Ohayo mina !

Merci pour vos review et vos théories ! Elles sont toutes très bien ficelées et j'espère que, peu importe le dénouement de toute cette pelote, le fil de l'histoire vous plaira toujours autant...

On poursuit donc sur le débarquement de Law dans les affaires de Luffy, un peu plus loin à chaque fois ; je vous souhaite une très bonne lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 22 :

Jour 49. Plongée.

Marina District, San Francisco, Californie.
15h30.

Nami verrouilla soigneusement la porte d'entrée derrière elle, avisant une dernière fois l'allée déserte et le grand portail avant de tirer le rideau, filtrant la lumière qui baigna l'entrée d'une lueur mordorée chaleureuse, à des lustres de la froideur clinique de l'asile qui permettait à Law d'avoir tout le monde dans le viseur – pas de coin d'ombre et couleurs de vêtements reconnaissables pour tout le monde, patients comme personnel soignant.

La villa était déserte, Shanks demeurant toujours aux côtés de Sabo, convaincu par Benn et sa cadette de la laisser gérer la première visite du psychiatre, quitte à les rejoindre plus tard dans la soirée, une fois l'état de son fils bien plus stable. Law avisa les quelques pots de peinture au coin de l'escalier qui menait à l'étage, jeta un coup d'œil à Nami qui désigna, d'un geste du menton, les légères auréoles orangées qui subsistaient dans l'entrée, près des plinthes – seules témoins du passage de Kid à cet endroit, en rentrant du bar, après avoir laissé le corps de Vivi derrière lui.

- On a pas fini de tout recouvrir… on vient juste d'avoir l'autorisation définitive d'Aokiji.

- Je ne juge pas, murmura le psychiatre en évaluant toutes les marques restantes d'un coup d'œil rapide. Il y en avait plus que ça ?

- Jusqu'à la chambre de Luffy. C'est là que la PJ a trouvé le plus de… de…

Elle croisa les bras sur sa poitrine, geste défensif classique dont Law ne se formalisa pas.

Il avait eu conscience, dès les premières secondes de son arrivée dans l'aéroport, que l'aînée de Luffy s'était déjà fait une opinion à son propos et n'en démordrait pas, peu importe tous les arguments qui pourraient lui être opposés ; tenter de remonter cette pente savonneuse serait une perte d'énergie. La seule chose qu'il pouvait espérer était une coopération cordiale, car jouer les cachottières rendrait sa visite inutile et, par conséquent, infructueuse tant pour lui que pour Luffy et sa thérapie en cours.

Thérapie que le benjamin de la fratrie ne semblait pas vouloir reprendre au point où ils l'avaient laissé ; au fond de lui, Law espérait que Luffy se laisse convaincre par Ace et se prenne au jeu du questionnaire pour de bon, pour qu'ils puissent débuter les toutes premières séances d'échanges au sens où il pouvait en avoir avec ses autres patients.

Nami le conduisit dans la cuisine, puis la salle à manger dont les grandes baies vitrées étaient toutes calfeutrées derrière de lourdes tentures, elles aussi destinées à leur donner la tranquillité dont ils avaient besoin – il se demanda si le dernier à avoir vu ces fenêtres ouvertes était Luffy, au point où ils en étaient, à vivre le plus loin possible des intrus qui ne cherchaient qu'à s'immiscer dans leur intimité familiale. Les étoffes tirées lui rappelèrent, brièvement, celles que son père tirait entre eux et le monde, quand il était enfant – habitude qu'il avait fini par perdre, au prix d'années d'efforts et de lassitude, peut-être.

- On a les salles de jeux mais elles sont à Sabo et Papa, Luffy n'y mettait pas souvent les pieds. La bibliothèque et le bureau où il travaille sont au bout à droite, c'est verrouillé et on a pas le droit d'y mettre le nez quand il n'est pas là, trucs de Gouverneur obligent. Cette porte, là à gauche, elle mène au garage et à la buanderie, celle-là à la cave. Cave à vin, précisa-t-elle. Rien de particulier à y faire. Vous voulez voir sa chambre, je suppose… ?

- Principalement, oui. À l'étage ?

Elle acquiesça et monta la première, Law lui emboîtant le pas non sans laisser son regard errer sur le mur adjacent, où étaient suspendus cadres photos et objets en tous genre, de toute évidence ramenés de leurs voyages ; il prit le temps de les détailler, au passage, notant que Luffy avait eu l'occasion de voir du pays – il inscrivit cette première observation sur son carnet, encore vierge jusqu'ici, prenant soin de se laisser assez de place pour y ajouter d'autres précisions.

Ils arrivèrent sur le pallier et la jeune femme lui désigna deux portes successives comme étant sa chambre et celle de son frère, loin d'être aussi fournies que celle de Luffy à ses dires – avec pour seule raison l'occupation de leur propre appartement, en ville, près de la faculté pour l'une, proche du travail pour l'autre. Seuls subsistaient dans la villa, en 24/7, Shanks et Luffy, avec toutefois les visites des deux aînés chaque week-end pour une journée en famille au minimum.

Cadre équilibré, rien à voir avec certains patients qu'il avait entre ses murs ; Law était persuadé qu'il allait devoir creuser bien plus loin dans les souvenirs de Luffy pour y trouver ce qu'il cherchait, la réponse à toutes leurs interrogations, tant les siennes que celles de son patient.

Il n'eut pas besoin que Nami lui indique quelle était la chambre de Luffy pour la reconnaître, rien qu'à voir les traînées purpurines sèches mais encore visibles sur le battant, près de la poignée ; elle l'ouvrit du coude, l'écartant le plus largement possible avant de lui faire signer d'entrer, prenant elle-même grand soin d'éviter cette zone. Lentement, Law pénétra dans la pièce, sortant son appareil photo pour immortaliser quelques clichés, ainsi que le lui avait permis Shanks lors de leur bref entretien téléphonique – du moment que ces images restaient dans le cadre strictement privé de la clinique, il se fichait pas mal de ce dont avait besoin le psychiatre, tant qu'il pouvait soigner son fils.

