Ohayo mina !

Bon, ce chapitre est un gros clin d'oeil à Psycho Black Wolf qui avait (il y a... ahem, des années maintenant) quelque peu prédit ce scénario ; félicitations ! Mais je te soupçonne d'être entrée en douce dans le bunker, vilain castor.

C'est un… gros chapitre. J'ai pas réussi à le scinder alors je vous livre le gros morceau… on en apprend aussi un peu plus sur Ace, au passage.
Je suis pas super douée pour décrire les scènes d'action, mon dada c'est plutôt la déprime et le gouffre sans fin, vous m'excuserez...

J'espère que vous ne verrez pas de coquilles, si c'est le cas n'hésitez pas à les signaler.

Courage aux bacheliers _o/ "Trafalgar Law fait-il un bon psychiatre? - vous avez 4 heures."

Je vous souhaite une bonne lecture, et...

Enjoy it !


Chapitre 36 :

Jour 96. Déroute.

Louisiane, près d'Ostrica. Chambre de Portgas D. Ace.
04h25.

C'est dans un sursaut qu'Ace ouvrit les yeux sur son radio réveil, ses chiffres luisants dans la pénombre lui indiquant que la sonnerie était sur le point de le tirer de son sommeil ; il désactiva l'alarme, jeta un regard au ciel visible depuis la fenêtre qui perdait sa teinte d'encre là où le soleil se levait et se tourna sur le côté, contemplant la longue tresse de cheveux roses étalée sur l'oreiller. Il tendit le bras et caressa délicatement, d'un revers de doigts, le dessin de la colonne dénudée de sa voisine, glissa sa main sur sa hanche, sentant l'arête dure de l'os de son bassin sous sa paume – Bonney saisit son poignet, lui indiquant par la même occasion qu'elle était parfaitement réveillée, repoussa sa main et se redressa, lui tournant obstinément le dos en tâtonnant pour retrouver son tee-shirt et l'enfiler ; Ace contempla les lignes marquées de ses omoplates et de ses côtes, la suivit du regard quand elle se leva du lit pour traverser la pièce et récupérer son sous-vêtement et son pantalon, échoués un peu plus loin près du bureau, toujours en silence.

Il était coutumier de sa retenue et de son attitude rigide, inhérentes à sa pathologie, mais ce mutisme associé à son refus de croiser son regard était la manifestation d'un tout autre sentiment, qu'il ne connaissait que trop bien à la longue.

- … c'est à cause de nous que tu as rechuté… ? murmura-t-il, brisant la quiétude de la chambre.

Elle s'immobilisa dans son geste, accroupie à lacer ses tennis, marqua une pause en prenant toujours soin de se dérober, lui cachant son visage et la palette d'émotions qu'il était susceptible d'y lire.

- … sois honnête. Avec toi-même, et avec moi.

- Ce n'est pas… la question d'être honnête ou non, chuchota-t-elle en terminant son nœud, passant à l'autre pied, genou à terre. C'est beaucoup plus compliqué que ça–

- Je m'en veux, confessa-t-il en croisant les mains derrière sa tête, les yeux rivés sur le plafond immaculé. Je me sens… coupable. Vis-à-vis de toi.

Il devina ses pas feutrés, sur le parquet, plus qu'il ne les entendit, sentit le matelas plier à peine sous son poids plume quand Bonney monta sur le lit pour s'asseoir sur ses hanches, entrant dans son champ de vision ; il reporta son attention sur elle, ses yeux plongés dans les siens cernés comme jamais.

- Je pourrais te mentir, concéda-t-elle en tendant la main pour repousser une mèche ondulée de son visage, caressant sa pommette constellée de taches de rousseur. Te dire que ça n'a rien à voir.

- … mais ?

- … mais ça serait faux. Ce n'est pas toi, le problème. Ni même moi. C'est… un tout.

- Parle-moi, souffla-t-il en se redressant pour l'enlacer, éprouvant les angles aigus de son corps malmené par les privations.

Il aurait dû voir empirer son état, ces dernières semaines, mais comme tous les autres il était resté aveugle à la lente descente aux enfers à laquelle Bonney était habituée, mais qu'il n'avait jamais négligée jusqu'à ce point. Il aurait dû s'en douter, à en croire ses excuses pour déjeuner hors de ses plages horaires, pour ne pas dormir avec lui en prétextant une montagne de paperasse en retard et de cours à préparer pour Sugar. Pour ne pas le laisser la toucher, pour fuir la moindre caresse, le moindre contact furtif loin des caméras et des regards.

Au lieu de ça, il s'était retrouvé, comme Law, à devoir la ramasser exsangue dans la cabine des toilettes, sans avoir repéré et interprété la plus petite once de signe avant-coureur ; à devoir jouer le jeu et rester professionnel, là où il avait du mal à conserver son sang-froid quand il était question de ceux auxquels il tenait un peu trop.

- Tu sortiras jamais d'ici, murmura Bonney en empaumant son visage pour le contempler, pressant son front contre le sien. Jamais, Ace. Et moi non plus, si je continue à tout foutre en l'air. Law nous l'a interdit et nous, qu'est-ce qu'on fait… ? Les deux pieds dedans. Je… je supporte pas d'avoir à lui cacher quelque chose. J'ai passé des années à fuir, à me fuir, à mentir et maintenant, je sais plus faire ça. Je sais plus… l'encaisser, tu comprends… ? Je culpabilise et la seule sortie que j'ai, tu la connais.

Il entrelaça ses doigts aux siens, porta son poignet à ses lèvres, zébré de dizaines de coupures blanchies par les années – un comportement autodestructeur qu'il était incapable de lui reprocher, quand bien même il avait sous la main tous les arguments du monde pour l'empêcher de faire ça, pour tenter de la raisonner et de lui montrer une autre issue que celle qu'elle n'avait de cesse d'emprunter quand il était question d'échapper à ce qui la hantait.

- … et il se passe pas un seul jour sans que je me demande ce qu'il ferait s'il savait. Je sais qu'il serait déçu, et je le supporterais pas non plus. Des fois… j'ai même l'impression qu'il sait déjà, ajouta-t-elle après un silence, dans un rire nerveux. À la manière dont il me regarde.

- Law a toujours un coup d'avance sur nous, concéda l'infirmier en se rallongeant. Mais il n'est pas dans ta tête.

- C'est à se poser la question, parfois. Il essaye tout le temps de me tirer les vers du nez à chaque fois qu'on se voit, j'esquive mais j'ai jamais été la meilleure pour lui mentir, pécher par omission va vite avoir ses limites et j'en ai marre de tourner autour du pot.

Elle se pencha sur lui, lui vola un baiser auquel elle mit fin beaucoup trop tôt à son goût et se dégagea de son étreinte, ramassant ses vêtements eux aussi restés au sol pour les déposer à sa portée, au bord du lit, avant de sortir de la chambre sans un bruit après avoir clipé son talkie et son bipeur à sa hanche.

Cette conversation, coupée en plein échange, avait le parfum de l'inachevé qu'Ace détestait entre tout ; renonçant à se rallonger, même pour grappiller quelques minutes supplémentaires, il sortit du cocon tiède des draps et fouilla son armoire pour en sortir des vêtements propres qu'il abandonna sur sa commode, rejoignant le lavabo au fond de la pièce pour s'observer dans le miroir et contempler son reflet, affrontant son double du regard, pesant le pour et le contre de ce qu'il lui en coûterait de se confesser à Law.
Il n'avait pas vraiment le choix, à dire vrai, mais cacher cette information plus longtemps n'avait pas de sens, puisque le psychiatre finirait tôt ou tard par mettre le doigt dessus.
Quand bien même Law n'avait rien contre les challenges, bien au contraire, Ace savait qu'il détestait par-dessus tout qu'on lui mente, et qu'il n'était pas connu pour être clément quand il était question de désobéir au règlement.

