Ohayo mina !

J'espère que vous vous portez tous aussi bien que possible !

Après beaucoup de retard, l'histoire revient pour un nouveau chapitre ! Comme chaque année, je tenterai un coup de poker avec de bonnes résolutions, en tâchant de travailler plus vite, mais je ne promets rien...
Pour info, j'estime que nous avons passé la moitié de la fiction ; on devrait arriver aux alentours de 45 chapitres, mais ce n'est pas une certitude. 'Jamais été très douée pour estimer ce genre de choses, pardonnez-moi x)

La réponse au guest "Potichat" est en bas, je vous souhaite une agréable lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 26 :

Jour 53. Retour.

Louisiane, près d'Ostrica. Sas d'entrée du portail est.
02h50.

Law attendit que la porte se soit refermée derrière lui pour s'approcher de la grille qui le séparait du reste de la clinique, sous le regard vigilant de Penguin, Magellan et Ace, tous trois en cercle devant le dernier obstacle à venir ; le chimiste guettait le couloir faiblement éclairé, arme à l'épaule, l'œil dans le viseur, prêt à tuer dans l'œuf la moindre envie d'évasion d'un interné.
Un détail qui plut au psychiatre, qui se rappela brièvement que le monde pouvait toujours tourner sans lui, entre ces quatre murs.

Quelques tours de clés et le battant s'ouvrit pour le laisser passer, avant que Penguin ne verrouille le bloc sur son passage ; il lui trouva l'air cireux, et le tic nerveux de sa joue lui indiqua que son retour était – contrairement à ce qu'il avait pensé en constatant que le protocole de sécurité était suivi à la lettre – peut-être un peu trop tardif.

- Bon voyage… ? sourit Ace en lui prenant son sac à dos.

- Quatre heures d'avion coincé entre deux rangs de mômes. Est-ce que ça répond à ta question ?

- Un avant-goût de l'enfer, marmonna Magellan en ouvrant la marche. Vous nous avez manqué.

- Et vous m'avez manqué aussi. S'il y a bien un état que j'exècre, c'est la Californie…

Penguin gardait le silence, tenant la cadence de leur pas, et cette absence de commentaire ne fit que le conforter dans ce qu'il pressentait déjà, et qu'Ace lui avait laissé entrevoir entre deux conversations – pour certains, son absence avait laissé trop de marques, et il allait avoir un travail à abattre considérable, bien plus urgent que le cas de Luffy qu'il brûlait pourtant d'approfondir, avec le reste de ses recherches.
Ils remontèrent le long couloir qui serpentait dans le ventre de la clinique, jusqu'à la salle commune qui était le dernier rempart avant l'aile des infirmiers et celui qui desservait son bureau, seul à son niveau. Magellan bifurqua vers le laboratoire, Penguin sur ses talons – ils n'échangèrent pas un regard, mais Law savait parfaitement ce que cette attitude cachait : il retrouverait la même chez Bonney, à n'en pas douter.

Ace le suivit dans les escaliers, en silence, le bruit de leurs pas tout juste audible dans le mutisme qui régnait dans le bâtiment à cette heure de la nuit ; il ne fut pas surpris de trouver son bureau allumé et Shachi étendu dans le divan, réveillé mais les traits tirés par la fatigue et le sommeil qui semblaient sur le point de gagner leur longue joute invisible.

- Bienvenue chez toi, lança l'infirmier sans bouger d'un iota. J'étais sûr que tu viendrais te terrer ici au lieu d'aller te pieuter.

- Et moi j'étais certain que tu serais là pour me harceler. Comment tu vas ?

- Claqué. Débriefing ?

- Tout à l'heure, à six heures tapantes dans la salle des chefs de service, promit le psychiatre en écartant les piles de feuilles soigneusement déposées sur son bureau – l'œuvre toute fraîche de Shachi, à n'en pas douter. Tu es de garde ?

- Mmn, avec Gladius. Fais-nous plaisir et va dormir une heure ou deux, tu veux… ?

- Je gère, annonça Ace tout en tentant d'empêcher Law d'ouvrir son ordinateur.

Shachi n'insista pas et se redressa, quittant son poste d'observation pour sortir du bureau non sans un dernier regard pour le directeur, qui lui donna l'impression d'avoir vieilli, à la lumière de la lampe qui éclairait l'interminable paperasse qu'il devrait rattraper tôt ou tard ; ce n'était rien de plus que les conséquences d'un voyage long et épuisant, couplé à une santé précaire et une accumulation de contrariétés et hauts et bas émotionnels, qui auraient drainé n'importe qui.

- Va te coucher, soupira Law en levant les yeux au ciel quand Ace s'assit face à lui, barrière entre lui et le retard accumulé à la clinique.

- Tu m'as assez congédié comme ça ces derniers temps, t'as usé tous tes jokers pour le mois, rétorqua-t-il en tendant le bras pour l'attraper par sa cravate. Retire-moi cette chemise, tu veux ?

- On verra ça demain.

- Répète-moi ça et je te ferai regretter ton tête-à-tête avec Zoro.

Une véritable épine dans le pied, têtu comme une mule et arrogant au possible.

Pile l'image qu'il devait lui aussi renvoyer, il en était conscient, mais il lui était plus facile de blâmer les autres pour ce qu'ils étaient que de se remettre en question.

Réprimant l'envie de lui balancer ses quatre vérité, Law lui reprit sa cravate des mains et entreprit de la dénouer tout en soutenant son regard, décidé à lui faire passer le message de manière muette mais non moins déterminée – qu'il ne devait pas escompter avoir le dessus indéfiniment. Indifférent à la menace voilée, Ace resta stoïque, ses yeux plantés dans les siens, bras croisés dans une attitude purement défensive qui était familière au psychiatre et que le jeune homme avait arborée dès les premiers instants de leur rencontre.

Ce souvenir-là, malgré la décennie passée, était encore vif, semblable à tous ceux qu'il gardait de son équipe, de leurs premiers contacts, de leurs échanges et du temps qu'il avait passé à leur expliquer ce qu'il avait à leur proposer – le choix était à la fois ridiculement simple et outrageusement compliqué, pour ceux à qui il avait offert une place dans la clinique ; paramètre dont il était parfaitement conscient.

