Ohayo mina !

Merci beaucoup pour l'accueil du dernier chapitre malgré le sujet un peu délicat, j'ai l'impression qu'il vous a bien bottés et que la descente dans la tête de Luffy vous plaît...
On va aller encore un peu plus loin pour le développement des personnages annexes de l'asile et des infos à leur sujet, j'espère que vous accrocherez. Ah, et j'ai relu ce chapitre je ne sais pas combien de fois (scindé en 3 parties), alors je me connais : il va y avoir de la coquille x) N'hésitez pas à me les signaler !

Avec un peu d'avance, je vous souhaite un Joyeux Noël, de belles fêtes de fin d'année (mollo sur la bûche hein *tousse*), prenez soin de vous, profitez de cette lecture et...

Enjoy it !


Chapitre 32 :

Jour 71. Questions.

Louisiane, près d'Ostrica. Salle de sport.
04h30 du matin.

- Attends… quoi ?

Haletant, Law détourna le regard de la baie vitrée ouvrant sur la nuit qui avalait toujours l'asile, à cette heure-ci, pour affronter le regard mortifié de son adjoint.

Dire que c'était une surprise était un euphémisme – de par son parcours initial, Ace n'était pas celui qui pouvait se targuer d'être le plus à cheval sur le respect des droits humains, mais il avait de toute évidence sous-estimé sa capacité à garder la tête froide à n'importe quel moment.

- Shanks a confirmé, souffla le psychiatre en tirant sur son tee-shirt pour essuyer son visage trempé de sueur.

Ace se laissa descendre de son perchoir, visiblement trop remué pour poursuivre la longue série de tractions à laquelle il s'adonnait au gré de leur conversation avec une facilité qui déconcertait souvent le directeur de l'asile, quand bien même il savait exactement où étaient les limites physiques de ses employés.
Law savait, peu ou prou, ce que les hommes de l'unité de son bras droit avaient pu endurer, et lui avec ; ce qu'il avait pu voir, entendre, même infliger. Et pourtant, il y avait toujours cette lueur, cette étincelle d'humanité, qui surgissait aux moments les plus inattendus, l'obligeant à remettre en question ce qu'il savait de ceux qui l'entouraient.

Il descendit de son tapis de course pour aller s'asseoir sur le banc le plus proche, sentant le sang rugir à ses tempes et son cœur battre une chamade effrénée contre ses côtes encore sensibles. Ce constat le ramena des années en arrière, quand il fumait et buvait beaucoup trop pour son âge et que les cours d'éducation physique étaient le trou dans la raquette de sa scolarité.

- … je t'imaginais pas aussi sensible à la cause.

- Genre ça te fait rien.

- Si tu veux tout savoir, ça me file la gerbe, répliqua Law en ignorant la douleur quasi foudroyante dans son flanc pour tendre le bras et saisir sa gourde, en avalant une longue rasade en réprimant une grimace. Mais je ne t'aurais pas… prêté une réaction comme celle-là.

- … mec, on parle de viol d'enfant. Excuse-moi de pas être super réceptif.

Le psychiatre salua sa remarque d'un geste de la main, inspira profondément et serra les dents, sous le regard alerte de son partenaire qui le rejoignit pour observer sa plaie et le toiser avec circonspection, les détournant tous deux du sujet délicat qu'ils prenaient tous deux avec des pincettes, à cet instant.

- Ça fait presque un mois, marmonna Law en frappant la main qui s'approchait de la plaie fraîchement cicatrisée. Lâche-moi la grappe, Portgas.

- … Marco est d'accord avec le fait que tu reprennes le sport ?

- Marco est d'accord avec le fait que je l'emmerde. Fin de la discussion.

Il perçut le marmonnement dans son dos, le son guttural de ce qu'il interpréta comme du russe et comme, a fortiori, un chapelet d'insultes qui n'avaient peut-être aucun équivalent anglais. Il se contenta de lui présenter son majeur et de reposer sa gourde, retournant à son tapis et son enfer personnel, à en juger la brûlure de ses muscles et de ses articulations.
C'était la seule manière qu'il avait d'évacuer, de façon plus ou moins saine, le malaise qui subsistait depuis sa conversation avec Zoro, plus encore avec celle de Shanks ; il se sentait coincé, piégé par ses principes, son travail, son obligation personnelle de résultat et l'aveu qu'il devait se faire, celui d'hésiter à aborder ce sujet avec son patient.

Dans ce qu'il appelait ses vies précédentes, quand son diplôme accroché au mur lui avait donné une première clientèle sur laquelle se faire les dents avant de se lancer dans l'aventure irréaliste qu'était l'asile, il avait vu défiler un nombre incalculable d'êtres brisés aux histoires sordides qu'il avait toujours écoutées d'une oreille attentive mais dont il s'était toujours détaché avec un soin tout particulier, le même que mettait Monet dans tout ce qu'elle faisait.
Jusqu'à la veille, où il avait happé un des nombreux détails qui jalonnaient la vie de Luffy ; il tentait encore de s'expliquer pourquoi il avait… autant de mal avec cette histoire. Avec ce qu'elle sous-entendait.

Peut-être parce qu'elle arborait de minuscules corrélations avec la sienne, sur un certain plan : se retrouver propulsé trop vite dans un monde dont il n'avait jamais voulu. Cette pensée le ramena à son enfance, à sa mère, aux souvenirs douloureux qui y étaient associés, au fait qu'il avait tant souhaité ne jamais avoir à les vivre.
Partir en Angleterre avait été son salut, sa manière de prendre du recul et de faire le deuil de sa mère – qu'il n'avait jamais vraiment terminé, en fin de compte. Peut-être aussi la seule option de sortie dont il disposait, à son âge. La discussion avec son père avait été houleuse, lui tenir tête du haut de ses douze ans avait été un véritable enfer, et ravaler le nœud dans sa gorge à l'aéroport pire encore. Il n'était pas question de couper les ponts, mais il était conscient que cette décision l'avait éloigné de tout ce qu'il avait. Doflamingo avait parfaitement compris dans quelle voie il s'engageait et avait cessé de lui rabâcher les mêmes arguments en l'amenant à son avion pour Londres ; un aller simple dans une solitude la plus complète, a contrario de Luffy qui avait fait sa vie dans l'ombre des alters qui l'entouraient.

