Ohayo mina !
On tourne encore autour du pot pour les 2%, même si vous avez pu en avoir un autre aperçu.
Promis, on approche de la délivrance, vous saurez bientôt de qui il s'agit. Nan, parce que bon, on va pas se voiler la face, ça va devenir compliqué de cacher son identité, là, j'arrête pas de manquer gaffer en répondant à vos reviews et je me frustre toute seule. Vous m'avez eue, à l'usure...
Nous restons encore dans le huis-clos de l'asile, pour ce chapitre ; le prochain sera différent. D'ici là, je vous souhaite une bonne lecture, les guests sont en bas de page, et...
Enjoy it !
Chapitre 16 :
Jour 37. Ouverture.
Louisiane, près d'Ostrica.
15 heures.
Luffy ferma les yeux et croisa les mains derrière sa tête, savourant les rayons du soleil sur son visage ; la chaleur était bienvenue, malgré la moiteur de l'air, le clapotis des marais aux alentours lui rappelant vaguement le bruit de la mer, qu'il percevait depuis sa chambre, au Marina District de San Francisco.
Il était lessivé, après avoir passé la matinée à courir avec Ace le long de l'immense mur d'enceinte, mais cet exercice salutaire avait eu le mérite de lui vider complètement la tête, éloignant pour quelques heures les doutes, la crainte et la frustration, juste ce qu'il fallait pour s'autoriser une remise à zéro, même brève, de toutes les pensées tumultueuses qui ne trouvaient jamais le repos dans son crâne.
Il était certain qu'au fond, c'était exactement ce que voulait son psychiatre : lui donner des sueurs froides avec des hauts et des bas, d'une manière plus subtile mais pas si différente de Monet – il avait eu les détails en long, en large et en travers, assez pour savoir que les contusions et les marbrures sur sa peau n'étaient pas présentes par le plus pur hasard.
Sur le planning du matin, il avait eu l'indicible plaisir de constater qu'il avait le droit à deux heures de téléphone en fin de journée avec qui il le désirait ; les destinataires étaient tous trouvés, et il trépignait à l'idée de leur parler : un inépuisable carburant pour le long footing du matin. Près de trois semaines sans leur parler avait été une torture, mails il s'était abstenu de plaider sa cause auprès de Law, peu désireux d'avoir à rendre des comptes à cet homme dont il se méfiait toujours.
D'autant plus que, depuis un moment maintenant, le regard qu'il lui lançait ne lui laissait plus aucun doute sur ce qu'il se passait, derrière ses yeux gris.
Il savait.
Dans une certaine mesure, toutefois, Luffy en était certain, mais son autre secret ne faisait plus l'ombre d'un doute chez son psychiatre. Ce qui le surprenait le plus, toutefois, c'était de ne pas encore avoir eu le droit à un interrogatoire dans les règles de l'art. Ace non plus n'avait pas une seule fois abordé le sujet, et il se demandait jusqu'à quel point ces deux-là étaient de mèche, même s'il devait reconnaître que s'ouvrir à son infirmier était beaucoup plus aisé qu'avec le médecin de cette clinique de fous.
Il perçut des pas, sur sa droite, attirant immédiatement son attention, toujours sur le qui-vive ; il rouvrit un œil et, à travers la lumière aveuglante du soleil, ajusta sa vision sur la petite silhouette qui se tenait face à lui, à contrejour.
Il remit aussitôt un nom sur le visage à l'expression indéchiffrable qui le contemplait – la patiente de Bonney. Sugar.
- … salut, marmonna-t-elle. J'peux m'asseoir ?
Il acquiesça et la regarda s'installer à une bonne distance de bras de lui, un panier entre ses jambes repliées en tailleur – rempli de raisins, pour ne pas changer. Elle ajusta sa capeline, lissa sa robe, et Luffy ne put réprimer un sourire en regardant se dodeliner les oreilles d'ourson sur sa capuche quand elle la rabattit sur sa tête.
C'était bien la première fois qu'il adressait la parole à une personne extérieure aux aides-soignants, à une fillette de surcroît ; il ne lui donnait pas plus d'une dizaine d'années et, une fois n'était pas coutume, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle était bien plus à plaindre que lui, dans cette situation. Est-ce qu'elle aussi était coincée là à vie, ou ses semaines de présence n'étaient-elles que celles d'un séjour à moyen terme ?
- … pourquoi t'es là ? demanda-t-elle à brûle-pourpoint, ses yeux clairs rivés sur les autres pensionnaires éparpillés à travers la pelouse, à bonne distance d'eux.
- J'ai fait de mauvaises choses, éluda-t-il.
Il surprit son regard exaspéré, le roulement de ses yeux, et se demanda soudainement si ce n'était pas lui, maintenant, le petit chaperon rouge ; elle transpirait une telle maturité, malgré son jeune âge, rien qu'à travers les expressions de son visage, qu'elle lui donnait la sensation d'être le gosse, dans leur duo.
- S'te plaît. Tu vas pas m'impressionner.
- Quel âge tu as ?
- Onze ans, murmura-t-elle en plantant ses doigts dans les grains avant de les porter à sa bouche, les mangeant méthodiquement, un par un, de l'auriculaire au pouce.
- T'es un peu jeune pour entendre des horreurs pareilles.
Elle haussa un sourcil, mâchant lentement son raisin avant de déglutir, et de daigner soutenir son regard.
- … j'ai démembré ma mère et éviscéré mon père le jour de mon huitième anniversaire, annonça-t-elle calmement en reprenant quelques grains, les épépinant avec un soin tout particulier.
- … tu plaisantes… ?
- Ils voulaient pas m'acheter un chaton. J'aime beaucoup les chats, tu sais… ? soupira-t-elle en rajustant sa robe à pois.
Luffy garda le silence, reportant son attention sur le ciel bleu qui les surplombait.
En réalité, il hésitait entre une multitude de réactions possibles, la première était de fuir loin de cette sociopathe, la seconde se résumant à un rire nerveux frôlant certainement l'hystérie, la troisième guère plus créative lui suggérant de s'accommoder de ce genre de révélations – après tout, il se trouvait dans l'endroit ad hoc, pour ça. Lui-même étant ce que sa ville avait produit de pire, il n'avait certainement pas le droit de se trouver surpris d'être entouré de personnes de son acabit.