Nami s'était désintéressée de lui, focalisant son attention sur les objets qui l'entouraient ; non pas que cet endroit ne lui était pas familier, bien au contraire – c'était à croire qu'elle avait passé plus de temps ici, à jouer avec Luffy, que dans sa propre chambre. Et pourtant, la part la plus tiraillée d'elle-même lui chuchotait que 60% de ce territoire lui demeurait inconnu, échappant à sa compréhension, hors de sa portée ; Luffy occupait le terrain qu'il s'était délimité, le reste étant pour les autres, chacun transitant par les aménagements conçus pour que tous y trouvent leur compte.

Après avoir quadrillé la surface entière de la pièce par succession de panorama, Law ajusta son objectif sur les bibliothèques qui se trouvaient à l'entrée de la chambre, sur le grand pan de mur gauche éclairé par le soleil haut dans le ciel, malgré les rideaux oranges tirés sur les fenêtres qui illuminaient, d'ordinaire, les mètres carrés nécessaires à la cohabitation des entités. Moitié bouquins, un quart CD et vinyles, la dernière part pour les films – cassettes et DVD mélangés.

Il s'attarda sur les livres, les trouva pour la plupart en japonais ou en portugais, un faible pourcentage étant accordé à ceux en anglais ; tirant un ouvrage au hasard, il tomba sur ce qui lui semblait être un recueil de contes, quand bien même il était incapable de saisir les mots qui y étaient inscrits – du portugais, encore : il n'en jugeait le contenu que par les illustrations qui ornaient les pages, et qui étaient semblables à ces histoires que sa mère pouvait leur lire, à Lami et lui, quand venait le moment de dormir. Il surprit le regard tendre de Nami sur le livre, haussa un sourcil dans une invitation muette à lui en dire davantage.

Il sentit, presque palpable, la réticence qui émana d'elle, mais la résignation prit le pas sur le reste – nul doute que Shanks avait dû la persuader de cracher le morceau quand cela s'avérait nécessaire, comme à cet instant.

- … Luffy l'avait déjà, à l'orphelinat. Il voulait qu'on lui en lise tous les soirs, après son arrivée.

- L'un de vous parlait sa langue ?

- Papa avait de vagues notions d'espagnol, railla-t-elle en s'adossant à l'angle du mur près du chambranle de la porte. Ça mis à part… nada. Et le pire, c'est qu'il était quand même content qu'on lui raconte ces histoires-là… tant qu'on s'occupait de lui, ça lui allait.

- Il ne parlait pas anglais non plus, je suppose ?

- Pas un mot. Les six premiers mois ont été… compliqués.

L'emphase sur le mot ne lui échappa pas non plus, mais il n'insista pas sur le sujet.

Il avait tout son temps, ici, temps dont il allait pourtant manquer cruellement quand viendrait le moment de quitter ces lieux – parce qu'il savait, au fond de lui, qu'il ne serait jamais rassasié de la montagne d'informations que recelait chaque objet présent dans cette chambre, tant ils pouvaient en raconter sur les trois locataires de l'endroit.

- Je peux l'emmener ? s'enquit-il en refermant le livre.

- Si vous voulez. Ça lui sera plus utile là-bas qu'ici, de toute manière.

Il le rangea dans le sac à dos qu'il portait à l'épaule, entièrement vide à son départ pour être mieux rempli à son retour ; reprenant son examen de la bibliothèque, il se pencha cette fois sur une étagère dédiée à des livres scolaires, où il trouva le parfait résumé de toutes les matières prises par Luffy dans son cursus, chaque discipline soigneusement choisie par soucis d'équité entre ceux qui se partageaient cette enveloppe.

Laissant son regard errer sur les reliures qui s'offraient à lui, il s'attarda cette fois sur une pile de livres traitant de psychiatrie, dont les titres ne le laissèrent pas indifférent, pour la bonne raison qu'il avait étrenné ses propres exemplaires sur les bancs de l'université, des décennies auparavant ; des classiques – les prémices du métier qu'il exerçait à présent avec délectation, sans regretter ses choix un seul instant – qui n'étaient pas dénués d'intérêt, et qui lui donnèrent matière à confirmer ce qu'il pensait déjà : Luffy et les autres n'avaient pas eu besoin de les attendre, Monet et lui, pour diagnostiquer seuls la pathologie qui les affectait. À eux trois, ils n'avaient certainement pas attendu très longtemps pour trouver des explications à leurs blancs mutuels, dans leurs mémoires, qui les avaient tous individuellement amenés à comprendre qu'ils n'étaient pas seuls dans ce corps.

Sa propre adolescence n'ayant pas été simple à gérer, Law ne pouvait que trop bien compatir à l'isolement et la solitude qu'avait dû subir Luffy pendant ces années, à devoir courir après une identité dont il était incapable de cerner les limites.

Il bifurqua sur la partie musique, où il ne put réprimer un sourire, amusé par la diversité ordonnée qui régnait parmi les pochettes colorées ; classées par genres, tous plus variés les uns que les autres, de l'acid-house jusqu'à la pop pour virer droit sur le rap, en passant par du hardrock ou du néo-métal. Et, bizarrement, rien qu'à voir les titres, il était bien incapable de différencier les goûts des uns et des autres, inapte à attribuer un artiste ou un genre à une des trois personnalités.

Il tira le premier boîtier à lui – Eliminator de ZZ Top, et songea qu'Ace avait le même dans ses tiroirs.

- … Luffy ?

- Perdu. Kid, rétorqua Nami.

- Sa préférée… Sharp dressed man… ?

Elle acquiesça et sortit un autre CD, qu'il identifia comme étant une gravure estampillée « Aesop Rock ».

- … Zoro ?

- Luffy, corrigea-t-elle.

- Ils ont des goûts en commun ?

- Pour la musique ? Plutôt, oui, ils écoutent de tout.

Nouvelle annotation pour son carnet.

Luffy passait son temps avec son casque sur les oreilles, quand il ne se trouvait pas à la piscine ou dans les douches communes – ces moments-là mis à part, il quittait rarement sa musique, au point que Law ne sache pas vraiment ce qui se diffusait dans ses oreilles à longueur de temps. Il ne s'était pas vraiment intéressé au sujet, à dire vrai, et l'étagère qu'il avait devant les yeux lui prouvait qu'il avait été à côté de ses pompes depuis l'arrivée de son patient.