Law s'était forgé sa propre carapace, passant outre les remarques sur son âge, les railleries qu'il avait pu entendre tout au long de son parcours, jusqu'à même refuser l'entrée à celle qui s'était pourtant le plus rapproché du statut de petite-amie, Monet. Lui et Luffy s'étaient fondus dans la masse, chacun menant sa barque avec des intentions différentes mais un chemin similaire malgré eux.
Longtemps, le psychiatre avait été douloureusement conscient que rien ni personne ne pourrait jamais le ramener en arrière, effacer ce qu'il avait vu et entendu, là où Luffy avait trouvé sa seule échappatoire ; une position que Law n'aurait voulu pour rien au monde, mais qu'il se surprenait à lui envier, parfois, quand ses souvenirs pesaient trop lourd à l'arrière de son crâne.

Force était d'admettre qu'ils avaient des points communs, qu'aucun ne pouvait nier voir un peu de lui-même en l'autre ; et c'était peut-être pour cette raison que Law hésitait à lui faire part de ce qu'il savait, parce qu'il était bien placé pour savoir que toutes les vérités étaient peut-être bonnes à dire mais pas forcément à entendre.

- Je peux avoir tes lumières ?

- Te gêne pas.

- Comment est-ce qu'ils s'y prenaient, à ton avis ?

- … je te suis pas, là.

- Pour Luffy. Au-delà de la contrainte… ça hurle, un gosse, et à sa place je me serais arraché les poumons à force de m'égosiller. Je peux pas spécialement croire que le voisinage était sourd à ce qui se passait, surtout quand ils ont été raflés.

- Facile. Ils l'ont drogué.

Ace n'eut pas besoin de regarder en direction du psychiatre pour savoir que ses yeux étaient rivés sur lui ; Law voulait ses lumières, il les avait.
Il avait eu des années pour s'entraîner à intervenir dans le feutré, à extraire ce qu'il voulait entendre de quelqu'un à tout prix sans un bruit, avec ou sans perte selon ce que ses supérieurs lui ordonnaient de faire ; des années de découvertes, de pratiques jusqu'à l'aisance, qui avaient fait de lui ce qu'il était à présent et qui servait les desseins de Law – pour une cause moins grande mais qui, dans son sillage, lui avait accordé une paix qu'il n'avait plus eue depuis longtemps.

Hissant les poids restés au sol pour les ranger sur l'étagère, il laissa le silence s'étirer entre eux, habitué de ces instants où ni l'un ni l'autre n'échangeait le moindre mot ; c'était de cette manière qu'avait débuté leur relation, plus d'une décennie auparavant, par un jeu de regards muets dans un amphithéâtre bondé, à Moscou.

- Ça expliquerait beaucoup de choses, c'est certain…

- Tu devrais voir ça avec Magellan. Je sais pas avec quoi il a bossé, mais il t'en dira plus que moi sur le sujet. C'est pas que j'étais pas bon en chimie, mais on travaillait avec de la dope un peu particulière.

- … vous avez une passion débordante pour les poisons, en Russie, non… ? sourit Law en haussant le sourcil.

- Et si t'allais te faire foutre, marmonna Ace en lui tournant le dos, vexé, sentant ses oreilles s'embraser.

C'était sa corde sensible, celle que tout le monde adorait triturer pour voir jusqu'où il était susceptible de tenir avant de littéralement péter un plomb – il détestait les sous-entendus qui insinuaient qu'il était trop lâche pour s'attaquer de front à quelqu'un et qu'il n'avait que pour seule capacité celle d'empoisonner ses cibles et d'attendre que le temps fasse son œuvre. Ce n'était pas son style de prédilection, préférant de loin les infiltrations et le corps-à-corps dans lesquels il excellait, mais cette réputation leur collait aux baskets peu importe les idées qu'il pouvait défendre.

Law lui frappa l'épaule dans un geste de vague excuse, récupéra sa serviette et son sac, coupant l'alimentation du tapis avant de sortir de la pièce, traversant le couloir désert, badgeant à l'entrée de l'aile qui desservait les sanitaires en faisant signe à la caméra – son biper grésilla, dans sa poche, la voix de Shachi lui souhaitant de glisser sur le carrelage et de se briser la nuque, lui confirmant qui était derrière les écrans à cette heure-ci. Réprimant un sourire, il s'engouffra dans la pièce et suspendit ses affaires aux patères les plus proches, passant derrière la paroi vitrée pour se déshabiller, évitant du regard les miroirs suspendus au-dessus des lavabos pour rejoindre le jet le plus loin des réflexions et ouvrir le robinet, projetant une giclée de vapeur dans l'air frais.

Il se rappela le temps anglais maussade, du brouillard à couper au couteau semblable à celui que Luffy devait avoir connu à San Francisco, du froid glaçant dans les couloirs de la vieille université, des douches brûlantes sous lesquelles il se réfugiait au pensionnat – il ferma les yeux, se glissa sous le torrent et tendit le bras pour récupérer à tâtons son shampoing et se frictionner les cheveux, plongé dans ses souvenirs, tressaillant en entendant la porte des douches claquer sur sa droite. Il entendit le ricanement d'Ace, lui adressa son majeur à l'aveugle, les yeux inondés de savon, ignora le rire franc qu'il reçut comme réponse et se focalisa sur ses ablutions, tournant le dos à son adjoint.

À cette heure-ci, Luffy dormait profondément, l'amenant immanquablement à se demander qui des quatre serait aux commandes le lendemain matin, ce qui en découlerait et les explications qu'il aurait à donner – il doutait fortement que Kid ou Nojiko ne soit des leurs, l'amenant une nouvelle fois à se demander ce que donnerait une sortie franche de la quatrième personnalité, et comment il serait amené à l'exploiter dans l'avenir. Il n'était pas certain de sa coopération, à en juger sa furtivité et l'imitation troublante de la personnalité de Luffy – avec ses défauts, à en croire le récit d'Ace, mais juste ce qu'il fallait pour les berner.

Il se massa le cou, étira sa nuque raide, les rouages de son cerveau tournant à mille à l'heure.

Il avait beaucoup trop de choses en tête, de sa conversation avec Ace en passant par la réaction de Zoro, sa discussion avec Shanks, garder un œil sur Bonney et Penguin, ses rendez-vous de la journée… Le soleil n'était même pas encore levé qu'il avait déjà un boulot monstre à abattre et peu de temps libre pour les imprévus de la veille.