C'est avec l'intention de tout déballer qu'il sortit de sa chambre, avec pour idée de trouver le psychiatre avant quoique ce soit d'autre et vider son sac, celui de Bonney, se débarrasser des briques que tous deux traînaient derrière eux depuis trop longtemps.
Le bureau du Directeur était désert, plongé dans le noir – une exception remarquable, à cette heure-là de la matinée, où Law était toujours éveillé peu importe le jour et le temps. Ace alluma la petite lampe au coin du sous-main et balaya l'écritoire du regard, avisant les stylos soigneusement rangés, la présence du talkie mais l'absence du bipeur, signe qu'il avait quitté la pièce sans intention d'y revenir pour le moment – il pourrait sortir le sien et lui demander de rappliquer, mais il n'était pas certain que convoquer Law de bon matin dans son propre bureau le mettrait dans de bonnes dispositions, considérant ce qu'il avait à lui annoncer.

Il coupa la lumière, sortit de la pièce et referma derrière lui, reprenant la volée de marches en sens inverse pour rejoindre le rez-de-chaussée et arpenter l'allée centrale qui menait à l'accueil, le cherchant du regard à travers les baies vitrées : la porte du laboratoire de Magellan était fermée, la salle commune encore déserte à cette heure-ci, où Tashigi s'affairait à préparer les tables en silence, le guichet de l'accueil clos sans personne derrière les écrans ; il poussa la porte d'entrée et lorgna vers la terrasse où, à sa grande surprise, il trouva le psychiatre assis dans un transat, écouteurs dans les oreilles, tasse de café à la main, à attendre le lever de soleil derrière les murs immenses de l'enceinte. Il longea la façade, monta sur l'estrade en caillebotis et s'approcha du fauteuil à pas lents, s'arrêtant à une portée de bras de son directeur.

- Bien dormi ? s'enquit-il en avisant les cernes sous ses yeux.

- … dormir est un bien grand mot, sourit le psychiatre en retirant une oreillette, avant de le dévisager d'un coup d'œil acéré. Tu as une tête à faire peur, Ace.

- T'es dispo pour parler ?

Law lui désigna la chaise la plus proche, que l'infirmier ramena à ses côtés avant de s'installer, veillant à laisser une distance raisonnable entre eux – une indication supplémentaire pour son meilleur ami, il le savait, laissant clairement entendre qu'il voulait prendre du recul sur la situation, ne pas s'engager émotionnellement, quand bien même il était déjà dedans jusqu'aux coudes.
Annoncer à Bonney qu'il gérait le problème avait été plus facile à dire qu'à faire tant il se sentait stupide de devoir parler de sa vie sentimentale, lui qui arborait toujours, comme Law, son masque de pudeur quand il était question d'intimité. Ils avaient déjà eu cette conversation en long, en large et en travers à Moscou, et renouveler l'exercice dix ans plus tard lui semblait toujours aussi gênant.

- Je vais pas prendre des pincettes parce que ça m'horripile, marmonna Ace en se passant une main dans les cheveux, nerveux. Je te demande juste de pas péter un câble et de pas me jeter ton café par la gueule.

- Je promets, acquiesça Law en reposant sa tasse sans le lâcher des yeux.

Des yeux inquisiteurs, incisifs, qui donnaient à Ace la sensation de sonder son âme et de ne rien pouvoir lui cacher ; il savait que tout ça n'était qu'un effet de son imagination, mais il lui était impossible de se débarrasser de ce sentiment.

- … je sais pas si on peut vraiment définir ça comme ça, ici, mais Bonney et moi, depuis un an… on est… plus ou moins ensemble, avoua-t-il en s'efforçant de ne pas bredouiller. Au début c'était purement… tu vois ?… sexuel, et puis… on a eu plus d'atomes crochus qu'on le pensait. Je sais, je sais que tu veux pas de ça à l'asile, répéta-t-il avec empressement. Mais j'ai pas pu… ou alors, j'ai pas voulu faire autrement. Bonney supporte plus d'avoir à te le cacher, alors… j'en suis là.

Law, comme à son habitude, demeura stoïque, dénué de la moindre expression, mais Ace le connaissait depuis suffisamment longtemps pour savoir de quoi il en retournait réellement, rien qu'à l'infime mouvement de ses pupilles, le pli de sa bouche, sa manière d'inspirer et de se redresser, le confortant dans ce que Bonney s'était figurée un peu plus tôt, lors de leur conversation.

- … tu le savais déjà, hein… ? soupira-t-il en s'adossant complètement contre l'assise, le poids sur ses épaules toujours présent malgré sa confession.

- Disons plutôt que j'avais de sérieux doutes, tempéra le psy.

- … je le savais. Que tu savais. Tu me suis ?

- Parfaitement, concéda-t-il en reprenant sa tasse pour une gorgée de café, sans cesser de contempler son adjoint avec attention.

Le silence s'étira entre eux, insupportable pour Ace hors de sa zone de confort, mais pour rien au monde il ne souhaitait le briser le premier – plus qu'une circonstance, ce mutisme était un défi, une course muette à celui qui résisterait le plus longtemps à l'atmosphère électrique de cette aurore, l'un et l'autre refusant de céder la moindre parcelle de terrain.

- Tu ne vas pas aimer ce que tu vas entendre.

- Comme si t'allais te gêner, rétorqua l'infirmier en levant les yeux au ciel.

- Je te remercie pour ta franchise, souligna le directeur. Je pense néanmoins que vos petites cachotteries n'ont pas aidé Bonney à progresser et que c'est ce qui l'a poussée droit dans la pente descendante, quand bien même je suis persuadé qu'elle te soutient le contraire. Et quoi qu'il en soit, je ne peux pas cautionner ça.

- Genre… quoi, faut que je la largue ? ironisa Ace en rivant son regard dans le sien. Que je lui dise que c'est pas raisonnable et qu'on est dans une impasse ? C'est exactement ce que je me raconte quand je suis dans la même pièce qu'elle. Et puis t'es un putain d'hypocrite.

Piqués au vif l'un autant que l'autre, à en juger le regard lourd de perplexité et d'agacement que Law lui lança par-dessus sa tasse. Ace ignorait s'il savait où il allait en venir et, au fond, s'en fichait complètement, parce qu'il comptait bien lui balancer tout ce qu'il avait en réserve – quand bien même le sac à vider n'était pas si profond – quitte à devoir le payer au centuple par la suite, parce qu'il était incapable de réfréner les remarques acerbes qui lui brûlaient la langue.

- Tu peux sortir autant que tu veux, toi. Et quand tu pars Je-sais-pas-Où te la lustrer avec les autres gros bonnets du Congrès de Mes Deux, tu peux baiser Monet et toutes celles qui te passent sous la main. Et tu te gênes pas pour le faire. J'te rappelle Chicago ou ça va aller ?

- … Ça suffira, je te remercie, marmonna Law en gardant le regard soigneusement hors de portée du sien. Alors… tout n'est question que de sexe, entre Bonney et toi ?

- Comme si c'était aussi simple. Tout le monde n'est pas comme toi, tu sais… ?

Law laissa échapper, dans le silence de l'aurore naissante, un ricanement amer qui en disait long sur ce que cette remarque suscitait chez lui.

Il était habitué, depuis son enfance, à entendre les mêmes et incessantes critiques sur sa froideur, son recul émotionnel excessif qui le rendait difficilement atteignable – à cela, il avait toujours eu envie de répondre à ses détracteurs d'aller passer une journée avec sa jumelle et d'en prendre pour leur grade, mais c'eut été accorder beaucoup trop d'énergie à ceux qui n'en valaient ni le temps, ni la peine.
Entendre cette remarque de la bouche d'Ace était, bizarrement, plus douloureux que ce n'en était agaçant ; peut-être parce que, malgré la distance professionnelle qu'il s'efforçait de conserver en public avec lui, Ace était sûrement ce qui se rapprochait le plus du statut du meilleur ami qu'il n'avait jamais eu, à part lui ; parce qu'incapable de se lier profondément d'amitié avec quelqu'un qui n'était pas Lami, donc inapte à le comprendre.

