Ohayo mina !

Kid prend quelques vacances pour le moment, il prépare ses punchlines pour sa prochaine sortie avec Doc La Mort.

Merci beaucoup pour vos reviews et toutes vos théories sur la suite de l'histoire, c'est toujours aussi sympa à lire et certains d'entre vous me donnent des sueurs froides dans leur développement ; vous avez l'imagination trop fertile pour votre propre bien !

Je vous souhaite une très bonne lecture avec ce chapitre ; chère Crow, tu es en bas de page, et...

Enjoy it !


Chapitre 15 :

Jour 27. Reddition.

Louisiane, près d'Ostrica.
11 heures.

Ace était occupé à réajuster la caméra quand un geignement résonna dans son dos, presque imperceptible pour des oreilles non-entraînées ; il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et contempla le corps étendu sur le matelas, le remuement léger de ses membres, l'étirement subtil de ses doigts. Il descendit de son escabeau et traversa la petite pièce pour rejoindre le lit, où les paupières de Luffy papillonnaient dans la clarté de la matinée largement entamée. Il fronça les sourcils, grimaça et tourna la tête, ses yeux vitreux croisant ceux de son infirmier, qui se pencha pour l'observer de plus près, méfiant.

En quatre jours, il avait appris que Kid était le meilleur des comédiens au monde, surclassant jusqu'à Lami qui était pourtant la numero uno dans son domaine ; il avait tenté de les berner un nombre incalculable de fois, de jour comme de nuit, et Ace n'était plus d'humeur pour ce genre de petits jeux.

- … Ace… ? marmonna Luffy en faisant le point sur son visage.

- Moi-même. Bien dormi ?

- … on est où ?

- Dans une cellule de confinement.

- … Kid… ?

- Kid, confirma-t-il en hochant la tête.

L'adolescent ferma les yeux et laissa sa tête retomber sur l'oreiller, dépité.
Il avait salement merdé.

- … quel jour on est ?

- Jeudi.

Cinq jours.
Cinq jours d'inconscience pour lui, cinq jours d'emprisonnement pour Kid.
Et avec cette notion s'ajoutait une multitude de questions : qu'est-ce qu'il s'était passé, pendant son absence ? Qu'est-ce que Kid avait bien pu faire, coincé entre ces murs ? Qu'est-ce qu'il lui avait valu un tel traitement ?
Il rouvrit les yeux quand Ace se rapprocha de lui, suivit son regard jusqu'à son bras, où il remarqua la présence d'une perfusion – il n'osait même pas imaginer quel cirque c'avait dû être pour brancher ça sur son alter-ego.

- C'est quoi ? souffla-t-il en regardant son infirmier réajuster la poche et s'assurer que le cathéter demeurait à sa place.

- Inhibiteur d'adrénaline. De quoi éviter que Kid ne sorte de cette pièce.

Juste ce qu'il fallait pour empêcher Kid de faire étalage de sa force pour se sortir de ce carcan qui le retenait cloué au lit – parce que, sans doute aucun, il en était largement capable si on le laissait faire usage de ses pleines capacités.

- Quand est-ce que je pourrais sortir… ?

- Je vais dire à Law que tu es réveillé. Il viendra te voir et c'est lui qui prendra la décision. Comment tu te sens… ? murmura Ace en tendant une main pour repousser ses mèches de son front moite.

- … vaseux.

- Je vais demander à Magellan de te préparer quelque chose. Essaye de te détendre, d'accord… ?

Luffy acquiesça, le regarda faire un dernier tour de la pièce et s'éloigner vers la porte, avant de lui jeter un regard par-dessus son épaule.

- … et ne t'en fais pas. Personne ne t'en veut, sourit-il avant de sortir, le battant se verrouillant derrière lui dans un bruit sourd.

Après les journées passées à poireauter en attendant que Law daigne s'intéresser à lui, il s'attendait à devoir tuer le temps, coincé sur ce lit avec pour seule compagnie ses pensées embrouillées et tumultueuses, comme à chacun de ses éveils de conscience. L'avenir proche lui donna tort, toutefois : quand bien même il n'avait aucune notion du temps passé, faute d'horloge présente dans la pièce, il pouvait au moins se fier à la lente déclinaison du soleil via les ombres sur les murs – pas plus d'une heure ne passa avant que la porte ne se rouvre à nouveau, cette fois sur un des derniers visages qu'il avait vus avant de sombrer, une fois de plus.

Law referma sur son passage et s'approcha du lit, tirant la chaise à sa portée jusqu'à Luffy, s'installant à quelques centimètres de lui – bien plus proche qu'il ne l'avait été ces derniers jours.
Le silence s'étira entre eux, se maintenant pendant de longues minutes pendant lesquelles ils s'affrontèrent du regard, Luffy refusant obstinément de baisser les siens, les souvenirs de leur dernière conversation toujours aussi frais dans un coin de son crâne.

- … plus de peur que de mal… ? tenta Luffy.

- C'est l'idée.

- Vous comptez me laisser cloué à ce plumard… ?

Law esquissa un sourire bref et sortit une lampe de sa poche, se penchant sur lui pour examiner ses yeux ; Luffy se plia à l'exercice sans broncher, ouvrant la bouche quand il tira sur son menton, tournant la tête quand il examina ses oreilles – pour quelle raison, il l'ignorait, mais il ne se sentait pas de contredire la seule personne capable de lui redonner son illusion de liberté.

Le psychiatre poursuivit son examen, prenant son pouls, sortant un stéthoscope de sa blouse pour écouter sa respiration, qu'il s'efforça de garder lente et mesurée ; Law resta silencieux, ses yeux gris rivés dans les siens – Luffy resta immobile, contemplant son visage impassible, le léger pli de ses sourcils indiquant sa concentration, les lignes de ses tatouages dont il percevait une partie sous le col de sa chemise immaculée.
Lentement, Law se redressa et raccrocha l'appareil autour de son cou, prenant son temps pour considérer Luffy de longs instants avant de croiser bras et jambes, dans une attitude réfléchie et quelque peu fermée.

- Dis-moi, Luffy.

- … Mmn ?

- … c'est quoi, ton but ? murmura-t-il.

Le jeune homme rouvrit les yeux et affronta son regard, une lueur d'impertinence au fond de ses prunelles.

