Ohayo mina !

Merci d'avoir été au rendez-vous pour cette reprise un peu tardive, certes... j'espère que le chapitre vous a plu et que celui à venir répondra à quelques questions annexes, quand bien même les interrogations majeures demeurent toujours en suspens... *caresse son classeur de notes* ça viendra, ça viendra... hé hé. Sachez que je demeure sensible aux sacrifices humains, si vous voulez des infos.

Bref, trêve de vaudou, je vous souhaite une très bonne lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 21 :

Jour 48. Sursis.

Louisiane, près d'Ostrica.
10 heures.

Luffy vit passer, dans les yeux noirs de son infirmier, une dernière lueur d'incertitude, juste ce qu'il fallait pour lui rappeler qu'il n'était pas le seul à se prêter au jeu et à prendre des risques ; seulement, au fond, il savait pertinemment qu'Ace, malgré toute la réserve et la mesure dont il pourrait faire preuve, ne pourrait jamais égaler le niveau de ceux qui ne dormaient jamais vraiment, prêts à prendre le relais à chaque fois que ça serait nécessaire.

- Ça te parle, le projet Anteï… ? hasarda l'infirmier.

- … euh, nan. Pas du tout.

- C'est une série de sous-marins nucléaires conçus pour déglinguer des porte-avions. Un projet russe, qui date des années 70, en pleine Guerre Froide. Mon père travaillait à bord d'un de ces engins de mort... le K-141.

- Il était russe, votre père ?

- J'ai grandi à Snejinsk, sourit Ace. Enfin… cette ville ne s'appelait pas vraiment comme ça, quand j'y suis né. Son nom de code était Tcheliabinsk-70.

- … c'est une des villes fermées de l'Union Soviétique ?

Il avait du mal à cacher sa stupéfaction.
S'il s'attendait à une réponse pareille, en s'interrogeant sur la mort de son père… La vie d'Ace était typiquement semblable à tout ce que pouvaient leur raconter leurs enseignants d'histoire, friands de récits de la Guerre Froide, en bons américains qu'ils étaient. À ses yeux, Law avait le chic pour s'entourer de gens loin de faire partie du commun des mortels.

- Dédiée à la conception et au développement de l'armement nucléaire en Russie, deuxième derrière la ville de Sarov. Elle-même nommée Arzamas-16, à cette époque, compléta Ace en contemplant à nouveau le ciel. Et c'est dans tout ce joli foutoir que mon père s'est retrouvé au poste qu'il occupait, dans le sous-marin Koursk. Sous-marin qui a coulé en août 2000. Zéro survivant et une mort sale, qui a poussé ma mère à tenter de me convaincre d'abandonner une carrière chez les Spetsnaz.

- … attendez, c'était y'a, quoi… … quel âge vous avez ?

- 36 ans. Et crois-moi, je suis le premier que ça emmerde, railla-t-il en se redressant pour s'étirer.

- Et Law, quel âge il–

- 35 en Octobre. Et Lami aussi, par la même occasion, même si elle ne veut pas l'admettre, ricana l'infirmier.

Il tombait des nues.
Ceux qui se trouvaient ici n'étaient, de toute évidence, pas des gamins sortis de l'école prêts à jouer les savants fous. Si Law avait été se perdre jusqu'en Russie pour mettre la main sur Ace, sa méthode pour faire sortir Zoro semblait bien dérisoire à côté de ce qu'il était capable de faire pour arriver à ses fins.
Exactement ce que craignait Luffy.

- Et comment vous vous retrouvez au fond de la Louisiane… ?

- J'étais étudiant à l'université d'état des sciences humaines, à Moscou, soupira Ace en jouant avec son trousseau, à nouveau pensif. Law est venu me dénicher dans la promotion, entre autres parce que j'étais le seul à maîtriser l'anglais et… quelques autres petits trucs, et je me suis retrouvé entouré de crocodiles et de marais. Entre ça ou les ours et la neige, c'est une question d'acclimatation, s'esclaffa-t-il.

- J'entends même pas votre accent.

- C'est parce que tu n'y as jamais prêté attention, rétorqua Ace en donnant un coup de talon dans le pied du lit. Tu sais que quand tu dors, tu parles en portugais… ? Si un jour je me prends un meuble dans le genou, tu peux être sûr que tu vas m'entendre jurer un bon moment en slave…

- … j'aurais jamais… imaginé tout ça… en ce qui vous concerne.

- Les apparences sont trompeuses, t'en es la preuve vivante, sourit l'infirmier. Ta curiosité est assouvie ?

Il aurait pu répondre « non », rien que pour le principe, mais une partie de lui était parfaitement consciente qu'Ace n'avait pas tout dit, péchant sans vergogne par omission.

- … pour l'instant.

- Tu penses moins à Sabo ?

Il acquiesça, détourna le regard sur une des photographies fixées au mur, où se trouvait un des portraits tirés par un vieux photomaton – les images successives du trio qu'il formait avec Nami et Sabo lui pincèrent le cœur, brièvement, assez pour lui rappeler la frousse qu'il avait ressentie à l'idée d'avoir perdu son frère et d'en être, de surcroît, responsable in extenso, de par sa simple existence et son inaptitude à gérer ses démons intérieurs.
À coup sûr, Ace, Law, et tous les autres devaient avoir les leurs avec, il le pressentait tout autant, leur cortège de cadavres dans le placard et de culpabilité amère – celle contre laquelle personne ne pouvait rien, si ce n'était supporter le poids qu'ils représentaient sur la conscience.

Des coups, à la porte, le tirèrent de ses pensées qui menaçaient de couler à pic, comme l'avait fait le K-141 ; le battant s'ouvrit sur Law, téléphone à l'oreille, qui s'empressa de verrouiller derrière lui – Luffy contempla, stupéfait, le cellulaire qu'il lui tendit sans un mot, ses yeux gris rivés sur lui dans une attitude peut-être plus glaciale encore que d'ordinaire. Hésitant, il tendit la main et récupéra le téléphone, le portant à son oreille avec prudence, sans lâcher le psychiatre du regard.