Avant tout le reste, aller voir Magellan pour corroborer l'hypothèse de son adjoint ; il pariait qu'il était réveillé, à cette heure-ci, déjà à s'affairer à la préparation des distributions de médicaments pour la journée à venir et à recharger les pistolets paralysants dont la formule était officiellement au point. Il s'accorda une poignée de secondes supplémentaires sous le jet d'eau et coupa les robinets, récupérant sa serviette pour se frotter énergiquement, sortant ses vêtements propres pour s'habiller en quatrième vitesse, passant ses doigts dans ses cheveux pour les démêler et tenter d'en faire quelque chose de concret avant de fourrer ses affaires dans son sac qu'il chargea sur son dos, laissant Ace seul dans les douches – il ne lui en voudrait pas, habitué à le voir fuir ces moments de proximité physique.

Il traversa l'aile, dévala les volées de marches jusqu'au couloir principal de l'asile et ses baies vitrées plongées dans le noir, qu'il remonta en laissant l'entrée derrière lui, contournant l'escalier principal pour atteindre la porte du fond, à laquelle il frappa en attendant patiemment que son chimiste vienne lui ouvrir ; comme d'habitude, il n'obtint aucune réponse dans la minute qui suivit et se résolut à entrer sans s'embarrasser d'un autre avertissement – Magellan était là, penché sur son microscope, plongé dans une semi-obscurité seulement troublée par l'éclat de la lumière noire qui rayonnait dans chaque néon de la pièce.

- Salut, boss, marmonna l'intéressé sans décoller de ses lentilles.

- Qu'est-ce qui m'a démasqué ?

- Votre parfum.

- … je n'en porte pas.

- Vous sentez la menthe poivrée. Genre le Ricqlès. Vous savez, le truc qu'on coule sur un sucre pour donner aux gosses qui ont la gerbe–

- Je visualise, merci, soupira le psychiatre en s'approchant de la paillasse de son subordonné.

Il tira une chaise à lui et y prit place, attirant l'attention de Magellan qui redressa la tête et lorgna dans sa direction, reposant sa pipette dans son portant, retirant ses gants qu'il replia soigneusement près de son matériel. Law ignorait depuis combien de temps est-ce qu'il avait les yeux collés à son microscope, sûrement de longues minutes à en juger les rigoles rondes autour de ses yeux ridés et cernés.

- J'ai besoin de ton aide.

- Tout c'que vous voulez.

- Projette-toi quinze ans en arrière. Tu dois shooter quelqu'un–

- … shooter ? argua le chimiste en pointant deux doigts sur sa tempe, mimant une arme à feu.

Il avait envie de rire – sûrement la fatigue – mais ne s'autorisa pas cet écart de conduite ; Magellan était du genre à tout prendre au premier degré, avec un humour totalement relatif que personne ne se risquait à éprouver à l'asile.

- Non. Le droguer. Juste ce qu'il faut pour t'éviter des ennuis ou te faire remarquer, mais pas assez pour complètement l'endormir. Il faut qu'il reste conscient.

Magellan haussa les sourcils et leva les yeux au plafond, bras croisés, se frottant lentement la barbe, prenant le temps de répondre ; un autre trait de sa personnalité, la force tranquille que rien ne semblait perturber, à laquelle Law avait dû s'habituer. Etait-ce sa nature, ou la conséquence de tout ce qu'il avait ingéré passivement ou activement au cours de son existence passée enfermé sous terre, dans des labos reclus du monde extérieur ? Impossible de savoir.

- Ben… on exclut les stimulants. On peut aller sur des dépresseurs, type héroïne, GHB…

- Quels effets ?

- Ça dépend du gars. L'héro c'est plutôt précis, joie, calme, peut-être un côté extatique, mais ça fout surtout la nausée, on transpire comme un p–

- Et le GHB ? le coupa Law dans sa diatribe.

- C'est plus large. Genre désinhibition, détente, le type est relax, un peu au ralenti. Somnolent. Ça désoriente pas mal, c'est pour ça que des mecs en foutent dans le verre des nanas.

C'était un classique, mais Law était certain que ce n'était pas ce qu'il cherchait à cet instant ; il lui fallait quelque chose de plus insidieux, de plus impactant sur le plan neurologique.

- D'autres idées ?

- Mmn. Il reste les perturbateurs, tout ce qui regroupe champi, LSD, kétamine...

- … parle-moi de la kétamine.

- Ça fait effet plus ou moins rapidement, ça dépend de la manière dont c'est pris. C'est assez éphémère.

- Dix minutes ? Une heure ? Plus ?

- Ouais, une heure, dans ces eaux-là. C'est plutôt de la saloperie parce qu'elle dissocie le corps et l'esprit.

Law porta une main à sa poche, cherchant par instinct son carnet, ne trouva que du vide ; Magellan ouvrit son tiroir, attrapa un calepin et un crayon et les lui tendit d'un regard entendu. Il le remercia et prit des notes, la mine crissant dans la pièce déjà troublée par les bruits des sorbonnes au fond du laboratoire et des chauffe-ballons, une atmosphère similaire à celle dans laquelle il avait trouvé Bonney, des années auparavant.

- À coup sûr ?

- Quasi. Ça sédate complet, j'en ai dans le petit cocktail que j'ai dû utiliser pour le dernier arrivé… Luffy. Et ça rend insensible à la douleur, ça bousille le système urinaire… Si c'est pris régulièrement, c'est vraiment de la merde.

Il tenait peut-être le bon candidat, dans sa recherche d'un coupable pour l'état de Luffy ; il ne voulait pas se précipiter ou tirer de conclusions hâtives, mais tout tendait vers cette solution – qui ne réglait qu'une partie du problème.

- Je suppose que si quelqu'un y a été soumis pendant un certain temps, il est proscris de l'y soumettre à nouveau… ?

- Vous voulez que je change la compo du cocktail ? souligna Magellan en désignant ses fioles d'un geste du menton.

- Si tu y consens.

- Pas de problème, considérez que j'suis déjà dessus.

La porte du fond s'ouvrit sur Ace, qui ne sembla pas surpris de voir son supérieur dans le laboratoire – fait certainement lié à leur précédente conversation, l'infirmier sachant pertinemment que Law ne pouvait pas résister à un flot d'informations supplémentaires – et slaloma entre les paillasses pour les rejoindre, Magellan lui désignant la pendule avec un air hébété.