- C'est quoi, cette question ?

- On ne va pas recommencer le fiasco du bureau. Réponds-moi.

- J'ai pas choisi de venir ici. Comment je pourrais avoir un but ?

- On en a tous un. Tu es loin d'être idiot, Luffy, et tu as compris depuis longtemps que ta vie ne pourra pas être celle que tu t'es imaginée ces dernières années. Alors, je te le demande encore une fois : quel est ton but, maintenant ?

- … j'en ai aucune idée, souffla-t-il en baissant les yeux vers ses jambes. … j'crois que j'me balance pas mal de ce qu'il peut m'arriver.

Et peut-être, par cet aveu, venait-il de confirmer ce que Law devait pressentir : il n'avait ni l'envie ni la force de contrôler Kid, au fond.

- … j'ai envie de te faire confiance, soupira Law. Mais est-ce que tu comprends mon hésitation ?

- Alors flinguez-moi, murmura l'adolescent. Qu'on en finisse.

- J'ai bien mieux en réserve pour toi qu'une mort à vingt ans. La seule question qui demeure est celle que je viens de soulever : je ne sais pas si je peux te libérer sans évaluer toutes les conséquences que cela aurait.

- Je ne peux pas vous promettre que Kid ne reviendra pas.

- Je le sais. Mais il faut que tu me laisses essayer de te soigner. Et si je n'ai pas ton entière coopération, je ne peux pas prendre le risque de te relâcher, et de relâcher Kid par extension.

Luffy hocha la tête, et Law prit ce geste comme un assentiment ; il dégrafa les sangles qui retenaient ses membres et le ceinturaient en long et en large, lentement mais sûrement. Ses mains étaient froides contre sa peau qui lui paraissait brûlante, son toucher ferme et délicat à la fois : la prise de celui qui savait ce qu'il faisait, et qu'il ne fallait sous-estimer à aucun prix.
La pression des brides s'amenuisa et Luffy remua doigts et orteils, levant les bras pour s'étirer longuement et déplier ses jambes ; Law le regarda faire, se contentant de le suivre des yeux quand il s'assit au bord du lit.
Il apprécia la sensation du carrelage sous ses pieds engourdis, inspira profondément et se hissa pour se redresser ; sa vision s'étrécit, ses jambes se dérobèrent sous lui et il retomba sur le matelas dans un grincement sonore, le cœur au bord des lèvres. Dans ses oreilles bourdonnantes, il perçut la voix de Law lui rappeler qu'il n'était nourri que par la perfusion et qu'il était beaucoup trop faible pour espérer pouvoir se lever pleinement avant quelques heures et une alimentation correcte.

« Et ça t'aurait écorché la gueule de me le dire plus tôt, connard… ? » songea Luffy en sentant les mains du psychiatre le réajuster sur le lit, loin du bord qu'il l'attirait comme le ferait un gouffre sans fond.

- Je vais te faire porter à manger. Kid a refusé d'ingérer quoi que ce soit.

- … m'étonne pas.

Il fouilla sa poche et en sortit son talkie-walkie, l'amenant à ses lèvres pour chuchoter à l'interlocuteur – Ace, peut-être – de ramener un petit déjeuner tardif de la cantine ; il n'y eut pas de réponse à l'autre bout, mais il ne semblait pas en attendre une, de toute manière. Il reprit son observation silencieuse, pensif, ses yeux scrutant chacun de ses gestes. Il le regarda se frotter les yeux et s'adosser à son oreiller, chancelant, le visage brouillé de fatigue – tout autant de mimiques qu'il associait lentement à son patient 0, la personnalité principale qui occupait cette enveloppe.

Luffy ne lui faisait pas confiance. Ça, c'était l'évidence même, et il savait que cet état de fait n'était pas près de changer ; il allait avoir un travail incroyable à faire, mais la tâche était loin de l'inquiéter. Elle serait simplement plus longue que nécessaire. Il devait l'amadouer pour l'amener à tout lui donner.
Un coup discret résonna à la porte, qui s'entrouvrit sur Ace, un plateau dans les mains ; aussitôt, l'odeur du chocolat chaud et des tartines beurrées monta à ses narines, déclenchant une faim incontrôlable – il regarda son infirmier arriver comme le messie et saliva en sentant le parfum envahir chaque recoin de la pièce : si Law voulait qu'il se trouve un but, il pouvait lui en fournir un dans l'immédiat, à savoir engloutir ça en un temps record.

- Je te laisse déjeuner, annonça Law en se levant de sa chaise, tandis que l'infirmier déposait le repas au bord du lit. On se voit plus tard, Luffy. D'ici là, essaye de te reposer.

- … j'y penserai.

Law sortit en réprimant un sourire en coin – décidément, ce gamin avait la tête plus dure que toutes les sécurités qui l'entouraient. Il échangea un regard avec Ace, qui en disait plus long que n'importe quel mot, et s'éloigna dans le couloir de son pas tranquille, songeant déjà à ce que serait leur prochaine séance, et ce qu'elle allait pouvoir leur apporter à tous les deux.

Luffy plongea le nez dans son bol et son gardien le regarda faire en souriant, bras croisés – ne plus avoir affaire à la maussaderie et aux insultes de Kid allait être reposant, et le travail n'en serait que plus serein dans cette aile-là, d'autant que l'adolescent n'allait pas tarder à réintégrer sa chambre si son état demeurait stable pour le reste de la journée. Law avait été clair, à ce sujet : lui et les autres, en tant qu'infirmiers, avaient un rôle limpide à jouer, c'était le sien qui était supposé être volontairement flou pour le patient. Cette tactique avait toujours fonctionné, jusque-là, et il n'allait pas se priver de la tester sur lui pour évaluer ses réactions.

- Tu vas rester ici, aujourd'hui, et si tout se passe bien je te transfère dans ta chambre pour la nuit, lança Ace en sortant une enveloppe de derrière son dos, geste qui intrigua Luffy. Et j'ai quelque chose pour toi. C'est arrivé hier matin.

- … c'est quoi ?

- Une lettre. J'ai pas le niveau de Shiliew mais on dirait une écriture de fille, ajouta-t-il avec un sourire.