- … allô… ? hasarda-t-il.

- Luffy ? souffla la voix basse de son père.

En voiture, à en juger la voix de Coby un peu plus loin et les jurons du chauffeur, Lucky Roo, qu'il entendait tempêter en hurlant aux badauds de dégager le passage ; il perçut le crissement des roues, le vrombissement du moteur, les exclamations indignées de l'assistant de son père qui l'auraient amusé s'il les avait entendus en temps normal – mais ce temps ne l'était pas, normal, et ce chahut qui régnait dans l'habitacle n'aidait pas Luffy à se détendre.

- Papa, je–

- Ne fais rien d'irréfléchi, le coupa Shanks, semblant lire dans ses pensées, anticipant la moindre de ses réflexions – conséquences de plus d'une décade passée à l'élever. Je suis sérieux. Ce n'est absolument pas le moment de déconner.

- Et Sabo ?

- Déjà à la clinique, ils sont sur son cas. Ça va aller, Luffy, OK ?

- … j'voudrais… tellement… j'suis désolé–

Sa gorge serrée l'empêcha d'en dire plus ; l'idée d'être responsable de ce fiasco le consumait, et il était incapable de trouver les mots pour demander le pardon de son père. Il savait mieux que personne qu'il ne voudrait pas en entendre parler et lui répèterait qu'il n'y était pour rien, mais l'envie de faire son mea culpa était la plus forte.
Fermant les yeux, il inspira profondément et ramena ses jambes contre lui, tentant de passer par-dessus le flot d'émotions qui le submergeait lentement.

- Law a des questions à me poser, murmura-t-il, imperméable au chaos qui régnait autour de lui, de la discussion entre ses deux collaborateurs à des bruits de klaxons et de circulation audibles à l'autre bout du fil. Il compte venir à SF dès demain matin.

Luffy rouvrit les yeux, coula un regard en biais à Law qui soutint son regard, ignorant celui d'Ace brusquement rivé sur lui, au moins aussi surpris – il était logique que l'infirmier ne soit pas au courant, puisqu'il avait passé ces dernières minutes enfermé dans cette chambre sans nouvelles extérieures, mais la lueur de désapprobation dans ses yeux en disait long.

- … j'ai appris, pour Zoro. Il est temps que tu mettes cartes sur table, Luffy. Et venir ici ne pourra qu'aider Law.

- Je crois pas avoir vraiment le choix, en fait.

- Je n'ai jamais rien fait dans ton dos et ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Je voulais que tu le saches, au cas où… Law aurait hérité des tendances cachottières de son père. Et je sais qu'il m'entend, ajouta-t-il après un silence qui arracha un sourire au psychiatre.

De toute évidence, ces deux-là avaient soit échangé un long moment avant que Law n'entre dans cette pièce, soit affronté une conversation cordiale, tout juste polie et désagréable au possible.
Pour sûr que le Gouverneur n'avait pas dû apprécier la méthode utilisée par le fils de son homologue pour faire sortir le lion de sa cage, et qu'il comptait bien en remettre une couche par-dessus celle fraîchement appliquée. De quoi lui rappeler que sa liberté d'action avait ses limites.

- On se voit à 11 heures, Shanks, lança l'intéressé en tendant à nouveau le bras, démontrant son intention de récupérer le cellulaire.

- Ne t'en fais pas pour Sabo, il est entre de bonnes mains. J'y veille personnellement.

- … je t'aime, marmonna Luffy. Tiens-moi au courant.

- Promis. Je t'aime aussi, mon grand.

À contrecœur, Luffy rendit le portable à son propriétaire et tendit l'oreille, tentant à son tour de saisir les bribes de conversation qui pouvaient lui parvenir ; rien d'intéressant, hormis les horaires d'arrivée à San Francisco et les dernière politesses d'usage, quand bien même la tension entre les deux hommes était perceptible au point d'en être palpable.

Ace n'avait pas quitté son expression renfrognée, quelque part entre le scandale et le dépit, et semblait avoir hâte d'en découdre avec son supérieur, à en juger le regard qu'il lui adressait ; Law semblait s'en ficher au plus haut degré, rien qu'à voir la façon dont il l'affronta après avoir raccroché, bras croisés, adossé au mur adjacent au lit, à un bon mètre de lui.
Le silence s'étira, au point que Luffy lui-même sente une pointe de malaise le démanger, à l'arrière de la nuque.

- T'es pas en état de prendre l'avion, Law, attaqua Ace en quittant le siège qu'il occupait depuis le début de son tête-à-tête avec Luffy, rangeant soigneusement la chaise pour pouvoir prendre encore plus de recul sur leur joute, assis sur le bord du bureau. Encore moins dans ces conditions… Le voyage à SF peut attendre.

- J'étais certain que tu allais dire ça, sourit le métis en lui désignant la porte d'un geste discret, mais que Luffy aurait certainement mal pris s'il s'était agi de sa petite personne. Dehors.

Ce qui n'excluait pas qu'Ace se braque, comme il le faisait rien qu'à voir la tête qu'il affichait à l'instant – être congédié de la sorte ne lui plaisait pas, mais ce n'était ni le moment ni le lieu pour une énième divergence d'opinion. Quittant son poste, il murmura à Luffy qu'il viendrait le chercher pour le déjeuner et s'éclipsa dans un cliquetis de trousseau, prenant soin de claquer la porte derrière lui pour exprimer son mécontentement ; Luffy se remémora, brièvement, qu'il avait fêté ses 36 ans et ravala le commentaire railleur qui menaçait de poindre, et qui aurait été très mal interprété – à raison.