Law avait longuement insisté sur le caractère définitif de leur venue entre ces murs ; à bien considérer les choses, la vie que chacun des infirmiers menait avant de le rejoindre était déjà une prison en soi ; une des différences était la vue qu'ils accepteraient d'avoir jusqu'à la fin de leurs jours ; une autre était la part de liberté qu'ils étaient susceptibles de gagner, en échange de celle que la plupart des gens considéraient comme primordiale : la liberté de mouvement. Le psychiatre, tout comme les autres, savait que cette liberté-là était la plus trompeuse, et qu'elle ne pouvait amener qu'une illusion d'indépendance, là où l'esprit était loin de s'affranchir des contraintes physiques.
Il déboutonna sa chemise et serra les dents quand le tissu s'arracha de sa peau, là où la lymphe avait suinté jusqu'à l'imprégner ; comme il s'y attendait, sa grimace n'échappa pas à son adjoint qui quitta son poste d'observation pour s'accroupir à ses côtés et examiner son flanc, clairement réprobateur.

Il n'avait pas besoin d'une leçon de morale, mais il savait aussi qu'il n'y couperait pas – juste parce qu'Ace crevait d'envie de le tailler, rien que pour le principe.

- Et sinon, tu as prévu de cesser la déconnade à quel moment...? marmonna-t-il en scrutant la plaie.

- Tu veux qu'on reparle de nos liens hiérarchiques...? rétorqua Law en levant les yeux au ciel.

- On peut, si ça t'arrange. Et je pourrais aussi te dire que tu ne peux pas me licencier, et que je ne risque pas d'avoir grand-chose à carrer d'un avertissement..., toussota Ace en lorgnant dans sa direction.

Le coup sec qui résonna dans le bureau, en provenance de la porte, les coupa dans leur joute – le battant s'ouvrit sur Lami, qui détailla la scène d'un sourcil levé, perplexe.

- ... je dérange...? susurra-t-elle.

- ... sans commentaire, rétorqua Ace en poursuivant son examen. Ton frère est un inconscient.

- Mmn, il paraît que c'est un trait de famille. Il paraît aussi que le vol t'a conforté dans ton idée de ne pas avoir de progéniture...?

- Pour rester politiquement correct, oui. Et sinon, la politesse...?

- J'ai frappé avant d'entrer.

Un peu d'insolence ne tuerait personne, dans cette pièce, Lami le savait mieux que quiconque ; elle referma la porte derrière elle et traversa le bureau pour rejoindre son jumeau, laissant tomber un nouveau dossier au milieu des piles de feuilles qui l'attendaient déjà.

- Tu te rappelles, le petit travail que tu as évoqué, il y a quelques semaines… ?

- Lami, je passe mes journées à donner des ordres et distribuer des tâches. Tu crois vraiment que je peux me rappeler de–

- Concernant les cas de potentielles disparitions ou meurtres dans les alentours du Marina ? précisa-t-elle en regardant Ace enfiler une paire de gants, un kit de soin posé sur le genou. Tu étais presque sûr que Kid n'en était pas à son premier coup d'essai.

- … je vois, oui. Conclusions ?

- C'est difficile de faire le tri dans tout ce que j'ai pu rassembler, mais si je me base sur les mêmes critères que ceux constatés par Rayleigh, j'ai seize affaires non-résolues qui doivent traîner dans les locaux des comtés de Monterey, du Sonoma et du Tuolumne.

Nord, est et sud ; toutes dans des directions bien opposées et distinctes, qui pouvaient tout et rien dire sur celui qui les avait choisies.

- C'est à des centaines de bornes de SF, argumenta Ace en tamponnant la peau tuméfiée sous ses doigts, ignorant les sifflements de douleur de son supérieur. Si Kid est du genre à remettre le couvert, il est assez méticuleux pour sortir de la juridiction d'Akainu.

- Peut-être un deal avec Luffy, proposa Lami. Mais avant ça, il faut s'assurer qu'il s'agisse bien de lui, sinon ça n'avancera à rien.

- Je m'en occupe, marmonna Law en fermant les yeux, tentant de faire fi de la brûlure lancinante de son flanc. On en parle plus tard, d'accord… ? Là j'ai autre chose à penser.

- Tu as potentiellement un tueur en série sous ton toit et ça ne t'intrigue pas plus que ça… ? s'esclaffa-t-elle en faisant cliqueter ses ongles sur la couverture plastifiée du dossier.

- Comme si ça allait m'impressionner…, soupira-t-il avant de saisir, d'un geste brusque, le poignet d'Ace pour éloigner sa main de ses côtes. Sérieux, là t'en fais exprès.

- Je vais me gêner, tiens, rétorqua l'infirmier en se dégageant. Tiens-toi tranquille, c'est bientôt fini.

- … quand tu daigneras te rappeler que j'existe et que je te suis utile à quelque chose, je serai à la bibliothèque, en train de me faxer entre deux bouquins, les interrompit Lami, glaciale, en quittant son perchoir pour s'éloigner vers la porte.

Elle ne se donna pas la peine de leur accorder le moindre regard en quittant la pièce, mais Law ne s'en formalisa pas, bien au contraire ; il savait parfaitement d'où venait cet agacement, qu'il avait prédit avant même de reprendre son vol pour la Nouvelle-Orléans. C'était la manière personnelle de Lami de lui dire qu'il lui avait manqué, quand bien même il savait qu'au fond, ce n'était pas si simple de l'exprimer de cette façon, pour lui comme pour elle – il n'était jamais certain à 100% de ce qu'elle avait dans la tête, et Lami la première était bien incapable de décrire ce que cette situation faisait naître en elle.

Typiquement le genre de situation à laquelle il avait eu affaire des milliers de fois, pendant leur enfance, et à laquelle il était rôdé depuis longtemps.

La douleur de son flanc le rappela à l'ordre et le ramena à la réalité, Ace terminant son soin par une claque sur la hanche, qui lui valu un regard noir – bien loin de l'impressionner, comme toujours.

Law renonça à remettre sa chemise et se rassit dans son fauteuil, tendant le bras pour ouvrir la pochette laissée par sa sœur et lorgner sur les copies des dossiers médico-légaux cédées par leurs propriétaires ; statistiquement, et à en juger les modes opératoires, Kid était le candidat idéal, mais ces données lui coûteraient des heures de travail pour déterminer avec une certitude acceptable la culpabilité de son patient. De toute manière, secret professionnel oblige, il n'avait pas à moufter à propos des meurtres déjà commis – seuls des doutes solides et fondés sur un hypothétique futur crime l'autorisaient à en informer les autorités, mais ce cas de figure ne s'appliquerait jamais ici, entre ses murs.
Et puis, pour être totalement sûr de lui, il lui faudrait les aveux de Kid, et il ne mettait qu'une confiance moyenne en ses paroles – non pas que cette personnalité ait pour trait le mensonge, ça, il était persuadé que ce n'était pas son style ; seulement, il ne pouvait exclure l'idée que Kid jette volontairement des zones d'ombre dans ses récits, assez pour le tromper ou pour se substituer à ses responsabilités.