- Sérieux, mec, t'es à la bourre…

- Je suis à l'heure, elle est bloquée à 07h depuis deux jours, crétin, marmonna Ace en enfilant une paire de gants pour récupérer les piluliers et les empiler sur la desserte vide la plus proche. Tu sors jamais de ta grotte ?

- … tu rigoles ?

- Il est bientôt cinq heures et demi, toussota Law sans détourner le regard de ses notes.

Il était maintenant certain que les fumées de Crystal avaient complètement grillé certaines fonctions neuronales de son équipier, mais il se garda de faire la moindre réflexion ; Shachi et Penguin étaient les exemples parfaits de l'abus de substances en tous genres, avec son lot de conséquences, mais sans impact réel et sérieux sur leurs performances professionnelles.

Ignorant la joute verbale entre ses deux subordonnés, il se plongea dans la relecture de ses graffitis – illisibles, d'après Lami – et repassa ses théories ; l'usage de kétamine expliquait largement l'apparition de Zoro, mais celle de Kid était antérieure à cette période. Il avait encore une autre piste à explorer, mais cette option ne l'emmènerait peut-être pas sur la même conclusion, de la même manière que celle de Nojiko ne semblait pas déboucher sur une prise de stupéfiants – point à vérifier, puisque sa mémoire lui rappelait sa conversation avec Nami et Sabo, quelques semaines auparavant : Kid était le premier volontaire pour abuser de ce genre de substances. Il ignorait si, dans leur jeu de cache-cache dans la tête de son patient, les personnalités avaient moyen de se dissocier de ces excès, ou s'ils les subissaient sans être dans la « lumière » ; si Kid, en se dopant, avait préparé le terrain malgré lui, les effets ressentis par Luffy à son réveil avaient pu former le cocktail idéal pour générer une quatrième personnalité. Mais cette hypothèse restait à prouver, notamment en parvenant à faire sortir Kid de sa coquille nocturne dans laquelle il se complaisait.

Soit en le provoquant, soit en demandant à Luffy de coopérer, ce qui ne risquait pas d'arriver pour le moment – surtout si Zoro était toujours aux commandes.

.

. . . . . . . . .

Jour 74.

Marina District, San Francisco, Californie.
23h45.

Shanks en était à sa dixième relecture du projet de loi validé par les assemblées du Congrès quand la sonnerie de son téléphone personnel crypté brisa le silence de son bureau – il lorgna la pendule, jeta un regard vers la porte qui était résolument fermée et décrocha, portant le combiné à son oreille pour le caler d'un haussement d'épaule.

- J'écoute.

- Shanks ? C'est moi, annonça la voix de Benn à l'autre bout du fil. Je te dérange pas ?

- Il est bientôt minuit mais non, tu me gênes pas.

- Il est quasiment trois heures du matin au bureau, alors te plains pas, railla son aîné. Et je suis sûr que t'étais en train de bosser, que ça te saoulait et que t'es bien content d'avoir une excuse pour–

- OK, c'est bon, démasqué. Abrège, grogna le Gouverneur en refermant sa pochette, tirant son ordinateur à lui.

- Ta ligne est sûre ?

- Tu peux te faire plaisir.

Cette question avait toujours le don de l'agacer, surtout après ses multiples années de service au sein de l'état de Californie, mais c'était un mal nécessaire pour le genre de conversations à venir. Law lui-même prenait toujours le soin de couvrir ses appels, certainement par déformation personnelle après avoir passé des années auprès de Doflamingo.

Benn, en tant que directeur de la CIA, avait mieux à faire que devoir courir après des enregistrements compromettants qui se baladeraient dans la nature, risquant sa place, sa tête et celles de tous ceux qui pouvaient l'entourer.

- J'ai bossé sur le fils de Doflamingo. Et surtout, sur ceux qui participent à sa petite sauterie Louisianaise, histoire que tu en saches un peu plus sur le lieu.

- Tu as trouvé ce que tu cherchais ?

- Pas sur tout le monde, mais assez pour savoir que Trafalgar Law ne fait pas dans la demi-mesure.

Shanks était loin d'être surpris, mais il se demandait ce qui pouvait motiver son frère à l'appeler aussi tard – soit parce que le motif était urgent, soit parce qu'il requérait une solitude complète pour parler librement. Pour peu que ce travail soit fait en-dehors de ses heures de boulot.

- Tourne pas autour du pot, balance, exigea Shanks en se rapprochant de son bureau, prêt à prendre ses notes personnelles.

- Il a deux inséparables, Shachi et Penguin, des islandais de Reykjavik. Le deuxième est plutôt clean mais le premier est resté fiché pendant quatorze balais en tête de liste des délinquants sexuels.

- … tu te payes ma tête.

- J'aimerais. Il était mineur quand il est arrivé sur le tableau d'honneur, ses données ont été effacées il y a trois ans, sur sa demande. Pour sûr que la garantie de le voir à l'asile sous suivi a dû aider le procureur local à passer l'éponge…

Cette information laissait le Gouverneur perplexe, provoquait même une certaine ambivalence chez lui : deux parties de lui qui se disputaient l'argument final ; la première, qui se révoltait et trouvait totalement absurde qu'un type comme ça se retrouve entouré de personnes aussi vulnérables que celles que l'on pouvait trouver dans un asile psychiatrique – et la seconde, qui savait que personne n'avait les mains propres, et que le garçon en question était emprisonné pour le reste de sa vie, là où certains s'en sortaient pour bien pire que ça.

- … continue.

- Dans le genre facile à trouver mais sur laquelle je n'ai rien à signaler, c'est Jewelry Bonney.

- Connais pas.

- Elle est docteure en génétique. Elle a complètement arrêté ses recherches pour partir là-bas après une visite de Trafalgar à Exeter. Sa lettre de démission est toujours dans le bureau du doyen, rien de probant là-dedans. Pas de vrai motif mais il doit forcément y en avoir un.

- La suite… ?

- Magellan, mais c'est un nom d'emprunt. J'ai pas encore mis la main sur son état civil mais il a fait ses classes à Medellín. Il se fait discret en 93, après le démantèlement du cartel, et il refait surface à Matamoros où il concocte de la meth et d'autres trucs difficilement identifiables pour les néerlandais, avant que son boss actuel ne lui mette la main dessus et ne l'embarque pour la Louisiane.