- Puisque je me rends directement là-bas, est-ce qu'il y a quelque chose que tu souhaiterais avoir ici ? murmura Law en reportant son attention sur Luffy. Je peux aussi remettre ta lettre à Nami.

- Ma boîte de CD, et mes photos. Et surtout, j'apprécierais que vous me rameniez de bonnes nouvelles en ce qui concerne Sabo, répliqua-t-il sans contenir son ton acerbe.

- Il fallait que je rende visite à Shanks, c'est une occasion ou une autre.

- … une occasion ou une autre… ? répéta-t-il, amer. Que des types s'en prennent à ma famille et passent à deux doigts de tuer mon frère, vous appelez ça une occasion ou une autre… ? C'est quoi qui tourne pas rond, chez vous ?!

- … peu importe ce que je vais te dire, la réponse ne te satisfera pas, soupira le psychiatre en se passant une main lasse sur le visage. Et quand on est dans ton état d'esprit, il n'y a plus rien d'autre qui compte que la colère et l'amertume, je suis passé par là et je ne vais certainement pas te juger pour ça… à mon retour, on reprendra nos séances, et j'espère avoir de nouveaux éléments pour te convaincre que ton cas n'est pas désespéré, quand bien même tu te complais à le penser, conclut-il avant de se détourner vers la sortie, sentant le regard perçant de Luffy sur sa nuque.

Il n'attendait aucune réponse de l'adolescent, déjà convaincu que tout avait été dit et qu'il n'en tirerait rien de plus. De toute manière, il avait des bagages à faire, et une liste de questions à préparer pour Shanks, Nami et Sabo, qui allaient devoir s'efforcer de coopérer malgré les circonstances.

De l'autre côté du battant, il trouva Ace et son regard noir, ses taches de rousseur occultées par le rouge soutenu de ses joues, témoin de la colère qui bouillait toujours et qui n'avait pas pu trouver d'exutoire. Il ne broncha pas quand l'infirmier l'attrapa par sa blouse, dans le silence qui régnait dans le long couloir – il avait déjà prévu sa réaction et savait y faire face, connaissant Ace mieux que l'homme se connaissait lui-même.

- Je suis plus le mec paumé que t'es venu sortir de la merde, Law, siffla-t-il. Alors arrête de croire que tu peux toujours te permettre de me parler comme tu viens de le faire. C'est assez clair pour toi ?

- Et qu'est-ce que je me tue à vous apprendre, après toutes ces années ? On ne me contredit pas devant le patient, rétorqua le psychiatre en desserrant les doigts agrippés au tissu immaculé. Si tu as des remarques à me faire, tu attends qu'on soit dehors.

- Ça t'a pas dérangé qu'on soit venu te chercher quand tu te faisais massacrer par Zoro. T'aurais préféré qu'on te laisse crever dans cette pièce ?

- Ça n'a rien à voir, et tu le sais très bien. Maintenant, je crois savoir que tu as du travail, non… ? Va faire ce pourquoi je te garde du bon côté de la ligne, répliqua-t-il, glacial.

Un instant, le doute le traversa, sensation fugitive causée par le regard d'Ace qui lui laissait penser qu'il était allé trop loin.

Une des portes des chambres s'ouvrit sur Tashigi et Penguin, les bras chargés de draps, et Law eut parfaitement conscience qu'il devait le salut de son nez à leur arrivée intempestive, sans quoi Ace lui en aurait allongé une, rien que pour le principe.
Le silence s'étira entre chaque membre du quatuor, les deux derniers protagonistes se contentant de fixer le sol en espérant très certainement s'y fondre jusqu'à disparaître, les deux autres se jaugeant du regard dans une lutte de pouvoir souvent pratiquée – Law savait qu'il gagnerait, mais une partie de lui lui susurrait déjà qu'il allait devoir se faire pardonner, s'il ne voulait pas se retrouver à devoir gérer une mutinerie dans ses rangs les plus proches.

- … viens, Tashigi, marmonna Penguin en se détournant, faisant signe à sa collègue de le suivre pour s'éloigner le plus possible de la bombe qu'il ne se sentait pas de désamorcer avec si peu d'informations.

- On se voit tout à l'heure, Pen, lança Ace sans détourner les yeux de son supérieur. Réunion à 15 heures.

- J'avais pas oublié. … ça va, vous deux ?

- Très bien, répliquèrent-ils en chœur, confortant l'infirmier dans l'idée qu'au contraire, rien n'allait entre le directeur et son bras droit.

Ace fut le premier à quitter la scène, laissant derrière lui ses trois collaborateurs pour retourner au bureau des chefs de service, où les images de l'attentat défilaient encore à l'écran – les reportages alternaient toujours avec les images du procès, et d'autres interviews ou interventions publiques de Shanks ces dernières semaines. Tous allaient en faire leurs choux gras, pour les jours à venir, d'autant plus si les nouvelles concernant Sabo n'allaient pas en s'améliorant.

Il était dépité par cette situation, ce cul-de-sac dans lequel lui et Law s'étaient engouffrés ; ils avaient toujours eu leurs différents, et celui-ci ne serait pas le dernier, mais jamais Law ne s'était autant mis en danger pour une affaire comme celle-ci – son idée concernant Zoro, puis celle de faire le voyage jusqu'à San Francisco malgré son état de santé, étaient une accumulation de décisions sûrement payantes mais risquées qu'Ace n'approuvait pas.
Avoir le point de vue de Lami sur le sujet serait instructif, mais il avait aussi parfaitement conscience que cette démarche reviendrait à aller frapper à la porte de la sorcière dans les bois en espérant ne pas se faire happer le bras au passage ; Lami étant, par principe, du côté de Law, elle pourrait tout aussi bien décider de l'envoyer paître ou, pire, le balancer au psychiatre, qui n'allait pas apprécier qu'Ace mette le nez dans ses affaires à ce point-là.