- Alors, pourquoi t'es là ? répéta-t-elle sans se départir de son calme froid, contraste détonnant avec sa voix d'enfant.
- … j'ai tué des gens.
- Beaucoup ?
- … possiblement, éluda-t-il.
Elle lui tendit, paume ouverte, une poignée de grains qu'il accepta avec un hochement de tête, surprenant le léger sourire en coin qu'elle arborait et qui lui donnait l'air bizarrement plus vieille, à cet instant.
Ils mangèrent en silence, regardant passer d'autres pensionnaires, tous deux plongés dans leurs pensées ; Luffy se demanda à quoi elle pouvait bien cogiter, immobile comme elle l'était, dans un comportement à des années-lumière de ce qu'il avait toujours imaginé pour un enfant, rien qu'à se prendre en propre exemple.
- … Sugar… ?
- Mmn.
- Je peux te poser une question ?
- C'en est déjà une, souligna-t-elle en repoussant sa frange de son visage, avant de lui sourire, un peu plus franchement cette fois-ci.
- Tu t'entends bien, avec Law ?
Son sourire s'illumina, brièvement, avant qu'elle n'arbore à nouveau une expression semi-altière qui ne seyait ni à son âge, ni à son accoutrement – tout en décalage, comme 100% des personnes enfermées ici.
Il avait touché un point sensible, visiblement, rien qu'à se remémorer l'éclat de joie passager qui avait illuminé ses traits, l'espace d'une poignée de secondes dont il n'avait pas su saisir le sens.
- … il a été là pour moi… d'une manière que personne peut comprendre, murmura-t-elle en contemplant pensivement son panier. J'dis pas, je l'ai… souvent… détesté. Mais il m'a jamais traitée comme si… j'étais… différente. Tu comprends ?
- … mais… on est différent, insista-t-il. Et ça, personne pourra rien y changer.
- Laisse-lui une chance, répliqua-t-elle. Toi, t'es pas fait pour être tout seul. Law peut t'aider à changer ça.
- … les gens ne m'aiment pas forcément, sourit-il en décroisant et recroisant les jambes, ajustant sa position dans l'herbe haute. Avant… de faire ce que j'ai fait, j'avais quelques amis, et une famille, mais maintenant… je suis pas persuadé que quelqu'un voudra être ami avec moi.
- C'est parce que t'en as pas envie. On pourrait être ami, tu sais… ? chuchota-t-elle. Mais toi, tu préfères creuser un trou et mettre la tête dedans. Moi… les gens m'aiment pas et j'ai pas vraiment envie de les aimer, des fois.
- Arrête, pourquoi les gens t'aimeraient pas ?
- Parce qu'ils se donnent pas la peine de regarder de plus près, énonça-t-elle en reprenant des raisins, très professorale. Pour… les gens de ma famille… je suis plus rien. Ils m'ont laissée ici. Toi, c'est pas ton cas, pas vrai ? T'as eu des lettres.
Soit il n'était absolument pas discret, soit cette gamine était bien plus observatrice qu'il ne l'avait imaginé de prime abord ; il optait pour un entre-deux, mais la mention des écrits de Nami venait inéluctablement lui rappeler les mots de son aînée qu'il se plaisait à lire et relire, sans jamais s'en lasser. Des mots tendres, presque protecteurs, où elle reprenait leurs dernières conversations comme si elles ne s'étaient jamais arrêtées. La banalité dont il avait besoin, qui lui rappelait la villa et le temps béni où il pouvait jouer à être le garçon le plus normal qui soit. Il avait répondu et Ace lui avait promis de faire partir le courrier le plus vite possible, pendant qu'une petite pointe d'amertume à l'arrière de son crâne lui susurrait que, très probablement, sa missive serait lue avant d'enfin trouver le chemin de la boîte aux lettres.
Cette incertitude ne l'avait pas quitté, mais il s'était décidé à accorder un tant soit peu de crédit aux actes du personnel qui l'entourait, sous peine de virer complètement la carte.
Au loin, une voix interpella Sugar, coupant court à leur discussion – il aperçut Bonney, qui avançait sous le soleil de plomb ; elle lui adressa un sourire poli et tendit la main à la pensionnaire, qui se redressa promptement et glissa ses doigts dans les siens, son panier de fruits sous le bras, lui jetant un regard par-dessus son épaule en s'éloignant.
À cette heure-ci, il était certainement question d'une autre séance de piscine ou d'une quelconque activité destinée à la faire se dépenser et, par extension, quitter ses raisins – Luffy ne savait pas encore grand-chose de tous ses collègues, Law ne l'ayant pas encore autorisé à se rendre à leurs côtés pendant les activités communes.
C'est quand il se décida à piquer un autre somme qu'une voix bien différente de celle de Bonney résonna, appelant cette fois son nom dans la légère agitation qui gagnait les internés, au loin ; il rouvrit un œil et reconnut le psychiatre, un dossier rempli de feuilles sous le bras, mémorisant sa démarche si particulière – sûrement due aux légers talons qu'il portait et que Luffy s'était lui-même étonné de ne pas trouver plus féminins que ça. Il se hissa sur les coudes et le regarda le rejoindre, circonspect, l'immense silhouette du médecin le surplombant et de loin.
- … bonjour, Luffy. Je peux… ? murmura Law en désignant l'herbe près de lui d'un geste du menton.
Luffy hésita une poignée de secondes avant d'acquiescer et de s'assoir, observant Law qui s'installa à ses côtés d'un geste souple, ouvrant le dossier que le jeune homme vit estampillé à son nom.
- Nous nous sommes plutôt évités, ces derniers temps, souffla-t-il en feuilletant les pages lourdement griffonnées qui s'empilaient avec régularité.
- … je sais.
- J'aimerais qu'on remédie à ça. Et je ne veux pas que le fiasco du bureau se reproduise.
- … c'est pour ça qu'on est dehors… ?