Ace avait bien mieux saisi que lui, sur ce coup ; pour les avoir déjà vus assis côte à côte, dans la cour, à écouter de la musique ensemble, Law saisissait qu'il avait un train de retard. L'infirmier et son patient s'étaient trouvé un terrain d'entente, par le partage des sons – au point où ils en étaient, Ace avait peut-être même réussi à brièvement amadouer Zoro, pour ce qu'il en savait…

- Vous pourriez lui faire passer de quoi recharger son baladeur ? Il va vite saturer s'il tourne en boucle avec la même musique.

- … je peux emmener ses CD, on a un lecteur en rab' à la clinique, murmura-t-il en rangeant ceux restés entre ses mains. Je te laisserai faire le tri, je crains de ne pas être très au point sur ses préférences.

Le reniflement dédaigneux qui résonna dans la chambre ne le surprit pas plus que ça ; il avait parfaitement saisi que Nami ne pouvait pas le sentir, mais sa réaction ne le froissait guère – il était coutumier de ce genre d'interactions avec les autres, habitué à ne pas être compris par ses pairs et à ne pas leur offrir les réactions qu'eux-mêmes attendaient de la part d'un autre être humain.

Abandonnant son observation, il se détourna de la bibliothèque pour affronter le regard désapprobateur de Nami, rivé droit dans le sien – du cran et de la défiance. Forgés par elle-même ou au contact de Luffy et des autres ? La question viendrait sur le tapis, indéniablement, mais il pressentait qu'il y avait certainement un peu des deux.

Il appréciait trop la franchise pour se passer de ses remarques, et il savait également que les tirs à boulet rouge risquaient de fuser tout au long de son séjour.

- Vous n'avez toujours pas saisi comment il fonctionne, pas vrai… ?

- Est-ce si visible que ça ?

- Vous aurez beau remuer ciel et terre pour arriver à vos fins, votre puzzle sera éternellement incomplet, murmura Nami en contemplant le lit tendu de draps propres, loin de la pataugeoire pourpre où elle avait vu la police scientifique s'affairer des heures durant des semaines auparavant. Et quand bien même vous passeriez une vie à chercher… pour comprendre Luffy, il faut… bien plus que des bouquins et des certitudes scientifiques. Il faut quelque chose que vous n'aurez jamais.

- Puis-je savoir en quoi ça consiste ? rétorqua-t-il.

- Je sais pas… un peu d'amour et de compassion… ? railla-t-elle en levant les yeux au ciel.

Il pouvait lui accorder le point.

C'était aussi pour ça qu'il avait du boulot pour ses employés, là où il péchait le plus, là où s'arrêtaient ses compétences ; là où il s'appuyait le plus sur eux, parfois même un peu trop – pour exemple, la carte blanche qu'il avait laissée à Ace, en partant, pour recoller les derniers morceaux avec Luffy et lui tirer les vers du nez sur le maximum d'informations possibles concernant les entités qu'il hébergeait dans son crâne ; tout ce qu'il fallait pour en apprendre plus sur lui, là où il se contenterait de relever tous les indices dont il avait besoin pour avancer, cliniquement, dans la villa qu'il avait occupée pendant si longtemps.

Ace, qui ne lui avait visiblement toujours pas pardonné son humiliation, à en juger le silence radio de son portable dans sa poche depuis son départ de la Louisiane. Il savait, au fond, que sa mauvaise humeur ne durerait pas, mais il avait aussi parfaitement conscience que la pente sur laquelle il évoluait était dangereusement savonnée. Une vraie patinoire, qu'il se devait d'emprunter coûte que coûte.

- Si c'était ma qualité première, je n'occuperais pas le poste que j'ai aujourd'hui. Luffy est entre de bonnes mains, à la clinique… tu ne dois pas t'en faire pour lui.

- On en revient au même point. Luffy est enfermé à vie avec des gens dont je ne sais rien, Sabo cloué dans un lit d'hôpital, et vous… vous me dites de prendre du recul. Typiquement Trafalgar Law, ça, non… ? répliqua-t-elle en lui tournant obstinément le dos, feignant d'être absorbée dans sa contemplation – là où il savait qu'il n'en était rien, à en juger par le tremblement de ses épaules trahissant son émotion.

Il ne releva pas – inutile, à ce stade-là, d'essayer de la convaincre de ses plus ou moins bonnes intentions – et poursuivit son incursion dans la chambre de son patient, délaissant la musique et la lecture pour s'attarder sur une première armoire, en rotin sombre, qu'il ouvrit avec prudence.

Une penderie et des étagères, le tout supportant vêtements et chaussures.

Il tendit le bras, saisit le premier cintre à sa portée et en tira un kimono émeraude, soigneusement repassé, qu'il identifia tout de suite comme étant la propriété de Zoro. D'autres modèles se succédaient, sur le portant, tous de manufacture de qualité ; visiblement, le détenteur de ces vêtements y portait un grand soin, rien qu'à en juger les bottes noires impeccablement cirées rangées au dernier niveau et les foulards, eux aussi sans le moindre pli. Sur la droite se trouvaient des vêtements plus classiques, du jean à la veste proche de celle du costume ; classe, soigné, le confortant dans son idée que cette armoire était celle de la personnalité la plus taciturne du trio.

Il referma les portes, son regard cette fois attiré par les armes blanches suspendues cérémonieusement au mur ; des katanas, à la taille et aux formes diverses, qui ne semblaient pas avoir pris la poussière depuis que leur propriétaire les avait délaissés sous la contrainte. Il interrogea Nami d'un coup d'œil, sachant d'emblée qu'il obtiendrait les réponses à ses questions – elle avait conscience, elle aussi, d'être forcée de coopérer, puisqu'il était question de Luffy au-delà de leur égo respectif.

- … c'est Sabo qui s'en est occupé, ces derniers temps, concéda-t-elle à voix basse. Je vais prendre le relai, s'il n'est pas en état de le faire.