- Ça va, Luffy… ? s'enquit Shachi en relevant la tête de ses papiers, l'air concerné.

- Calmé. Je déjeunerai avec lui, histoire de pas le laisser déprimer tout seul. Et si vous avez quelque chose à demander à Law, c'est maintenant, il se barre à SF.

- … c'est une blague ? s'enquit Kaya.

- J'aimerais que ça en soit une. Il veut interroger Shanks and co et il en profitera pour ramener des nouvelles de son frère à Luffy.

- … c'est une idée de merde, commenta Magellan en réorganisant certaines des activités de la journée, sur le tableau blanc qui occupait une bonne partie du mur.

Par extension, sans rendez-vous avec Law, l'après-midi de Luffy était vide ; rien de spécial prévu au programme, et il allait devoir l'occuper. Sugar, avec qui il s'entendait le mieux, aurait ses cours à suivre jusqu'au soir, et personne d'autre ne serait disponible pour échanger avec lui et l'empêcher de ressasser ses idées noires. Ace ne voyait pas d'inconvénient à combler ce vide, mais il n'était pas certain que Luffy veuille de sa compagnie, et à raison.

- D'accord avec toi. Mais tu connais Law, quand il a une idée en tête…

- … il ne l'a pas ailleurs, soupira Lami, appuyée contre la fenêtre, par-dessus sa tasse de café. Laisse tomber, Ace, tu sais que tu ne fais pas le poids.

- Tu n'as pas envie de le faire changer d'avis, pas vrai ? répliqua-t-il.

- Tu arrives à taper juste, parfois, s'esclaffa-t-elle. Comme si j'allais tenter de le convaincre… hors de question de gaspiller mon énergie pour une cause perdue. Laissez-le aller au bout de son idée.

- Je maintiens que c'est merdique, Lami, répliqua le chimiste en prenant soin de faire crisser le marqueur sur le tableau.

- C'est ce que j'ai pensé quand il t'a déniché au fin fond de Matamoros. Je l'ai encore pensé quand il est parti pendant des semaines pour mettre la main sur Ace, et quand il m'a annoncé qu'il partait à Reykjavik pour ramener Shachi et Pen. On parle de toi, aussi, Kaya, ou je peux m'arrêter là ? susurra-t-elle à la jeune femme qui se contenta de soutenir son regard, imperturbable en apparence.

- … on a saisi où tu voulais en venir, merci, marmonna Gladius en rajustant ses lunettes.

- Fichez-lui la paix, c'est un grand garçon, il sait où il va et pourquoi il y va. Law ne fait jamais rien inutilement, alors faites-lui confiance.

La carte « Lami » n'allait pas lui conférer une meilleure main, comme il l'avait pressenti.

Difficile de lui donner tort, toutefois – Ace était un des mieux placés pour savoir que Lami mettait le doigt où il fallait, en pointant la loyauté supposée indéfectible qu'ils avaient pour Law, histoire de leur rappeler à tous leur raison d'être dans cette clinique. Mais il était tout aussi difficile d'oublier la frustration qui lui rongeait l'arrière du crâne, lentement mais sûrement, faisant son chemin dans chaque amas de matière grise.
S'épuiser physiquement lui ferait du bien, et il était prêt à parier que Luffy voudrait en faire autant ; inutile de lui proposer de courir, ils avaient tous deux besoin de quelque chose de plus physique. Un regard plus long sur le planning en cours de mise à jour par Magellan l'informa que la salle où se trouvaient les sacs de frappe était libre – Zoro avait eu l'air intéressé par ce défouloir, et son instinct lui soufflait que Luffy n'était pas étranger à cette pratique, quand bien même la plupart des disciplines sportives ne semblaient pas avoir été ses propres choix extra-scolaires.

- Si vous me cherchez, je suis au rez-de-chaussée, marmonna-t-il en se levant de sa chaise, décrochant déjà le trousseau à sa hanche avec pour idée de récupérer quelques affaires de rechange dans ses propres quartiers.

- On déjeune dans deux heures, tu vas pas aller taper un sac à cette heure-là… ? s'exaspéra Kaya en pointant sa montre.

- Et pourquoi pas ? J'embarque Luffy, annonça-t-il à Magellan qui déplaça le post-it au nom du patient dans la case qu'Ace venait de lui dédier. J'ai le talkie, si besoin.

Il n'attendit pas une quelconque approbation – dont il se serait parfaitement passé, de toute manière – et quitta la pièce où résonnaient encore les commentaires des journalistes, qui radotaient les mêmes informations en boucle et qui lui rappelaient sa propre adolescence, ce jour d'août où il avait appris, par l'intermédiaire de médias toujours friands d'histoires de ce genre, que le K-141 dans lequel son père avait embarqué avait coulé, et que les rares survivants amassés au fond du sous-marin avait mis quatre jours à mourir, faute de vivres et d'oxygène. Une longue, lente agonie, dont l'annonce avait laissé sa mère catatonique des heures durant ; encore aujourd'hui, les cauchemars qui le hantaient lui donnaient des sueurs froides, et du fil à retordre à Law qui avait passé la dernière décennie à tenter de lui faire tourner cette page, qu'il maintenait désespérément ouverte – loin d'avoir digéré, contrairement à ce qu'il avait pu laisser paraître à Luffy un peu plus tôt dans la matinée.

Secouant la tête pour chasser les pensées sombres qui menaçaient de le submerger comme les flots avaient englouti le submersible, il rejoignit l'aile où se trouvaient les chambres réservées au personnel soignant, la sienne étant la plus éloignée des autres, et surtout la plus grande, claustrophobie oblige – l'idée d'être enfermé dans un endroit trop étroit à son goût le rendait aussi nerveux que les songes qui le réveillaient en sursaut, la nuit ; ouvrant la porte de son armoire, il attarda son regard sur la photographie où son père et sa mère étaient immortalisés et lui souriaient, infime pointe de réconfort qui lui fit momentanément oublier son altercation avec Law et tout ce qui lui restait en travers de la gorge, l'obligeant à se focaliser sur ce qu'il pouvait en tirer de positif, aussi infime que cela puisse être.