- Avec un colombien travaillant pour des mexicains ? Ils ont dû se marrer, à l'immigration.

- Il n'a pas l'air de galérer plus que ça avec l'administration, ce gamin doit avoir des contacts partout, il peut dire merci à papa.

- Le gamin tire sur la quarantaine, tu sais… ? sourit Shanks en faisant tourner son crayon entre ses doigts. Et je sais aussi que tu n'aimes pas beaucoup Doflamingo.

- Me parle pas de lui. Et j'ai des tuyaux sur Marshall D. Teach, qui travaille aussi pour lui depuis moins de deux ans. C'est le dernier arrivé de la bande à Picsou.

- Comme… ?

- Contrebande, sur à peu près n'importe quelle marchandise du moment que tu mets le prix, mais sa spécialité c'était le trafic d'êtres humains.

- T'es sérieux ?

- Comme d'habitude.

L'icône de sa messagerie se manifesta sur son écran au moment où Benn lui conseilla de consulter ses mails tout en lui faisant promettre de détruire ce qu'il verrait, condition à laquelle il consentit d'un soupir las, habitué à ces manœuvres depuis longtemps.

- On passe à mon préféré, si tu veux bien.

- Tu passes ta vie à me rabâcher que je suis imprudent, et toi tu m'envoies des pièces confidentielles par mail ?

- Tu connais déjà le mot de passe pour les fichiers, rétorqua son aîné sans se démonter le moins du monde.

Maugréant pour lui-même, Shanks cala le téléphone entre sa tête et son épaule et, de sa main libre, rouvrit son ordinateur pour s'exécuter de mauvaise grâce. Benn ne pipait pas un mot, à l'autre bout de la ligne, mais Shanks était prêt à mettre un billet sur la présence de son sourire étiré d'une oreille à l'autre – toujours prompt à l'ennuyer, malgré les décennies qui les séparaient de leur enfance.

- Je te présente Portgas D. Ace, annonça le directeur de la CIA après une séquence de cliquetis de souris. Trente-six ans, adjoint direct de Trafalgar Law, diplômé de l'université de Moscou. Il a intégré ses fonctions quelques mois avant Jewelry Bonney.

- Avant ça… ?

- Membre des Spetsnaz pendant huit ans, affecté au GRU.

- … GRU ?

- La Direction générale des renseignements. Je n'ai rien obtenu qui soit officiel de la part du Kremlin, mais je mentirais si je disais que j'étais surpris.

- Et de manière officieuse… ? avança le Gouverneur en faisant défiler les photographies.

Il avait vu ce visage-là à la clinique ; gabarit moyen mais robuste, les traits figés dans une expression illisible alors qu'il les surplombait depuis les hauteurs de la mezzanine. C'était celui qui collait Luffy comme son ombre et qui était chargé de le garder à sa place, sûrement coûte que coûte.
Les clichés étaient pris à la volée, sur des scènes difficilement identifiables, dans des décors inconnus de Shanks qui les supposait du Moyen-Orient ; Ace y était immortalisé sur un papier glacé, cigarette au coin des lèvres, assis sur le capot d'un 4x4 Lincoln blindé, fusil d'assaut sur les genoux – reconnaissable malgré la poussière qui maculait sa combinaison, les lunettes noires qu'il portait et ses cheveux relevés.

- Il est créatif pour les exécutions. Propres ou sales, ça dépend de la manière de lui demander. Il ferait un très bon employé chez nous, si tu saisis le sous-entendu.

- Je saisis, marmonna Shanks en scrollant les pages de rapports dont 90% était surligné de noir. Dangereux ?

- Mortellement. Tu peux le considérer comme une éminence grise.

- C'est Law qui tire les ficelles.

- Peut-être, mais il s'appuie beaucoup sur Portgas. Ce type-là est à garder à l'œil, c'est peut-être le pire qu'il puisse y avoir entre ces murs.

- Pire que Kid ?

- Cent fois. Et s'il est là-bas, c'est pas par simple compétence ou parce qu'il a un TOC. Et tu sais c'est quoi le meilleur ? Il est officiellement décédé en pleine mission anti-terroriste en Tchétchénie le 07 mars 2010.

- … plutôt bien vivant, pour un mort, murmura Shanks en haussant le sourcil.

- Je vais continuer à creuser, si tu permets.

- … fais-toi plaisir, murmura le gouverneur sans quitter les photographies du regard.

Il supportait mal les idées contradictoires qui se bousculaient dans sa tête, à cet instant ; une infime, minuscule partie de lui était bizarrement rassurée de savoir Kid sous la surveillance d'une personne comme Portgas D. Ace, qui limiterait les débordements de l'alter le plus dévastateur du groupe, une autre lui hurlait que son fils était entre les mains de véritables bombes à retardement et qu'il n'en sortirait pas indemne, peu importe ses efforts.

Il n'avait plus le moindre doute sur le fait que Law s'était entouré de la crème de la crème dans leurs domaines, mais que tous avaient cette part d'ombre qui les rendait inaptes à vivre au grand jour ; c'était un risque à prendre, de toute évidence calculé, mais qui apportait son lot d'emmerdes et de contraintes dont un directeur d'asile n'avait vraiment pas besoin, en plus du reste.

Alors, quoi ? Simple raison de praticité ? Altruisme démesuré ?

Son entourage n'avait jamais vraiment compris pourquoi, au fond, Belmer et lui s'étaient lancés dans un projet d'adoption alors qu'ils étaient parfaitement capables d'avoir des enfants, et que leur foyer était déjà complet ; il ne s'était jamais embarrassé d'explications, se contentant de répondre qu'ils avaient leurs raisons et qu'elles ne regardaient qu'eux, et il était tout à fait capable de se figurer que Law offrait des réponses semblables à ceux qui le questionnaient sur son désir de se lancer dans une aventure aussi rocambolesque, jalonnée d'obstacles.

- … Shanks… ? résonna la voix de son frère dans le silence du combiné, l'arrachant à ses pensées qui l'emmenaient de plus en plus loin, tout droit vers la vie qu'il menait avant que Belmer ne tombe malade, quand son existence était bien plus simple.

- Désolé. Je… J'ai une tonne de paperasse à finir avant midi, on se rappelle une autre fois, OK… ? soupira-t-il en supprimant, une à une, toutes les photographies envoyées par son frère.

- Pas de problème. Ça va aller ?