- Maintenant crache ta pastille : comment t'as su ? cingla l'infirmier, toujours sur la défensive.

- … facile, sourit le psychiatre à voix basse, contemplant le contenu de sa tasse qu'il remuait lentement. … tu ne la touches jamais. Comme tous ceux auxquels tu tiens vraiment.

- Epargne-moi ton analyse de merde.

- Tu n'as même pas embrassé ta mère avant de partir, murmura Law en lui coulant un regard appuyé, sourcil haussé. Alors que tu savais très bien que tu n'allais jamais la revoir.

- Pas la peine de jouer sur la corde sensible, rétorqua Ace en tendant la jambe pour donner un coup de pied dans son transat. J'ai été élevé comme ça, ça n'a rien à voir avec ce que je ressens alors change de disque.

Pas d'autre choix pour lui que d'y aller au culot, à cet instant, pour oublier la douloureuse torsion au creux de sa poitrine, la tenir suffisamment éloignée de ses regrets et de son amertume, hors d'atteinte du psychiatre et de ses griffes aussi aiguisées que son sens de la répartie, prêt à taper où il fallait, aussi longtemps qu'il le jugerait nécessaire.

- Je t'avais dit que tu n'aimerais pas ce que j'avais à dire.

- Et si on en revenait au problème principal ?

- Le fait que tu n'arriveras pas à mettre un terme à ce que tu as commencé avec Bonney ?

… le fait que n'importe qui deviendrait complètement cinglé en étant enfermé avec interdiction de la moindre relation physique ou affective, marmonna Ace en levant les yeux au ciel.

- Je t'accorde le point, concéda le directeur en terminant sa tasse d'une traite. Mais ça ne retire rien au fait que tu sois étonnamment irresponsable, Ace.

- … je te suis pas.

- C'est moi qui signe les entrées de marchandises, et je mets ma main à couper qu'il n'y a pas le moindre préservatif dans cette clinique. Tu m'expliques comment tu gères cet aspect de votre relation ou tu préfères garder tes tours de passe-passe pour toi ? argua-t-il en haussant le sourcil.

- Ça fait presque quinze ans que Bonney n'est plus réglée, c'est une des conséquences de l'anorexie, t'es le premier à le savoir et à le lui avoir dit, répliqua l'infirmier. Et puisqu'elle est toujours pas stabilisée, elle est pas près de reprendre un cycle qui lui permette d'être enceinte, tu peux respirer.

- … vous jouez avec le feu, tous les deux.

- Tu peux pas espérer qu'on garde la tête froide 24/7, ou alors il faut que tu nous colles sous inhibiteurs parce que c'est pas vivable.

- … je vais y réfléchir, alors.

Ace aurait aimé ajouter qu'il déconnait et qu'il n'avait aucunement l'intention de se laisser castrer chimiquement, mais il n'avait pas envie de se lancer dans une interminable discussion sur l'éthique, l'humain et les maigres solutions qui s'offraient à eux dans ces conditions ; à en croire Shachi, le processus n'était pas si terrible mais il ne se sentait vraiment pas le courage de se lancer dans ce genre de procédure pour mettre de côté ses envies et ses besoins biologiques. Et de toute manière, il n'était pas certain que cela suffise à lui retirer l'affection qu'il avait fini par avoir pour sa collègue, au fil des années passées enfermés ensemble.

- … je sais que je vous demande beaucoup, murmura Law en se rallongeant dans son transat, les yeux clos, mains croisées sur son ventre. Tous les jours. Mais tout seul, je n'ai aucune utilité et sans votre rigueur, il n'y aurait pas d'asile. Le but n'est pas de vous pourrir la vie, mais il faut quand même que j'instaure des règles, et si je laisse la moindre exception prendre racine, alors tout partira à vau-l'eau. Est-ce que tu le comprends, ça… ?

- On m'a servi le même discours pendant huit ans, en Russie. Je vais pas m'en offusquer maintenant.

- Pourtant tu prends des libertés avec le règlement. Et comme tu te plais à me le rappeler régulièrement, tu n'es pas un employé que je peux virer, parce que la Loubianka te fera descendre dès que tu auras un pied dehors.

- … c'est ce qu'ils t'ont dit pour te faire flipper. Tu sais comment ils sont, là-bas, sourit l'infirmier en contemplant les baies vitrées peu à peu illuminées par les rayons du soleil levant, coupant les derniers panaches de brouillard sur leur passage.

Oh, ça, Law s'en souvenait parfaitement, et il savait pertinemment que sous son air bravache Ace était totalement conscient de ce qu'il risquait s'il s'aventurait hors de l'asile pour une durée indéterminée – son bref déplacement à la Nouvelle-Orléans était resté sous silence, Moscou n'étant pas informée de cet écart au règlement pour le bien de tout le monde.

Dix ans auparavant, lors de leur départ de l'aéroport de Chérémétiévo, le directeur de la direction générale des renseignements avait été limpide sur les clauses du contrat qui les liait et sur le fait qu'ils n'hésiteraient pas à se débarrasser d'Ace – et de lui, par la même occasion – si le moindre renseignement compromettant pour la patrie fuyait en occident. Law se rappelait encore du moment où il avait signé en bas de la page avec la sensation d'y laisser des plumes, quand bien même il restait le gagnant dans cette affaire où Ace n'avait été ni plus ni moins qu'une marchandise encombrante pour le ministre de la Défense russe. Le seul moment de sa vie où il s'était senti, l'espace d'un instant, réellement menacé de mort en cas d'échec.

Rouvrant les yeux, il coula un regard à son adjoint qui le détailla à son tour, peut-être lui aussi plongé dans le souvenir de leur première rencontre.

Le contact de Law était Absalom, lieutenant-général responsable du recrutement et des affectations militaires ; une connaissance lointaine, dont il partageait le jeune âge malgré leurs grades respectifs, qui s'était procuré ses coordonnées par Doflamingo. Leur échange, dans la berline qui les avait emmenés jusqu'à l'université de Moscou, avait eu l'avantage d'être concis et plutôt direct : le directeur de la GRU avait de sérieux doutes sur un de ses hommes et il avait besoin de la crème de la crème pour savoir s'il pouvait le faire monter en grade, ou si le jeu était beaucoup trop risqué pour en valoir la chandelle.
Law avait eu, sur les genoux, un dossier complet d'un pouce d'épaisseur sur Portgas D. Ace, candidat pour un poste chez les Spetsnaz dès ses dix-huit ans, sorti premier aux tests de sélection ; l'image, agrafée au coin de la pochette, ne montrait ni plus ni moins qu'un gamin au visage constellé de taches de rousseur, à peine plus vieux que lui de quelques mois, aux traits durs sous le béret rouge réglementaire.
Il avait été affecté aux renseignements quelques semaines après son intronisation et avait gravi les échelons jusqu'à être propulsé à la tête de son groupe, plafond de verre que ses supérieurs hésitaient à lui faire franchir définitivement. Ace était en fin de cursus complémentaire pour asseoir ses connaissances en langues étrangères, psychologie et anatomie – pour des raisons que le psychiatre ne souhaitait absolument pas savoir : Law aurait pour simple mission de se fondre dans la masse des élèves, de l'observer et d'en tirer ses conclusions, qu'il remettrait ensuite au médecin des armées chargé d'examiner le cas en question avant que le gamin ne soit renvoyé en mission suicide quelque part dans le monde.