Inspirant profondément, il abandonna sa tenue d'infirmier et en enfila une autre, plus appropriée pour une séance de sport ; il attacha ses cheveux encore humide de la piscine, replia ses vêtements et, après avoir marqué un temps d'hésitation, récupéra son Zippo pour le glisser dans sa poche, avant de refermer la porte de son placard.

Sortant de sa chambre, qu'il verrouilla soigneusement derrière lui, il reprit le chemin pour le couloir des chambres des patients, où il retrouva Luffy dans la sienne, à faire les cent pas en silence, les yeux rivés au sol.

- … ça te dit d'aller te défouler ?

- J'aurai le droit de dessiner la tête de Law sur le sac de frappe ?

- … on va dire que ça restera entre nous, sourit Ace en lui désignant son armoire. Change-toi, je t'attends dans le couloir.

. . . . . . . . . .

Jour 49.

San Francisco, clinique Zuckerberg.
05h00 du matin.

Shanks releva la tête quand la porte de la chambre s'ouvrit sur un infirmier tirant derrière lui un brancard, sur lequel Sabo était étendu, talonné de près par le chirurgien que le Gouverneur avait aperçu en arrivant à la clinique, en pleine matinée.

Nami fut plus prompte que lui à se relever et leur tint la porte, pendant qu'ils installaient le lit près des monitorings et portants où se balançaient déjà des poches installées quelques heures auparavant. Shanks resta en retrait, rongeant son frein, en attendant que les derniers raccords soient terminés et que l'équipe médicale cesse de s'affairer autour de son fils, immobile sous le drap immaculé qui le couvrait et qu'il distinguait à peine.

Bientôt, le bruit si familier du moniteur cardiaque résonna dans la pièce, mélodie en rythme avec les battements de cœur lents et réguliers de Sabo, toujours endormi. Les infirmiers quittèrent la pièce en fermant derrière eux, laissant Shanks, Nami et le chirurgien seuls autour du lit – Shanks referma ses doigts sur ceux de son aîné, qui n'esquissa pas de mouvement réponse.

Ses yeux étaient incapables de se détacher du voile qui couvrait son visage, ne laissant rien visible à l'exception du tuyau qui le reliait au respirateur, sifflement grave qui accompagnait les bips du moniteur.

- Verdict, Crocus ? murmura Shanks.

- J'ai fait de mon mieux, mais je ne promets rien. Le reste lui appartient, statua-t-il en désignant Sabo d'un geste du menton.

- Comment ça se présente ? coassa Nami en se frottant les yeux, debout près de son père, tentant de juguler l'émotion qui lui montait au visage.

- Autogreffe sur 20 % du visage, sur l'épaule et le bras, annonça-t-il en jetant un œil à ses constantes. Même chose sur les côtes, tout du côté gauche. J'ai fait les prélèvements sur l'avant-bras sain et les cuisses, ça sera cicatrisé en quelques jours. … il n'y avait rien à faire pour son œil, ajouta-t-il après un long silence. Le meilleur dans la discipline s'est penché dessus pendant des heures, mais sans résultat. Désolé, Shanks.

Le Gouverneur se contenta de pincer les lèvres, seule manière pour lui de contenir la bile qui lui brûlait la gorge.

- Pour les brûlures, ça sera à surveiller, et ça ne va pas être une partie de plaisir. Je vais le maintenir le plus longtemps possible endormi… autant ne pas vous le cacher, sa vie va être un calvaire pour les mois à venir.

- … comment on va annoncer ça à Luffy… ? souffla Nami en s'accroupissant près de son frère, tendant la main pour caresser les cheveux blonds encore humides étalés sur l'oreiller.

- C'est une question qu'on règlera plus tard, chuchota Shanks en caressant le revers de la main toujours immobile entre ses doigts. On peut rester… ?

- Je n'y vois pas d'inconvénient, mais il risque d'être agité dans les heures qui vont venir… et je ne sais pas si c'est une bonne idée pour vous de voir ça.

Shanks eut la vision, brève mais douloureuse, des derniers instants de Belmer, plus d'une décennie auparavant ; les délires, la fébrilité, les marmonnements sans queue ni tête ; les ultimes minutes de lucidité, avant que son cœur ne s'arrête. Il avait cru, à l'époque, que sa mort était la pire chose qui ait pu lui arriver dans sa vie, mais l'idée de perdre Sabo le terrifiait encore plus. Il savait, en un sens et vu sous un certain angle, qu'il avait déjà perdu Luffy, et subir cette épreuve une fois de plus lui ôterait le peu de sérénité qu'il lui restait encore.

Crocus lui étreignit l'épaule, inspecta les perfusions une dernière fois et quitta la pièce, ramenant le silence dans la chambre plongée dans la pénombre ; avec précaution, Nami s'assit au bord du lit et se rapprocha de lui, prenant son autre main dans les siennes, ses yeux rouges fixés sur son aîné – fatiguée par les larmes et la longue attente passée recroquevillée sur les bancs du couloir.

- … on a parlé de maman, avec Sabo, l'autre soir, murmura-t-elle. J'arrivais pas à me rappeler d'elle… de son visage.

- Tu as une photo d'elle dans ta chambre, chérie.

- Ça n'a rien à voir. Je ne parle pas des images, mais des souvenirs. Et de voir Sab'… comme ça, ça me rappelle maman. Avant qu'elle ne parte.

- … Sabo ne va pas mourir, Nami. Il lui en faut bien plus que ça.

Elle resta muette, ses yeux toujours rivés sur son frère, mais loin d'en avoir terminé, Shanks le savait.