- Comme si j'avais un autre choix, sourit le Gouverneur. Tu rappliques quand tu veux, d'accord ?

- Je n'ai pas vraiment le temps de me balader dans le pays, tu sais ?

- La porte est toujours ouverte. Bonne nuit, Benn.

La tonalité lui indiqua que son frère avait mis fin à leur conversation ; il raccrocha et s'appuya contre son dossier, les yeux rivés sur son écran vide au fond neutre – rien de personnel, à l'identique du matériel qu'il possédait à son cabinet, à l'exception de deux cadres photos soigneusement rangés qu'il ne sortait que lorsqu'un incroyable coup de blues l'empêchait de réfléchir convenablement. Un portrait de sa femme et une photographie de ses enfants, à l'image de ce qui ornait le bureau de Doflamingo – un autre point commun entre eux, mis à part celui d'avoir tous deux perdu leur femme.

Il avait suivi l'affaire, comme le reste des Etats-Unis, encore à son poste de maire de San Francisco à l'époque ; elle remontait à plus de vingt-cinq ans mais il était certain que, pour son homologue, l'amertume était toujours là, enfouie sous les couches des années et de l'acceptation forcée.

Ramenant son dossier à lui, il s'efforça de se replonger dans sa lecture à bâtons rompus, mais il ne pouvait pas s'empêcher de faire le parallèle entre l'asile d'Ostrica et ce qui avait tout coûté au gouverneur de la Louisiane.

.

. . . . . . . . .

Même jour.

Louisiane, près d'Ostrica. Salle des chefs de service.
05h du matin.

Kaya entra dans la pièce d'un coup de pied dans la porte, les bras chargés des fournitures de la journée – polycopiés vides en attente de rapport, Post-It colorés, feutres et calepins vierges, qu'elle tentait de ne pas renverser en gardant vainement sous contrôle la pile en équilibre précaire ; elle tressaillit en voyant Law assis en bout de table, occupé à feuilleter le journal de la veille, tasse de café à la main, et la fragile stabilité de son empilement s'écroula sur le carrelage.

Des années auparavant, elle aurait été mortifiée, mais seul un profond agacement battait furieusement à l'arrière de sa tête à cet instant.

- … ce n'est… quand même pas moi qui–

- Qui d'autre ? rétorqua-t-elle en levant les yeux au ciel.

Il n'émit pas le moindre commentaire, délaissa sa lecture et sa caféine pour la rejoindre et l'aider à tout rassembler, patiemment ; son aplomb la surprenait toujours, malgré les années, et elle s'était toujours demandé d'où lui venait cette patience – qu'elle savait limitée, comme le reste – et ce flegme qu'il affichait en permanence, peu importe les évènements ; l'équipe se plaisait à prétendre que ces traits de personnalité étaient intimement liés à son côté anglais, mais elle était plutôt persuadée que son comportement n'était que l'expression de son caractère profond : posé, serein.

Law lui proposa un thé, qu'elle ne se vit pas refuser – il savait que le café n'était pas son fort et elle n'allait pas se priver de voir sa boisson préférée préparée par le maître des lieux en personne.

Tirant la chaise la plus proche devant le grand tableau fixé au mur, elle se hissa sur l'assise et, crayon dans la bouche, parcourut le planning du regard avant de commencer ses annotations sur les carrés de papier coloré, attribuant la liste des tâches du jour à chaque infirmier, sous le regard de son supérieur hiérarchique toujours aussi silencieux.

Être dévisagée de la sorte ne la gênait pas – ou, tout du moins, ne la gênait plus. Law avait fait son œuvre, comme pour les autres, corrigeant la trajectoire qu'avait prise sa vie et dont elle ne parvenait plus à dévier seule, sans son aide.

- Vous êtes levé depuis longtemps ?

- J'ai du mal à dormir, nuança-t-il en retournant à son café.

- … ce n'est pas vraiment un scoop, je dirais, mais admettons. Qu'est-ce qui vous tient réveillé ?

- Luffy. Ça fait trois jours depuis notre dernier entretien et je sèche pour celui à venir.

- C'est pour ça que vous lui avez organisé une visite samedi après-midi ? Pour le mettre dans de bonnes dispositions ?

- Comment tu fais pour être au courant de tout… ? sourit-il derrière sa tasse.

- C'est moi qui gère les appels aux familles, au cas où vous auriez oublié…

Son sourire s'agrandit, mais Kaya sentait que la conversation demeurait superficielle – le fond de ses pensées lui était totalement inconnu et, pour être honnête, elle préférait que cela reste ainsi. S'il y avait bien un endroit où elle se refusait le moindre accès, c'étaient les tréfonds du cerveau du Directeur. Beaucoup, beaucoup trop sombres pour elle, elle en était certaine.

Son regard se perdit dans la contemplation des notes qu'elle continuait d'afficher et elle se demanda ce qui pouvait le préoccuper autant, surtout si tôt, mais elle n'insista pas ; son chef n'était pas un grand bavard et rien ne pourrait le pousser à vider son sac s'il ne l'avait pas décidé lui-même.

Elle savait aussi qu'il discutait rarement des cas qu'il traitait, à l'asile, avec un infirmier qui n'était pas directement chargé du suivi du patient en question ; en l'occurrence, elle se doutait qu'Ace serait bien plus à même de lui tirer les vers du nez et d'échanger avec lui sur Luffy que n'importe qui d'autre.

- … je peux avoir ton avis ? murmura-t-il dans le silence de la salle, l'obligeant à revoir ses conclusions.

- Bien sûr, quand vous voulez.

- Tu sais ce qu'il y'a à savoir sur les alters de Luffy, je suppose… ?

- Zoro, Kid, Nojiko, récita-t-elle en alignant ses nouveaux Post-It griffonnés. Ace nous a briefés la semaine dernière.

Elle avait déjà vu le premier, de loin, lors de ses longues marches à travers la clinique avec son infirmier attitré ; elle savait qu'il fallait se méfier du deuxième, mais que la dernière était beaucoup trop discrète pour que quiconque puisse s'en faire une idée précise. Ace n'était pas entré dans les détails et n'en avait pas besoin – tout le monde savait ce qu'il avait à faire en cas de débordements, l'histoire s'arrêtait là pour eux.

- Tu as travaillé sur les personnalités multiples, à la fac ? poursuivit-il en refermant soigneusement son journal à peine entamé.