Il lui tendit le pli et Luffy en reconnut l'expéditrice au premier coup d'œil – Nami. Il glissa l'enveloppe dans la poche de son pantalon et remercia Ace d'un sourire bref, avant de retourner à son petit-déjeuner ; il s'efforça de dissimuler son impatience, tant il avait hâte de lire les mots de sa sœur aînée, mais il préférait retarder ce moment à plus tard, quand il serait seul et qu'il pourrait profiter pleinement de sa lecture, sans personne pour l'observer.

Et parlant de lettre et d'écriture, la demande qu'il avait faite à Ace quelques jours auparavant lui revint en mémoire, non sans une pointe d'urgence qui lui pinça le ventre d'une manière bien familière.

- Dites, Ace… ?

- Mmn.

- C'est… OK pour les cahiers ? hésita-t-il, feignant l'air détaché en reprenant une bouchée de pain.

- Ils sont sur ton bureau. Si je te ramène vers dix-huit heures, ça te laissera assez de temps pour griffonner ce que tu veux avant que je ne récupère le crayon et que ça ne soit l'extinction des feux.

- … vous pouvez vraiment pas me le laisser… ?

- Désolé, Luffy, se contenta de sourire l'infirmier.

C'était mieux que rien, de toute évidence, mais attendre ce soir lui paraissait déjà terriblement frustrant.

Il devait garder à l'esprit qu'il avait déjà patienté près d'un mois et qu'il n'était pas à quelques heures près, mais il savait que malgré tout, il resterait terriblement humain ; et que, par conséquence, plus proche était l'échéance, plus longues paraissaient les minutes qui l'en séparaient.

- C'est quand, la prochaine séance avec Law ?

- Il a des rendez-vous avec les autres patients à honorer. Tu pourras le voir dans quelques temps.

- … Papa est déjà au courant ?

- C'est pour ça que Law a mis un peu de temps à venir. Ils sont restés un bon moment au téléphone pour s'organiser.

Ce qui lui rappela immanquablement qu'il avait raté celui de la semaine précédente, prévu l'après-midi ; frustrant à bloc, ça aussi, d'autant que son père avait dû être déçu, au minimum, et angoissé, au pire. Il se sentait crétin, et c'était une raison de plus d'en vouloir à Kid, mais il devait résolument avancer, comme l'avait sous-entendu Law, à demi-mots : ressasser le passé était inutile. Ça ne ramènerait pas plus Vivi que ça ne réparerait tout ce que Kid avait fait, et il était temps pour lui de reprendre le dessus sur ce qu'il pouvait encore contrôler.

À commencer par le sociopathe qui faisait les cent pas dans un coin de son crâne, en attendant son heure.

. . . . . . . . . . . . . . . . .

Même jour ; bureau de Trafalgar Law.

Law releva la tête de ses dossiers quand des coups résonnèrent à sa porte, qui s'ouvrit sur Lami et son expression indéchiffrable pour qui ne savait pas l'interpréter ; or, c'était ce que Law faisait de mieux, ici – et sa sœur n'échappait pas à la règle.

Elle referma derrière elle et rejoignit son bureau, y déposant une liasse de papiers de taille appréciable, dont l'aspect parfois jauni et corné lui donna les informations nécessaire sur leur contenu ; de toute évidence, il s'agissait des documents qu'il avait demandés à Shanks, et qui venaient de lui parvenir de San Francisco et de l'état de Rio de Janeiro, au Brésil.

- C'est tout ce que j'ai pu collecter pour toi. Satisfait ?

- … ils ont été plus réactifs que je ne le pensais, à Rio, murmura Law en feuilletant ce qui se présentait à lui.

- Papa a toujours des accointances avec le maire, ça m'a un tout petit peu aidée, toussota-t-elle en s'asseyant à ses côtés, tirant le paquet à elle avant de le scinder en plusieurs tas. Là, c'est tout ce qui concerne son bilan médical à son arrivée. Vaccins, traitements, soins, jusqu'au départ à San Francisco. Ici, ses résultats scolaires, si on peut appeler ça comme ça ; ils lui ont appris à lire et à écrire, le strict minimum, l'éducation n'était pas la priorité de la direction, c'était plutôt de leur donner de quoi manger et dormir convenablement si tu veux mon avis. Et ça, c'est le dossier relatif à son adoption, le bilan des visites avec Shanks. Il y en a eu deux, espacées de deux semaines. Et réglo comme il faut, pas de passe-droit ou de bidouillage administratif. Il a fait ça dans les règles de l'art, même après la mort de sa femme.

- … de quoi est morte Belmer, déjà ?

- Cancer. Elle n'a rien connu de Luffy, ils n'ont eu que le temps de poser une demande d'adoption avant qu'elle ne meure, indiqua Lami en désignant le dossier modifié, où Shanks n'apparaissait plus que sous un seul nom pour la requête révisée.

Law contempla les photographies prises par l'équipe soignante au moment de l'arrivée de Luffy à l'orphelinat.
Crasseux, l'air terrifié et les yeux bordés de larmes.
Environ cinq ans, d'après les dates griffonnées sur les papiers ; il parcourut les annotations du regard, constatant que son année de naissance avait été donnée arbitrairement en fonction des analyses dentaires et des radiographies osseuses réalisées après sa prise en charge.
A en juger les notes suivantes, c'était également l'orphelinat qui avait déterminé sa date d'anniversaire, à savoir le 5 mai – le jour où ils l'avaient trouvé, ni plus ni moins. Avant ça, aucune trace de Luffy sur cette Terre, à croire qu'il était tombé du ciel.

Question de culture générale, Law avait parfaitement conscience qu'il n'était pas impossible que Luffy ne possède aucun extrait de naissance, s'il était né dans des conditions extrêmement défavorisées, et que par conséquent, il n'existait rien sur ses parents biologiques, qui pouvaient se trouver Dieu seul savait où, s'ils étaient seulement encore vivants.
Et c'était par là qu'il devait creuser.
Dans le cas de l'adolescent, sa dissociation de la personnalité pouvait avoir été initiée par des événements bien antérieurs à sa venue en Californie, tout comme elle avait pu se poursuivre bien après, cet aspect-là restait à déterminer.

- Tu pourrais essayer de creuser un peu plus, pour savoir ce qu'il s'est passé avant son arrivée ? J'ai besoin de beaucoup plus d'infos. Cinq ans, c'est déjà vieux, il a pu se passer n'importe quoi avant ça.