Le psychiatre sourit et hocha la tête, prenant un crayon de sa blouse et une feuille blanche où il inscrivit la date du jour, ainsi que le lieu – à savoir, la pelouse de la clinique.
De toute évidence, la localisation de l'entretien – parce que Luffy avait parfaitement compris que c'en était un – avait son importance dans les discussions qu'il avait avec ses clients.
- Je ne me trompe pas si j'avance le fait que tu n'aimes pas être enfermé… ?
- …
- J'ai pensé qu'être ici te rendrait plus enclin à la discussion. Beaucoup de patients se sentent rassurés, dans mon bureau, ce n'est peut-être pas ton cas.
- Il est trop sombre, marmonna Luffy.
- J'y penserai pour les prochaines fois. Tu as un peu de temps à m'accorder ?
Il acquiesça et s'employa à arracher quelques bruns d'herbe, légèrement intimidé, une fois de plus ; même si une partie de lui le détestait – et il savait laquelle – une autre ne pouvait s'empêcher de reconnaître une indéniable emprise psychologique de cet homme sur ses pairs. Sa taille, peut-être, à moins que ce ne soit sa couleur de peau, ou bien encore celle de ses yeux, que Luffy évitait de trop fixer.
Pas par peur de ce qu'il allait y lire : c'était la réciproque qu'il redoutait.
- Tu n'es pas sans te douter que j'ai fait quelques recherches sur toi, Luffy, débuta Law à voix mesurée – assez haute pour qu'il puisse l'entendre, assez basse pour que les autres pensionnaires qui erraient à une dizaine de mètres d'eux ne les entendent pas. J'ai tapé large, de Rio à SF, mais j'ai surtout tablé sur ta scolarité.
Luffy haussa un sourcil – le seul à s'y être intéressé était Mihawk, uniquement pour chercher à le disculper ; peut-être même la fameuse Monet, dont il n'avait pas le moindre souvenir, avait-elle creusé dans ce sens, mais ce n'était pas ce qui lui avait été rapporté jusqu'ici.
À dire vrai, il savait pertinemment qu'il y avait énormément de choses à savoir sur lui, de ce côté-là, et que n'importe qui d'un peu sensé pouvait deviner que quelque chose clochait – en bien ou en mal – rien qu'à regarder ses bulletins et ses choix d'étude. De toute évidence, le psy savait par où commencer, et il savait d'emblée sur quel terrain il voulait l'emmener.
- Comment est ton portugais ?
- … je sais pas, quelque part entre « irréprochable » et « parfait »… ? railla le jeune homme. C'est bien la seule matière où je m'étale pas lamentablement.
- … la seule, mmn ?
Il en avait trop dit.
Et c'était trop tard pour faire marche arrière. Ça lui servirait de leçon, encore une fois, à croire qu'il n'en avait pas assez bavé jusqu'ici pour ne pas comprendre ce qui risquait de lui tomber sur le coin du nez.
- Tu es le premier de ta classe de japonais. Même verdict pour la biologie, et ta physique-chimie est excellente. En revanche, il est vrai que tu te ramasses en maths et ton anglais pourrait être meilleur, commenta Law en parcourant ses résultats du regard. Tu es dans le top 3 en éducation physique mais ça ne m'étonne pas, j'ai vu Kid à l'œuvre et tu es loin d'être une brindille… Très hétérogène, tout ça, n'est-ce pas ?
- Je vois pas ce que ça peut vous apporter.
- Elles ne sont pas juste pour toi, ces options, pas vrai… ? lança le psy en tapotant les lignes du dossier qui résumaient tous ses choix d'orientation.
Et quel choix il lui restait, à part nier en bloc ?
Une demi-vérité serait-elle plus acceptable, ou devait-il tomber le masque dès à présent ?
Il estimait s'être assez tu comme ça, sans avoir besoin de pousser le mutisme plus loin, quand bien même une partie de lui lui chuchotait qu'il ferait tout aussi bien de la fermer : quitte à être ici, autant laisser le temps passer jusqu'à ce que son corps décide lui-même d'arrêter les frais… ?
Il arracha les brins d'herbe sous ses doigts, nerveux, constata le tremblement de ses mains ; le feu de ses joues ne tarda pas, et l'embarras lui enflamma le visage.
C'était aussi ce qu'il avait de moins avouable, parce qu'il savait pertinemment que cette confession de plus allait laisser le doute sur sa prétendue non-culpabilité en ce qui concernait Vivi.
- … pas que, non, marmonna-t-il en fixant la pelouse.
- Kid est bon en japonais ? poursuivit Law en prenant des notes.
Luffy déglutit, tiraillé entre deux réponses à donner, l'une étant un mensonge éhonté qui ne le mènerait nulle part, de toute manière. Il pouvait pécher par omission, mais le résultat finirait immanquablement par être le même.
La nervosité prenait peu à peu le pas sur le reste, comme à chaque fois qu'il était question de cet épineux sujet ; Shanks, Nami et Sabo ne s'y aventuraient pas, pour d'évidents arguments – quand il ne s'agissait pas de Kid, il n'y avait aucune raison de se sentir menacé.
- … c'est pas son truc non plus.
Il osa, un court instant, affronter le regard de Law, et n'y lut rien de particulier, si ce n'était une lueur d'intérêt ; c'était la seule chose qu'il lui fallait pour comprendre que lui aussi cachait bien son jeu, parce qu'il était impossible qu'il lui ait permis de venir dans cet endroit sans manifester un tant soit peu de curiosité à son propos : ils avaient tous les deux décidé de jouer fin, de semer des miettes de pain en attendant de voir qui les picorerait en premier.
- Je vois. Ce n'est pas pour toi non plus, n'est-ce pas… ?
La question était volontairement ouverte, et Luffy pouvait saisir cette opportunité au vol comme il pouvait la laisser lui échapper, comme il l'avait fait de trop nombreuses fois par le passé ; et cette fois-ci, quelle serait la prochaine étape de Kid, le prochain challenge qu'il aurait à offrir ? Luffy doutait sérieusement de pouvoir anticiper quoi que ce soit à ce propos.
