ce qu'il n'avait pas fait depuis des jours à présent.

Horrible.

Nami n'aurait pas d'autre qualificatif pour le décrire, à cet instant-là.

Il se lava les mains dans un cliquetis de menottes et s'aspergea le visage et la nuque d'eau fraîche, achevant de lui sortir la tête du brouillard cotonneux dans lequel il se trouvait depuis son réveil ; il s'astreignait à la plus grande neutralité possible, évitant de trop penser pour ne pas être plus amer encore, et contenir sa mauvaise humeur qui l'obligeait à ronger son frein.

Kaku se plaça devant lui et jeta sa veste sur sa tête avant d'ouvrir la porte, pour le dissimuler aux regards des curieux qui s'étaient attroupés ci et là et se tendaient sur leurs jambes pour tenter de l'apercevoir – il entendit les murmures, la voix gutturale de Shiki leur ordonnant de ranger leurs portables sous peine de les voir voler à travers la station, et baissa les yeux pour regarder où il mettait les pieds, n'apercevant que les paires de chaussures des curieux massés indistinctement. Il sentit une brise légère sur ses mains liées, reconnut le bitume de l'extérieur et entendit la porte claquer derrière lui, Blueno leur enjoignant de presser le pas, la foule devenant difficile à contenir.

Les doubles portes du fourgon s'ouvrirent, Shiki le souleva par le bras et l'entraîna sèchement sur le banc, alors que les battants se refermaient sur eux ; Conis lui retira la veste et la passa à l'avant, par l'ouverture grillagée que Kaku verrouilla tout aussi rapidement – comme annoncé, c'était lui qui prenait le relais, laissant Luffy encadré par Blueno et le chef de brigade, Conis assise face à lui. Sans perdre de temps, le grand rouquin mit le moteur en marche et démarra dans la foulée, quittant l'espace saturé de monde de la station pour rejoindre la voie rapide, laissant l'affluence derrière eux.

Dernière nuit de liberté avant de retrouver les barreaux d'une cellule – parce qu'il s'était fait une raison, à présent : l'endroit où il allait croupir serait une prison comme une autre, peu importe qu'elle se trouve en Californie ou en Louisiane, la punition resterait la même. Et peut-être même qu'il viendrait à en regretter San Quentin, où il aurait eu l'opportunité de se faire trancher la gorge sans avoir à moisir des années, des mois, encore moins des semaines, entre les murs du pénitencier ; dix fois plus rapide que la peine de mort, avec un peu de chance, alors que celle qui viendrait serait infiniment longue à ses yeux.

Fermant les yeux, il ramena ses genoux contre lui, tentant de trouver la position la plus confortable possible pour piquer un somme et ne pas voir le paysage défiler par la mince fenêtre de la fermeture du fourgon, mais sa nuque semblait déjà transpercée d'épines, tant la tension de ses épaules lui ôtait toute possibilité de dormir à nouveau.

Il perçut la voix de Kaku, de l'autre côté sur le siège conducteur, trop continue pour être en pleine conversation : plutôt du genre à laisser un message sur une quelconque boîte vocale et donner les renseignements sur leur position, leur temps d'arrivée estimée, soit le jour même avant dix-huit heures, ce que le sujet avait consommé – rien, en l'occurrence – et s'il avait été laissé sans surveillance – toujours non – avec confirmation qu'aucune médication ne lui avait été donnée.

De toute évidence, « Doc La Mort » tenait à ce qu'il arrive entier et relativement sain de corps, à défaut de l'être par l'esprit.

Est-ce qu'il comptait expérimenter quelque chose sur lui ?

Cette simple pensée lui assécha la bouche – aucune envie d'être un rat de laboratoire, pas plus à Frisco qu'ailleurs.

- … il est comment, ce psy ? risqua-t-il en lorgnant vers Blueno.

- Psychorigide.

- Il a l'air d'être un gros taré, ouais…

- Entre monstres de foire, vous vous entendrez bien, répliqua Shiki en allumant un cigare sous le regard scandalisé de Conis. Quoi, c'est la fumée qui t'gêne ?

Elle acquiesça, il se contenta d'un rire caverneux et lui souffla un panache au visage, s'attirant un soupir exaspéré de Blueno qui se détourna, bras croisés, pour porter son attention ailleurs que sur leur joute puérile.

- Tout ce qu'on peut te dire, c'est qu'on entre chez lui, mais qu'on n'en sort pas. Tous ceux qui sont là-bas ne le sont pas pour une déprime passagère ou une mise sous tutelle pour un Alzheimer précoce… Tu vas te retrouver avec des gens qui donneraient des cauchemars à Freddy Krueger, poursuivit-il en laissant Conis et Shiki s'invectiver mutuellement.

- … c'est si horrible que ça ?

- Aucune idée. Borsalino n'affecte jamais personne là-bas de lui-même, il faut que la demande vienne de plus haut et lui soit adressée directement. Quelqu'un veut s'assurer que tu soies pas balancé aux requins d'une prison d'état, et c'est quelqu'un qui a su attirer l'attention de Doc La Mort. Et ça… c'est pas donné à tout le monde.

D'un claquement de doigts et d'un geste équivoque, Shiki lui imposa le silence, intimant en même temps à Conis de la fermer une bonne fois pour toutes, et d'aboyer à Kaku d'accélérer pour ne pas risquer d'être en retard pour la livraison du colis ; Luffy avait bien saisi que c'était la dernière fois qu'il aurait une conversation un tant soit peu construite avec l'un d'entre eux et que, jusqu'au bout, il ignorerait tout de cet homme qui avait exigé sa présence dans sa tour imprenable.