Hypothèse la plus probable, puisque c'était visiblement à Luffy de payer les pots cassés.

- … Law… ? murmura Ace depuis le divan où il s'était étendu.

- Mmn.

Il ouvrit le second dossier, contempla un instant les clichés pris par la PJ, songeur – semblables à ceux pris dans la ruelle derrière le bar, à San Francisco. Il en avait vu d'autres, dans sa vie, que ce soit personnellement ou lors de ses études de cas, à l'université, mais il pouvait tout à fait concevoir que Luffy ait rendu ses tripes sur le costume de Mihawk lors du visionnage de la vidéo, pendant l'audience.

- Tu sais… par rapport à ce que tu m'as demandé, l'autre jour.

- … hé bien… ? soupira le psychiatre en se frottant le visage.

- On est d'accord… qu'en théorie… dans le cas de la dissociation de Luffy… les personnalités ne se pointent que sous le coup de certaines manifestations physiques… ?

Le détachement de ses idées, lentement exposées, n'était pas vraiment le style d'Ace ; il évoluait hors de sa zone de confort, Law le savait pertinemment, mais ce n'était pas plus mal, en fin de compte – lui aussi avait longtemps buté sur le sujet, et il n'était pas étonnant que son infirmier ait du mal à exprimer ses idées.

- En théorie, oui. Même si tous les spécialistes te diront que ce n'est pas si simple.

- … admettons. Dans ce cas… quand aucun de ces mécanismes n'est sollicité… la nuit, par exemple, quand ils se relaient à tour de rôle pour écrire…

Law jeta un regard en biais à Ace, qui fixait le plafond, bras croisés, un air de profonde concentration et perplexité sur le visage.

- … qu'est-ce qui les fait venir ?

- C'est la question à dix mille, ça, Ace, sourit le psychiatre en croisant les mains derrière sa tête, se balançant lentement dans sa chaise.

- Tu es sûr de tes calculs ?

- On ne peut jamais être sûr à 100%, tu le sais aussi bien que moi. Mais on peut… s'approcher de la vérité. En voir les contours, pour peu qu'on fasse preuve d'assez de discernement. Regarde… tu es passé entre les mailles du filet, avant que je ne te mette la main dessus, chuchota-t-il dans la pénombre.

Les yeux noirs de son bras droit croisèrent les siens, et Law se surprit à penser qu'au fond, tel qu'il venait de l'avouer à demi-mots, il ne saurait jamais vraiment – comme pour Lami – ce qu'Ace avait en tête ; et cette donnée le frustrait bien plus qu'il ne voulait l'admettre.

- … une entité, plus forte que les autres, attribue les rôles.

. . . . . . . . . .

Même jour.

Prison de San Quentin, CA 94964, Californie.
Parloir, 15h30.

Shanks se retourna sur sa chaise quand la porte du fond s'ouvrit dans un irrésistible crissement des barreaux, de l'autre côté de l'épaisse vitre de Plexiglas – pas de perçage pour le dialogue, mais un combiné chichement suspendu au mur qui bordait la tablette qui servait de repose-coude au Gouverneur. Deux matons entrèrent, précédant un prisonnier suivi par deux autres gardiens, fermant la marche ; ils progressèrent jusqu'au parloir – lentement, les pas de l'homme étant limités par le carcan de chaînes qui emprisonnait ses chevilles – et l'installèrent sur sa chaise, détachant ses bras pour fixer ses entraves à la barre de sécurité boulonnée au sol bétonné.

- Au moindre problème, vous nous faites signe à la caméra, lança le plus éloigné des quatre, sa ceinture croulant sous les trousseaux. On arrivera dans les dix secondes.

- Dix secondes… ? s'esclaffa le prisonnier dans un rire guttural qui trahit l'état de ses poumons. Vous vous êtes améliorés depuis la dernière décennie.

- C'est ça…, marmonna-t-il en rouvrant la grille pour laisser passer ses collègues, avant de partager un dernier regard entendu avec Shanks.

La porte se referma dans un claquement sonore, qui se répercuta en écho dans la petite pièce à présent déserte – une des conditions de négociation de Mihawk, qui semblait porter ses fruits.
Les deux hommes s'évaluèrent longuement du regard, dans un silence nasillard troublé par les mouvements cycliques de la caméra qui balayait chaque recoin, inlassablement, avant de décrocher leur combiné respectif. Shanks inspira profondément et désigna la manche vide de son vis-à-vis, qui hocha le menton en direction de la sienne.

- … ça te réveille, la nuit… ? murmura le Gouverneur.

- Et pas qu'un peu. Je pensais qu'avec le temps, ça serait un souvenir comme un autre, mais on dirait que je ne vais pas avoir cette chance. Ces conneries de membre fantôme…

Il se rajusta sur sa chaise et croisa les jambes, dans une attitude élégante et raffinée malgré la combinaison orange trop amidonnée qu'il arborait – Shanks avait eu beau tout lui prendre, Sir Crocodile avait conservé une prestance qui lui était propre, et que rien ni personne ne pourrait jamais lui ôter.

- … je pourrais te demander si c'est pareil pour toi, mais je suis sûr que ce qui te maintient réveillé, en ce moment, ce n'est pas ce petit cadeau que mes hommes t'ont fait à la naissance de ton aîné, souffla-t-il en affrontant son regard braqué sur lui.

- Un cadeau dont je me serais bien passé, rétorqua Shanks en s'installant plus confortablement sur la vieille chaise de Formica. Mais ce n'est pas pour le bout de viande que tu as donné à tes chiens que je suis là.

- Et je sais ce qui t'amène. Mon petit privilège deux heures par jour, railla l'intéressé. Voir vos têtes sur mon écran… comme tu as dû voir la mienne il y a des années, bien posé dans ton salon et sûr de tes bonnes actions, Shanks.

- Il fallait bien que quelqu'un mette fin à tes affaires… Toutes les bonnes choses ont une fin.

- C'est ce que tu t'es dit quand les Marshalls sont venus arracher ta porte d'entrée, il y a deux mois… ?

La conversation était déjà une impasse sitôt débutée ; Shanks savait pertinemment que celui qui avait longtemps été son pire ennemi ne serait pas tendre avec lui, et qu'à défaut d'être coopératif, il ne se gênerait pas pour lui mettre dans les roues tous les bâtons possibles et imaginables.
En revanche, et peu importe son ancien pédigrée ou ses pratiques, celui qui avait été le Parrain local de la pègre de SF ne se vanterait pas d'un crime qu'il n'avait pas commis, et nierait encore moins la moindre accusation – s'il était coupable de ce qui était arrivé à Sabo, il ne se gênerait pas pour le confesser, caméras ou non.
Quand bien même, que risquerait-il de plus que les décennies dont il avait déjà écopé, et qui étaient les seules garanties de le voir emmuré à jamais, loin du reste de la population ?

