Chapitre 6 : Un autre monde bien plus brillant
Toutefois, lorsqu'il sortit à son tour, Mike constata que les deux adolescents étaient également partis. Il retourna vers les autres et le leur annonça.
Le groupe d'enfants se réfugia ensuite à l'intérieur de la cafétéria du collège. Douze se rappela alors de la conversation qu'il voulait avoir avec Mike. Les événements récents l'en avaient empêché mais maintenant que tout était calme, il se dit que c'était l'occasion parfaite.
Douze se leva et se dirigeait vers le brun quand il vit ce dernier prendre son amie par la main et l'entraîner jusqu'à une table. Il fut tenté de les suivre pour écouter leur conversation mais renonça en se disant qu'à leur place, il n'aimerait pas être épié de la sorte.
En revanche, il manqua de s'étouffer lorsqu'il vit, quelques minutes plus tard, Mike déposer un rapide baiser sur les lèvres de son amie et reculer aussitôt, l'air gêné.
Douze n'eut pas le temps de réagir à l'événement car, au même moment, l'attention des enfants fut attirée par des bruits à l'extérieur. Dustin et Lucas étant partis en cuisine, ils se précipitèrent aux fenêtres et ce qu'ils virent n'augurait rien de bon.
Des véhicules blindés et des camionnettes portant le logo du Département de l'Énergie étaient en train de se garer sur le parking du collège. Dustin et Lucas revinrent à ce moment-là, les bras chargés de boîtes. Le premier s'exclama, avant d'être coupé par Douze :
– On à trouvé le…
– On n'a pas le temps ! Ils nous ont trouvés !
Douze n'eut pas besoin de préciser qui étaient les personnes dont il parlait. Les enfants ne perdirent pas de temps. Ils quittèrent le réfectoire et s'élancèrent dans les couloirs. Alors qu'ils entendirent les doubles portes claquer derrière, des pas résonnèrent dans la pièce qu'ils venaient de quitter.
Au bout de seulement quelques mètres, les pas se rapprochèrent de plus en plus et d'autres commencèrent à venir d'un couloir voisin. Les enfants, encerclés, furent rapidement contraints de s'arrêter.
Ils se regroupèrent instinctivement afin de se tenir éloignés de leurs poursuivants, parmi lesquels Douze reconnut la femme qui était venue chez Benny.
Soudain, les adultes se mirent à saigner des yeux puis un bruit retentit dans le couloir et ils s'effondrèrent tous en même temps, morts. Onze s'écroula au sol, l'effort fourni pour se débarrasser de leurs ennemis l'ayant vidée de ses forces. Les garçons se rapprochèrent d'elle afin de la protéger et, au même moment, d'autres pas retentirent dans le couloir.
Le Dr Brenner fit alors son apparition, une cohorte de scientifiques sur les talons. Avant d'avoir eu le temps de réagir, Mike, Dustin et Lucas furent capturés et maîtrisés.
Douze se figea à la vue de celui qui les avaient gardés enfermés pendant plus de dix ans. Le garçon fut envahis par un flot de sentiments contradictoires. Si la peur prédominait, il se sentait pour autant incapable de faire du mal au scientifique. Ce dernier avait beau être détestable, il n'en n'avait pas moins été leur seule figure parentale pendante des années. Le revoir après une semaine passée loin du labo était une chose dont Douze se serait bien passé.
Le jeune garçon se plaça devant son amie, qui n'avait toujours pas la force de se relever, dans l'espoir de la protéger mais son effort fut vain. Le Dr Brenner l'écarta sans douceur et se pencha vers elle. Il prit la jeune fille dans ses bras et se releva.
Le vieux scientifique tenta de berner les deux enfants avec des promesses :
— Si vous acceptez de rentrer à la maison sans faire d'histoires, je vous promets qu'il n'arrivera rien à vos camarades.
Douze lui jeta un regard méfiant. Il n'était pas dupe, il savait pertinemment que les garçons en savaient trop pour que Papa prenne le risque de les laisser en vie. Il allait répondre mais Onze, qui semblait aller un peu mieux, le fit à sa place :
— Non. Tu mens.
Au même moment, Douze vit le regard de Mike se poser sur les flaques de sang au sol et entendit le garçon murmurer :
– Bain de sang…
Il lui fallut quelques minutes pour comprendre à quoi le jeune garçon faisait référence et eut la réponse au moment où le déclic se fit dans son esprit. Le demogorgon, la créature qui avait enlevé Will et tué Barb, surgit en détruisant le mur. Le monstre était attiré par le sang.
La bête se jeta aussitôt sur les cadavres au sol et commença à les dévorer. Les scientifiques qui retenaient les trois garçons prisonniers cédèrent à la panique.
Brenner fut contraint de lâcher Onze et les enfants en profitèrent pour s'enfuir avec Onze dans les bras de Mike.
Ils trouvèrent refuge dans une salle de classe et refermèrent la porte derrière eux sans attendre.
Mike déposa la jeune fille sur une table et resta près d'elle tandis que les trois autres garçons firent une barricade de fortune devant la porte avec des tables sur lesquelles ils empilèrent grossièrement des chaises.
Ils étaient tous conscients que cela ne suffirait pas à arrêter le monstre mais espéraient pouvoir au moins le ralentir quelques minutes afin de gagner du temps.
Douze espérait que cela fonctionnerait assez longtemps pour que son amie retrouve les forces suffisantes pour pouvoir vaincre la créature.
Malheureusement, il semblait que la chance ne fut pas de leur côté ce soir-là. Le demogorgon défonça sans la moindre difficulté leur barricade, les forçant à reculer dans le fond de la pièce, où se trouvaient les deux autres, pour ne pas être blessés. Puis il déboula dans la salle de classe.
Tout se passa ensuite très vite. La créature entra dans la pièce et son regard aveugle se posa sur les enfants agglutinés contre le mur du fond.
Il s'élança pour attaquer. Lucas tenta à plusieurs reprises de le viser avec sa fronde, en vain. Au même moment, Onze parvint à se relever et envoya la créature contre le tableau. Douze se leva et alla aussitôt prêter main-forte à son amie.
Ses pouvoirs à lui étaient de type passif/défensif mais il espérait quand même pouvoir lui venir en aide. Mike, Dustin et Lucas se levèrent mais la jeune fille les repoussa d'une main et les renvoya contre le mur.
Elle murmura :
– Plus jamais !
La jeune fille vit le bouclier de son ami se déployer autour d'elle, pour tenter de la protéger. Elle se tourna une dernière fois vers le trio et dit à voix basse :
– Adieu, Mike…
Le demogorgon commença à se désagréger petit à petit, enveloppant les deux enfants dans un « nuage » de particules sombre et volatiles.
Lorsqu'il se dissipa, il ne restait que les trois garçons au fond de la salle.
OoooO
Au milieu du nuage de particules, Douze avait du mal à voir son amie devant lui. Le jeune garçon se sentit comme aspiré et ferma instinctivement les yeux.