À quoi est-ce qu'il pouvait bien ressembler ?

Un vieux croulant misanthrope ?

Un sadique à en faire pâlir le marquis de Saad ?

Un gosse pressé de disposer de son nouveau jouet ?

Encore une fois, il se prit à penser à Shanks, Sabo, Nami, la distance qui les séparerait, et cette éternelle question qui ne le laissait pas en paix : est-ce que son enfermement le priverait définitivement de tout ce qui les reliaient à lui ? Qu'est-ce qu'ils feraient de tout ce qui lui avait appartenu ? Est-ce qu'il était condamné à une solitude sans fin, ou est-ce qu'il existait, quelque part, une possibilité, même infime, de faire changer d'avis ceux qui avaient prononcé sa sentence, pour lui laisser la chance de remettre un jour les pieds dans la maison qui l'avait vu grandir ?

Le téléphone de Kaku sonna, à l'avant, le tirant de ses pensées moroses ; le jeune homme pressa son oreillette pour décrocher et releva la tête pour croiser le regard de Shiki, détachant l'appareil de son oreille pour le lui tendre en tâchant de garder un œil sur la route.

Est-ce que c'était le psy en question qui rappelait ?

Le juge responsable des affectations ?

Kuzan ?

Maussade, l'homme agrippa l'instrument et le glissa sous ses lourds cheveux blonds, fixant le plafond pour éviter d'avoir à lever les yeux au ciel, de toute évidence.

- Quoi ? aboya-t-il dans l'habitacle. Ouais, comme on l'a dit dans le message, il a rien bouffé depuis le départ. … … … j'en sais foutre rien et je m'en balance pas mal, si vous voulez tout savoir, Doc'. … … … vous êtes sérieux, là… ? Et puis quoi encore, faut lui filer du foie gras avec des papillotes ?

Luffy haussa un sourcil, jetant un regard à Conis qui resta de marbre, malgré le léger pli de son front.

- Je peux encore changer d'avis et faire demi-tour, siffla l'officier. Et vous arrêteriez de me casser les couilles pour une histoire de bouffe. … … … Non, j'ai pas lu le rapport et c'est comme pour son casse-croûte, j'en ai rien à cirer. … … … c'est une menace… ? souffla sa voix, plus rauque encore.

- Patron, je sais pas ce qu'il vous demande, mais faites-le, marmonna Kaku de l'autre côté de la grille.

- Toi tu la fermes et tu conduis. Et vous, Doc', gardez en tête que je suis pas un de vos sbires, et que si je décide que Monkey D. Luffy crèvera la dalle, alors il crèvera la dalle. … … … quoi, quelles conséquences ?

- … quand j'ai faim, Kid est sur les nerfs, lança Luffy malgré le regard assassin de Shiki braqué sur lui.

Il perçut un rire transpirant de cynisme, dans l'oreillette, et se demanda à quel point le psychiatre chargé de son accueil était calé sur le sujet, pour prendre la peine de se réveiller en pleine nuit pour écouter sa messagerie et rappeler pour s'assurer que son patient avait ce qu'il fallait pour ne pas tirer le diable par la queue.

- Qui c'est, ça, Kid ? grogna l'intéressé.

- … Eustass Kid, monsieur, compléta Conis en désignant Luffy. Monkey est atteint de–

- Ouais, y'a une femme avec nous, et alors ?! vociféra Shiki dans le véhicule à l'attention de l'oreillette, faisant sursauter jusqu'à Blueno qui fusilla son responsable du regard. On fait notre boulot, c'est pas un bleu-bite qui va nous l'apprendre, vu ?! J'vous rappelle quand on arrive à Lake Charles, d'ici là j'vous souhaite une bonne nuit, Doc', et vous donnez pas la peine de rappeler.

Il retira l'oreillette et la balança par l'ouverture, l'envoyant s'écraser sur le tableau de bord sans hésitation avant de se rasseoir, croisant les jambes et les bras dans une attitude butée qui imposa, plus encore, le silence parmi les agents présents.

Et, l'espace d'un instant, Luffy se demanda si les quinze prochaines heures seraient suffisantes pour retenir Kid loin d'ici, de Conis et de la tentation que représentait le verrou à portée de bras.

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Réponses aux guests :

Yuh : Hey ! Ouais, il faut avouer que Mingo a méchamment la classe. En père de Law, il est pas mal crédible ! Et Law a hérité de cette classe, même s'il est bien tordu, pour le coup : Luffy sera en sécurité à l'asile, mais ça ne va pas être une partie de plaisir. La rencontre entre Law et Kid ne sera pas de tout repos ! Et pour savoir si le 2% est Ace ou non, ça va venir rapidement, patience~ Merci beaucoup, c'est très gentil :) A bientôt j'espère !

Crow : Hello Crow ! Merci, j'ai pu corriger :) J'adore Mingo, je voulais lui donner un rôle sympa dans cette histoire. Oh my, HACCP, cette abréviation sort des profondeurs de mes cours, ça m'a ramenée une décade en arrière, merci pour ça x) Law est légèrement siphonné, en tant que directeur d'asile et psychiatre, deux rôles en un, et il n'a pas fini de se faire détester. Ou adorer, ça dépend des gens, fufufu. Je bosse sur les interactions futures et c'est plutôt amusant d'anticiper ce genre de scénarios...
Bien, je suis vengée pour la nourriture si toi aussi cela t'a mis en appétit !
La Convention s'est très bien passée, malgré la présence des Gilets sur la route, ceux-là n'ont pas été hostiles. Je suis arrivée en temps et en heure... Merci encore, à très vite pour la suite de l'histoire !


À dans 2 semaines !