- On peut continuer à s'envoyer des mots d'amour pendant un bon moment, ou on peut essayer d'avoir une discussion constructive, Crocodile. À toi de voir.

- Mmn, tentant. Qu'est-ce que j'y gagne, à te dire ce que je sais… ?

- Rien. C'est juste une conversation d'homme à homme.

L'intéressé laissa échapper un ronflement amusé, ses yeux noirs vrillant les siens avec intensité ; il se gratta le menton d son unique main, étudiant Shanks avec soin, prenant son temps pour répondre. Oh, il savait très bien que la partie était déjà gagnée, mais son adversaire n'avait pas perdu son habituelle mainmise sur les échanges humains.
Finalement, après ce qui lui sembla une éternité, Crocodile se redressa dans son siège et s'accouda à la tablette du parloir, arborant un sourire en coin qui n'augurait jamais rien de bon, avec lui.

- … bien. En quoi puis-je t'être utile, Gouverneur… ?

- Puisque tu as le plaisir de m'observer par la télévision, tu as dû suivre ce qu'il s'est passé avec Luffy de A à Z…

- Et je m'en suis délecté–

- … et tout ce qui en a découlé pour moi. Professionnellement parlant, poursuivit Shanks en ignorant son interruption.

- Et nous en venons à Sabo et le fiasco du campus. Comme si tu ne coulais déjà pas assez…, susurra-t-il.

- Puisque tu as l'air d'en retirer un indicible plaisir… j'ai eu l'idée de te rendre visite, histoire de confirmer ou non le fin fond de mes pensées. Histoire de… voir si tu n'avais pas trouvé une nouvelle source de distraction, dans ton enfermement. Jango, ça te parle comme nom ?

L'espace d'un bref instant, Crocodile eut l'air profondément offensé, et son expression n'échappa pas au Gouverneur qui se demanda si, en fin de compte, il ne s'était pas planté sur toute la ligne.
Crocodile était le coupable idéal, tout désigné dans cette affaire ; comme Luffy, en un sens. Shanks était naturellement enclin à le soupçonner des pires horreurs, à en juger celles commises dans sa juridiction avant qu'il ne le fasse enfin tomber, et cette animosité réflexe l'avait peut-être mené sur le mauvais chemin.

Le silence s'étira entre eux, dense, pesant, faisant planer dans l'air un parfum qu'il ne reconnaissait que trop bien : la défiance mêlée de déception.

- Plus sérieusement, Shanks, je pense qu'on se connait depuis assez longtemps, toi et moi… tu sais très bien que j'ai d'autres méthodes plus créatives pour refroidir quelqu'un. Qu'il soit ton fils ou un illustre trou du cul anonyme. Si j'avais voulu t'atteindre, ce n'est pas Sabo, Nami ou même Luffy que j'aurais mis dans mes fours… c'est toi, et personne d'autre. Aucun intérêt de passer par un intermédiaire, pour moi. Et non, je ne me sens pas insulté par le fait que tu aies pensé que je puisse en être à l'origine, ajouta-t-il après un silence en avisant l'air circonspect du gouverneur. Ton gars... il bossait pour Kuro. Ça fait des lustres que je n'ai plus de contact avec cette racaille.

- Ils te rapportaient beaucoup, pour de la racaille, non ?

- Dernier avis sur le sujet, ces types-là n'ont plus aucun lien avec moi. En revanche, je sais déjà à quoi tu es en train de penser, là, tout de suite.

- Eclaire-moi de tes lumières.

- Tu te demandes si, à défaut d'être le cerveau de l'affaire, j'ai pu en être les oreilles malgré moi, sourit-il en s'accoudant à la table, menton dans la main. Et si oui, à quel prix est-ce que je monnaye l'information.

- Je te concède ça. Mais il n'est pas question de prix, Crocodile, parce qu'avec tous les chefs d'accusation à ton encontre, je n'ai absolument aucun moyen de faire alléger tes siècles d'enfermement, soupira Shanks en se frottant les yeux, fatigué.

- Je sais très bien que ce n'est pas un motif recevable dans une Cour, rétorqua-t-il en levant les yeux au ciel. Et quand bien même, je peux répondre à la question que tu as sur les lèvres : je n'ai aucune foutre idée de qui il peut bien s'agir. Des suggestions, j'en ai à la pelle, mais des certitudes, ça… non.

Shanks en avait aussi à revendre, et aucune de ses théories ne lui plaisait – soit parce qu'elle était beaucoup trop tirée par les cheveux, soit parce qu'elle était beaucoup trop évidente. La toute première en tête, et de loin : Akainu. Et il savait que ce genre d'homme ne reculait devant rien pour atteindre son but, ne se posait aucune barrière, aucun interdit, aucune morale. A la manière de Kid.
Et si lui avait été en liberté, Shanks aurait aussi mis son billet sur sa tête sans hésiter ; sauf qu'enfermé dans la clinique, loin de tout et sous constante surveillance, il n'avait aucun moyen de planifier quoi que ce soit ou de se payer le luxe d'avoir un contact extérieur – la ligne téléphonique et le compte de Luffy étaient perpétuellement dans le radar des flics et dans le sien, au passage, et c'était point mort depuis son arrestation. Pas de possibilité d'avoir de portable avec carte prépayée, sa chambre à la clinique était sous le feu des caméras 24/7 et rendait toute communication, même discrète, impossible.

Restait une dernière théorie, qu'il s'autorisait à peine à envisager. Trafalgar Law.

Prêt à faire n'importe quoi pour atteindre son objectif, lui aussi. Quitte à en venir à ce genre d'extrémité pour les affaiblir, pour mieux pénétrer leur sphère privée et en extraire tout ce qu'il pouvait pour mieux percer à jour son patient. Cette idée était aussi bonne que stupide, puisque Shanks n'avait pas besoin que Law franchisse sa garde à ce point pour être capable de se livrer sur son benjamin. Et même, cette expérience l'avait privé d'une conversation à long terme avec Sabo, la réduisant à des échanges minimums, loin des confidences que Nami avait pu lui faire.

Monet, alors ?
Aucun intérêt pour elle. Elle pouvait avoir toutes les infos nécessaires par Law.

