Ohayo mina !
Je développe aujourd'hui un personnage hors Luffy, qu'on laisse un peu de côté, ce jeune homme ayant besoin de se reposer après les bourdes de son psy... (... hé, ça rime en plus).
BREF.
La team Zoro l'a donc emporté, dans cette manche, mais le match n'est pas fini... Je n'en dis pas plus, sinon ça ne serait pas drôle.
Merci beaucoup pour vos reviews et votre enthousiasme pour cette histoire !
Les guests sont en bas de page, de même qu'une micro-info à propos des publications de la fiction ; je vous souhaite une très bonne lecture, et...
Enjoy it !
Chapitre 19 :
Jour 46. Équivoque.
Louisiane, près d'Ostrica.
Aile des dortoirs, 14 heures.
Ace toqua à la porte de la chambre de Luffy, attendit un instant et déverrouilla le battant, qu'il entrouvrit avec la même prudence quotidienne ; il savait pertinemment ce qu'il allait trouver à l'intérieur, mais Kid étant capable du pire comme du meilleur pour pouvoir se sortir d'ici, il tenait à garder une vigilance de tous les instants.
Luffy était assis sur son lit, prostré dans un coin, genoux ramenés contre sa poitrine ; ses prunelles fixaient les draps sans vraiment les voir, plongé dans des pensées qui n'appartenaient qu'à lui et qui restaient inconnues des autres infirmiers, inaptes à deviner ce qui pouvait lui trotter dans la tête.
Ace referma derrière lui et s'approcha à pas lents, sur ses gardes mais tentant d'arborer un air un minimum décontracté – il était rompu à l'exercice, après tout ce temps, mais jouer le jeu chaque jour apportait cette lassitude dont il se serait bien défait, quelques fois.
S'asseyant au bord du lit, il dévisagea son vis-à-vis qui n'avait pas bronché, replié dans un silence buté qu'il n'avait pas quitté depuis des jours et qui alarmait tout le monde, Law y compris.
- Hé, Luffy, murmura Ace en croisant les bras, s'adossant aux barreaux du pied de lit dans une posture nonchalante soigneusement étudiée. On est mardi après-midi… Sugar t'attend pour la maquette.
Les yeux bruns s'arrachèrent à leur contemplation pour le fixer, et Ace songea que Luffy n'était pas à la barre, pour le moment.
C'était prévisible, en un sens ; Luffy n'avait quasiment rien avalé ces derniers jours, ce qui en disait long sur son état, et la préservation primait sur l'agressivité : Kid n'avait aucun intérêt à mener la barque, pour le moment.
- … salut, Zoro.
- … Luffy doit manger, marmonna-t-il en se frottant le visage.
- Si tu te tiens à carreaux, je te fais sortir de cette pièce. Deal ?
Zoro hocha la tête, se laissa glisser au sol et se redressa, récupérant le pull laissé à l'abandon sur le chevet pour l'enfiler et suivre Ace dans le couloir – de ce que l'infirmier savait, jamais cette personnalité-ci n'avait exploré la clinique, mais rien n'était moins sûr. Il lui fit signe de le suivre en direction de la salle de repas, déserte à cette heure-ci. Ace tapota la chaise la plus proche de la baie vitrée, qui ouvrait sur un temps maussade, à l'image de l'ambiance qui régnait sur la clinique ce jour-là, et sortit son talkie pour ordonner, au micro, qu'on lui apporte une dernière assiette pour le déjeuner – la personne à l'autre bout ne contesta pas et annonça dix minutes d'attente, auxquelles Zoro consentit d'un autre hochement de tête. Ace s'installa face à lui et un jeu de regards s'installa, aucun des deux ne détournant les yeux.
L'expression qu'Ace lisait sur le visage de Zoro n'avait rien de commun avec celle qu'il avait pu percevoir avec Kid, et même Luffy ; il y avait quelque chose de terriblement sage et, bizarrement, presque plus vieux que lui, dans ses yeux. Il ignorait quelle perception de la réalité avait cette personnalité, quelles étaient ses caractéristiques, tout ce qui faisait d'elle une personne à part.
Les raisons de sa toute première apparition, comme le reste de leur existence, la gestion du quotidien, son plein potentiel… tout autant de choses qui fascinaient Law, et qu'Ace devait gérer pour lui.
C'est Penguin qui sortit de la cuisine quelques minutes plus tard, un plateau entre les mains, l'air dubitatif, brisant le duel silencieux qui s'était installé entre les deux hommes ; Zoro lorgna l'assiette fumante, que Luffy aurait détesté mais que lui se fichait d'ingérer ou pas, du moment que tous se nourrissaient a minima. Saisissant la fourchette, il débuta son repas, ses yeux plongés dans la contemplation des baies vitrées ruisselantes d'eau, si opaques que le mur d'enceinte n'était même pas visible à travers cette purée de pois. Pas de sortie en extérieur pour les pensionnaires.
- Tu es là depuis quand ?
- Ce matin, je dirais, rétorqua Zoro, la bouche pleine. Tu permets que j'finisse tranquille ?
Ace leva les mains en reddition et son hôte reporta son attention sur son plat, mâchant lentement, sous le regard scrutateur de l'infirmier qui s'efforçait d'apprendre par cœur chacun de ses mouvements, comme l'aurait fait Law s'il avait été là à cet instant ; Zoro ne se tenait pas forcément mieux que Luffy, coudes sur la table, penché sur son assiette, presque voûté, mais Ace n'y lut qu'une simple posture défensive, tant pour la nourriture que pour Luffy.
Il avait renoncé à l'idée de prévenir Law, et tant pis pour les conséquences ; l'un comme l'autre n'étaient pas en état de se mesurer une fois de plus, et il voulait éviter un autre incident diplomatique entre ces deux-là.
Le silence semblait s'épaissir, dans la salle, troublé par le clapotis de l'eau sur les vitres et le raclement ponctuel de la fourchette dans la céramique ; comme évoqué par Law et Teach, Zoro était droitier. Il avait lu tout ce que Law lui avait donné à potasser sur cet Autre dont personne ne savait rien, des matières scolaires en passant par les activités sportives ; il était persuadé que les arts martiaux dont Luffy avait suivi les cours n'avaient pas servi à Kid, mais à son autre alter-ego. Pas dans la même optique, à savoir massacrer d'autres êtres humains, mais pour son simple plaisir, dans leur recherche d'équilibre entre leurs trois personnalités.