- Je vais faire ce que je peux. Autre chose ?

- … tu peux me faire un café ? tenta-t-il avec un sourire retors.

- Tu m'as prise pour Ace ou quoi ? rétorqua-t-elle en lui filant un coup de coude dans les côtes avant de se lever et de s'éloigner vers la sortie, non sans lui jeter un regard torve par-dessus son épaule. … Avec ou sans sucre ?

- Sans. Tu es parfaite, sœurette, lança-t-il avant que la porte ne claque, secouant la tête sans se départir de son sourire.

Son petit pari avec Monet courait toujours ; le troisième habitant qui créchait dans la jolie tête de son patient s'obstinait à ne pas pointer le bout de son nez, à ce qu'il en savait. Toutes les observations caméras et réelles de Luffy, ces derniers jours, n'avaient pas conduit à d'autres conclusions que celles sur la présence avérée de Kid, et il restait sur sa faim – il avait pensé, un temps, que la condition de détention physique forcée sur ce lit inconfortable allait forcer Kid à rendre brièvement les armes et laisser la place au numéro ter, mais il était loin du compte.

Monet n'avait pas ménagé son client, et il était prêt à parier que, de la même manière qu'il fallait un catalyseur à Kid, il en fallait un pour l'Autre.

Et là reposait toutes les subtilités dont il allait avoir besoin pour le faire sortir de sa tanière ; Law n'avait aucune idée de ce dont il était capable, alors que le meurtre de Vivi et les deux tentatives d'évasion – ici et dans Texas – de Kid lui avaient donné un bon aperçu de ce que cet énergumène-là était capable de faire en peu de temps si on lui en laissait les moyens. Monet l'avait elle-même souligné, des semaines auparavant : elle préférait se méfier de l'eau endormie, et Law n'était que trop bien placé pour savoir qu'elle avait entièrement raison, pour le coup.

Pris d'une illumination soudaine, il fit rouler sa chaise jusqu'aux commodes derrière lui et ouvrit ses tiroirs, fouillant à la lettre « M » pour en sortir ce qu'il avait accumulé sur Luffy avant son entrée à la clinique ; il étala sur son sous-main toutes les informations qui concernaient sa scolarité récente, à savoir son lycée et son admission à la faculté, et étudia toutes les matières et toutes les options qu'il avait étudiées ces dernières années.
Biologie, mathématiques, sciences, physique… pour les langues, hors l'anglais obligatoire, il s'était orienté sur le portugais, ce qui n'étonnait pas le psychiatre puisque c'était sa langue natale et, qu'à en croire Shanks, il la maîtrisait à la perfection et pouvait récupérer une excellente note sur son bulletin sans trop se fatiguer. Law poursuivit sa lecture et tomba sur une deuxième langue, à savoir le japonais. Curieux, mais pas impossible – il était sûr que, dans le package envoyé par Shanks, un ou deux manga traînaient dans les colis, ce choix n'était pas incohérent mais il voulait tout de même questionner Luffy sur le sujet.

Venait le moment des activités extra-scolaires, où Law trouva sans surprise des sports de combat et autres arts martiaux, comme le muay-thaï, le kendô et le ninjutsu ; cours suivis avec assiduité jusqu'à son jugement à San Francisco.

La porte se rouvrit sur Lami, deux tasses à la main – une pour lui, une pour elle. Timing parfait : pile au moment où il allait se lever et rejoindre Luffy dans sa cellule d'isolement.

- Tu tombes bien.

- Mmn ?

- J'allais retourner voir Luffy, j'ai des questions pour lui.

- Fiche-lui un peu la paix, soupira-t-elle avant de porter son café à ses lèvres. Tu l'as assez chatouillé comme ça. Laisse-le respirer, sinon tu ne vas rien en tirer.

- C'est toi, la psy ?

- Non, je suis juste ton cerveau de secours. Et ton intellect en rab' te dit de lâcher du leste. Dis-moi à quoi tu as pensé ?

Elle s'installa sur son bureau, jambes croisées, penchée vers lui avec l'air habituel qu'elle arborait quand quelque chose piquait sa curiosité. Et c'était assez rare pour être souligné et remarqué.
Law reposa ses liasses de papiers et retira ses lunettes, les posant sur les piles qui s'étalaient devant lui, se frottant les yeux, plongé dans une profonde réflexion.

- Ses options en cours. Ça ne colle pas. Les… personnalités… ne font pas qu'intervenir quand ça leur chante. Il y a autre chose.

- Ses matières sont trop hétérogènes ?

- C'est chaotique. Il y a un peu de tout. Mais ces trois-là ne se subissent pas mutuellement, ils cohabitent. Ils ont trouvé un terrain d'entente, je ne vois pas d'autre explication.

Lami acquiesça lentement ; leur cursus était différent, mais elle avait assez assisté aux monologues de son frère pour savoir à quoi il pouvait faire référence.

- Donc… Kid aurait le droit de sortir et de se faire plaisir de temps en temps, pour peu qu'il accepte de laisser le champ libre à Luffy ? résuma la jeune femme en prenant une autre gorgée de café.

- Dans le genre. Ils ont… leur propre hiérarchie, leurs accords, des… règles, peut-être. Kid a dû dépasser les bornes, pour la fille Néfertari, bien plus que ce que Luffy doit être habitué à gérer.

- … tu penses que ce n'est pas un coup d'essai ?

- J'en suis certain. Il faut que je regarde s'il y a eu… d'autres cas de disparitions, ou des meurtres non élucidés dans le même périmètre.

- … jusqu'à quel point Shanks trempe là-dedans ? hasarda-t-elle après un long instant de silence, sourcil haussé, en agitant lentement son breuvage, ses yeux rivés sur le liquide tourbillonnant, elle aussi absorbée dans ses pensées.

Cette question-là, Law la réservait pour plus tard.