Law demeurait silencieux, ses yeux gris rivés dans les siens, le silence entre eux seulement troublé par le bruit des patients autour d'eux, à une distance plus que respectable. Il avisa Ace, un peu plus loin sur la gauche, occupé à prendre ses propres notes dont Luffy ignorait tout, en plein argumentation avec Shachi, à première vue.
Est-ce que lui aussi avait deviné ?
- C'est pour quelqu'un d'autre, avança-t-il en se grattant l'arrière de la tête, gêné.
- Tu peux m'en dire plus ?
- Pas la peine.
Buté, à peine poli, à l'image de Kid ; le fourmillement, dans sa nuque, prit la place sur la nervosité, pointe de colère, d'agacement, une note défensive dont il ne connaissait pas encore l'issue, et dont lui seul avait le pouvoir de décider, avec un effort de volonté qui risquait de l'affaiblir encore plus.
- Pourquoi ça ?
- C'est pas le problème. Le problème, c'est Kid.
- … pas vraiment, sourit Law en posant son dossier et son stylo à côté de lui, laissant tomber le crayonnage pour se centrer sur Luffy. Tu penses que c'est lui, mais c'est beaucoup plus profond que ça. Et c'est sur ces aspects-là que je vais devoir travailler avec toi, si on veut réussir à obtenir un résultat probant.
- Je vous dis que c'est pas le problème.
Le ton était sec, presque sans appel, de la même manière que Shanks pouvait se montrer parfois terriblement ferme quand c'était nécessaire – un regard qui suffisait à faire s'écraser tout le monde, lui le premier – et qui dénotait l'impatience qui le prenait peu à peu aux tripes.
Il savait qu'inévitablement, ils iraient au clash à un moment ou à un autre, mais il refusait d'envisager cette possibilité là, maintenant, devant tout le monde, avec la porte de sortie à portée de bras.
- … Luffy… ? souffla Law sans cesser de le scruter.
- Quoi ?
- … jusqu'à quel point tu crains Kid ?
- Je le crains pas. C'est… ça n'a rien à voir. Il ne peut pas me faire de mal, de là où il est.
- … et cet autre ?
- Quoi, cet autre ?
Law tendit le bras et pressa le bout de son index contre son front, entre ses deux yeux ; Luffy loucha sur le doigt qui le touchait, sentait un long frisson courir le long de sa colonne – frémissant de la froideur de son toucher, et de cette proximité physique que quelque chose repoussait violemment, au creux de son ventre et de ses reins.
- Là-dedans. Qui est-ce que tu redoutes le plus… Kid, ou l'autre ?
- Kid, rétorqua-t-il du tac-au-tac.
- Menteur.
- C'est pas moi qui crains qui que ce soit… en général, ce sont les autres qui flippent. Ce qui pouvait m'arriver de pire, c'était San Quentin en attendant mon exécution, et j'aurais même pas eu la chance d'avoir une seule égratignure.
Pour le coup, il lui accordait le point sans détour. Rien qu'à voir ce qu'il s'était passé dans la camionnette dans la dernière partie du trajet, et dont Luffy ignorait chaque instant, Law ne doutait absolument pas des dires de son patient. Kid, comme l'avait annoncé Monet, aurait fait une boucherie dans chacune de ses cellules, jusqu'à avoir un gardien à l'usure et s'échapper en beauté, comme il l'avait essayé dans l'asile quelques semaines auparavant. A la différence près qu'ils avaient tous été extrêmement chanceux, dans cette clinique, Law en avait parfaitement conscience.
- Pour toi, le pire, ce n'est pas la mort ?
- On meurt tous un jour, pas vrai ? Un peu plus vite, un peu plus tôt, qu'est-ce que ça change ? … surtout pour moi, ajouta-t-il après un silence dépité.
- Tu veux bien qu'on revienne à cet autre ?
- Arrêtez de vous acharner là-dessus. Croyez-moi, au moins une fois : vous n'aurez jamais de problème avec ça.
- Je ne pensais avoir affaire à Kid dès les premières minutes de notre rencontre, et je me suis lamentablement trompé, sourit Law en croisant les jambes, image même de la décontraction classe. Pardonne-moi de surévaluer les capacités de ce qui dort encore, chez toi… mais ce sont des choses que je dois appréhender. Tu sais que très peu de personnes ont la chance de se faire diagnostiquer avec un trouble dissociatif de l'identité comme le tien ? Et je te laisse deviner les chances de guérison, pour ces personnes.
- … nulles ?
- N'exagérons rien. C'est simplement… bien plus compliqué que ça ne l'est pour toi, qui te trouves au bon endroit. Monkey D. Luffy n'a pas, dans le fond, été reconnu coupable de quoi que ce soit. C'est Eustass Kid, le meurtrier. Et il y a cet Autre, dont je ne sais presque rien et que j'ai besoin d'appréhender, pour mieux le comprendre.
- … je vois pas où vous voulez en venir.
- La guérison d'une maladie comme la tienne, de quoi vient-elle, à ton avis… ?
C'était une excellente question, à laquelle il n'avait aucune réponse.
Non pas que son imagination ait été au point mort de ce côté-là : Luffy avait eu des années pour penser à tout ce qui aurait pu le rendre normal, recherches personnelles comprises, et il n'avait jamais rien trouvé de satisfaisant, une seule solution mise à part ; mourir.
Il n'avait aucune idée du fonctionnement des troubles comme le sien, sa propre horloge interne hors compétition, et ignorait totalement comment venir à bout de ce qui trottait dans un coin de son cerveau. Il était persuadé que sa famille n'avait pas non plus lésiné sur les livres, les études à parcourir, et personne n'avait pu lui apporter une solution radicale qu'il aurait pu mettre seul en pratique. À ses yeux, il avait échoué, point à la ligne.
Est-ce que Trafalgar Law, au fond de ses bouquins, avait la clé de l'énigme à portée de main… ? Luffy était persuadé que non.
- … j'en sais rien.