Crocodile n'avait pas bougé, ses yeux noirs plantés dans les siens, témoin silencieux de sa lutte. Et Shanks, bien malgré lui, se surprit à se trouver un point commun avec cet homme qui n'avait eu de cesse, tout au long de sa vie, de mener le même inlassable combat : "qui était susceptible de le trahir", et "comment". Pour sûr que le parrain local avait dû accuser quelques nuits courtes, à fouiller chaque recoin de la ville pour trouver les traîtres et les faire payer ; une croisade que Shanks ne s'autorisait pas à imaginer dans son camp, déjà gangrené sous son nez sans qu'il ne puisse le voir, trop focalisé qu'il était sur les ennemis à abattre dans sa ligne de mire : des hommes comme Crocodile, pour ne citer que lui. Et comment mener, de front, une guerre contre ceux qui empoisonnaient son existence et celle des habitants dont il avait la charge, et contre ceux qui se dissimulaient parmi ses rangs ?
Il savait que Mihawk et Benn veillaient, au loin, mais ils ne pourraient jamais être présents à 100% pour empêcher toutes les catastrophes : celle du campus de SF en était une éloquente démonstration. Alors, quoi ? Ne se fier à personne, comme il l'avait sans relâche enseigné à ses enfants ? Se bâtir un mur de pierres, comme l'avait fait Luffy, pour être certain de ne jamais laisser personne l'atteindre ? La théorie était aisée, la pratique l'était moins – de par son poste, sa position, Shanks avait un besoin vital de se mêler aux autres, de s'ouvrir, de faire confiance et de déléguer ; s'il se mettait à soupçonner le monde entier de lui vouloir du mal – quand bien même cette idée n'était pas dénuée de sens ou de logique – alors il allait droit dans le mur, tant personnellement que politiquement. Il s'était renfermé sur lui-même, lors du procès et de l'imbroglio qui avait entouré cette affaire, et ceux qui voulaient lui nuire avaient trouvé la fenêtre de tir idéale, et une cible toute désignée : ses enfants. Ce pourquoi il était là, aujourd'hui, à tenter de marchander avec un des pires truands que son Etat avait pu compter, à repousser ses propres limites.

Dieu qu'il en avait voulu à cet homme, des années auparavant, quand il était encore jeune et brûlant d'un désir de justice quasi absolue ; il ne lui avait pas seulement pris un bras, ce jour-là : il lui avait volé une partie de sa belle assurance et, pire que tout à ses yeux, la possibilité d'étreindre pleinement Belmer et Sabo.
Shanks avait 21 ans, à ce moment-là, et il lui avait fallu toute sa force pour passer outre cette partie manquante de lui pour parvenir là où il en était aujourd'hui ; il avait laissé partir un peu de lui-même à chacun de ses combats, et il refusait d'abandonner maintenant, de se laisser diriger et pourrir la vie par un quelconque obstacle invisible qui viendrait se mettre sur son chemin.

- On se ressemble plus que tu ne veux bien l'admettre, Shanks, soupira Crocodile. Et malheureusement, les hommes comme toi et moi sont souvent la cible de ceux qui espèrent un jour pouvoir les égaler. C'est le prix à payer pour jouer dans la cour des grands.

- … ce n'est pas ce que je m'étais imaginé en débutant ma carrière, sourit le Gouverneur en rajustant la veste de son costume.

- Et ce n'est pas non plus ce que je m'étais imaginé pendant que je gérai mon business, rétorqua le détenu en tirant sur son col orange. On ne fait pas toujours ce qu'on veut, et on doit apprendre à composer avec ce qu'on a. Tu sais ce que dit le dicton, non… ? Dieu ne nous envoie que les épreuves que l'on est capable de surmonter.

- Tu parles à une brebis galeuse.

- Et crois-moi, quand tout le reste t'a lâché, c'est tout ce vers quoi tu peux te tourner. Et s'il y a un Dieu pour tout le monde, dis-toi que celui qui m'a épargné la peine de mort l'a aussi évitée pour ton rejeton.

L'idée d'assimiler Luffy aux magouilles de la mafia locale lui déplut, peut-être même plus que de s'imaginer être de la même veine ; mais il ne pouvait pas lui donner tort, pas plus qu'il ne pouvait nier être complètement à sec, sur cette affaire, prêt à se rendre aux avis les plus improbables, comme celui de Crocodile.

- Maintenant, si tu permets, Gouverneur…

Le prisonnier se leva, dépliant son immense silhouette dans le parloir qui sembla trop étroit pour lui, à cet instant.

Shanks se demanda, brièvement, comment Smoker avait fait pour lui mettre la main dessus, in fine, pendant l'opération Alabasta que Shanks lui-même avait chapeautée – millimétrée jusqu'à l'ultime seconde, pour être certain de mettre toutes les chances de leur côté et de ne pas laisser le moindre instant échapper à leur contrôle. Et comment Crocodile avait vécu ses derniers instants de liberté, quel parfum ils avaient eu quand il avait compris que c'était la fin. Peut-être la même sensation que celle que Luffy avait éprouvée, une fraction de ce que Shanks avait ressenti quand la porte de la villa s'était arrachée sous les coups de bélier.

- … je vais retourner d'où je viens, et tu vas faire la même chose pour aller creuser tes idées. Fais-moi signe quand tu seras prêt à me trouver un nouveau colocataire de cellule, ricana-t-il avant de raccrocher, ramenant son bras dans son dos quand résonna le grincement des verrous de la porte sécurisée, au fond du local.

Les agents s'approchèrent, menottes et chaînes à la main, et Shanks ne cilla pas en les regardant harnacher celui qui avait, fut un temps, été la pire des raclures à qui il avait eu affaire. Leurs regards restèrent plantés l'un dans l'autre pendant de longs instants, avant que la petite troupe ne s'éloigne et sorte enfin de la pièce, le laissant seul avec ses pensées et les centaines d'interrogations qui n'avaient toujours aucune réponse.

. . . . . . . . . .

Même jour.

Louisiane, près d'Ostrica. Chambre de Penguin.
17h35.

Law déroula la pochette de cuir contenant les seringues hypodermiques sous l'œil attentif de Magellan qui patientait au pied du lit, stoïque – les traitements et autres injections étaient son domaine, mais dans le cas particulier qui s'offrait à eux, à l'instant présent, il n'était question que du psychiatre et du bien-être de son patient : en l'occurrence, Penguin, livide dans ses draps immaculés. Ace se tenait dans un coin de la chambre, bras croisés, ses yeux scrutant la scène avec une inquiétude qui lui était propre ; ce n'était pas la première fois que ce scénario prenait place, à la clinique, et ce n'était certainement pas la dernière fois, mais chaque scène avait un amer goût de déjà-vu pour les autres, et d'échec pour Law.

Il décapsula le flacon que son chimiste lui tendait et, après avoir vissé la canule sur le corps de la seringue, perça l'opercule et en préleva une dose avec minutie, son regard croisant celui de ses subordonnés muets.