- Zoro est le seul à s'en servir ?

- Luffy n'aime pas les armes… il préfère la bagarre à la loyale, comme il l'appelle. Kid n'est pas trop branché sabres, c'est… trop fin pour lui. Vous comptez en amener un à l'asile ? railla-t-elle.

- Inutile, j'ai ce qu'il faut dans mon bureau.

Son air interrogateur ne le surprit pas, question d'habitude.
Autre chose qu'il avait en guise d'arguments, dans les quatre murs de la pièce où il passait le plus clair de son temps – Law aimait collectionner, et son nodachi faisait partie des objets qu'il préférait, parmi tous ceux qu'il possédait. Pour sûr que Zoro apprécierait cette possession, s'il parvenait à lui adresser la parole dans se faire ouvrir en deux au mauvais moment.

Au-dessus de la tête de lit se trouvaient d'autres étagères, celle-ci chargées de bibelots qui, a contrario de ceux trouvés dans le couloir et qui témoignaient de leurs voyages, semblaient plutôt rattachés à des moments marquants de la vie de Luffy, ou même des deux autres qui se disputaient la place sous la lumière des projecteurs. Ses yeux s'arrêtèrent sur un métronome, le contrepoids réglé au plus haut ; encore une fois, Nami fut sa seule source de réponse.

- Je joue du piano. Luffy aimait bien m'écouter jouer… je lui ai offert mon métronome quand j'en ai acheté un plus moderne. Il le met pour s'endormir.

Une nouvelle ligne pour son carnet, avec en annotation encadrée la consigne de ramener l'instrument à la clinique sans faute ; l'idée, qui germait déjà dans sa tête en demandant à Luffy de remplir le questionnaire le concernant, des jours auparavant, était en train de mûrir davantage, prenant un tournant plus précis encore.
Il s'accroupit devant la table de chevet, ignorant la protestation de ses côtes, et ouvrit le tiroir à sa portée, sous le regard désapprobateur de Nami – Shanks ne lui avait pas spécifié de limites, et il ne comptait pas se gêner et risquer de perdre la moindre information qui concernait son patient.

Rien d'extraordinaire, peut-être même un contenu trop banal pour un garçon de dix-neuf ans. Un roman policier, quelques bracelets tissés, un chargeur de portable – il savait que le téléphone de Luffy avait été rendu à Shanks, et la demande qui viendrait inévitablement n'allait pas plaire au père de famille, question de bon sens. Il était curieux de voir comment les trois hommes se servaient du smartphone : utilisation partagée ? Cartes SIM multiples ?

Il trouva un flacon d'huile essentielle de mandarine, un porte-clés chargé de breloques et la clé qui allait avec – Nami lui indiqua qu'il s'agissait de son casier, à la faculté, dont le contenu avait été vidé par deux camarades avant d'être rendu au Gouverneur – un carton de biscuits vide, des bonbons à la menthe, des bâtons d'encens.

Relevant la tête, il dévisagea un long moment la sœur de son patient, qui arborait toujours son expression fermée, et reporta son attention sur le tiroir et le petit bric-à-brac qui s'y trouvait.

- … quelqu'un a touché à ce tiroir, depuis le départ de Luffy ?

- Les Marshalls. La PJ. Peut-être papa… sinon… personne en particulier. Pourquoi ?

- Il y a quelque chose qui cloche.

- Comme… ?

Law referma le tiroir et s'assit sur le lit, fixant le chevet d'un air absent, plongé dans ses pensées.
C'était une question qu'il n'avait pas abordée avec Luffy depuis son arrivée, ou même avec un membre de sa famille, parce qu'il jugeait qu'aucune situation ne se prêtait à la discussion, quand bien même il ne faisait que retarder l'échéance.

- Au risque de te paraître un peu cru, je m'attendais à trouver des choses plus intimes. Pas… ce qu'on peut trouver dans la commode de l'entrée de monsieur Tout-Le-Monde.

- ... je ne vous suis pas, là.

- J'ai eu son âge, et il en va de même pour tous mes amis, notamment les garçons. Je m'attendais à mettre au moins la main sur une poignée de préservatifs, ou même des revues…

Il s'attendait à ce que Nami pique un fard, détournes le regard ou ne l'envoie voir ailleurs si elle y était, mais le stoïcisme de son regard et de son expression le sidéra pendant un bref instant, tant il était surpris de ne pas faire mouche plus que ça.

- Jusqu'aux dernières nouvelles, Luffy n'avait pas de petite copine.

- Il n'en a jamais eu ?

- Ce n'est pas ce que j'ai dit, souligna-t-elle en s'installant à la chaise du bureau de son cadet. Au moment où ils… sont venus le chercher, il était célibataire.

- Depuis longtemps ?

- … au moins six mois, je dirais, mais il n'est pas du genre à trop s'étaler sur le sujet. C'est… compliqué, pour lui, d'avoir quelqu'un dans sa vie.

- À cause de Kid, ou Zoro ?

- Kid et nous. Zoro est… neutre, ajouta-t-elle après un silence.

Autre note dans le carnet.
Cette dernière donnée ne le surprenait pas ; il s'était toujours figuré, avec ce qu'il savait de cette personnalité, que Zoro n'avait pas spécialement d'avis sur la question, parce qu'il n'était pas là pour jouer ce rôle. Son seul but était de protéger Luffy, pas de faire en sorte qu'il soit heureux en couple ou pour un coup d'un soir – configuration qu'il accordait plutôt à Kid, présent pour satisfaire les besoins moins avouables de leur trio.

- Pourquoi ce « nous » ? Vous avez un droit de regard sur ses fréquentations… ?

- Pas au sens où vous l'entendez, sourit-elle en secouant la tête. C'est juste que… en tant que fils du Gouverneur… Luffy passe son temps à faire le tri dans ses fréquentations, pour faire la différence entre ceux qui en ont après ses avantages et ceux qui l'aiment pour ce qu'il est… ou ce qu'il laisse paraître. Ça en attire, et ça en repousse.