Zoro reposa son couvert dans l'assiette qu'il repoussa sur le côté, avala cul-sec le verre d'eau posé devant lui et s'adossa un peu plus confortablement à sa chaise, croisant les mains derrière la tête, fixant Ace avec circonspection.
Mesuré, presque méfiant, en retrait sur leur conversation à venir.
- … comment va Luffy… ? souffla Ace en désignant, d'un geste du menton, le reste d'œil au beurre noir que l'adolescent traînait depuis quelques jours, et l'hématome à l'angle de la mâchoire qui ne semblait pas encore s'estomper.
- Mieux que votre psy.
- Tu ne l'as pas raté, ça te console ?
- J'avais un message à faire passer. Je pense… qu'il est on ne peut plus clair.
Comme Luffy l'avait confessé à Law, lors de leur dernière entrevue sur la pelouse de la clinique, cet Autre n'était pas un problème si on lui fichait la paix, là où Kid était un petit concentré de nitro qui ne demandait qu'un mouvement brusque pour exploser et mettre le feu partout où il se rendait.
La volonté de Law, en ce qui concernait l'étude des trois énergumènes, n'avait pas faibli d'un iota ; il avait repris ses recherches sitôt rentré de la Nouvelle-Orléans, sans pour autant espacer les rendez-vous avec les autres patients, à qui il n'avait pas pu cacher ce qu'il s'était passé dans l'espace clos avec le dernier arrivé dans la clinique – de toute manière, avec l'arrivée de l'hélicoptère, il aurait été stupide de croire qu'ils étaient susceptibles de garder quoi que ce soit secret.
Le prochain rendez-vous avec Luffy était prévu le jeudi, mais tous doutaient qu'il était physiquement possible de les réunir dans la même pièce. Law avait maintenu le créneau, préférant attendre pour voir comment les choses se dérouleraient plutôt que prendre des décisions hâtives.
Il risquait de se heurter à un mur, avec ce qu'Ace constatait à l'instant, mais le psychiatre avait la tête dure.
- Tu accepterais de parler à Law ?
- J'ai rien à lui dire.
- Que tu crois. Il a raison, tu sais… ? Sans toi, sans Kid, Luffy n'avancera pas.
- Et si on collabore… on disparaît, murmura Zoro en se balançant sur sa chaise. On a tous reçu le message, t'en fais pas.
Ace n'avait, pour le coup, absolument rien à répondre.
Difficile de lui donner tort, étant donné la fin qu'était supposée atteindre la maladie de Luffy ; il pourrait argumenter que la thérapie allait prendre des années, mais rien n'était moins sûr, et la finalité serait la même – la réunion complète des entités fragmentées dans différents recoins de son crâne.
Prendre Zoro pour un crétin serait tout aussi dangereux que tenter le sarcasme avec Kid.
- Pour ne rien te cacher, Luffy et lui sont supposés se voir dans deux jours. Je ne suis pas… certain que Luffy soit disposé à parler avec Law, mais–
- Vous pouvez pas le forcer à faire quelque chose qu'il ne veut pas. Le dernier qui a essayé ne sent plus rien en-dessous de la clavicule.
L'infirmier résista à l'envie de noter cette information et s'obligea à faire une note mentale, histoire d'alimenter un peu plus les centaines de lignes que Law avaient déjà rédigées à propos du trio infernal qui logeait entre ces murs.
Zoro contempla à nouveau l'intempérie, recula son siège et se leva pour observer la pluie de plus près – encore une fois, Ace nota l'intérêt qu'il avait pour l'extérieur : temps maussade ou perspective de fuite possible ? Il était bien incapable de jauger quoi que ce soit, sans autres éléments auxquels se raccrocher.
- Le but n'est pas de l'obliger à le voir… pas au sens où tu l'entends.
- Il a des excuses à présenter, c'est ça ?
- Pas vraiment. Plutôt… des explications à donner sur son comportement.
Le « tss » agacé que Zoro laissa échapper était plus parlant que toutes les répliques cinglantes qu'il aurait pu lui jeter à la figure ; et quand bien même Ace désapprouvait la méthode de son supérieur, il ne pouvait pas le désavouer devant un patient, au risque de lui faire perdre toute crédibilité. La dernière chose à faire ici, où Law avait une mainmise quasi-totale sur tout ce qui transitait dans cette clinique, était de contester son autorité, peu importe à quel point il poussait le bouchon.
- Vous vous fatiguez pour rien. Luffy n'avait déjà pas confiance en lui… le psy a juste réduit à néant ses chances de pouvoir lui prouver que tous les autres êtres humains ne sont pas des déchets notoires, statua Zoro en frôlant du bout des doigts la fermeture de la baie vitrée, les yeux plissés dans un air d'évidente concentration.
- … tu cherches des failles ?
- Elles sont déjà toutes trouvées. C'est pas moi, le pro de l'évasion, sourit-il en lui jetant un coup d'œil par-dessus son épaule.
- Kid n'ira nulle part.
Le sourire de Zoro s'agrandit – il n'avait rien à voir avec celui que Luffy arborait souvent, bien au contraire. Il avait quelque chose de beaucoup plus mature, qui perturbait Ace. Non pas que Kid le laissait de marbre ; seulement, des trois qu'il avait eu l'occasion de fréquenter, celui qu'il avait en face de lui semblait être ce qui se rapprochait le plus de l'adulte.
Pendant ses cours à la faculté, Ace n'avait pas eu l'occasion de trop approfondir ses connaissances en matière de dissociation de l'identité ; il était bien plus calé dans d'autres domaines à l'utilité différente, quand bien même il n'avait jamais brillé par ses résultats scolaires – de toute manière, ce n'était pas pour ça que Law l'avait recruté.
Une des raisons pour lesquelles il se retrouvait ici était une question de flair ; Ace était intuitif, peut-être même plus que Law qui avait tendance à suivre une méthode rigoriste qui l'empêchait de voir au-delà des œillères que ses douze années d'études avaient mises à ses yeux.
Et, à ce moment-là, Ace sut qu'une subtilité venait de lui échapper, et qu'il allait devoir s'efforcer de retenir des informations plus nombreuses et précises encore – pas difficile de comprendre pourquoi Law utilisait un dictaphone et une caméra lors de certains entretiens, au vu de la quantité d'éléments qu'il devait potasser en temps réel puis différé.
- Histoire d'essayer de te convaincre, je peux te mettre sur le même pied d'égalité que Luffy… ? proposa l'infirmier.
- Dis toujours.
- Il était supposé faire du maquettisme, cet aprèm, mais ça me semble… pas mal compromis. Il y a quelque chose que tu voudrais faire ?