Plus facile à dire qu'à faire, connaissant le sujet largement rôdé à l'exercice de l'espionnage et du sabotage, mais Law n'avait pas grand-chose à perdre à tenter l'expérience, hormis son sentiment d'échec personnel.

Absalom n'avait pas eu besoin de lui en dire plus sur celui qu'il était chargé d'observer, les notes qui jalonnaient le dossier étaient suffisamment parlantes pour qu'il se passe du moindre commentaire de plus ; Ace était le genre de soldat rigide difficile à apprivoiser et prêt à tout pour atteindre la mission qui lui avait été confiée, aguerri malgré son jeune âge – tout juste vingt-six ans – et hautement méfiant, obéi au doigt et à l'œil par ses hommes en leur imposant la même discipline de fer que celle à laquelle il s'astreignait quotidiennement.

Le repérer dans l'amphithéâtre bondé n'avait pas été compliqué ; proche de la sortie, en bord d'escaliers, le strict minimum étalé sur la table, loin des autres, une bonne distance de sécurité entre lui et le reste de la foule – tout ce qu'il fallait pour s'échapper de l'endroit en cas de problème. À la fois distrait et assidu, si Law pouvait se permettre d'avancer cette théorie à en croire ses yeux noirs rivés sur l'enseignant et le gribouillage nerveux de sa main droite sur son papier brouillon, exprimant un besoin d'évacuer sa tension sans se laisser distraire de son objectif premier. La journée de cours s'était brièvement interrompue pour le déjeuner, où Ace ne s'était pas mêlé à ses camarades, fuyant les attroupements pour aller déjeuner à l'écart, dans le campus, assis au milieu de la table les pieds sur l'assise pour marquer son territoire. Law ne s'était pas approché, préférant l'observer de loin, attendant de trouver la faille, le moment où Ace serait le plus enclin à s'ouvrir à un de ses congénères, quand bien même il doutait sérieusement d'y parvenir en une poignée d'heures – Absalom lui avait annoncé la couleur, avec des résultats escomptés en moins de dix jours. Pari qu'il s'était engagé à tenir sans pouvoir assurer ses arrières.

Mettre le doigt sur la brèche lui avait pris 48 heures supplémentaires, 48 heures où il avait parfaitement eu conscience que, dans ce jeu du chat et de la souris, Ace avait renversé la vapeur et pris le dessus en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Une lutte de pouvoir où Law n'aurait jamais pu gagner sans un petit coup du hasard, loin des bancs de la salle de classe.

« Adossé à l'arbre qui bordait l'allée qui menait au bâtiment des sciences humaines, Law ne cilla pas quand Ace sortit du hall d'entrée à pas rapides, dévalant les marches de pierre pour rejoindre le coin de l'immeuble, téléphone collé à l'oreille ; il était incapable de saisir le sens de la conversation qu'il tenait à cet instant, rien d'autre que du russe dont il n'avait pas la moindre notion, mais resta à sa place, se contentant d'observer sa gestuelle, l'expression qu'il arborait à cet instant : un sourire en coin, un air beaucoup plus tendre sur le visage qu'il ne lui connaissait pas encore, sa manière de se passer une main sur la nuque.

Il savait, de source sûre, qu'Ace n'était pas marié et ne fréquentait personne – pas le temps en mission et aucune relation connue lors des rares jours en off qu'il possédait.

Le jeune homme raccrocha après quinze longues minutes de discussion, garda le poing fermé contre ses lèvres et les yeux clos, geste par lequel il s'interdisait d'en dire plus que ce qu'il ne devait et fouilla dans son sac pour en sortir un paquet de cigarettes et un briquet, qu'il actionna sèchement pour embrasser son clou de cercueil – ses yeux noirs se rouvrirent pour s'arrêter sur la flamme, Ace se figeant dans son mouvement pour contempler l'oscillation du feu, le tabac consumé par la chaleur, et l'expression que Law vit passer dans son regard le poussa à l'aborder à cet instant précis, quand le bouclier entre lui et le monde était tombé à ses pieds.

- Salut. Je peux t'emprunter du feu… ? lança-t-il en sortant une cigarette de son propre paquet.

Ace s'arracha à sa contemplation, ses yeux se posèrent sur lui et, dans le soleil timide parmi les nuages, Law eut le temps de capturer la mydriase avancée de ses pupilles, avant que la lumière ne fasse son effet et qu'elles ne se rétractent aussitôt, le Spetsnaz le détaillant rapidement d'un balayage de haut en bas avant de lui faire signe d'approcher ; donc peu désireux de prêter son Zippo. Le psychiatre se pencha vers lui, Ace craqua la pierre de son briquet et la flamme illumina de nouveau son visage, son expression retrouvant son masque de dureté que Law lui avait toujours vu depuis son arrivée.

- Merci.

- … de rien, rétorqua sa cible en refermant le Zippo d'un claquement sec.

- Trafalgar Law. On est dans le même module de psycho pour la semaine, annonça-t-il en tendant la main, qu'Ace considéra d'un haussement de sourcil dédaigneux.

- Te fatigue pas. Ça fait deux jours que tu me fixes depuis ta place, le cours ne t'intéresse absolument pas, t'es là pour moi. Qui t'envoie ? embraya-t-il en se rapprochant, entrant dans son espace vital, lui soufflant la fumée de sa cigarette au visage. Absalom ou Ryuma ?

- Absalom, confessa Law dans un sourire. Tu as compris depuis longtemps ?

- C'est moi qui pose les questions.

Ace l'attrapa par son blouson et le plaqua, bras tendu, contre le mur le plus proche, son autre main courant le long des zones de coutures de sa chemise et de son jean dans une fouille rapide mais stratégique, que Law ne chercha pas à interrompre ou contester – il n'était ni armé, ni équipé du moindre dispositif d'enregistrement, jugeant que ce n'était qu'une excellente manière de se faire tuer si jamais son objet d'étude soupçonnait quoi que ce soit. Ace récupéra son portefeuille dans sa poche de poitrine, l'ouvrit d'une chiquenaude et l'éplucha consciencieusement, étudiant de près son passeport, ses papiers américains et britanniques, observant ses dollars à la lumière, avant de lui rendre ses affaires avec brusquerie.

Clairement, Law allait devoir revoir ses méthodes d'instruction, mais le problème était surtout de savoir comment il allait se sortir de ce pétrin, face à l'élite de l'assassinat dans son terrain de chasse favori.

- Qu'est-ce qu'ils veulent ?

- Pas grand-chose en soi. Savoir si tu es un danger pour toi et pour les autres… quelque chose comme ça.

- Quelque chose comme ça…, s'esclaffa Ace. Qu'est-ce que tu y gagnes ?

- Un spécimen à observer. Pour commencer, murmura-t-il en tirant sur sa cigarette, dont l'extrémité rougeoya brièvement, attirant l'attention du militaire dont le regard dériva aussitôt sur l'anneau mordoré à quelques centimètres de son visage.

- Essaye pas de rentrer dans ma tête. Il y fait beaucoup trop noir pour toi.

- … oh, pour ça, j'ai peur qu'il ne soit trop tard, sourit le psychiatre sans ciller. »

Malgré son attitude hostile, Ace l'avait laissé lui coller aux basques et l'observer à longueur de temps, Law n'essayant même plus de faire semblant de s'intéresser au cours, uniquement concentré sur son étude ; ses suppositions étaient devenues des doutes, et ses doutes des quasi-certitudes au fil des heures passées à évaluer chacun de ses gestes, quand bien même le Spetsnaz ne laissait absolument rien filtrer en dehors de ses coups d'œil brûlants et incisifs. À en croire les rapports scrupuleusement datés de la police, les prochains évènements n'allaient pas tarder à se répéter et, plus que tout, Law souhaitait être aux premières loges pour assister au spectacle.