À partir du moment où il avait posé ses valises à Londres, cette question ne s'était plus posée pour lui ; loin, très loin de son père, de sa famille, de son influence et de ce passé qu'il traînait derrière lui, tout autant de choses inconnues des anglais qui l'avaient traité comme ce qu'il était, à cette époque : un gamin, ni plus ni moins. Monet la première avait longtemps ignoré qui il était.

- Petites copines, ou plutôt copains ?

- Copines. La dernière en date était sympa, mais Luffy ne l'a pas faite venir à la villa. Il évitait de ramener du monde, en général, hormis deux ou trois personnes avec qui il était ami depuis le lycée.

- Son nom, si tu t'en souviens ?

- Ishilly, quelque chose comme ça. Je connais pas le motif de la séparation, mais je suppose qu'il doit s'appeler Eustass Kid, marmonna-t-elle en levant les yeux au plafond. Il s'arrange toujours pour tout gâcher, de toute manière. Ça lui est insupportable, que Luffy soit heureux sans lui.

Law s'immobilisa, crayon figé au-dessus de sa page, et prit le temps de considérer cette remarque, qui rejoignait celle qu'Ace s'était déjà faite à propos de leur patient.

Si même Nami, à son niveau, en était venue à cette conclusion, cela signifiait que l'information était loin d'être anodine.

Les personnalités avaient, certes, leur raison d'être dans cette configuration qui était la leur, mais rien ne les empêchait d'avoir leur fonctionnement propre, leur caractère et leurs préférences, jusqu'à les amener à développer des sentiments qui leur permettaient notamment de se distinguer des uns et des autres.

Il quitta le lit, qu'il contourna pour atteindre la seconde armoire qu'il trouva elle aussi remplie de fringues en tous genres, beaucoup plus éclectiques cette fois-ci ; armoire de Luffy, probablement, à en juger par la dominance de rouge, bleu et noir qu'il voyait dans les coloris. Certains emplacements étaient vides ou moins fournis, le laissant deviner que le colis de vêtements qu'il avait reçu pour son patient était sûrement composé des parties manquantes. Le bac du niveau inférieur était rempli de tongs, baskets et tennis, entassées pêle-mêle, à l'image des autres tissus loin d'avoir droit au même rangement irréprochable que ceux de Zoro.

Le dernier placard était, lui, à l'image de Kid – lourd, encombré ; beaucoup de fourrures, de cuir, de jeans et de débardeurs vintage. Des boots, énormément d'accessoires, le tout mieux rangé que dans la penderie précédente, dans un ordre moins méticuleux que celui de Zoro mais tout aussi discipliné.
Ses yeux se posèrent sur les posters placardés sur ce pan de mur ; affiches en tous genres, festivals, groupes où tous les styles se croisaient ; quelques ébauches, des photographies pêle-mêle épinglées là où la place le permettait ; tendant le bras, il frôla du bout des doigts le morceau de papier où étaient esquissés les portraits de Nami, Sabo et Shanks, et d'autres visages qui lui étaient inconnus. Il interrogea la jeune fille d'un regard furtif, et sa perplexité le surprit.

- … pas moyen de savoir qui a dessiné ça.

- Sérieusement ?

- Sérieusement. Le plus créatif est Kid, mais il est plus du genre à pisser sur notre album de famille qu'à nous crayonner comme ça, marmonna-t-elle.

Law recula de quelques pas, jaugeant l'angle de vue et photographia les parois chargées de l'histoire du trio – il demanderait son avis à Ace et Bonney, les meilleurs dans ce domaine. Peut-être même que Lami accepterait de lui donner un coup de main supplémentaire, s'il s'y prenait correctement.

Après avoir mitraillé les penderies ouvertes et les objets les plus proches, il se détourna de ses dernières trouvailles et tira la chaise du bureau qui occupait une bonne partie de la pièce ; peut-être même un peu trop, pour un adolescent qui ne croulait pas sous le poids d'études supérieures à rallonge. Il s'installa à la place que Luffy devait habituellement occuper et ouvrit l'ordinateur portable posé devant lui, malgré le claquement de langue désapprobateur de Nami – il alluma l'appareil et patienta, esquissant un sourire en voyant trois sessions s'ouvrir, sobrement intitulées L, K et Z.

- La PJ l'a examiné, celui-là ?

- … non.

- Non ? répéta-t-il, sceptique – il avait posé la question pour la forme, sans s'attendre à un quelconque retour négatif.

Nami pinça les lèvres et croisa les bras, baissant les yeux vers le parquet – exactement l'expression qu'arboraient Kaya ou Tashigi quand elles étaient contraintes à dire quelque chose qu'elles se gardaient de laisser échapper.

- C'était… Papa l'a rangé avant qu'ils ne montent. Il l'a mis au coffre jusqu'à ce que la chambre de Lu' ne soit plus sous scellés, avoua-t-elle.

- Pourquoi avoir fait ça ?

- Pour Luffy. Pour son secret. Il ne voulait surtout pas que ça se sache, alors…

Elle laissa sa phrase en suspens et s'assit au bord du lit, lissant la couverture d'un air absent, sous le regard pensif de Law qui prit des notes supplémentaires, dans le silence brisé par le bruit de la rare circulation, au-dehors.
Lui aussi était un habitué des cachotteries – les chiens ne faisant pas des chats, son père était le premier à user des avantages que lui procurait sa position : nul doute que Shanks avait certainement prétexté vouloir remonter pour se vêtir décemment, et en avait profité pour cacher ce qui l'arrangeait.

Ecartant son carnet, il ouvrit les tiroirs sur sa droite, y trouva un pêle-mêle de pinceaux, feutres, carnets et feuillets libres, tous criblés de notes aux diverses écritures. À l'expression de la cadette de la famille, il saisit tout de suite que les affaires les plus sensibles avaient, elles aussi, été chassées de cette pièce à l'arrivée des Marshalls – de toute évidence, Shanks avait déjà imaginé qu'un tel scénario était susceptible de se produire, parce qu'il ne lui avait fallu que très peu de temps pour agir avec, Law osait le penser, un seul bras dans l'équation et l'état de choc dans lequel il devait logiquement se trouver.