- Pas vraiment. Je sais juste qu'elles ont toutes une raison d'être et qu'elles n'apparaissent pas d'un claquement de doigts.

- C'est un bon début. La thérapie tend vers la réunion des personnalités, mais il faut mettre le doigt sur leur origine. J'ai… celle de Zoro, mais le sujet est délicat à aborder avec Luffy.

- Délicat ?

- Pire que ça, même. Je ne suis pas sûr que Luffy soit prêt à entendre ce que j'ai à lui dire, soupira-t-il en se frottant les yeux de sa main libre.

- Vous êtes obligé de commencer par lui ?

- … pas vraiment.

- Travaillez sur Nojiko. Ace nous a dit qu'on ne savait rien sur elle.

- Tout aussi délicat.

- Il vous reste Kid, alors. Mais ça risque de ne pas être une partie de plaisir, non ? s'esclaffa-t-elle en descendant de la chaise pour prendre les piles de feuilles agrafées pour les distribuer dans les bannettes à sa portée, le remerciant d'un hochement de tête quand il lui tendait une tasse fumante.

La suggestion était bonne – à dire vrai, il y avait déjà songé, mais il n'était plus certain d'être encore suffisamment objectif pour prendre une décision ferme et sans appel ; il avait beaucoup trop à penser, à prévoir, à imaginer, perdu dans des dizaines de possibilités qui finissaient immanquablement par s'entremêler, sans qu'une d'entre elles ne se dégage des autres.
Il se rappela de sa conversation nocturne avec Shanks, à la villa, pendant leur insomnie commune ; des aveux à demi-mots du Gouverneur, de cette relation que Luffy avait réussi à débuter avec une dénommée Ishilly et qui s'était terminée avec pertes et fracas, sans que personne n'ait pu avoir le fin mot de l'histoire. C'était un bon début, mais qui n'était pas moins risqué que le chemin qui le mènerait à l'arrivée de Nojiko ou l'horreur des favelas.

Il ne doutait pas un seul instant que ce sujet ferait freiner Luffy des quatre fers, voire même sortir Zoro de sa tanière, une fois de plus – un motif servi sur un plateau d'argent pour se dresser entre le psychiatre et son patient.
À lui de décider dans quel feu il allait se jeter.

- C'est dans ces moments-là que je ne vous envie vraiment pas, murmura Kaya, le sortant de son flot de pensées.

- C'est-à-dire… ?

- Vous devez… prendre des décisions qui ne plaisent à personne. Pas même à nous. Et en assumer les conséquences.

- Ça pourrait être bien pire, tu sais ?

- Peut-être que oui… peut-être que non. Il y a des gens qui… vous critiquent, à l'extérieur, pour vos choix… mais ils n'ont pas à les faire.

- Je vous entends pourtant souvent vous plaindre, sourit-il en se levant pour rejoindre l'évier et y laver sa tasse, machinalement. Dois-je considérer que c'est uniquement par principe ?

- Si vous voulez, concéda-t-elle. Mais vous savez qu'au fond, on sera toujours derrière vous. Peu importe ce qui se passera.

Il avait parfaitement compris où elle voulait en venir ; la discussion orientée sur Kid, puis lentement déclinée sur ses directives et ses opinions, n'était rien de plus qu'un long sous-entendu qui faisait référence à ce jour où il s'était enfermé à double tour dans la pièce aveugle pour cogner Luffy jusqu'à en faire sortir Zoro – pour travailler avec Kid, il allait falloir le faire sortir, et cette éventualité semblait à la fois terriblement facile et compliquée.

Facile, car Kid était prompt à se manifester, alter surpassant les autres en matière de présence et de volonté propre.

Difficile, car ce qui le faisait venir était plus subtil qu'il n'y paraissait au premier abord. L'insolence et la pression étaient des coups sûrs, les pulsions sexuelles étaient à exploiter – seulement, Luffy semblait hermétique à ce genre de stimulation, d'une manière différente de Zoro mais éventuellement comparable sur le résultat. Blindé derrière sa carapace de solitude.

Une donnée que Law pourrait exploiter, pousser les bons leviers jusqu'à faire sortir Kid de ses gonds.

- Merci pour cette tirade, sourit-il en reposant sa tasse dans le placard, récupérant les notes laissées la veille par le staff au passage. Je devrais te demander ton avis plus souvent, tu es beaucoup moins rabat-joie qu'Ace.

- … Ace est pas du tout rabat-joie, il aime juste vous contredire, toussota Kaya sans détacher son regard du tableau.

Il décida de ne pas relever cette déclaration criante de vérité et s'éclipsa, laissant l'infirmière à son planning pour descendre les marches menant à la salle commune, encore déserte à cette heure-ci où Zeff s'affairait sûrement déjà en cuisine pour le petit-déjeuner ; il emprunta les couloirs qui menaient à la piscine, raccourci vers son bureau que peu empruntaient et qui lui permettrait de faire sa propre inspection de terrain, histoire de voir si tout était aussi ordonné qu'il le désirait. Le goulot descendait de plus en plus sous le niveau de la terre, laissant derrière lui les baies vitrées où l'aube pointait, à l'est, s'enfonçant dans les entrailles de la clinique dont la pénombre était brisée par les LED au sol, juste ce qu'il fallait pour que les caméras captent un passage indésirable – il agita la main vers l'objectif qui le suivit sur son chemin, signe que la personne en poste était toujours réveillée.

Il bifurqua une fois arrivé avant le palier qui surplombait la piscine et passa derrière la porte déverrouillée d'un coup de badge, laissant derrière lui la faible lueur de l'eau sur les plafonds pour se retrouver dans le noir complet, suivant à l'aveugle le couloir dont il connaissait par cœur les moindres aspérités, son pied rencontrant la première marche de la volée de marches au bout d'une centaine de pas ; un chemin qui menait aux machineries et utilités, que seuls Franky, Shachi et Penguin empruntaient régulièrement. Il aperçut la lumière du lecteur de badge, rougeoyant dans l'obscurité, la porte fut prompte à s'ouvrir sur le couloir principal baigné de lumière, au pied du colimaçon qui menait directement à son bureau.

Il ne fut pas surpris d'en découvrir la porte entrouverte, encore moins de voir Lami assise à son bureau, dans la pénombre, tournée vers la baie vitrée dont les stores étaient relevés, ouverts sur la nuit noire troublée par la lumière froide éclairant les murs d'enceinte, ne laissant aucune zone d'ombre sur son passage.