Et ce qu'il devinait aussi, c'était son sentiment de culpabilité, pourtant loin d'être aussi lourd que le sien ; chaque minute passée depuis que les Marshalls avaient récupéré Luffy, à la villa, lui rappelait à quel point il avait son rôle à jouer dans ce fiasco, dans la chute de Luffy et du reste de leur famille, dans tout ce déballage et les conséquences pour ses enfants, dont il avait la preuve même sous les yeux.

Et malgré toute cette amertume, cette rancœur qu'il avait contre lui-même, il ne pouvait s'empêcher de craindre l'idée même d'affronter la réaction de son benjamin, quand il saurait en détails ce qui était arrivé à son frère ; il savait qu'au fond, il ne serait jamais capable de comprendre ce par quoi ce gamin était passé et passerait encore, au fil des années à venir, et cette impuissance le dévorait à petits feux. Sa propre culpabilité ne cessait de peser sur ses épaules, venin invisible aux yeux des autres derrière la neutralité de façade qu'il arborait à longueur de temps, alors comment se figurer celle de Luffy ?

Il n'ignorait pas non plus que, à l'instar de Luffy qui n'avait pu cacher l'existence de ses personnalités indéfiniment, il serait incapable de dissimuler l'état de Sabo à son autre fils et au reste du monde, et que l'évènement ne ferait que jeter de l'huile sur le feu déjà loin d'être apaisé, même plusieurs semaines plus tard.

- Papa… ?

- Mmn.

- … qu'est-ce que tu diras à Law, tout à l'heure ?

- À propos de… ?

Elle le dévisagea en silence, pendant une poignée de secondes qui suffirent à Shanks pour comprendre le sous-entendu dans ses paroles.

Oh, il savait tôt ou tard que la vérité finirait par se montrer, au grand jour ou non ; c'était l'essence même des secrets, faits pour être découverts un jour ou l'autre, au moment le moins opportun.

Une partie de lui, purement égoïste, aurait aimé que ce moment n'arrive jamais ; qu'il n'ait pas à affronter ce qu'il redoutait le plus, ce qu'il se refusait à reconnaître, parce qu'il était le résultat de son échec en tant que père, en tant que Gouverneur chargé d'une fonction telle que la sienne, en tant qu'homme, même.

Une autre, plus raisonnable, souhaitait au contraire que cet instant vienne enfin, celui où il pourrait ouvrir son sac et tout déballer pour se libérer – tout ce qu'il souhaitait à Luffy, qui ne risquait pas plus en s'ouvrant à son psychiatre que ce à quoi il avait déjà été condamné. Law serait à San Francisco dans moins de six heures, et sa venue lui évoquait celle d'un mauvais présage, quand bien même il était parfaitement conscient qu'il n'avait rien à appréhender de la part du fils de Doflamingo – Luffy avait beau avoir été condamné à l'enfermement, il n'était pas le seul à avoir été jugé ce jour-là, dans ce Tribunal, quand bien même les retombées de l'affaire ne les avaient pas tous éclaboussés de la même manière. Shanks en avait pris pour son grade, comme ses autres enfants, tous coupables à leur façon ; ce pourquoi ils avaient accepté cette sentence et les conséquences qu'elle avait eue sur leur vie.

- Je sais où tu veux en venir, Nami. Tu es libre de lui raconter ce que tu veux.

- Je… supporte pas l'idée qu'il vienne ici. Chez nous. Il a déjà Luffy, qu'est-ce qu'il veut de plus… ?

- Des réponses. Il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre, alors tu penses bien qu'en visitant la villa, il–

- Il ne saura jamais saisir l'essentiel, rétorqua-t-elle en le foudroyant du regard. Jamais, papa. Il croit qu'il peut débarquer ici et nous essorer comme il le fait avec Lu, jusqu'à avoir extrait la dernière goutte, avant de passer à autre chose… ? Il est peut-être bon sur le plan professionnel, mais sur le plan personnel, ce type est… creux. J'ai pas besoin de le connaître pour savoir que Kid, Zoro et même Luffy lui échapperont toujours, parce qu'il est émotionnellement incapable de les comprendre.

- Tu trouves des excuses à Kid, maintenant… ? murmura-t-il en ravalant le fiel qui lui brûla le palais.

- Je le déteste, pour ce qu'il a fait de Luffy, souffla Nami en reportant son attention sur Sabo. De nous… de notre famille. Mais Law n'a aucune idée du guêpier dans lequel il met les pieds… il est incapable de guérir Luffy. Parce que personne ne peut le sauver de lui-même.

C'était cette même idée que Shanks s'efforçait de repousser, chaque soir, au moment de se retourner encore et encore dans son lit, cherchant une paix et un repos qui refusaient de faire ménage ensemble. Cette idée obsédante, coupable, incisive, qui l'empêchait de trouver le sommeil. L'idée que Luffy soit condamné à rester entre ces murs, sans jamais voir la fin de son calvaire. Sans que personne ne lui apporte enfin les réponses qu'il cherchait tant, n'alimente l'espoir d'un autre avenir sans tromperies qui, jusqu'au dernier incident avec Vivi Néfertari, semblait toujours possible.

Désir inaccessible, d'après Nami, mais qu'il ne supportait pas d'imaginer réduit à néant.

- Laisse-lui une chance. Qu'est-ce que ça va nous coûter de plus, de toute manière… ? soupira Shanks en tirant à lui une chaise du bout du pied, s'y asseyant en tâchant de ne pas troubler la quiétude de la chambre silencieuse.

- Tu rigoles ou quoi… ? s'étouffa Nami en le contemplant de ses yeux grands ouverts. Tu crois pas qu'on nous a assez pris comme ça… ?! Maman, Luffy, et maintenant Sabo… ? Le prochain dans le viseur, c'est toi ou moi, papa.