- Vous avez un punching-ball, ici… ? railla Zoro en haussant le sourcil.
- On en a plus d'un, mais ils ne sont pas humains…, sourit Ace en détachant le trousseau de clés à sa hanche.
- … je m'en contenterai.
. . . . . . . . . .
Le même jour.
Louisiane, près d'Ostrica.
Bureau de Trafalgar Law, 16 heures 45.
Lami désinfecta la plaie laissée par le drain et l'étudia longuement à la lampe, la recouvrant après de longs instants d'examen minutieux – Marco avait été ferme sur le sujet – en s'assurant que le pansement était correctement placé, avant de partir sur l'observation détaillée de l'état de la peau couleur cerise qui s'étalait le long du flanc de Law avec un intérêt scientifique certain – ce genre de lésions était rare à voir et elle n'allait pas se gêner d'exploiter cette occasion, quand bien même il s'agissait de son frère.
- … ta curiosité est assouvie ? soupira Law en inspectant lui aussi les dégâts.
- Ça fait mal si j'appuie là ? sourit-elle en pressant son doigt dans la zone purpurine.
- … refais ça et je te frappe. Sérieusement.
Elle se contenta de rire, moqueuse au possible, et sortit un tube de gel de la trousse médicale posée sur ses genoux ; Law leva les yeux au ciel mais se laissa faire, malgré le contact glacial de la substance sur sa peau qui lui semblait surchauffer, à cet endroit. Ses gestes étaient un peu plus précautionneux, à ce moment-là, et le psychiatre s'autorisa un instant pour fermer les yeux et se détendre, étendu dans sa méridienne où il passait le plus clair de son temps, ces derniers jours.
Le bruit de la pluie le berçait, au-dehors, ambiance sereine qui ne l'empêchait pas de réfléchir convenablement – une autre raison de ne pas s'embarrasser des antalgiques que Marco lui avait refourgué en quantité.
- À quoi tu penses… ? murmura Lami.
- À la fois où c'est moi qui me suis occupé de toi.
- … c'est jamais arrivé, je crois.
- Si. Une seule fois.
Lami se figea, l'espace d'un instant, et Law sentit le sang refluer des mains de sa sœur à vitesse grand V. Le trouillomètre à zéro, comme aimait le dire leur père, bête réflexe de fuite qu'elle maîtrisait à la perfection depuis sa naissance, mais qui lui faisait parfois défaut, comme à cet instant.
Il rouvrit les yeux, constata que ceux de Lami étaient rivés dans les siens.
Il était rare, pour Law, de constater ce qui se rapprochait plus ou moins de la peur dans le regard ou le comportement de Lami, mais les exceptions portaient bien leur nom.
- … c'est drôle, chuchota-t-elle en reprenant sa tâche, ses yeux retournant à ses mains. Plus le temps passe… plus j'oublie.
- C'est humain.
- Ça devrait être gravé dans ma mémoire. Tu t'en rappelles, toi… ?
- … comme si c'était hier. Mais pour une fois, ton cerveau a bien fait son job. C'est le mien qui a déconné, ajouta-t-il avec un léger sourire.
À son tour de lever les yeux au ciel, avant de s'assurer qu'aucun centimètre de peau tuméfiée n'avait échappé à sa vigilance et de se redresser ; Law s'assit en réprimant une grimace et récupéra sa chemise abandonnée sur le côté, que Lami l'aida à renfiler et boutonner. Il la remercia d'un baiser sur le front, auquel elle répondit d'un coup de genou dans la jambe – si prévisible – avant de se détourner pour ranger le fatras étalé sur le divan, laissant Law retourner à son bureau où ses notes l'attendaient. Du coin de l'œil, il la regarda sortir son portable et pianoter un instant : sûrement un commentaire pour Marco, qui devait s'enquérir de sa survie…
Il rouvrit ses carnets en cours, ceux qui concernaient Sugar et le rendez-vous qu'il était supposé avoir avec elle dans les instants à venir ; il était certain de devoir affronter sa déception, se doutant que Luffy refuserait de se rendre à l'atelier cette semaine – prendre le risque de les faire se lier d'amitié avait son cortège de conséquences, il le savait pertinemment, et il allait se retrouver avec son dépit sur les bras. Bonney lui avait déjà signalé que la gamine avait plusieurs fois réclamé Luffy, sans obtenir satisfaction, de même que Bartolomeo. Les interactions avaient leurs bons et leurs mauvais côtés, Law l'avait accepté dès le moment où il avait pris la décision de rapprocher certains de ses patients.
Une bonne moitié ne présentait pas de trouble sévère de la personnalité, leur laissant l'opportunité de se lier à d'autres personnes présentes dans le centre ; quand bien même ces opérations étaient délicates, Law préférait ces situations à d'autres : au moins, les patients conservaient un minimum de sociabilité, à la différence de Luffy qui s'était muré dans un mutisme complet, se contentant de dormir et de rester prostré dans sa chambre, allant jusqu'à refuser d'adresser la parole à Ace, n'acceptant de sortir que pour se doucher, le soir, avant de partir pour une autre nuit où personne ne se levait pour écrire quoi que ce soit dans le carnet.
Lami sortit discrètement quand la pendule marqua dix-sept heures, laissant la porte volontairement entrouverte – signe qu'il était là et disposé à recevoir n'importe qui désirant lui parler, si le besoin s'en faisait sentir. Le côté positif d'être tous enfermés les uns avec les autres, d'après Shachi.
Il n'eut pas à attendre longtemps : juste ce qu'il fallait pour quitter la salle réservée au maquettisme et rejoindre l'aile où lui se trouvait, à savoir moins de cinq minutes. Deux minutes de plus pour une pause technique, si besoin, mais Sugar tenait à être la plus à l'heure possible.
Des pas résonnèrent dans l'escalier, il reconnut ceux de Bonney et ceux de Sugar, plus rapides, plus saccadés, qui trahissaient son empressement ; il releva la tête et reposa son stylo, souriant à la fillette qui venait de passer la tête par le battant, ses yeux grands ouverts le cherchant dans la légère pénombre de l'endroit. Bonney ne tarda pas à entrer à son tour, portant le panier de raisins qui se trouvait être vide, à cette heure-là de la journée.
- Salut, Law, lança Sugar en rabattant sa capuche sur ses épaules avant de se défaire de sa capeline, laissant ses chaussures à l'entrée pour rejoindre le fauteuil poire qui lui était réservé, face à la chaise du psychiatre.