Lorsqu'il les rouvrit, il était toujours dans la salle de classe mais l'ambiance était totalement différente. Douze était seul et il faisait sombre. Tout était coloré en nuances de gris et il avait beaucoup de mal à respirer.
Des « flocons » qui ressemblaient à s'y méprendre à des cendres, étaient en suspension dans l'air. Il reconnut les particules qu'il y avait déjà dans la salle de classe.
Il sût immédiatement où il avait atterri : le monde à l'envers. Il sortit de la salle et arriva dans un couloir. Il n'avait que deux objectifs en tête : retourner dans le monde réel et retrouver Onze. Elle devait logiquement avoir atterri pas très loin d'ici, puisqu'ils étaient dans la même pièce à l'origine.
Le couloir était exactement dans le même état que la salle de classe. À force d'avancer, il finit par repérer une déchirure dans un mur. Il s'en approcha et constata qu'il s'agissait d'un portail. Le garçon passa une main à travers la membrane gluante et fut heureux de sentir de l'air frais sur sa main. Il n'était bien sûr pas à l'abri d'un faux espoir mais il se dit qu'il ne saurait qu'en essayant. Il passa son autre bras afin d'achever de déchirer la membrane puis le reste de son corps traversa.
Douze fut infiniment soulagé de voir qu'il ne s'était pas trompé. Il était bel et bien de retour dans le monde tel qu'il le connaissait. Il allait se mettre en quête de son amie lorsqu'une voix s'éleva à quelques mètres devant lui :
– Douze ?
Le jeune garçon releva la tête à l'entente de son nom. Ses yeux se posèrent sur un homme du même âge que le Dr Brenner mais dont l'air profondément gentil - il faisait penser à un papy gâteau - contrastait nettement avec celui de l'homme qu'il avait appelé Papa.
Toutefois, il restait méfiant. L'homme travaillait peut-être pour Brenner. Il n'avait aucun moyen de le savoir. Comme s'il avait senti les doutes du plus jeune, l'homme reprit :
– Je ne te veux aucun mal, mon garçon. Je m'appelle Samuel Owens. Je suis scientifique au laboratoire de Hawkins, je viens d'être nommé pour prendre la suite des recherches du Dr Brenner. Mais, avant tout, j'ai des choses à te révéler.
– Quel genre de choses ? enchaîna l'enfant, toujours aussi méfiant.
– Un vieil ami à moi recherche depuis des années un jeune garçon porté disparu dans son pays. Et il se trouve que tu corresponds parfaitement à la description qui m'a été faite de cet enfant.
Douze n'en revenait pas. L'adulte lui annonçait cela comme s'il lui parlait de la météo. Mais le jeune garçon était curieux :
– Vous pouvez développer ?
Le Dr Owens acquiesça puis enchaîna en lui disant :
– D'après ton dossier, tu es arrivé au laboratoire à l'âge de quinze mois, le matin du premier novembre 1972.
Douze, trop jeune pour s'en souvenir, ne pouvait que le croire sur parole, mais il sentait que son interlocuteur était sincère. Il l'encouragea à continuer et l'adulte repris :
– Soit quelques heures à peine après la disparition de cet enfant.
Le plus jeune devait bien admettre que cela était un peu gros pour n'être qu'une coïncidence. Le scientifique lui fit ensuite une proposition intéressante :
– Est-ce que tu serais d'accord pour rencontrer mon ami ?
Douze hésita. Il ne savait toujours pas où était Onze et cela l'inquiétait. Il avait peur qu'il lui soit arrivé quelque chose. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Owens ajouta :
– Ton amie va bien et je veillerais personnellement à ce qu'elle soit mise en sécurité.
Même s'il avait envie de croire à ce que lui disait le scientifique, Douze restait méfiant. Après tout, aucun des autres hommes de science qu'il avait rencontrés jusque-là ne s'était montré digne de confiance. Il était inquiet à l'idée que Onze soit seule, quelque part dans la forêt. Il ne doutait pas de ses capacités à s'en sortir. Il avait surtout peur qu'elle fasse une mauvaise rencontre. Ce fut ce qui le poussa à répondre :
— Si vous voulez que j'accepte de rencontrer votre ami, il va falloir me donner des preuves de ce que vous avancez.
Le Dr Owens réfléchit puis, désireux de montrer sa bonne foi, acquiesça. Il dit :
— Je vais te montrer où elle était la dernière fois que je l'ai vue. Ça te va ?
— Oui.
— Bien. Alors nous n'avons pas de temps à perdre, il ne faut surtout pas que les hommes du Dr Brenner retrouvent notre trace.
Il prit Douze par la main et le guida jusqu'à une maison qu'il reconnut comme étant celle de Mike. De loin, il vit son amie regarder à l'intérieur de l'habitation. Puis le regard de la jeune fille se posa sur quelque chose qu'il ne put pas voir et elle partit en courant. Douze voulut aller la rejoindre mais le Dr Owens l'en empêcha en le retenant par le bras.
Le jeune garçon jeta un regard furieux au scientifique, ne comprenant pas pourquoi ce dernier cherchait à l'empêcher de voir son amie. L'adulte lui montra alors ce qui avait fait fuir la jeune fille. Une camionnette portant le logo du Département de l'Énergie était garée à proximité.
Douze, ayant eu la preuve que le Dr Owens disait la vérité au sujet de Onze, accepta ensuite de suivre l'adulte jusqu'à sa voiture, garée un peu plus loin. Tous les deux savaient qu'ils ne passeraient pas inaperçus : un vieux scientifique et un enfant de douze ans qui portait des vêtements sales et trempés, ça ne courrait pas les rues.
Le jeune garçon s'installa sur la banquette arrière de la voiture et le scientifique lui expliqua comment attacher sa ceinture, puisque c'était son premier voyage dans un engin motorisé.
Le Dr Owens démarra ensuite et prit la direction de l'aéroport le plus proche. Douze se retourna. D'où il était, il avait une vue sur l'entrée du collège, où des voitures de police et des véhicules de secours étaient garés. Il y avait de l'agitation et il pouvait deviner pourquoi. Autre chose l'inquiétait : il ne savait pas si Mrs Byers et Hopper avaient réussi à retrouver Will. Il espérait que oui.
À mesure qu'il s'éloignait, les personnes présentes devant le collège devinrent de plus en plus petites mais il put quand même apercevoir Mike, Dustin et Lucas retrouver leurs parents. Il fut heureux de voir qu'ils allaient bien tous les trois.
Au moment où Douze allait se remettre dans la bonne position, un mouvement attira son regard. Il vit une voiture noire démarrer et prendre la même direction qu'eux. Il se dit d'abord que ce n'était peut-être qu'un hasard mais lorsque le véhicule calqua sa trajectoire sur la leur, il en eut la certitude. Ils étaient suivis.
Il se rassit correctement et dit à son chauffeur du moment :
— Monsieur ?
— Oui ?
Puis Owens ajouta :
— Et tu peux m'appeler Sam, si tu veux.