Il passa au second tiroir, et sa main s'arrêta au-dessus des cahiers de brouillon cornés et, à en juger leur état, manipulés à de multiples reprises ; l'envie le démangeait, mais la présence de Nami était un frein indéniable. Non pas pour une quelconque question de morale, mais pour une question de tranquillité ; il préférait savourer cette découverte seul, s'il devait être amené à lire le contenu de ces cahiers, malgré l'étrange sentiment d'interdit qui le prenait au ventre. De la même manière qu'il ne s'était pas risqué à parcourir ceux que son patient tenait à l'asile, par respect pour le peu d'intimité qu'il pouvait conserver entre ces murs. Et histoire de ne pas aggraver leur situation tendue, tant qu'il y était.

Il referma le tiroir, ouvrit celui du bas qu'il trouva chargé de cahiers qui, cette fois, semblaient neufs, prêts à être griffonnés au rythme de leurs échanges. Un rapide feuilletage le conforta dans son idée, et sa curiosité bascula sur les pots de crayons qui s'alignaient sur le coin le plus à droite du bureau ; trois pots, exactement, tous différents par leur forme et leur couleur. Trois règles, trois paires de ciseaux – dont une pour gaucher – et trois trousses, chargées de compas, gommes, mines, taille-crayons. Chacun avait son exemplaire, dans ses propres goûts, et Law ne pouvait s'empêcher de penser à l'organisation monstrueuse qui se cachait derrière cette singularité qu'était la chambre de Luffy.

- Zoro a-t-il toujours été là, au même titre que Kid ?

- Je pense que oui. J'ai toujours… connu Luffy tel qu'il est maintenant.

- Des problèmes, avec lui ?

- Jamais. Zoro n'est pas désagréable, quand on ne le contrarie pas.

- Et comment est-ce qu'on le contrarie… ? sourit Law en prenant d'autres notes.

- Vous le savez déjà. Touchez à Luffy, et vous signez votre arrêt de mort, murmura Nami en haussant un sourcil.

Oh, il savait parfaitement où elle voulait en venir, avec cette menace sous-entendue.
Mais la jeune fille qu'il avait en face de lui était loin de lui faire le même effet que le petit concentré de folie qui venait d'atterrir entre ses mains, à la clinique.

- Seul déclencheur ? poursuivit-il, imperméable à son expression fermée.

- Le seul qu'on lui connaisse, en tout cas. Je connais les limites de Kid, pas les siennes. Sabo vous en parlerait mieux que moi, mais…

Elle déglutit et baissa les yeux, toute défiance volatilisée dans l'instant – il savait, par Shanks, que les jours de son frère n'étaient plus comptés, mais il serait bien en peine de la juger pour cette amertume qu'elle transpirait par tous les pores de la peau. Si quiconque s'avisait de faire subir à Lami ne serait-ce qu'un dixième de ce que Sabo avait enduré, il savait qu'il serait incapable de trouver le repos tant qu'il n'aurait pas mis fin à l'existence de celui ou celle qui aurait osé l'atteindre de cette manière. Pour sûr que Shanks ne laisserait pas passer ça, pour rien au monde.

- Ils étaient amis ?

- … on ne peut pas être ami avec les personnalités de Luffy, soupira Nami en triturant ses bracelets. On peut… bien s'entendre avec elles, sous certaines conditions, mais… aller plus loin est impossible.

- Pourquoi ?

- Se lier avec Luffy est déjà lourd de sacrifices… alors se rapprocher de Zoro ou de Kid, c'est prendre… un trop grand risque. Ils ne sont pas là pour faire de la figuration. Kid… Kid est ce qu'il est, et Zoro n'est pas plus fréquentable, à sa manière. Il est… plus… modéré, je dirais, mais au final, le résultat est le même. Nous sommes un obstacle à leur liberté, parce que si nous n'étions pas là, il est probable que Luffy se laisserait complètement dominer par ces deux-là. Ils ont été forcés d'entretenir une relation de partage, en arrivant à San Francisco… et je suis sûre que ça les dérange.

- Mais malgré ça… Sabo avait un lien a minima cordial avec Zoro ?

- C'est l'idée. C'est aussi grâce à leur relation qu'on a fini par comprendre que Zoro ne fera rien qui pourrait nuire à Luffy, ou même au groupe. C'est… dur à décrire, il est à la fois facile à provoquer et difficile à faire sortir de ses gonds. Zoro n'a rien contre nous, parce qu'il sait qu'on fait de notre mieux pour Luffy… mais Kid nous déteste, et ça finit toujours en catastrophe quand on essaye de négocier avec lui.

Le souvenir de la tentative d'évasion de son patient était resté douloureusement frais dans sa mémoire, au même titre que le réflexe défensif de Zoro quelques jours auparavant ; par ces bribes d'informations, Nami ne faisait que le conforter dans sa première analyse, même si quelque chose clochait toujours, comme l'avait régulièrement souligné Ace ces derniers temps.
Quelque chose sur lequel il ne mettait pas le doigt, à l'instar de ses autres collaborateurs qui avaient parcouru toutes les notes prises à propos du trio.
Le sourire de Zoro, pendant qu'il observait les serrures. L'ultime remarque de Kid, bien plus travaillée qu'elle ne le semblait de prime abord. Les aveux à demi-mots de Luffy, qui avait pour coutume de laisser beaucoup de phrase en suspens, comme s'il craignait de trop en dire.

Les trois jouaient au jeu du chat et de la souris, depuis bien plus longtemps que Law lui-même ne le faisait avec ses patients, mais en suivant des règles qui lui étaient totalement étrangères et dont le sens lui échappait toujours. Il détestait se l'avouer, mais quelque part au fond de lui, se dessinaient déjà les lignes d'un doute qu'il s'efforçait de maintenir le plus loin possible de ses certitudes qu'il estimait inébranlables.

Faisant tourner son crayon entre ses doigts, il laissa la chaise pivoter et s'offrit une vue d'ensemble de la pièce, contemplant la chambre et ses particularités, tout cet étalage de la vie si tumultueuse de son patient, et la sensation de rater un élément essentiel revint le démanger, à l'arrière du crâne.