C'était une de celles qu'il avait prévu de poser au Gouverneur, quand il le verrait – et il en était certain, de ça. Tout cela relevait d'une affaire bien plus ancienne et complexe qu'elle ne le semblait, à première vue.
De toute manière, aucune personne de cette famille n'avait quoi que ce soit à craindre venant de sa part en ce qui concernait tout ce que Luffy et ou Kid avaient pu faire avant d'entrer à la clinique ; secret professionnel oblige, ils auraient très bien pu assassiner Kennedy qu'il n'en aurait jamais rien dit. La seule exception permettant à Law de briser cette loi tenait dans le fait que Luffy pouvait représenter un danger à venir pour quelqu'un : s'il en avait l'intime conviction, le psychiatre pouvait alors passer outre cette règle qui devenait caduque, et en informer les autorités supérieures.

Sauf qu'ici, c'était lui, l'autorité supérieure, et qu'il ne permettrait pas que du mal soit fait à l'un de ses employés ou de ses patients.

Tout ce qu'il avait à faire, à présent, c'était se pencher sur le problème, et débusquer cette identité de plus pour en comprendre le fonctionnement. De toute sa carrière, même encore longue à venir, il n'avait pas pu observer un tel nombre de personnalités multiples. Comme il en avait déjà brièvement discuté avec Monet, ces cas-là demeuraient souvent théoriques, et avoir le loisir d'en être le psychiatre était bien trop rare.

Tôt ou tard, il devrait rendre visite à Shanks, Nami et Sabo, et ce jour était susceptible d'arriver plus vite qu'il ne le pensait.

Sortant son portable de sa blouse, il composa le numéro d'Ace et attendit patiemment que son infirmier décroche – il souhaitait que cette conversation ait un peu plus de discrétion que les ordres et demandes habituelles dans leur talkie-walkie.

- Ouais ?

- Tu es où ?

- Dans la chambre de Luffy, je fais une dernière vérification avant ce soir.

- Emmène-le maintenant.

- ... tu voulais pas attendre la fin de journée ?

- Maintenant, Ace. Tu lui laisses le stylo et le cahier, tu sors de la pièce, et tu m'actives la caméra.

- Bien, votre majesté, grogna sa voix à l'autre bout du combiné, avant de raccrocher sans plus de cérémonie.

Law ignora le sarcasme – fait dont il avait l'habitude, avec Ace – et rangea son téléphone, soutenant le regard de sa sœur rivé dans le sien.
Il se demandait à quoi elle pouvait bien penser, là, dans l'immédiat ; à l'énigme de représentaient Luffy, Kid et cet Autre ? Aux conséquences de leur présence dans cette clinique, qu'elles touchent aussi bien les patients que le personnel ?

- ... tu m'en veux ? murmura-t-il en affrontant ses yeux clairs.

Elle avait parfaitement saisi où il voulait en venir, et Law était certain que le silence qui s'étirait entre eux pouvait être interprété de plusieurs façons.
Lentement, elle se pencha sur lui et posa un baiser sur son front, distante, comme à son habitude, une expression indéchiffrable peignant ses traits ; sa main s'attarda sur sa joue, dans un geste presque tendre dont il savait qu'il n'en était rien, et un léger sourire en coin étira sa joue.

- Non. Je veux juste que tu fasses ce que tu penses être le mieux, en ton âme et conscience.

- … cette expression ne te sied pas du tout, Lami.

- Et comment…, s'esclaffa-t-elle en descendant de son perchoir, laissant tomber son gobelet vide dans la poubelle. Détends-toi, Law. Et va regarder les caméras avec Ace, ça va t'occuper, plutôt que de rester là à mouriner.

Pour sûr qu'il était susceptible d'en apprendre davantage de cette manière, puisque Luffy semblait prêt à se braquer dès qu'il entrait dans son champ de vision, mais il avait encore trop de choses à potasser sur la scolarité de son patient et ce que pouvaient lui apporter les papiers qui s'entassaient sur son bureau.
Le travail allait s'avérer indécemment minutieux, mais Law était habitué à ce genre d'exercice ; c'était presque ce qui lui avait le plus plu, pendant ses études : chercher, encore et encore, traquer jusqu'à trouver.

Quand il rejoignit Ace, dans le courant de l'après-midi, Luffy avait réintégré sa chambre sans faire d'histoire ; Shachi et Penguin s'étaient occupés de son transfert, qui s'était déroulé sans encombre, pendant que l'infirmier procédait aux dernières vérifications d'usage, et Bonney s'était occupée de remettre en état la cellule de confinement, en cas de nouveau dérapage.
Law entra dans la salle de surveillance et referma la porte derrière lui dans un bruit feutré, trouvant Ace confortablement assis dans sa chaise, chevilles croisées sur la table, les yeux rivés sur l'écran qui donnait un aperçu HD de ce qu'il se passait entre les 4 murs de la cellule de leur nouveau patient.

- Qu'est-ce que ça donne ?

- Comme tu te plais à nous le rappeler, je suis pas le psy, ici, mais je pense que ça va t'intéresser. On voit pas grand-chose, en soit, mais je pense avoir compris l'importance des cahiers, murmura Ace en jouant avec son allumette au coin de ses lèvres.

Law s'installa sur la chaise la plus proche et contempla l'image, où le reflet monochrome de Luffy était penché sur le petit bureau laissé à sa disposition, crayon en main, noircissant les pages ligne par ligne d'une écriture rapide et saccadée, témoin de son empressement.
Si même Ace avait deviné, alors Law savait qu'il était sur la bonne voie en ce qui concernait ces trois loustics-là.

- ... ils vont mettre du temps à répondre, souffla-t-il en croisant les bras. Law, faut qu'on lui laisse les crayons, cette nuit, quitte à ce que quelqu'un garde son cul vissé sur cette chaise pour surveiller ce qu'il se passe.

- D'accord avec toi. Mais c'est toi qui vas lui annoncer que c'est OK pour les garder.

- Tu veux toujours jouer la carte de l'ère glaciaire ?

- ... je veux surtout que toi, tu aies son entière confiance, corrigea le psychiatre en regardant Luffy fermer le cahier, pourtant très loin d'être plein, et en ouvrir un deuxième.

Un cahier par personnalité.

Pour l'adolescent, il était clair qu'un distingo s'opérait entre ceux qui arpentaient les recoins de son crâne, et qu'il prenait un soin particulier à ne pas les confondre. En un mot comme en cent, Luffy traitait ses personnalités alternatives comme il le ferait avec n'importe quel humain ; ce petit manège amena Law à se questionner, une fois de plus, sur la date d'apparition des deux autres, sur le fonctionnement qu'ils avaient mis en place, comme suggéré avec Lami un peu plus tôt. À s'interroger sur leur hiérarchie, leur élément déclencheur respectif, leur fonction première et, surtout, la raison pour laquelle ils se trouvaient là.