Bonney lui laissa le panier sur le guéridon le plus proche, échangea un regard entendu avec lui et sortit du bureau en refermant soigneusement la porte derrière elle, les laissant seuls pour la séance. Law s'approcha du lecteur de vinyles et fouilla dans ses étagères, tirant une pochette craquelée qu'il présenta à la fillette, qui donna son assentiment d'un long hochement de tête.
Il déposa le disque dans la machine, qu'il alluma avant de poser le diamant en haut de piste, réglant le volume dans le quart le plus bas – suffisamment pour que le son se diffuse dans la pièce, pas assez pour les empêcher de s'entendre.
Les premières notes des Pink Floyd montèrent entre les bibliothèques, et Law s'installa dans sa chaise haute, jambes croisées, calepin sur les genoux, dictaphone posé sur la table basse. Les secondes s'écoulèrent, Sugar fixant le tapis en se mordant la lèvre, ses mains fermées sur ses genoux et sa tête rentrée dans ses épaules comme témoins de sa nervosité.
Law patienta, la dévisageant en attendant qu'elle prenne la parole – c'était leur rituel, à elle de parler d'abord.
- Luffy est pas venu, marmonna-t-elle en se triturant les doigts.
- Il n'est pas très bien, en ce moment. Il reviendra bientôt t'aider, c'est une question de temps. Si j'arrive à lui parler, je lui demanderai de venir te voir, pendant votre temps libre.
- … il était sur la mezzanine, tout à l'heure, avec Ace.
Le psychiatre s'efforça de conserver un air le plus neutre possible, dissimulant sa surprise autant qu'il le pouvait ; un coup d'œil en biais à son bureau lui apprit que son portable n'avait rien reçu.
Reportant son attention sur Sugar, il ignora la pointe de vexation qui le démangeait et se racla la gorge, changeant légèrement de position dans son assise, rajustant sa blouse dans un geste mécanique.
- Il t'a parlé ?
- … c'était pas Luffy, argua Sugar en croisant les jambes en tailleur. Enfin… c'était… lui… mais sans être lui. Je sais pas si je me fais comprendre.
- J'ai parfaitement saisi, ne t'en fais pas. Qu'est-ce qui te fait dire cela ?
- Il m'a regardé, mais il m'a pas reconnue. Il m'a pas dit bonjour. Il… est toujours gentil… d'habitude.
Hors de sa chambre à cette heure-ci, sous l'unique surveillance d'Ace, sans entraves ? Luffy n'était pas inutilement impoli avec ceux qu'il appréciait, rien qu'à prendre l'exemple des autres pensionnaires et infirmiers, avec qui il semblait bien s'entendre. La seule explication possible était que Zoro avait eu envie de prendre l'air, et qu'Ace n'avait pas jugé utile de le prévenir. Un entretien de recadrage ne serait peut-être pas de trop, pour lui, même si c'était loin d'être sa principale préoccupation.
Cette sortie signifiait que les échanges entre le personnel et les alter-egos de Luffy étaient envisageables hors sédation et carcan, et l'idée qu'il ait pu en être exclu faisait bouillir sa marmite intérieure, déjà dangereusement sous pression.
- Tu lui en veux ?
Sugar secoua la tête, se gratta le crâne et contempla les bibelots qui les entouraient, que Law prenait soin de ne jamais changer de place – pas pour lui, mais pour les patients, dont beaucoup se sentaient rassurés par l'atmosphère sereine qui régnait dans cette pièce. Certaines choses immuables leur offraient un repère, et il s'arrangeait pour ne pas détruire l'équilibre souvent fragile qu'il parvenait à construire avec eux.
- … qu'est-ce qu'il a, comme maladie, Luffy ? s'enquit-elle en le regardant directement dans les yeux après une longue minute d'observation de l'étagère la plus proche.
- Je ne peux pas te le dire, Sugar. S'il veut t'en parler, il le fera. C'est… personnel.
- Mais… c'était pas lui, tout à l'heure, hein… ? insista-t-elle en se tendant vers lui.
- D'une certaine manière… non, ce n'était pas Luffy, éluda-t-il.
Elle baissa les yeux sur son torse, s'attardant sur le côté où le pied de Zoro lui avait brisé les côtes avec une simplicité enfantine, et retourna à la contemplation de son visage, qu'il savait encore marqué d'une ecchymose impossible à dissimuler.
- … c'est lui qui t'a fait ça ?
- Ce n'est pas le sujet de la discussion, soupira-t-il en frappant des doigts sur son carnet. Pour l'instant, il faut qu'on parle de toi, c'est le plus important. Et s'il reste du temps… on reviendra sur mon cas.
Sugar fronça les sourcils, et la moue contrariée de ses lèvres indiquait qu'elle n'était visiblement pas près de coopérer ; elle s'était mise une idée bille en tête, et Law savait que l'en faire démordre relevait du sport extrême. La fillette n'était pas la plus facile à manier, dans cette clinique, ce malgré son âge, et il ne voulait pas risquer de voir lui échapper le contrôle du lien qui la reliait à Luffy.
Dans le même temps, céder un peu de terrain n'allait pas le faire couler, d'autant plus s'il était certain de sacrifier les bons pions pour mieux gagner.
- Je veux pas parler de moi, répliqua-t-elle.
- De quoi veux-tu parler, alors ?
Elle pointa le doigt vers son visage, les yeux brillants de curiosité ; comment en vouloir à une enfant comme elle de désirer en savoir plus quand, à son âge, Law préparait déjà son baccalauréat, déjà obsédé par l'idée qui n'avait toujours pas quitté son crâne des années plus tard ?
- J'ai eu un différent avec Luffy. Ça arrive, parfois.
- Vous êtes fâchés ?
- Je ne suis pas fâché contre lui, précisa Law en faisant tourner son crayon entre ses doigts. Mais Luffy m'en veut, parce que je n'ai pas été très gentil… un peu comme toi, quand tu es arrivée, tu te rappelles ? C'était compliqué, pour nous deux, tu as mis du temps à me faire confiance. C'est la même chose pour Luffy.
- Mais moi, tu m'as jamais frappée, argumenta-t-elle en s'enfonçant davantage dans son pouf.
Excellent raisonnement, dont Ace lui avait déjà fait part. Une de leurs réunions d'équipe avait tourné au lynchage verbal et jamais il n'avait eu, dans sa carrière, à affronter tant de reproches et d'attitudes désapprobatrices parmi ses subordonnés, qui lui avaient fait comprendre à grands renforts de sous-entendus qu'il était totalement responsable du fiasco de la semaine précédente – Ace avait même poussé le vice jusqu'à laisser un message vocal à Monet dans un langage fleuri, l'accusant d'avoir elle-même sa part de responsabilités dans l'incident.