- Nami ?

L'intéressée se détourna des étagères qu'elle contemplait d'un air absent, jusqu'ici, lui accordant son attention avec une certaine mesure – plongée dans ses pensées dont elle n'avait certainement pas apprécié d'être tirée.

- Mmn.

- … est-ce qu'il manque quelque chose, ici ? murmura-t-il en balayant l'ensemble d'un coup d'œil circulaire, cherchant la faille, le morceau manquant qui lui faisait défaut.

- Pas que je sache. Pourquoi ?

- … un pressentiment.

- Du genre ?

Il garda le silence, cette fois, et Nami ne releva pas, quittant le lit où elle s'était assise pour retourner à la porte, signe que la visite était terminée pour l'instant. Son silence à elle pouvait tout et rien dire, tant Law était intimement persuadé qu'ils avaient leur rôle à jouer dans ce fiasco. Pas forcément activement, mais au moins de manière passive, comme Lami l'avait aussi suggéré, des semaines auparavant.

Abandonnant la chaise derrière lui, il emporta carnet et appareil photo et suivit la jeune femme sur le palier où, au bout d'un petit couloir, sur la gauche, elle lui ouvrit une autre porte, qu'il reconnut comme étant une salle de bain. Haute de plafond, baignoire et douche, double vasque, armoires en rotin, murs carrelés, tapis au sol – rien d'extraordinaire à première vue, et son regard interrogateur suffit à Nami pour qu'elle saisisse sa perplexité. Elle traversa la pièce et ouvrit un des placards à gauche de la première vasque : aussitôt, ses yeux accrochèrent les étagères et firent le lien avec la chambre qu'ils venaient de quitter ; il leva son appareil photo et figea un maximum d'images avant de s'approcher et de contempler les produits qui s'étalaient devant lui, fasciné par une preuve supplémentaire de l'étendue de la complexité du trouble de son patient.

- Je partage la salle de bain avec Luffy, soupira Nami en se hissant pour s'installer sur le marbre noir qui soutenait les vasques. Sabo et Papa ont celle d'en-face.

- Et pourquoi c'est toi qui t'y colles ?

- Demande de Luffy. Et comme d'habitude, je n'ai pas su dire non, sourit-elle en baissant les yeux à ses pieds.

Law ajouta ces remarques à une nouvelle feuille de son carnet, qu'il associa à la salle de bain, et nota tout ce qui pouvait lui tomber sous la main.

Trois étagères, trois pots, trois brosses à dents. Trois rasoirs, dont deux lames de barbier avec tout l'attirail qui les accompagnait – blaireau, lames en spare, huile. Gels douches et shampoings différents, aux senteurs bien distinctes. Il trouva une boîte remplie de pendants dorés, à accrocher à l'oreille ; certainement la raison des multiperçages des lobes de Luffy. Une autre était elle aussi pleine d'autres types de piercings, qu'il n'avait pas remarqué chez son patient, arrivé dénué de la moindre possession. Il trouva des crayons noirs, semblables au khôl qu'il mettait lui-même pendant la période la plus gothique de son adolescence, et du rouge à lèvres noir, tous ayant l'air de servir régulièrement.

- Qui porte quoi ?

- L'étagère du milieu est à Zoro, les longues boucles sont à lui. Trois à l'oreille gauche. Celle du haut est à Kid, il met à peu près n'importe quoi. Piercing à l'arcade et à la langue, mais Luffy ne les avait pas quand ils sont venus le chercher, ajouta-t-elle après un silence en constatant son air perplexe. Et le maquillage est à lui.

Adepte des modifications corporelles, à en juger par ces dernières informations : à dire vrai, tatouage mis à part, il n'avait rien remarqué de ces particularités chez son patient, là où il était certain qu'Ace n'avait raté aucun de ces détails. Une raison de plus pour son adjoint de se foutre de lui, et à raison.
Comme quoi, il avait parfois l'art et la manière de passer à côté des plus petits détails cruciaux.

L'étagère la plus basse, celle de Luffy, était beaucoup moins chargée que celle de ses autres alters ; il tendit le bras et saisit une trousse bleue, posée sur le côté, qu'il dézippa pour y trouver une brosse à dents de plus, de la crème hydratante, quelques liners noirs et un bandana rouge, qu'il leva à l'intention de Nami – elle haussa les épaules, confirmant ce qu'il pensait : elle n'en savait pas plus que lui à ce propos.

- Trousse qu'il emmène quand il passe une nuit dehors, je dirais. Je l'ai déjà vu s'en servir. Vu ce qu'il y a dedans, ça doit leur servir de pot commun.

- … à la clinique, Luffy passe son temps à éviter les filles. Je suis… sceptique quant à son choix de partager la salle de bain avec toi. J'aurais pensé à Sabo ou Shanks.

- C'est moi, la plus proche de lui, par l'âge ou pour le reste. Il est… plus à l'aise avec moi qu'avec Sab', et Papa a besoin de trop d'aménagements avec son bras pour que ça soit vivable pour un ado comme lui. Lu' est bordélique, on s'entend bien sur ce point, sourit-elle.

Oh, ça, il l'avait déjà remarqué à la clinique, rien qu'à l'état régulièrement négligé de la chambre que le trio se partageait.

Poursuivant ses recherches, il trouva des bouteilles de parfum, qu'il huma longuement – de par leurs échanges, Law n'imaginait pas Luffy se parfumer, ni même les deux autres, mais il ne pouvait écarter l'idée que ce procédé n'était qu'une manière comme une autre, pour eux, de se différencier un peu plus les uns des autres.

D'autres notes agrémentèrent son carnet, notamment la présence de vernis, qu'il associa à Kid sans avoir besoin de l'aide de Nami sur le sujet ; il trouva d'autres bijoux et breloques, dont il ne put déterminer le propriétaire avec certitude.