Ace sortit son Zippo de sa poche et en craqua la pierre, produisant une minuscule gerbe d'étincelles, à un rythme régulier mille fois exécuté, détournant Law du cours de ses souvenirs ; un instant, il mit de côté sa réserve et le ton autoritaire qu'il n'avait pas quitté depuis le début de leur échange et tendit le bras pour refermer ses doigts sur son poignet, l'arrêtant dans son geste.

- … Ace. Ça va aller ?

- Comme si t'en avais quelque chose à faire.

- Je n'aime pas te voir comme ça. Ça ne te ressemble pas.

- T'aurais dû me laisser là-bas, murmura-t-il en se dégageant de sa prise avec facilité. Ça aurait réglé beaucoup de problèmes.

- Et ça aurait été un immense gâchis, soupira le psy en le regardant actionner de nouveau le système d'allumage de son briquet. Je préfère mille fois t'avoir avec moi, peu importe tes casseroles, plutôt que te laisser prendre une balle dans la tête.

Le talkie, à la hanche d'Ace, grésilla une fraction de secondes avant que la voix de Gladius, de garde pendant la nuit jusqu'au réveil des internés, ne résonne dans le silence de la cour, leur annonçant un G403. L'infirmier referma son Zippo et décrocha, portant le micro à ses lèvres en plongeant son regard dans celui du directeur, perplexe.

- Gladius ? Tu déconnes ou quoi ?

- Nan mec, je confirme le G403, rétorqua-t-il. Shachi est parti avec Kaya, ils ont pris deux doses de Midazolam.

- Quelle chambre ?

- Celle de Luffy. J'ai des convulsions et une hypersialorrhée depuis 90 secondes.

- RAPPELLE-LES ! s'écria Law en se levant en trombe, renversant tasse et dossiers au passage, traversant la terrasse en courant, Ace sur les talons.

Il franchit les portes au pas de course, badge à la main, ouvrant les SAS un à un, manquant s'écraser contre l'une des portes dans sa précipitation, mais c'était le cadet de ses soucis à cet instant – tant pis pour l'élégance et la retenue. Il fouilla sa ceinture pour y trouver son talkie, se retint de s'administrer une gifle en se rappelant qu'il l'avait laissé à son bureau et qu'il était incapable de joindre quiconque pour lancer des ordres à la pelle. Luffy était beaucoup de choses, mais certainement pas épileptique, a contrario de tous les symptômes décrits par son infirmier ; il n'y avait qu'une seule explication à cet état entièrement simulé : Eustass Kid, qui tirait sur la seule corde à sa disposition.

Ace eut tôt fait de le rattraper et le dépassa sans effort, franchissant les grilles laissées ouvertes, une avance de vingt bons mètres sur Law qui lui permit de voir, de loin, Shachi déverrouiller la porte de la chambre, Kaya en retrait derrière lui, seringues et flacon dans les mains – il leur cria de rester en arrière, mais le temps lui filait déjà entre les doigts ; du battant ouvert surgit Luffy, dont le poing s'abattit sur la gorge de l'infirmier, arrachant un cri à Kaya quand une giclée de sang l'atteignit à la figure.

Shachi s'effondra à genoux, Kid – parce qu'Ace n'avait plus le moindre doute sur l'identité sortie – lui arracha son badge de la ceinture et repoussa son corps d'un coup de pied dans le plexus, détalant en direction de la sortie restée ouverte – Ace avait peu de temps pour se décider, à peine une poignée de secondes : s'occuper de Shachi, ou régler son compte à l'adolescent qui lui fonçait dessus. À en juger la mare rouge qui s'étalait sur le carrelage immaculé, le choix qui s'offrait à lui n'en était pas vraiment un, mais Kid choisit à sa place en bifurquant droit sur lui pour lui écraser son poing dans la figure ; Ace lui saisit le bras et l'entraîna au sol avec lui, crachant le sang accumulé au fond de sa bouche avant de le faire basculer sur le dos – Kid le frappa à la tempe, à quoi il répondit d'un coup de coude en pleine mâchoire, pressant son avant-bras contre sa gorge : juste ce qu'il fallait pour le maîtriser, pas assez pour lui briser le larynx. Le coup de genou entre les jambes lui coupa le souffle, le déstabilisant pendant une longue seconde, suffisante pour que son adversaire l'atteigne dans les côtes.

Il entendit, dans le sifflement de ses oreilles, le pas précipité de Law dans le couloir qui les dépassa pour se ruer sur Shachi sous l'éclat de rire dément de Kid, alors que l'incident avait réveillé toute l'aile et que les poings tambourinaient déjà sur les portes closes, les voix des internés s'élevant derrière les cloisons.

Jurant tout ce qu'il avait en réserve, il attrapa Kid par les cheveux et lui frappa la tempe contre le sol, luttant à réprimer sa force – le but n'étant ni de le tuer, ni de lui fendre le crâne, mais de le sonner suffisamment longtemps pour l'immobiliser une bonne fois pour toutes. Kid enroula son bras autour de sa nuque et roula sur le côté, reprenant le dessus, renvoyant Ace à ses semaines d'entraînement intensif pendant lesquels l'instructeur s'était chargé de les mater à coups de barres de fer, les poussant dans leurs retranchements – prendre une raclée ne le ferait pas boiter, mais perdre signifiait laisser le champ libre à cet alter trop difficile à stopper dans son élan.

Il perçut, dans le brouhaha qui régnait dans sa tête malmenée par les coups – résultat de la force brute de Kid qu'il ne pouvait que reconnaître – le bruit de pas beaucoup plus petits, ceux de Kaya, pile sur sa droite ; il se tortilla pour la regarder s'approcher, matraque en l'air, mais le jeu n'en valait pas la chandelle si Kid prenait le dessus et s'octroyait le loisir de s'armer par-dessus le marché.
Un instant de distraction et de calcul qui lui coûta un coup supplémentaire, une droite magistrale en plein nez qui lui fit perdre le fil du temps et de l'espace pendant ce qui lui parut une éternité, là où quelques petites secondes seulement suffirent pour que Kid ne s'extraie de son étreinte pour filer dans le couloir.

- …-ce ! Ace ! Vstavay !

C'est la voix de Law, lointaine et nasillarde dans le capharnaüm qui résonnait dans le bâtiment, qui le ramena au temps présent ; l'injonction, en slave, réveilla une foule de souvenirs aussi désagréables que douloureux, alors que la douleur se décidait enfin à venir, lui faisant prendre conscience de chaque impact encaissé – une condition qu'il n'avait pas subie depuis des années et qui le rappelait à l'ordre. Pour sûr que ses supérieurs le trouveraient ramolli, à cet instant, mais sa fierté n'était pas le sujet le plus urgent qui soit à traiter.

Il roula sur le ventre et se redressa tant bien que mal, chancelant, s'essuyant le nez d'un revers de poignet pour en chasser le filet de sang qui avait éclaboussé son visage, à en juger la chaleur poisseuse qu'il sentait sous ses doigts.
Son regard se porta sur Shachi et son visage exsangue, sur Law et sa blouse inondée de rouge, le crayon de papier utilisé par le quatuor planté dans le cou de son collègue, le flot pourpre répandu au sol étalé par les pieds et les mains de Kaya affairée à ouvrir un kit de premier secours.

- … tu le neutralises. Maintenant, ordonna Law en comprimant la zone de ses mains ruisselantes de sang.

- Magellan ?

- Pas là. Et les fléchettes non plus, ajouta-t-il en serrant les dents, jugulant tant bien que mal les premiers signes de sa colère.

- Tu te fous de ma gueule ? fulmina Ace en recrachant sur le côté l'amas de sang qu'il ne parvenait plus à déglutir, le cœur au bord des lèvres. Elles sont où ?!

- À ton avis ?! Avec lui ! Avec ce qu'on sait on ne pouvait pas se permettre de prendre le risque de lui injecter de–

- Où ? insista-t-il en tentant d'ignorer le goût écœurant de l'hémoglobine.