Il ouvrit la bouche pour répondre, décidé à ne pas laisser sa fille avoir le dernier mot sur cette histoire, mais le vibreur discret de son téléphone personnel se manifesta, dans sa poche – il répugnait à l'idée de lâcher Sabo, mais il n'avait pas tellement le choix, à cet instant – l'obligeant à consulter l'écran pour voir de quoi il retournait.

Mihawk, toujours là quand il le fallait.

« Benn est sur l'affaire. Cmt va ? »

Forcément ; cet incident n'en étant pas un, le FBI se trouvait impliqué – les mots « terrorisme » et « attaque à la bombe » étant les plus prononcés par les journalistes ces quinze dernières heures – et, par extension, la CIA était priée de venir mettre son nez dans l'affaire le plus vite possible. Shanks était loin d'être dupe : cet assaut n'avait rien à voir avec un quelconque esprit conquérant ou une idéologie lamentable ; il était question de l'atteindre lui, directement ou non, et il n'y avait pas besoin d'une enquête approfondie pour comprendre le lien entre cet évènement et le poste dont il n'avait pas été démis à ce jour.

« Sédaté. Crocus confiant. Law arrive fin matinée »

Il préférait que Mihawk soit au courant de la venue du psychiatre qui, malgré le fait que sa zone d'opération soit en Louisiane, n'était plus inconnu au bataillon depuis qu'il avait accepté de prendre Luffy sous son aile – si un paparazzi trop zélé lui mettait la main dessus, sa famille serait à nouveau en tête des torchons people et cette option n'était pas envisageable ; ce qu'il voulait, c'était mettre la main sur celui ou celle qui avait fait ça, et l'envoyer pourrir là où était sa place, clap de fin. Il était beaucoup trop exposé médiatiquement, depuis l'affaire de Vivi Néfertari, pour se permettre d'être pris la main dans le sac, en train de s'immiscer un peu trop dans certaines affaires où il n'était pas supposé intervenir. De la même manière, inviter Law entre ses murs en toute discrétion allait s'avérer être plus délicat que prévu, mais il était prêt à prendre ce risque, pour peu que les résultats soient là – et il ne pouvait nier que, quand bien même les moyens étaient contestables, la finalité était la même : Law atteignait toujours l'objectif qu'il s'était fixé.

La vibration insistante de son portable lui indiqua qu'il ne s'agissait pas d'un message, mais d'un appel entrant – numéro inconnu, mais qui lui indiqua néanmoins l'auteur de ce coup de téléphone ; il se leva de sa chaise, échangeant un regard avec Nami avant de quitter la chambre et de s'éloigner dans le couloir, désert à cette heure-ci, pour pouvoir décrocher.

- Salut, Benn.

- Comment t'as deviné… ? s'exaspéra son frère, à l'autre bout de la ligne.

- Intuition.

- … Mihawk a cafté ?

- Démasqué, soupira Shanks en s'asseyant sur le siège le plus proche, calant le portable entre son oreille et son épaule pour se draper dans la cape noire passée à la hâte avant de partir, plus tôt dans la matinée. Du neuf pour toi ?

- Trop tôt pour statuer. Et même si ta ligne perso est sécurisée, j'aime autant qu'on en parle en face à face, si ça ne te gêne pas.

- Mmn… je reçois le psy de Luffy avant le déjeuner, je ne suis pas dispo avant un moment.

- Je suis déjà au courant, il a réservé son billet il y a quelques heures. Et avant que tu ne demandes, oui, je l'ai à l'œil, comme tous ceux qui gravitent autour de mon neveu.

Shanks ne put réprimer un sourire, même mince, à l'évocation de Luffy – Benn avait été aussi abasourdi que lui, quand le couperet était tombé, quelques semaines auparavant, avec la condamnation à perpétuité de son benjamin. Depuis, le directeur de la CIA conservait, sur son bureau, toutes les infos qu'il était possible et inimaginable d'emmagasiner sur ceux qui évoluaient au sein de l'asile, notamment ceux qui étaient les plus proches de Luffy.

Méfiant, au bas mot, sûrement par déformation professionnelle.

- Ça ne me fait pas plus plaisir qu'à toi, surtout à un moment comme ça, mais ne pas coopérer sera forcément mauvais pour Luffy.

- Histoire de bien t'achever, tu sais qu'à deux étages de toi, il y a le bureau de Monet… ? marmonna Benn.

- La psy qui a fait le premier diagnostic, au Tribunal ?

- Son QG est sous tes pieds. Si tu veux mon avis… Law va lui rendre une… petite visite de courtoisie.

Le Gouverneur haussa un sourcil, saisissant parfaitement le sous-entendu de son aîné – pendant leur séjour à la faculté de San Diego et leurs études politiques, ils avaient pour coutume de se parler par insinuation, leur favorite étant celle où ils mentionnaient les étudiantes dans les chambres desquelles ils terminaient leurs soirées ; « visite de courtoisie » était un terme poli pour désigner le fait qu'ils avaient fait le tour du propriétaire au sens figuré comme au sens propre.

Il avait du mal à imaginer Law et Monet ensemble, ne serait-ce que pour une relation mutuellement bénéfique pour eux ; il savait que Law n'était pas au courant, pour Luffy, jusqu'à ce que Doflamingo ne lui en touche deux mots, mais l'idée que ces deux-là puissent travailler en tandem lui déplaisait – par expérience, il savait que venir à bout de Kid jusqu'à faire venir Zoro, dans le cas précis de la semaine d'interrogatoire que son fils avait subie, relevait du tour de force, malgré l'infime pourcentage de chance que cela nécessitait également.

Monet avait forcément franchi des limites, quand bien même il n'en avait jamais eu la preuve formelle ; Law les frôlait dangereusement, à son tour, et Shanks ne supportait pas l'idée que son fils soit décortiqué à ce prix-là.