Le plus jeune acquiesça puis expliqua :
— On est suivis.
L'adulte jeta un coup d'œil dans son rétroviseur et vit la voiture noire qui était juste derrière eux. Pour ne pas paraître suspect, il fit comme s'il n'avait rien vu.
Un peu moins d'une heure plus tard, il se garait sur le parking de l'aéroport.
Les deux passagers descendirent mais ils n'avaient parcouru que quelques mètres lorsqu'ils furent encerclés par plusieurs hommes armés.
L'un d'eux pris la parole :
— Rendez-nous le garçon, Dr Owens. Si vous obtempérez sans faire d'histoires, tout se passera bien pour vous deux.
Le scientifique n'eut que quelques secondes pour réfléchir à ce qu'il allait faire ensuite mais une chose était certaine : présenter Douze à Albus n'était plus envisageable pour le moment. La meilleure option était de ramener le jeune garçon à Hawkins et de le confier à quelqu'un qui saurait assurer sa sécurité aussi longtemps que ce serait nécessaire.
Un nom lui vint aussitôt en tête : Jim Hopper. L'homme était le chef de la police de Hawkins et, d'après les informations qu'il avait, possédait une cabane dans la forêt. L'endroit idéal pour cacher un enfant - et même deux, si les choses se déroulaient comme il l'avait prévu -.
Tout se passa ensuite très vite. L'homme et l'enfant disparurent sous les yeux choqués de leurs assaillants et coururent aussi vite que possible jusqu'à la voiture.
Le temps que leurs poursuivants reprennent leurs esprits et comprennent ce qu'il se passait, le véhicule du Dr Owens n'était déjà plus visible.
Dès qu'il estima que le danger était écarté, Douze annula son pouvoir et essuya le sang qui coulait de son nez. Le scientifique se tourna vers lui et dit :
— Merci. Tu viens de nous sortir d'un sacré pétrin.
— De rien, répondit l'enfant. Qu'est ce qu'on fait maintenant ? Où est-ce qu'on va ? ajouta-t-il, inquiet.
Sam répondit :
— Te présenter à mon ami n'est plus envisageable pour le moment. Je vais donc te ramener à Hawkins et te confier à quelqu'un qui pourra vous protéger, Onze et toi.
Le trajet se passa ensuite en silence. Douze ne pouvait s'empêcher de jeter des regards anxieux sur la route derrière eux pour s'assurer que personne ne les suivait. Le jeune garçon ne cessa de s'inquiéter que lorsqu'ils passèrent devant le panneau d'entrée de la ville. Douze était déçu que la rencontre n'ait finalement pas pu se faire mais dans le même temps, il était soulagé qu'ils aient réussi à échapper aux hommes du Dr Brenner. S'il avait dû retourner au labo, il ne savait pas s'il aurait pu le supporter, d'autant plus qu'il était conscient que Papa lui aurait fait payer leur fuite.
Le Dr Owens arrêta sa voiture sur le bord de la route, près de la forêt puis fit signe à l'enfant de l'attendre ici. Il sortit du véhicule et pénétra dans les bois.
Le jeune garçon ne sut pas combien de temps le scientifique s'absenta mais lorsqu'il revint, ce dernier ouvrit sa portière et lui fit signe de le suivre. Le plus jeune s'exécuta sans poser de questions. Il emboita le pas de l'adulte, qui marcha jusqu'à une petite maison avec un balcon devant laquelle était garé un pick-up flanqué du logo de la police de la ville.
Le Dr Owens alla frapper à la porte, Douze sur les talons. Pendant qu'ils attendaient qu'on vienne leur ouvrir, le garçon promena son regard autour de lui et se dit qu'effectivement, les lieux avaient l'air très isolés. C'était l'endroit idéal pour cacher quelqu'un.
Owens frappa à nouveau contre le battant de bois, un peu plus fort cette fois-ci.
Douze en était à ce stade de ses réflexions lorsqu'une voix bourrue, qu'il reconnut comme étant celle du chef de la police, s'éleva :
— Oui, oui, c'est bon, j'arrive !
La porte s'ouvrit juste après sur Jim Hopper, dont le visage s'éclaira en reconnaissant Samuel Owens. Il jeta un coup d'oeil à l'enfant qui accompagnait le vieux scientifique puis demanda :
— C'est le garçon dont vous m'avez parlé ?
Le plus âgé répondit par l'affirmative puis expliqua :
— J'ai besoin que vous les cachiez, son amie et lui, pour les protéger du Dr Brenner et de ses hommes.
Douze intervint :
— Papa est mort…
Owens lui répondit :
— Non, il a été grièvement blessé mais il a réussi à échapper au monstre.
Hopper demanda :
— Vous me demandez de cacher les deux gamins, mais où est la fille ?
Le scientifique répondit :
— Je ne sais pas, j'ai perdu sa trace. Ensuite, je suis tombé sur Douze. On l'a vue en ville mais elle s'est enfuie dans la forêt peu après.
L'autre homme accepta sa réponse bancale puis les fit entrer dans sa maison. Pendant que les deux adultes discutaient, le garçon balaya l'intérieur du regard. L'endroit était meublé de manière sommaire: un canapé avec une télé, un téléphone et un coin cuisine. Une porte fermée devait donner sur la chambre du propriétaire des lieux.
Le Dr Owens repartit au bout d'une dizaine de minutes. Après le départ du scientifique, Hopper se tourna vers l'enfant :
— Bon… Qu'est-ce que tu pourrais me dire au sujet de ton amie qui pourrait nous aider à la retrouver ?
Douze réfléchit pendant un moment puis finit par répondre :
— Elle aime les gaufres…
Le policier lui jeta un regard exaspéré et demanda :
— Rien d'autre ?
— Non, désolé, lui répondit l'enfant avec un air penaud.
— Est-ce que tu peux au moins me dire quels vêtements elle porte ?
— Une robe rose et une veste bleue.
— Bien.
Ce fut ainsi que le policier commença à laisser, jours après jours, des restes dans une boite en plastique, sur laquelle il posait des gaufres emballées dans du film alimentaire. Hopper les disposait sous une trappe.
Un mois plus tard
Cela faisait désormais un mois que Douze vivait chez Hopper. Tous les soirs, après le dîner, l'homme et l'enfant allaient déposer des restes puis parcouraient la forêt à la recherche de Onze. Mais, jusque là, cela n'avait rien donné. Toutefois, ils avaient quand même trouvé des traces de vie humaine dans les bois, preuve qu'Owens n'avait pas menti.
Quelques jours après le début de cette cohabitation, le jeune garçon, qui ne savait toujours pas si Will avait été retrouvé, avait fini par céder à son inquiètude et était allé voir par lui-même afin d'en avoir le cœur net. N'ayant pas l'habitude de pouvoir se fier aux adultes, il ne lui était pas venu à l'esprit qu'il aurait tout simplement pu poser directement la question à son hôte.