- Ça va aller, Pen, OK… ? murmura-t-il en coulant un regard au jeune homme étendu sur sa couche, ses yeux affolés se posant à tour de rôle sur chacune des personnes présentes avec lui, les meubles, la décoration, tout ce qui était susceptible d'accrocher son attention.

Seuls résonnaient, dans le silence de la pièce, le claquement de dents de son infirmier et sa respiration sifflante, ses doigts agrippant le bord des tissus qui le couvraient comme s'ils étaient les seuls éléments capables de le maintenir conscient de la réalité.

Shachi, assis au bord du lit, le hissa contre lui et l'obligea à sortir son bras de l'écrin protecteur de sa couverture, le dépliant vers Law qui retourna s'agenouiller au chevet de Penguin, seringue entre les dents, désinfectant le pli de son coude avec attention, sa main libre lui tenant fermement le poignet. Ses doigts moites se refermèrent sur le sien, le psychiatre releva la tête et croisa le regard terrifié de son vis-à-vis – il n'était même pas persuadé qu'il puisse le voir vraiment, à ce moment-là, mais ce qui se passait dans la tête de Penguin n'appartenait qu'à lui, à cet instant. Il passa une main qu'il voulait affectueuse dans ses cheveux humides de sueur et échangea un dernier regard avec Ace, qui quitta son poste d'observation pour les rejoindre.

Il souhaitait éviter une nouvelle crise de panique, mais il savait aussi que les chances pour que tout se passe dans le calme étaient minces, comme d'ordinaire : à en croire les halètements de son infirmier, il était déjà trop tard pour une sortie en douceur, mais ils devaient l'empêcher de se faire davantage de mal.

Ace l'entoura de ses bras et Shachi raffermit sa prise sur son bras, son autre main lui maintenant la tête, alors que ses supplications ne trouvaient aucune faille – Magellan lui saisit les chevilles quand il commença à sérieusement se débattre, envoyant oreillers et couverture voler au sol, l'armature du lit frappant le mur adjacent dans un raclement sonore ; du pouce, Law tendit la peau blafarde et piqua dans la veine, ignorant le cri d'angoisse de Penguin, injectant lentement le contenu de la seringue sans le quitter du regard. Il pressa le coton contre l'extrémité de la canule et la sortit sitôt l'injection terminée, la déposant sur la desserte près de lui avant de se rapprocher et de lui caresser la tête, dans un geste imitant celui que son père avait pour lui avant qu'il ne s'endorme, enfant terrifié par le noir qui l'entourait.

Shachi le berçait et lui murmurait à l'oreille des mots qui lui échappaient – de l'islandais, à en juger le chuchotis rauque qu'il percevait – le pli de sa bouche seul témoin des larmes qu'il semblait retenir de toutes ses forces. Ce genre de crise ne s'était pas produite depuis ce qui lui semblait être des siècles, et il détestait devoir les juguler de cette manière, mais il savait reconnaître la défaite quand elle se présentait : Penguin avait besoin de dormir, de prendre une pause sur le monde qui l'entourait et qui était devenu trop lourd à porter pour lui, et dialoguer pendant des heures n'aurait servi à rien.

Peu à peu, ses tremblements s'amenuisèrent, faisant place à des spasmes de plus en plus espacés jusqu'à disparaître, son regard vitreux rivé sur le mur du fond de la chambre, déjà loin d'eux ; son souffle ralentit, retrouvant une paix qu'il avait perdue longtemps auparavant, ramenant de nouveau le silence dans la pièce, où les quatre hommes se jaugèrent du regard. Law se redressa et aida Ace à rallonger l'infirmier dans ses draps, prenant son temps pour le border et lisser le tissu, alors que Shachi ne semblait pas disposé à vouloir le lâcher, ses yeux rouges toujours posés sur lui.

- Ton frère ira mieux demain matin, soupira le psychiatre en lui étreignant l'épaule. Tu devrais aller te poser un peu… on va prendre le relai.

- … j'ai pas pu m'occuper de lui, chuchota Shachi, la gorge serrée. J'ai pas… réussi à–

- Te flageller ne sert à rien. C'est moi qui dois le gérer, pas toi. C'est mon travail, et je ne l'ai pas fait correctement.

- Tu avais des choses à régler, à San Francisco, poursuivit l'infirmier en fermant les yeux, prenant une profonde inspiration pour calmer sa voix tremblante. Tu peux pas être toujours là à nous surveiller. Pen… Pen disait ça, ce matin. Il avait… tu sais…

Il ne parvint pas à finir sa phrase, se contenta de baisser la tête, lèvres pincées, yeux clos, ses mains frappant nerveusement la mesure sur ses bras croisés.

D'un geste entendu avec Law, Ace passa un bras sur ses épaules et l'emmena vers la sortie, loin du lit et de ce qui était susceptible de lui faire perdre le contrôle à lui aussi ; Magellan contourna le directeur de l'asile et ouvrit un autre tiroir de la desserte, cette fois remplie de cathéters et autres dispositifs d'injection – il aurait très bien pu tenter de lui poser avant de le sédater, mais Law avait jugé plus prudent et, surtout, urgent de l'endormir pour ne pas avoir à compliquer les choses.

- Je te laisse gérer, annonça-t-il en consultant sa montre. J'ai quelques détails à régler avant ce soir, si tu permets.

- C'est vous le boss, rétorqua Magellan en enfilant une paire de gants. Vous maintenez toujours la réunion ?

- Ça sera l'occasion d'informer le personnel de ce qu'il va se passer pour la semaine à venir, concéda Law en récupérant la blouse restée pendue aux patères de l'entrée pour la renfiler, ajustant son col avant de se détourner pour sortir à son tour, prenant soin de refermer derrière lui sans un bruit.

Il quitta l'aile réservée au personnel soignant pour transiter par la salle commune, empruntant couloir sur couloir pour rejoindre son bureau où le carton ramené de San Francisco l'attendait.
Il allait devoir donner le change avec les internés qui ne manqueraient pas de l'inonder de questions, surtout ceux qui avaient l'habitude d'interagir avec Penguin. Comme Shachi, ils étaient moins affectés à la surveillance du personnel qu'à la veille sécurité et aux inspections qui leur incombaient, mais cela n'allait pas empêcher les ragots et les interrogations. Son plan ne devait avoir aucune faiblesse, à commencer par ceux qui étaient chargés de maintenir l'ordre entre ces murs. Il finit par atteindre sa destination, où l'objet de son attention n'avait pas bougé, toujours posé sur le guéridon près des bibliothèques ; songer à la myriade de questions qui l'attendait, après le coucher des patients, le fatiguait d'avance, mais il n'allait pas pouvoir y couper. Shachi voudrait certainement participer, apporter ses propres éléments de réponse, et c'était son droit – de toute manière, personne n'avait de secret, ici, à commencer par le staff qui l'entourait. Tout le monde savait tout ce qu'il y avait à savoir sur les autres, qu'ils soient internés ou soignants, et ce qui s'était passé avec Penguin n'était pas si inhabituel, quand bien même ces situations présentaient un tour exceptionnel.