- À un moment donné de ta vie, tu t'es dissocié, murmura le métis en plongeant ses yeux clairs dans les siens. Quelque chose s'est scindé en toi, une fois, deux fois, jusqu'à former votre trio. Le but final, c'est une fusion, ni plus, ni moins. Mon seul travail, c'est de réconcilier toutes les parties de toi qui se sont déchirées, pour n'en faire plus qu'une seule. Aussi douloureuse soit l'opération.
- … je voudrais pas casser l'ambiance, mais ça fait pas un peu Voldemort et ses Horcruxes, là… ?
Le silence s'étira et, à la surprise de Luffy, Law éclata de rire ; un rire qu'il ne le lui aurait jamais imaginé. Un rire franc, grave, profond, loin du sarcasme cynique dont semblait faire preuve le personnage à longueur de temps.
Ace et Shachi relevèrent la tête de leur cahier et les fixèrent avec hébétude, comme si cet évènement était la chose la plus incongrue qui soit – il n'en fallut pas plus à Luffy pour comprendre que leur supérieur hiérarchique n'était pas du genre à s'accorder ce genre d'écart de conduite, et que l'épisode était à classer dans l'Histoire de l'asile avec un grand H. Une partie de lui aurait voulu se vexer d'être si risible, mais une autre lui soufflait que cette accalmie était salutaire et qu'il devait en tirer le meilleur, à savoir détourner Law du sujet, même un peu, même pendant un infime laps de temps.
- Si tu le dis, concéda le psychiatre en s'essuyant le coin des yeux. C'est une manière un peu pauvre de résumer le sujet, mais pourquoi pas, après tout.
- … et vous savez c'est quoi la conséquence, pour lui, de réunir toutes les parties éparpillées de son âme… ?
- Dis toujours.
- … la douleur le tue, murmura Luffy en se rallongeant dans l'herbe pour contempler le ciel bleu au-dessus de lui, qui semblait le dévisager avec le mépris habituel qu'avait le ciel pour ceux rattachés à la terre. Et je suis pas pressé d'expérimenter ce genre d'agonie.
Law, invisible à son regard, ne releva pas.
Il était inconcevable, à son échelle, de réussir un tel tour de force.
Personne ne pourrait le sauver de ce qu'il renfermait, il s'était fait une raison, et s'en écarter ne lui causerait que de douloureuses désillusions, dont il ne se sentait pas d'explorer les profondeurs.
- … les personnes qui, comme toi, souffrent des mêmes travers présentent toutes des similarités. Des horreurs, dans leur passé, qui les ont poussées à mettre en place des mécanismes de défense qui leur sont propres. Tu n'as pas échappé à cette règle. C'est suite à ces évènements que tes autres personnalités sont apparues ; elles ont toutes les deux leur rôle à jouer, dans ta vie, et je… conçois parfaitement qu'en les occultant, c'est une part de toi-même que tu penses perdre. Je n'ai pas l'intention de te faire perdre qui ou quoi que ce soit, bien au contraire. Le but, c'est de vous rendre… indissociables les uns des autres, comme n'importe quelle autre personne capable de gérer ses émotions sans avoir à les subir au plus haut degré.
- … je suis faible, marmonna-t-il en fermant les yeux.
- Bien sûr que non. Pourquoi est-ce que tu penses ça… ?
Luffy entendit le crayon, tenta de ne pas s'en formaliser.
Ce n'était pas un interrogatoire. Rien à voir avec ce qu'il avait encaissé dans la salle avec Akainu et les autres, jusqu'au point de non-retour.
- Les autres… les gens normaux… ils engrangent le stress. Les horreurs, comme vous les appelez, les chocs, la tristesse, la peur, l'incompréhension… Moi, j'ai rien de tout ça. Mon cerveau est inapte à faire ce travail, j'ai aucun contrôle là-dessus. Je suis pas capable de gérer ce que je ressens, et je le laisse créer des… des copies de moi qui ne sont faites que de ce que j'ai de pire, de ce que je ne veux pas, de ce que j'ai pas été foutu d'accepter.
Sa gorge serrée lui fit mal, l'obligeant à déglutir et inspirer profondément pour reprendre le dessus, tentant d'ignorer sa vision de plus en plus trouble – rien de plus que la présence horripilante de larmes dans ses yeux.
Pleurer n'arrangerait rien.
- Je ne compte pas faire disparaître ça. Ce n'est… pas mon rôle.
- Je sais.
- … on va arrêter là, souffla Law en refermant son dossier. On se revoit jeudi… ?
Pile au moment où il se sentait au bord de la chute.
Soit il l'avait senti, soit il en savait assez pour travailler convenablement à leur prochaine séance.
- … jeudi, oui, murmura Luffy en essuyant ses yeux du plat de la main.
- N'oublie pas ton coup de fil, tout à l'heure.
Il se contenta d'acquiescer, fermant les paupières en entendant le psychiatre se lever.
Il ne voulait pas le voir.
Refusait en bloc de voir l'expression de son visage, d'y lire la moindre émotion – pitié, compassion ? Moquerie ? Peu importait, au fond : ce qu'il voulait, là, c'était être seul.
- Si tu as un peu de temps, à l'occasion…, poursuivit Law à travers un bruissement de feuilles, qu'il déposa près de lui. J'aimerais que tu remplisses ces papiers. C'est assez long, et ça nécessite d'avoir l'esprit en paix.
Une larme, traitresse, s'échappa de ses cils et roula sur sa joue.
Il serra la mâchoire, hocha la tête, resta immobile.
- … à plus tard, Luffy.
Le soleil lui brûlait le visage – seule explication à l'embrasement qui lui cuisait la peau. Rien à voir avec sa gorge nouée, sa frustration et la pointe de colère qui bouillaient en lui, sans qu'il ne parvienne à en déterminer l'origine.
Son seul objectif à court terme était de se calmer, pour avoir le droit à ses deux heures de téléphone et ne pas voir filer cette opportunité, comme la dernière fois où Kid avait voulu se distinguer. Il inspira profondément, expira lentement, dans une suite régulière que Shanks lui imposait, parfois, lors d'une énième crise d'angoisse qui lui collait à la peau, étant enfant.