Il s'était donc rendu invisible et avait sillonné la ville à la recherche du jeune garçon, qu'il avait fini par trouver en train de jouer à Donjons et Dragons avec ses amis. Il avait été soulagé de constater que ces derniers allaient bien. Il n'avait pas vu, en partant, l'air abattu qu'affichait Mike.
À son retour, Douze s'était fait passer un savon par Hopper, qui avait eu peur en ne le trouvant pas en rentrant du travail. Le garçon avait expliqué qu'il avait voulu savoir si le jeune Byers avait pu rentrer chez lui. Le chef de la police avait alors répliqué :
— Tu aurais pu me le demander directement ! Je te rappelle que je suis allé chercher ce gamin dans ce que ta copine et toi appelez "le monde à l'envers" !
Douze avait alors baissé les yeux puis expliqué :
— Je suis désolé, je n'y ai pas pensé. Je… Je n'ai pas l'habitude de faire confiance aux adultes.
Hopper avait poussé un soupir et marmonné :
— J'avais oublié ça…
En un mois, les choses avaient pas mal changé. Il lui avait fallu pas mal de temps mais Hopper avait fini par faire comprendre à son jeune colocataire que tous les adultes n'étaient pas mauvais et qu'à lui, il pouvait lui parler. Mais tous deux savaient que cette confiance naissante était encore très fragile et l'adulte sentait qu'un seul pas de travers de sa part pourrait la briser définitivement.
Ce qui pesait le plus au jeune garçon était de ne pas pouvoir voir ses amis. Le fait que leurs recherches dans la forêt ne donnaient rien n'arrangeait pas les choses. Il avait dû batailler avec le policier pour avoir plus de liberté. Cela avait donné lieu à plusieurs grosses disputes entre eux, mais celui-ci avait fini par céder et Douze avait gagné le droit de s'aventurer en ville, sous plusieurs conditions : pas plus d'une heure par jour, il devait toujours faire attention à ne jamais être vu et il fallait qu'il soit là quand le policier rentrait du travail. Ces règles s'ajoutaient à celles qu'il devait déjà respecter au quotidien : toujours laisser la porte de sa chambre entrouverte, ne pas être vu et utiliser un code bien précis pour frapper à la porte de la cabane.
Conditions que le jeune garçon acceptait sans broncher. Ce n'était pas cher payé pour voir ses amis, même de loin, puisqu'il veillait toujours à rester invisible lorsqu'il se baladait en ville.
Ce fut donc au bout d'un mois durant lequel leurs recherches ne donnèrent rien que le policier, après une nouvelle soirée sans le moindre résultats, demanda au jeune garçon :
— Ce que ta copine à fait chez les Byers pour retrouver le gamin de Joyce et la fille Holland, tu en serait capable aussi ?
— Je… Je n'en sais rien, j'ai jamais essayé, répondit l'enfant sur un ton hésitant.
— De quoi aurais-tu besoin pour le faire ?
— D'un bandeau.
Le plus âgé acquiesça puis s'absenta. Il revint peu après avec ce qui était probablement un vieux torchon, qu'il tendit à Douze. Il s'excusa :
— Je suis désolé, je sais que c'est sans doute pas très propre mais j'ai trouvé que ça.
Douze le prit avec un sourire et dit :
— C'est pas grave, ça fera l'affaire.
Le garçon s'assit en tailleurs sur le canapé. Il plaça le morceau de tissu devant ses yeux puis fit un nœud à l'arrière de sa tête. Au bout de quelques secondes, il bascula dans un lieu qui lui était totalement inconnu : un espace vide qui semblait n'avoir aucune limites et dont le sol était intégralement recouvert d'une très fine couche d'eau. De part les descriptions que son amie lui en avait fait, il sut qu'il était au bon endroit. Il appela à plusieurs reprises :
— Onze ?
Il n'obtint d'autre réponses que l'écho de sa propre voix résonnant dans le vide. Il entendit la voix étouffée de Hopper, comme si elle lui parvenait de très loin, demander :
— Alors ? Tu l'as trouvée ?
Douze répondit, sa propre voix lui semblant lointaine :
— Non.
Il reprit ses appels, en vain. Lorsqu'il sentit que ses forces commençaient à le quitter, il leva les bras pour retirer le bandeau de fortune qui lui cachait les yeux. L'instant d'après, le chef de la police lui tendait un mouchoir dont il se servit pour essuyer le sang qu'il sentait sur son visage. L'adulte dut percevoir la déception qu'il ressentait suite à son échec puisqu'il lui dit :
— C'est pas grave, gamin. On réessayera demain.
Le plus jeune hocha la tête puis ils regardèrent un film qui passait à la télé ce soir là, afin de se changer les idées. Ils allèrent se coucher juste après.
Ils retentèrent l'expérience le lendemain puis les jours qui suivirent. Ce ne fut qu'au bout d'une semaine qu'ils tombèrent, alors qu'ils étaient sur le point de rentrer, sur un campement vide de toute présence mais avec un feu de camp éteint et le sol jonché de détritus de toutes sortes. Hopper s'avança en faisant signe à l'enfant de ne pas bouger. L'adulte passa la main au dessus du feu et annonça :
— Les braises sont encore chaudes. Il y avait quelqu'un ici il n'y a pas très longtemps. Je dirais moins d'une heure.
Douze demanda :
— Qu'est-ce qu'on fait ?
— On attend. La personne qui vit ici finira bien par revenir.
Hopper marqua une pause et ajouta :
— Et je crois qu'on est au bon endroit, petit.
— Comment ça ?
— Regarde par terre.
Le plus jeune s'exécuta, promenant ses yeux sur le sol, et put constata qu'il y avait des emballages plastiques et des boîtes de gaufres un peu partout autour du campement. Hopper demanda ensuite à Douze s'il pouvait les rendre invisibles, ce que ce dernier fit sans problème. Puis ils patientèrent.
Le garçon commençait à se dire qu'ils feraient mieux de revenir le lendemain lorsque des pas attirèrent son attention. Au vu du regard qu'il lui jeta, le policier les avait entendus aussi. Douze se rendit compte que les pas qu'il entendait venait de derrière eux et allait dans leur direction. Étant invisibles, la personne qui arrivait allait forcément les percuter.
Au même moment, il sentit quelqu'un tirer sur son bras et l'écarter pour l'emmener derrière un arbre. Il était sur le point de protester lorsque l'un des doigts de son accompagnateur se posa sur ses lèvres. L'enfant vit alors la personne qu'ils cherchaient depuis près de cinq semaines sortir des arbres et se diriger droit vers le campement. Hopper avait vu juste, c'était bien son amie qui vivait là. Onze, dont les cheveux avaient eu le temps de pousser en un mois, avait les bras chargés des restes qu'ils avaient déposés à son intention un peu plus tôt dans la soirée. Elle portait les mêmes vêtements que lors de son affrontement contre le demogorgon mais ses chaussures étaient enroulées dans ce qui ressemblait à de vieux chiffons, qu'elle avait dû voler en ville pour se protéger du froid, et elle avait couvert sa tête avec une sorte de casquette fourrée.