S'il devait être honnête, il devait reconnaître qu'il n'avait pas anticipé un tel déferlement négatif de leur part ; et le ton légèrement accusateur de Sugar, pourtant étrangère à cette situation, ne l'aidait pas à conserver le peu de sérénité qu'il peinait à trouver depuis ces derniers jours.
- … trucs d'adultes, sourit-il.
- Les trucs d'adultes, c'est pas ça, s'esclaffa-t-elle. Il reviendra faire des maquettes avec moi, Luffy… ?
- Je suis sûr que oui. Tu l'aimes beaucoup, pas vrai… ? ajouta-t-il après un silence.
- Mmn. Il me fait penser à mon grand frère.
Law prit note, le plus silencieusement possible, se remémorant la scène de crime immortalisée sur des dizaines de papiers glacés – l'adolescent était le dernier être vivant présent dans la maison quand les flics étaient entrés dans la villa richissime pour constater ce que Sugar avait pris un soin particulier à faire. Le psychiatre l'avait eu de longues, très longues heures au téléphone, quand il avait été question d'interner la fillette – il ne voulait plus entendre parler d'elle, en aucune manière, et rien de ce que Law avait pu dire ne l'avait fait changer d'avis.
Pas étonnant qu'elle se raccroche à Luffy, allant même au-delà des espérances de Law.
- Il te manque ?
- … parfois. Pas toujours.
- Et tes parents ? tenta-t-il, la mine du crayon suspendue au-dessus du papier.
- Non. Je les aimais pas, répliqua-t-elle en se statufiant dans son fauteuil, un fond d'orage passant dans ses yeux couleur lagune. … T'as toujours les tiens, toi ?
Law retint son souffle, ses yeux dérivant jusqu'aux livres qui surchargeaient les étagères ; la plupart appartenaient à sa mère, à l'instar des vinyles et d'autres broutilles qui traînaient dans les bibliothèques ; peu d'objets étaient à son père, le principal étant resté dans sa chambre d'enfant, à Bâton-Rouge. Il n'avait rien touché, dans cet endroit, pas plus que son père n'avait déplacé quoi que ce soit dans son ancienne chambre à coucher – celle qu'il partageait avec leur mère, des années auparavant.
- Mon père, seulement.
Il savait où Sugar voulait l'emmener ; quand bien même elle l'appréciait, il en était certain, une partie d'elle n'était toujours pas pleinement débarrassée du trouble qui l'avait conduite dans les murs de la clinique, et elle ne saurait jamais réfréner la provocation incessante qui la caractérisait.
À lui de voir s'il acceptait de se laisser guider, rien que pour quelques pas, ou s'il préférait freiner des quatre fers plutôt que de s'aventurer sur ce chemin qu'il savait toujours aussi tortueux, malgré le temps passé.
- T'as plus ta maman ?
- Mmn, non.
- C'est triste, marmonna Sugar en haussant les sourcils, l'air vraisemblablement concernée par cet état de fait. Ça fait longtemps ?
- Plutôt, oui. J'ai eu le temps de m'y faire.
Mensonge éhonté, qu'il espérait avoir proféré sans ciller ; la fillette l'étudia longuement, ses yeux détaillant chaque recoin de son visage, sûrement elle aussi à la recherche d'un signe qui indiquerait une quelconque tromperie. Elle était intelligente, malgré sa jeunesse, et à aucun moment il ne devait la sous-estimer, de la même manière que les actes de Kid avaient dû être terribles à anticiper et gérer quand Luffy avait atteint cet âge.
S'efforçant de chasser les souvenirs qui menaçaient de refaire surface, il inspira profondément, jusqu'à sentir cette douleur aigue, insupportable, dans ses côtes fracturées, assez pour le distraire de ses pensées qui menaçaient de prendre le dessus, une fois de trop.
- Elle était malade ?
Il secoua la tête en signe de négation, décroisa ses jambes pour les étendre devant lui, étirant légèrement son dos resté en virgule tout ce temps, rappelé à l'ordre par son flanc douloureux.
La convalescence allait s'avérer plus compliquée que prévue, pour lui et son éternelle bougeotte.
- … elle te manque, alors ?
- Parfois. Pas toujours, paraphrasa-t-il avec un sourire en coin.
- Tu joues pas le jeu. Ça se voit, que t'aimerais la revoir, poursuivit-elle en agitant le doigt dans sa direction, comme un adulte le ferait en réprimandant un enfant. Me la fais pas à l'envers.
- Je te trouve bien curieuse, ce soir, Sugar…
- Je m'ennuie, confessa-t-elle. Les maquettes, c'est cool, mais j'aimerais faire autre chose.
- On y réfléchira, c'est promis.
Ça, c'était une promesse qu'il pouvait se permettre de faire.
Raisonnable, mesurée. Pas comme toutes celles qu'il s'était faite à lui-même, notamment ces derniers temps, et qu'il serait incapable de tenir. Comment attendre des autres qu'ils agissent en conséquence, quand lui le premier ne pouvait pas honorer ses engagements ?
- Tout va bien, avec Bonney ?
- Mmn, elle est gentille avec moi. Mais elle, elle est pas en forme.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Je sais pas, répliqua la fillette en haussant les épaules. Tu sais, ça fait trois ans que je la connais, maintenant, je sais quand elle va bien ou pas. Ça te fait pas ça, toi, avec les gens ?
À son tour de hausser les épaules, volontairement évasif.
En temps normal, il était le premier à mettre le doigt sur ce qui n'allait pas avec ses collaborateurs – l'ambiance de la clinique pouvait être pesante et il leur accordait le droit de ne pas être toujours d'humeur égale, cloîtrés 24/7 dans un endroit pareil – mais, ces dernières semaines, le cas de Luffy l'avait tellement obnubilé qu'il avait eu conscience de s'enfermer dans sa bulle sans en sortir une seule fois, Chicago mis à part.
Que Sugar lui dise que Bonney commençait doucement à couler était la preuve de son irresponsabilité, bien qu'il ne l'admettrait jamais ; il devait noyer le poisson, assez longtemps pour la détourner du long questionnement qu'elle était susceptible de vouloir combler de réponses.
- Tu vas pas enfermer Bonney dans une cellule, hein… ? s'inquiéta-t-elle en entortillant un coin de sa robe entre ses doigts.