Il referma son bureau d'un coup de talon et prit un chemin différent, cette fois, traversant directement l'aile qui menait aux dortoirs, carton dans les bras, sous le chuintement discret des caméras qui suivaient ses pas ; il aurait tué pour une sieste, aujourd'hui, mais la quantité incroyable de travail qui l'attendait l'avait dissuadé de fermer les yeux plus de quelques secondes, de peur de s'endormir debout. Il tourna à l'angle qui menait vers l'ouest et monta une volée d'escaliers, franchissant porte sur porte, jusqu'à atteindre les derniers matricules dans le couloir éclairé par les skydomes qui le surplombaient – il croisa Teach, plus chargé encore que lui, écouteurs dans les oreilles, les bras croulant sous des piles de dossiers : ce pourquoi ils le détestaient sûrement un peu chaque jour, avec son interminable paperasse.
Les notes et théories papier étaient indispensables ; il avait beaucoup trop de choses en tête pour se permettre de perdre la moindre information, et il ne lui était pas possible de tout garder dans un coin de son crâne sans pouvoir faire du tri parmi toutes ses pensées, ses souvenirs et tout ce qu'il s'efforçait de maintenir loin de la surface. Travailler sur le cas de Penguin, cette semaine, n'était pas prévu dans son agenda, mais il n'aurait pas d'autre choix que lui trouver une place prépondérante dans son organisation.

Il s'arrêta devant la porte de Luffy, marqua un temps d'arrêt et se composa une expression sereine et détachée, loin de celle qu'il était certain d'arborer à l'instant présent et frappa, patientant jusqu'à ce que l'adolescent ne vienne lui ouvrir – à cette heure-là, il était libre de faire ce qu'il voulait, être ou sortir de sa chambre, ou même décider de ne pas le recevoir ; Law tenait à leur laisser cette possibilité, en échange de quoi ils devaient se plier à leurs rendez-vous quand le moment venait.

Il perçut des pas, le crissement de la poignée et le battant s'entrouvrit en grinçant, laissant apparaître le visage d'abord circonspect puis surpris de son patient, qui le détailla prudemment.

- Bonjour, Luffy. Je ne te dérange pas ?

- … non. Je pensais pas que vous viendriez me voir aussi vite.

- Je suis rentré cette nuit, pourtant.

- … je suis arrivé il y a une heure, marmonna-t-il en s'écartant de la porte pour l'ouvrir en grand, l'invitant à entrer.

Message reçu.
Juste ce qu'il fallait pour attiser sa propre curiosité : qui avait pris sa place, juste avant ? Dans quel but ? À quelle occasion ? Ce n'était pas vraiment le moment, pour eux, d'avoir un échange impromptu, mais Law résistait difficilement à une bonne occasion d'en savoir plus. Il entra dans la chambre et déposa le carton sur le bureau, à sa gauche, balayant l'endroit d'un coup d'œil avisé : le lit était fait, draps tendus et oreillers regonflés, tapis aligné ; le plan de travail était dégagé, les cahiers probablement rangés avec le stylo dans les tiroirs. Rien ne traînait, aux alentours, et cette rigueur quasi militaire lui évoquait Zoro et sa discipline de fer.

- Je t'ai ramené ce que tu m'as demandé, la semaine dernière.

Il plongea la main dans le carton et en sortit les boîtes de CD et les albums photo ramenés de la villa où il avait grandi, comme convenu avant son départ ; il décela, fugitive mais bien là, l'expression de satisfaction qui peignit ses traits, avant qu'il ne revienne à l'habituelle expression désintéressée qu'il arborait la plupart du temps. Il sortit la pile complète et se détourna pour aller les ranger dans la bibliothèque à sa disposition, où Law nota mentalement le changement d'organisation depuis son départ.

L'ordre de classement avait été revu, différent de celui auquel il s'était familiarisé avec l'arrivée de Luffy – les livres étaient, cette fois, classés par couleur au lieu d'être gérés par taille.

Qui avait entrepris de faire ça ? Pourquoi ? À quel moment ?

- Nami m'a donné d'autres vêtements pour toi, et Sabo m'a conseillé de trouver quelques lectures pour Zoro. Je pense avoir pris les bons livres, dans vos bibliothèques, mais ce sera à lui de me dire si ça lui convient ou pas.

- Sabo va bien ?

- Etrangement résistant, au vu de ce qu'il s'est passé, concéda Law en s'installant sur la chaise à sa disposition, Luffy se hissant sur le bord de la fenêtre pour s'asseoir à son tour. J'ai connu des gens moins en forme pour moins que ça. Il pourra sortir de la clinique d'ici trois semaines, mais tu as le droit de l'appeler quand tu veux. Vu avec Ace.

- … c'est sympa, marmonna le jeune homme en croisant les chevilles, balançant ses pieds au gré de son envie.

- Je ne fais rien d'autre que mon travail. Si tu déprimes ici au point d'avoir envie d'en finir, nous n'arriverons jamais à rien.

- Faut pas vous en faire pour ça, soupira-t-il en lui coulant un regard las. C'est pas comme si c'était possible.

- On a tous des hauts et des bas. Et des pensées pas toujours très constructives, peu importe qu'on les mette à exécution ou non.

- Je peux pas me suicider, précisa Luffy en se redressant pour s'adosser au vitrage tiédi par le soleil en déclin. C'est pas faute d'avoir essayé. … ils me laissent pas faire.

Cette donnée-là lui était totalement inconnue.
Tant sur le fait que Luffy ait déjà tenté d'en finir que le fait que les personnalités soient capables de l'en empêcher. Il n'aurait jamais imaginé que le fils de Shanks en soit réduit à une telle extrémité, lui et son éternel optimisme à en croire les membres de son entourage, malgré l'ombre de Kid.

- Tu veux m'en dire plus ?

- J'ai pas grand-chose à dire à ce sujet. Je perds le contrôle, quand j'essaye quoi que ce soit. C'est… comme ça depuis toujours.

- Shanks est au courant ?

- Vous pensez bien que non. Il aurait pas supporté. C'est pas un sujet sur lequel il est très ouvert…

- Il n'aurait pas mieux supporté ta mort, tu sais ?

- … hé bien, si j'avais réussi mon coup, je n'aurais plus été là pour voir ça, murmura Luffy en fixant ses pieds, mélancolique.