Le policier vit l'impatience de son jeune compagnon grimper en flèche à partir du moment où la fille apparut et fit signe au plus jeune qu'il pouvait se montrer. Le garçon ne perdit pas de temps et les rendit à nouveau visibles tous les deux. Il marcha sur une brindille qui lui sembla résonner dans toute la forêt lorsqu'elle se brisa.
Le bruit, bien que léger, attira l'attention de la jeune fille qui se trouvait à quelques mètres de leur position. Elle se redressa, sur ses gardes, et se retourna lentement, scrutant les arbres à l'affût d'un éventuel ennemi. Mais ce ne fut pas un ennemi qui s'avança vers elle.
Lorsqu'elle reconnut le jeune garçon qui marchait dans sa direction, elle se figea et n'eut pas conscience de retenir sa respiration. L'espace d'un instant, elle se demanda si elle rêvait. Lorsqu'elle réalisa que non, que c'était bien son ami d'enfance qui lui faisait face, elle eut envie de pleurer de soulagement. Au cours des dernières semaines, Onze n'avait cessé de s'inquiéter à son sujet et de se demander s'il allait bien.
Puis, comme si elle réalisait seulement ce qu'il se passait, elle hurla :
— Douze !
Elle se jeta dans les bras du garçon et enroula les siens autour du cou de son ami, que la puissance de l'impact fit reculer de plusieurs pas.
Au bout de quelques secondes, le garçon referma ses bras autour de la taille de la jeune fille. À vrai dire, ils avaient tous deux du mal à croire ce qui était en train de se passer. Si on leur posait la question, chacun dirait que c'était le plus beau jour de sa vie. Seule la présence de l'autre importait.
Il fallut que Hopper signale sa présence pour que les deux enfants se rendent compte qu'ils n'étaient pas seuls. À contrecœur, ils se séparèrent.
La jeune fille en profita alors pour détailler Douze. Il était vêtu d'un blouson, d'un jean et de bottes fourrées. Ses cheveux avaient un peu poussé et elle pouvait voir qu'ils commençaient à partir dans tous les sens.
Le chef de la police demanda à Onze de les suivre mais il fallut que son ami lui assure qu'il était digne de confiance et qu'ils ne risquaient rien avec lui pour qu'elle accepte.
OoooO
Après avoir laissé Douze avec Jim Hopper, le Dr Owens rentra chez lui. Il fallait qu'il prévienne Albus de la tournure des évènements mais il décida d'attendre quelques jours afin d'être certain que tout danger était écarté. Il laissa passer une semaine puis appela le directeur de Poudlard pour l'avertir du changement de programme qu'il avait dû opérer.
Dumbledore répondit qu'il avait eu raison de mettre l'enfant en sécurité puis lui dit qu'il essaierait de venir dès qu'il pourrait se libérer afin de rencontrer le garçon.
Ce ne fut qu'au début des vacances de Noël que le vieux sorcier trouva le temps de rappeler son ami pour lui dire qu'il passerait le voir dès que possible.
Suite à cela, le Dr Owens eut matière à réfléchir. Devait-il retourner voir Douze pour lui proposer à nouveau de rencontrer Albus ou était-il préférable de laisser le jeune garçon vivre la vie normale qu'il aurait toujours dû avoir ?
Après avoir passé une nuit complète à s'interroger à ce sujet, il se dit que le mieux était encore de demander au principal concerné. Ce fut pour cette raison qu'un soir de décembre 1983, il toqua à la porte de la cabane où Hopper s'était installé avec les deux enfants.
La porte s'ouvrit sur le visage surpris du chef de la police, qui ne devait pas s'attendre à recevoir une visite aussi tardive, et encore moins à ce qu'il s'agisse de lui. Hopper demanda :
— Que faites-vous ici ?
Le scientifique répondit :
— Je voudrais parler au garçon que je vous ait confié.
Le policier marmonna, méfiant :
— Hmm. À quel sujet ?
— J'aimerais lui proposer de rencontrer un ami à moi.
— Je croyais que vous me l'aviez confié justement parce que la rencontre avec votre ami n'avait pas pu se faire.
Owens acquiesça puis expliqua que l'ami en question avait pu se libérer et qu'il viendrait le voir dans les prochains jours.
Finalement, le propriétaire des lieux se décala pour laisser entrer le scientifique, qui le suivit jusqu'à ce qui servait à la fois de salon et de pièce principale. L'agencement était le même que celui de la maison qu'il avait visité quelques semaines plus tôt, à ceci près qu'il y avait deux autres portes au lieu d'une seule.
En avisant les deux enfants scotchés devant la télé, qui semblaient n'avoir même pas remarqué sa présence, le Dr Owens se dit que c'était une bonne nouvelle que le duo soit à nouveau réuni.
Le chef de la police toussa pour attirer l'attention de ses deux protégés. Ils se retournèrent et le visage du garçon s'éclaira en reconnaissant le scientifique. Il se leva et s'exclama :
— Dr Owens ! Je suis content que vous alliez bien !
Douze, gêné, expliqua :
— Comme j'avais pas de nouvelles, j'ai eu peur qu'ils vous aient attrapé.
Owens expliqua alors la raison de sa présence, en faisant comme s'il n'avait pas remarqué le regard méfiant que la jeune fille posait sur lui. Après ce qu'elle avait vécu au sein du laboratoire, il comprenait qu'elle se méfie du corps scientifique.
Après quelques instants de réflexion, Douze répondit positivement à la proposition du plus vieux. Celui-ci discuta ensuite avec Hopper des modalités de la rencontre puis leur souhaita une bonne soirée.
Une fois de retour chez lui, Owens contacta son ami pour le prévenir que l'enfant avait accepté de le rencontrer.
Le premier jour des vacances, en fin d'après-midi, le vieux sorcier toqua à la porte de la cabane où vivaient Hopper et les enfants. La porte s'ouvrit sur un garçon d'une douzaine d'années vêtu d'un t-shirt à carreaux et d'un jean. Mais ce furent surtout les yeux de l'enfant qui l'interpelèrent. Ils étaient de la même couleur que l'émeraude, d'un vert éclatant qu'il n'avait vu qu'une seule fois dans sa vie. Si les yeux du garçon n'avaient pas suffit à le convaincre qu'il avait retrouvé le jeune Potter, sa coupe de cheveux s'en serait chargée. Des cheveux aussi indomptables ne pouvaient appartenir qu'à un Potter.
Pourtant, tandis qu'il suivait le jeune garçon à l'intérieur, le directeur de Poudlard ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur la tournure qu'allait prendre cette soirée. Le vieil homme était heureux d'avoir retrouvé l'enfant disparu mais ne voulait que le bonheur du garçon et si le jeune Potter souhaitait rester ici, il respecterait sa volonté.
Une fois l'étape des présentations passée, Dumbledore expliqua qui il était exactement. Il jugea préférable de ne pas leur cacher l'existence du monde magique. Il savait par Sam que les enfants avaient déjà été en contact avec le surnaturel et ne voyait donc pas de raisons de le leur cacher. Qui plus est, révéler à Harry d'où il venait impliquait forcément de dévoiler l'existence de la magie.