- Bien sûr que non, Sugar. Je lui parlerai, d'accord ?
- Mais si elle va vraiment pas bien, qui va s'occuper de moi… ?
- Peut-être Kaya ou Thatch, mais je t'assure que Bonney ne te laissera pas tomber. Tu as confiance en moi ?
Elle acquiesça, se mordillant la lèvre en levant les yeux au plafond, cherchant sûrement une autre question à poser ; de toute évidence, elle n'était pas décidée à coopérer, aujourd'hui, et Law devinait sans mal que la demi-heure que durait leur rendez-vous allait s'achever par une frustration des deux camps : lui, pour ne pas avoir avancé avec elle, et Sugar, pour ne pas avoir eu les réponses à toutes ses questions. Ce genre d'impasse n'était pas rare mais il le vivait plus mal que d'ordinaire, il le sentait à l'agacement qui menaçait de prendre le pas – inutile de braquer la gamine avec un trait d'humeur, mais la tentation de tout plaquer pour ce soir était forte.
- … Law… ? hésita-t-elle en fixant les bibliothèques.
- Oui, Sugar ?
- … est-ce que je sortirai d'ici, un jour ?
La survie d'un humain se jouait à peu de choses, Law le savait mieux que personne, dans cet endroit.
Il était à la fois fascinant et déroutant de voir à quel point il suffisait d'une minuscule impulsion, de la moindre perturbation dans le cours de la vie d'un être pour tout faire basculer, en bien comme en mal, jusqu'à changer profondément la personne, atteignant un point de non-retour parfois fatidique. L'espoir était tout ce qui permettait de contenir le chaos potentiel de cette clinique au niveau proche de zéro – proche, mais loin d'être égal.
Jusqu'à quel point avait-il besoin de mentir, tant pour s'assurer une rallonge de tranquillité que pour garantir la santé d'esprit de la fillette ? Les mensonges avaient toujours une fin, et il savait que Sugar était loin d'être une idiote écervelée ; qu'elle finirait par savoir, tôt ou tard, par comprendre d'elle-même qu'elle ne pourrait jamais quitter cet endroit, comme chaque personne qui se trouvait ici.
Ils étaient tous beaucoup trop dangereux pour évoluer dans le monde extérieur et aucune liberté même surveillée ne leur serait accordée, peu importe le temps et l'énergie que Law aurait dépensés dans leur cas.
Lui-même avait accepté ces conditions quand il avait fait construire l'asile, conscient que ceux qui y rentraient n'étaient pas destinés à en sortir – d'où le choix méticuleux qu'il prenait son temps pour faire, pour être certain de ne pas commettre d'erreurs. Luffy était l'exception qui confirmait la règle, la preuve qu'il restait humain malgré les barrières qu'il avait érigées autour de lui, mais le jeune homme n'échappait pas au destin qui attendait tous ceux qui franchissaient ces portes.
- Je ne sais pas, Sugar. Je fais beaucoup de choses, mais je ne lis pas l'avenir…
- C'est parce que tu peux pas prouver que je vais bien me tenir hors de la clinique ?
- … c'est… une démarche assez lourde, et compliquée.
- J'ai toujours trouvé ça complètement débile, marmonna-t-elle tandis qu'il se levait de son fauteuil pour aller changer le vinyle arrivé en fin de course. Les gens, en prison, qui sortent pour « bonne conduite », ils appellent ça… c'est stupide. Bien sûr, qu'ils se sont bien conduits, ils avaient personne à passer à la moulinette.
Law ne put réprimer un sourire alors qu'il retournait le disque en l'entendant disserter sur les remises en liberté conditionnelles accordées par leur pays. Il savait qu'elle avait longuement échangé sur le sujet avec Ace, qui lui avait donné matière à cogiter avec des réponses un peu trop précises au goût de Law mais qui avaient eu le mérite d'assouvir la curiosité de sa patiente.
- Si tu t'étais pas occupé de moi, j'aurais été en prison, moi aussi… ?
- Tu avais huit ans, Sugar, murmura-t-il en rajustant le diamant avant de retourner s'asseoir. Au mieux, tu aurais été placée dans une famille ou un centre d'accueil, mais le pédopsychiatre qui t'a examinée a jugé que tu récidiverais si jamais tu étais laissée en liberté. C'est là que je suis venu mettre mon nez dans l'affaire.
- Qui t'a appelé ? s'étonna-t-elle.
- Le psy chargé de t'évaluer. Et il a bien fait, je leur ai épargné des nœuds au cerveau, tu peux me croire.
- T'aimes bien les enfants ?
- Pas vraiment, confessa-t-il sans se départir de son sourire.
Autant être honnête quand il le pouvait ; plus il mettait de vérités dans son récit, plus certains mensonges pouvaient glisser sur les autres comme l'eau sur les plumes d'un oiseau.
C'était sa méthode, qui avait toujours porté ses fruits, jusque-là, et qui devait marcher pour Luffy également, rien qu'à voir les bribes d'informations qu'il acceptait de lâcher au compte-goutte, parfois volontairement éloigné de la réalité pour ne pas avoir à trop en révéler.
Au tour de Sugar de sourire, loin d'être dérangée par cette franchise sans détour ; l'avantage d'avoir affaire à un gosse intelligent, qu'il n'avait pas à traiter comme un demeuré.
- Mais moi, tu m'aimes bien ?
- On peut dire ça, oui. Tant que tu ne fais pas d'histoires, ça ne me dérange pas de m'occuper de toi, tu le sais…
- Pourquoi t'as pas d'enfants ?
- Tu m'imagines en avoir un alors que je passe tout mon temps ici ? s'esclaffa-t-il.
Il savait trop ce qu'il en coûtait d'avoir une telle responsabilité, qu'il refusait de subir ; ce projet n'avait jamais été évoqué, même à l'époque où sa relation avec Monet ressemblait de près ou de loin à quelque chose de sérieux. Ils étaient tous les deux beaucoup trop plongés dans leurs travaux pour prendre le temps d'amener un tel sujet sur le tapis, chacun craignant peut-être d'entendre les arguments de l'autre et de se rendre compte qu'ils n'étaient absolument pas compatibles à ce propos.
Aucun des membres du personnel n'avait de vie de famille – cette caractéristique était un de ses critères de recrutement, à l'époque où il avait fondé son équipe, critère qui s'était inscrit dans le contrat un peu particulier qu'il avait rédigé pour chacun d'entre eux. Briser cette règle aurait des conséquences que tous mesuraient, et que personne ne s'était aventuré à mettre à l'épreuve, du moins jusqu'à aujourd'hui.