La technique d'approche, maintenant.

Lui rentrer dedans et le mettre au pied du mur, pour qu'il avoue l'identité de son second alter-ego, ou l'amener à se confier en douceur, en prenant toutes les pincettes nécessaires ? Compliqué à définir, et tout aussi risqué de trancher. Est-ce que Luffy était au courant que la troisième personnalité avait été débusquée, ou est-ce qu'il croyait que seul Kid avait été mis en lumière ? De toute évidence, il ignorait la présence des caméras, à moins qu'il n'en ait strictement rien à faire d'être vu en train de suivre son petit rituel – parce que cette méthode était rodée, Law en avait la certitude.

- J'ai mis le doigt sur quelque chose, avec Lami.

- Mmn… ?

- Ses cours. Matières hétéroclites.

- Ses cahiers ne font que confirmer ce que tu pensais déjà ? souligna Ace en faisant passer son allumette d'un coin à l'autre de sa bouche.

- C'est l'idée. Et je pense qu'il joue beaucoup plus finement que ce qu'on pensait.

- … tu crois qu'il a un accord avec Kid ?

- … oui et non, modéra Law en croisant les jambes, sans lâcher l'écran du regard. Je mets ma main à couper que Luffy ne cautionne pas les horreurs qu'il a pu faire, mais que dans une certaine mesure…

Il laissa sa phrase en suspens, sachant qu'il était inutile de développer davantage.
Ace ne commenta pas plus, reportant son attention sur ce qu'il se passait à l'écran ; lui non plus n'était pas vraiment surpris par cette situation, et la partie la plus curieuse de son cerveau crevait d'envie à l'idée de voir ce qui pouvait se passer, juste pour voir comment Law allait se mesurer à ce nouveau défi.

- Ça me démange. J'ai envie de jouer carte sur table, murmura le psychiatre.

- … avec Luffy ? Lui dire que tu sais pour l'autre ?

- Absolument. Et le forcer à sortir son nez de là.

- … trop tôt. Attends demain matin. Je parie que Kid pointera son nez quand il dormira, sourit Ace en se balançant lentement sur sa chaise.

- Qui est de garde, cette nuit ?

- Bonney jusqu'à trois heures, Teach jusqu'au petit-déjeuner. Briefe-les sur le sujet, ils rateront pas le coche si l'occasion se présente. Si ce que tu penses est vraiment en train de se passer, ces trois-là remettent en route une mécanique bien huilée. La seule chose qui change, c'est le terrain de jeu.

Le mot était peut-être mal choisi, parce que Law était certain que Luffy ne tirait aucun amusement de cette situation, mais l'image n'en était pas moins correcte : l'adolescent réinstaurait sa routine, il en jurerait, quand bien même l'environnement différait.
À l'écran, Luffy ferma les cahiers et alla les glisser sous son matelas, laissant le stylo bien en évidence sur le bureau – preuve d'une bonne foi pour démontrer qu'il n'avait pas l'intention de poignarder qui que ce soit avec, ou autre partie d'une coutume connue de lui seul en ces murs ?

Si les choses se passaient comme tous deux semblaient le pressentir, Kid rappliquerait pour commenter tout ce qui était couché sur le papier et, avec un peu de chance, le troisième pourrait se manifester à son tour, pour peu que les conditions soient réunies, ou que le sommeil de Luffy et les variations hormonales qui en découlaient soient raccords pour permettre à une des personnalités de faire son entrée.

- Tu l'as débusqué où, son autre… ? murmura Ace en croisant les mains derrière la tête, éternel désinvolte.

- Une des vidéos de Monet. Kid s'efface, et lui prend le relai. Ça me laisse penser que… comment dire ça vulgairement… ? soupira Law en se passant une main sur le visage. … que Kid, jusqu'à un certain point, maîtrise ses propres allées et venues. Il y a forcément un déclencheur, mais je sais que je vais pouvoir travailler dessus avec quelques séances d'hypnose, parce que Luffy doit être réceptif à ce genre de stimulations.

- C'était quoi, son rôle, à l'autre ?

- Il y a une facette semblable à Kid, parce qu'il les protège. Dans une certaine mesure, seulement, je suppose, Kid a l'air parfaitement capable de prendre le dessus.

- … cas extrême ? hasarda l'infirmier.

- Il doit y avoir de ça. De toute façon, il n'y a pas trente-six solutions. Soit je le fais sortir par la négociation…

- … soit tu lui rentres dedans, compléta Ace avec un sourire en coin que Law lui connaissait bien, désormais.

. . . . . . . . . . . . . . . . .

Jour 28.

Louisiane, près d'Ostrica.
01 heure du matin.

Bonney tourna une des pages de son livre, un de ceux que Law lui avait conseillé de parcourir à temps perdu – Veronika décide de mourir, de Paulo Coelho. Le titre l'avait longtemps rebutée, mais une fois la lecture commencée, elle n'avait pas pu s'en détacher – et dans lequel elle s'efforçait de se plonger malgré les coups d'œil jetés aux caméras avec la régularité d'une horloge suisse : son boulot avant tout.

La consigne de Law était claire mais, prudence oblige, Shachi était également sur le qui-vive avec les caméras des couloirs, là où elle se focalisait essentiellement sur la surveillance de la chambre de leur nouveau patient.
Elle ne s'était pas encore fait une idée sur cet énergumène, attendant d'en savoir plus avant de le cataloguer correctement ; néanmoins, elle en savait assez pour ne pas se faire avoir au premier sourire attendrissant – parce que, clairement, le dénommé Kid était passé pro dans l'art de se faire passer pour Luffy et d'en tirer un maximum d'avantages.
Faire la différence entre les deux était ardu, sans être impossible, mais allait demander un peu plus d'entraînement et de cas pratiques auxquels se confronter, avec en parfait exemple les derniers jours passés à le scruter sous toutes les coutures.