Il se lança donc dans des révélations qui les occupèrent durant une bonne partie de la soirée. Le vieux sorcier commença par ce qui concernait Poudlard et l'existence de la magie puis enchaîna avec les parents biologiques de l'enfant, expliquant qu'ils étaient deux des personnes les plus courageuses qu'il lui ait été donné de rencontrer et qu'ils étaient allés jusqu'à donner leur vie pour sauver leur fils.
Le plus jeune, qui écoutait attentivement le récit du vieux sorcier, l'interrompit pour demander :
— Est ce que… vous connaissez leurs noms ?
— Oui. Ils s'appelaient Lily et James Potter.
L'enfant hocha la tête. Dumbledore continua :
— Maintenant que tu sais tout ça, j'ai une proposition à te faire.
Douze l'encouragea à continuer sous le regard attentif de son tuteur. Le vieil homme homme repris :
— Si tu es d'accord, une place t'attends à Poudlard. Mais je comprendrais parfaitement si tu préférais rester ici.
Douze prit le temps d'y réfléchir. Il avait le choix entre partir dans un pays dont il ne connaissait rien. Ou il pourrait démarrer une nouvelle vie, et rester à proximité du lieu qui avait abrité ses pires cauchemars mais aussi de la seule personne qui ait toujours été à ses côtés, du plus loin que remontaient ses souvenirs. Non, en réalité, la question ne se posait même pas. Il était hors de question d'abandonner celle qui était son seul véritable repère dans ce monde, pas après avoir déjà passé plus d'un mois à la chercher sans relâche. Sa décision était déjà prise. Ce fut ce qui dicta la réponse qu'il fit à Dumbledore :
— Je reste ici.
Le vieux sorcier acquiesça. Après avoir pris le temps de la réflexion, il proposa à son jeune interlocuteur :
— Si tu préfères, je peux t'apprendre moi-même à utiliser la magie.
Douze demanda :
— Ici ? Dans cette cabane ?
Dumbledore répondit par l'affirmative. L'enfant jeta un regard implorant au policier, qui finit par acquiescer en souriant presque. Douze s'exclama :
— Alors c'est d'accord !
Il fut ainsi décidé qu'à partir de la rentrée de janvier, le directeur de Poudlard viendrait une journée par semaine enseigner la magie au jeune garçon. Après cela, le vieil homme leur souhaita une bonne soirée puis repartit.
Le reste des vacances se déroula sans incident. Douze avait hâte de voir ce qu'allait lui apprendre Dumbledore. Ils avaient dû négocier avec Hopper mais son amie d'enfance avait gagné le droit d'assister aux cours.Le policier avait admis que ça ne pourrait pas lui faire de mal de sortir un peu de la cabane, plutôt que de rester enfermée toute la journée. Les deux enfants avaient approuvé, arguant que ce ne serait qu'une seule journée par semaine.
Ce que le chef de la police ne savait pas, c'était que le jeune garçon avait l'intention de laisser son amie l'accompagner lors de ses sorties en ville. Il ne pouvait en parler à l'adulte : il connaissait déjà sa réponse. Il dirait que ce serait trop dangereux car, contrairement à lui, la jeune fille n'était pas capable de se rendre invisible. Mais Hopper oubliait que Douze pouvait étendre son pouvoir à d'autres personnes.
Le directeur de Poudlard revint le premier lundi de janvier, en début de matinée. Il expliqua à son jeune élève qu'avant de commencer à lui apprendre quoi que ce soit, il devait d'abord l'emmener acheter une baguette magique, et des fournitures scolaires appropriées.
À ces mots, le garçon eut littéralement des étoiles dans les yeux. Il demanda à son professeur si son amie pouvait les accompagner, ce que le vieil homme accepta sans problème. Le plus compliqué fut de convaincre Hopper. Les deux enfants durent supplier le policier, qui ne finit par céder que parce que Dumbledore lui assura qu'ils seraient en sécurité avec lui et qu'il ne laisserait rien arriver à Onze.
Ce fut ainsi qu'une petite heure plus tard, le vieux sorcier se trouvait dans l'allée commerciale sorcière d'une ville proche de Hawkins, tentant de tempérer l'enthousiasme débordant de deux préadolescents.
Il commença par les emmener à la banque, une filiale américaine de Gringotts.
Le trio passa les portes du hall d'entrée de la banque. Il s'agissait de deux grandes portes massives en marbre blanc, ornées de poignées dorées. La devanture de la banque portait la même inscription que l'organisme anglais, à savoir GRINGOTTS en lettres d'or suivi des vers suivants :
Entre ici étranger si tel est ton désir
Mais à l'appât du gain, renonce à obéir,
Car celui qui veut prendre et ne veut pas gagner,
De sa cupidité, le prix devra payer.
Si tu veux t'emparer, en ce lieu souterrain,
D'un trésor convoité qui jamais ne fut tien,
Voleur, tu trouveras, en guise de richesse,
Le juste châtiment de ta folle hardiesse.
Le hall était également en marbre, était composé d'une succession de guichets, chacun tenu par un jeune adulte vêtu d'un costume blanc cassé orné d'un noeud papillon noir.
Cet étalage de blanc donnait au tout un aspect très lumineux.
La différence était que la banque était tenue, non pas par des gobelins comme celle d'Angleterre, mais par des cracmols. Dumbledore expliqua aux deux enfants que cracmols était le nom donné à ceux qui naissaient dépourvus de pouvoirs dans une famille de sorciers.
Les deux enfants ne savaient où donner de la tête. Eux qui découvraient à peine le monde à l'extérieur du laboratoire étaient impressionnés par tant d'espace. Ils étaient tous deux impatients de voir ce que le monde de Dumbledore leur faisait découvrir avait à leur montrer.
Le vieux sorcier guida les deux plus jeunes jusqu'à un guichet. Il expliqua au jeune homme qui les accueillit qu'il souhaitait faire transférer les fonds du compte au nom de Harry Potter dans un nouveau compte. Son interlocuteur lui demanda :
— Avez-vous la clé du compte de Mr Potter ?
Le directeur de Poudlard lui tendit l'objet demandé. Puis le guichetier posa une question à laquelle aucun d'eux n'avait réfléchi :
— À quel nom dois-je ouvrir ce compte ?
Dumbledore se tourna vers les deux enfants, et plus particulièrement vers Douze. Il lui dit :
—C'est toi qui vois. Est-ce que tu es d'accord pour que le compte soit ouvert au nom de Harry Potter ?
Douze s'avança vers le guichet et demanda au jeune homme qui était installé derrière :
— Est-ce que ce sera possible de changer plus tard le nom du titulaire du compte ?
— Bien sûr, sans problème. Il faudra juste que vous reveniez avec un parent où un tuteur.