- Mmn. Pas faux, concéda-t-elle. Mais ça te manque pas… ?
- Tu connais le dicton, qui dit qu'on ne désire pas ce qu'on ne connait pas ? Ça s'applique à mon cas. Et j'ai déjà bien assez à faire à vous gérer quotidiennement, crois-moi…
- Est-ce qu'il y aura une nouvelle personne dans l'équipe, un jour ? bifurqua-t-elle soudainement, déjà lasse du dernier sujet qui ne lui apporterait pas satisfaction.
- Teach est arrivé il y a deux ans, tu veux que j'embauche encore ? s'amusa-t-il en prenant quelques notes supplémentaires.
- … j'aime pas Teach.
Comme si cette confession allait l'étonner.
Les patients ne l'appréciaient pas particulièrement, et à raison – il dégageait quelque chose de terriblement malsain, mais Law avait vu ses compétences avant tout le reste, se fichant bien de l'aura qu'il dégageait. Son passé n'avait rien de secret pour le psychiatre, qui avait appris chaque année de sa vie sur le bout des doigts, de la même manière qu'aucun membre de son équipe n'avait pu lui cacher quoi que ce soit – la condition sine qua non pour que leur cohésion soit assurée.
Lui, en revanche, avait une conscience aiguë de ce qu'il avait dévoilé et dissimulé, des portes laissées ouvertes et des autres demeurées désespérément closes : pour son bien comme pour celui de ses employés, en un sens.
De la même manière, les infirmiers connaissaient le minimum syndical de ce qu'il y avait à savoir les uns sur les autres, les plus calés étaient limités à Shachi, Penguin, Ace, Bonney et Lami : ceux présents depuis le début, le clan le plus fermé de cet asile.
Il digressait, comme à chaque réflexion que Sugar suscitait chez lui.
- Tu ne le vois pas tant que ça.
- Il est moche.
- … hé bien, ça, c'est de l'argument, ricana le psychiatre. Sugar, je ne recrute pas le personnel en fonction de sa tête, je l'engage en fonction de ce qu'il sait faire.
- Et moi, plus tard, je pourrai travailler là, si j'ai pas le droit de sortir ?
- On verra ça quand on y sera. D'ici là…
Il ouvrit sa pochette pour en sortir une poignée de polycopiés, qu'il lui tendit cérémonieusement.
- … tes leçons, jeune fille.
- C'est des cours de quoi ?
- Algèbres et biologie. Les derniers avant que je ne te fasse passer l'examen pour le 6ème grade.
Bonney occupait 70% de son temps avec Sugar à jouer les institutrices ; c'était elle la plus calée dans ce domaine, Law lui-même manquant cruellement de patience quand il s'agissait d'enseigner quelque chose à un autre être humain. Le seul autre pensionnaire autorisé à recevoir une instruction était Dellinger, mais c'était Shachi et Penguin qui s'occupaient de lui prodiguer les cours – aucun membre du personnel ne pouvant se trouver seul en sa présence, consignes de Law à laquelle personne ne dérogeait, et qu'il risquait de devoir appliquer à son nouveau patient si les choses se compliquaient.
Il s'était brièvement demandé si Luffy désirait terminer ses cours débutés à la fac et obtenir son diplôme, mais il était certainement trop tôt pour évoquer ces possibilités, même s'il se doutait qu'il serait difficile de contenter les trois entités avec des maquettes et un jogging autour du mur d'enceinte. Reprendre les cours, même en dilettante, serait sûrement prolifique et utile à leur coopération, mais l'essentiel était de les canaliser et les stabiliser, les manifestations de Zoro et Kid semblant mettre le feu aux barils de poudre.
- Je commence quand ?! s'exclama-t-elle, tout sourire.
- Demain, il est trop tard pour débuter ce soir. Et Bonney a ses propres devoirs à faire, quand tu pars te coucher.
L'éternelle paperasse dont tous se passeraient bien, mais dont Law ne démordait pas – chaque membre de l'équipe était ses yeux et ses oreilles là où il ne pouvait pas être et, sans leurs rapports, il serait bien incapable de gérer le moindre pensionnaire ; même Magellan devait lui faire son rapport quotidien, tant sur les expériences menées dans son laboratoire que dans la médication donnée aux patients. Tâche qui n'incombait pas aux autres, sauf cas exceptionnel, car Law souhaitait scinder ce moment du reste de la journée – certains internés refusant, ponctuellement, de prendre leur traitement, l'ingestion relevait du pugilat et Law préférait qu'ils haïssent Magellan, avec qui ils avaient peu d'interactions, plutôt que leur référent.
L'horloge marqua dix-sept heures trente, dans un claquement d'aiguille éloquent malgré la faible mélodie qui tournait toujours, en fond – il savait par avance que Bonney était très certainement derrière la porte, pile à l'heure, à attendre que le rendez-vous se termine pour récupérer Sugar. Il referma son carnet, observant sa patiente descendre de son fauteuil et rejoindre l'entrée du bureau, où ses chaussures l'attendaient : il n'avait pas appris grand-chose, aujourd'hui, et toutes ses interrogations à lui allaient rester en suspens, jusqu'à la prochaine séance. Les moments où il piétinait, quand il n'y avait pas carrément régression, n'étaient pas aussi rares que ce qu'il aurait voulu, mais ils faisaient partie intégrante du jeu auquel il devait se plier pour mieux avancer.
Cet échec lui rappelait celui qu'il essuyait avec Luffy, et qu'il n'était pas près de se voir couronné de succès, borné comme l'était le fils de Shanks.
Sugar ouvrit la porte et sourit à Bonney, qui jeta à Law un regard qu'il fut bien en peine de déchiffrer.
- Law a donné des nouveaux cours ! On peut les faire demain au lieu d'aller à la piscine, s'te plaît, Bonney… ? réclama-t-elle en se pendant à la tenue de l'infirmière, prenant sa voix la plus candide.
- Je verrai si on peut couper la poire en deux, tempéra la jeune femme. Ça s'est bien passé… ?