- Ils sont en couple ?

- Pas au sens où tu l'entends. Ils se fréquentaient, à Londres, mais ça n'a pas duré une fois tous deux sur le sol américain.

- … est-ce que je pourrais abuser ?

- Je sais ce que tu vas me dire. Je travaille déjà sur le sujet de son évaluation psychiatrique.

- Elle sait que tu l'as à l'œil ?

- Pour sûr. Elle a des accointances avec Akainu, toussota Benn dans le combiné, sa voix plus basse encore. Lui aussi, je l'ai dans le collimateur. Et je veux le garder dans le viseur, histoire de voir ce qu'il va faire ces jours à venir…

L'idée, aussi fugitive que puissante, que le chef de police puisse avoir un quelconque rapport avec ce qui était arrivé au campus un peu plus tôt lui tordit l'estomac, lui envoyant une longue giclée d'adrénaline au creux du ventre ; il inspira profondément, ravalant l'amertume et le flot d'insultes qui lui venait sur la langue – inutile de se faire remarquer dans le couloir, surtout à cette heure-ci.

Il faisait confiance à Benn pour mettre le doigt, proprement, sur ce qui ne tournait pas rond depuis ces derniers temps ; il avait parfaitement conscience qu'Akainu briguait un poste beaucoup trop haut pour lui, connaissait son désir de retrouver sa gloire d'antan, quand il faisait encore partie des troupes de Benn, avant d'être déclassé. Et se trouver sous la coupe de Shanks, le cadet de l'homme qu'il haïssait le plus au monde, avait été la goutte de trop – Benn lui avait fait jurer de se méfier, et le Gouverneur n'avait jamais relâché sa garde.

À ses yeux, c'était même ce qui avait précipité la chute de Luffy, en un sens : son laxisme aveugle mêlé d'une préoccupation politico-économique l'avait tenu trop longtemps éloigné de sa famille, jusqu'à ce qu'Akainu ne saisisse sa chance à la volée, en arrivant sur le lieu du crime et en consultant la vidéo de surveillance.

- Qu'est-ce que tu me conseilles ?

- Comme d'ordinaire. Fais profil bas. Contrairement à ce que tu as l'air de croire, il y a encore beaucoup de gens qui t'apprécient. Tu as été bien plus bas que ça dans les sondages, quand tu as fait expédier Crocodile et toute sa bande à San Quentin, tu t'en rappelles… ? Les gens pensaient que ça allait foutre l'économie en berne. Résultats des courses, c'est la Californie qui a eu droit à sa plus grosse hausse du PIB en une décade après avoir saisi tout ce que ce type s'était mis de côté. Et je suis sûr que c'a emmerdé cet enfoiré de Sakazuki bien plus que n'importe qui, parce que c'est une partie de son propre business qui s'est fait la malle. Garde à l'esprit que ce type veut ta peau, et qu'il n'a pas de limite.

- Franchement… entre lui, Monet, Law et le reste du monde… je vais finir par me méfier de ma boulangère, marmonna Shanks en levant les yeux au ciel. La CIA t'a rendu parano.

- Et toi, la politique ne t'a pas assez endurci, petit frère, soupira l'intéressé. Tu es un personnage public depuis longtemps, maintenant… ça me surprend toujours que tant de choses t'étonnent.

- C'est ce qui nous différencie, Benn. Et pourquoi tu es plus efficace que moi sur le sujet, parce que tu navigues dans des eaux dans lesquelles je ne peux même pas tremper un orteil… C'est aussi pour ça que j'ai besoin de toi.

- C'est toujours bon à entendre, même à mon âge, s'esclaffa-t-il. Tiens-moi au courant pour Sabo, OK ? Et va dormir, tu dois faire peur à voir.

Shanks n'eut même pas la force de le contredire – par expérience, il avait conscience d'arborer à l'instant même ce que Luffy qualifierait de « mine de chiotte », mais l'idée qu'il était sobre, pour cette fois, était tout de même une mince consolation comparé à tout ce qui risquait de l'attendre au petit matin s'il s'attardait trop à la clinique : la horde de journalistes, la forêt de caméras et d'appareils photos, et une autre surexposition médiatique pour sa famille qui semblait s'écrouler de toutes parts.

- Bonne nuit, Ben.

La tonalité lui répondit, mais il ne s'en formalisa pas ; son frère avait d'autres chats à fouetter, d'autres affaires à brasser en plus de la sienne, pour s'attarder sur des tendresses fraternelles qu'il préférait démontrer par les actes que par les mots – tendance dans laquelle ils avaient été tous deux élevés et que Shanks s'efforçait de contrebalancer avec ses enfants, en leur prouvant l'affection qu'il avait pour eux tant par les paroles que par les attentions. Tendance qui n'avait pas suffit pour empêcher Luffy de basculer, comme Law allait le voir en passant ces heures à leurs côtés.

Quittant la chaise, il reprit le chemin de la chambre de Sabo, sentant peser sur ses épaules les nuits blanches passées et à venir, tout en se demandant comment poursuivre sa marche en équilibre sur la poutre sans basculer dans le vide à son tour.

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Réponses aux guests :

Yuh : Hello ! Aw, c'est trop d'honneur que tu me fais ! Oui, un peu de normalité dans cette clinique, ça ne fait de mal à personne... Le tatouage de Kid fera l'objet d'un silence scénaristique pendant quelques semaines, mais promis, ça viendra ! J'ai encore besoin de temps avant de vous en dire un peu plus. Ceux de Law suivront, même s'ils n'ont pas la même signification que pour Kid. Comme tu as certainement pu le lire, on en sait un peu plus sur le père d'Ace et Sabo, j'espère que le chapitre t'a plu. Merci beaucoup pour la review, à la prochaine !


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Rendez-vous mi-Novembre pour la suite ! D'ici là, je vous souhaite un horrible Halloween...