D'autres pas se firent entendre, à ses côtés, et le soleil fut momentanément caché par une ombre large dont il aurait reconnu le propriétaire entre mille.
- … j'arrive, Ace, chuchota-t-il.
- Prends ton temps.
- Law rigole pas beaucoup, hein ?
C'est le rire de son infirmier qui s'éleva, cette fois, preuve qu'il avait visé juste ; il rouvrit les yeux, constata la main tendue d'Ace et l'attrapa pour se redresser, époussetant les brins d'herbe qui maculaient sa tenue non sans balayer ce qui l'entourait du regard.
Les autres patients ne semblaient pas faire attention à lui, hormis Sugar qui lui souriait, assise un peu plus loin avec Bonney, occupées à lire – il devinait sans mal qu'elle suivait des cours, à en juger par la nature des bouquins qui s'empilaient sur le banc. Après tout, être enfermée ici ne la dispensait pas d'une certaine éducation, à laquelle Law devait tenir.
Il songea à son cursus universitaire raté, son job qui l'attendait avant ce soir où Kid avait merdé, et ravala son amertume en se rappelant qu'il avait été condamné à vie et qu'il ne se faisait aucune illusion quant à un possible espoir de sortie.
- Il ne rit pas pas souvent, non. C'est pas trop sa came.
- C'est un coup à devenir maboule, ça, marmonna Luffy en s'étirant. Et vous, ça vous plombe pas trop ?
- Ça fait longtemps que je connais Law, j'y suis habitué, c'est pareil pour les autres. C'est sa manière d'être, et on l'a acceptée.
- Vous vous connaissez depuis longtemps ?
- Dix ans, sourit Ace en croisant les bras, tournant la tête pour observer la silhouette de Law, au loin, sa blouse immaculée sous le soleil signalant sa présence près d'autres internés, proche du mur d'enceinte. C'est assez pour cerner le personnage.
- Si c'est… pas indiscret, comment vous vous êtes rencontrés ? tenta l'adolescent en suivant l'infirmier en direction de la clinique.
À ce moment précis, Luffy aurait juré avoir vu passer une ombre sur le visage de son gardien ; fugitive, presque indétectable, mais assez marqué pour qu'il ne puisse la détecter. Une ombre qui n'avait rien d'hostile, bien au contraire – elle était trop assimilable à une profonde tristesse pour qu'il puisse la confondre avec un quelconque agacement.
L'expression disparut aussi vite qu'elle était passée, laissant Luffy perplexe quant à sa raison d'être, d'autant qu'il se jaugeait suffisamment expert dans le mensonge pour pouvoir deviner sans mal qu'Ace allait lui servir une demi-vérité dont il devrait se contenter pour le moment.
- Quand je terminais mes études. Law cherchait des collaborateurs pour son projet, ici, quand la clinique n'était encore qu'un terrain marécageux. Il m'a recruté en même temps que les autres, en choisissant un à deux élèves par promotion dans les écoles qu'il avait ciblées.
- Vous étiez le major de promo ?
- Même pas, j'étais dans le dernier quart. Ce n'était pas son critère de recherche.
- Vous avez tous un point commun, alors, si c'étaient pas vos notes qui primaient ?
- Je te trouve bien curieux, toi, aujourd'hui, contra Ace avec un de ses éternels sourires railleurs, son allumette toujours calée au coin de sa bouche.
Luffy y attarda son regard, pensif, avec une impression semblable qui l'avait traversé quand il avait rencontré Lami pour la première fois – l'impression que quelque chose lui échappait, alors que c'était à portée de bras. Kid serait plus apte que lui à mouliner à ce propos, mais il n'avait pas assez confiance pour le laisser prendre la température à sa place, chat échaudé craignant l'eau froide.
- Je m'ennuie à mourir. Sérieusement. J'ai que ça à faire, être curieux.
- Tu sais ce qu'on dit à propos de ça ?
- Ouais, c'est un vilain défaut. Je mets toujours mon nez où il faut pas.
Les yeux d'Ace, noirs, plongèrent dans les siens, et Luffy réprima mal le frisson qui courut le long de sa colonne ; rien à voir avec une frousse, bien au contraire. Ce n'était rien de plus que ce qu'il avait l'habitude de ressentir, quand il était question de Kid, et la certitude que son instinct ne le trompait pas. Ace était un compétiteur sérieux, contre Kid, et il était plus qu'un infirmier – Luffy ne doutait pas un seul instant qu'il était apte à le maîtriser.
- … pourquoi une allumette ?
- Moins dangereux qu'un cure-dents. Et si tu gardais le travail des méninges pour demain soir ? Law m'a autorisé à te faire participer à une activité collective.
- Si vous me dites qu'on va jouer à la dame de pique, je pète un câble.
- Pas de dame de pique, sourit Ace en lui ébouriffant les cheveux. C'est un groupe restreint, dans lequel se trouve Sugar. C'a plutôt bien matché entre vous, non ?
Il sentit une pointe de méfiance lui hérisser la peau, tâcha de l'ignorer et croisa les bras, prenant un recul marqué sur la situation et la distance les séparant.
- Je la connais pas plus que ça.
- C'est la première avec qui tu as eu une interaction, et elle a l'air de bien t'aimer. Law voudrait que tu te joignes à elle.
- … qui d'autre, dans le groupe ?
- Des gens qui cogitent. Ils se présenteront eux-mêmes, je ne vais pas gâcher le suspens.
Encore une fois, il reporta son attention sur l'allumette, avant de détourner le regard vers Bonney, toujours avec Sugar ; elle portait la tenue des infirmiers, la même qu'Ace, mais trop grande pour elle, à la différence de Lami qui les portait seyants. La manière qu'elle avait de triturer le bord de son tee-shirt, usé au même endroit, avait déjà intrigué Luffy. Ses yeux glissèrent sur ses cheveux roses, le dessin des tendons de son cou, sa posture voûtée, ses genoux ramenés contre sa poitrine.
Là encore, quelque chose lui échappait. Subtil mais bien présent.