Sugar acquiesça énergiquement mais, quand les yeux de Law croisèrent ceux de sa subordonnée, elle ne put que remarquer le tapotement discret des doigts du psychiatre sur le bureau, signe qu'elle n'allait pas pouvoir échapper indéfiniment à une discussion avec son supérieur. Elle hésita, un bref instant, et s'accroupit pour boutonner la capeline de la fillette, avant de lui murmurer de descendre et de retourner à sa chambre avec Thatch, promettant de venir la chercher pour le dîner. Elle obéit, non sans les observer longuement, s'éloignant avec les polycopiés sous le bras, alors que Bonney refermait la porte derrière elle, sans lâcher Law du regard – il gardait le silence, coupant l'alimentation du tourne-disque pour ranger le vinyle, cherchant à aborder le problème sous le meilleur angle : il savait pertinemment qu'il n'y avait pas de recette miracle, mais cette attitude lui permettait de gagner du temps.
- Quelque chose ne va pas, Bonney ? murmura le métis en s'asseyant à son bureau, cette fois.
- … pourquoi ?
- Sugar a sous-entendu que j'étais aveugle au dernier degré, parce que tu n'es pas à 100% en ce moment. … tu as besoin qu'on se revoit ?
- Pas du tout. Tout va très bien, Law.
Il l'évalua du regard, de ses yeux clairs à ses mains croisées dans le dos, ses jambes serrées l'une contre l'autre. Posture trompeuse, qui ne marchait pas avec lui.
- Cette phrase est à placer dans le top 3 de l'hypocrisie, avec l'indétrônable « C'est pas ce que tu crois » et le « J'entends bien, mais », toussota-t-il. Je sais que je ne suis pas souvent là, surtout en ce moment, mais ça ne doit pas t'empêcher de venir me voir pour discuter.
- Je le sais, marmonna-t-elle en baissant les yeux sur ses chaussures. Ecoute, j'ai… du travail et je–
- Et ne me mens pas, chuchota-t-il. Si tu as trop de pression, j'aime autant qu'on en parle.
- Je suis juste un peu crevée. J'ai récupéré pas mal du taf d'Ace, depuis l'arrivée de Luffy, et avec Gladius on cherche encore notre équilibre là-dedans. Laisse-moi le temps de m'y faire, OK… ?
Il avisa le sous-pull à manches longues qu'elle portait sous sa tenue bleue, l'aspect légèrement négligé de sa queue de cheval, le pli marqué des tendons de son cou, et reporta son attention sur ses yeux, qu'elle s'obstinait à garder rivés au sol.
- … je vais demander à Ace de reprendre les dossiers de Pudding et Lucci, jusqu'à dimanche soir prochain. Ça te laisse un peu plus de dix jours pour prendre du recul. Et tu rappliqueras ici avant le dîner pour faire le point… d'accord ?
- Law, t'as pas… besoin de faire tout ce–
- Ordre direct, Bonney. Ménage-toi, s'il te plaît.
Pinçant les lèvres, elle hocha la tête et se détourna du bureau, sortant de la pièce sans un regard pour le psychiatre qui resta là, à fixer la porte close, avec le sentiment d'être encore une fois à des années-lumière de ses contemporains.
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Réponses aux guests :
Mirtie252 : Hey ! Si je suis attendue à la minute près, ça va me mettre une petite pression sur l'horaire de publication, tiens. Kid, Luffy et Zoro font une team de choc, le quota de sommeil du personnel soignant va être drastiquement réduit avec eux à la barre... même si, concrètement, il y a pire que Kid dans l'asile, à première vue. Merci beaucoup, à bientôt pour la suite !
Guest (29-04-19) : Merci ! Non, je ne pense pas reprendre la publication toutes les semaines, j'ai beaucoup d'obligations à honorer et peu de temps pour écrire...
Guest (03-05-19) : Je ne le prends pas mal, pas de problème ; seulement, je pense qu'il y a assez de personnages et de variations d'une histoire à l'autre, quand bien même je te concède que je reste sur le même terrain...
Kiki : Hello ! Merci, ça me touche beaucoup ce que tu écris là. Tu sais, quand on écrit et que l'on laisse quelqu'un d'extérieur lire le résultat, on ne peut pas faire l'unanimité... après, une critique est toujours mieux accueillie quand elle est constructive, c'est certain. C'est moi qui te remercie pour le temps que tu as passé à me dire ce que tu penses, et pour tes retours qui sont si doux à lire. Je vais continuer le travail sur les personnages que j'ai rattachés à cette fiction, même si je n'aurai pas le temps de tous les aborder (et puis, il faut que je reste centrée sur le noeud du problème, à savoir Luffy&co), j'espère que leur développement te plaira ! En effet tu n'es pas la seule à t'attarder sur Lami, je suis contente de voir que malgré la distance qu'il y a entre elle et les autres, vous l'avez tous adoptée x) Merci encore pour ta review, au plaisir de te lire sur un autre chapitre...
Crow : Hey! Ah, bonne nouvelle :) Ouais Law et Monet ensemble c'est pas l'équipe de la finesse... Mais bon, monseigneur Trafalgar avait besoin de résultats, et il va avoir tout le temps nécessaire pour recoller les morceaux. Mais sans regrets, parce que bon, un poil sadique notre psy, hein... Haha, team Zoro ! Et oui, lui et Kid interagissent, et j'y reviendrai par l'intermédiaire des cahiers...
Oh, Mingo ne va pas tellement apprécier la blague, surtout qu'il est très papa-poule avec son fils (enfin, ses enfants en général).
J'espère que personne ne se fera tatouer Albert Fish sur le corps, quoique il y a des gens qui ne connaissent même pas Charles Manson, alors Fish... ça pourrait passer !
Mmn, je vois. Il y a des phases de notre vie où la roue ne tourne pas dans le sens que l'on souhaiterait, et il y a deux choix : se laisser écraser, ou essayer de grimper dessus et de tenir le plus en équilibre possible, quand bien même l'exercice est périlleux ; c'est tout à ton honneur d'avoir trouvé une porte de sortie avec une thérapeute, des gens extérieurs qui nous aident à prendre du recul sur notre existence. C'est moi qui te remercie pour le temps que tu prends à laisser des reviews :) À très bientôt, chère Crow, prends bien soin de toi...
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Vient le moment douloureux (... HAHA.) où je vous annonce que cette fiction prend sa pause estivale... non pas pour des congés, mais pour de longs projets qui ne me laisseront pas le temps de toucher terre et clavier.
Vous avez l'habitude, je suppose...?
Je reste toutefois disponible pour les PM (déjà, rien que pour répondre à vos reviews) et, si le moment se présente, une petite publication entre juin et juillet avant la rentrée.
Oui, je sais, je suis horrible.
Que voulez-vous, on ne se refait pas...
Je vous embrasse, et je vous dis à bientôt !