L'horloge incrémenta une minute supplémentaire, dans un silence total et une parfaite immobilité aux caméras, et Bonney se replongea dans sa lecture pour une poignée de secondes de plus, non sans laisser une partie non-négligeable de son cerveau divaguer sur tous les patients qui occupaient les chambres de la clinique. Tout le monde était curieux d'en savoir plus sur le nouvel arrivé, d'autant que Luffy était resté quasiment invisible à leurs yeux – gardé à l'écart jusqu'à son rendez-vous avec Law, mis en quarantaine complète depuis la manifestation de Kid – et que le seul à pouvoir prétendre à ce genre de traitement était Dellinger, un autre pensionnaire autorisé à sortir une fois le soleil couché.

Et dont il était préférable que la route ne croise pas celle de l'alter-ego de Luffy, au risque de se retrouver avec des cadavres de plus sur les bras.

Sugar, celle dont Bonney avait principalement la charge, était elle aussi intriguée par le jeune homme fraîchement interné et la harcelait de questions à son propos, au point que Law ait jugé nécessaire de la voir plus vite que prévu pour comprendre les raisons de cet intérêt si soudain – cette gamine était intenable, et nul doute qu'elle demanderait encore, dès son réveil, à voir Luffy pour le bombarder de questions.

Un mouvement, sur l'écran droit central, attira son attention – elle y coula un regard en biais et suspendit sa lecture en voyant les draps chuter au sol, dans la chambre de Luffy ; posant son livre sur le plan de travail, elle laissa sa chaise glisser jusqu'à la seule image changeante, à cette heure de la nuit, et scruta la silhouette assise dans le lit défait. La main se glissa sous le matelas, fouilla un instant et en sortit les cahiers sur lesquels Ace lui avait fait un topo concis mais suffisant : quelques pas à travers la chambre, et l'intéressé s'installa au bureau, allumant l'applique murale au passage, parcourant les pages du regard. L'expression indéchiffrable de son visage lui donna l'impression d'avoir affaire à un parfait étranger, diamétralement opposé au sourire qu'elle avait déjà pu voir accroché aux lèvres de Luffy.

Elle patienta encore, le temps pour lui de terminer sa lecture, et attendit qu'il saisisse le crayon pour se mettre à écrire à son tour pour sortir son talkie et s'aligner sur la fréquence de Shachi, en théorie éveillé dans une salle à l'autre bout du bâtiment, bien plus proche des chambres qu'elle.

- … T'es réveillé… ? murmura-t-elle dans le micro.

- Un peu, mon n'veu, chuchota-t-il après un grésillement. Tu te fais chier, toi aussi ? J'me ferais bien une bataille nava–

- Allume la 52.

Le cliquetis du clavier, quasi immédiat, lui confirma qu'il savait parfaitement de quoi elle parlait.

- … ah, lâcha-t-il après un long silence, avant de lui redonner la communication.

- Je vais réveiller Law.

- OK, je garde un œil sur lui.

Elle se leva et quitta son poste, sortant de la pièce confinée qu'elle laissa se verrouiller derrière elle, empruntant le couloir le plus proche pour rejoindre les étages supérieurs, là où elle savait qu'elle trouverait leur supérieur : son bureau.
Grimpant les marches quatre à quatre en s'efforçant de faire le moins de bruit possible, elle arriva sur le palier concerné et frappa au battant, patientant quelques instants avant de pousser la porte dans un léger grincement : il faisait nuit, à l'intérieur, hormis la minuscule veilleuse qui éclairait faiblement le divan sur lequel Law était étendu, livre sur la poitrine – Le Démon, d'Hubert Selby, cette fois.
Ben tiens.
Si étonnant.

Elle s'approcha aussi silencieusement qu'il lui était possible de le faire et resta, un long instant, à le contempler enfin endormi – il était rare que Law ferme l'œil ; il était toujours le premier levé et le dernier couché, dans la clinique, tours de garde exclus, et les cernes sous ses yeux étaient les meilleurs témoins de ses nuits blanches ou chaotiques. C'est avec un peu d'amertume qu'elle se résigna à le réveiller, ennuyée à l'idée d'interrompre un sommeil visiblement bien parti ; Bonney se pencha sur lui et posa une main sur son épaule, le secouant prudemment, retenant le livre qui manqua tomber au sol.

- ... hé, Law, souffla-t-elle.

Le mouvement derrière ses paupières lui indiqua qu'il rêvait, et elle se demanda brièvement de quoi pouvaient être peuplés les songes de Trafalgar Law, après avoir passé des heures à engranger des centaines d'informations morbides.
Elle insista, se risquant à passer une main dans ses cheveux noirs pour lui frotter doucement l'arrière de la tête, dans un geste qu'elle espérait assez significatif pour le sortir du sommeil.

- ... Law. Réveille-toi. Luffy est debout.

Après un instant de latence, ses yeux s'ouvrirent sur ses prunelles dilatées, encore brouillées d'une nuit trop courte ; elles se figèrent sur elle et Bonney sursauta quand Law se redressa brusquement, le souffle court, tendant le bras pour attraper ses chaussures et les enfiler dans la foulée.

- Depuis combien de temps ? lança-t-il, la voix encore rauque.

- Quelques minutes à peine. Prends ton temps, tu viens de–

- Tu as prévenu Shachi ?

- ... il est au courant, oui, marmonna-t-elle en se détournant pour rejoindre la porte.

Au fond, jamais elle ne comprendrait la distance que Law mettait entre lui et les autres ; cette dernière minute était encore une preuve de son acharnement à vouloir tout scinder, tout dissocier, sans s'accorder la moindre minute de répit dans sa quête personnelle.

Le psychiatre se leva de son divan et quitta son bureau plus vite encore que Bonney, dévalant les escaliers à toute vitesse, parcourant les couloirs au pas de course – la règle du silence ne s'appliquait pas ici et il semblait vouloir tirer profit de cet avantage, à voir l'empressement qu'il avait à se rendre dans la salle de contrôle.

À l'écran, Luffy était toujours à sa place, à savoir au bureau ; plus calme que son supérieur, Bonney prit place aux côtés de Law dont les yeux étaient déjà vissés sur l'image, où le jeune homme se trouvait toujours plongé dans une longue séance d'écriture.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement...?

- Il s'est réveillé, a sorti les cahiers du matelas et est venu s'installer là pour crayonner. Rien d'autre. Et si Shachi n'a pas appelé, c'est qu'il n'a pas dû faire autre chose en mon absence.