Il photographia la trousse et son contenu, immortalisa le fatras du petit placard et le reste de la salle d'eau ; à ce stade-là, il ne lui était pas difficile de percevoir les bribes de la vie que la famille du Gouverneur menait en temps normal, en s'accommodant de la particularité du benjamin : frasques de Kid mises à part, tout n'était qu'une question d'organisation et de respect des limites de chacun. Law ne doutait pas un seul instant de la convenance de Luffy et de Zoro au quotidien, voire même de leur docilité et de leur acceptation de cette situation incongrue. Et pourtant, en balayant la pièce d'un regard semblable à celui qu'il avait posé sur la chambre, quelque chose sortait encore du cadre. Quelque chose de discret, pas assez pour qu'il soit capable de déterminer ce que c'était, mais suffisamment pour le faire douter et perturber le cours de son raisonnement.

En bas, le verrou de la porte d'entrée cliqueta dans le silence, coupant le fil des pensées de Nami qui s'arracha à la contemplation des affaires de son petit frère pour sortir sur le palier, scrutant l'ombre qui s'étirait dans les murs qui bordaient l'escalier.

- Papa ? lança-t-elle dans le vide, non sans un certain scepticisme.

- C'est moi, rétorqua la voix de Shanks. Sab' est réveillé.

Nami quitta la salle de bain au pas de course, bousculant presque le psychiatre dans son élan, et dévala les marches qui menaient au rez-de-chaussée ; Law la suivit, plus mesuré, leur laissant un instant d'intimité familiale avant de poser le pied dans l'entrée et d'aller serrer la main unique de Shanks, tous deux s'évaluant du regard.

Le Gouverneur avait maigri, depuis la dernière fois où Law avait vu sa photographie dans le journal ; il était même plus cerné, encore, même si sa peau n'avait plus ce teint grisâtre témoin de la quantité d'alcool qu'il ingérait dans la journée – sobre, donc, du moins pour le moment.

- Comment il va… ? le pressa Nami en l'aidant à retirer sa cape.

- Encore confus. Ils le shootent à la morphine, il ne se rappelle pas de ce qu'il s'est passé. C'est à peine s'il se souvient de s'être trouvé sur le campus quand… quand c'est arrivé. On pourra aller le voir demain, il a besoin de repos et Crocus m'a carrément fichu dehors, marmonna-t-il en levant les yeux au ciel.

- Tu ne voulais pas rester au bureau pour avancer sur la conférence de presse de la semaine prochaine ?

- Je n'ai pas la tête à ébaucher la moindre phrase constructive… ça attendra. Tu as fait bon voyage ? soupira-t-il à l'intention de leur invité, qui hocha la tête. En théorie, avec un pneumothorax, on ne prend pas l'avion avant un très long moment…

- Question de priorité, sourit Law en s'adossant au mur le plus proche, bras croisés sur la poitrine. Et ça en valait la peine, avec ce que j'ai pu voir.

- Qu'est-ce que tu en conclus ?

- Que votre fils est bien plus malin qu'il ne le laisse croire.

Shanks laissa un sourire en coin étirer ses lèvres : plus proche du rictus que de l'expression d'un franc amusement, Law en jurerait. Et à cet instant, il était bien incapable de déterminer la nature de ce qui se cachait sous ce masque, sous cette façade quasi impénétrable que le Gouverneur avait pour habitude de porter. D'abord sa femme, puis Luffy, et enfin son aîné – la loi des séries, dans ce qu'elle avait de plus cruelle, avait laissé ses traces, et Law qui était pourtant le mieux placé pour connaître l'étendue des dégâts qu'elle pouvait causer se trouvait perplexe face à cet homme qui semblait en avoir beaucoup trop vu en trop peu de temps.

- Contrairement à ce qu'il pense, Luffy est brillant. À sa manière, bien sûr…

- Il a bien caché son jeu, c'est certain, concéda le psychiatre. J'ai encore beaucoup de travail à produire pour faire le tri, il y a… énormément d'éléments à revoir dans sa chambre, notamment, et–

- Tu peux passer la nuit ici, le coupa le Gouverneur en se déchaussant d'une main habile.

- C'est aimable, mais je–

- Sauf si tu veux te fader les paparazzis, poursuivit Shanks en lui désignant les tentures fermées. Ils sont increvables, ces mecs… ils seront partis au petit matin, mais si tu veux éviter d'être vu à la villa, tu devrais rester là. On a de quoi te faire dîner, et à ce que je vois tu n'as pas encore posé ta valise à l'hôtel, alors tu n'es pas vraiment en position de refuser…

Si directif.

Par déformation professionnelle, ou par autorité naturelle ? Law pariait pour les deux facettes. Shanks lui rappelait son propre père, homme habitué à en diriger d'autres, presque né pour cette fonction ; lui aussi avait eu à affronter ses propres démons, des années auparavant, à la manière de son homologue, mais leurs façons d'affronter leurs problèmes et de les résoudre, ou de vivre avec, étaient diamétralement opposées.

En était sortie la même amertume, les mêmes ressentiments, mais Shanks avait au moins eu l'opportunité de voir la fin venir ; de s'organiser en conséquences, et de se trouver un but, après tout ça. Ce qui n'était pas le cas de Doflamingo, loin de là.

Law chassa le souvenir qui menaçait de prendre le pas sur sa concentration et se recentra sur la conversation présente, où Shanks attendait toujours sa réponse qui n'en serait pas vraiment une, puisqu'il n'avait pas le choix – il devait rester discret, l'ombre dans l'ombre, tant pour se préserver que pour garder sa collection à l'abri du reste du monde. Personne, Kizaru et Rayleigh mis à part, ne savait où avait été expédié Luffy, et c'était encore ce qui pouvait arriver de mieux. Law n'avait jamais aimé la lumière, préférant opérer sous la surface, loin des regards et des attentions : à la manière de Luffy, Kid et Zoro qui, par l'organisation de leur vie, prouvaient par chacun de leurs choix qu'il leur était possible d'évoluer sur des terrains encore plus inconnus de leur psychiatre, qui voyait là l'occasion inespérée de passer une nuit dans la peau de son patient.

Pour comprendre quel membre du trio le menait pas le bout du nez, et jusqu'à quelle profondeur.

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À dans quelques semaines pour la suite !