Douze se tourna vers Dumbledore et lui donna son accord. Le plus vieux pu donc répondre à la question initiale :
— Le compte sera ouvert au nom de Harry Potter.
— Bien.
Quelques minutes plus tard, le trio suivait le guichetier dans le dédale des couloirs de la banque. Il les guida jusqu'à une double porte car la descente se faisait en ascenseur et non avec un wagon digne des pires montagnes russes. Les sorciers américains vivaient avec leur temps, à l'inverse de leurs homologues anglais.
La cage d'ascenseur était spacieuse, ce qui convenait parfaitement aux deux enfants, que les lieux étroits rendaient très mal à l'aise. Le voyage dura quelques secondes puis les passagers descendirent. L'employé de la banque les conduisit à un coffre. Il inséra la clé dans une fente puis pianota sur un digicode. Une porte coulissante s'ouvrit et ils pénétrèrent à l'intérieur.
L'employé fit ensuite appel à l'un de ses supérieurs pour le transfert de fond, puisque la manoeuvre requierait l'usage de la magie. Peu de temps après, ils furent rejoints par un homme d'une quarantaine d'années, qui se chargea de la suite des opérations. Le nouveau venu prononça une formule incompréhensible.
Sous les yeux émerveillés des deux enfants, une véritable montagne de pièces se matérialisa alors dans la pièce.
Dumbledore confia une bourse au propriétaire du coffre puis l'aida à la remplir.
Lorsque ce fut fait, le directeur de Poudlard renseigna les deux enfants sur le système monétaire du monde magique.
Une fois qu'ils furent ressortis de la banque, le vieux sorcier emmena le duo jusqu'à un vendeur de baguettes magiques. La devanture de la boutique affichait une pancarte en bois sur laquelle était gravé :
Wolfe - Fabricants de baguettes magiques depuis 1520
Le trio pénétra dans la boutique. Une odeur de bois humide et de vieux parchemin imprégnait les lieux. Une femme d'une vingtaine d'années fondit sur eux à la seconde où ils franchirent la porte. La nouvelle venue avait de courts cheveux bruns coiffés en brosse et des yeux noisettes. Elle était vêtue de façon moldue : une chemise bleue marine, un jean et des baskets.
Elle s'adressa à eux d'une voix enjouée :
— Salut ! Vous venez pour acheter une baguette ?
Sous les regards interloqués de ses clients, elle enchaina :
— Évidemment qu'ils viennent acheter une baguette, quelle idiote je fais !
Une fois ce moment passé, Dumbledore prit la parole :
— Ce jeune garçon à en effet besoin d'une baguette, dit-il en désignant Douze.
La vendeuse s'approcha si vite dudit garçon que ce dernier n'eut pas le temps de la voir arriver. D'un coup de baguette, elle fit venir un mètre qui commença à mesurer l'enfant à des endroits dont il ignorait qu'ils pouvaient être mesurés.
Après cela, elle expliqua à l'enfant que c'était la baguette qui choisissait son sorcier et non l'inverse. Elle disparut ensuite dans les rayons qui composaient la boutique puis revint avec une boite d'une trentaine de centimètres de long.
Elle l'ouvrit, dévoilant un bâton de bois d'environ vingt-cinq centimètres. La jeune femme mit l'objet dans les mains de l'enfant, qui ne sut quoi en faire. Elle lui indiqua comment procéder.
D'un geste hésitant, Douze donna un coup de baguette, qui détruisit une partie des rayons. Le jeune garçon, penaud, s'excusa pour les dégâts provoqués. La vendeuse lui assura :
— Ce n'est rien. Cette boutique à en à vu d'autres !
Les essais se poursuivirent ainsi durant une dizaine de minutes, jusqu'à ce que la vendeuse mette dans les mains de son client une baguette de vingt-sept virgule cinq centimètres en bois de houx et contenant une plume de phénix. La description de la baguette rendit Dumbledore perplexe. Cela correspondait à celle de la baguette jumelle de Voldemort. Or, il savait de source sûre que cette dernière se trouvait dans le magasin d'Ollivander, sur le Chemin de Traverse. Comment était-ce possible ?
Il n'eut pas le temps de pousser plus loin ses réflexions car, au même moment, des étincelles rouge et vertes sortirent de la baguette, dont le nouveau propriétaire sentit une douce chaleur se répandre dans son corps.
Après avoir payé les sept gallions que coûtait la baguette, ils ressortirent. Les courses les occupèrent pendant encore une bonne partie de la journée. Le midi, ils mangèrent sur la terrasse d'un petit restaurant dont ils avaient entendu parler dans la mâtinée. Bien que l'on soit en janvier, un puissant sortilège maintenait l'allée commerçante à une température ambiante, ce qui leur permit de manger en terrasse sans avoir froid. Les deux enfants furent ravis de pouvoir découvrir la cuisine sorcière.
Lorsque Dumbledore les ramena à Hawkins, en fin d'après-midi, ils avaient tous les deux passé une excellente journée. Le vieil homme leur donna rendez-vous pour la semaine suivante puis repartit. Juste avant de transplaner, Dumbledore ne manqua pas les détails que les enfants commençaient déjà à raconter à leur tuteur. Il était certain que la journée serait passée au peigne fin par les deux enfants.
Dès le départ de Dumbledore, Douze ouvrit les livres qu'ils avaient achetés. Mais le jeune garçon se trouva face à un problème de taille : le Dr Brenner n'avait pas pris la peine d'apprendre à lire à ses cobayes. Et pour cause, il n'avait jamais envisagé la possibilité que certains puissent lui échapper.
Pendant le dîner, il en parla à Hopper. Dès le lendemain, le policier enseigna aux deux enfants les bases de la lecture et de l'écriture.
Il commença par leur apprendre l'alphabet, puis à faire la distinction entre les sons. Ils y passaient deux heures par jour - une heure le matin, une l'après-midi -.
Lorsque Dumbledore revint, une semaine plus tard, Onze et Douze avaient bien progressé. Le policier expliqua la situation au vieux sorcier et ce dernier dit à son élève que jusqu'à ce qu'il sache lire, les cours seraient purement pratiques.
Le jeune garçon acquiesça puis ils se mirent au travail. Son professeur l'emmena dehors, dans une zone de la forêt située derrière la cabane où il n'y avait pas d'arbres. Onze les suivit et Hopper lui emboîta le pas, curieux de voir ce qui allait se passer. Elle s'appuya contre le mur de la cabane et le policier se mit à côté d'elle.
Dumbledore commença par demander à son jeune élève de lui montrer de quoi il était capable. Il savait que Douze avait développé d'autres pouvoirs que ceux dont il avait été doté à la naissance et voulait voir de quoi il retournait exactement.
Le plus jeune acquiesça mais précisa :
— Je peux pas le faire trop longtemps par contre…
— Ce n'est pas grave, je veux juste voir de quoi tu es capable.
Douze hocha la tête puis déploya son bouclier autour d'eux. Il le maintint durant une trentaine de secondes, pour laisser à Dumbledore le temps de bien le voir, puis fit disparaître le dôme bleuté qui s'était formé.