- Il est à Port Sulphur pour tester ses compos, comme tous les mois ! s'exclama le Directeur. Alors me prends pas la tête et pour l'amour du ciel, tu t'exécutes, Ace… !

L'infirmier se détourna de la scène et, rassemblant ce qui lui restait d'équilibre et de rage, courut vers la volée d'escaliers qui menait au niveau supérieur, accès le plus court à la réserve de tout ce qui était tenu hors de portée – et même de connaissance – des résidents de la clinique ; une carte en plus à jouer dans leur camp, qui devait rester loin de Kid, de Zoro et de tous les patients susceptibles de retourner la situation contre eux.

Tapant le code de la petite porte blindée, Ace poussa le poids mort du battant qui s'ouvrit dans un grincement sinistre et saisit la mallette rangée en hauteur, sur la dernière étagère la plus à gauche de la remise – plus de quinze kilos d'équipement, qu'il souleva comme un fétu de paille sur son épaule avant de ressortir, refermant soigneusement la porte derrière lui, alors que la voix de Teach s'élevait dans le talkie pour annoncer que Luffy s'approchait de la sortie du bâtiment ; ralenti par sa méconnaissance des lieux, mais loin d'être assez bête pour se faire piéger par les dédales de corridors.

La voix de Law s'éleva à son tour depuis le canal de Kaya pour leur ordonner de ne rien faire et d'attendre Ace ; Ace qui, entre-temps, avait emprunté d'autres volées d'escaliers, jusqu'à arriver au dernier étage, sur la mezzanine, où la trappe d'accès au toit se dessinait avec son lot de verrous, qu'il déverrouilla un par un – il tira sur l'échelle escamotable qui se déplia dans un bruit assourdissant, grimpa quelques barreaux, la mallette devant lui pour la pousser par l'ouverture par laquelle il était certain que Magellan ou Franky ne pourraient jamais passer, faute à leur corpulence. Il s'y faufila à son tour, reprit son coffrage et traversa le toit gravillonné, ses pas crissant dans le soleil qui émergeait à présent par-dessus les murs, baignant la pelouse chargée de rosée de ses rayons d'or, éclairant la silhouette de Kid qui était désormais à vue dans la cour intérieure, en train de traverser l'étendue herbeuse vers la porte d'accès principale, celle par laquelle Luffy était entré pour la première fois à l'asile.

- Je suis sur le toit, Law, marmonna-t-il dans le talkie en ouvrant la mallette, retirant le fusil de son logement, dépliant les pieds de l'engin de mort pour le déposer au sol et installer la lunette de tir et le verrou dans la culasse, insérant une unique cartouche dans la chambre.

Il pourrait en charger d'autres, par mesure de précaution, mais il n'avait pas le droit à l'erreur et préférait compter sur cette unique chance de réussir, avec l'occasion de racheter son égo mis à mal quelques minutes auparavant.
Il leva la main à l'attention des tireurs postés sur les miradors et se désigna, signe qu'il prenait le relais – Law lui donnait, lui aussi, une carte blanche sur un plateau d'argent pour ce coup-là. Non pas qu'il n'avait pas confiance en ceux chargés de monter la garde, mais Ace était le plus doué sur les tirs longue portée et le but premier était de préserver Luffy, là où les surveillants avaient pour consigne d'abattre quiconque tentait, avec succès ou non, de s'évader.

- Il est trop loin, Ace, laisse Bellamy rattraper le coup, souffla Gladius dans le talkie posé près du fusil.

- J'ai presque quatre kilomètres de portée de tir un jour sans vent, rétorqua Ace en s'allongeant au sol, accoudé dans les gravillons, l'œil collé à la lunette, le doigt sur la détente, ajustant délicatement la visée.

Sa vision vacillait, encore brouillée des coups répétés reçus plus tôt, et la nausée qui lui soulevait les tripes ne l'aidait pas à stabiliser sa portée.

- Putain me dis pas que tu vas le charger à balles réelles… ? s'exclama la voix de Thatch.

- Fermez-la, siffla Law. C'est moi qui dirige, ici. Si vous voulez ma place et gérer ce bordel, à votre guise, messieurs.

Ace garda les deux yeux ouverts, ajustant la convergence de sa vision avec le collimateur, la lunette suivant la trajectoire du fuyard qui ne décélérait pas.
Avec la concentration s'amassait une foule de souvenirs venus de sa vie antérieure, des heures passées dans le froid sibérien, la chaleur infernale des dunes et des pierres d'Afghanistan, sous la pluie diluvienne du Meghalaya, à rester tapi dans l'attente d'un ordre, d'une fenêtre de tir ; des mois, des années d'expérience qui venaient à chaque fois enrichir ses connaissances – à la différence près qu'il n'avait jamais reçu pour ordre de laisser ses cibles en vie.

- Il est à quatre cents mètres de la porte, annonça Gladius, nerveux.

- Tout doux, chuchota l'infirmier en pressant la touche de son talkie de sa main libre. Il fait du 9 mètres seconde à tout casser… le fusil envoie les projectiles à 900. Il ira jamais aussi vite que mes balles.

- Vous êtes complètement malades, tous les deux… ! s'exclama Thatch, outré.

- T'iras dire ça à Penguin quand il verra que son frère a la jugulaire perforée, cingla Teach.

Ace avait fait une croix sur tout ça en montant dans l'avion qui lui accordait un aller simple vers sa dernière destination.
Laissé derrière lui sa vie d'avant, les cadavres qui débordaient de son placard, les cris d'agonie qui ponctuaient toujours la fin de ses missions avant qu'il ne rentre au bercail pour d'autres exécutions.
Il n'avait aucune raison de se rater, mais l'idée de tuer une personne de plus, que ce soit par accident ou par volonté propre, lui laissait un poids en travers de la gorge ; fût un temps, qui n'était pas si éloigné de l'instant présent, il était le premier à se porter volontaire, sans contester la moindre séquence du plan élaboré par ses supérieurs, sans discuter le plus petit détail, peu importe le modus operandi. Conditionné à ne rien discuter, là où Law avait fait des miracles – qu'il regrettait sûrement, parfois, quand Ace s'octroyait le luxe de contrer ses directives lorsqu'il les jugeait inadéquates ou améliorables.

Il savait qu'il n'y avait pas d'autre solution, en l'absence de Magellan et d'items adéquats – une autre faiblesse que Law s'évertuerait à corriger au retour de son chimiste – mais le risque de perdre ce que le psychiatre considérait comme la marchandise la plus précieuse de sa galerie ne quittait pas ses pensées, comme la gale creusait inexorablement ses sillons sous la peau.
Impossible de lui envoyer des doses au hasard au risque de le tuer, à l'injection ou dans les minutes à venir, sans l'expertise du concepteur ; ce qui convenait à certains internés n'était pas fait pour d'autres, et Ace ne se sentait pas de s'essayer au jeu de hasard dans cette partie.

- Ace… ?

Encore une fois, la voix de Law l'arracha à ses songes, la lunette toujours dirigée sur Kid.

- … je suis là.

- Maintenant.

- … t'es sûr de toi… ? chuchota-t-il en éprouvant la résistance de la gâchette sous son doigt.

- Ace, ne discute pas. Tire.

- Law, on a encore–

- C'EST UN ORDRE… ! vociféra le psychiatre à l'autre bout du signal.

Il pressa la détente et Kid s'effondra dans l'allée, une fraction de seconde avant que la déflagration ne résonne dans l'enceinte ; un tir précis, trois fois plus rapide que le son, en plein dans la hanche traversée de part en part – le hurlement qui résonna entre les murs lui glaça le sang, la voix de Luffy reconnaissable entre mille, alors que Bonney débarquait dans l'allée en courant pour s'agenouiller près de lui, soulevant sa tête pour la poser sur ses genoux avant de soulever son tee-shirt et d'évaluer la blessure.