- Déjà debout ? soupira-t-il en tirant le battant derrière lui.

- Ça nous fait un point commun, répliqua-t-elle en faisant pivoter le fauteuil vers lui, tendant le bras pour allumer la lampe posée au coin du bureau.

- … on est jumeaux, Lami. On a un peu plus que ça en commun.

- Faux jumeaux.

Il lui assena un revers de carnet dans l'épaule, la chassant de sa place où il s'installa en déposant sa lecture de la journée à côté de son ordinateur ; elle se hissa sur son sous-main, l'obligeant à lever la tête pour la regarder, son regard rivé au sien dans une attitude pour le moins claire – sa manière à elle de lui indiquer qu'elle voulait parler ou en découdre, difficile de le prévoir à l'avance.

- … je t'écoute.

- On est le 27 juillet.

- Je le sais.

- C'est l'anniversaire de Maman.

Law pinça les lèvres, se contenta de hocher la tête sans faire le moindre commentaire ; il devinait où elle voulait en venir, sans pour autant pouvoir en être totalement sûr, au vu de la longueur de ses réponses au ton incisif, presque accusateur.

Lami ne cilla pas, ses yeux le scrutant avec attention, ses mains crispées sur le rebord du bureau alors qu'elle se penchait sur lui, ignorant tout de son dévorant besoin d'espace vital – sans que ce ne soit un hasard, cette fois-ci, il en était certain.

- Tu crois qu'elle serait fière de nous ?

- J'en sais rien, Lami. Peut-être.

- C'est pas une réponse.

- Ta question n'en a pas. On n'en serait pas là si elle était encore avec nous, ta vie et la mienne seraient… différentes. Alors savoir si elle serait fière de nous ou pas c'est impossible à dire. Mais Papa l'est, lui.

Mais ça, Lami en était parfaitement consciente ; elle avait toujours été nichée dans les tergals de leur père, là où lui s'était désespérément raccroché à l'ombre et aux pas de sa mère, pendant les années où elle avait été là, lui attirant les railleries de ses cousins qui le traitaient de « fils à maman ». Il n'en avait jamais eu grand-chose à faire, les ignorant de la même manière que Lami se fichait bien de leur existence, n'ayant l'impression d'exister que par ses yeux, là où sa jumelle ne jurait que par les attentions de Doflamingo – jusqu'à ce jour où ils avaient perdu bien plus que leur mère, en perdant un peu de leur père au passage : cette énorme partie de lui qui vivait par elle, et dont plus rien ne subsistait à présent.
Ce moment qui les avait arrachés à leur vie ordonnée pour les pousser là où ils étaient aujourd'hui. Lui dans son long et pénible chemin de croix, Lami seule avec ses propres démons contre lesquels il ne pouvait rien.

La question de Lami était une autre promesse faite à son père, cette fois, loin de celles qu'il s'était faites et qu'il n'avait jamais pu – voulu – tenir ; la promesse de ne pas la laisser tomber, de la garder avec lui, coûte que coûte, de la préserver mieux que personne.
De lui offrir un semblant de normalité, quitte à sacrifier la sienne.

- Tu sèches, alors… ?

- On va dire que je sors un joker, tempéra-t-il. Tu as souvent des questions existentielles à cette heure-là de la journée ?

- T'en as à longueur de temps, tu ne m'entends pas me plaindre, répliqua-t-elle en lui donnant un coup de pied dans le tibia qui le fit grimacer, s'attirant un regard noir.

Le schéma ne les avait pas quittés depuis leur enfance, sujet de moqueries dans leur famille aux traditions patriarcales, avec une Lami qui martyrisait son jumeau et le menait à la baguette – peut-être que, déjà à cette époque, il avait conscience du fossé qui les séparait, de cette différence qu'il ne parvenait pas à nommer mais dont il sentait la présence, et qu'il avait décidé de laisser couler, acceptant sa sœur comme elle était. Leurs parents avaient longtemps interprété son comportement par un caractère de chien et une empathie modérée, avant que le diagnostic ne soit posé deux ans après que Law ait intégré le King's College. Ni lui, ni Doflamingo n'étaient tombé des nues, et Lami avait eu suffisamment de temps pour se documenter et en tirer ses propres déductions pour ne pas être surprise par le verdict.

- … tu as envie de parler à Papa, c'est ça… ?

- … mmn.

- Appelle-le maintenant. Ça passera mieux que le bruit du réveil-matin, soupira-t-il en sortant son portable de sa poche pour le lui tendre.

Seul moyen non-surveillé de joindre l'extérieur et sans sa surveillance, elle savait que ce qu'il lui faisait était plus qu'une fleur et que l'occasion était à saisir. Il n'était pas dupe sur sa réaction, qui ne le déçut pas : elle récupéra le téléphone avec une brusquerie qui lui était familière et s'éclipsa, sans s'embarrasser d'un quelconque remerciement, sous le regard pensif de son frère qui repoussa, loin derrière ses obligations de la journée, l'idée que Lami était et demeurerait son échec le plus cuisant, parce qu'il était celui qui le touchait de plus près.

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Réponses aux guests :

Cavendish : Hello ! (je compile toutes les reviews en une) Ces 2 maladies n'ont rien à voir l'une avec l'autre en effet, et ne doivent pas être confondues... dans l'idée, j'essaye de coller le + possible aux données médicales existantes mais parfois , je vais avoir besoin de romancer un peu, pour l'avancement de la fiction, je verrai pour vous prévenir au maximum... Ah tu n'es pas la seule à faire focus sur Mingo et Teach, mais j'aime bcp ces 2 persos et ils n'ont pas toujours le mauvais rôle dans mes fictions... enfin j'essaye ^^ Lami a un rôle assez mineur dans l'histoire mais elle sera davantage abordée en fin de fiction, j'espère que ça t'ira. T'en fais pas pour Dellinger... il aura droit à sa petite dose comme tout le monde x) Pas mal ta théorie sur Luffy et ses bourdes à rattraper par les autres alters, je prends note ! Merci d'avoir pris le laisser toutes ces reviews, à la prochaine !

Fia : Hey ! le développement va bien avancer, j'espère que tu auras la patience d'attendre jusque-là...


On se voit fin janvier/début février, soyez sages...!