Lorsque le bouclier disparu, le vieux sorcier remarqua que Douze saignait du nez. Il fit apparaître un mouchoir, qu'il tendit à l'enfant. Ce dernier le remercia puis expliqua :
— C'est pour ça qu'on peut pas utiliser nos pouvoirs trop longtemps : ça nous épuise. Si on force trop, on finit par perdre connaissance et ça peut même aller jusqu'au coma…
Après cette explication, Douze montra le deuxième aspect de ses pouvoirs : l'invisibilité. Il fixa un rocher qui se trouvait devant eux et celui-ci disparut soudainement. Le directeur de Poudlard fut assez impressionné. Il demanda au jeune garçon :
— Et tu peux faire la même chose sur des êtres vivants ?
— Oui.
Et il disparut à son tour en guise de démonstration. Douze réapparut quelques instants plus tard devant Dumbledore.
Après cela, le cours à proprement parler put démarrer. Le vieux sorcier commença par sortir sa baguette et prononcer une formule. Un dôme argenté se déploya, couvrant tout le périmètre de la clairière où ils se trouvaient. Lorsque Douze l'interrogea sur ce qu'il venait de faire, il expliqua qu'il avait jeté un sort de dissimulation : seuls ceux qui sauraient où les trouver pourraient les voir.
Dumbledore expliqua ensuite à son élève qu'il allait commencer par lui enseigner les sorts de base et qu'ils ne passeraient à la suite que lorsqu'il les maîtriserait complètement. À la demande de Dumbledore, Douze alla chercher sa baguette, qu'il avait laissée dans la chambre qu'il partageait avec Onze.
Le plus vieux commença par lui montrer le geste à effectuer pour les deux premiers sorts qu'il allait lui apprendre : lumos et nox. Il lui fit répéter le mouvement jusqu'à ce qu'il parvienne à l'exécuter à la perfection et sans hésitation.
Sans qu'aucun d'eux ne s'en rende compte, cela les occupa jusqu'à midi. Ce fut Hopper qui leur signala qu'il était l'heure de manger. Il proposa à Dumbledore de déjeuner avec eux. Le directeur de Poudlard commença par refuser mais fini par céder devant l'insistance de son interlocuteur.
Cependant, il insista pour se rendre utile, arguant qu'en tant qu'invité, c'était la moindre des choses.
L'après-midi, ils purent passer à la partie pratique de la leçon. Cette fois, Dumbledore laissa Douze en autonomie et se contenta de le corriger quand il se trompait.
Vers dix-sept heures, le professeur mit fin au cours. Il leur souhaita une bonne soirée puis prit congé, après avoir donné comme consigne à son élève de s'entraîner quotidiennement, lui expliquant que c'était le meilleur moyen de progresser.
À compter de ce jour, une routine s'installa peu à peu. Durant les semaines puis les mois qui suivirent, Hopper continua d'enseigner la lecture à ses deux protégés. Une fois qu'ils n'eurent plus besoin de cours, Dumbledore put ajouter des leçons théoriques aux cours qu'il donnait à Douze. Quant au policier, il put s'atteler à une autre tâche : développer le vocabulaire de Onze. Il lui apprenait un nouveau mot chaque jour.
La jeune fille ne loupait aucun des cours que Dumbledore donnait à son ami et aimait le regarder s'entraîner car cela lui permettait de passer du temps en dehors de la cabane de Hopper. L'homme avait bien tenté de protester mais l'insistance des enfants avait fini par le faire céder. Il avait admis que rester juste derrière la cabane n'était pas dangereux pour Onze.
Le jeune garçon continua d'emmener son amie avec lui lorsqu'il allait en ville, sans jamais en parler à Hopper. Il espérait que ce dernier ne le découvre jamais. Si ça devait arriver, il le tuerait. Et ce n'était pas une façon de parler. Douze avait conscience qu'il jouait avec la confiance du policier mais lorsque son amie avait découvert ses escapades, elle l'avait supplié de la laisser l'accompagner. Il n'avait pas eu le cœur de refuser, sachant combien le fait de ne pas pouvoir sortir lui pesait.
La première chose qu'Onze lui avait demandé la première fois qu'elle l'avait accompagnée était d'aller voir Mike. Il avait naturellement accepté. Il ne comprenait pas grand chose à tout cela mais il avait remarqué qu'il y avait plus que de l'amitié entre ses deux amis. La joie sur le visage de Onze lorsqu'elle avait vu le jeune Wheeler l'avait conforté dans cette idée. Tout comme le fait qu'après cela, elle n'avait cessé de parler de lui tout le temps qu'avait duré leur promenade. Il avait presque été heureux que l'apparition de la cabane l'oblige à se taire.
Entre les leçons de magie de Douze et les sorties des deux enfants, lessemaines s'écoulèrent tranquillement, jusqu'à la fin du mois d'octobre 1984. Plus précisément jusqu'au 25 octobre.
Ce jour-là, les deux enfants allèrent se promener en ville. Ils marchaient sur le bord de la route et étaient sur le chemin du retour lorsqu'un coup de vent les frôla et manqua de les renverser. Ils ne durent leur salut qu'aux réflexes de Douze, qui attrapa la manche de son amie et les fit tous les deux reculer. Après cela, le duo s'arrêta quelques minutes pour reprendre ses esprits et se remettre de la peur qu'ils venaient d'avoir. Lorsqu'ils reprirent leur chemin, Douze réfléchit à ce qui venait de se passer. Sur le moment, il n'avait senti qu'un coup de vent et n'avait pas eu le temps de comprendre ce qu'il se passait. Mais maintenant qu'il se repassait la scène dans la tête, il supposait qu'il s'agissait d'une voiture. Et il se rappela avoir vu un éclair bleu en même temps que le coup de vent.
Ce soir-là, Hopper rentra furieux du travail et marmonna pendant tout le dîner quelque chose que les enfants ne comprirent pas. Heureusement pour eux, sa colère l'empêcha de voir qu'ils n'étaient pas dans leur état normal.
Lorsqu'il se coucha, l'adolescent n'était pas tranquille. Il avait bien remarqué que, malgré leurs sorties clandestines, la tension était devenue de plus en plus palpable au fil des mois entre son amie et leur tuteur. Il savait que ce n'était qu'une question de temps avant que Onze explose et il ne voulait pas être en face d'elle lorsque ça arriverait.
Après cet incident, ils n'osèrent plus sortir durant plusieurs jours. Si Hopper remarqua un changement dans leur comportement, il n'en montra rien. À cause des plaintes qu'il recevait depuis quelques jours au sujet des citrouilles qui pourrissaient, il était très pris par son travail et c'était sans compter le soutien qu'il apportait à Joyce qui s'inquiétait pour son fils cadet. Le policier n'avait plus assez de temps pour gérer simultanément tous les aspects de sa vie professionnelle et personnelle. Et c'était justement ce manque de temps qui allait être en partie responsable de l'explosion que redoutait Douze.