Ace démonta le fusil, récupéra l'étui éjecté dans les graviers et rangea le matériel à la hâte, refermant la mallette de ses mains fébriles, retrouvant le chemin de la trappe qu'il verrouilla sur son passage, le cœur battant à tout rompre, plus nauséeux encore qu'il ne l'était déjà. La gorge nouée, il redescendit à la réserve, croisant Thatch sur son chemin – il n'entendit pas un mot de ce qu'il lui dit, à ce moment, les oreilles bourdonnantes, focalisé sur sa première tâche, à savoir remettre l'arme en place. Elle lui sembla peser des tonnes quand il la reposa sur le rack, alors que des voix s'élevaient du talkie-walkie, les effectifs se divisant en deux équipes ; il descendit les volées d'escaliers qui lui semblaient vertigineuses, l'attirant vers l'avant dans un gouffre sans fin, l'obligeant à se raccrocher aux rambardes alors que ses pas le ramenaient dehors, où Thatch, Bonney et Teach se pressaient autour de Luffy et de ses pleurs incontrôlables.

Il entendait la voix du directeur, dans le talkie, leur annoncer qu'il avait rappelé Magellan qui serait de retour à l'asile dans moins de vingt minutes et qu'ils allaient devoir se débrouiller pour tenir jusque-là ; il chargeait Gladius et Penguin de préparer l'évacuation de Shachi vers la Nouvelle-Orléans, le bloc chirurgical présent sur place n'étant pas conçu pour une blessure aussi lourde, mais qu'il suffirait pour soigner Luffy, Lami se préparant déjà pour l'intervention en attendant le retour de Magellan pour l'anesthésie.

- Sschh… ça va aller, d'accord… ? murmura Bonney en épongeant la sueur sur le front de Luffy.

Ace s'accroupit pour ramasser la balle, déformée mais intacte, qu'il rangea dans sa poche avant de s'approcher de Luffy et de considérer l'étendue des dégâts – à 10 centimètres de la colonne vertébrale et des artères mésentériques, au-dessus de l'os du bassin. Balle traversante, sans points vitaux endommagés ou os pulvérisé mais une douleur à crever et aucun risque de le voir courir avec une blessure pareille.
Dire qu'il se sentait coupable, en regardant Luffy sangloter, était un euphémisme ; il saisit la main tendue du jeune homme, sentant sa paume poisseuse de sang coller à la sienne, garda le silence malgré l'envie quasi irrépressible de lui avouer que c'était de sa faute.

- … il est transportable en l'état… ? s'enquit Thatch en les dévisageant un par un.

- La blessure est impressionnante mais pas dangereuse, murmura Ace en caressant le bras de son patient. Ça va lui faire un mal de chien mais ça n'aggravera rien. Teach, tu peux le porter… ?

Le chef de service acquiesça, glissa un bras derrière ses genoux, l'autre sous sa nuque et leva les yeux dans sa direction, attendant son signal, Bonney maintenant sa tête et Thatch s'éloignant en courant en direction des portes, à quelques centaines de mètres de là.

- T'inspires, et tu serres les dents, souffla-t-il à l'adolescent avant d'hocher la tête à l'intention de son collègue, qui le hissa dans ses bras comme s'il ne pesait rien.

Le genre de force nécessaire, dans ces moments-là, Ace n'étant pas certain de pouvoir passer par-dessus ses remords pour supporter de lui infliger une épreuve supplémentaire ; les yeux de Luffy se révulsèrent, ses doigts se crispèrent sur les siens mais Ace ne lâcha pas prise, suivant Teach et Bonney jusqu'à la porte d'entrée gardée grande ouverte par le quatrième infirmier – cette fois, l'adolescent relâcha son étreinte, son regard accusateur rivé dans le sien et la dureté de ses traits lui signifiant que Zoro avait enfin pris le relai, et qu'ils allaient certainement payer cette incartade au centuple.

Law arriva quand les portes de l'ascenseur se refermèrent sur le quatuor, direction le sous-sol, contempla un bref moment les gouttes de sang jalonnant les pavés de l'entrée avant de reporter son attention sur Ace, figé dans l'encadrement des portes de verre, blême sous ses taches de rousseur, les yeux de la taille de la lune. Il pressa le pas vers lui, l'attrapa par le col de sa tenue et, sans un mot, l'entraîna à sa suite dans le couloir, chaque pas le forçant à soutenir un peu plus son adjoint et ses jambes flageolantes – il avait passé des années à le déconditionner, à le faire sortir de ce cycle infernal duquel le Spetsnaz était incapable de s'extraire seul, à faire ressortir ce qu'il y avait de plus humain en lui et qu'il avait refoulé loin de tout ce qu'il avait été contraint de faire depuis son adolescence : Law n'était pas surpris de le voir en arriver là, coincé entre son devoir et ses angoisses d'enfant qu'il avait réprimées pendant trop longtemps.

D'aucun aurait pu trouver la situation ridicule, à voir Ace flancher de la sorte, mais Law savait trop ce qu'il en coûtait à un homme d'aller contre ses principes après avoir encaissé des années durant ; des militaires de carrière passaient des décennies, voire même des vies entières sans jamais avoir à sortir leur arme et il était parfaitement lucide sur le fait qu'Ace n'avait jamais eu la moindre seconde de répit quand il était question de devoir baisser la sienne.

Ace, son pur cas d'école quand il était question de stress post-traumatique, ce qu'il pensait être sa meilleure réussite mais qui, comme n'importe quel homme, devait un jour ou l'autre affronter ses démons.

Law aurait aimé atteindre son bureau, loin du tumulte de l'asile, des bruits de pas dans les couloirs, des éclats de voix qui passaient outre les lois du silence établies avant le réveil des internés, des ordres lancés à droite et à gauche, de l'agitation nerveuse bien que toujours maîtrisée qui régnait entre ces murs, mais il n'en eut pas le temps ; Ace se braqua, tétanisé, tirant à contre-sens, mais Law fut plus agile et le força à s'asseoir au sol d'une clé de bras précise et rapide, se laissant tomber à ses côtés pour le ramener entre ses jambes, l'empêchant de se débattre en le ceinturant d'un bras, sa main plaquée sur son front pour l'immobiliser et éviter de se faire briser le nez d'un coup de crâne. Il n'avait pas beaucoup de temps pour juguler sa crise de panique, avant qu'Ace ne devienne incontrôlable et ne fasse quelque chose qu'il regretterait à coup sûr.

T-t-t-… schhh, Ace… bordel, calme-toi… ! ordonna-t-il en luttant contre ses gestes désordonnés, fouillant dans ses propres poches pour en sortir son briquet et craquer la pierre, créant une flamme dans la pénombre du couloir. … je suis là, je te lâche pas… concentre-toi.

Ace tendit une main tremblante et frôla, du bout des doigts, la silhouette vacillante de la flamme, ses yeux noirs rivés sur l'objet de sa convoitise, ses traits débarrassés de la tension qui l'avait paralysé sur place, incapable de se défaire de ses pulsions ou de passer par-dessus leur appel.

- Inspire… expire…, le guida le psychiatre en le gardant serré contre lui. Doucement, OK… ?

Ace avait encore sa cigarette à la main quand il l'avait trouvé devant la résidence étudiante du campus de Moscou en proie à un incendie tel que Law n'en avait encore jamais vu dans sa vie.