Shachi, un peu plus loin, était en plein jeu de dames avec un autre patient, son béret vissé sur sa tête malgré la chaleur, à l'image de Penguin qui prenait les mesures d'un grillage, sur leur gauche, inscrivant les résultats sur son carnet avec minutie.
Eux aussi transpiraient quelque chose d'étrange, qu'il était incapable d'identifier à cet instant. Il prit une note mentale sur le besoin qu'il avait d'aborder ce sujet avec Sugar, si elle l'y autorisait, et se tourna vers Ace avec un sourire qu'il espérait neutre, à défaut d'être trop forcé.
Il appréciait son infirmier, mais ce qui clochait dans cet endroit était plus fort que le reste.
- Alors ? Qui est-ce qu'on appelle, aujourd'hui ?
- Il est quelle heure, à San Francisco ?
- Environ 14 heures, calcula Ace après un coup d'œil à sa montre.
- … on est dimanche… mon père doit être en train de relire ses discours à la maison. On peut essayer la villa ?
L'infirmier acquiesça et lui fit signe de le suivre dans le bâtiment, à l'abri du soleil, traversant les halls du rez-de-chaussée pour arriver vers l'accueil, celui par lequel il était passé à son arrivée, quand il ressemblait à une proie sur une planche sacrificielle. Pas le moment le plus glorieux de sa vie, mais il avait connu bien pire. Au mois, lui était vivant sur sa planche, là où Vivi n'était déjà plus rien.
Stress.
C'était ce qui lui faisait broyer du noir et appréhender ce coup de téléphone, au fur et à mesure qu'ils s'approchaient de l'évènement. Ace emprunta une volée d'escaliers, derrière ce que Luffy savait être le local d'archives, jusqu'à parvenir à un palier desservant plusieurs pièces, dont il ouvrit la porte de la première : à l'intérieur, des murs clairs, bruns et or, un canapé d'angle et un coin cuisine – vide à l'instant t – une grande table avec des chaises, et un téléphone posé en son milieu. Baies vitrées, pas de barreaux aux fenêtres. Luffy jeta un regard interrogateur à son gardien qui se contenta de sourire en croisant les bras, clairement amusé par sa perplexité.
- Elles sont truffées de systèmes de détection. Tu n'iras pas bien loin.
- Pourquoi des baies ?
- C'est ici que certaines personnes reçoivent leur famille, entre autres. Autant que ça soit sympa.
Il ouvrit l'armoire électrique d'un tour de clé du trousseau et fouilla un instant dans les branchements, faisant comprendre à Luffy que le téléphone ne communiquait pas avec l'extérieur 24/7. Une autre mesure de sécurité, parmi toutes celles existantes qu'il était bien incapable de chiffrer, à cet instant. Nul doute que Kid ne se gênerait pas pour le faire s'il prenait les rênes.
- Fais-toi plaisir, annonça Ace en lui tendant le combiné filaire. Si tu as un problème, bipe-moi avec le bouton sous la table, je suis pas loin.
- Bien reçu.
L'infirmier lui sourit, une dernière fois, et sortit de la pièce en refermant la porte derrière lui ; Luffy n'entendit pas ses pas s'éloigner mais assuma l'idée que l'insonorisation suffisait à couvrir ce bruit, et prit place face au téléphone, tendant une main à nouveau tremblante pour composer le numéro de la villa.
Le téléphone pressé contre l'oreille, il se raccrocha à la tonalité, le cœur battant à tout rompre ; un infime pourcentage de doute, quelque part dans son crâne, lui susurrait que personne ne voudrait lui parler, avec tout ce qui avait pu se passer.
Une sonnerie s'interrompit et le crissement familier du téléphone qu'on décroche résonna dans la pièce, faisant rater un battement dans sa poitrine, serrant sa gorge.
- « Allô… ? »
- … S-Sabo… ? bredouilla-t-il, hésitant. C'est moi…
Il entendit le cri de son frère résonner à travers la maison, appelant Nami et Shanks en les obligeant à lâcher la vaisselle, faisant résonner dans le téléphone le bruit de leur course dans la cuisine et le salon pour rejoindre l'aîné sur le canapé.
- Tu vas bien ?! s'écria Nami dans le micro.
- Je suis vivant, éluda-t-il en triturant le bord de la table, troublé. Et vous, ça va… ?
- Mieux depuis que tu viens d'appeler, sourit la voix de Shanks. Content de t'entendre, Lu'. Tu nous manques.
Encore une fois, sa gorge le rappela à l'ordre, dans un nœud douloureux qui l'empêcha de prononcer le moindre mot.
Plaquant une main sur sa bouche, il réprima un sanglot bruyant ; le silence s'étira, à l'autre bout du fil, signe qu'aucun de ses trois interlocuteurs n'était dupe sur ce qui le privait de mots.
Chaque mot, chaque phrase sous-entendait, bien malgré eux, que leur séparation serait définitive, et les entendre lui confirmait ce qu'il redoutait déjà : chaque appel serait aussi salutaire que néfaste, jouant double-jeu dans son crâne.
- Vous me manquez aussi, coassa sa voix trop éraillée pour qu'il la reconnaisse.
- Comment ça se passe, avec Trafalgar ? s'enquit Sabo. Ils te traitent bien, là-bas ?
- Il fait ce qu'il peut. J'ai… Kid coopère mal. Ils nous ont à l'œil.
- Tu as besoin de quelque chose ?
- … ouais. De rentrer à la maison.
De nouveau, c'est le silence qui lui répondit ; ses doigts entortillèrent le fil du combiné dans une atmosphère pesante, qu'aucun d'eux ne semblait pouvoir, et même vouloir, briser. Il savait que, peu importe ce qu'ils répondraient, la réplique ne lui conviendrait pas. Il était inutile qu'il entretienne de faux espoirs, qu'il se berce de scénarios improbables qui risquaient, de surcroît, d'atteindre sa famille au moins autant que cela ne l'affectait lui-même.
Inspirant profondément, il fixa son regard sur les arbres qui s'étendaient à l'horizon et ravala bruyamment son amertume et son découragement, tentant de faire ce qu'il avait su faire de mieux tout au long de sa vie passée : voir les choses sous un autre angle. Quitte à enfouir sa tête profondément dans le sol, loin de toutes les emmerdes qui l'éclaboussaient.