- Et avant ça ?

- Profondément endormi. Comme toi quand je suis arrivée.

Law se contenta d'un léger sourire, une esquisse d'amusement, et tendit la main pour étreindre brièvement la sienne – ses doigts étaient glacés, comme d'ordinaire, et ce contact avait cessé de la surprendre depuis longtemps. Un coin de son cerveau se contentait de lui dire que Law avait simplement la même apparence à l'extérieur qu'à l'intérieur.

- Merci de m'avoir réveillé, Bonney. Et ne t'inquiète pas pour moi.

- Plus facile à dire qu'à faire.

- T-t-t. Sans commentaire.

- … qu'est-ce que tu comptes faire… ? tenta-t-elle en désignant l'écran d'un geste du menton.

- Attendre, murmura-t-il en fixant son patient.

Son attention s'attarda sur l'image, son cerveau luttant pour sortir des brumes du sommeil en lui envoyant des signaux qu'il peinait à comprendre, après avoir si longtemps fermé les yeux – clairement, il tentait de lui faire passer un message, et il était horripilant de voir à quel point il galérait à former une pensée cohérente. Comme quoi, dormir n'était pas la meilleure idée qu'il ait eue aujourd'hui.

Il contempla le cahier, Luffy penché sur les pages…
… et sa main gauche, qui tenait le crayon avec assurance et écrivait inlassablement.
Ah.
Kid.

Il sourit, menton dans la main, et le regarda un long, très long moment ; assez pour que Bonney se replonge dans son livre, en jetant des coups d'œil fréquents aux autres caméras, entre deux bâillements prononcés ; assez pour que Teach vienne la relever à 03 heures du matin, en silence, son propre bouquin à la main ; et assez pour que Luffy ne se fige, à l'écran, après avoir refermé son cahier.
Law retint son souffle, croisant les doigts, sous le regard amusé de Teach qui haussa un sourcil entendu à son intention.

- … vous vous sentez superstitieux, boss… ?

- On peut dire ça comme ça. J'ai fait un pari et je ne compte pas le perdre, chuchota le psychiatre, sans ciller un seul instant.

Les secondes s'égrenèrent, interminables pour Law, jusqu'à ce que Luffy ne bouge enfin et ne se saisisse du second cahier, qu'il ouvrit et feuilleta jusqu'à trouver une page vierge, reprenant son crayon pour griffonner.
Main droite.
Il plissa les yeux, tentant de voir s'il percevait une différence dans l'écriture qui se couchait sur le papier, mais la caméra ne permettait pas ce genre de précision.

Glissant sa chaise à l'autre bout du comptoir, il fouilla dans les fichiers sauvegardés pour ressortir les dernières heures enregistrées dans la chambre de Luffy et lança celles auxquelles il avait assisté dans l'après-midi, aux côtés d'Ace, faisant signe à Teach de se rapprocher. On y voyait le jeune homme occupé à écrire, passant d'un cahier à l'autre, courbé sur ses pages, l'écriture saccadée.

- Ton avis, Teach.

- … sur… ?

- Luffy ici, et Luffy là, ajouta-t-il en pointant l'écran qui affichait le temps réel, sur leur droite.

L'infirmier recula son siège d'un bon mètre, ses yeux noirs allant d'un panel à l'autre, sans un mot, dans un silence complet ; Law l'imita, quand bien même il s'était déjà fait sa propre idée. Et c'était pour ça qu'il voulait un regard extérieur, pour être sûr que ni la fatigue, ni l'excitation, ni son autosuffisance ne venaient parasiter son analyse.

- … Luffy est là, indiqua Teach en tendant le doigt vers le second écran. Le numéro trois est sur la 52. Ils se tiennent pas pareil, c'est… subtil, mais… c'est là. Indéniablement.

- C'est ce que je pense aussi.

- Vous comptez y aller ?

- … trop tôt. Je lui en parlerai la prochaine fois que je le verrai. Si je suis trop sur son dos, il va se fermer. Tu ne penses pas ?

- … je pense que c'est vous le patron. Mais je pense surtout que vous devriez envisager d'aller vous pieuter, parce que vous avez quatre rendez-vous demain, et que vous allez vous endormir quand Sugar va vous mitrailler avec ses éternels "Pourquoi". Et qu'elle va encore se vexer, ajouta-t-il après un silence, non sans réprimer un sourire.

Dormir.

Il avait bien mieux à faire, mais il ne pouvait pas non plus négliger le fait qu'il avait besoin de toutes ses facultés pour débusquer cette troisième personnalité, et faire d'une pierre deux coups.

Satisfaire sa quête personnelle, et clouer le bec à Monet.

… et celui de Kid, au passage, avec un peu de chance.

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Réponses aux guests :

Crow : Yop ! Ah, la procédure Montauk, un rapport avec les SCP qui m'absorbent pendant des heures parfois, leur lecture est infinie x) Si c'a permis à des lecteurs d'être curieux, je suis contente car ça en vaut la peine ! Kid en a encore sous la pédale, ça va venir, pour l'instant c'est son tour de chauffe, juste histoire de rappeler qu'il est là, et pour faire ses petits tours de magie peinards, comme il les aime. Pour Dellinger, en théorie ça sera développé plus tard dans la fiction mais si j'oublie, d'ici la fin de l'histoire, je broderai un petit aparté pour expliquer. Ta question sur Caesar m'a fait pensé que j'avais peut-être mal développé une idée, alors dans le doute je vais éclaircir : Kid n'a connu Caesar que pendant son interrogatoire, avec Monet, mais il ne le connaissait pas "d'encore avant", je ne sais pas si je m'exprime bien... :o
Law aime bien fouiner dans la vie des gens, ça l'intéresse bien, penses-tu... coincé dans l'asile 24/7, il n'a pas mieux à faire que creuser, creuser, encore et encore... Merci pour les dialogues ! Oooh, GTO, ça me rend toute nostalgique, tiens ! Il faut inonder Pyro de suggestion, pour que son esprit fertile ne trouve pas le repos, mouhaha~... A très bientôt, j'espère, merci pour cette review toujours si enthousiaste !

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On se retrouve fin mars... Merci d'avoir lu !