Debout sur le muret du parc, à quelques dizaines de mètres, la peau rougie par la chaleur infernale du brasier, hypnotisé par le foyer rouge et or qu'il avait créé quelques minutes plus tôt – comment et quand exactement, Law l'ignorait, mais il n'avait plus aucun doute sur le fait que c'était lui, le responsable de toutes les catastrophes incendiaires méthodiquement épluchées et détaillées dans le dossier d'Absalom. Jamais pris sur les scènes de crime, trop doué pour se fondre dans la foule et disparaître sans se faire repérer.
Maladivement fasciné par le feu, pris d'une irrépressible envie d'en créer toujours plus, toujours plus spectaculaires, jamais satisfait de celui tout juste terminé, avec une accélération notable du rythme des incidences.
Les pyromanes, les purs et durs qui ne vivaient que pour l'instant éphémère que leur procurait le départ d'un braiser, étaient une rareté sur le marché de la psychiatrie, et à ce jour Law était toujours incapable de décrire l'intensité, presque sexuelle, de ce qu'il avait vu dans le regard d'Ace inexorablement rivé dans les flammes qu'il avait créées. C'était sa manière à lui d'évacuer ce qui le terrifiait, de vider le trop-plein d'émotions qui menaçait de déborder à chaque fois qu'il tirait trop sur la corde, et personne ne pourrait jamais expliquer pourquoi sa catharsis s'exprimait par le feu plutôt que par le moyen des mots.

Ses incendies avaient déjà provoqué des dizaines de mort – un chiffre loin d'être aussi singulier que le nombre de personnes qu'il avait été chargé de liquider dans ses huit années de carrière dans son escadron de la mort – mais qui ne pouvaient pas être admises ou passées sous silence par sa hiérarchie, quand bien même ils avaient sous leurs ordres l'une des meilleures recrues de la décennie.
Dans cette longue minute où le temps s'était suspendu, uniquement rythmé par le rugissement des flammes et leur empressement à tout consumer sur leur passage, Ace l'avait lui aussi repéré, momentanément arraché à son avide contemplation : Law ignorait encore pourquoi le Spetsnaz ne s'était pas débarrassé de lui à cet instant. Beaucoup trop de témoins amassés aux alentours ? Mais pas impossible en le suivant jusqu'à son hôtel pour le faire taire une bonne fois pour toutes et l'empêcher de baver sur son compte. Si facile pour quelqu'un comme lui, qui avait dû traquer des proies bien plus dures à débusquer. Etait-ce une manière, pour Ace, d'en finir avec cette fuite, ses secrets trop lourds à porter parmi tous ceux qu'il gardait déjà au fond de lui ? De cesser de se cacher, ombre parmi les ombres, fatigué de s'évertuer à passer entre les mailles du filet ?

Law avait rendu son rapport sur le pyromane avec, en guise de prologue, dix pages complètes sur les arguments qu'il avait à sa portée pour les convaincre de ne pas le faire exécuter par un peloton, mais plutôt de l'autoriser à l'extrader en Louisiane, perdu dans les marais les plus marécageux qui soient, oublié du reste du monde, pour ses besoins personnels. Avec l'engagement qu'en cas de désertion, Law lui mettrait lui-même une balle dans la nuque.

De toute manière, c'était la seule autre option valable en dehors de l'exécution sommaire – il était encore surpris, parfois, de la facilité avec laquelle ils avaient accepté cette solution, mais il avait été le dernier à s'en plaindre. Un peu d'audace mêlée à une forte dose de chance, qui lui avait permis d'envisager Ace comme un adjoint fiable malgré son goût prononcé pour les incendies.
Le pari était risqué, mais à aucun moment il n'avait regretté son choix, pas même là, à cet instant où Ace avait rendu les armes pour une cascade de minutes, un écart de conduite dans sa discipline et ses efforts quotidiens, sûrement exacerbé par leur discussion à propos de sa relation avec Bonney.

Sujet qui revint de plein fouet dans sa mémoire, rajoutant une pièce dans la tirelire de la migraine qui semblait vouloir persister et signer ; comment gérer tout ça en si peu de temps ?

- … Law… ? s'éleva la voix de Bonney dans le talkie d'Ace.

- Je t'écoute, murmura-t-il sans cesser de contempler son meilleur ami, malgré son calme qu'il savait de façade.

- Il y a un cahier bleu sorti sur le bureau de Luffy. Je te l'amène ?

- S'il te plaît. Et viens seule.

Il songea qu'a priori, Bonney ignorait tout de la confession d'Ace et que ce n'était absolument pas le moment opportun pour discuter de leurs écarts au règlement, au risque de la braquer et de ne plus pouvoir gérer ni l'un, ni l'autre. Il relâcha son appui sur le briquet, faisant disparaître la flamme, jaugeant la réaction de son adjoint qui se contenta de cligner des yeux, toujours étendu contre lui de tout son poids, qui commençait à peser lourd sur la respiration du psychiatre ; mais les besoins d'Ace passaient avant les siens.
Law plaqua un baiser rapide dans ses cheveux bruns, brève marque d'affection dont il était capable – il entendait presque sa mère lui dire qu'elle était fière de lui et de ses efforts – et l'aida à se redresser, arrangeant sa tenue froissée sur ses épaules, balayant de son visage encore pâle les mèches échappées de sa queue-de-cheval, lui imprimant une brève secousse qui le força à tourner les yeux dans sa direction. Encore vitreux, mais débarrassés de cette expression qui lui rappelait beaucoup trop le Ace d'avant, celui qu'il espérait toujours avoir laissé à Snejinsk.

- … comment tu te sens… ? chuchota le psychiatre.

- … j'ai envie de mourir.

- Alors tu vas t'en remettre. T'as connu bien pire que ça, Portgas.

Il perçut des pas, dans le couloir, siffla et attendit que Bonney contourne l'ascenseur pour les apercevoir au fond du corridor, avant de les rejoindre en tentant de contenir l'angoisse qui se lisait sur son visage au fur et à mesure qu'elle se rapprochait d'eux ; une angoisse toute tournée vers Ace et son air apathique, qu'elle n'avait pas eu souvent l'occasion de voir en une décennie et qu'elle s'efforçait d'aborder de manière professionnelle, malgré ce qui les liait. Elle tendit le cahier à Law et s'agenouilla près d'eux, le regardant hésiter en détaillant la couverture.

- … tu ne l'ouvres pas ?

- Honnêtement… je ne sais pas ce que je vais y trouver, alors je prends le temps d'évaluer ce que ça va me rapporter et me coûter.

- Je pense que c'est celui de Nojiko. M'est avis que tu ne trouveras rien d'insurmontable à l'intérieur.

Il l'ouvrit sur ses genoux et atteignit directement la dernière page, celle où il reconnut l'écriture brouillonne de Luffy, sans rien de plus inscrit en-dessous ; il parcourut les dernières lignes en diagonale, celles qui parlaient des essais à la Nouvelle-Orléans, de la discrétion qu'il lui demandait d'observer et de son avis qu'il sollicitait, le tout en des termes prudents qu'il ne lui aurait jamais prêtés.

- … je suppose… que c'est Kid qui a lu la page destinée à Nojiko, murmura Law en jetant un coup d'œil à Bonney plongée dans une profonde réflexion.

- C'est stupide de sa part d'avoir réagi de cette manière. Il aurait largement pu attendre d'être à la Nouvelle-Orléans pour faire son petit numéro… je vois pas l'intérêt de le faire ici.

- C'est pas la sortie, le problème, marmonna Ace en se frottant le visage, la voix éraillée.

… la médication contrainte ? proposa Bonney.

- Si je trouve le moyen de forcer le changement de personnalité, alors je trouve le moyen de l'empêcher aussi. Donc de limiter voire supprimer l'apparition des alters… Kid y compris, ajouta Law en refermant le cahier. Il a préféré tenter sa chance plutôt que de prendre le risque de partir définitivement.

Preuve définitive pour Law qu'à partir de cet instant, le premier alter ego de Luffy ne se laisserait plus amadouer par quoi que ce soit, et que son but serait de faire sortir le groupe, peu importe le prix à payer.

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On se retrouve en Juillet pour la suite... prenez soin de vous !