- C'a donné quoi, tes examens, Nami ? toussota-t-il en se rajustant sur sa chaise.
- Pas trop mal. J'ai pu passer en dernière année pour mon master… Je fais mon stage chez Sabo, sourit sa voix. Business familial, hein ?
Luffy était le mieux placé pour savoir que ce choix n'en était pas un ; Nami avait débuté sa recherche longtemps avant l'arrestation, et il ne doutait pas un seul instant qu'elle avait essuyé de cuisants échecs suite au lynchage médiatique dont il avait fait l'objet, quelques semaines plus tôt. Il préférait ne pas aborder ce sujet par téléphone, privilégiant les lettres pour ce genre d'échanges, et garda ses commentaires pour lui.
- Tu vas galérer. Sabo fout un merdier pas possible dans ses affaires, Koala passe son temps à le pourrir pour ça…
- On parle de ta chambre ou comment ça se passe ? grogna l'intéressé.
- Je risque pas de dépouiller celle que j'ai ici, c'est rigueur militaire, je suis obligé de ranger tous les matins, mon infirmier y veille.
- Ça te change de la maison, surenchérit Nami en semblant reprendre le combiné, à en juger le bruit dans l'appareil. Il est mignon, le gars qui s'occupe de toi ?
- Nami…, marmonna Shanks.
L'adolescent s'imagina la scène dans les moindres détails, le sourire railleur de Nami, Shanks levant les yeux au ciel sans dissimuler son exaspération, Sabo désapprobateur – cette légèreté était bienvenue, et il ne pouvait qu'en profiter tant qu'elle pouvait durer, avec les deux heures de badineries qui lui étaient offertes sur un plateau d'argent.
- Je suis pas trop calé en mecs, rétorqua-t-il en se balançant sur sa chaise. Mais il est mieux que le dernier copain que t'as eu à la fac.
- … mieux que Kohza ? Nan. Impossible.
- Va couper la tête à quelqu'un et rejoins-moi chez les dingues, tu pourras constater par toi-même.
- T'as un de ces humours, des fois, Luffy…, déplora leur père en soupirant.
- Je t'avais dit qu'il en rirait. Y'a tout qui glisse sur ce môme, argumenta Sabo, un peu plus loin. Trafalgar nous a demandé de faire un autre colis pour toi, t'as besoin qu'on mette quelque chose en particulier dedans ?
- Les bouquins qui sont dans ma table de chevet, et les photos dans le cahier qui est resté sur mon bureau.
Il avait une liste interminable de ce dont il aurait eu besoin, ici, pour conserver la pleine santé mentale dont il s'était efforcé de maintenir l'équilibre des années durant, mais qu'il ne pouvait pas faire ramener dans cet endroit – trop risqué pour le moment.
- Et les fringues qui sont sur l'étagère du haut, dans mon armoire.
- T'as pas des vêtements réglementaires, là-bas ?
- Si, admit-il en lorgnant la tenue qu'il portait à ce moment-même. Mais j'ai le droit à des exceptions, de temps en temps.
- … est-ce que… tu veux… quelque chose pour Kid et –
- Non.
Ce n'était pas le moment de créer une zone de confort pour son alter-ego dérangé ; s'il prenait ses aises maintenant, il serait encore plus difficile à réprimer à l'avenir, et c'était ce qu'il voulait à tout prix éviter, dans ce huis-clos.
Shanks brisa le mutisme qui régnait dans le téléphone en embrayant sur les derniers chantiers de Sabo, tirant brièvement Luffy des scénarii catastrophes qu'il se jouait en boucle depuis qu'il était entré dans cet endroit, et que son psychiatre semblait partager.
À la différence près que lui, Luffy, savait parfaitement où mettre les pieds et où ne pas s'aventurer, a contrario de Law qui risquait un retour de bâton qu'aucun des deux ne saurait prévoir.
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Réponses aux guests :
Crow : Hello ! Bien résumé, c'est la stratégie de Law, en effet, chacun a son rôle bien défini et ne s'en écarte pas, sauf problème majeur. Et pour Belmer, j'avais envie d'une personnalité maternelle "forte", que j'ai beaucoup apprécié, et dont le caractère bien trempé soit assimilable à ceux de Nami et Sabo. Et certes, à 5 ans, nos premiers souvenirs sont bien ancrés et forment l'adulte en devenir, c'est important de ne pas rater ces phases-là...
Oh, Katakuri... je ne sais plus si quelqu'un me l'a suggéré, mais quoi qu'il en soit, je note aussi ! C'est une bonne suggestion, ça colle pas mal au 2% qui sommeille toujours en attendant son heure. Quadrilatère... Crow, tsss ;)
Le contenu des cahiers ne va pas être abordé tout de suite, mais je tenterai de vous faire lire quelques passages, si j'arrive à le mettre en place comme je le souhaite. Ce qui va demander du travail et du temps... du temps que je n'ai pas. Il me faudrait la même salle que Goku pour son entraînement...
Le trouble de Sugar sera développé, lui aussi, je vais prendre le temps de m'attarder sur quelques-uns des patients de l'asile pour qui j'ai un petit faible... Toutes tes questions auront une réponse, il va falloir être patiente, mais tu sauras attendre, j'en suis sûre... Note bien le "jolie tête", sait-on jamais :p J'espère que ta St-Patrick s'est bien déroulée... ! A bientôt pour la suite... et merci !
Yuh : Hey ! Ah, Zoro, j'aime bien cette théorie (et ce perso aussi, ça doit aider), je vais la surligner dans le carnet des suggestions, elle revient souvent... Et les loustics ne sont pas près de s'arrêter ! Law et Bonney ne sont pas ensemble dans cette fiction, même s'ils sont assez proches... aussi proche qu'il est possible de l'être de Law, qui ne laisse pas les gens s'approcher, justement. Bien à l'abri derrière son petit mur. Merci pour la review :) À la prochaine !
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À très vite, tout le monde ! D'ici là, soyez sages... mais pas trop !