Excellente réponse.

Exactement l'argument qu'Ace lui sortait à chacune de ses rechutes et qu'il s'efforçait de démonter avec patience, sans relâche, mais qu'il ne pourrait jamais vraiment lui faire surmonter. Il y avait des choses contre lesquelles même Law ne pouvait rien, et l'idée d'en finir une bonne fois pour toute était si imprévisible chez les individus qu'il traitait qu'il lui était impossible de toutes les anticiper et de les chasser à temps. Il avait le contrôle, ici, dans les murs de la clinique, mais pas au niveau qu'il l'aurait souhaité il y avait des années de ça, en créant tout lui-même.

- Qui te retient ?

- Kid. Sans surprise, hein ? Il avait des projets… et trop envie de les voir se concrétiser pour risquer de me laisser mourir.

- Tu y penses encore, depuis ton arrivée ici ? s'enquit le psychiatre en croisant les bras, s'adossant pleinement à la chaise.

- … tous les jours, confessa-t-il en affrontant son regard. Vous y penseriez pas, vous, à ma place ?

- Oh, si. Et c'est pour ça que je ne peux pas te blâmer. Personne ici n'est apte à te juger pour ça.

Luffy esquissa un sourire en coin et laissa son regard dériver sur ce qui l'entourait, s'attardant sur ce que Law lui avait rapporté ; il se demanda si le psychiatre avait sélectionné seul les albums à lui ramener, si Nami l'avait aidé à choisir ou s'il n'avait pas eu son mot à dire. La connaissant, elle avait certainement pris les devants, certainement pour s'assurer qu'il lui ramènerait ce qu'il préférait – elle avait toujours su quoi faire pour le maintenir debout et le pousser à continuer, d'une manière bien différente de celle de son frère ; Sabo était la voie directe, celle qui ne prenait pas de pincette et qui le relevait par le col, s'il le fallait : le coup de pied aux fesses dont il avait souvent eu besoin, ces dernières années. Shanks était le soutien sans limite, plus réservé que son aîné, mais non moins présent. Nami était ce côté plus doux, plus chaleureux, qui avait su le mettre en confiance dès les premières secondes de leur rencontre, à l'aéroport de San Francisco ; le souvenir était lointain mais bien ancré dans un coin de son crâne. Du plus loin que remontait sa mémoire, c'était peut-être même elle la première à l'avoir étreint avec ce qui ressemblait déjà à de l'amour fraternel.

Avec Shanks, ils venaient d'essuyer 22 heures de vol depuis Rio de Janeiro, et une sensation qu'il était incapable d'expliquer à son jeune âge lui collait à la peau : la longueur du voyage, le siège devenu inconfortable auprès plusieurs heures d'assise forcée, la nausée causée par sa toute première excursion en avion… et une pointe de mal-être, à avoir vu les paysages changer et défiler à la vitre, avec la certitude d'avoir quitté tout ce qui lui était familier, quand bien même ses premières années de vie avaient été tout sauf reluisantes. Les couloirs de l'aéroport lui avaient semblé interminables, la langue de toutes les personnes qui l'entouraient incompréhensible – des papiers, des papiers et encore des papiers. Des questions, des regards interrogateurs, l'exaspération palpable de Shanks, jusqu'à l'arrivée dans le hall principal et ses baies vitrées qui l'inondaient de lumière. Ils avaient marché de longs instants, laissant les guichets d'enregistrement derrière eux pour arpenter les zones d'attente, jusqu'à parvenir à Sabo et Nami qui se tenaient sur la pointe des pieds, cherchant leur présence à travers la foule. Sabo était déjà adolescent, grand pour ses quatorze ans, là où Nami n'avait qu'une dizaine d'années ; il se rappelait avec une netteté incroyable que ses longs cheveux roux, flamboyants dans la lumière du soleil, l'avaient fasciné – il avait tendu la main pour les toucher et elle s'était laissée faire en souriant, avant de prendre sa main dans la sienne et de se lancer dans de longues tirades dont il n'avait pas compris un traître mot. Il avait passé tout le trajet jusqu'à la villa avec ses doigts entrelacés aux siens, ses yeux rivés sur elle, oublieux du reste.

Encore aujourd'hui, il était incapable de comprendre ce qu'il s'était passé dans sa tête d'enfant, à ce moment-là, pourquoi il s'était autant accroché à elle, mais il supposait que ce n'était qu'une question de feeling ; il y avait des personnes avec qui il était facile de s'entendre, de s'accorder, et Nami avait été cette bouée dans la mer agitée.

- … à quoi tu penses ? s'enquit Law depuis la chaise d'où il n'avait pas bougé, le coupant dans ses pensées.

- Nami. Mon arrivée à San Francisco.

- Elle m'a beaucoup aidé, pendant mon séjour à la villa.

- … de son plein gré… ? sourit Luffy en haussant le sourcil.

- Disons qu'elle a mis de l'eau dans son vin. Pour ton bien. Elle a su faire la part des choses.

- Et… ce que vous avez appris… ça vous convient ?

- C'était… court, mais instructif, chuchota Law en jouant avec les pressions de sa blouse. Mais nous verrons ça un peu plus tard.

- … j'imagine que je vais pas y couper.

Law ouvrit la bouche, prêt à lui renvoyer la balle, mais le toc discret à la porte qui résonna dans la pièce le coupa dans son élan ; la voix de Kaya annonça que le dîner était bientôt prêt, et Luffy se laissa glisser de son poste pour traverser sa chambre, mains dans les poches, jetant un dernier regard au psychiatre par-dessus son épaule en marquant une halte dans l'encadrement de la porte. Il désigna ses nouvelles affaires d'un geste du menton, hésita un instant et lui murmura un « Merci » avant de se détourner et de quitter la pièce – c'était mieux que rien, surtout quand Law le premier savait que son patient allait détester les prochaines conversations à venir ; parce qu'il avait trouvé ce qui lui avait échappé, jusqu'ici, et que Luffy escomptait peut-être garder caché encore un peu plus.

A la différence près que rien n'échappait jamais à Law, au fin fond de ces marais.

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Réponse Anons :

Potichat : Bonjour ! Je suis contente de savoir que les histoires t'ont plu ;) les citations c'est 50% internet, 50% bouquins persos ! Oh, tu sais, les personnalités multiples n'ont pas 50.000 possibilités d'apparition, en général, ça reste très lié à des évènements en effet, mais la fiction répondra toute seule à ces questions, haha. J'espère que la suite te plaira, merci encore pour tous ces compliments ! A très bientôt !

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A très vite ! Bonnes fêtes de fin d'année, prenez soin de vous !